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DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

10 novembre 2021 (*)

« Recours en indemnité – Politique étrangère et de sécurité commune – Mission Eulex Kosovo – Incompétence manifeste »

Dans l’affaire T‑771/20,

KS,

KD,

représentées par M. F. Randolph, QC, et Mme J. Stojsavljevic-Savic, solicitor,

parties requérantes,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. A. Vitro, Mme P. Mahnič et M. K. Kouri, en qualité d’agents,

et

Commission européenne, représentée par Mme Y. Marinova et M. J. Roberti di Sarsina, en qualité d’agents,

et

Service européen pour l’action extérieure (SEAE), représenté par M. S. Marquardt, Mmes S. Rodríguez Sánchez-Tabernero et E. Orgován, en qualité d’agents,

parties défenderesses,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 268 TFUE et tendant à obtenir réparation du préjudice que les requérantes auraient subi à la suite de divers actes et omissions du Conseil, de la Commission et du SEAE dans le cadre de la mise en œuvre de l’action commune 2008/124/PESC du Conseil, du 4 février 2008, relative à la mission « État de droit » menée par l’Union européenne au Kosovo, EULEX KOSOVO (JO 2008, L 42, p. 92), et, en particulier, lors des enquêtes relatives à la disparition et à l’assassinat de membres de la famille des requérantes, survenus en 1999 à Pristina (Kosovo), effectuées durant cette mission,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de Mmes M. J. Costeira (rapporteure), présidente, M. Kancheva et T. Perišin, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        Les requérantes, KS et KD, sont des membres de la famille proche (épouses et mère) de personnes qui ont été torturées, tuées ou ont disparu dans des crimes de guerre qui se sont produits au Kosovo entre juin et juillet 1999.

2        Le 4 février 2008, le Conseil de l’Union européenne a adopté l’action commune 2008/124/PESC relative à la mission « État de droit » menée par l’Union européenne au Kosovo, EULEX KOSOVO (JO 2008, L 42, p. 92). La mission Eulex Kosovo est une mission civile visant à promouvoir l’État de droit au Kosovo qui a été lancée dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) de l’Union européenne, laquelle fait partie intégrante de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l’Union.

3        En vertu de l’article 2, premier alinéa, de l’action commune 2008/124, dans sa version applicable aux faits de l’espèce, Eulex Kosovo aide les institutions du Kosovo, les autorités judiciaires et les organismes chargés de l’application des lois à progresser sur la voie de la viabilité et de la responsabilisation et à poursuivre la mise sur pied et le renforcement d’un système judiciaire multiethnique indépendant, ainsi que des services de police et des douanes multiethniques, de manière à ce que ces institutions soient libres de toute interférence politique et s’alignent sur les normes reconnues au niveau international et sur les bonnes pratiques européennes.

4        Conformément à l’article 3, sous d), de l’action commune 2008/124, dans sa version applicable aux faits de l’espèce, pour remplir le mandat énoncé à l’article 2 de ladite action commune, Eulex Kosovo veille, notamment, à ce que les affaires de crimes de guerre, de terrorisme, de criminalité organisée, de corruption, de crimes interethniques, de délinquance financière ou économique et d’autres infractions graves fassent dûment l’objet d’enquêtes, de poursuites, de décisions judiciaires et de sanctions conformément au droit applicable, y compris, le cas échéant, par l’intervention d’enquêteurs, de procureurs et de juges internationaux travaillant conjointement avec des enquêteurs, des procureurs et des juges kosovars ou agissant de manière indépendante, notamment, s’il y a lieu, par la mise en place de structures de coopération et de coordination entre les autorités policières et celles chargées des poursuites. En outre, conformément à l’article 3, sous i), de l’action commune 2008/124, Eulex Kosovo veille à ce que toutes ses activités s’exercent dans le respect des normes internationales en matière de droits de l’homme.

5        En octobre 2009, l’Union a créé un comité des réclamations sur les violations des droits de l’homme (ci-après le « comité des réclamations ») chargé d’examiner les plaintes introduites pour violations des droits de l’homme commises par Eulex Kosovo dans le cadre de la mise en œuvre de son mandat exécutif. Il s’agit d’un organe de responsabilisation externe indépendant qui, après avoir examiné lesdites plaintes, rend une conclusion indiquant si Eulex Kosovo a violé ou non les droits de l’homme applicables au Kosovo. Lorsque ledit comité détermine qu’une violation s’est produite, ses conclusions peuvent inclure des recommandations non contraignantes pour des mesures correctives de la part du chef de la mission Eulex Kosovo.

6        Le 11 juin 2014, KS a déposé une plainte auprès du comité des réclamations concernant l’enquête sur la disparition de son mari, pour laquelle une décision a été rendue le 11 novembre 2015. Ce comité a conclu à la violation des droits de la requérante au regard de l’article 2 (droit à la vie), de l’article 3 (interdiction de la torture), de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) et de l’article 13 (droit à un recours effectif) de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), et a formulé des recommandations au chef de la mission Eulex Kosovo pour qu’il adopte des mesures correctives.

7        Le 11 mars 2014, KD a déposé une plainte auprès du comité des réclamations concernant l’enquête sur l’enlèvement et le meurtre de son mari et de son fils, pour laquelle une décision a été rendue le 19 octobre 2016. Ce comité a conclu à une violation de l’article 2 (droit à la vie), de l’article 3 (interdiction de la torture) et de l’article 13 (droit à un recours effectif) de la CEDH, en liaison avec l’article 2 de ladite convention, et a formulé des recommandations au chef de la mission Eulex Kosovo pour qu’il adopte des mesures correctives.

8        En 2018, considérant que les recommandations n’avaient pas fait l’objet d’un suivi approprié et qu’aucune mesure corrective n’avait été adoptée, les requérantes ont introduit un recours devant la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division du Queen’s Bench, Royaume-Uni] contre l’Union, représentée par la Commission européenne au titre de l’article 335 TFUE, le Conseil, le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et Eulex Kosovo, fondé sur l’absence d’enquête sur les crimes de guerre en cause. Le 13 février 2019, cette juridiction a rendu son arrêt en concluant qu’elle n’était pas compétente pour connaître de l’affaire.

9        Par deux ordonnances du 20 novembre 2020 dans les affaires T‑438/20 AJ, KD/Commission e.a., et T‑439/20 AJ, KS/Commission e.a., la présidente de la neuvième chambre du Tribunal a accordé une aide juridictionnelle aux requérantes pour l’introduction du présent recours. Ce dernier porte désormais un nouveau numéro d’affaire unique à la suite du choix des requérantes dans lesdites affaires d’introduire un recours en responsabilité commun.

10      Au demeurant, il convient de souligner que les requérantes avaient déjà introduit devant le Tribunal des demandes similaires d’aide juridictionnelle, dont l’une a été rejetée par ordonnance du 21 novembre 2016 (affaire T‑418/15 AJ, KS/Conseil e.a.) et deux autres ont abouti à l’octroi d’une aide juridictionnelle par ordonnances du 21 novembre 2016 (affaire T‑266/15 AJ, KD/Conseil e.a.) et du 27 avril 2017 (affaire T‑840/16 AJ, KS/Conseil e.a.).

11      À cet égard, il convient également de préciser que, par requête déposée le 19 juillet 2017 devant le Tribunal et enregistrée sous le numéro d’affaire T‑840/16, KS avait introduit un recours visant à l’« annulation ou [à] la modification de l’action commune 2008/124 […] et des actes subséquents modifiant celle-ci, pour violation de l’article 13 de la [CEDH] et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne […], et en responsabilité non contractuelle, pour violation des articles 2, 3, 6, 13 et 14 de la CEDH ». Par l’ordonnance du 14 décembre 2017, KS/Conseil e.a. (T‑840/16, non publiée, EU:T:2017:938), le Tribunal a jugé que ce recours devait être rejeté pour incompétence manifeste à en connaître et pour irrecevabilité manifeste.

 Procédure et conclusions des parties

12      Par requête enregistrée au greffe du Tribunal le 29 décembre 2020, les requérantes ont introduit le présent recours, dirigé contre le Conseil, la Commission et le Service européen pour l’action extérieure (SEAE).

13      Le 9 février 2021, dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure, le Tribunal a adressé une question au Conseil, à la Commission et au SEAE, relative à sa compétence sous l’angle de l’article 24, paragraphe 1, second alinéa, dernière phrase, TUE, en leur demandant d’y répondre dans les mémoires qu’ils déposeraient en réponse au recours.

14      Le 18 mai 2021, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité et répondu à la question du Tribunal.

15      Le 19 mai 2021, le Conseil et le SEAE ont soulevé une exception d’incompétence et une exception d’irrecevabilité et ont également répondu à la question du Tribunal.

16      Le 5 juin 2021, les requérantes ont déposé une demande de mesures d’instruction, au titre de l’article 88 du règlement de procédure du Tribunal, visant à obtenir la production de la version intégrale du plan d’opération (OPLAN) de la mission Eulex Kosovo depuis sa création en 2008, lequel était mentionné dans la partie du mémoire du SEAE relative à l’exception d’irrecevabilité. Le Conseil, la Commission et le SEAE ont déposé leurs observations sur cette demande les 22 et 23 juin 2021.

17      Le 23 juillet 2021, les requérantes ont déposé leurs observations sur l’exception d’incompétence et l’exception d’irrecevabilité.

18      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter l’exception d’incompétence et l’exception d’irrecevabilité soulevées par le Conseil, la Commission et le SEAE ;

–        condamner le Conseil, la Commission et le SEAE, conjointement ou solidairement, à les indemniser (y compris par le paiement d’intérêts au taux et pour la durée que le Tribunal jugera appropriés) pour le dommage subi du fait de la violation de leurs droits de l’homme fondamentaux protégés en l’occurrence par les articles 2, 3, 6, 8 et 13 de la CEDH et les articles 2, 4 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») en ce qui concerne KS et les articles 2, 3, 6 et 13 de la CEDH et les articles 2, 4 et 47 de la Charte en ce qui concerne KD, conformément à l’article 340, paragraphe 2, TFUE ;

–        condamner le Conseil, la Commission et le SEAE au paiement des dépens, conformément à l’article 134 du règlement de procédure, dépens qui ne sauraient se limiter aux montants de l’aide juridictionnelle octroyée par le Tribunal dans ses ordonnances du 20 novembre 2020 dans les affaires T‑438/20 AJ, KD/Commission e.a., et T‑439/20 AJ, KS/Commission e.a, et devront inclure les dépens afférents à la procédure devant le comité des réclamations.

19      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours pour incompétence ;

–        à titre subsidiaire, rejeter le recours comme irrecevable ou, en tout état de cause, comme manifestement non fondé à son égard ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

20      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours irrecevable dans la mesure où il est dirigé contre elle ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

21      Le SEAE conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours pour incompétence ;

–        à titre subsidiaire, déclarer le recours irrecevable dans la mesure où il est dirigé contre lui.

 En droit

22      À l’appui de leur recours visant à établir la responsabilité non contractuelle du Conseil, de la Commission et du SEAE au titre de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, les requérantes invoquent, en substance, ce qui suit :

–        une violation des articles 2 et 3 de la CEDH et des articles 2 et 4 correspondants de la Charte, commise par la mission Eulex Kosovo, en raison de l’absence d’enquêtes adéquates relatives à la disparition et à l’assassinat de membres de la famille des requérantes, du fait d’un défaut de ressources nécessaires et du personnel adéquat de cette mission pour exercer son mandat exécutif, violation ayant été constatée par le comité des réclamations le 11 novembre 2015 en ce qui concerne KS et le 19 octobre 2016 en ce qui concerne KD ;

–        une violation de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 13 de la CEDH, ainsi que de l’article 47 de la Charte, du fait de l’absence de dispositions prévoyant une aide juridictionnelle en faveur des parties requérantes éligibles dans les procédures menées devant le comité des réclamations et de la création de ce comité sans pouvoir d’exécution de ses décisions ni pouvoir d’offrir une voie de recours pour les violations constatées ;

–        l’absence d’adoption de mesures correctives permettant de remédier en tout ou en partie aux violations susmentionnées, alors que les conclusions du comité des réclamations ont été portées à la connaissance de l’Union par le chef de la mission Eulex Kosovo le 29 avril 2016 ;

–        le détournement ou l’abus du pouvoir exécutif commis par le Conseil et le SEAE le 12 octobre 2017, du fait qu’ils ont allégué qu’Eulex Kosovo avait fait de son mieux pour enquêter sur l’enlèvement et le meurtre probable du mari de KS et le meurtre du mari et du fils de KD et que le comité des réclamations n’avait pas vocation à être une instance judiciaire ;

–        le détournement ou le défaut d’exercice adéquat du pouvoir exécutif du fait de la révocation du mandat exécutif d’Eulex Kosovo par la décision (PESC) 2018/856 du Conseil, du 8 juin 2018, modifiant l’action commune 2008/124 (JO 2018, L 146, p. 5), alors que les violations susmentionnées persistaient ;

–        le détournement ou l’abus du pouvoir exécutif ou public pour ne pas avoir veillé à ce que l’affaire de KD, relative à un crime de guerre, à première vue fondée, fasse l’objet d’un examen juridiquement sérieux par Eulex Kosovo ou par le Bureau du procureur spécialisé en matière d’enquêtes et de poursuites devant la Chambre spécialisée pour le Kosovo.

23      À cet égard, les requérantes soulignent que le présent recours, formé en raison de la violation de droits de l’homme fondamentaux, concerne des questions politiques ou stratégiques liées à la définition des activités, des priorités et des ressources d’Eulex Kosovo et à la décision de mettre en place un comité des réclamations sans le doter du pouvoir de fournir une aide juridictionnelle aux parties requérantes admissibles ni du pouvoir d’exécuter ses décisions ou d’offrir une voie de recours pour les violations constatées. Ces violations procèderaient d’un défaut de priorisation ou d’un défaut de ressources nécessaires ou de personnel approprié pour permettre à Eulex Kosovo d’exercer son mandat exécutif et ainsi de remplir les obligations juridiques de l’Union, et non du mauvais fonctionnement de la mission dans ces affaires particulières.

24      Selon les requérantes, il s’agirait de questions qui relèveraient de la compétence exclusive du Conseil, de la Commission et du SEAE. Ces derniers seraient conjointement ou solidairement tenus de protéger à tout moment les droits de l’homme fondamentaux dans l’exercice de leurs activités d’une manière générale, et particulièrement à l’égard des requérantes en ce qui concerne les opérations litigieuses d’Eulex Kosovo et du comité des réclamations en l’espèce. Or, en raison des diverses actions et omissions énoncées au point 22 ci-dessus, le Conseil, la Commission et le SEAE ont commis des violations suffisamment caractérisées du droit de l’Union.

25      Conformément à l’article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure, le Conseil et le SEAE ont soulevé une exception d’incompétence et, à titre subsidiaire, une exception d’irrecevabilité. La Commission, quant à elle, n’a invoqué qu’une exception d’irrecevabilité.

26      En vertu de l’article 130, paragraphes 1 et 7, du règlement de procédure, si la partie défenderesse le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité ou l’incompétence sans engager le débat au fond. En l’espèce, le Conseil et le SEAE ayant demandé qu’il soit statué sur l’incompétence, le Tribunal, s’estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier, décide de statuer sur cette demande sans poursuivre la procédure.

27      À cet égard, le Conseil et le SEAE soutiennent, en substance, que le Tribunal n’est pas compétent en l’espèce, car le recours formé par les requérantes, concernant la responsabilité non contractuelle de l’Union, porte sur de prétendus actes ou omissions du Conseil, de la Commission et du SEAE dans le domaine de la PESC, pour lesquels la Cour de justice de l’Union européenne n’est pas compétente, conformément à l’article 24, paragraphe 1, second alinéa, dernière phrase, TUE. En effet, compte tenu des compétences qui lui sont conférées par les traités, la Cour de justice de l’Union européenne ne serait pas compétente pour contrôler la légalité de tels actes ou omissions, qui relèveraient de choix stratégiques et de décisions relatives au mandat d’une mission de gestion de crise créée au titre de la PSDC, laquelle ferait partie intégrante de la PESC, pas plus qu’elle ne pourrait accorder une réparation aux requérantes qui prétendent avoir subi des dommages du fait de ces actes ou omissions.

28      Ainsi que les requérantes l’admettent elles-mêmes (voir point 23 ci-dessus), le présent recours trouve son origine dans des actes ou des comportements qui relèvent de questions politiques ou stratégiques liées à la définition des activités, des priorités et des ressources de la mission Eulex Kosovo et à la décision de mettre en place un comité des réclamations dans le cadre de cette mission. Conformément à l’action commune 2008/124, la mise en place et les activités de ladite mission relèvent des dispositions de la PESC du traité UE, dont le titre V traite de l’action extérieure de l’UE (politique étrangère) et le chapitre 2 de ce titre V (articles 23 à 46) contient les principales dispositions régissant la PESC.

29      Or, la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne en ce qui concerne les dispositions relatives à la PESC est délimitée par l’article 24, paragraphe 1, second alinéa, TUE et par l’article 275 TFUE.

30      En particulier, par application de l’article 24, paragraphe 1, second alinéa, dernière phrase, TUE et de l’article 275, premier alinéa, TFUE, la Cour de justice de l’Union européenne n’est, en principe, pas compétente en ce qui concerne les dispositions relatives à la PESC ainsi que les actes adoptés sur le fondement de ces dispositions. Toutefois, les traités établissent explicitement deux exceptions à ce principe.

31      En effet, d’une part, tant l’article 24, paragraphe 1, second alinéa, dernière phrase, TUE que l’article 275, second alinéa, TFUE prévoient que la Cour de justice de l’Union européenne est compétente pour contrôler le respect de l’article 40 TUE.

32      D’autre part, l’article 24, paragraphe 1, second alinéa, dernière phrase, TUE attribue à la Cour de justice de l’Union européenne la compétence pour contrôler la légalité de certaines décisions visées à l’article 275, second alinéa, TFUE. Pour sa part, cette dernière disposition prévoit la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne pour se prononcer sur les recours, formés dans les conditions prévues à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, concernant le contrôle de la légalité des décisions du Conseil, adoptées sur le fondement des dispositions relatives à la PESC, qui prévoient des mesures restrictives à l’encontre de personnes physiques ou morales (arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 60).

33      À cet égard, les activités, les priorités et les ressources de la mission Eulex Kosovo et l’institution d’un comité des réclamations dans le cadre de cette mission ne constituent manifestement pas des mesures restrictives à l’encontre de personnes physiques ou morales adoptées par le Conseil sur la base du titre V, chapitre 2, du traité UE (voir, en ce sens, ordonnance du 14 décembre 2017, KS/Conseil e.a., T‑840/16, non publiée, EU:T:2017:938, point 12). Par ailleurs, le recours ne concerne pas non plus le respect de l’article 40 TUE. Il s’ensuit que le Tribunal n’est pas compétent pour connaître de la présente affaire.

34      En outre, contrairement à ce que font valoir les requérantes, les circonstances de la présente affaire ne sont pas comparables à celles prévalant dans des affaires se situant dans le contexte de la PESC, mais visant des dispositions dont l’application relève du contrôle du juge de l’Union.

35      En particulier, l’affaire en cause n’est pas comparable à une situation dans laquelle l’intéressée, mise à la disposition d’une entité établie dans le cadre de la PESC, relevait de l’autorité du juge de l’Union en ce qui concernait la gestion opérationnelle de son personnel (voir, en ce sens, arrêt du 19 juillet 2016, H/Conseil e.a., C‑455/14 P, EU:C:2016:569, points 43 à 58). En effet, la présente affaire ne trouve pas son origine dans des actes ou des comportements qui relèvent de la pure gestion du personnel, de sorte qu’elle ne s’apparente pas aux litiges entre une institution, un organe ou un organisme de l’Union relevant de la PESC et l’un de ses fonctionnaires ou agents, lesquels peuvent être portés devant les juridictions de l’Union en vertu de l’article 270 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2018, KF/CSUE, T‑286/15, EU:T:2018:718, point 95, et ordonnance du 10 juillet 2020, KF/CSUE, T‑619/19, non publiée, EU:T:2020:337, points 23 à 28).

36      La présente affaire ne concerne pas non plus un cas de contestation de la validité d’un acte adopté, certes, à des fins opérationnelles par une entité relevant de la PESC, mais fondée sur des dispositions relevant du traité FUE, tel qu’un acte pris en vertu des dispositions du règlement (UE, Euratom) no 966/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union et abrogeant le règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil (JO 2012, L 298, p. 1), relatives aux marchés publics (voir, en ce sens, arrêt du 12 novembre 2015, Elitaliana/Eulex Kosovo, C‑439/13 P, EU:C:2015:753, points 41 à 50).

37      De plus, contrairement à ce que prétendent les requérantes, la situation de l’espèce est radicalement différente de celle de la récente affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 6 octobre 2020, Bank Refah Kargaran/Conseil (C‑134/19 P, EU:C:2020:793).

38      Au point 39 de l’arrêt du 6 octobre 2020, Bank Refah Kargaran/Conseil (C‑134/19 P, EU:C:2020:793), la Cour a affirmé la compétence du juge de l’Union « dans ces conditions », c’est-à-dire dans la situation particulière de mesures restrictives à l’encontre de personnes et d’entités adoptées par le Conseil dans le cadre de la PESC de l’Union. La Cour n’a pas abordé la question de la compétence du juge de l’Union en ce qui concernait la PESC de manière générale. En effet, dans cette affaire, la partie requérante faisait l’objet de mesures restrictives ayant une portée individuelle et la Cour a rappelé que le juge de l’Union était compétent pour contrôler la légalité des décisions prévoyant de telles mesures. La Cour a ainsi jugé que le juge de l’Union était également compétent pour statuer sur des demandes en réparation, au titre de l’article 268 et de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, résultant de mesures restrictives prévues par des actes PESC, dès lors qu’il était compétent pour contrôler la légalité des mesures restrictives en vertu de l’article 263 TFUE.

39      Or, en l’espèce, les requérantes fondent la responsabilité non contractuelle de l’Union sur la prétendue illégalité d’actes ou omissions du Conseil, de la Commission et du SEAE au titre de l’article 24, paragraphe 1, TUE, qui concerne la définition et la mise en œuvre de la PESC, et non sur des mesures restrictives individuelles, comme dans l’arrêt du 6 octobre 2020, Bank Refah Kargaran/Conseil (C‑134/19 P, EU:C:2020:793). Les prétendues actions ou omissions illégales du Conseil, de la Commission et du SEAE invoquées en l’espèce ne relèvent pas de la compétence du juge de l’Union en ce qui concerne leur légalité et ne sauraient donc constituer une source d’illégalité susceptible d’engager la responsabilité non contractuelle de l’Union devant ce même juge. Dès lors, les articles 263 et 265 TFUE ne sauraient être invoqués par les requérantes pour établir la compétence juridictionnelle de la Cour de justice de l’Union européenne en matière indemnitaire.

40      Par conséquent, les règles des traités UE et FUE excluant la compétence du juge de l’Union en matière de PESC (voir points 30 à 32 ci-dessus) font obstacle à ce que le Tribunal reconnaisse sa compétence en matière indemnitaire en ce qui concerne des actes ou des comportements relevant de la PESC, tels que ceux mentionnés aux point 22 ci-dessus, pour la seule raison qu’une telle reconnaissance serait, ainsi que le font valoir les requérantes tant dans leur requête que dans leurs observations sur les exceptions d’incompétence et d’irrecevabilité, le seul moyen de leur garantir une protection juridictionnelle effective.

41      À cet égard, il convient de rappeler la jurisprudence constante de la Cour, selon laquelle le juge de l’Union ne peut pas, sans excéder ses compétences, interpréter les conditions selon lesquelles un particulier peut former un recours contre un acte de l’Union d’une manière qui aboutit à s’écarter de ces conditions, qui sont expressément prévues par le traité FUE, et ce même à la lumière du principe d’une protection juridictionnelle effective. Si les dispositions relatives à la compétence du juge de l’Union doivent être interprétées à la lumière du droit fondamental à une protection juridictionnelle effective, une telle interprétation ne saurait aboutir à écarter les conditions expressément prévues par ledit traité (voir, en ce sens, arrêt du 25 mars 2021, Carvalho e.a./Parlement et Conseil, C‑565/19 P, non publié, EU:C:2021:252, points 69 et 78 et jurisprudence citée).

42      Il ressort de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours doit être rejeté en raison de l’incompétence manifeste du Tribunal pour en connaître, sans qu’il y ait lieu d’examiner les fins de non-recevoir soulevées par le Conseil, la Commission et le SEAE ni, d’ailleurs, de statuer sur la demande de mesures d’instruction présentée par les requérantes et visée au point 16 ci-dessus.

 Sur les dépens

43      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil et la Commission, conformément aux conclusions de ces derniers.

44      Le SEAE, quant à lui, n’ayant pas conclu en ce sens, supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté en raison de l’incompétence manifeste du Tribunal pour en connaître.

2)      KS et KD supporteront leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne.

3)      Le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) supportera ses propres dépens.

Fait à Luxembourg, le 10 novembre 2021.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

M. J. Costeira


*      Langue de procédure : l’anglais.