Language of document : ECLI:EU:T:2016:637



DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

27 octobre 2016 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure d’opposition – Demande de marque de l’Union européenne verbale The English Cut – Marques de l’Union européenne figuratives et nationale verbale antérieures El Corte Inglés – Motif relatif de refus – Article 8, paragraphe 5, du règlement (CE) n° 207/2009 – Renommée »

Dans l’affaire T‑515/12 RENV,

El Corte Inglés, SA, établie à Madrid (Espagne), représentée par Me J. L. Rivas Zurdo, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. J. Crespo Carrillo, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO ayant été

The English Cut, SL, établie à Malaga (Espagne),

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la première chambre de recours de l’EUIPO du 6 septembre 2012 (affaire R 1673/2011‑1), relative à une procédure d’opposition entre El Corte Inglés et The English Cut,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de MM. S. Papasavvas, président, E. Bieliūnas (rapporteur) et I. S. Forrester, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 13 septembre 2016,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 9 février 2010, The English Cut, SL, a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1).

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe verbal The English Cut.

3        Les produits pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent de la classe 25 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent à la description suivante : « Vêtements, à l’exception des costumes, pantalons et vestes ; chaussures, chapellerie ».

4        La demande de marque de l’Union européenne a été publiée au Bulletin des marques communautaires n° 2010/122, du 6 juillet 2010.

5        Le 4 octobre 2010, la requérante, El Corte Inglés, SA, a formé opposition, au titre de l’article 41 du règlement n° 207/2009, à l’enregistrement de la marque demandée pour les produits visés au point 3 ci-dessus.

6        L’opposition était fondée notamment sur les marques antérieures suivantes :

–        la marque espagnole verbale El Corte Inglés, enregistrée sous le numéro 166450 pour des produits relevant de la classe 25 et correspondant à la description suivante : « chaussures »,

–        les marques de l’Union européenne figuratives, reproduites ci-après, enregistrées sous les numéros 5428255 et 5428339, notamment pour les produits relevant de la classe 25 et correspondant à la description suivante : « Vêtements, chaussures, et chapellerie », ainsi que pour les services relevant de la classe 35 et correspondant à la description suivante : « Publicité ; gestion des affaires commerciales; administration commerciale ; travaux de bureau » :

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7        Les motifs invoqués à l’appui de l’opposition étaient ceux visés à l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009 et à l’article 8, paragraphe 5, dudit règlement.

8        Le 12 juillet 2011, la division d’opposition a rejeté l’opposition.

9        Le 16 août 2011, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 58 à 64 du règlement n° 207/2009, contre la décision de la division d’opposition.

10      Par décision du 6 septembre 2012 (ci-après la « décision attaquée »), la première chambre de recours de l’EUIPO a rejeté le recours. D’une part, en tant que l’opposition était fondée sur l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009, la chambre de recours a considéré que, en ce qui concerne la similitude entre les signes en conflit, ils ne présentaient aucun élément de similitude sur les plans visuel et phonétique. De plus, elle a estimé que, sur le plan conceptuel, le signe verbal The English Cut, considéré dans son ensemble, serait perçu comme une dénomination fantaisiste par le public espagnol, qui ne possède pas un degré de connaissance élevé de l’anglais. Toutefois, elle a admis que, nonobstant le faible niveau de connaissance de l’anglais des consommateurs espagnols moyens, le terme anglais « english » serait compris par la majorité d’entre eux comme exprimant un concept semblable à celui exprimé par le terme espagnol « inglés ». Par conséquent, la chambre de recours a constaté que les signes en conflit présentaient une similitude conceptuelle « faible » liée à l’un de leurs éléments verbaux.

11      Procédant, ensuite, à l’appréciation globale du risque de confusion, la chambre de recours a estimé que les mots « el corte » et « cut » représentaient les éléments dominants des signes en conflit, sans que le public pertinent fût en mesure d’établir une quelconque ressemblance conceptuelle entre eux. Par conséquent, la chambre de recours a conclu que, même si les signes en conflit avaient une similitude conceptuelle « faible » et que les produits concernés étaient partiellement identiques ou partiellement similaires, il n’en demeurait pas moins que ces signes étaient globalement différents, de sorte que l’opposition, en ce qu’elle était fondée sur l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009, devait être rejetée.

12      D’autre part, en tant que l’opposition était fondée sur l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009, la chambre de recours a considéré que, en dépit de l’importante renommée dont jouissaient les marques antérieures dans le secteur de la grande distribution, la requérante n’avait pas produit de preuves suffisantes de l’existence réelle ou potentielle du préjudice ou du profit indûment tiré de la renommée desdites marques, de sorte que l’opposition ne pouvait être accueillie sur le fondement de cette disposition.

 Procédure devant le Tribunal et la Cour

13      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 novembre 2012, la requérante a introduit un recours visant à l’annulation de la décision attaquée pour violation de l’article 8, paragraphe 1, sous b), et de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009.

14      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l’audience du 11 juillet 2014.

15      Par arrêt du 15 octobre 2014, El Corte Inglés/OHMI – English Cut (The English Cut) (T‑515/12, non publié, ci-après l’« arrêt du Tribunal », EU:T:2014:882), le Tribunal a rejeté le recours dans son ensemble et a condamné la requérante aux dépens.

16      Le Tribunal a considéré que, d’une part, en tant que l’opposition était fondée sur l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009, il n’existait aucune similitude visuelle et phonétique entre les signes en conflit. De plus, bien que les signes en conflit aient la même signification littérale, à savoir la « coupe anglaise », le Tribunal a estimé que, les éléments verbaux de la marque demandée étant la traduction anglaise de ceux des marques antérieures en espagnol, le public pertinent ne percevrait, le cas échéant, la signification identique des signes en conflit qu’après les avoir préalablement et correctement traduits. Dès lors, le Tribunal a jugé qu’il n’existait qu’une similitude conceptuelle faible entre les signes en conflit et qu’un tel degré de similitude ne s’avérait pas suffisant pour entraîner l’application de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009. Partant, le Tribunal a considéré qu’il n’y avait pas lieu de procéder à l’appréciation globale du risque de confusion et a rejeté le moyen comme non fondé. D’autre part, en tant que l’opposition était fondée sur l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009, le Tribunal a conclu que, la condition relative au caractère identique ou similaire des signes en conflit faisant défaut en l’espèce, il n’y avait pas lieu d’examiner s’il y avait eu une atteinte à la renommée des marques antérieures.

17      Par requête déposée au greffe de la Cour le 29 décembre 2014, la requérante a formé un pourvoi contre l’arrêt du Tribunal, par lequel elle demandait à la Cour d’annuler ledit arrêt.

18      Par arrêt du 10 décembre 2015, El Corte Inglés/OHMI (C‑603/14 P, ci-après l’« arrêt sur pourvoi », EU:C:2015:807), la Cour a, d’une part, annulé l’arrêt du Tribunal en tant qu’il avait décidé qu’il résultait de ce que les signes en conflit ne présentaient pas un degré de similitude suffisant pour entraîner l’application de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009, que les conditions d’application de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009 n’étaient, partant, pas non plus réunies et, d’autre part, rejeté le pourvoi pour le surplus.

19      La Cour a constaté que l’arrêt du Tribunal était entaché d’une erreur de droit dans l’interprétation de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009, le Tribunal ayant, à tort, considéré qu’il résultait de la comparaison entre les signes en conflit, effectuée dans le cadre de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009, que ces derniers n’étaient pas similaires et, partant, que les conditions d’application de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009 n’étaient pas réunies. Au point 48 de l’arrêt sur pourvoi, la Cour a jugé que le Tribunal aurait dû examiner si le degré de similitude conceptuelle entre les signes en conflit, bien que faible, n’était pas suffisant, en raison de la présence d’autres facteurs pertinents, tels que la notoriété ou la renommée des marques antérieures, pour que le public concerné établisse un lien entre ces signes, au sens de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009.

20      Enfin, au point 50 de l’arrêt sur pourvoi, la Cour a considéré que les atteintes visées à l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009 ne requéraient pas que le rapprochement que les consommateurs seraient susceptibles de faire entre les signes soit immédiat.

21      Dès lors, la Cour a renvoyé l’affaire devant le Tribunal afin qu’il examine la question de savoir si les conditions d’application de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009 étaient réunies en l’espèce.

22      À la suite de l’arrêt sur pourvoi et conformément à l’article 216, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, l’affaire a été attribuée à la troisième chambre du Tribunal.

 Conclusions des parties après renvoi

23      Les parties ont été invitées à présenter leurs observations écrites, conformément à l’article 217, paragraphe 1, du règlement de procédure. L’EUIPO et la requérante ont déposé leurs observations écrites dans les délais impartis, à savoir, respectivement, le 29 janvier et le 11 février 2016.

24      Dans ses observations, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens.

25      Dans ses observations, l’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

26      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que la requérante avait invoqué deux moyens au soutien de son recours, tirés, le premier, d’une violation de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009 et, le second, d’une violation de l’article 8, paragraphe 5, dudit règlement.

27      Il résulte de l’arrêt sur pourvoi que, dans le cadre de la présente procédure de renvoi, il incombe au Tribunal d’examiner uniquement les griefs avancés par la requérante dans le cadre du second moyen, le rejet du premier moyen ayant acquis de force de chose jugée.

28      Aux termes de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009, sur opposition du titulaire d’une marque antérieure au sens de l’article 8, paragraphe 2, dudit règlement, la marque demandée est refusée à l’enregistrement si elle est identique ou semblable à la marque antérieure et si elle est destinée à être enregistrée pour des produits ou des services qui n’ont pas de similitudes avec ceux pour lesquels la marque antérieure est enregistrée, lorsque, dans le cas d’une marque de l’Union européenne antérieure, elle jouit d’une renommée dans l’Union européenne et, dans le cas d’une marque nationale antérieure, elle jouit d’une renommée dans l’État membre concerné et que l’usage sans juste motif de la marque demandée tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou qu’il leur porterait préjudice.

29      La protection élargie accordée à la marque antérieure par l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009 présuppose la réunion des conditions suivantes : premièrement, l’identité ou la similitude des marques en conflit, deuxièmement, l’existence d’une renommée de la marque antérieure invoquée à l’appui de l’opposition et, troisièmement, l’existence d’un risque que l’usage sans juste motif de la marque demandée tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou leur porterait préjudice. Ces trois conditions sont cumulatives et l’absence de l’une d’entre elles suffit à rendre inapplicable ladite disposition [voir arrêt du 16 mars 2016, The Body Shop International/OHMI – Spa Monopole (SPA WISDOM), T‑201/14, non publié, EU:T:2016:148, point 17 et jurisprudence citée].

30      S’agissant, plus particulièrement, de la troisième des conditions d’application de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009, mentionnée au point 29 ci-dessus, celle-ci vise trois types de risque distincts et alternatifs, à savoir que l’usage sans juste motif de la marque demandée, premièrement, porte préjudice au caractère distinctif de la marque antérieure, deuxièmement, porte préjudice à la renommée de la marque antérieure ou, troisièmement, tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure. Le premier type de risque visé par cette disposition est caractérisé lorsque la marque antérieure n’est plus en mesure de susciter une association immédiate avec les produits pour lesquels elle est enregistrée et employée. Il vise la dilution de la marque antérieure à travers la dispersion de son identité et de son emprise sur l’esprit du public. Le deuxième type de risque visé est constitué lorsque les produits ou les services visés par la marque demandée peuvent être perçus par le public d’une manière telle que la force d’attraction de la marque antérieure s’en trouve diminuée. Le troisième type de risque visé est celui que l’image de la marque renommée ou les caractéristiques projetées par cette dernière soient transférées aux produits désignés par la marque demandée, de sorte que leur commercialisation puisse être facilitée par cette association avec la marque antérieure renommée. Il convient cependant de souligner que, dans aucun de ces cas, l’existence d’un risque de confusion entre les marques en conflit n’est requise, le public pertinent devant seulement pouvoir établir un lien entre elles sans toutefois devoir forcément les confondre. Enfin, eu égard au libellé de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009, il suffit qu’il existe un seul des types de risque susvisés pour que cette disposition devienne d’application [voir arrêt du 22 mars 2007, Sigla/OHMI – Elleni Holding (VIPS), T‑215/03, EU:T:2007:93, points 36 à 42 et jurisprudence citée].

31      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner si c’est à juste titre que la chambre de recours a considéré que les conditions d’application de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009 n’étaient pas satisfaites en l’espèce.

32      À cet égard, et à titre liminaire, il convient de préciser que, en premier lieu, la chambre de recours a considéré, aux points 18 à 21 de la décision attaquée, que, d’une part, les produits et services en cause étant des produits et des services de consommation courante et, d’autre part, les marques antérieures étant deux marques de l’Union européenne et une marque nationale, le public pertinent était constitué par les consommateurs moyens, normalement informés et raisonnablement attentifs et avisés, appartenant au grand public du territoire de l’Union et, en particulier, celui de l’Espagne.

33      En second lieu, la chambre de recours a estimé, au point 25 de la décision attaquée, que les produits et les services, respectivement couverts par les signes en conflit étaient partiellement identiques et partiellement similaires.

34      Ces constatations de la chambre de recours relatives à la définition du public pertinent et à la comparaison des produits et des services étant exemptes d’erreurs, il y a lieu de les confirmer. Au demeurant, celles-ci n’ont pas été remises en cause par les parties.

35      En l’espèce, la requérante soutient que le public pertinent établira un lien entre les marques en conflit ou du moins les associera, non seulement du fait de l’importante renommée des marques antérieures, mais aussi de la similitude conceptuelle des marques en conflit. Dès lors, l’établissement d’un tel lien entre les marques en conflit permettrait à la marque demandée de tirer indûment profit de la renommée des marques antérieures et de leur porter préjudice.

36       L’EUIPO conteste les arguments de la requérante.

37      Il convient d’examiner si la condition relative au profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée des marques antérieures ou au préjudice qui leur serait porté est satisfaite en l’espèce. À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence que le but de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009 n’est pas d’empêcher l’enregistrement de toute marque identique à une marque renommée ou présentant une similitude avec celle-ci. L’objectif de cette disposition est, notamment, de permettre au titulaire d’une marque nationale antérieure renommée de s’opposer à l’enregistrement de marques susceptibles soit de porter préjudice à la renommée ou au caractère distinctif de la marque antérieure, soit de tirer indûment profit de cette renommée ou de ce caractère distinctif [arrêt du 25 mai 2005, Spa Monopole/OHMI – Spa-Finders Travel Arrangements (SPA-FINDERS), T‑67/04, EU:T:2005:179, point 40].

38      L’existence d’un lien entre la marque demandée et la marque antérieure est une condition essentielle d’application de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009. En effet, les atteintes visées par cette disposition, lorsqu’elles se produisent, sont la conséquence d’un certain degré de similitude entre la marque demandée et la marque antérieure, en raison de laquelle le public concerné effectue un rapprochement entre les deux, c’est-à-dire établit un lien entre celles‑ci, alors même qu’il ne les confond pas (voir arrêt du 16 mars 2016, SPA WISDOM, T‑201/14, non publié, EU:T:2016:148, point 40 et jurisprudence citée).

39      L’existence d’un tel lien doit être appréciée globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce, parmi lesquels le degré de similitude entre les marques en conflit, la nature des produits ou des services pour lesquels les marques en conflit sont enregistrées, y compris le degré de proximité ou de dissemblance de ces produits ou des services concernés ainsi que le public concerné, l’intensité de la renommée de la marque antérieure, le degré de caractère distinctif, intrinsèque ou acquis par l’usage, de la marque antérieure et l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public (arrêt du 27 novembre 2008, Intel Corporation, C‑252/07, EU:C:2008:655, points 41 et 42).

40      Si, à défaut d’un tel lien dans l’esprit du public, l’usage de la marque postérieure n’est pas susceptible de tirer indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, ou de leur porter préjudice (arrêt du 12 mars 2009, Antartica/OHMI, C‑320/07 P, non publié, EU:C:2009:146, point 44), l’existence de ce lien ne saurait toutefois suffire, à elle seule, à conclure à l’existence de l’une des atteintes visées à l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009, lesquelles constituent la condition spécifique de la protection des marques renommées prévue à cette disposition (voir ordonnance du 30 avril 2009, Japan Tobacco/OHMI, C‑136/08 P, non publiée, EU:C:2009:282, point 27 et jurisprudence citée).

41      Premièrement, il convient d’apprécier globalement les différents facteurs qui pourraient permettre l’établissement d’un lien entre les signes en conflit (voir point 39 ci-dessus).

42      S’agissant, tout d’abord, de l’existence de la renommée des marques antérieures, il y a lieu de rappeler que, pour y satisfaire, les marques antérieures doivent être connues d’une partie significative du public pertinent concerné par les produits ou services couverts par elle (arrêt du 14 septembre 1999, General Motors, C‑375/97, EU:C:1999:408, point 26).

43      En l’espèce, tant la chambre de recours, au point 62 de la décision attaquée, que le Tribunal, au point 39 de son arrêt, ont admis que les marques antérieures jouissaient d’une très importante renommée dans le secteur de la grande distribution auprès du public concerné.

44      S’agissant, ensuite, de l’existence d’une identité ou d’une similitude entre les signes en conflit, le Tribunal a constaté, au point 33 de son arrêt, qu’il existait une faible similitude sur le plan conceptuel entre les signes en conflit dans le cadre de l’appréciation du motif visé à l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009. En effet, le Tribunal a estimé, aux points 26 et 29 de son arrêt, que, même si les signes en conflit se distinguaient quant à la langue permettant l’accès à leurs compréhensions respectives, les marques antérieures étant constituées de termes espagnols, alors que la marque demandée était composée de termes anglais, il n’en demeurait pas moins que lesdits signes présentaient une similitude conceptuelle faible nécessitant une traduction préalable correcte.

45      Néanmoins, le Tribunal a estimé, au point 28 de son arrêt, que, même si les signes en conflit avaient la même signification littérale, comme cela a été d’ailleurs rappelé au point 16 ci-dessus, les consommateurs espagnols moyens, de par leur connaissance minimale de l’anglais, n’effectueraient pas un rapprochement immédiat entre lesdits signes.

46      À cet égard, la Cour a estimé, comme cela a été également rappelé au point 20 ci-dessus, que les atteintes visées à l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009 ne requéraient pas que le rapprochement que les consommateurs seraient susceptibles de faire entre les signes en conflit soit immédiat.

47      Par conséquent, il y a lieu de constater que, dès lors qu’une similitude conceptuelle, même faible, existe entre les signes en conflit, le public pertinent sera susceptible d’établir un lien entre eux ou du moins de les associer, sans pour autant les confondre.

48      Toutefois, plus le degré de similitude, conceptuelle en l’espèce, est faible entre la marque demandée et les marques antérieures, plus le lien que le public pertinent sera en mesure d’établir entre celles-ci sera incertain. En effet, un tel rapprochement ne pourra s’effectuer qu’une fois que le consommateur espagnol moyen aura fait l’effort intellectuel de transposer ou de traduire d’une langue à l’autre le concept commun aux marques concernées. Dès lors, le rapprochement que le public pertinent sera susceptible d’établir entre les signes en conflit sera ténu.

49      Ces deux premiers facteurs renvoyant directement aux première et deuxième conditions d’application de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009, il y a dès lors lieu de considérer ces dernières comme étant satisfaites en l’espèce.

50      De plus, il y a lieu de relever, comme cela a été rappelé aux points 33 et 34 ci-dessus, que les produits et les services couverts par les signes en conflit sont partiellement identiques et partiellement similaires.

51      En outre, le Tribunal avait déjà conclu dans son arrêt, dans le cadre de l’examen de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009, à l’absence de risque de confusion dans l’esprit du public pertinent.

52      Par conséquent, il résulte de l’appréciation globale des facteurs pertinents que le public concerné sera en mesure d’établir un lien, bien que faible, entre les marques en conflit ou du moins de les associer.

53      Deuxièmement, il y a lieu de relever que, ainsi que l’ont souligné la chambre de recours dans la décision attaquée et l’EUIPO dans ses observations écrites, la requérante n’a pas apporté d’éléments de preuve afin d’établir l’existence d’une atteinte concrète ou d’un risque d’atteinte à la renommée des marques antérieures.

54      Or, il convient de rappeler qu’il est possible, notamment dans le cas d’une opposition fondée sur une marque bénéficiant d’une renommée exceptionnellement élevée, que la probabilité d’un risque futur non hypothétique de préjudice porté à la marque antérieure ou de profit indûment tiré par la marque demandée soit tellement évidente que l’opposant n’a besoin d’invoquer et de prouver aucun autre élément factuel à cette fin. Cependant, il est également possible que la marque demandée n’apparaisse pas, à première vue, susceptible de créer l’un des risques visés par l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009 pour la marque renommée, en dépit de son identité ou de sa similarité avec cette dernière, auquel cas ledit risque futur non hypothétique de préjudice ou de profit indûment tiré doit être démontré à l’aide d’autres éléments, qu’il appartient à l’opposant d’invoquer et de prouver (arrêt du 22 mars 2007, VIPS, T‑215/03, EU:T:2007:93, point 48).

55      En l’espèce, il y a lieu de souligner que, si, dans son arrêt, le Tribunal a admis la très grande renommée des marques antérieures, il ne l’a pour autant pas qualifiée d’exceptionnelle, ce que la requérante n’a de surcroît pas contesté. Dès lors, il appartenait à la requérante d’apporter les éléments de preuve permettant de démontrer l’existence d’une atteinte effective et actuelle à la renommée ou au caractère distinctif de ses marques ou de conclure à un risque sérieux qu’une telle atteinte puisse se produire dans le futur, ce qu’elle n’a nullement fait en l’espèce.

56      Par conséquent, malgré le rapprochement, à tout le moins ténu, que le public pertinent pourrait établir entre les marques en cause, les arguments de la requérante, en ce qu’ils ne sont pas corroborés par des éléments de preuves pertinents aux fins de l’espèce, ne sont pas suffisants per se pour démontrer l’existence réelle ou potentielle d’une atteinte à la renommée des marques antérieures. C’est donc à bon droit que la chambre de recours a estimé, au point 64 de la décision attaquée, que la marque demandée ne portait pas atteinte à la renommée des marques antérieures.

57      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le moyen unique, tiré de la violation de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009, et partant, le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

58      Dans l’arrêt sur pourvoi, la Cour a réservé les dépens. Il appartient donc au Tribunal de statuer, dans le présent arrêt, sur l’ensemble des dépens afférents aux différentes procédures, conformément à l’article 219 du règlement de procédure.

59      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens conformément aux conclusions de l’EUIPO.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      El Corte Inglés supportera ses propres dépens, ainsi que ceux exposés par l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO).

Papasavvas

Bieliūnas

Forrester

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 27 octobre 2016.

Signatures


* Langue de procédure : L’espagnol