Language of document : ECLI:EU:T:2024:316

Affaire C74/22 P(I)

Soudal NV
et
Esko-Graphics BVBA

contre

Magnetrol International NV
et
Commission européenne

 Ordonnance de la Cour (grande chambre) du 1er août 2022

« Pourvoi – Intervention – Aides d’État – Régime d’aides mis à exécution par le Royaume de Belgique – Admission d’interventions dans le cadre d’une procédure de pourvoi contre un arrêt du Tribunal – Annulation de la décision du Tribunal – Renvoi de l’affaire devant le Tribunal – Décision du Tribunal refusant de verser au dossier de l’affaire des observations écrites sur l’arrêt procédant à ce renvoi présentées par un intervenant au pourvoi – Décision implicite du Tribunal refusant de reconnaître à un intervenant au pourvoi la qualité d’intervenant devant le Tribunal – Recevabilité du pourvoi – Qualité d’intervenant devant le Tribunal d’un intervenant au pourvoi – Pourvoi introduit hors délai – Erreur excusable »

1.        Pourvoi – Recevabilité – Décisions susceptibles de faire l’objet d’un pourvoi – Partie admise à intervenir dans une affaire au stade du pourvoi contre une décision du Tribunal – Annulation de la décision du Tribunal avec renvoi de l’affaire devant celui-ci – Décision du Tribunal refusant de reconnaître à l’intervenant au pourvoi la qualité d’intervenant à la suite du renvoi de l’affaire – Pourvoi introduit contre cette décision par l’intervenant au pourvoi – Recevabilité

(Statut de la Cour de justice, art. 57, 1er al.)

(voir points 30-54)

2.        Pourvoi – Délais – Pourvoi introduit contre une décision du Tribunal rejetant une demande d’intervention – Pourvoi introduit hors délai – Irrecevabilité – Exception – Erreur excusable – Conditions – Existence d’une réelle incertitude quant aux délais applicables au regard de la formulation des règles et du comportement d’une institution, y compris d’une juridiction de l’Union

(Art. 57, premier alinéa, du statut de la Cour)

(voir points 61-85)

3.        Procédure juridictionnelle – Intervention – Partie admise à intervenir dans une affaire au stade du pourvoi contre une décision du Tribunal – Annulation de la décision du Tribunal avec renvoi de l’affaire devant celui-ci – Partie admise à intervenir au stade du pourvoi jouissant de plein droit de la qualité d’intervenant devant le Tribunal

(Statut de la Cour de justice, art. 40)

(voir points 95-126)

Résumé

Par décision du 11 janvier 2016 (1), la Commission a qualifié d’aide d’État illégale et incompatible avec le marché intérieur le régime d’exonération des bénéfices excédentaires appliqué par la Belgique depuis 2004 aux entités belges de groupes d’entreprises multinationaux. En conséquence, la Commission a ordonné la récupération des aides ainsi octroyées auprès des bénéficiaires, dont la liste définitive devait être ultérieurement établie par le Royaume de Belgique.

Ce dernier et Magnetrol International NV ont saisi le Tribunal d’un recours en annulation de cette décision, enregistrés respectivement sous les numéros T‑131/16 et T‑263/16. D’autres recours en annulation ont été introduits contre cette même décision par Atlas Copco Airpower NV et Atlas Copco AB (2), par Anheuser-Busch InBev SA/NV et Ampar BVBA (3), ainsi que par Soudal NV (4) et Esko-Graphics BVBA (5) (ci-après, prises ensemble, les « requérantes »). Les affaires T‑131/16 et T‑263/16 ayant été choisies comme affaires « pilotes » par le Tribunal, les procédures dans les autres affaires précitées ont été suspendues jusqu’à la résolution du litige dans ces deux premières affaires.

Après jonction des affaires T‑131/16 et T‑263/16, le Tribunal a accueilli les recours du Royaume de Belgique et de Magnetrol International NV et a annulé la décision de la Commission (6).

Saisi d’un pourvoi introduit par la Commission, le président de la Cour a admis l’intervention des requérantes au soutien des conclusions de Magnetrol International NV dans le cadre de la procédure sur pourvoi.

Par arrêt du 16 septembre 2021 (7), la Cour a annulé l’arrêt du Tribunal et renvoyé les deux affaires devant celui-ci, tout en réservant les dépens.

À la suite de ce renvoi devant le Tribunal, les requérantes ont déposé auprès de ce dernier des observations sur les conclusions à tirer de l’arrêt de la Cour pour la solution du litige dans l’affaire T‑263/16 RENV.

Par lettres datées du 6 décembre 2021, le greffier du Tribunal a informé les requérantes que, dès lors que leurs observations ne constituaient pas un document prévu par le règlement de procédure du Tribunal, le président de la chambre saisie du Tribunal avait décidé de ne pas les verser au dossier de l’affaire T‑263/16 RENV (ci-après la « décision attaquée »).

Par trois ordonnances, la Cour, réunie en grande chambre, accueille les pourvois introduits par les requérantes contre cette décision. Elle juge que des parties dont l’affaire est suspendue par le Tribunal dans l’attente de la résolution définitive d’une affaire pilote et qui ont été admises à intervenir dans cette affaire pilote au stade du pourvoi conservent cette qualité d’intervenant en cas d’annulation, par la Cour, de l’arrêt du Tribunal dans l’affaire pilote et de renvoi de cette affaire devant ce dernier.

Appréciation de la Cour

La Cour écarte, tout d’abord, la fin de non-recevoir tirée de la nature de la décision attaquée, aux termes de laquelle la Commission faisait valoir que le refus du Tribunal de verser les observations des requérantes au dossier de l’affaire T‑263/16 RENV ne pouvait pas faire l’objet d’un pourvoi.

À cet égard, la Cour relève que, malgré leur caractère sommaire, les lettres du greffier du Tribunal datées du 6 décembre 2021 doivent être comprises comme traduisant la décision du Tribunal de refuser de reconnaître aux requérantes la qualité d’intervenant dans l’affaire T‑263/16 RENV.

S’agissant du droit des requérantes d’introduire un pourvoi contre une telle décision au titre de l’article 57, premier alinéa, du statut de la Cour, qui habilite les personnes dont la demande d’intervention a été rejetée par le Tribunal à former un pourvoi, la Cour observe que le Tribunal n’a, en l’occurrence, certes pas rejeté des demandes d’intervention, les requérantes n’ayant pas présenté de telles demandes devant lui. Toutefois, la portée des décisions communiquées par le greffier du Tribunal aux requérantes est similaire à celle qu’aurait eue une décision du Tribunal de rejeter une demande d’intervention qui aurait été présentée par chacune de ces requérantes.

En outre, lorsque la Cour annule une décision du Tribunal sur pourvoi et renvoie l’affaire devant ce dernier au motif que le litige n’est pas en état d’être jugé, il ne saurait être raisonnablement attendu d’une partie intervenante à ce pourvoi qu’elle introduise formellement une demande d’intervention devant le Tribunal à la seule fin de pouvoir introduire un pourvoi contre la décision rejetant cette demande. En effet, une telle demande ne pourrait, en tout état de cause, qu’être rejetée par le Tribunal comme étant tardive en application des dispositions du règlement de procédure de celui-ci.

Dans ce contexte, si une partie intervenante au pourvoi n’était pas en droit d’introduire, sur la base de l’article 57, premier alinéa, du statut de la Cour, un pourvoi contre une décision du Tribunal lui refusant la qualité d’intervenant à la suite du renvoi de l’affaire devant cette juridiction, cette partie serait privée de toute protection juridictionnelle lui permettant de défendre son droit à intervenir, le cas échéant, devant le Tribunal, alors même que l’article 57, premier alinéa, dudit statut a précisément pour objet de garantir une telle protection. En effet, dans l’hypothèse où l’intervenant au pourvoi se prévaudrait à juste titre de sa qualité d’intervenant devant le Tribunal, aucune autre voie de recours ne lui serait ouverte pour faire valoir ses droits procéduraux.

La Cour rejette, ensuite, la fin de non-recevoir tirée par la Commission de la tardivité du pourvoi introduit par Soudal NV et Esko-Graphics BVBA.

À cette fin, la Cour relève que, bien que ce pourvoi ait été introduit en dehors du délai de deux semaines à compter de la notification de la décision attaquée prévu par l’article 57, premier alinéa, du statut de la Cour, augmenté du délai de distance forfaitaire de dix jours, il peut toutefois être dérogé à ce délai en cas d’erreur excusable de la partie concernée. Conformément à une jurisprudence constante, ce caractère excusable peut notamment être reconnu dans une situation exceptionnelle où la partie concernée était confrontée, du fait du comportement d’une institution, y compris d’une juridiction de l’Union, et au regard de la formulation des règles applicables, à une réelle incertitude quant aux délais dans lesquels un recours devait être introduit.

En l’espèce, le refus du Tribunal de reconnaître à Soudal NV et Esko-Graphics BVBA, parties intervenantes au pourvoi, la qualité d’intervenant dans la procédure après renvoi constitue une rupture avec une pratique suivie de longue date par cette juridiction et entérinée formellement dans sa jurisprudence. De plus, la lettre du greffier du Tribunal présentait un caractère sommaire, dès lors qu’elle ne précisait pas explicitement que le Tribunal déniait aux requérantes la qualité d’intervenant et qu’elle ne comportait aucune référence précise au fondement de la décision arrêtée. Enfin, à la date de l’introduction du pourvoi par Soudal NV et Esko-Graphics BVBA, le fondement sur lequel ce pourvoi devait être introduit – article 56 ou article 57 du statut de la Cour – ne ressortait de manière claire ni de la jurisprudence de la Cour ni dudit statut, alors que le délai d’introduction du pourvoi est différent dans les deux cas : un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour doit être formé dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision du Tribunal, alors qu’il doit l’être dans un délai de deux semaines en application de l’article 57 dudit statut.

Au regard de ces éléments, la Cour juge excusable l’erreur commise par Soudal NV et Esko-Graphics BVBA quant au délai d’introduction de leur pourvoi.

Après avoir rejeté les différentes fins de non-recevoir soulevées par la Commission, la Cour examine le bien-fondé des pourvois introduits par les requérantes.

À cet égard, la Cour commence par relever que le règlement de procédure du Tribunal ne précise pas la qualité devant être reconnue, dans le cadre d’une procédure après renvoi, aux intervenants au pourvoi. Cela étant, l’examen par le Tribunal d’une affaire après renvoi se situe clairement dans la continuité de la procédure de pourvoi menée devant la Cour, ce qui est explicitement reflété dans le règlement de procédure du Tribunal.

Ainsi, l’article 217 de ce dernier permet aux parties à la procédure après renvoi de déposer leurs observations écrites sur les conclusions à tirer de la décision de la Cour pour la solution du litige lorsque la décision annulée est intervenue après la clôture de la procédure écrite sur le fond par le Tribunal et ce, en vue d’assurer la continuité du débat contentieux devant les jurdictions de l’Union. Or, le fait de refuser à un intervenant au pourvoi, qui a pu justifier d’un intérêt à la solution du litige soumis à la Cour, la qualité d’intervenant dans la procédure après renvoi, aurait pour conséquence de priver cette partie de toute possibilité de présenter des observations devant le Tribunal sur les conséquences qu’il convient de tirer d’une décision de la Cour qui a pourtant touché à ses intérêts.

De plus, la solution retenue par le Tribunal dans la décision attaquée conduit à faire dépendre la continuité du débat contentieux dans une affaire de la décision de la Cour de statuer elle-même définitivement sur le litige ou, au contraire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal. En effet, lorsque la Cour statue définitivement sur le litige, l’intervenant au pourvoi peut faire valoir ses arguments devant la juridiction de l’Union appelée à statuer sur le recours de première instance, alors que, à suivre la solution retenue par le Tribunal, il serait privé d’une telle faculté en cas de renvoi de l’affaire à celui-ci.

Par ailleurs, l’exclusion de l’intervenant au pourvoi de la procédure après renvoi apparaît d’autant plus susceptible d’affecter la continuité du débat contentieux devant les juridictions de l’Union que cet intervenant devrait pouvoir à nouveau participer, dans le respect des conditions procédurales applicables, à la procédure devant la Cour en cas de pourvoi contre la décision du Tribunal prise à la suite du renvoi de l’affaire devant lui.

Une telle exclusion pose également problème en ce qui concerne le règlement des dépens, dans la mesure où la Cour ne statue elle-même sur les dépens que lorsque le pourvoi n’est pas fondé ou lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour statue elle-même définitivement sur le litige. En revanche, lorsque la Cour renvoie l’affaire devant le Tribunal, il incombe à ce dernier de statuer sur la répartition des dépens afférents à la procédure de pourvoi, y compris ceux exposés ou ceux à rembourser par les intervenants au pourvoi. Dès lors, dénier à ces derniers la qualité de partie devant le Tribunal impliquerait que les dépens ne soient pas réglés ou que le Tribunal statue sur des conclusions en cette matière se rapportant à une personne qui n’est pas partie à la procédure devant lui.

La Cour conclut que le statut de la Cour, le respect des droits procéduraux garantis aux intervenants par le règlement de procédure du Tribunal et le principe de bonne administration de la justice imposent, dans le cadre d’une articulation cohérente des procédures devant la Cour et le Tribunal, que les parties admises à intervenir dans une affaire au stade du pourvoi jouissent de plein droit de la qualité d’intervenant devant le Tribunal, lorsque l’affaire est renvoyée à cette juridiction à la suite de l’annulation de la décision sous pourvoi.

Par conséquent, le Tribunal a commis une erreur de droit, qui conduit la Cour à annuler la décision de celui-ci de refuser de verser au dossier de l’affaire T‑263/16 RENV les observations écrites déposées par les requérantes et, ce faisant, de refuser de reconnaître à ces requérantes la qualité d’intervenant dans cette affaire.


1      Décision (UE) 2016/1699, du 11 janvier 2016, relative au régime d’aides d’État concernant l’exonération des bénéfices excédentaires SA.37667 (2015/C) (ex 2015/NN) mis en œuvre par la Belgique [notifiée sous le numéro C(2015) 9837, JO 2016, L 260, p. 61].


2      Enregistré sous le numéro T‑278/16.


3      Enregistré sous le numéro T‑370/16.


4      Enregistré sous le numéro T‑201/16.


5      Enregistré sous le numéro T‑335/16.


6      Arrêt du 14 février 2019, Belgique et Magnetrol International/Commission (T‑131/16 et T‑263/16, EU:T:2019:91).


7      Arrêt du 16 septembre 2021, Commission/Belgique et Magnetrol International (C‑337/19 P, EU:C:2021:741).