«Fonctionnaires - Agent temporaire - Régime disciplinaire - Suspension - Sanction - Résiliation du contrat sans préavis - Délai fixé par l'article 7, troisième alinéa, de l'annexe IX du statut - Inobservation - Conséquences - Recours en annulation et en indemnité - Non-lieu à statuer»
composé de MM. A. W. H. Meij, président, A. Potocki, et J. Pirrung, juges,
greffier: M. H. Jung,
Les considérants et le dispositif de cette décision se lisent comme suit:
«[1] Considérant que, entre le 1er janvier 1990 et le 29 décembre 1994, M. E détenait 65 % et son frère, M. C.P., 15 %, des actions d'une société italienne dénommée Stigma S.r.l (ci-après 'Stigma) dont l'objet social était l'étude, la production, le commerce, l'assistance technique et la réalisation de systèmes et appareils électroniques,
[2] Considérant que, d'après la nature et l'importance des intérêts de M. E dans cette société, elle était contrôlée par lui du 1er janvier 1990 jusqu'au 29 décembre 1994 et en tout cas pendant les années 1992 et 1993,
[3] Considérant qu'entre le 1er septembre 1991, date de son engagement à la Commission et le 20 septembre 1992, M. E était membre (et pendant un certain temps, président) du conseil d'administration de Stigma, les autres membres du conseil d'administration étant les autres actionnaires de la société [M. T. M., M. C. P. (précité) et M. R. C. P.],
[4] Considérant que vers la fin de l'année 1991, M. E a été désigné pour agir au sein de son unité comme 'Project Officer responsable de tout aspect technique et administratif relatif à un projet dénommé 'Integrated Rehabilitation Project (ci-après le contrat 'Irep) et que le contrat y relatif a été conclu le 14 février 1992 entre la Commission et un nombre de parties contractantes dont en principe une par pays de l'Union européenne,
[5] Considérant que M. E est resté 'Project Officer' d'Irep jusqu'en juillet 1993,
[6] Considérant que le contrat Irep prévoyait l'accomplissement de travaux dans les domaines de la technologie de l'information, des télécommunications et de leurs applications pendant deux ans pour 3,478 Mecu dont le financement de la Commission était de 1.6 Mecu,
[7] Considérant qu'en application des dispositions du contrat Irep une société italienne, TSD Telesystemes Datamont, le premier contractant, de 26, via Taramelli, Milano, a été désignée comme le coordinateur du contrat,
[8] Considérant que les rôles et les qualifications des contractants etc. ont été précisés au contrat Irep et qu'ainsi TSD Telesystemes Datamont a été décrite comme une société italienne 'owned by Datamont ... belonging to the Ferruzzi group. Datamont has a consolidated experience in system integration .... En outre, il a été indiqué que 'Datamont will have two associated partners ... and a subcontractor - R&S Informatica,
[9] Considérant que, toujours dans le cadre des rôles et qualifications précités des sociétés mentionnées au contrat Irep, une description détaillée de R&S Informatica (le sous-traitant de TSD Telesystemes Datamont) a été donnée, comportant des précisions sur son expérience en gestion de projets, ses activités dans le cadre deprojets de recherche et développement de la Commission et son rôle dans le contrat Irep ('to provide the services of the Project Management Office ...),
[10] Considérant que, le 1er mars 1992, R&S Informatica a bénéficié d'un accord avec TSD Telesystemes Datamont, le coordinateur du contrat, selon lequel elle devait recevoir pour ses services de consultant, sans autre spécification du niveau des prestations en cause, un paiement de 600 000 Lit par jour de prestations de service,
[11] Considérant que le responsable de TSD Telesystemes Datamont, le coordinateur du projet, était un certain M. A. B., que ce dernier a été désigné comme 'Project Manager, qu'il a signé le contrat Irep pour TSD Telesystemes Datamont et que, par la suite, en tant que Project Manager, il était le correspondant de la Commission et ainsi de M. E jusqu'au juillet 1993 aux fins de la gestion du contrat Irep,
[12] Considérant qu'au cours de l'année 1992, le groupe Ferruzzi a décidé de cesser ses activités dans le domaine du développement du software et, de ce fait, a mis TSD Telesystemes Datamont en liquidation,
[13] Considérant que, le 18 décembre 1992, acte a été pris par M. T. M. (actionnaire et membre du conseil d'administration de Stigma), de ce qu'une société formée le 3 novembre 1992 devait changer de nom pour être dénommée TSD Projects s.r.l ('TSD Projects) et cela, agissant en tant qu'administrateur unique,
[14] Considérant que, le 19 décembre 1992, M. T. M. a acté que les deux actionnaires (fondateurs de la société), KPMG Fides Fiduciaria et FIDESCO, ont cédé leurs actions en TSD Projects de sorte à constituer comme actionnaires Stigma pour 51 % et M. R. C. P. (également actionnaire et membre du conseil d'administration de Stigma) pour 49 % des actions,
[15] Considérant que, ainsi que le conseil de discipline l'a relevé, l'objet social de TSD Projects était le même que celui de Stigma, et que, par ailleurs, l'adresse de TSD Projects était la même que TSD Telesystemes Datamont,
[16] Considérant que Stigma est resté actionnaire majoritaire (à 51 % des actions) de TSD Projects jusqu'au 31 décembre 1994,
[17] Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. E, du fait de son contrôle de Stigma, avait également, depuis le 19 décembre 1992, le contrôle de TSD Projects, et que cette situation est restée inchangée jusqu'en décembre 1994,
[18] Considérant que M. A. B., le Project Manager du contrat Irep, a été désigné comme directeur général de TSD Projects pendant la première année de ses opérations,
[19] Considérant que le 29 décembre 1992, soit dix jours après le transfert de ses actions à Stigma et à M. C. P. et deux mois après sa formation par KPMG Fides Fiduciaria et FIDESCO comme une société clé en mains, TSD Projects a offert ses services à TSD Telesystemes Datamont en liquidation, en matière du personnel spécialisé en vue de la réalisation du contrat Irep,
[20] Considérant que, le 4 janvier 1993, TSD Telesystemes Datamont en liquidation (de 26, via Taramelli, Milano) a confirmé son accord à TSD Projects (de 26, via Taramelli, Milano) pour un contrat de sous-traitance tel que proposé aux tarifs journaliers de 1 700 000 Lit (Executive Manager), 1 100 000 Lit (Senior Analyst), 900 000 Lit (Application Programmer) et 700 000 Lit (Junior Programmer), soit des tarifs bien plus élevés à tous les niveaux que le tarif journalier prévu au contrat Irep pour les consultants de R&S Informatica, sous-traitant italien agréé au même contrat,
[21] Considérant que la série d'événements précités dans les deux semaines autour de Noël 1992, soit la création de la société devenue TSD Projects reprenant ainsi le nom et l'adresse de TSD Telesystemes Datamont (coordinateur du contrat Irep), le partage des actions de TSD Projects entre Stigma [contrôlée à 65 % par M. E (ainsi que par son frère, M. C. P. (15 %), M. M. et M. C. P.)] et M. C. P., l'offre de TSD Projects à TSD Telesystemes Datamont en liquidation de services dans le cadre du contrat Irep, l'octroi à TSD Projects d'un contrat de sous-traitance à des tarifs préférentiels et l'engagement par TSD Projects du Project Manager du contrat Irep en tant que son directeur général, constitue un dessein orchestré par la seule personne qui disposait de connaissances sur le contrat Irep et sur le sort de TSD Telesystemes Datamont, en l'occurrence, M. E, qui était également la personne qui en a pu tirer le principal profit,
[22] Considérant que M. E a fait état de ce qu'en 1996 et selon un audit de KPMG, il a vendu 50 % des actions de Stigma pour 170 000 000 Lit,
[23] Considérant que, dans ces conditions, M. E ne s'est pas acquitté de ses fonctions en ayant uniquement en vue les intérêts des Communautés et de ce fait a manqué à son devoir de loyauté envers la Commission,
[24] Considérant que, dans ces conditions, M. E a également violé l'obligation qui lui incombe de ne pas conserver ou acquérir des intérêts de nature à compromettre son indépendance dans l'exercice de ses fonctions contrairement à l'article 12, § 2 du statut,
[25] Considérant que M. E fait valoir que, le 16 juin 1993, il a donné certaines informations sur ses intérêts à son chef d'unité, M. Rossing,
[26] Considérant que M. E n'a pas précisé la nature des informations qu'il aurait données à M. Rossing,
[27] Considérant que M. Rossing lui-même déclare que, dans une note privée et donc non officielle, M. E lui aurait indiqué que 'DATAMONT, being the prime contractor, had left certain responsibilities with a company called TSD. TSD was related to Mr. E's former company (my underlining). He stated that he was a shareholder of his former company (when reading, I assumed Stigma) but stressed that he had severed all other relations to it ... I was totally unaware of any relationship between Mr. E and TSD.
[28] Considérant que les indications qui auraient été données par M. E à son chef d'unité doivent être considérées comme ambiguës, ne permettant pas de voir clair sur la nature et l'importance de ses intérêts dans les différentes sociétés en cause et servant au contraire à brouiller la réalité de ces intérêts,
[29] Considérant que de telles indications dans une note privée ne sauraient être considérées comme équivalentes à une information conforme à l'obligation qui incombait à M. E d'informer l'AHCC, lorsqu'il était amené à se prononcer sur une affaire au traitement ou à la solution de laquelle il avait un intérêt personnel qui était de nature à compromettre son indépendance, de sorte à agir à décharge de ses propres responsabilités,
[30] Considérant qu'il a violé l'obligation précitée, telle que prévue à l'article 14 du statut,
[31] Considérant que M. E, en assumant le suivi et le contrôle du contrat Irep qui avait une valeur initiale de 3.478 Mecu, a assuré des tâches importantes de responsabilité et de confiance pour la Commission,
[32] Considérant que la Commission est en droit d'attendre d'un agent ayant de telles responsabilités, sa loyauté exclusive,
[33] Considérant que M. E a utilisé sa situation pour créer et obtenir des intérêts personnels et commerciaux pour lui-même et pour son frère,
[34] Considérant que M. E a manqué totalement à son devoir de loyauté en la matière de sorte à abuser de la confiance qui doit régner entre l'agent et son institution,
[35] Considérant que, pour ces raisons et en tenant compte de l'ensemble des circonstances, il est nécessaire et justifié d'infliger à M. E une sanction bien plus sévère que celle recommandée par le conseil de discipline,
[36] Considérant que, le 29 décembre 1994, les actions de Stigma en TSD Projects ont été cédées de sorte à ce que le frère de M. E, M. C. P. a repris 48 % de la valeur des actions de TSD Projects,
[37] Considérant que vers le mois de mars 1995, suite à un appel de propositions au secteur 'santé' dans le cadre du 4e programme R et D 'Applications télématiques, TSD Projects a présenté des offres à la Commission, relatives notamment aux propositions de projets dénommés Hector, Mermaid et Trata, en vue d'une décision de la Commission pour choisir certains des projets proposés et leurs partenaires ainsi que pour approuver le niveau de leur financement,
[38] Considérant qu'un système d'évaluation des propositions de projets et des offres a été mis en place et que M. E, à sa demande, a été désigné, le 7 février 1995, pour suivre un panel d'experts externes responsable de telles évaluations dans le cadre du secteur santé/télémédecine, ce panel devant, entre autres, évaluer les projets Hector, Mermaid et Trata,
[39] Considérant que les projets Hector et Mermaid ont été retenus par le panel et que le projet Trata a été placé sur une réserve,
[40] Considérant qu'en avril 1995, M. E, sans en informer sa hiérarchie, a pris l'initiative de téléphoner et d'écrire au cabinet responsable de la politique de la pêche, et donc en dehors du domaine de sa propre direction générale, recommandant les projets Trata et Mermaid,
[41] Considérant que, par note du 16 juin 1995, son directeur l'a informé que 'in no way you were allowed to send proposals to Mrs. Bonino's cabinet members, especially when it is clear that it will end up in lobbying on your Directorate,
[42] Considérant que, puisqu'une des suites possibles de la lettre de M. E au cabinet de Mme Bonino serait une pression exercée par le cabinet en vue d'une décision favorable, y compris celle relative au niveau de financement de la Commission, le but recherché par M. E, à la lumière de ce qui était inconnu à l'époque dans sa direction, soit son intérêt en TSD Projects à travers son frère C. P., était justement d'encourager une telle pression en vue de faire bénéficier TSD Projects,
[43] Considérant qu'en agissant de la sorte, M. E, à nouveau, ne s'est pas acquitté de ses fonctions en ayant uniquement en vue les intérêts des Communautés et de ce fait a manqué à son devoir de loyauté envers la Commission,
[44] Considérant que, pour ces raisons encore et en tenant compte de l'ensemble des circonstances, il est nécessaire et justifié d'infliger à M. E une sanction bien plus sévère que celle recommandée par le conseil de discipline,
[45] Considérant que le 4 juin 1995, et toujours dans le cadre des procédures d'appels d'offres dans le secteur 'santé' précité, M. E s'est porté volontaire pour effectuer la négociation de projets retenus par le panel d'évaluation et est devenu négociateur principal pour le projet Hector et 'shadow négociateur pour Mermaid,
[46] Considérant que M. E est devenu, après l'approbation du projet, Project Officer pour Hector,
[47] Considérant qu'au cours des activités précitées à la Commission en 1995, M. E n'a pas informé sa hiérarchie (dont son nouveau chef d'unité M. Healy et son directeur M. Richonnier) du fait que son frère détenait en 1995 48 % des actions en TSD Projects et y travaillait, ce qui est confirmé par l'absence de référence à ces faits dans la note de son directeur du 16 juin 1995 susmentionnée,
[48] Considérant qu'en agissant de la sorte, M. E, à nouveau ne s'est pas acquitté de ses fonctions en ayant uniquement en vue les intérêts des Communautés et de ce fait a manqué à son devoir de loyauté envers la Commission,
[49] Considérant que, pour ces raisons encore et en tenant compte de l'ensemble des circonstances, il est nécessaire et justifié d'infliger à M. E une sanction bien plus sévère que celle recommandée par le conseil de discipline,
[50] Considérant que M. E a fait, aux dépens de la Commission, des appels téléphoniques à des fins privées, en utilisant l'appareil téléphonique mis à sa disposition par la Commission pour des raisons de service, de façon répétée entre juillet 1994 et novembre 1995 pour une somme de 16 860 Bef,
[51] Considérant que ce comportement doit être considéré comme malhonnête du fait que M. E cherchait à faire payer par la Commission de manière itérative des frais importants relevant de sa vie privée en utilisant indûment la ligne téléphonique de la Commission et sans utiliser son code personnel privé prévu à cet effet, cela en manquement à son devoir de loyauté et à l'obligation de ne pas porter atteinte à la dignité de ses fonctions,
[52] Considérant que les circonstances reprises ci-avant aggravent celles qui ont fait l'objet de l'avis motivé du conseil de discipline et justifient l'aggravation de manière très sérieuse de la sanction qu'il recommande,
[53] Considérant notamment que ces mêmes circonstances sont de nature à rompre entièrement la confiance placée en M. E par la Commission en tant que agent temporaire de grade A 5.
[54] Considérant qu'il résulte de l'article 49 du RAA que l'engagement de l'agent temporaire peut être résilié en cas de manquement grave aux obligations auxquelles celui-ci est tenu, commis volontairement ou par négligence,
Décident:
Article premier:
La mesure visée à l'article 49, paragraphe 1, du RAA à savoir la résiliation du contrat sans préavis est infligée à M. E.
Article deux:
La présente décision prend effet le premier du mois suivant celui au cours duquel la présente décision est prise.»