Language of document : ECLI:EU:C:2023:628

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

7 septembre 2023 (*)

« Renvoi préjudiciel – Décision 2006/928/CE – Mécanisme de coopération et de vérification des progrès réalisés par la Roumanie en vue d’atteindre certains objectifs de référence spécifiques en matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption – Article 2 TUE – Article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE – État de droit – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 47 – Indépendance des juges – Réglementation nationale modifiant le régime de promotion des juges »

Dans l’affaire C‑216/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Curtea de Apel Ploieşti (cour d’appel de Ploieşti, Roumanie), par décision du 16 février 2021, parvenue à la Cour le 6 avril 2021, dans la procédure

Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România »,

YN

contre

Consiliul Superior al Magistraturii,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Arabadjiev, président de chambre, MM. P. G. Xuereb, T. von Danwitz (rapporteur), A. Kumin et Mme I. Ziemele, juges,

avocat général : M. N. Emiliou,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour l’Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România », par M. D. Călin et Mme L. Zaharia, en qualité d’agents,

–        pour le Consiliul Superior al Magistraturii, par M. M. B. Mateescu, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par Mme K. Herrmann, MM. I. Rogalski et P. J. O. Van Nuffel, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 février 2023,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2 et de l’article 19, paragraphe 1, deuxième alinéa, TUE, de l’article 267 TFUE, de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et de la décision 2006/928/CE de la Commission, du 13 décembre 2006, établissant un mécanisme de coopération et de vérification des progrès réalisés par la Roumanie en vue d’atteindre certains objectifs de référence spécifiques en matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption (JO 2006, L 354, p. 56).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant l’Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » (association « Forum des juges de Roumanie ») et YN au Consiliul Superior al Magistraturii (Conseil supérieur de la magistrature, Roumanie) (ci-après le « CSM ») au sujet de la légalité de la décision no 1348, du 17 septembre 2019, de la section des juges du CSM, approuvant le règlement relatif à l’organisation et au déroulement du concours de promotion des juges (ci-après la « décision no 1348 »).

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 Le traité d’adhésion

3        L’article 2 du traité entre les États membres de l’Union européenne et la République de Bulgarie et la Roumanie, relatif à l’adhésion de la République de Bulgarie et de la Roumanie à l’Union européenne (JO 2005, L 157, p. 11, ci-après le « traité d’adhésion »), qui a été signé le 25 avril 2005 et est entré en vigueur le 1er janvier 2007, dispose, à ses paragraphes 2 et 3 :

« 2.      Les conditions de l’admission et les adaptations des traités sur lesquels l’Union européenne est fondée, que [l’adhésion] entraîne et qui s’appliqueront à compter de la date d’adhésion jusqu’à la date d’entrée en vigueur du traité établissant une Constitution pour l’Europe, figurent dans l’acte annexé au présent traité. Les dispositions de cet acte font partie intégrante du présent traité.

3.      [...]

Les actes adoptés avant l’entrée en vigueur du protocole visé à l’article 1er, paragraphe 3, sur la base du présent traité ou de l’acte visé au paragraphe 2 restent en vigueur et leurs effets juridiques sont maintenus jusqu’à la modification ou l’abrogation de ces actes. »

4        L’article 3 de ce traité est libellé comme suit :

« Les dispositions concernant les droits et obligations des États membres ainsi que les pouvoirs et compétences des institutions de l’Union telles qu’elles figurent dans les traités auxquels la République de Bulgarie et la Roumanie deviennent parties s’appliquent à l’égard du présent traité. »

5        L’article 4, paragraphes 2 et 3, dudit traité prévoit :

« 2.      Le présent traité entre en vigueur le 1er janvier 2007 à condition que tous les instruments de ratification aient été déposés avant cette date.

[...]

3.      Par dérogation au paragraphe 2, les institutions de l’Union peuvent adopter avant l’adhésion les mesures visées [...] aux articles 37 et 38 [...] du protocole visé à l’article 1er, paragraphe 3. Ces mesures sont adoptées au titre des dispositions équivalentes [...] des articles 37 et 38 [...] de l’acte visé à l’article 2, paragraphe 2, avant l’entrée en vigueur du traité établissant une Constitution pour l’Europe.

Ces mesures n’entrent en vigueur que sous réserve et à la date de l’entrée en vigueur du présent traité. »

 L’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République de Bulgarie et de la Roumanie et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne

6        L’article 37 de l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République de Bulgarie et de la Roumanie et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne (JO 2005, L 157, p. 203) dispose :

« Si [...] la Roumanie n’a pas donné suite aux engagements qu’elle a pris dans le cadre des négociations d’adhésion, y compris les engagements à l’égard de toutes les politiques sectorielles qui concernent les activités économiques ayant une dimension transfrontalière, et provoque ainsi, ou risque de provoquer à très brève échéance, un dysfonctionnement grave du marché intérieur, la Commission peut, pendant une période pouvant aller jusqu’à trois ans à compter de la date d’adhésion, à la demande motivée d’un État membre, ou de sa propre initiative, adopter des mesures appropriées.

Ces mesures sont proportionnées et le choix est donné en priorité à celles qui perturbent le moins le fonctionnement du marché intérieur et, le cas échéant, à l’application des mécanismes de sauvegarde sectoriels en vigueur. Ces mesures de sauvegarde ne peuvent pas être utilisées comme moyen de discrimination arbitraire ou de restriction déguisée des échanges commerciaux entre les États membres. La clause de sauvegarde peut être invoquée même avant l’adhésion sur la base de constatations établies dans le cadre du suivi et les mesures adoptées entrent en vigueur dès la date d’adhésion, à moins qu’une date ultérieure ne soit prévue. Les mesures sont maintenues pendant la durée strictement nécessaire et, en tout état de cause, sont levées lorsque l’engagement correspondant est rempli. Elles peuvent cependant être appliquées au-delà de la période visée au premier alinéa tant que les engagements correspondants n’ont pas été remplis. La Commission peut adapter les mesures arrêtées en fonction de la mesure dans laquelle le nouvel État membre concerné remplit ses engagements. La Commission informe le Conseil en temps utile avant d’abroger les mesures de sauvegarde et elle prend dûment en compte les observations éventuelles du Conseil à cet égard. »

7        L’article 38 de cet acte prévoit :

« Si de graves manquements ou un risque imminent de graves manquements sont constatés [...] en Roumanie en ce qui concerne la transposition, l’état d’avancement de la mise en œuvre ou l’application des décisions-cadres ou de tout autre engagement, instrument de coopération et décision afférents à la reconnaissance mutuelle en matière pénale adoptés sur la base du titre VI du traité UE, et des directives et règlements relatifs à la reconnaissance mutuelle en matière civile adoptés sur la base du titre IV du traité CE, la Commission peut, pendant une période pouvant aller jusqu’à trois ans à compter de la date d’adhésion et à la demande motivée d’un État membre ou de sa propre initiative et après avoir consulté les États membres, prendre des mesures appropriées en précisant les conditions et les modalités de leur application.

Ces mesures peuvent prendre la forme d’une suspension temporaire de l’application des dispositions et décisions concernées dans les relations entre [...] la Roumanie et un ou plusieurs autres États membres, sans que soit remise en cause la poursuite de l’étroite coopération judiciaire. La clause de sauvegarde peut être invoquée même avant l’adhésion sur la base de constatations faites dans le cadre du suivi et les mesures adoptées entrent en vigueur dès la date d’adhésion, à moins qu’une date ultérieure ne soit prévue. Les mesures sont maintenues pendant la durée strictement nécessaire et, en tout état de cause, sont levées dès que le manquement constaté est corrigé. Elles peuvent cependant être appliquées au-delà de la période visée au premier alinéa tant que ces manquements persistent. La Commission peut, après avoir consulté les États membres, adapter les mesures arrêtées en fonction de la mesure dans laquelle le nouvel État membre corrige les manquements constatés. La Commission informe le Conseil en temps utile avant d’abroger les mesures de sauvegarde et elle prend dûment en compte les observations éventuelles du Conseil à cet égard. »

 La décision 2006/928

8        Aux termes de l’article 1er de la décision 2006/928 :

« Chaque année, le 31 mars au plus tard, et pour la première fois le 31 mars 2007, la Roumanie fait rapport à la Commission sur les progrès qu’elle a réalisés en vue d’atteindre chacun des objectifs de référence exposés dans l’annexe.

La Commission peut, à tout moment, apporter une aide technique par différents moyens ou collecter et échanger des informations sur les objectifs de référence. En outre, elle peut, à tout moment, organiser des missions d’experts en Roumanie à cet effet. Les autorités roumaines lui apportent le soutien nécessaire dans ce contexte. »

9        L’article 2 de cette décision dispose :

« La Commission transmettra, pour la première fois en juin 2007, au Parlement européen et au Conseil ses propres commentaires et conclusions sur le rapport présenté par la Roumanie.

La Commission leur fera de nouveau rapport par la suite, en fonction de l’évolution de la situation et au moins tous les six mois. »

10      L’annexe de ladite décision prévoit :

« Objectifs de référence que la Roumanie doit atteindre, visés à l’article 1er :

1)       Garantir un processus judiciaire à la fois plus transparent et plus efficace, notamment en renforçant les capacités et la responsabilisation du Conseil supérieur de la magistrature. Rendre compte de l’incidence des nouveaux codes de procédure civile et administrative et l’évaluer.

[...] »

 Le droit roumain

 La loi no 303/2004

11      L’article 43 de la Legea nr. 303/2004 privind statutul judecătorilor și procurorilor (loi no 303/2004 sur le statut des juges et des procureurs), du 28 juin 2004 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 826 du 13 septembre 2005), dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur, le 18 octobre 2018, de la Legea nr. 242/2018 (loi no 242/2018), du 12 octobre 2018 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 868 du 15 octobre 2018), disposait, à ses paragraphes 1 et 2 :

« (1)      La promotion des juges et des procureurs est faite uniquement par concours organisé au niveau national, dans la limite des postes vacants existant dans les tribunaux de grande instance et les cours d’appel ou, le cas échéant, les parquets.

(2)      Le concours visant à promouvoir les juges et les procureurs est organisé, annuellement ou au besoin, par le Conseil supérieur de la magistrature par l’intermédiaire de l’Institutul Naţional al Magistraturii [(Institut national de la magistrature)]. »

12      L’article 46 de cette loi prévoyait :

« (1) Le concours de promotion est constitué d’épreuves écrites à caractère théorique et pratique.

(2)      Les épreuves portent :

a)       en fonction de la spécialité, sur l’une des matières suivantes : droit civil, droit pénal, droit commercial, droit administratif, droit financier et fiscal, droit du travail, droit de la famille, droit international privé ;

b)       sur la jurisprudence de l’Înalta Curte de Casație și Justiție [(Haute Cour de cassation et de justice, Roumanie)] et de la jurisprudence de la Curtea Constituțională [(Cour constitutionnelle, Roumanie)] ;

c)       sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne ;

d)       sur la procédure civile ou la procédure pénale, selon la spécialisation du juge ou du procureur.

(3)      La procédure de déroulement du concours, y compris le mode de contestation des résultats, est prévue par le règlement relatif à l’organisation et au déroulement du concours de promotion des juges et des procureurs.

[...] »

13      La loi no 242/2018 a modifié, notamment, les articles 43 à 46 de la loi no 303/2004 et a inséré dans celle-ci les articles 461 à 463.

14      L’article 43 de la loi no 303/2004, telle que modifiée par la loi no 242/2018 (ci-après la « loi no 303/2004 modifiée »), dispose :

« Le concours visant à promouvoir les juges et les procureurs est organisé, annuellement ou au besoin, par les sections correspondantes du Conseil supérieur de la magistrature par l’intermédiaire de l’Institut national de la magistrature. »

15      L’article 44 de cette loi prévoit, à son paragraphe 1 :

« Peuvent participer au concours de promotion sur place, au grade professionnel immédiatement supérieur, les juges et procureurs qui ont obtenu le qualificatif “très bien” lors de leur dernière évaluation, n’ont pas été sanctionnés disciplinairement au cours des trois dernières années et remplissent les conditions minimales en matière d’ancienneté [...] »

16      L’article 46 de ladite loi énonce, à ses paragraphes 1 et 2 :

« (1)      Le concours de promotion sur place consiste en une épreuve écrite.

(2)      La procédure de déroulement du concours, y compris le mode de contestation des résultats ainsi que les sujets sur lesquels porte l’épreuve écrite visée au paragraphe 1, en fonction de la spécialisation du juge ou du procureur, est prévue par le règlement relatif à l’organisation et au déroulement du concours de promotion des juges et des procureurs. 

… »

17      L’article 461 de la loi no 303/2004 modifiée prévoit, à son paragraphe 1 :

« La promotion effective des juges et des procureurs se fait uniquement par concours organisé au niveau national, dans la limite des postes vacants existant dans les tribunaux de grande instance et les cours d’appel ou, le cas échéant, dans les parquets. »

18      L’article 462 de cette loi dispose, à son paragraphe 1 :

« Peuvent participer au concours de promotion effective vers les juridictions et les parquets immédiatement supérieurs, les juges et les procureurs qui ont obtenu le qualificatif “très bien” lors de leur dernière évaluation, n’ont pas été sanctionnés disciplinairement au cours des trois dernières années, ont acquis le grade professionnel correspondant à la juridiction ou au parquet vers lequel ils demandent la promotion et ont exercé effectivement leurs fonctions pendant au moins deux ans devant la juridiction ou le parquet hiérarchiquement inférieur, en cas de promotion dans les fonctions de juge d’une cour d’appel, de procureur du parquet de celle-ci ou de procureur du parquet près l’Înalta Curte de Casație si Justiție [(Haute Cour de cassation et de justice)]. »

19      L’article 463 de ladite loi énonce, à ses paragraphes 1 et 2 :

« (1)      Le concours de promotion effective consiste à soutenir une épreuve visant à évaluer le travail et la conduite des candidats au cours des trois dernières années.

(2)      La procédure d’organisation et de déroulement du concours, y compris les jurys de concours et leur composition, les points contrôlés dans le cadre de l’épreuve visée au paragraphe 1 et le mode de détermination et de contestation des résultats sont déterminés par le règlement visé à l’article 46, paragraphe 2.

… »

20      Aux termes de l’article 106, sous f), de la même loi :

« Le Conseil supérieur de la magistrature approuve, par une décision publiée au Monitorul Oficial al României, partie I :

[...]

f)       le règlement relatif à l’organisation et au déroulement du concours de promotion des juges et procureurs ;

[...] »

 Le règlement relatif à l’organisation et au déroulement du concours de promotion des juges

21      Le 17 septembre 2019, la section des juges du CSM a adopté, sur le fondement de l’article 463, paragraphe 2, et de l’article 106, sous f), de la loi no 303/2004 modifiée, la décision no 1348 approuvant le règlement relatif à l’organisation et au déroulement du concours de promotion des juges (ci-après le « règlement relatif au concours de promotion des juges »).

22      Le règlement relatif au concours de promotion des juges prévoit deux étapes de promotion : d’une part, la promotion dite « sur place », à savoir à un grade professionnel immédiatement supérieur, qui est régie par le chapitre II de ce règlement ; d’autre part, la promotion dite « effective », régie par le chapitre III dudit règlement, et qui permet aux lauréats ayant déjà été promus « sur place » et qui possèdent, à ce titre, le grade professionnel requis, de se voir effectivement attribuer une position au sein d’une juridiction supérieure.

23      Peuvent participer au concours de promotion effective les juges qui ont obtenu l’appréciation « foarte bine » (« très bien ») lors de leur dernière évaluation, qui n’ont pas été sanctionnés disciplinairement au cours des trois dernières années, qui ont acquis, à l’issue de la procédure de promotion « sur place », le grade professionnel nécessaire pour la juridiction vers laquelle ils sollicitent une promotion, et qui ont exercé effectivement leurs fonctions pendant au moins deux ans dans la juridiction hiérarchiquement inférieure, en cas de promotion dans les fonctions de juge d’une cour d’appel.

24      Si la procédure de promotion « sur place » comporte un concours qui est fondé sur une épreuve écrite à caractère théorique et pratique, la procédure de promotion « effective » est, quant à elle, fondée sur une épreuve d’évaluation du travail et de la conduite des candidats au cours de leurs trois dernières années d’activité.

25      Cette évaluation est réalisée par une commission composée du président de la cour d’appel concernée et de quatre membres de cette juridiction ayant la spécialisation correspondant aux sections au sein desquelles des postes vacants font l’objet d’un concours, ces membres étant désignés sur proposition du collège de direction de la cour d’appel concernée.

26      L’évaluation du travail du juge candidat est fondée sur trois critères : i) la capacité d’analyse et de synthèse ainsi que la cohérence dans l’expression ; ii) la clarté et la logique de l’argumentation, l’analyse argumentée des requêtes et des défenses des parties, le respect de la jurisprudence de l’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice) et des cours d’appel, et iii) le respect de délais raisonnables de traitement des affaires et de rédaction des décisions. La note maximale pour l’évaluation du travail est de 60 points, soit un maximum de 20 points pour chacun des trois critères.

27      Le respect des deux premiers critères est établi à l’aide d’une analyse de décisions judiciaires prononcées par le juge candidat au cours de ses trois dernières années de service. Cette analyse porte sur un échantillon de dix décisions sélectionnées de manière aléatoire, à l’aide d’une application informatique et sur la base de critères uniformes formulés par la commission d’évaluation. Les décisions sélectionnées à cette fin doivent être pertinentes pour l’activité professionnelle du candidat, porter sur des objets différents et avoir été rendues, dans la mesure du possible, au cours de phases procédurales différentes.

28      Outre les décisions ainsi sélectionnées, il est aussi tenu compte de l’avis motivé de la section correspondant à la spécialisation du candidat de la juridiction supérieure à celle dans laquelle il siège. À cette fin, le président de la section consulte les juges de ladite section, dans le respect de la confidentialité des avis exprimés, et consigne le résultat dans un rapport qui est transmis à la commission d’évaluation. Cet avis n’a qu’une valeur consultative.

29      S’agissant du troisième critère, qui se rapporte au respect des délais, l’appréciation repose sur une série de données statistiques et d’autres documents fournis par la juridiction où siège le candidat, relatifs aux points suivants : i) en ce qui concerne le travail du candidat : le nombre d’audiences, le nombre d’affaires auxquelles le juge a participé, le nombre d’affaires résolues, le nombre de décisions rendues, le nombre de décisions non motivées dans les délais, le nombre moyen de jours de dépassement des délais, le délai moyen de règlement des affaires par le candidat, les autres activités menées par le candidat dans l’exercice de ses fonctions ; ii) en ce qui concerne l’activité de la juridiction dont relève la section où a exercé le juge : le nombre moyen d’affaires par juge, le nombre moyen de présences aux audiences, le délai moyen de règlement par type d’affaire, le nombre moyen de décisions rendues par les juges et le nombre moyen de décisions non rendues dans les délais.

30      La conduite du juge candidat est appréciée par la commission sur la base de deux critères : i) le caractère approprié de l’attitude à l’égard des justiciables, avocats, experts et interprètes lors des audiences et des autres activités professionnelles, le caractère approprié du ton employé, la courtoisie, l’absence d’attitude méprisante ou d’arrogance dans le comportement, l’aptitude à traiter les situations survenant dans la salle d’audience ; ii) l’aptitude à collaborer avec les autres membres de la formation de jugement ainsi que la conduite et la communication avec les autres juges et membres du personnel tant de la juridiction où exerce le candidat que des autres juridictions, qu’elles soient hiérarchiquement supérieures ou inférieures. La note maximale pour l’évaluation de la conduite est de 40 points, soit un maximum de 20 points pour chacun des deux critères.

31      L’évaluation de la conduite des candidats, à la lumière des deux critères précités, repose sur les enregistrements d’audiences dont le candidat a présidé la formation de jugement, sur l’avis de la section et/ou, le cas échéant, de la juridiction où le candidat a exercé ses fonctions pendant la période examinée, des données figurant dans son dossier professionnel ainsi que toute autre information vérifiable concernant le candidat.

32      Pour ce faire, la commission d’évaluation demande les informations requises pour apprécier la conduite du candidat aux juridictions dans lesquelles celui-ci a exercé pendant la période considérée, à la direction des ressources humaines du CSM et à l’Inspecția Judiciară (Inspection judiciaire). Ladite commission sélectionne un échantillon d’audiences présidées par le candidat et demande les enregistrements correspondants. En outre, afin d’obtenir l’avis de la section ou, s’il n’existe pas de section, de la juridiction au sein de laquelle le candidat a exercé ses fonctions, le personnel de la section ou de la juridiction est consulté dans le respect de la confidentialité des avis exprimés, et le résultat desdites consultations est consigné dans un rapport signé et daté contenant des éléments vérifiables.

33      Au terme de la procédure, la commission d’évaluation établit un projet de rapport motivé indiquant les notes attribuées pour les cinq critères concernés (à savoir les trois critères d’appréciation du travail et les deux critères d’appréciation de la conduite) ainsi que la note totale obtenue par le candidat, sur une note maximale totale de 100 points. Le projet de rapport est envoyé au candidat, qui passe ensuite un entretien avec la commission d’évaluation sur les points consignés dans ledit projet. Si le candidat a des objections quant au projet de rapport, il doit les présenter à la fois lors de cet entretien et par écrit. Au terme de l’entretien, la commission d’évaluation examine les éventuelles objections soulevées et les autres points résultant de l’entretien, et elle établit le rapport d’évaluation final motivé, indiquant les notes obtenues pour chaque critère d’évaluation et la note totale. Ledit rapport est transmis au candidat et au CSM.

34      Le candidat dispose alors de 48 heures à dater de la publication des résultats pour former, contre la note obtenue lors de l’évaluation, un recours auprès de la section des juges du CSM. Cette dernière examine le recours à la lumière des objections formulées et des documents sur lesquels repose l’évaluation. Si elle estime que le recours doit être accueilli, elle procède à une nouvelle appréciation du candidat sur la base des mêmes critères et du même barème de notation que ceux fixés pour la procédure d’évaluation. Si, au contraire, elle considère que le recours doit être rejeté, aucune nouvelle évaluation du candidat n’est effectuée.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

35      Le 12 novembre 2019, les requérants au principal ont saisi la Curtea de Apel Ploiești (cour d’appel de Ploiești, Roumanie), la juridiction de renvoi, d’un recours en annulation partielle de la décision no 1348 en ce que celle-ci a modifié la procédure de promotion effective des juges vers les tribunaux de grande instance et les cours d’appel, en remplaçant les anciennes épreuves écrites par une évaluation du travail et de la conduite des candidats au cours de leurs trois dernières années d’activité.

36      Selon les requérants au principal, la nouvelle procédure s’éloigne du principe de promotion au mérite, en s’appuyant sur des appréciations discrétionnaires et subjectives. En outre, en confiant un pouvoir prépondérant aux présidents de cours d’appel, cette nouvelle procédure aurait pour effet d’encourager des attitudes de soumission hiérarchique à l’égard des membres de juridictions supérieures appelés à évaluer le travail des juges candidats à une promotion.

37      D’après les requérants au principal, un tel changement dans la procédure de promotion des juges est de nature à porter atteinte à l’indépendance de ces derniers. En particulier, la nouvelle procédure serait contraire au droit de l’Union et aux obligations qui s’imposent à la Roumanie en vertu, notamment, du mécanisme de coopération et de vérification (ci-après le « MCV »), institué par la décision 2006/928, et des rapports établis dans le cadre de ce mécanisme.

38      À cet égard, d’une part, la juridiction de renvoi souhaite savoir si le MCV et lesdits rapports constituent des actes susceptibles d’être soumis à l’interprétation de la Cour.

39      D’autre part, cette juridiction éprouve des doutes quant à la compatibilité d’un système de promotion tel que celui introduit par la réglementation en cause au principal avec le principe d’indépendance des juges.

40      C’est dans ce contexte que la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de soumettre à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Le [MCV], établi par la [décision 2006/928], doit-il être considéré comme un acte pris par une institution de l’Union, au sens de l’article 267 TFUE, pouvant être soumis à l’interprétation de la [Cour] ? Le contenu, le caractère et la durée dans le temps du [MCV], établi par la décision [2006/928], relèvent-ils du champ d’application du [traité d’adhésion] ? Les exigences formulées dans les rapports établis dans le cadre dudit mécanisme ont-elles un caractère obligatoire pour la Roumanie ?

2)       Le principe d’indépendance des juges, consacré à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et à l’article 47 de la [Charte] ainsi que dans la jurisprudence de la [Cour] concernant l’article 2 TUE, peut-il être interprété en ce sens qu’il vise également les procédures de promotion des juges ?

3)       La mise en œuvre d’un système de promotion vers la juridiction de niveau supérieur fondé exclusivement sur une évaluation sommaire du travail et de la conduite, réalisée par une commission composée du président de l’instance chargée du contrôle judiciaire et des juges de celle-ci, laquelle réalise, séparément, outre l’évaluation périodique des juges, l’évaluation des juges en vue de leur promotion et le contrôle judiciaire des décisions qu’ils prononcent, porte-t-elle atteinte à ce principe ?

4)       Est-il porté atteinte au principe d’indépendance des juges, consacré à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et à l’article 47 de la [Charte], ainsi que dans la jurisprudence de la [Cour] concernant l’article 2 TUE, dans une situation dans laquelle l’État roumain ne tient pas compte de la prévisibilité et de la sécurité juridique du droit de l’Union européenne, en ce qu’il accepte le [MCV] et se conforme à ses rapports depuis près de dix ans, mais change soudain la procédure de promotion des juges ayant des fonctions d’exécution, à l’encontre des recommandations du [MCV] ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la compétence de la Cour

41      Le CSM soutient que, par ses questions préjudicielles, la juridiction de renvoi demande à la Cour de se prononcer sur la légalité du nouveau régime de promotion des juges en cause au principal, et non d’interpréter le droit de l’Union. Partant, la Cour serait incompétente pour statuer sur ces questions.

42      De son côté, le gouvernement polonais fait valoir que lesdites questions relèvent du domaine de l’organisation de la justice, domaine dans lequel l’Union ne dispose d’aucune compétence.

43      À cet égard, il convient de relever que la présente demande de décision préjudicielle porte clairement sur l’interprétation du droit de l’Union, qu’il s’agisse de dispositions de droit primaire (article 2 et article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, article 267 TFUE et article 47 de la Charte) ou de dispositions de droit dérivé (décision 2006/928).

44      En outre, l’argumentation du gouvernement polonais quant à l’absence de compétence de l’Union en matière d’organisation de la justice a trait, en réalité, à la portée même et, partant, à l’interprétation des dispositions du droit primaire de l’Union visées par les questions posées, laquelle interprétation relève manifestement de la compétence de la Cour au titre de l’article 267 TFUE.

45      En effet, la Cour a déjà jugé que, si l’organisation de la justice dans les États membres relève de la compétence de ces derniers, ceux-ci n’en sont pas moins tenus, dans l’exercice de cette compétence, de respecter les obligations qui découlent, pour eux, du droit de l’Union (arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 111 ainsi que jurisprudence citée).

46      Eu égard à ce qui précède, la Cour est compétente pour répondre aux questions posées.

 Sur la recevabilité des questions préjudicielles

47      Le CSM conteste la recevabilité des première et deuxième questions au motif que les réponses à celles-ci ressortiraient clairement de la jurisprudence de la Cour.

48      Par ailleurs, le CSM fait valoir que les troisième et quatrième questions sont irrecevables dès lors que l’interprétation du droit de l’Union sollicitée par la juridiction de renvoi ne présente aucun rapport avec la réalité du litige au principal. En effet, la troisième question reposerait sur une description erronée de la procédure de promotion des juges en cause au principal et, s’agissant de la quatrième question, la procédure de promotion effective des juges ne serait aucunement contraire aux recommandations formulées par la Commission dans ses rapports établis au titre du MCV.

49      À cet égard, d’une part, s’agissant de la circonstance que l’interprétation correcte du droit de l’Union s’imposerait, en l’occurrence, avec une telle évidence qu’elle ne laisserait place à aucun doute raisonnable, il suffit de rappeler que, si une telle circonstance, lorsqu’elle est avérée, peut amener la Cour à statuer par voie d’ordonnance au titre de l’article 99 du règlement de procédure, cette même circonstance ne saurait pour autant empêcher la juridiction nationale de poser une question préjudicielle ni avoir pour effet de rendre irrecevable la question ainsi posée (arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 138 ainsi que jurisprudence citée).

50      Par conséquent, les première et deuxième questions sont recevables.

51      D’autre part, selon une jurisprudence constante de la Cour, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa propre responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le rejet par la Cour d’une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 139 ainsi que jurisprudence citée).

52      En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que la juridiction de renvoi est saisie d’un litige relatif à la légalité d’une réglementation nationale portant sur le régime de promotion des juges. Or, ce sont précisément les doutes que ladite juridiction nourrit quant à la compatibilité de ce régime avec l’exigence d’indépendance découlant de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte ainsi qu’avec la décision 2006/928 qui l’ont amenée à interroger la Cour sur l’interprétation de ces dispositions du droit de l’Union. Les troisième et quatrième questions présentent donc un rapport avec la réalité du litige au principal. Quant à l’argumentation présentée par le CSM pour contester la recevabilité de ces questions, elle concerne la réponse sur le fond qui doit être donnée à celles-ci.

53      Il s’ensuit que les troisième et quatrième questions sont également recevables.

 Sur la première question

54      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si la décision 2006/928 constitue un acte pris par une institution de l’Union, susceptible d’être interprété par la Cour au titre de l’article 267 TFUE, si cette décision, en ce qui concerne sa nature juridique, son contenu et ses effets dans le temps, relève du champ d’application du traité d’adhésion et, enfin, si les exigences énoncées dans les rapports établis par la Commission dans le cadre du MCV revêtent un caractère obligatoire pour la Roumanie.

55      Ainsi que l’ont relevé, à juste titre, l’association « Forum des juges de Roumanie », le CSM et la Commission, la réponse à la première question ressort manifestement de la jurisprudence de la Cour, en particulier des points 1 et 2 du dispositif de l’arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a. (C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393).

56      Ainsi, il convient de répondre à la première question que la décision 2006/928 constitue un acte pris par une institution de l’Union, susceptible d’être interprété par la Cour au titre de l’article 267 TFUE. Cette décision relève, en ce qui concerne sa nature juridique, son contenu et ses effets dans le temps, du champ d’application du traité d’adhésion. Les objectifs de référence figurant à l’annexe de ladite décision visent à assurer le respect, par la Roumanie, de la valeur de l’État de droit énoncée à l’article 2 TUE et revêtent un caractère contraignant pour ledit État membre, en ce sens que ce dernier est tenu de prendre les mesures appropriées aux fins de la réalisation de ces objectifs, en tenant dûment compte, au titre du principe de coopération loyale énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE, des rapports établis par la Commission sur la base de la même décision, en particulier des recommandations formulées dans lesdits rapports.

 Sur la deuxième question

57      Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande en substance si l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lu en combinaison avec l’article 2 TUE et l’article 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’une réglementation nationale relative au régime de promotion des juges doit garantir le respect du principe de l’indépendance des juges.

58      Ainsi qu’il a été rappelé au point 45 du présent arrêt, si l’organisation de la justice dans les États membres relève de la compétence de ces derniers, ceux-ci n’en sont pas moins tenus, dans l’exercice de cette compétence, de respecter les obligations qui découlent, pour eux, du droit de l’Union. Par ailleurs, il a été jugé que l’article 19 TUE, qui concrétise la valeur de l’État de droit affirmée à l’article 2 TUE, confie aux juridictions nationales et à la Cour la charge de garantir la pleine application du droit de l’Union dans l’ensemble des États membres ainsi que la protection juridictionnelle que les justiciables tirent de ce droit (arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 217).

59      L’existence même d’un contrôle juridictionnel effectif destiné à assurer le respect du droit de l’Union est inhérente à un État de droit. À ce titre, et ainsi que l’énonce l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, il appartient aux États membres de prévoir un système de voies de recours et de procédures assurant aux justiciables le respect de leur droit à une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union. Le principe de protection juridictionnelle effective des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, auquel se réfère l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, constitue un principe général du droit de l’Union qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres, qui a été consacré aux articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et qui est à présent affirmé à l’article 47 de la Charte (arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 219 ainsi que jurisprudence citée).

60      Il s’ensuit que, en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, tout État membre doit assurer que les instances qui sont appelées, en tant que « juridiction » au sens défini par le droit de l’Union, à statuer sur des questions liées à l’application ou à l’interprétation de ce droit et qui relèvent ainsi de son système de voies de recours dans les domaines couverts par le droit de l’Union, satisfont aux exigences d’une protection juridictionnelle effective, étant précisé que cette disposition vise les « domaines couverts par le droit de l’Union », indépendamment de la situation dans laquelle les États membres mettent en œuvre ce droit, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte (arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 220 ainsi que jurisprudence citée).

61      Pour garantir qu’une telle juridiction soit à même d’assurer la protection juridictionnelle effective ainsi requise en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, la préservation de l’indépendance et de l’impartialité de celle-ci est primordiale, comme le confirme l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, qui mentionne l’accès à un tribunal « indépendant » parmi les exigences liées au droit fondamental à un recours effectif (arrêt du 29 mars 2022, Getin Noble Bank, C‑132/20, EU:C:2022:235, point 93 et jurisprudence citée).

62      Ainsi que l’a souligné la Cour à maintes reprises, cette exigence d’indépendance et d’impartialité des juridictions, qui est inhérente à la mission de juger, relève du contenu essentiel du droit à une protection juridictionnelle effective et du droit fondamental à un procès équitable, lequel revêt une importance cardinale en tant que garant de la protection de l’ensemble des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union et de la préservation des valeurs communes aux États membres énoncées à l’article 2 TUE, notamment la valeur de l’État de droit (arrêt du 29 mars 2022, Getin Noble Bank, C‑132/20, EU:C:2022:235, point 94 et jurisprudence citée).

63      Les garanties d’indépendance et d’impartialité requises en vertu du droit de l’Union postulent l’existence de règles, notamment en ce qui concerne la composition de l’instance, la nomination, la durée des fonctions ainsi que les causes d’abstention, de récusation et de révocation de ses membres, qui permettent d’écarter tout doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité de cette instance à l’égard d’éléments extérieurs et à sa neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent (arrêt du 29 mars 2022, Getin Noble Bank, C‑132/20, EU:C:2022:235, point 95 et jurisprudence citée).

64      À cet égard, il importe que les juges se trouvent à l’abri d’interventions ou de pressions extérieures susceptibles de mettre en péril leur indépendance et leur impartialité. Les règles applicables au statut des juges et à l’exercice de leur fonction de juge doivent, en particulier, permettre d’exclure non seulement toute influence directe, sous forme d’instructions, mais également les formes d’influence plus indirecte susceptibles d’orienter les décisions des juges concernés, et d’écarter ainsi une absence d’apparence d’indépendance ou d’impartialité de ceux-ci qui soit propre à porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer aux justiciables dans une société démocratique et un État de droit (arrêt du 29 mars 2022, Getin Noble Bank, C‑132/20, EU:C:2022:235, point 96 et jurisprudence citée).

65      En particulier, l’indépendance des juges doit être garantie et préservée non seulement au stade de leur nomination, mais également, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 46 de ses conclusions, tout au long de leur carrière, y compris dans le cadre des procédures de promotion, puisque les procédures de promotion des juges font partie des règles applicables au statut des juges.

66      Il est dès lors nécessaire que les conditions de fond et les modalités procédurales présidant à l’adoption de décisions de promotion de juges soient telles qu’elles ne puissent pas faire naître, dans l’esprit des justiciables, des doutes légitimes quant à l’imperméabilité des juges concernés à l’égard d’éléments extérieurs et à leur neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent, une fois les intéressés promus (voir, par analogie, arrêt du 29 mars 2022, Getin Noble Bank, C‑132/20, EU:C:2022:235, point 97 et jurisprudence citée).

67      Par conséquent, il convient de répondre à la deuxième question que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lu en combinaison avec l’article 2 TUE et l’article 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’une réglementation nationale relative au régime de promotion des juges doit garantir le respect du principe de l’indépendance des juges.

 Sur la troisième question

68      Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande en substance si l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lu en combinaison avec l’article 2 TUE et l’article 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle le régime de promotion des juges vers une juridiction supérieure est fondé sur une évaluation du travail et de la conduite des intéressés, réalisée par une commission composée du président de cette juridiction supérieure et de membres de celle-ci.

69      à titre liminaire, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, un État membre ne saurait modifier sa législation de manière à entraîner une régression de la protection de la valeur de l’État de droit, valeur qui est concrétisée, notamment, par l’article 19 TUE. Les États membres sont ainsi tenus de veiller à éviter toute régression, au regard de cette valeur, de leur législation en matière d’organisation de la justice, en s’abstenant d’adopter des règles qui viendraient porter atteinte à l’indépendance des juges (arrêts du 20 avril 2021, Repubblika, C‑896/19, EU:C:2021:311, points 63 et 64, ainsi que du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 162 et jurisprudence citée).

70      Ainsi qu’il a été rappelé au point 64 du présent arrêt, les juges doivent se trouver à l’abri d’interventions ou de pressions extérieures susceptibles de mettre en péril leur indépendance et leur impartialité. En particulier, les règles relatives au régime de promotion des juges doivent permettre d’exclure non seulement toute influence directe, sous forme d’instructions, mais également les formes d’influence plus indirecte susceptibles d’orienter les décisions des juges concernés, et d’écarter ainsi une absence d’apparence d’indépendance ou d’impartialité de ceux-ci qui soit propre à porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer aux justiciables dans une société démocratique et un État de droit.

71      Partant, lorsqu’un État membre institue un nouveau régime de promotion des juges, il convient de veiller à ce que les conditions de fond et les modalités procédurales présidant à l’adoption, dans le cadre de ce régime, des décisions de promotion soient telles qu’elles ne puissent pas faire naître, dans l’esprit des justiciables, des doutes légitimes quant à l’imperméabilité des juges concernés à l’égard d’éléments extérieurs et à leur neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent, une fois les intéressés promus.

72      En l’occurrence, c’est à la juridiction de renvoi qu’il appartiendra de se prononcer à ce sujet après avoir procédé aux appréciations requises à cette fin. Il importe, en effet, de rappeler que l’article 267 TFUE habilite la Cour non pas à appliquer les règles du droit de l’Union à une espèce déterminée, mais seulement à se prononcer sur l’interprétation des traités et des actes pris par les institutions de l’Union. Toutefois, conformément à une jurisprudence constante, la Cour peut, dans le cadre de la coopération judiciaire instaurée à cet article 267 TFUE, à partir des éléments du dossier, fournir à la juridiction nationale les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui pourraient lui être utiles dans l’appréciation des effets de telle ou telle disposition de celui-ci (arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 201 ainsi que jurisprudence citée).

73      Avant d’examiner les conditions de fond et les modalités procédurales présidant à l’adoption des décisions de promotion, telles que prévues par la réglementation en cause au principal, il y a lieu de rappeler que, d’après les indications de la juridiction de renvoi, la procédure de promotion des juges en cause au principal est structurée en deux phases. La première phase, qualifiée de « promotion sur place », repose sur la réussite d’épreuves écrites, destinées à vérifier tant les connaissances théoriques des candidats que leurs compétences pratiques. La seconde phase, qualifiée de « promotion effective » et qui permet aux candidats promus sur place d’être effectivement affectés auprès d’une juridiction supérieure, repose sur l’évaluation du travail et de la conduite de ceux-ci au cours des trois dernières années de service.

74      Dans le cadre de cette seconde phase, l’évaluation est effectuée par une commission d’évaluation dont les membres sont désignés par la section des juges du CSM. Ladite commission d’évaluation est composée, au niveau de chaque cour d’appel, du président de cette juridiction et de quatre de ses membres, dont la spécialisation doit correspondre à celle des postes vacants. La section des juges du CSM sélectionne ces quatre membres sur proposition du collège de la cour d’appel, dont fait partie le président de cette juridiction.

75      Si l’intervention, dans la procédure de promotion effective des juges, d’un organe tel que ladite commission d’évaluation peut, en principe, être de nature à contribuer à une objectivisation de cette procédure, encore convient-il que cet organe présente lui-même des garanties d’indépendance, de sorte qu’il y a lieu d’examiner plus particulièrement les conditions dans lesquelles ses membres sont désignés et la manière dont il remplit concrètement son rôle (voir, par analogie, arrêt du 20 avril 2021, Repubblika, C‑896/19, EU:C:2021:311, points 66 à 68).

76      En l’occurrence, s’agissant des conditions de désignation des membres de la commission d’évaluation, il convient de souligner que celle-ci est composée exclusivement de juges, désignés sur proposition du collège de la cour d’appel compétente, lequel est lui-même composé de juges.

77      En outre, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 62, 65 et 66 de ses conclusions, le fait que certains juges exercent un contrôle sur l’activité professionnelle de leurs pairs n’indique pas, en tant que tel, qu’il existerait un problème potentiel d’indépendance des juges. Dans la mesure où, en leur qualité de juges, les membres de la commission d’évaluation sont eux-mêmes tenus de présenter des garanties d’indépendance, ils satisfont, en principe, à l’exigence rappelée au point 75 du présent arrêt et paraissent, eu égard à leurs fonctions, aptes à apprécier les mérites professionnels de leurs pairs.

78      Par ailleurs, la juridiction de renvoi relève que la nouvelle procédure est susceptible de conduire à une concentration de pouvoirs entre les mains de certains membres de cette commission d’évaluation et, plus particulièrement, des présidents de cours d’appel, de nature à conférer à ceux-ci une influence décisive sur l’issue de la procédure de promotion effective. Tel pourrait être le cas, notamment, s’il s’avère que ces membres cumulent plusieurs fonctions susceptibles d’affecter la vie professionnelle et la carrière des candidats à la promotion, par exemple en étant chargés à la fois de l’évaluation périodique de leur travail et du contrôle en appel des jugements rendus par ceux-ci.

79      S’il ne peut être exclu que cette situation puisse affecter la manière dont ladite commission d’évaluation remplit concrètement son rôle au sens du point 75 du présent arrêt, une telle concentration de pouvoirs, à la supposer établie, ne saurait, néanmoins, être considérée comme étant, en tant que telle, incompatible avec l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE (voir, par analogie, arrêt du 11 mai 2023, Inspecţia Judiciară, C‑817/21, EU:C:2023:391, point 54).

80      En effet, encore faudrait-il établir que ladite concentration de pouvoirs soit susceptible d’offrir, en pratique, à elle seule ou en combinaison avec d’autres facteurs, aux personnes en bénéficiant la capacité d’influencer l’orientation des décisions des juges concernés et de créer ainsi une absence d’indépendance ou une apparence de partialité de ceux-ci qui soit propre à porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer aux justiciables dans une société démocratique et un État de droit.

81      Or, le dossier dont dispose la Cour ne comporte aucun élément tendant à établir qu’une telle concentration éventuelle de pouvoirs pourrait, à elle seule, conférer en pratique une telle capacité d’influence ni aucun autre élément qui pourrait, en combinaison avec ladite concentration de pouvoirs, produire de tels effets qui seraient de nature à faire naître, dans l’esprit des justiciables, des doutes quant à l’indépendance des juges promus.

82      Il incombe, partant, à la juridiction de renvoi, qui dispose seule de l’ensemble des éléments pertinents, de porter une appréciation à cet égard.

83      S’agissant des conditions de fond présidant à l’adoption des décisions de promotion effective et, en particulier, des critères d’appréciation mis en œuvre par la commission d’évaluation, il convient de relever, d’une part, que l’admission à la procédure de promotion effective présuppose la réussite d’épreuves écrites, théoriques et pratiques, dans le cadre de la procédure de promotion « sur place », dont la pertinence ne paraît pas être remise en cause par les requérants au principal. D’autre part, comme M. l’avocat général l’a relevé au point 72 de ses conclusions, la réglementation en cause au principal énonce clairement des critères qui semblent pertinents aux fins d’apprécier les mérites professionnels des candidats.

84      Ainsi, s’agissant de l’évaluation du travail des candidats, celle-ci est fondée sur des critères relatifs à leur capacité d’analyse et de synthèse, à la clarté et à la logique de leur argumentation, au respect de la jurisprudence des juridictions supérieures, et à leur aptitude à statuer en respectant un délai raisonnable. De son côté, l’évaluation de la conduite des candidats repose sur des critères relatifs, en substance, au comportement des candidats dans l’exercice de leurs fonctions à l’égard tant de leurs collègues que des justiciables, et à leur aptitude à veiller au bon déroulement des audiences.

85      En outre, ces critères semblent faire l’objet d’appréciations objectives sur la base d’éléments vérifiables. S’agissant de l’évaluation du travail des candidats, la commission d’évaluation s’appuie essentiellement sur un échantillon de dix décisions judiciaires prononcées par le candidat, sélectionnées de façon aléatoire et sur la base de critères uniformes. Quant à l’évaluation de la conduite des candidats, celle-ci est appréciée notamment au regard du dossier professionnel du candidat ainsi que d’enregistrements d’audiences, ce qui tend aussi à conférer un caractère vérifiable aux éléments pris en compte dans cette évaluation.

86      Dès lors, il semble que les éléments pris en considération aux fins de ces évaluations soient suffisamment diversifiés et vérifiables, ce qui tend à limiter le risque que la procédure de promotion effective revête un caractère discrétionnaire. La circonstance que la commission d’évaluation peut éventuellement prendre en considération des avis motivés émis par la section dans laquelle le candidat concerné siège au moment où se déroule cette procédure, ainsi que par la section de la juridiction de rang supérieur correspondant à sa spécialisation, ne paraît pas de nature à remettre en cause cette analyse, pour autant que de tels avis motivés soient de nature à éclairer la commission d’évaluation sur les mérites professionnels de ce candidat sous l’angle de son travail ou de sa conduite.

87      Quant aux modalités procédurales présidant à l’adoption des décisions de promotion effective, il convient de relever que, une fois la procédure achevée, la commission d’évaluation établit un rapport motivé indiquant les notes attribuées pour chacun des critères concernés ainsi que la note globale obtenue par le candidat. En outre, si le candidat a des objections à faire valoir à l’égard de ce rapport, il peut les présenter lors d’un entretien avec la commission d’évaluation ainsi que par écrit. Enfin, le candidat dispose d’un délai de 48 heures à compter de la publication des résultats pour former un recours contre la note obtenue devant la section des juges du CSM. Celle-ci examine si une nouvelle évaluation est nécessaire et, le cas échéant, effectue elle-même cette évaluation.

88      Dans ces conditions et eu égard, notamment, à l’obligation de motivation qui incombe à la commission d’évaluation ainsi qu’à la possibilité de former un recours contre ses appréciations, les modalités procédurales présidant à l’adoption des décisions de promotion effective ne semblent pas être de nature à mettre en péril l’indépendance des juges promus à l’issue de cette procédure. C’est, toutefois, en définitive à la juridiction de renvoi, seule compétente pour statuer sur les faits et seule à avoir une connaissance directe desdites modalités procédurales, qu’il incombe de vérifier si tel est effectivement le cas.

89      Par conséquent, il convient de répondre à la troisième question que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lu en combinaison avec l’article 2 TUE et l’article 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle le régime de promotion des juges vers une juridiction supérieure est fondé sur une évaluation du travail et de la conduite des intéressés, réalisée par une commission composée du président de cette juridiction supérieure et de membres de celle-ci, pour autant que les conditions de fond et les modalités procédurales présidant à l’adoption des décisions de promotion effective soient telles qu’elles ne puissent pas faire naître, dans l’esprit des justiciables, des doutes légitimes quant à l’imperméabilité des juges concernés à l’égard d’éléments extérieurs et à leur neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent, une fois les intéressés promus.

 Sur la quatrième question

90      Par cette question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la décision 2006/928 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale modifiant le régime de promotion des juges lorsque, dans les rapports établis au titre de cette décision, la Commission n’a formulé aucune recommandation relative à une telle modification.

91      Il convient de rappeler que, aux termes de l’article 1er de la décision 2006/928, la Roumanie fait rapport chaque année à la Commission sur les progrès qu’elle a réalisés en vue d’atteindre chacun des objectifs de référence exposés dans l’annexe de cette décision, et que le premier de ces objectifs de référence vise notamment à « garantir un processus judiciaire à la fois plus transparent et plus efficace ».

92      Dans ce contexte, il ressort de la jurisprudence rappelée au point 56 du présent arrêt que les objectifs de référence figurant à ladite annexe visent à assurer le respect, par la Roumanie, de la valeur de l’État de droit énoncée à l’article 2 TUE et revêtent un caractère contraignant pour cet État membre, en ce sens que ce dernier est tenu de prendre les mesures appropriées aux fins de la réalisation de ces objectifs, en tenant dûment compte, au titre du principe de coopération loyale énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE, des rapports établis par la Commission sur la base de ladite décision, en particulier des recommandations formulées dans lesdits rapports.

93      Cela étant, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 83 de ses conclusions, ni la décision 2006/928 ni les recommandations énoncées dans les rapports établis au titre de celle-ci n’ont pour but d’imposer à l’État membre concerné un modèle précis d’organisation de son système judiciaire. En effet, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence constante de la Cour, citée au point 45 du présent arrêt, l’organisation de la justice dans les États membres relève de la compétence de ces derniers, sous réserve du respect du droit de l’Union dans l’exercice de celle-ci.

94      En l’occurrence, ainsi qu’il ressort des observations de la Commission et comme l’a relevé M. l’avocat général au point 81 de ses conclusions, la Commission n’a, dans ses rapports établis sur la base de la décision 2006/928, identifié aucun problème précis ni formulé aucune recommandation concernant le régime de promotion des juges en cause au principal.

95      Dans un contexte tel que celui en cause au principal, si l’État membre concerné doit tenir compte, au titre du principe de coopération loyale, des rapports de la Commission au titre de la décision 2006/928 et, en particulier, des recommandations qui y sont formulées, l’absence de recommandation ne saurait en aucun cas être considérée comme un obstacle à l’exercice, par l’État membre concerné, de sa compétence en matière d’organisation de la justice.

96      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la quatrième question que la décision 2006/928 doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une réglementation nationale modifiant le régime de promotion des juges lorsque, dans les rapports établis au titre de cette décision, la Commission n’a formulé aucune recommandation relative à une telle modification.

 Sur les dépens

97      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

1)      La décision 2006/928/CE de la Commission, du 13 décembre 2006, établissant un mécanisme de coopération et de vérification des progrès réalisés par la Roumanie en vue d’atteindre certains objectifs de référence spécifiques en matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption, constitue un acte pris par une institution de l’Union européenne, susceptible d’être interprété par la Cour au titre de l’article 267 TFUE. Cette décision relève, en ce qui concerne sa nature juridique, son contenu et ses effets dans le temps, du champ d’application du traité entre les États membres de l’Union européenne et la République de Bulgarie et la Roumanie, relatif à l’adhésion de la République de Bulgarie et de la Roumanie à l’Union européenne. Les objectifs de référence figurant à l’annexe de ladite décision visent à assurer le respect, par la Roumanie, de la valeur de l’État de droit énoncée à l’article 2 TUE et revêtent un caractère contraignant pour ledit État membre, en ce sens que ce dernier est tenu de prendre les mesures appropriées aux fins de la réalisation de ces objectifs, en tenant dûment compte, au titre du principe de coopération loyale énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE, des rapports établis par la Commission européenne sur la base de la même décision, en particulier des recommandations formulées dans lesdits rapports.

2)      L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lu en combinaison avec l’article 2 TUE et l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être interprété en ce sens qu’une réglementation nationale relative au régime de promotion des juges doit garantir le respect du principe de l’indépendance des juges.

3)      L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lu en combinaison avec l’article 2 TUE et l’article 47 de la charte des droits fondamentaux, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle le régime de promotion des juges vers une juridiction supérieure est fondé sur une évaluation du travail et de la conduite des intéressés, réalisée par une commission composée du président de cette juridiction supérieure et de membres de celle-ci, pour autant que les conditions de fond et les modalités procédurales présidant à l’adoption des décisions de promotion effective soient telles qu’elles ne puissent pas faire naître, dans l’esprit des justiciables, des doutes légitimes quant à l’imperméabilité des juges concernés à l’égard d’éléments extérieurs et à leur neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent, une fois les intéressés promus.

4)      La décision 2006/928 doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une réglementation nationale modifiant le régime de promotion des juges lorsque, dans les rapports établis au titre de cette décision, la Commission européenne n’a formulé aucune recommandation relative à une telle modification.

Signatures


*      Langue de procédure : le roumain.