Language of document : ECLI:EU:T:2014:713

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DE LA SEPTIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL

17 juillet 2014(*)

« Intervention – Intérêt à la solution du litige »

Dans les affaires jointes T‑29/14 et T‑31/14,

Taetel, SL, établie à Madrid (Espagne),

Banco Popular Español, SA, établie à Madrid,

représentées par Mes E. Navarro Varona, P. Vidal Martínez, J López-Quiroga Teijero et G. Canalejo Lasarte, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par M. E. Gippini Fournier, Mme P. Němečková, M. V. Di Bucci et Mme M. Afonso, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision C (2013) 4426 de la Commission européenne, du 17 juillet 2013, relative à l’aide d’État SA 21233 (ex NN/2011, ex CP 137/2006) concernant la mise à exécution par le Royaume d’Espagne d’un régime fiscal applicable à certains accords de location-financement.

LE PRÉSIDENT DE LA SEPTIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

1        Le 17 juillet 2013 la Commission a adopté la décision C (2013) 4426 relative à l’aide d’État SA 21233 (ex NN/2011, ex CP 137/2006) mise à exécution par le Royaume d’Espagne (ci-après la « décision attaquée »). Cette décision a trait à un régime fiscal applicable à certains accords de location-financement, également appelé « régime espagnol de leasing fiscal » (ci-après le « RELF »).

2        Selon le premier article de cette décision, les mesures résultant de l’article 115, paragraphe 11, du texte de refonte de la loi sur l’impôt sur les sociétés (ci-après la « LIS ») concernant l’amortissement anticipé d’actifs achetés à bail, de l’application du régime de la taxation au tonnage des entreprises, navires ou activités non éligibles, et de l’article 50 du règlement de l’impôt sur les sociétés (ci-après le « RIS ») constituent une aide d’État à des groupements d’intérêts économiques (ci-après les « GIE ») et à leurs investisseurs, aide mise illégalement à exécution par le Royaume d’Espagne depuis le 1er janvier 2002 en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE.

3        Le deuxième article de la décision attaquée dispose que les mesures d’aide d’État visées à l’article 1 sont incompatibles avec le marché intérieur, hormis dans la mesure où l’aide correspond à une rémunération conforme au marché pour l’intervention d’investisseurs financiers et qu’elle est transférée à des entreprises de transport maritime pouvant bénéficier des dispositions des Orientations communautaires sur les aides d’État au transport maritime (JO 1997 C 205 et JO 2004 C 13), conformément aux conditions établies par celles-ci.

4        S’agissant de la récupération de ces mesures d’aide, l’article 4, paragraphe 1, de la décision attaquée prévoit, entre autres, que le Royaume d’Espagne doit procéder à leur récupération auprès des investisseurs des GIE qui en ont bénéficié, sans que ces bénéficiaires puissent transférer la charge de la récupération à d’autres personnes.

5        Par requêtes déposées au greffe du Tribunal le 7 janvier 2014, les requérantes, Taetel SL et Banco Popular Español SA, ont introduit, sur la base de l’article 263 TFUE, des recours visant à obtenir l’annulation de la décision attaquée, dans la mesure où cette décision a constaté l’existence d’une aide d’État incompatible avec le marché intérieur et a ordonné que l’aide soit récupérée auprès des investisseurs des GIE. À titre subsidiaire, les requérantes concluent, à l’annulation des articles 1, 2 et 4, paragraphe 1, de la décision attaquée en ce qu’ils identifient les investisseurs comme étant les bénéficiaires des prétendues aides et comme étant les destinataires de l’injonction de récupération. À titre plus subsidiaire, les requérantes concluent à l’annulation des effets de l’injonction de récupération de l’aide adressée aux investisseurs à l’article 4, paragraphe 1, pour violation des principes de sécurité juridique et de confiance légitime dans la mesure où la récupération correspond à une période avant la date de publication de la décision initiant la procédure formelle d’examen. À titre encore plus subsidiaire, les requérantes concluent à l’annulation de l’article 2 de la décision attaquée et à ce que le Tribunal constate que la méthode employée par la Commission pour calculer le prétendu avantage que les investisseurs doivent rembourser, proposée aux considérants 167 et 263 de la décision attaquée, n’est pas conforme au droit. Enfin, les requérantes concluent à l’inexistence ou, alternativement, à l’annulation de l’article 4, paragraphe 1, de la décision attaquée concernant l’interdiction de transférer la charge de la récupération à d’autres personnes dans la mesure où il s’agit d’un jugement d’interdiction ou de prétendue nullité des clauses contractuelles de répétition exercée contre les tiers concernant les montants que les investisseurs doivent rembourser à l’État espagnol.

6        Dans chacun des recours les requérantes avancent les cinq moyens suivants.

7        Le premier moyen est tiré d’une violation de l’article 107 TFUE dans la mesure où la Commission a considéré dans la décision attaquée que le RELF pris dans son ensemble constitue une aide d’État. Le deuxième moyen est tiré d’une violation de l’article 107 TFUE en ce que la Commission a qualifié les dispositions constituant le RELF prises individuellement d’aides d’État nouvelles.

8        Les troisième et quatrième moyens sont formulés à titre subsidiaire. Le troisième moyen est tiré d’une violation des principes de sécurité juridique et de confiance légitime. Le quatrième moyen dénonce une violation des articles 107, 108 et 296 TFUE en raison de l’erreur dans l’identification des bénéficiaires et dans la détermination des montants à récupérer.

9        Le cinquième moyen est tiré d’une violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, de l’article 14 du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999 portant modalités d'application de l'article [108, TFUE], de l’article 3, paragraphe 6, TUE et des articles 16 et 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

10      Par ordonnance du 18 mars 2014, le président de la septième chambre a ordonné la jonction des affaires T-29/14 et T-31/14 (ci-après la « présente affaire ») aux fins de la procédure écrite, de la procédure orale et de l'arrêt, conformément à l’article 50, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

 Procédure

11      Par actes déposés au greffe du Tribunal, le 11 avril 2014, le Comité des Associations d’Armateurs de la Communauté européenne (ci-après l’« ECSA »), a demandé à intervenir, conformément à l’article 40 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, dans la procédure des affaires citées au point 10 au soutien des conclusions de la Commission (ci-après, pris ensemble, la « demande d’intervention »). L’ECSA a également demandé à ce que le Tribunal l’autorise, sur la base de l’article 35, paragraphe 2, sous c), du règlement de procédure, à présenter ses observations écrites et orales en anglais.

12      La demande d’intervention a été signifiée aux parties, conformément à l’article 116, paragraphe 1, du règlement de procédure.

13      Dans leurs observations déposées au greffe du Tribunal, le 16 mai 2014, les requérantes demandent au Tribunal de rejeter la demande d’intervention présentée par l’ECSA et de condamner celui-ci à ses propres dépens afférents à la procédure si l’intervention est admise.

14      Dans ses observations sur la demande d’intervention, déposées au greffe du Tribunal, le 23 mai 2014, la Commission a fait savoir qu’elle ne s’oppose pas à l’intervention de l’ECSA, mais qu’elle s’interroge sur la question de savoir si cette demande réunit les conditions nécessaires.

 En droit

15      Dans sa demande d’intervention, l’ECSA explique qu’il est la seule association paneuropéenne regroupant des compagnies maritimes établies dans l’espace économique européen et qu’il a pour but de défendre leurs intérêts au sens le plus large. C’est en raison de cet objectif statuaire que l’ECSA est déjà intervenu dans plusieurs procédures devant le Tribunal ainsi que dans la procédure ayant mené à l’adoption de la décision attaquée. L’ECSA fait valoir qu’il remplit les conditions nécessaires établies par la jurisprudence pour l’intervention d’une association professionnelle et qu’il a un intérêt direct et spécifique à l’issue de la procédure dans la présente affaire pour les raisons suivantes.

16      Premièrement, l’ECSA serait une association représentative d’un nombre important d’opérateurs actifs dans le secteur du transport maritime. L’objectif de cette association inclurait la protection des intérêts de ses membres.

17      Deuxièmement, cette affaire soulèverait des questions de principe qui affectent la sécurité juridique dans le secteur du transport maritime. Il s’agirait de la question de savoir ce qu’il conviendrait d’entendre par un « avantage indirect ». Or, dans le cas d’espèce, les requérantes feraient valoir, dans le cadre de leur quatrième moyen, que les GIE n’étaient pas les seuls bénéficiaires du RELF et qu’une partie des avantages dont les GIE auraient prétendument bénéficié a été transmise aux armateurs. Si la décision attaquée devait être annulée, les membres de l’ECSA pourraient être considérés comme bénéficiaires d’un tel avantage indirect, ce qui leur causerait potentiellement d’énormes risques financiers. L’ECSA souhaite donc soutenir la thèse de la Commission selon laquelle les compagnies maritimes ne sont pas des bénéficiaires d’aide dans le cadre du RELF.

18      Troisièmement, l’intérêt des membres de l’ECSA serait affecté dans une mesure importante par la position future du Tribunal, puisqu’elle influerait sur le choix de ses membres d’acheter des nouveaux navires auprès des chantiers navals européens. Il observe, en outre, qu’un nombre significatif de membres a acquis des navires auprès des chantiers navals espagnols qui ont fait l’objet d’accords au titre du RELF. Au moins 18 compagnies maritimes affiliées à l’ECSA auraient passé des commandes de navires concernés par le RELF et, si l’arrêt futur du Tribunal les considérait comme étant bénéficiaires d’aide d’État, ces compagnies pourraient être amenées à rembourser l’aide prétendument reçue.

19      Les requérantes font valoir que l’ECSA n’a pas fourni d’éléments probants démontrant qu’il est suffisamment représentatif d’un nombre important d’opérateurs actifs dans le secteur du transport maritime et contestent les arguments de l’ECSA concernant l’affectation prétendue du secteur du transport maritime et l’intérêt de ses membres. La Commission estime également qu’il n’est pas clair si l’ECSA regroupe des membres ayant un intérêt direct à la solution du litige.

20      En vertu de l'article 40 du statut de la Cour de justice, qui est applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53 dudit statut, les États membres et les institutions de l’Union peuvent intervenir aux litiges soumis à la Cour et le même droit appartient à toute autre personne justifiant d'un intérêt à la solution d'un litige soumis à la Cour, à l'exclusion des litiges entre États membres, entre institutions de l’Union ou entre États membres, d'une part, et institutions de l’Union, d'autre part. Conformément à la même disposition, les conclusions de la requête en intervention ne peuvent avoir d'autre objet que le soutien des conclusions de l'une des parties.

21      Il résulte d'une jurisprudence constante que la notion d'intérêt à la solution du litige, au sens de ladite disposition, doit se définir au regard de l'objet même du litige et s'entendre comme un intérêt direct et actuel au sort réservé aux conclusions elles-mêmes, et non comme un intérêt par rapport aux moyens soulevés. En effet, par « solution » du litige, il faut entendre la décision finale demandée au juge saisi, telle qu'elle serait consacrée dans le dispositif de l'arrêt. Il convient, notamment, de vérifier que l'intervenant est touché directement par l'acte attaqué et que son intérêt à la solution du litige est certain (ordonnance BASF/Commission, T‑15/02, EU:T:2003:38, point 26, et jurisprudence citée).

22      En l’espèce, il convient de constater que la décision attaquée n’identifie pas les compagnies maritimes comme bénéficiaires. Au contraire, l’article premier de la décision attaquée identifie expressément les GIE et leurs investisseurs comme bénéficiaires et son article 4 s’oppose à ce que ceux-ci transfèrent la charge de la récupération de l’aide à d’autres personnes (voir points 2 et 4 ci-dessus). L’ECSA n’est donc pas directement concerné par la décision attaquée. Cependant, l’ECSA fonde sa demande d’intervention sur le risque que l’article 4 de cette décision soit annulé sur la base du recours introduit par les requérantes et notamment sur la base de leur quatrième moyen (voir points 8 et 17 ci-dessus).

23      Une telle demande ne saurait être accueillie pour les raisons suivantes.

24      D’abord, le risque invoqué par l’ECSA ne dépend pas du jugement que le Tribunal est appelé à rendre dans la présente affaire. En effet, si le Tribunal devait annuler l’article 4 de la décision attaquée, qui identifie les bénéficiaires des mesures d’aide, il appartiendra ensuite à la Commission de prendre, conformément à l’article 266 TFUE, les mesures que comporte l’exécution de cet arrêt. Or ce sera, le cas échéant, le dispositif de cette nouvelle décision qui pourra éventuellement affecter les membres de l’ECSA de manière directe. Partant, l’ECSA ne possède qu’un intérêt indirect et potentiel dans la solution du présent litige. Au surplus, si la Commission décidait, dans l’exercice de l’obligation de ré-adopter une nouvelle décision, d’identifier les compagnies maritimes comme bénéficiaires des mesures d’aide, comme le craint l’ECSA, ce dernier aura toujours la possibilité de faire valoir ses arguments dans le cadre du recours en annulation qu'il serait susceptible d'introduire devant le Tribunal contre une telle décision défavorable (ordonnances BASF/Commission, EU:T:2003:38, point 37, et Hoechst/Commission, T‑410/03, EU:T:2004:369, point 21).

25      Par ailleurs, dans l’hypothèse où le futur arrêt du Tribunal annulerait la décision attaquée et que la Commission doive adopter une nouvelle décision, il n’est pas possible de prévoir à ce stade si la Commission adopterait effectivement une décision défavorable aux compagnies maritimes concernées par le RELF. En effet, si le Tribunal décidait d’accueillir, dans son futur arrêt, les moyens principaux des requérantes, qui visent à l’annulation de l’article premier de la décision attaquée, les possibilités pour la Commission de qualifier le RELF et les mesures qui le composent d’aides d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, seraient fortement limitées. En outre, même si le Tribunal décidait d’accueillir le quatrième moyen subsidiaire visant à l’annulation de l’article 4 de la décision attaquée, qui identifie les bénéficiaires des mesures d’aide, il n’est pas certain non plus d’entrevoir à ce stade, si la Commission adoptera une décision identifiant les compagnies maritimes comme bénéficiaires directs d’une aide et exigera un remboursement de leur part.

26      Ensuite, il ressort de la jurisprudence citée au point 21 ci-dessus que l'intérêt à la solution du litige doit se définir en fonction des conclusions des parties, et non comme un intérêt par rapport aux moyens soulevés. En l’espèce, l’ECSA justifie sa demande d’intervention en se référant, en subtance, au quatrième moyen mis en avant par les requérantes. En outre, il ne s’agit que d’un moyen que les requérantes développent à titre subsidiaire. Leur argumentaire principal se dirige contre le constat de la Commission selon lequel le RELF pris dans son ensemble ainsi que les dispositions qui le composent donneraient lieu à des aides au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Vu sous cet angle, il est permis de s’interroger sur la question de savoir si l’ECSA n’a pas intérêt à soutenir les conclusions principales des requérantes au lieu de sa rallier à la cause de la Commission.

27      Enfin, s’il est vrai que la qualité de l’ECSA en tant qu’organe représentatif des intérêts de compagnies maritimes européennes n’est pas contestée, la Commission observe néanmoins à juste titre que l’ECSA n’a aucunement étayé l’affirmation selon laquelle 18 des compagnies affiliées auprès des associations qu’il regroupe ont commandé des navires financés par les mesures prévues par le RELF. Il n’est donc pas certain que les compagnies maritimes réunies au sein de l’ECSA soient effectivement exposées au risque dont l’ECSA se prévaut pour justifier sa demande d’intervention.

28      Il s’ensuit que le risque sur lequel se fonde l’ECSA pour justifier sa demande d’intervention est non seulement hypothétique et non étayé, mais ne saurait pas non plus découler du jugement que le Tribunal devra rendre dans la présente affaire. Partant, l’ECSA n’a pas démontré un intérêt direct et actuel à la solution du litige dans la présente affaire.

29      Il convient de conclure que la demande d’intervention ne remplit pas les conditions prévues à l’article 40 du statut et qu’elle doit dès lors être rejetée.

30      Il n’est donc pas nécessaire de statuer sur les arguments des requérantes selon lesquels l’ECSA n’aurait pas fourni d’éléments probants démontrant qu’il soit suffisamment représentatif d’un nombre important d’opérateurs actifs dans le secteur du transport maritime.

31      La demande d’intervention ayant été rejetée, il n’y a pas lieu de statuer sur la demande de l’ECSA concernant le régime linguistique de la présente affaire.

 Sur les dépens

32      En vertu de l’article 87, paragraphe l, du règlement de procédure, il est statué sur les dépens dans l’arrêt ou l’ordonnance qui met fin à l’instance. La présente ordonnance mettant fin à l’instance à l’égard de l’ECSA, il convient de statuer sur les dépens afférents à son intervention.

33      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. L’ECSA ayant succombé en sa demande, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens. Les requérantes et la Commission, n'ayant pas formulé de conclusions demandant la condamnation de l’ECSA aux dépens afférents à la procédure en intervention, supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DE LA SEPTIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en intervention est rejetée.

2)      Le Comité des Associations d’Armateurs de la Communauté européenne est condamné à supporter ses propres dépens.

3)      Taetel SL, Banco Popular Español SA et la Commission supporteront leurs propres dépens afférents à la procédure en intervention.

Fait à Luxembourg, le 17 juillet 2014.

Le greffier

 

       Le président

E.  Coulon

 

       M. van der Woude


* Langue de procédure : l'espagnol.