Language of document : ECLI:EU:T:2018:262

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

4 mai 2018 (*)

« Référé – Droit institutionnel – Vice-président du Parlement européen – Décision du Parlement de mettre fin au mandat d’un vice-président – Demande de mesures provisoires – Injonction – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑230/18 R,

Ryszard Czarnecki, demeurant à Varsovie (Pologne), représenté par Me M. Casado García-Hirschfeld, avocat,

partie requérante,

contre

Parlement européen, représenté par MM. N. Görlitz et S. Alonso de León, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur les articles 278 et 279 TFUE et tendant, d’une part, à surseoir à l’exécution de la décision du Parlement européen du 7 février 2018 approuvant la cessation anticipée de la fonction de vice-président du Parlement du requérant et, d’autre part, à enjoindre au Parlement de maintenir le mandat de vice-président du Parlement du requérant,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige, procédure et conclusions des parties

1        Le requérant, M. Ryszard Czarnecki, est député au Parlement européen.

2        Le 1er janvier 2017, le requérant a été réélu vice-président du Parlement.

3        À la suite de propos tenus par le requérant, considérés comme incompatibles avec l’office de vice-président du Parlement, la conférence des présidents du Parlement a proposé au Parlement, le 1er février 2018, de mettre fin au mandat de vice-président du Parlement du requérant.

4        Le 7 février 2018, le Parlement a, avec 447 votes pour, 166 votes contre et 30 abstentions, approuvé la cessation anticipée de la fonction de vice-président du Parlement exercée par le requérant (ci-après la « décision attaquée »).

5        Le 1er mars 2018, à la suite de la vacance générée par la décision attaquée, ayant eu pour effet la déchéance du mandat de vice-président du requérant, un autre député du Parlement a été élu vice-président.

6        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 6 avril 2018, le requérant a demandé au Tribunal d’annuler la décision attaquée.

7        Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, le requérant a introduit une demande en référé, au titre des articles 278 et 279 TFUE, dans laquelle il conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        surseoir à l’exécution de la décision attaquée ;

–        adopter des mesures provisoires visant à « ordonner le maintien du mandat » de vice-président du requérant ;

–        condamner le Parlement aux dépens.

8        Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 18 avril 2018, le Parlement conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé comme irrecevable ou, à titre subsidiaire, comme non-fondée ;

–        réserver les dépens ou, à titre subsidiaire, condamner le requérant aux dépens.

 En droit

9        Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires, et ce en application de l’article 156 du règlement de procédure du Tribunal. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union européenne bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (ordonnance du 19 juillet 2016, Belgique/Commission, T‑131/16 R, EU:T:2016:427, point 12).

10      L’article 156, paragraphe 4, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier « l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent ».

11      Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets avant la décision au principal. Ces conditions sont cumulatives, de telle sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 21 et jurisprudence citée).

12      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [voir ordonnance du 19 juillet 2012, Akhras/Conseil, C‑110/12 P(R), non publiée, EU:C:2012:507, point 23 et jurisprudence citée].

13      Compte tenu des éléments du dossier, le président du Tribunal estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

14      Le Parlement ayant contesté la recevabilité de la demande en référé, il y a, tout d’abord, lieu de l’examiner.

15      S’agissant du premier chef de conclusions tendant au sursis à l’exécution de la décision attaquée, force est de constater qu’une demande de sursis à exécution ne se conçoit pas contre cette décision, l’octroi du sursis sollicité ne pouvant avoir pour effet, en soi, de modifier la situation du requérant.

16      En effet, comme le soutient à juste titre le Parlement, la décision attaquée est un acte défavorable ayant entraîné immédiatement une modification de la situation juridique du requérant et ayant eu pour conséquence, au moment de son adoption, la déchéance du mandat de vice-président du Parlement de ce dernier.

17      La décision attaquée ayant ainsi épuisé ses effets propres par son adoption, elle ne saurait faire l’objet d’une suspension (voir, en ce sens, ordonnance du 22 mai 1978, Simmenthal/Commission, 92/78 R, EU:C:1978:106, point 7).

18      Par ailleurs, le cas d’espèce ne saurait être assimilé à la situation prévalant dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance du 15 novembre 2007, Donnici/Parlement (T‑215/07 R, EU:T:2007:344). Cette affaire a porté, comme il résulte des points 35 et 36 de ladite ordonnance, sur une décision du Parlement, relative à la vérification des pouvoirs de la partie requérante en tant que membre du Parlement, qui avait déclaré, à la suite de cette vérification, le mandat de député de la partie requérante non valide et avait validé, dans le même temps, le mandat de député d’une autre personne.

19      Eu égard à ce qui précède, le premier chef de conclusions du requérant doit être rejeté comme irrecevable.

20      S’agissant du deuxième chef de conclusions, tendant au « maintien » du mandat de vice-président du Parlement du requérant, il convient de relever que, conformément à la conclusion tirée au point 16 ci-dessus, le requérant a été déchu de son mandat de vice-président au moment où la décision attaquée a été adoptée. En outre, comme il a été rappelé au point 5 ci-dessus, le poste de vice-président qui s’est libéré avec la déchéance du mandat de vice-président du requérant a été pourvu le 1er mars 2018. À cet égard, il convient de souligner que le procès-verbal de la séance du 1er mars 2018 précise que le vice-président élu a pris, dans l’ordre de préséance, la place du requérant.

21      Dans ces conditions, le requérant ne saurait être « maintenu » dans la fonction de vice-président du Parlement par une mesure provisoire sollicitée presque deux mois après la déchéance de son mandat et presque un mois après que le poste de vice-président précédemment occupé par lui eût été pourvu.

22      Ainsi, la conclusion tendant au « maintien » du requérant dans la fonction de vice-président du Parlement, prise littéralement, est irrecevable, dans la mesure où elle tend à la conservation d’une situation juridique qui, au moment même de l’introduction de la demande en référé, n’existait plus.

23      Certes, si le juge des référés n’est pas lié au libellé exact des conclusions, il n’en reste pas moins qu’il ne saurait adopter des mesures « ultra petita » et que la mesure sollicitée doit ressortir de manière suffisamment claire de la demande en référé. En effet, demander au juge des référés d’adopter des mesures sans préciser en quoi ces mesures pourraient consister reviendrait à lui demander de formuler lui-même les conclusions qu’il est censé apprécier par la suite [voir, en ce sens, ordonnance du 13 décembre 2004, Sumitomo Chemical/Commission, C‑381/04 P(R), non publiée, EU:C:2004:796, point 20].

24      En l’espèce, la demande en référé ne tient pas compte du fait que le requérant a été déchu de ses fonctions avec l’adoption de la décision attaqué et que le poste de vice-président du Parlement qui s’est libéré avec la déchéance du mandat de vice-président du Parlement du requérant a été pourvu le 1er mars 2018. À plus forte raison, la demande en référé n’explique pas les raisons pour lesquelles il devrait être, malgré ces éléments, ordonné au Parlement de « maintenir » le requérant au poste de vice-président. Par ailleurs, la demande en référé ne contient pas d’éléments venant spécifiquement au soutien de la demande tendant à « maintenir » le requérant au poste de vice-président.

25      Dans ces conditions, le juge des référés ne saurait établir de manière suffisamment claire si le chef de conclusions visant à « ordonner le maintien du mandat » de vice-président du Parlement du requérant pourrait être interprété dans un sens plus large et dans quel sens ce chef de conclusions devrait être entendu.

26      Partant, il n’incombe pas au président du Tribunal d’identifier au lieu et à la place du requérant des mesures provisoires que ce dernier aurait pu avoir sollicitées, en procédant à une interprétation large du deuxième chef de conclusions du requérant.

27      Toutefois, dans la mesure où le Parlement semble comprendre le deuxième chef de conclusions du requérant en ce que celui-ci chercherait à obtenir une injonction ordonnant sa ré-investiture, à titre provisoire, comme vice-président du Parlement, il y a lieu d’examiner, à titre surabondant, si le deuxième chef de conclusions, compris dans ce sens, peut aboutir.

28      À cet égard, il convient de rappeler, en premier lieu, que le poste de vice-président du Parlement qui s’est libéré avec la déchéance du mandat de vice-président du Parlement du requérant a été pourvu le 1er mars 2018.

29      Or, comme le souligne le Parlement, son règlement intérieur ne prévoit pas de procédure de révocation du député qui a été élu vice-président afin de remplacer un autre député qui, tel le requérant, a été déchu de son mandat de vice-président. Notamment, la procédure prévue à l’article 21 du règlement intérieur du Parlement pour la 8ème législature ne permet pas une telle révocation, étant donné qu’une cessation prématurée des fonctions d’un vice-président en vertu de cette disposition présuppose que la conférence des présidents ait considéré que la personne concernée avait commis « une faute grave ».

30      En deuxième lieu, il convient de rappeler qu’il résulte de l’article 17, paragraphe 1, et de l’article 24, paragraphe 1, du règlement intérieur du Parlement que le nombre des vice-présidents est fixé à quatorze.

31      Or, en l’absence de toute indication du requérant expliquant comment, selon lui, il pourrait être rétabli, à titre provisoire, dans ses fonctions de vice-président sans qu’il soit nécessaire de « créer », à titre provisoire, un quinzième poste de vice-président, il convient de conclure que le deuxième chef de conclusions, interprété comme tendant à rétablir le requérant, à titre provisoire, dans ses fonctions de vice-président, impliquerait que le président du Tribunal enjoignît au Parlement de « créer » à titre provisoire un quinzième poste du vice-président, et ce malgré la décision du Parlement, prise dans l’exercice de ses compétences d’organisation interne, de se doter d’un nombre pair de vice-présidents.

32      Selon le Parlement, il serait, eu égard aux dispositions de l’article 17, paragraphe 1, et de l’article 24, paragraphe 1, de son règlement intérieur, fixant le nombre de vice-présidents à quatorze, dans l’impossibilité d’exécuter une mesure provisoire tendant à « créer », à titre provisoire, un quinzième poste de vice-président. Ainsi, selon le Parlement, une telle conclusion du requérant est irrecevable pour défaut d’intérêt à agir.

33      Sans qu’il y ait lieu d’examiner si, de manière générale, la répartition des compétences entre les différentes institutions voulue par les auteurs des traités pourrait permettre au président du Tribunal de s’ingérer ainsi dans les compétences du Parlement, il convient de constater qu’une telle ingérence dans les prérogatives du Parlement serait, en tout état de cause, uniquement concevable en présence de la nécessité impérieuse d’assurer le droit à un recours effectif consacré à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

34      Or, en l’espèce, le requérant n’a introduit son recours et sa demande en référé que le 6 avril 2018, à savoir presque deux mois après l’adoption de la décision attaquée et presque un mois après que le poste de vice-président, qui s’était libéré avec la déchéance du requérant de son poste de vice-président, eut été pourvu par son successeur élu.

35      Notamment, le requérant n’a pas entamé, en temps utile, de démarches devant le juge de l’Union afin d’éviter que ce poste ne fût pourvu.

36      Ainsi, le fait que le président du Tribunal doive désormais, afin de satisfaire au deuxième chef de conclusions du requérant, ordonner la « création », à titre provisoire, d’un quinzième poste de vice-président est la conséquence de ce que le requérant a omis d’entreprendre, en temps utile, des démarches auprès du juge de l’Union afin d’éviter que le poste de vice-président devenu vacant ne fût pourvu.

37      N’ayant pas exercé pleinement ses droits procéduraux en temps utile, le requérant ne saurait prétendre que le droit à un recours effectif requerrait maintenant d’adopter la mesure provisoire sollicitée et de remédier ainsi à son abstention à agir.

38      Partant, le président du Tribunal n’est pas compétent, dans les circonstances de l’espèce, pour ordonner, à titre provisoire, la « création » d’un quinzième poste de vice-président. En effet, ainsi qu’il a été constaté au point 33 ci-dessus, une telle ingérence majeure dans les prérogatives du Parlement n’est concevable qu’en présence de la nécessité impérieuse d’assurer ainsi le droit à un recours effectif.

39      Eu égard à ce qui précède, le deuxième chef de conclusions du requérant, y compris suivant le sens le Parlement lui semble donner, doit être rejeté comme irrecevable.

40      Il résulte de tout ce qui précède que les deux chefs de conclusions du requérant sont irrecevables, de sorte que la demande en référé doit être rejetée comme irrecevable, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les conditions relatives à l’urgence ou au fumus boni juris ou de procéder à la mise en balance des intérêts.

41      En vertu de l’article 158, paragraphe 5, du règlement de procédure, il convient de réserver les dépens.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 4 mai 2018.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

M. Jaeger


*      Langue de procédure : le français.