Language of document : ECLI:EU:T:2005:331

Affaire T-306/01

Ahmed Ali Yusuf et Al Barakaat International Foundation

contre

Conseil de l’Union européenne       et Commission des Communautés européennes

« Politique étrangère et de sécurité commune — Mesures restrictives à l’encontre de personnes et d’entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban — Compétence de la Communauté — Gel des fonds — Droits fondamentaux — Jus cogens — Contrôle juridictionnel — Recours en annulation »

Arrêt du Tribunal (deuxième chambre élargie) du 21 septembre 2005 ?II ‑ 0000

Sommaire de l’arrêt

1.     Procédure — Règlement remplaçant en cours d’instance le règlement attaqué — Élément nouveau — Extension des conclusions et moyens initiaux

2.     Actes des institutions — Choix de la base juridique — Règlement instituant, à l’encontre de certaines personnes et entités, des sanctions visant à interrompre ou à réduire les relations économiques avec un pays tiers — Articles 60 CE et 301 CE — Admissibilité

(Art. 60 CE et 301 CE ; règlement du Conseil nº 467/2001)

3.     Actes des institutions — Choix de la base juridique — Règlement instituant des sanctions à l’encontre de certaines personnes et entités ne présentant aucun lien avec un pays tiers — Articles 60 CE, 301 CE et 308 CE pris conjointement — Admissibilité

(Art. 60 CE, 301 CE et 308 CE ; art. 3 UE ; règlement du Conseil nº 881/2002)

4.     Libre circulation des capitaux et liberté des paiements — Restrictions — Mesures nationales visant à la lutte contre le terrorisme international et imposant à cette fin des sanctions économiques et financières à l’encontre de particuliers ne présentant aucun lien avec un pays tiers — Admissibilité — Conditions

(Art. 58 CE)

5.     Actes des institutions — Nature juridique — Règlement ou décision — Distinction — Critères — Concept de destinataire d’un acte — Objet d’un acte — Critère non pertinent

(Art. 230, al. 4, CE et 249 CE ; règlement du Conseil nº 881/2002)

6.     Droit international public — Charte des Nations unies — Décisions du Conseil de sécurité — Obligations en découlant pour les États membres — Primauté sur le droit national et le droit communautaire — Obligations résultant de cette charte — Caractère contraignant pour la Communauté

7.     Communautés européennes — Contrôle juridictionnel de la légalité des actes des institutions — Acte donnant effet à des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies — Contrôle incident de la légalité des décisions du Conseil de sécurité — Contrôle au regard du droit communautaire — Exclusion — Contrôle au regard du jus cogens — Admissibilité

(Art. 5 CE, 10 CE, 230 CE, 297 CE, 307, al. 1, CE ; art. 5 UE ; règlement du Conseil nº 881/2002)

8.     Communautés européennes — Contrôle juridictionnel de la légalité des actes des institutions — Acte donnant effet à des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies — Règlement nº 881/2002 — Mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban — Droits fondamentaux des intéressés — Gel des fonds — Contrôle au regard du jus cogens — Droit à la propriété des intéressés — Principe de proportionnalité — Violation — Absence

(Règlement du Conseil nº 881/2002, tel que modifié par règlement du Conseil nº 561/2003)

9.     Communautés européennes — Contrôle juridictionnel de la légalité des actes des institutions — Acte donnant effet à des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies — Règlement nº 881/2002 — Mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban — Droit des intéressés d’être entendus — Violation — Absence

(Règlement du Conseil nº 881/2002)

10.   Recours en annulation — Acte communautaire donnant effet à des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies — Règlement nº 881/2002 — Mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban — Contrôle juridictionnel — Limites — Lacune dans la protection juridictionnelle des requérants — Contrôle au regard du jus cogens — Droit à un recours juridictionnel effectif — Violation — Absence

(Art. 226 CE ; règlement du Conseil nº 881/2002)

1.     Dans le cadre d’un recours en annulation, lorsqu’un règlement qui concerne directement et individuellement un particulier est remplacé, en cours de procédure, par un règlement ayant le même objet, celui-ci doit être considéré comme un élément nouveau permettant au requérant d’adapter ses conclusions et moyens. Il serait, en effet, contraire à une bonne administration de la justice et à une exigence d’économie de procédure d’obliger le requérant à introduire un nouveau recours. Il serait, en outre, injuste que l’institution en cause puisse, pour faire face aux critiques contenues dans une requête présentée au juge communautaire contre un règlement, adapter le règlement attaqué ou lui en substituer un autre et se prévaloir, en cours d’instance, de cette modification ou de cette substitution pour priver l’autre partie de la possibilité d’étendre ses conclusions et ses moyens initiaux au règlement ultérieur ou de présenter des conclusions et moyens supplémentaires contre celui-ci.

(cf. points 72-73)

2.     Le Conseil était compétent pour adopter le règlement nº 467/2001, interdisant l’exportation de certaines marchandises et de certains services vers l’Afghanistan, renforçant l’interdiction des vols et étendant le gel des fonds et autres ressources financières décidés à l’encontre des Taliban d’Afghanistan, sur le fondement des articles 60 CE et 301 CE.

En effet, rien, dans le libellé desdits articles, ne permet d’exclure l’adoption de mesures restrictives frappant de manière spécifique les dirigeants d’un pays tiers, plutôt que ce pays en tant que tel, ainsi que, en quelque endroit qu’ils se trouvent, les individus et entités qui sont associés à ces dirigeants ou contrôlés directement ou indirectement par eux, pour autant que de telles mesures visent effectivement à interrompre ou à réduire, en tout ou en partie, les relations économiques avec un ou plusieurs pays tiers. Cette interprétation, non contraire à la lettre des articles 60 CE et 301 CE, est justifiée tant par des considérations d’efficacité que par des préoccupations d’ordre humanitaire.

Or, les mesures prévues par le règlement nº 467/2001 visaient à interrompre ou à réduire les relations économiques avec l’Afghanistan, dans le cadre de la lutte menée par la communauté internationale contre le terrorisme international et, plus particulièrement, contre Oussama ben Laden et le réseau Al-Qaida.

En outre, lesdites mesures, qui visaient à exercer une pression efficace sur les dirigeants du pays concerné, tout en limitant autant que possible l’impact de ces mesures sur la population de ce pays, notamment par la restriction de leur champ d’application personnel à un certain nombre d’individus nommément désignés, étaient conformes au principe de proportionnalité, qui exige que des sanctions n’excèdent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation de l’objectif poursuivi par la réglementation communautaire les instaurant.

(cf. points 108, 112, 115-116, 121-122, 124)

3.     Les articles 60 CE et 301 CE ne constituent pas, à eux seuls, une base juridique suffisante pour adopter un règlement communautaire visant à la lutte contre le terrorisme international et à l’imposition à cette fin de sanctions économiques et financières, telles que le gel des fonds, à l’encontre de particuliers, sans qu’il existe un quelconque lien entre ces particuliers et un pays tiers.

De même, l’article 308 CE ne constitue pas, à lui seul, une base juridique suffisante pour permettre l’adoption d’un tel règlement. S’il est vrai qu’aucune disposition du traité ne confère aux institutions communautaires la compétence nécessaire pour arrêter des sanctions visant des individus ou entités ne présentant aucun lien avec un pays tiers, la lutte contre le terrorisme international, et, plus particulièrement, l’imposition de sanctions économiques et financières à l’encontre d’individus et d’entités soupçonnés de contribuer à son financement, ne peut être rattachée à aucun des objets explicitement assignés à la Communauté par les articles 2 CE et 3 CE. De plus, il ne ressort nullement du préambule du traité CE que celui-ci poursuit un objectif plus vaste de défense de la paix et de la sécurité internationales. Celui-ci relève exclusivement des objectifs du traité UE. S’il est certes permis d’affirmer que cet objectif de l’Union doit inspirer l’action de la Communauté dans le domaine de ses compétences propres, il ne suffit pas, en revanche, à fonder l’adoption de mesures au titre de l’article 308 CE. En effet, il n’apparaît pas possible d’interpréter l’article 308 CE comme autorisant de façon générale les institutions à se fonder sur cette disposition en vue de réaliser l’un des objectifs du traité UE.

Cela étant, le Conseil était compétent pour adopter le règlement nº 881/2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, qui met en oeuvre dans la Communauté les sanctions économiques et financières prévues par la position commune 2002/402, en l’absence de tout lien avec le territoire ou le régime dirigeant d’un pays tiers, sur le fondement combiné des articles 60 CE, 301 CE et 308 CE.

En effet, dans ce contexte, il y a lieu de tenir compte de la passerelle spécifiquement établie, lors de la révision résultant du traité de Maastricht, entre les actions de la Communauté portant sanctions économiques au titre des articles 60 CE et 301 CE et les objectifs du traité UE en matière de relations extérieures. À cet égard, les articles 60 CE et 301 CE sont des dispositions tout à fait particulières du traité CE, en ce qu’elles envisagent expressément qu’une action de la Communauté puisse s’avérer nécessaire en vue de réaliser non pas l’un des objets de la Communauté, tels qu’ils sont fixés par le traité CE, mais un des objectifs spécifiquement assignés à l’Union par l’article 2 UE, à savoir la mise en oeuvre d’une politique étrangère et de sécurité commune. Ainsi, lorsque les pouvoirs de sanctions économiques et financières prévus par les articles 60 CE et 301 CE, à savoir l’interruption ou la réduction des relations économiques avec un ou plusieurs pays tiers, notamment en ce qui concerne les mouvements de capitaux et de paiements, s’avèrent insuffisants pour permettre aux institutions de réaliser l’objectif de la PESC, le recours à la base juridique complémentaire de l’article 308 CE se justifie, dans le contexte particulier de ces deux articles, au nom de l’exigence de cohérence énoncée à l’article 3 UE. Ainsi, le recours à la base juridique cumulée des articles 60 CE, 301 CE et 308 CE permet de réaliser, en matière de sanctions économiques et financières, l’objectif poursuivi dans le cadre de la PESC par l’Union et par ses États membres, tel qu’il est exprimé dans une position commune ou une action commune, nonobstant l’absence d’attribution expresse à la Communauté des pouvoirs de sanctions économiques et financières visant des individus ou entités ne présentant aucun lien suffisant avec un pays tiers déterminé.

(cf. points 132-133, 136, 152, 154-157, 159-160, 163-166, 170)

4.     La Communauté n’a aucune compétence explicite pour imposer des restrictions aux mouvements de capitaux et aux paiements. En revanche, l’article 58 CE admet que les États membres prennent des mesures ayant un tel effet dans la mesure où cela est et demeure justifié pour atteindre les objectifs prévus par cet article et, notamment, pour des motifs liés à l’ordre public ou à la sécurité publique. La notion de sécurité publique englobant tant la sécurité intérieure que la sécurité extérieure de l’État, les États membres seraient donc en principe en droit d’adopter, au titre de l’article 58, paragraphe 1, sous b), CE, des mesures visant à la lutte contre le terrorisme international et à l’imposition à cette fin de sanctions économiques et financières, telles que le gel des fonds, à l’encontre de particuliers, sans établir un quelconque lien avec le territoire ou avec le régime dirigeant d’un pays tiers. Pour autant que ces mesures soient conformes à l’article 58, paragraphe 3, CE et qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif visé, elles seraient compatibles avec le régime de libre circulation des capitaux et des paiements instauré par le traité.

(cf. point 146)

5.     L’article 249 CE, en ce qu’il dispose que le règlement a une portée générale, alors que la décision n’est obligatoire que pour les destinataires qu’elle désigne, n’envisage que le concept de destinataire d’un acte. En revanche, l’objet est un critère non pertinent pour la qualification d’un acte de réglementaire ou de décisionnel.

Dès lors, le règlement nº 881/2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, a une portée générale, puisqu’il interdit à quiconque de mettre des fonds ou des ressources économiques à la disposition de certaines personnes. La circonstance que ces personnes sont nommément désignées à l’annexe I de ce règlement, de sorte qu’elles apparaissent comme étant directement et individuellement concernées par celui-ci, au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE, n’affecte en rien la généralité de cette interdiction.

(cf. points 186-187)

6.     Du point de vue du droit international, les obligations des États membres de l’Organisation des Nations unies (ONU) au titre de la charte des Nations unies l’emportent incontestablement sur toute autre obligation de droit interne ou de droit international conventionnel, y compris, pour ceux d’entre eux qui sont membres du Conseil de l’Europe, sur leurs obligations au titre de la convention européenne des droits de l’homme et, pour ceux d’entre eux qui sont également membres de la Communauté, sur leurs obligations au titre du traité CE. Cette primauté s’étend aux décisions contenues dans une résolution du Conseil de sécurité, conformément à l’article 25 de la charte des Nations unies, aux termes duquel les membres de l’ONU sont tenus d’accepter et d’appliquer les décisions du Conseil de sécurité.

Bien qu’elle ne soit pas membre des Nations unies, la Communauté doit être considérée comme liée par les obligations résultant de la charte des Nations unies, de la même façon que le sont ses États membres, en vertu même du traité l’instituant. D’une part, elle ne peut violer les obligations incombant à ses États membres en vertu de cette charte ni entraver leur exécution. D’autre part, elle est tenue, en vertu même du traité par lequel elle a été instituée, d’adopter, dans l’exercice de ses compétences, toutes les dispositions nécessaires pour permettre à ses États membres de se conformer à ces obligations.

(cf. points 231, 234, 242-243, 254)

7.     Le règlement nº 881/2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, adopté au vu de la position commune 2002/402, constitue la mise en oeuvre, au niveau de la Communauté, de l’obligation qui pèse sur ses États membres, en tant que membres de l’Organisation des Nations unies (ONU), de donner effet, le cas échéant par le moyen d’un acte communautaire, aux sanctions à l’encontre d’Oussama ben Laden, du réseau Al Qaida ainsi que des Taliban et autres personnes, groupes, entreprises et entités associés, qui ont été décidées et ensuite renforcées par plusieurs résolutions du Conseil de sécurité adoptées au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies.

Dans ce contexte, les institutions communautaires ont agi au titre d’une compétence liée, de sorte qu’elles ne disposaient d’aucune marge d’appréciation autonome. En particulier, elles ne pouvaient ni modifier directement le contenu des résolutions en question ni mettre en place un mécanisme susceptible de donner lieu à une telle modification. Tout contrôle de la légalité interne du règlement nº 881/2002 impliquerait donc que le Tribunal examine, de façon incidente, la légalité desdites résolutions.

Or, compte tenu du principe de primauté du droit de l’ONU sur le droit communautaire, l’affirmation d’une compétence du Tribunal pour contrôler de manière incidente la légalité des décisions du Conseil de sécurité à l’aune du standard de protection des droits fondamentaux tels qu’ils sont reconnus dans l’ordre juridique communautaire ne saurait se justifier ni sur la base du droit international ni sur la base du droit communautaire. En effet, d’une part, une telle compétence serait incompatible avec les engagements des États membres au titre de la charte des Nations unies, en particulier de ses articles 25, 48 et 103, de même qu’avec l’article 27 de la convention de Vienne sur le droit des traités. D’autre part, elle serait contraire tant aux dispositions du traité CE, en particulier aux articles 5 CE, 10 CE, 297 CE et 307, premier alinéa, CE, qu’à celles du traité UE, en particulier à l’article 5 UE. Elle serait, de surcroît, incompatible avec le principe selon lequel les compétences de la Communauté, et, partant, celles du Tribunal, doivent être exercées dans le respect du droit international.

Dès lors, les résolutions du Conseil de sécurité adoptées au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies échappent en principe au contrôle juridictionnel du Tribunal et celui-ci n’est pas autorisé à remettre en cause, fût-ce de manière incidente, leur légalité au regard du droit communautaire. Au contraire, le Tribunal est tenu, dans toute la mesure du possible, d’interpréter et d’appliquer ce droit d’une manière qui soit compatible avec les obligations des États membres au titre de la charte des Nations unies.

Le Tribunal est néanmoins habilité à contrôler, de manière incidente, la légalité de telles résolutions au regard du jus cogens, entendu comme un ordre public international qui s’impose à tous les sujets du droit international, y compris les instances de l’ONU, et auquel il est impossible de déroger.

(cf. points 264-266, 272-274, 276-277)

8.     Le gel des fonds prévu par le règlement nº 881/2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, tel que modifié par le règlement nº 561/2003, et, indirectement, par les résolutions du Conseil de sécurité que ces règlements mettent en oeuvre, ne viole pas les droits fondamentaux des intéressés, à l’aune du standard de protection universelle des droits fondamentaux de la personne humaine relevant du jus cogens.

À cet égard, les possibilités explicites d’exemptions et de dérogations dont est assorti le gel des fonds des personnes inscrites sur la liste du comité des sanctions montrent clairement que cette mesure n’a ni pour objet ni pour effet de soumettre ces personnes à un traitement inhumain ou dégradant.

En outre, pour autant que le droit à la propriété doive être considéré comme faisant partie des normes impératives du droit international général, seule une privation arbitraire de ce droit pourrait, en tout état de cause, être considérée comme contraire au jus cogens. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce.

En effet, en premier lieu, le gel de leurs fonds constitue un aspect des sanctions décidées par le Conseil de sécurité à l’encontre d’Oussama ben Laden, du réseau Al-Qaida ainsi que des Taliban et autres personnes, groupes, entreprises et entités associés, compte tenu de l’importance de la lutte contre le terrorisme international et la légitimité d’une protection des Nations unies contre les agissements d’organisations terroristes. En deuxième lieu, le gel des fonds est une mesure conservatoire qui, à la différence d’une confiscation, ne porte pas atteinte à la substance même du droit de propriété des intéressés sur leurs actifs financiers, mais seulement à leur utilisation. En troisième lieu, les résolutions du Conseil de sécurité prévoient un mécanisme de réexamen périodique du régime général des sanctions. Enfin, la réglementation en cause aménage une procédure permettant aux intéressés de soumettre à tout moment leur cas au comité des sanctions pour réexamen, par l’intermédiaire de l’État membre de leur nationalité ou de leur résidence.

Eu égard à ces circonstances, le gel des fonds des personnes et entités soupçonnées, sur la base des informations communiquées par les États membres des Nations unies et contrôlées par le Conseil de sécurité, d’être liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban et d’avoir participé au financement, à la planification, à la préparation ou à la perpétration d’actes terroristes ne saurait passer pour constitutif d’une atteinte arbitraire, inadéquate ou disproportionnée aux droits fondamentaux des intéressés.

(cf. points 289, 291, 293-296, 299-302)

9.     Le droit des intéressés d’être entendus n’a été violé ni par le comité des sanctions, avant leur inscription sur la liste des personnes dont les fonds doivent être gelés en application des résolutions en cause du Conseil de sécurité, ni par les institutions communautaires, avant l’adoption du règlement nº 881/2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban.

En effet, en premier lieu, le droit des intéressés d’être entendus par le comité des sanctions avant leur inscription sur la liste des personnes soupçonnées de contribuer au financement du terrorisme international dont les fonds doivent être gelés en application des résolutions en cause du Conseil de sécurité n’est pas prévu par les résolutions en question et aucune norme impérative relevant de l’ordre public international ne paraît exiger une telle audition préalable. En particulier, dans la situation où est en cause une mesure conservatoire limitant la disponibilité des biens des intéressés, le respect de leurs droits fondamentaux n’impose pas que les faits et éléments de preuve retenus à leur charge leur soient communiqués, dès lors que le Conseil de sécurité ou son comité des sanctions estiment que des motifs intéressant la sûreté de la communauté internationale s’y opposent.

En second lieu, les institutions communautaires n’étaient pas davantage tenues d’entendre les intéressés avant l’adoption du règlement en cause, étant donné qu’elles ne disposaient d’aucune marge d’appréciation dans la transposition dans l’ordre juridique communautaire des résolutions du Conseil de sécurité et des décisions du comité des sanctions de sorte qu’une audition des intéressés n’aurait pu en aucun cas amener l’institution à revoir sa position.

(cf. points 306-307, 320, 328-329, 331)

10.   Dans le cadre d’un recours en annulation introduit contre le règlement nº 881/2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, le Tribunal exerce un entier contrôle de la légalité dudit règlement quant au respect, par les institutions communautaires, des règles de compétence ainsi que des règles de légalité externe et des formes substantielles qui s’imposent à leur action. Le Tribunal contrôle également la légalité de ce même règlement au regard des résolutions du Conseil de sécurité que ce règlement est censé mettre en oeuvre, notamment sous l’angle de l’adéquation formelle et matérielle, de la cohérence interne et de la proportionnalité du premier par rapport aux secondes. De surcroît, il contrôle la légalité de ce règlement et, indirectement, la légalité des résolutions en cause du Conseil de sécurité, au regard des normes supérieures du droit international relevant du jus cogens, notamment les normes impératives visant à la protection universelle des droits de la personne humaine.

En revanche, il n’incombe pas au Tribunal de contrôler indirectement la conformité des résolutions en cause du Conseil de sécurité elles-mêmes avec les droits fondamentaux tels qu’ils sont protégés par l’ordre juridique communautaire. Il n’appartient pas davantage au Tribunal de vérifier l’absence d’erreur d’appréciation des faits et des éléments de preuve que le Conseil a retenus à l’appui des mesures qu’il a prises ni encore, sous réserve du cadre limité du contrôle exercé au regard du jus cogens, de contrôler indirectement l’opportunité et la proportionnalité de ces mesures. Dans cette mesure, les requérants ne disposent d’aucune voie de recours juridictionnel, le Conseil de sécurité n’ayant pas estimé opportun d’établir une juridiction internationale indépendante chargée de statuer, en droit comme en fait, sur les recours dirigés contre les décisions individuelles prises par le comité des sanctions.

Toutefois, cette lacune dans la protection juridictionnelle des requérants n’est pas en soi contraire au jus cogens. En effet, le droit d’accès aux tribunaux n’est pas absolu. La limitation du droit d’accès des requérants à un tribunal, résultant de l’immunité de juridiction dont bénéficient en principe les résolutions du Conseil de sécurité adoptées au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies, est inhérente à ce droit, tel qu’il est garanti par le jus cogens. L’intérêt des requérants à voir leur cause entendue sur le fond par un tribunal n’est pas suffisant pour l’emporter sur l’intérêt général essentiel qu’il y a à ce que la paix et la sécurité internationales soient maintenues face à une menace clairement identifiée par le Conseil de sécurité, conformément aux dispositions de la charte des Nations unies. Dès lors, le droit des requérants à un recours juridictionnel effectif n’est pas violé.

(cf. points 334-335, 337-344, 346)