Language of document : ECLI:EU:C:2024:481

ORDONNANCE DE LA COUR (neuvième chambre)

4 juin 2024 (*)

« Pourvoi – Article 181 du règlement de procédure de la Cour – Fonction publique – Fonctionnaires – Statut des fonctionnaires de l’Union européenne – Article 42 quater – Mise en congé dans l’intérêt du service – Retrait de droits et privilèges – Article 90 du statut – Notion de “décision” et de “réclamation” – Délai de recours – Irrecevabilité »

Dans l’affaire C‑659/23 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 8 novembre 2023,

LD, représentée par Me H. Tettenborn, Rechtsanwalt,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant :

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO),

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de Mme O. Spineanu–Matei, présidente de chambre, M. J.–C. Bonichot et Mme L. S. Rossi (rapporteure), juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 181 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son pourvoi, LD demande l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 29 août 2023, LD/EUIPO (T‑633/22, ci-après l’« ordonnance attaquée », EU:T:2023:488), par laquelle celui-ci a rejeté son recours tendant, premièrement, à l’annulation de la décision de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 1er décembre 2021 rejetant ses demandes soumises par lettres du 8 août et du 12 novembre 2021 tendant au maintien de ses droits et privilèges pendant la période de sa mise en congé dans l’intérêt du service et à l’annulation de toute décision implicite de l’EUIPO relative à ces demandes, deuxièmement, à ce qu’il soit ordonné à l’EUIPO de prendre les mesures permettant le maintien de ces droits et privilèges et, troisièmement, à la réparation des préjudices qu’elle aurait prétendument subis.

 Sur le pourvoi

2        En vertu de l’article 181 du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi est, en tout ou en partie, manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de rejeter ce pourvoi, totalement ou partiellement, par voie d’ordonnance motivée.

3        Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

4        M. l’avocat général a, le 20 mars 2024, pris la position suivante :

« 1.      À l’appui de son pourvoi, la requérante invoque un moyen unique par lequel elle soutient, en substance, que le Tribunal a dénaturé tant la lettre du 26 juillet 2021 de l’EUIPO, mentionnée au point 13 de l’ordonnance attaquée, que la lettre du 8 août 2021 de la requérante, mentionnée au point 14 de cette ordonnance, ce qui aurait induit une qualification juridique erronée de ces deux actes aux fins du calcul des délais impartis pour l’introduction des réclamations et des recours.

2.      Ce moyen unique se compose de deux branches.

 Sur la première branche, tirée d’une dénaturation de la lettre du 26 juillet 2021

3.      Au soutien de cette première branche, la requérante reproche au Tribunal, d’une part, d’avoir dénaturé la lettre du 26 juillet 2021, et, d’autre part, d’avoir, de ce fait, violé le droit à un recours juridictionnel effectif que lui confère l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

 Arguments de la requérante

4.      Par le premier grief, la requérante soutient que le Tribunal a, au point 35 de l’ordonnance attaquée, dénaturé la lettre du 26 juillet 2021 en jugeant que l’EUIPO aurait fixé sa position définitive, en ce qui concerne la fin de sa relation d’emploi et la nécessité de restituer ses cartes de légitimation, de manière implicite. Selon elle, par cette lettre, l’EUIPO l’aurait uniquement informée du fait qu’il n’était pas compétent pour adopter une décision concernant le retrait de ces cartes. La requérante reproche, de ce fait, au Tribunal d’avoir erronément qualifié cette lettre de “décision”, au sens de l’article 90, paragraphe 1, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le “statut”).

5.      Par le second grief, la requérante soutient que, compte tenu de la qualification juridique opérée par le Tribunal de ladite lettre, elle serait privée de la possibilité de faire valoir ses demandes dans le cadre d’une procédure qui serait recevable et “correcte sur le fond”, ce qui constituerait une violation de ses droits fondamentaux et, en particulier, du droit à un recours juridictionnel effectif consacré à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux.

 Appréciation

6.      S’agissant du premier grief, tiré de la dénaturation de la lettre du 26 juillet 2021, il ressort de l’article 256, paragraphe 1, TFUE et de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le pourvoi est limité aux questions de droit et que le Tribunal est, dès lors, seul compétent pour constater et apprécier les faits ainsi que les éléments de preuve. Cette appréciation ne constitue pas, sous réserve de dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi (arrêt du 14 décembre 2023, Rivière e.a./Parlement, C‑767/21 P, EU:C:2023:987, point 27 ainsi que jurisprudence citée).

7.      Concernant plus particulièrement la dénaturation des éléments de preuve et des éléments de fait, la Cour rappelle itérativement qu’une telle dénaturation existe lorsque, sans avoir recours à de nouveaux éléments, l’appréciation des éléments existants apparaît manifestement erronée. Cette dénaturation doit ressortir de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves. Lorsqu’un requérant allègue une dénaturation d’éléments de preuve par le Tribunal, il doit indiquer de façon précise les éléments qui auraient été dénaturés par celui–ci et démontrer les erreurs d’analyse qui, dans son appréciation, auraient conduit le Tribunal à cette dénaturation (arrêt du 14 décembre 2023, Rivière e.a./Parlement, C‑767/21 P, EU:C:2023:987, point 28 ainsi que jurisprudence citée).

8.      En l’occurrence, il ressort du point 35 de l’ordonnance attaquée que le Tribunal a apprécié la portée de la lettre du 26 juillet 2021 à l’aune du contexte dans lequel celle-ci a été adoptée, ce qui constitue, selon la jurisprudence, un critère objectif (voir, en ce sens, arrêt du 15 décembre 2022, Picard/Commission, C‑366/21 P, EU:C:2022:984, point 96).

9.      Le Tribunal a ainsi rappelé les termes du courriel du 29 juin 2021 par lequel la requérante a invité l’EUIPO à prendre formellement position, sur le fondement de l’article 90, paragraphe 1, du statut, sur sa situation ainsi que sur ses droits et, plus précisément, sur le retrait de ses cartes de légitimation “pour le cas où l’EUIPO ne donnerait pas une suite favorable à la proposition du comité du personnel concernant [s]a situation”. Il en découle que, par ce courriel, dont les termes ne sont pas contestés par la requérante, l’EUIPO était invité à adopter une décision concernant le retrait de ses cartes de légitimation dans l’hypothèse où il n’entendait pas remettre en cause sa position concernant les conséquences de son placement en congé dans l’intérêt du service. Le Tribunal a également précisé que, par un courriel du 14 juillet 2021, mentionné au point 12 de l’ordonnance attaquée, porté à la connaissance de la requérante le 19 juillet suivant, et dont le contenu n’est pas non plus contesté par celle-ci, l’EUIPO a indiqué que la mise en congé de la requérante dans l’intérêt du service en vertu de l’article 42 quater du statut impliquait la fin de sa relation d’emploi avec l’EUIPO. Force est de constater, ainsi que le relève le Tribunal au point 43 de l’ordonnance attaquée, que l’EUIPO avait déjà exprimé à plusieurs reprises cette position quant à la situation individuelle de la requérante, notamment dans les “notes verbales” des 7 et 25 janvier 2021 mentionnées aux points 6 et 7 de l’ordonnance attaquée.

10.      Comme le relève expressément le Tribunal au point 35 de l’ordonnance attaquée, “[c]’est dans ce contexte que, par sa lettre du 26 juillet 2021, l’EUIPO a répondu à la requérante, en indiquant qu’il n’était pas compétent en ce qui concerne l’émission et le retrait de cartes de légitimation”. Eu égard, d’une part, au courriel du 29 juin 2021 et, notamment, à son objet ainsi qu’à sa formulation et, d’autre part, au courriel du 14 juillet 2021, par lequel l’EUIPO a pris position concernant la situation individuelle de la requérante, le Tribunal a pu décider, et sans la dénaturer, que la lettre du 26 juillet 2021, en tant qu’elle renvoyait la requérante auprès du ministère espagnol des Affaires étrangères, de l’Union européenne et de la Coopération, compétent pour l’émission et le retrait des cartes de légitimation, impliquait nécessairement que l’EUIPO n’entendait pas revenir sur sa position et fixait ainsi définitivement celle-ci à l’égard de la situation individuelle de la requérante.

11.      Au regard de ces éléments, le premier grief doit, dès lors, être rejeté comme étant manifestement non fondé.

12.      S’agissant du second grief, tiré de la violation du droit à un recours juridictionnel effectif, il y a lieu de relever que, selon une jurisprudence constante, il découle de l’article 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ainsi que de l’article 168, paragraphe 1, sous d), et de l’article 169, paragraphe 2, du règlement de procédure qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande, sous peine d’irrecevabilité du pourvoi ou du moyen concerné (voir, en ce sens, arrêts du 11 janvier 2024, Planistat Europe et Charlot/Commission, C‑363/22 P, EU:C:2024:20, point 40 et jurisprudence citée, ainsi que du 18 janvier 2024, Jenkinson/Conseil e.a., C‑46/22 P, EU:C:2024:50, point 60 et jurisprudence citée). En effet, un pourvoi dépourvu de telles caractéristiques n’est pas susceptible de faire l’objet d’une appréciation juridique permettant à la Cour d’exercer la mission qui lui incombe dans le domaine considéré et d’effectuer son contrôle de légalité (arrêt du 11 janvier 2024, Foz/Conseil, C‑524/22 P, EU:C:2024:23, point 27 et jurisprudence citée).

13.      Ne répond pas à ces exigences et doit être déclaré irrecevable un moyen dont l’argumentation n’est pas suffisamment claire et précise pour permettre à la Cour d’exercer son contrôle de légalité, notamment parce que les éléments essentiels sur lesquels le moyen s’appuie ne ressortent pas de façon suffisamment cohérente et compréhensible du texte de ce pourvoi, qui est formulé de manière obscure et ambiguë à cet égard (arrêt du 18 janvier 2024, Jenkinson/Conseil e.a., C‑46/22 P, EU:C:2024:50, point 61 ainsi que jurisprudence citée).

14.      En l’espèce, si le pourvoi identifie avec précision les points critiqués de l’ordonnance attaquée, force est de constater que celui-ci évoque d’une façon sommaire un grief tiré de la violation des “principes juridiques fondamentaux et en particulier du droit de la requérante à un recours juridictionnel effectif”, et ne comporte pas une argumentation juridique qui soit suffisante pour permettre à la Cour d’exercer son contrôle de légalité.

15.      Ce grief doit, par conséquent, être écarté comme étant manifestement irrecevable.

16      Il s’ensuit que la première branche doit être rejetée comme étant, en partie, manifestement irrecevable et, en partie, manifestement non fondée.

 Sur la seconde branche, tirée d’une dénaturation de la lettre du 8 août 2021

 Arguments de la requérante

17.      Au soutien de cette branche, la requérante allègue, sommairement, que le Tribunal a, aux points 37 à 44 de l’ordonnance attaquée, dénaturé les faits et commis une “erreur fondamentale dans l’application du droit et dans l’appréciation des faits”, en ne distinguant pas, aux fins de la qualification juridique de la lettre du 8 août 2021, les éléments relevant d’une réclamation, au sens de l’article 90, paragraphe 2, du statut, et ceux relevant d’une demande, au sens de l’article 90, paragraphe 1, de celui-ci.

18.      La requérante reproche, en substance, au Tribunal d’avoir retenu une “qualification générale” de la lettre du 8 août 2021, alors que certains de ses éléments invitaient pour la première fois l’EUIPO à prendre une décision sur le fondement de l’article 90, paragraphe 1, du statut, et notamment à prendre des mesures à l’égard du ministère espagnol des Affaires étrangères, de l’Union européenne et de la Coopération. Selon elle, en témoigneraient les termes que le Tribunal a employés à la dernière phrase du point 44 de l’ordonnance attaquée et notamment la mention du verbe “demander” dans l’expression “en demandant à l’EUIPO de reconsidérer [sa position] et de la porter à la connaissance des autorités espagnoles”. Elle souligne que cette “qualification générale” de la lettre du 8 août 2021 – et de tous les éléments la composant – est manifestement illégale dans la mesure où tant l’EUIPO – en tant qu’autorité investie du pouvoir de nomination – que le Tribunal seraient tenus d’apprécier en détail les arguments exposés par le fonctionnaire, la requérante agissant de surcroît sans le concours d’un avocat.

 Appréciation

19.      D’emblée, il y a lieu de relever que la requérante ne conteste pas les considérations exposées par le Tribunal aux points 37 à 43 de l’ordonnance attaquée quant aux éléments permettant de qualifier la lettre du 8 août 2021 de “réclamation”, au sens de l’article 90, paragraphe 2, du statut. En réalité, le grief soulevé par la requérante vise à remettre en question l’appréciation que le Tribunal a portée au point 44 de cette ordonnance. À ce point, le Tribunal a considéré que la qualification de cette lettre, en tant que “réclamation”, au sens de l’article 90, paragraphe 2, du statut, “n’[était] pas remise en cause par l’argument de la requérante selon lequel l’EUIPO aurait été invité pour la première fois, par ladite lettre et le complément du 12 novembre 2021, à prendre des mesures vis-à-vis du ministère espagnol des Affaires étrangères, de l’Union européenne et de la Coopération, à savoir notamment ‘transmettre des informations modifiées [à ce ministère] afin qu’elles puissent être rectifiées dans les plus brefs délais’”. Audit point, le Tribunal a ensuite motivé cette appréciation.

20.      Par conséquent, force est de constater que la requérante se limite à réitérer l’argument qu’elle avait présenté devant le Tribunal dans le cadre de son recours en première instance et tente, en réalité, d’obtenir de la Cour une nouvelle appréciation d’une question de fait, en l’occurrence celle de savoir si, par la lettre du 8 août 2021, l’EUIPO était pour la première fois invité à corriger ses mesures erronées et à en informer le ministère espagnol des Affaires étrangères, de l’Union européenne et de la Coopération, sans toutefois alléguer une quelconque dénaturation à cet égard.

21.      Dès lors, cette branche est, conformément à la jurisprudence rappelée précédemment, manifestement irrecevable.

22.      Il y a lieu, par conséquent, de rejeter le moyen unique invoqué par la requérante et, partant, le pourvoi introduit par celle-ci comme étant, en partie, manifestement irrecevables et, en partie, manifestement non fondés et de condamner cette dernière aux dépens exposés dans l’instance, conformément à l’article 137 et à l’article 184, paragraphe 1, du règlement de procédure. »

5        Pour les mêmes motifs que ceux retenus par M. l’avocat général aux points 12 à 15 et 19 à 21 de sa prise de position, il y a lieu d’écarter le second grief de la première branche ainsi que la seconde branche du moyen unique du pourvoi comme étant manifestement irrecevables.

6        S’agissant du premier grief de la première branche, il convient de relever, pour les mêmes motifs que ceux retenus par M. l’avocat général aux points 6 à 10 de sa prise de position, que le Tribunal n’a pas dénaturé la lettre du 26 juillet 2021 lorsqu’il a constaté, au point 35 de l’ordonnance attaquée, qu’elle impliquait nécessairement que l’EUIPO n’entendait pas revenir sur sa position et fixait ainsi définitivement celle-ci à l’égard de la situation individuelle de la requérante. Partant, eu égard à la jurisprudence rappelée au point 34 de cette ordonnance, que la requérante ne conteste pas, il y a lieu de considérer que c’est manifestement sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a, au point 36 de ladite ordonnance, qualifié la lettre du 26 juillet 2021 de « décision », au sens de l’article 90, paragraphe 1, du statut.

7        Dans ces conditions, le premier grief de la première branche du moyen unique doit être écarté comme étant manifestement non fondé.

8        Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter le pourvoi, dans son intégralité, comme étant, en partie, manifestement irrecevable et, en partie, manifestement non fondé.

 Sur les dépens

9        En application de l’article 137 du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, il est statué sur les dépens dans l’ordonnance qui met fin à l’instance. En l’espèce, la présente ordonnance étant adoptée avant que le pourvoi n’ait été signifié à l’EUIPO et, par conséquent, avant que celui-ci n’ait pu exposer des dépens, il convient de décider que LD supportera ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) ordonne :

1)      Le pourvoi est rejeté comme étant, en partie, manifestement irrecevable et, en partie, manifestement non fondé.

2)      LD supporte ses propres dépens.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.