Language of document : ECLI:EU:C:2021:812

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAL BOBEK

présentées le 6 octobre 2021 (1)

Affaires jointes C59/18 et C182/18

République italienne (C59/18)

Comune di Milano (C182/18)

contre

Conseil de l’Union européenne

Affaire C743/19

Parlement européen

contre

Conseil de l’Union européenne

« Recours en annulation – Agences de l’Union – Agence européenne des médicaments et Autorité européenne du travail – Sièges – Champ d’application de l’article 341 TFUE – Compétence pour établir le siège des agences – Décisions adoptées par les représentants des États membres en marge des réunions du Conseil pour déterminer le site d’implantation du siège des agences – Nature juridique – Auteur de l’acte – Compétence de la Cour au titre de l’article 263 TFUE – Absence d’effets contraignants dans l’ordre juridique de l’Union »






I.      Introduction

1.        En novembre 2017, à la suite de la notification par le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de son intention de quitter l’Union européenne, les représentants des gouvernements des États membres ont choisi, en marge d’une réunion du Conseil de l’Union européenne, la ville d’Amsterdam (Pays-Bas) pour remplacer Londres (Royaume-Uni) en tant que nouvelle localisation du siège de l’Agence européenne des médicaments (EMA). En juin 2019, les représentants des gouvernements des États membres ont également décidé d’un commun accord que l’Autorité européenne du travail (ELA) nouvellement créée aurait son siège à Bratislava (Slovaquie).

2.        Dans les affaires jointes C‑59/18 et C‑182/18 (ci-après les « affaires EMA »), la République italienne et la commune de Milan (Italie) contestent respectivement la décision des représentants des gouvernements des États membres de relocaliser le siège de l’EMA à Amsterdam. Dans l’affaire C‑743/19 (ci‑après l’« affaire ELA »), le Parlement européen conteste la décision des représentants des États membres de fixer le siège de l’ELA à Bratislava.

3.        Ces recours soulèvent plusieurs questions importantes. Premièrement, une décision collective des représentants des États membres peut-elle faire l’objet d’un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE ? Deuxièmement, les décisions des représentants des États membres concernant la fixation du siège des agences de l’Union relèvent-elles du champ d’application de l’article 341 TFUE ? Troisièmement, quel est le statut juridique, en vertu du droit de l’Union, des décisions des représentants des États membres qui ne sont pas prévues par les traités ? Étant donné que ces questions constitutionnelles sont communes aux trois affaires concernées, je les traiterai ensemble dans les présentes conclusions.

4.        À la suite de la décision des représentants des gouvernements des États membres, le règlement (UE) 2018/1718 (2) a prévu qu’Amsterdam serait le site d’implantation du nouveau siège de l’EMA. Ce règlement a été contesté par deux recours formés respectivement par la République italienne (C‑106/19) et la commune de Milan (C‑232/19). Je traite ces affaires conjointement dans des conclusions parallèles, présentées le même jour que les présentes conclusions (3).

II.    Le cadre juridique

5.        L’article 341 TFUE dispose :

« Le siège des institutions de l’Union est fixé du commun accord des gouvernements des États membres. »

6.        Le 12 décembre 1992, les représentants des gouvernements des États membres ont adopté d’un commun accord, sur le fondement de l’article 216 du traité CEE, de l’article 77 du traité CECA et de l’article 189 du traité Euratom, la décision relative à la fixation des sièges des institutions et de certains organismes et services des Communautés européennes (ci-après la « décision d’Édimbourg ») (4).

7.        L’article 1er de la décision d’Édimbourg fixe les sièges respectifs du Parlement, du Conseil, de la Commission européenne, de la Cour de justice de l’Union européenne, du Comité économique et social européen, de la Cour des comptes de l’Union européenne et de la Banque européenne d’investissement. L’article 2 de cette décision a prévu que « [l]e siège d’autres organismes et services créés ou à créer sera décidé d’un commun accord par les représentants des gouvernements des États membres lors d’un prochain Conseil européen, en tenant compte des avantages des dispositions ci‑dessus pour les États membres intéressés, et en donnant une priorité appropriée aux États membres qui, à l’heure actuelle, n’abritent pas le siège d’une institution des Communautés ».

8.        Conformément au protocole no 6 sur la fixation des sièges des institutions et de certains organes, organismes et services de l’Union européenne (ci-après le « protocole no 6 »), annexé au traité sur l’Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne par le traité d’Amsterdam :

« Les représentants des gouvernements des États membres,

Vu l’article 341 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et l’article 189 du traité instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique,

Rappelant et confirmant la décision du 8 avril 1965, et sans préjudice des décisions concernant le siège des institutions, organes, organismes et services à venir,

Sont convenues des dispositions ci‑après [...] :

Article unique

a)      Le Parlement européen a son siège à Strasbourg [...]

b)      Le Conseil a son siège à Bruxelles […]

c)      La Commission a son siège à Bruxelles [...]

d)      La Cour de justice de l’Union européenne a son siège à Luxembourg.

e)      La Cour des comptes a son siège à Luxembourg.

f)      Le Comité économique et social a son siège à Bruxelles.

g)      Le Comité des régions a son siège à Bruxelles.

h)      La Banque européenne d’investissement a son siège à Luxembourg.

i)      La Banque centrale européenne a son siège à Francfort.

j)      L’Office européen de police (Europol) a son siège à La Haye. »

III. Le cadre des litiges et les procédures devant la Cour

A.      Les affaires EMA

9.        L’agence européenne pour l’évaluation des médicaments a été créée par le règlement (CEE) no 2309/93 du Conseil, du 22 juillet 1993, établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance des médicaments à usage humain et à usage vétérinaire et instituant une agence européenne pour l’évaluation des médicaments (5).

10.      Le 29 octobre 1993, les chefs d’État ou de gouvernement des États membres ont décidé d’un commun accord qu’elle aurait son siège à Londres (6).

11.      Le règlement no 2309/93 a été par la suite abrogé et remplacé par le règlement (CE) no 726/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire, et instituant une Agence européenne des médicaments (7). Par ce règlement, l’Agence européenne pour l’évaluation des médicaments a été renommée « Agence européenne des médicaments » (EMA). Ledit règlement ne contenait pas la moindre disposition quant à la fixation du siège de cette dernière.

12.      Le 29 mars 2017, conformément à l’article 50, paragraphe 2, TUE, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a notifié au Conseil européen son intention de quitter l’Union.

13.      Le 22 juin 2017, en marge d’une réunion du Conseil européen (article 50), les chefs d’État ou de gouvernement des 27 autres États membres ont accepté, à la proposition du président du Conseil européen et du président de la Commission, la procédure de transfert du siège de l’EMA et de l’Autorité bancaire européenne vers d’autres sites (ci-après les « règles de sélection ») (8).

14.      Ces règles ont prévu, notamment, que la décision relative au futur siège des deux agences devait être prise sur le fondement d’un processus décisionnel équitable et transparent, comprenant l’organisation d’un appel d’offres pour accueillir le siège fondé sur des critères objectifs précis. Six critères ont été prévus au point 3 des règles de sélection, à savoir i) l’assurance que l’agence peut être créée à l’endroit proposé et exercer ses fonctions à la date du retrait du Royaume‑Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union ; ii) l’accessibilité du site d’implantation ; iii) l’existence d’établissements scolaires adéquats pour les enfants du personnel des agences ; iv) un accès adéquat au marché du travail, à la sécurité sociale et aux soins médicaux pour les enfants et les conjoints ; v) la continuité de l’activité, et vi) l’équilibre géographique.

15.      Il a été indiqué dans les règles de sélection que ces critères se fondent, par analogie, sur les critères pris en considération pour prendre une décision relative au siège d’une agence, visés au point 6 de la déclaration commune et de l’approche commune sur les agences décentralisées (9), une attention particulière étant accordée au fait que les deux agences en question existent déjà et que la continuité de leurs activités est primordiale et doit être garantie.

16.      Les règles de sélection ont également prévu que la décision serait prise au moyen d’une procédure de vote, dont les États membres conviennent par avance de respecter le résultat (10). En particulier, il était indiqué que, en cas de partage des voix entre les offres restantes au troisième tour de scrutin, la décision serait prise par la présidence, qui procéderait à un tirage au sort entre les offres se retrouvant ex æquo.

17.      Le 30 septembre 2017, la Commission a publié son évaluation des 27 offres présentées par les États membres (11). Le 31 octobre 2017, le Conseil a publié une note complétant les règles de sélection sur des questions pratiques concernant le vote (12).

18.      Le 20 novembre 2017, l’offre de la République italienne et celle du Royaume des Pays-Bas ont reçu le même nombre de voix au troisième tour de scrutin. L’offre du Royaume des Pays-Bas a été retenue par la suite après tirage au sort entre les offres se retrouvant ex æquo.

19.      En conséquence, à cette même date, les représentants des États membres ont choisi, en marge de la 3 579e réunion du Conseil, en formation « Affaires générales », la ville d’Amsterdam comme nouveau siège de l’EMA (ci-après la « décision attaquée dans les affaires EMA »). Cette décision a été annoncée dans le procès-verbal de la réunion du Conseil (13) et a été publiée au moyen d’un communiqué de presse (14). Tant dans le procès-verbal que dans le communiqué de presse, il a été indiqué que « la Commission va maintenant élaborer des propositions législatives tenant compte du vote de ce jour, en vue de leur adoption dans le cadre de la procédure législative ordinaire, avec la participation du Parlement européen. Le Conseil et la Commission sont résolus à faire en sorte que ces propositions législatives soient traitées aussi rapidement que possible, compte tenu de l’urgence de la question ».

20.      Le 29 novembre 2017, la Commission a adopté une proposition de projet de règlement modifiant le règlement no 726/2004 concernant le site d’implantation du siège de l’EMA. Dans l’exposé des motifs, ce projet de règlement a notamment indiqué que « les États membres, en marge du Conseil, Affaires générales (article 50), ont choisi Amsterdam (Pays-Bas), comme nouveau siège de l’[EMA] ».

21.      Sur ce fondement, le règlement no 726/2004 a été modifié par le règlement 2018/1718 (15). Celui-ci prévoit à présent que « [l]’Agence a son siège à Amsterdam, aux Pays‑Bas » (16).

22.      Dans ce contexte, la République italienne et la commune de Milan ont engagé des procédures contre le Conseil au titre de l’article 263 TFUE.

23.      Dans l’affaire C‑59/18, la République italienne demande à la Cour i) de condamner le Royaume des Pays-Bas, l’EMA et tout autre institution ou organe à fournir toutes les informations nécessaires établissant la pertinence de la ville d’Amsterdam comme nouveau siège de l’EMA ; ii) d’annuler la décision attaquée en ce qu’elle désigne Amsterdam comme nouveau siège de l’EMA, et iii) d’octroyer ce siège à la ville de Milan.

24.      Le Conseil, soutenu par le Royaume des Pays‑Bas et la Commission, demande à la Cour de rejeter ce recours comme étant irrecevable ou infondé et de condamner la République italienne aux dépens. Si le recours de la République italienne était accueilli, celui-ci demande également à la Cour de maintenir les effets juridiques de la décision attaquée jusqu’à ce qu’une nouvelle procédure de sélection ait lieu.

25.      Dans l’affaire C‑182/18 (17), la commune de Milan, soutenu par la République italienne et la Regione Lombardia (région Lombardie, Italie), demande à la Cour d’annuler la décision attaquée en ce qu’elle a désigné Amsterdam comme nouveau siège de l’EMA et de condamner le Conseil aux dépens.

26.      Le Conseil, soutenu par le Royaume des Pays‑Bas et la Commission, demande à la Cour de rejeter ce recours comme étant irrecevable ou infondé et de condamner la commune de Milan aux dépens. Si le recours de la commune de Milan était accueilli, celui-ci demande également à la Cour de maintenir les effets juridiques de la décision attaquée jusqu’à ce qu’une nouvelle procédure de sélection ait lieu.

27.      Le 17 avril 2018, le Conseil a introduit une exception d’irrecevabilité dans chacune de ces affaires conformément à l’article 151, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour. Par décision du 18 septembre 2018, la Cour a décidé de réserver sa décision sur cette exception en la joignant au fond.

28.      Le 2 juillet 2018, le vice-président de la Cour a rejeté la demande de la commune de Milan de suspendre la décision attaquée (18).

29.      Le 19 décembre 2019, le président de la Cour a décidé de joindre les deux affaires aux fins de l’arrêt.

30.      Des observations écrites ont été présentées par le gouvernement italien, la commune de Milan, la région Lombardie, le Conseil, le gouvernement des Pays‑Bas, ainsi que la Commission.

31.      Le gouvernement italien, la commune de Milan, la région Lombardie, le Parlement, le Conseil, les gouvernements tchèque, irlandais, espagnol, français, luxembourgeois, néerlandais et slovaque, ainsi que la Commission, ont présenté une argumentation orale à l’audience qui a eu lieu le 8 juin 2021. Cette audience a été organisée en commun pour les présentes affaires jointes C‑59/18 et C‑182/18, pour les affaires jointes C‑106/19 et C‑232/19 (ci-après les « affaires EMA 2 »), ainsi que pour l’affaire ELA.

B.      L’affaire ELA

32.      Le 13 mars 2018, la Commission a présenté au Parlement et au Conseil une proposition de projet de règlement portant création d’une Autorité européenne du travail (ci-après le « projet de règlement »)(19). Le siège de cette autorité devait être mentionné à l’article 4. Cependant, au cours des négociations interinstitutionnelles intervenues de janvier à février 2019, le Parlement et le Conseil ont considéré qu’ils ne disposaient pas des éléments nécessaires pour établir le siège de l’ELA et ont donc décidé de reporter ce choix. En conséquence, ils ont retiré l’article 4 du projet de règlement et décidé d’indiquer les motifs de cette décision dans une déclaration commune du Parlement, du Conseil et de la Commission qui serait annexée au projet de règlement une fois adopté.

33.      Le 13 mars 2019, en marge d’une réunion du Comité des représentants permanents (Coreper I), les représentants des gouvernements des États membres ont approuvé d’un commun accord la procédure et les critères permettant de décider du siège de l’ELA (20). Les règles de sélection ont précisé que les critères applicables au siège de l’ELA se fondaient sur le point 6 de l’approche commune annexée à la déclaration commune de 2012 du Parlement, du Conseil et de la Commission sur les agences décentralisées (21). Ces critères sont i) l’équilibre géographique ; ii) la date à laquelle l’Agence peut être établie sur le site après l’entrée en vigueur de son acte fondateur ; iii) l’accessibilité du site d’implantation ; iv) l’existence d’établissements scolaires adéquats pour les enfants du personnel des agences, et v) un accès adéquat au marché du travail, à la sécurité sociale et aux soins médicaux pour les enfants et les conjoints.

34.      Les règles de la procédure de sélection ont également prévu que toute offre concernant l’accueil d’une agence doit être adressée au secrétaire général du Conseil, avec copie au secrétaire général de la Commission, et que toutes seront publiées sur le site Internet du Conseil. La Commission procédera à un examen général de toutes les offres et précisera dans quelle mesure chaque offre répond aux critères demandés. Le secrétaire général du Conseil transmettra ensuite cette évaluation aux États membres et la rendra publique. Une discussion politique parmi les représentants des États membres sera par la suite tenue en marge d’une réunion du Coreper I. La procédure de vote aura lieu ultérieurement en marge d’une session du Conseil EPSCO à Luxembourg (Luxembourg). Elle devrait se composer de tours de scrutin successifs qui ne devraient pas comprendre de tirages au sort. Le scrutin aura lieu jusqu’à ce qu’une offre recueille la majorité des voix. La décision relative au siège de l’ELA, tenant compte du résultat de la procédure de vote, sera ensuite confirmée d’un commun accord entre les représentants des États membres lors de la même session (22).

35.      Le 16 avril 2019, le Parlement a adopté, par une résolution législative (23), le projet de règlement en première lecture. Une annexe de cette résolution contient la déclaration commune susmentionnée (24) du Parlement, du Conseil et de la Commission. Dans cette déclaration, ces trois institutions « notent que le processus de sélection du siège de l’Autorité européenne du travail [(ELA)] n’est pas encore achevé au moment de l’adoption de son règlement fondateur. [...] Le Parlement européen et le Conseil prennent note de l’intention de la Commission de prendre toutes les mesures nécessaires pour que le règlement fondateur prévoie une disposition relative à l’emplacement du siège de l’Autorité européenne du travail, et propre à garantir l’autonomie de son fonctionnement, conformément audit règlement » (25).

36.      Le 5 juin 2019, sur le fondement de l’évaluation réalisée par la Commission des quatre offres qui étaient présentées [à savoir Sofia (Bulgarie), Nicosie (Chypre), Riga (Lettonie) et Bratislava (Slovaquie)], les représentants des États membres ont examiné ces offres en marge d’une réunion du Coreper.

37.      Le 13 juin 2019, le Conseil a approuvé la position du Parlement en première lecture. Le projet de règlement proposé a donc été adopté sur le fondement de l’article 294, paragraphe 4, TFUE (26).

38.      Le même jour, en marge de cette réunion du Conseil, une majorité des représentants des gouvernements des États membres ont voté en faveur de l’offre présentée par la Slovaquie. Ils ont ainsi adopté d’un commun accord la décision (UE) 2019/1199, selon laquelle l’ELA aurait son siège à Bratislava (ci-après la « décision attaquée dans l’affaire ELA ») (27). Il a été envisagé que cette décision serait publiée au Journal officiel de l’Union européenne et qu’elle entrerait en vigueur à la date de sa publication.

39.      Le 20 juin 2019, le Parlement et le Conseil ont adopté le règlement (UE) 2019/1149 établissant l’ELA (28). Ce règlement ne contient aucune disposition concernant le site d’implantation du siège de l’ELA.

40.      Ce règlement a été publié au Journal officiel le 11 juillet 2019. La décision attaquée fixant le siège de l’ELA à Bratislava a été, pour sa part, publiée au Journal officiel le 15 juillet 2019.

41.      Dans ce contexte, le Parlement a engagé une procédure contre le Conseil au titre de l’article 263 TFUE. Le Parlement soutient que la Cour devrait annuler la décision attaquée dans l’affaire ELA et condamner le Conseil aux dépens.

42.      Le Conseil, soutenu par l’ensemble des États membres intervenants, avance que la Cour devrait rejeter le recours du Parlement comme étant irrecevable ou infondé et condamner le Parlement aux dépens. Le Conseil demande également à la Cour, si cette dernière décide d’accueillir le recours du Parlement, de maintenir les effets de la décision attaquée tant que celle-ci est nécessaire pour déterminer un nouveau siège de l’ELA.

43.      Des observations écrites ont été présentées par le Parlement, le Conseil, les gouvernements belge, tchèque, danois, irlandais, grec, espagnol, français, luxembourgeois, hongrois, néerlandais, polonais, slovaque et finlandais.

44.      Le gouvernement italien, la commune de Milan, la région Lombardie, le Parlement, le Conseil, les gouvernements tchèque, irlandais, espagnol, français, luxembourgeois, néerlandais et slovaque, ainsi que la Commission, ont présenté une argumentation orale à l’audience qui a eu lieu le 8 juin 2021. Cette audience a été organisée en commun pour la présente affaire ELA, ainsi que pour les affaires EMA et pour les affaires EMA 2.

IV.    Analyse

45.      Les présentes conclusions sont structurées comme suit. Tout d’abord, j’examinerai les actes susceptibles de faire l’objet d’un recours au titre de l’article 263 TFUE, et j’analyserai dans quelle mesure, le cas échéant, les décisions des représentants des États membres peuvent faire l’objet d’un recours en annulation devant les juridictions de l’Union (section A). J’examinerai ensuite le champ d’application de l’article 341 TFUE, sur le fondement duquel les décisions attaquées dans les affaires EMA et ELA sont supposées avoir été adoptées (section B). Ce n’est qu’après avoir examiné ces deux points en détail que je serai en mesure d’apprécier les décisions attaquées afin de déterminer si celles-ci peuvent être contestées au titre de l’article 263 TFUE et de préciser leur nature juridique en vertu du droit de l’Union (section C).

A.      Qu’est-ce qu’un acte attaquable au titre de l’article 263 TFUE ?

46.      L’Union européenne est une Union de droit ayant établi un système complet de voies de recours et de procédures destiné à confier à la Cour le contrôle de la légalité des actes des institutions de l’Union (29). Dans ce cadre, il est de jurisprudence constante que le recours en annulation, prévu à l’article 263 TFUE, soit ouvert à l’égard de toutes dispositions prises par les institutions, quelles qu’en soient la nature ou la forme, qui visent à produire des effets juridiques contraignants (30).

47.      Les recours en annulation au titre de l’article 263, premier alinéa, TFUE sont donc recevables s’ils satisfont deux conditions. D’une part, ceux-ci doivent porter sur des actes ayant été adoptés par des institutions, des organes ou des organismes de l’Union (ci-après la « condition de l’auteur ») (31). D’autre part, ces recours doivent être dirigés contre des actes produisant des effets de droit contraignants (ci-après la « condition de l’acte contraignant ») (32).

1.      La condition de l’auteur

48.      L’objet des actions en annulation est de vérifier la légalité d’un acte de l’Union. Par conséquent, la Cour n’est compétente en matière d’actes nationaux que dans des cas exceptionnels, si ces actes sont simplement préparatoires à l’adoption d’une décision définitive d’une institution de l’Union dans le cadre d’une procédure administrative mixte (33), ou si cette compétence est établie sans équivoque dans les traités (34).

49.      En principe, la Cour n’est pas compétente pour examiner la validité des mesures adoptées par les autorités nationales. La Cour a appliqué cette logique tant aux mesures prises individuellement par une autorité d’un seul État membre (35), qu’aux actes collectifs des États membres par lesquels ces derniers travaillent ensemble dans l’exercice de leurs compétences individuelles.

50.      Parmi les exemples de la dernière catégorie figurent, en particulier, les décisions des représentants des États membres, prises généralement en marge d’une réunion du Conseil (36). Selon la Cour, « les actes adoptés par les représentants des États membres agissant non pas en qualité de membres du Conseil, mais en qualité de représentants de leur gouvernement, et exerçant ainsi collectivement les compétences des États membres[,] ne sont pas soumis au contrôle de légalité exercé par [le juge de l’Union] » (37).

51.      Cette dernière affirmation a été faite en 1993 dans l’arrêt Parlement/Conseil qui concernait une décision adoptée par les États membres à une session du Conseil en vue d’accorder une aide spéciale au Bangladesh et figurait à un point du procès-verbal d’une réunion du Conseil. La même approche a été récemment confirmée par la Cour dans le cadre spécifique d’une décision des représentants des gouvernements des États membres nommant des membres à la Cour sur le fondement de l’article 253 TFUE (38). Dans cette affaire, la Cour a indiqué sans équivoque que le critère pertinent ainsi retenu par la Cour pour exclure la compétence des juridictions de l’Union pour connaître d’un recours juridictionnel dirigé contre de tels actes, adoptés par les États membres en leur qualité d’États membres, est donc celui relatif à leur auteur, indépendamment de leurs effets juridiques contraignants (39).

52.      Il s’ensuit que, en l’absence de toute disposition y figurant qui conférerait une compétence à la Cour sur le fondement de l’article 273 TFUE (40), les décisions collectives des États membres ne sont pas susceptibles de contrôle juridictionnel au titre de l’article 263 TFUE, ainsi que cela ressort du libellé clair de ce dernier et de l’intention des auteurs des traités (41).

53.      L’exclusion de la compétence de la Cour sur les actes nationaux va dans le sens de la répartition classique des tâches (judiciaires) dans l’Union. La délimitation entre la compétence juridictionnelle de l’Union et celle des États membres dépend en effet principalement de la paternité formelle. Il appartient à la Cour d’examiner la légalité des actes de l’Union. Il appartient aux juridictions nationales d’examiner les actes des États membres, éventuellement en coopération avec la Cour lorsque le contenu de ces actes se fonde sur le droit de l’Union (42). Cette distinction découle logiquement du pouvoir d’annulation : la Cour n’est, en général, pas compétente pour annuler des actes nationaux, tandis que les juridictions nationales ne peuvent pas annuler des actes de l’Union (43).

2.      La requalification juridictionnelle de l’auteur ?

54.      Dans une certaine mesure, l’arrêt Parlement/Conseil nuance, cependant, cette distinction à l’égard des actes collectifs des États membres. Dans cette affaire, bien qu’informée par les acteurs (les États membres) que le texte qui avait été adopté était une décision des États membres, la Cour n’a pas considéré cette conclusion comme étant acquise. En revanche, elle a procédé à un examen au fond de la décision en question afin de déterminer si ces actes étaient, ou pas, en réalité, des décisions du Conseil. À cet effet, la Cour a regardé le « contenu et l’ensemble des circonstances » dans lesquelles l’acte collectif en question a été adopté (44).

55.      En adoptant cette approche, la Cour a essentiellement cherché à garantir que l’apparence d’une décision des États membres (insusceptible de recours) n’avait pas pour effet de dissimuler une décision du Conseil (susceptible de recours). La logique sous-tendant cette approche est que le contenu d’une décision formellement adoptée par les États membres et les circonstances relatives à son adoption peuvent révéler que le Conseil est le véritable auteur de cette décision. Par conséquent, la Cour peut être amenée à déterminer « ex post facto » le véritable auteur d’un acte dans les cas où l’identité de l’auteur est contestée.

56.      Cette possibilité, à savoir celle selon laquelle l’auteur formel d’un acte peut être par la suite « corrigé » par la Cour compte tenu du contenu de cet acte et des circonstances dans lesquelles celui-ci a été adopté, appelle plusieurs observations.

57.      En premier lieu, cette correction du critère de l’auteur formel fondée sur le contenu ne peut, logiquement, être appliquée qu’afin de déterminer si un acte a été adopté par les États membres ou par  le Conseil ou le Conseil européen. Cela est dû à la double fonction ou à la « double casquette » que les États membres possèdent dans le contexte de l’intégration européenne, selon qu’ils exercent des fonctions intergouvernementales (en leur qualité d’États membres) ou des fonctions supranationales (en leur qualité de membres du Conseil ou du Conseil européen).

58.      Dans le cas des autres institutions de l’Union, des doutes quant à l’identité du véritable auteur d’un acte ne peuvent simplement pas survenir, car les membres les composant n’ont pas cette fonction duale. Ce qui pourrait peut-être seulement se poser, dans de très rares circonstances, serait des litiges factuels quant à l’identité de l’auteur d’un acte dans des affaires où l’origine d’un document donné était dépourvue de clarté. Cependant, au niveau normatif, sur le fondement de la compétence, une fois l’auteur connu, un acte de la Commission sera toujours un acte de la Commission. De la même manière, un acte du Parlement sera toujours un acte du Parlement. Des doutes ne peuvent apparaître qu’à l’égard des actes du Conseil et du Conseil européen et des actes des États membres.

59.      Cependant, cette observation révèle la vraie nature du critère posé par l’arrêt Parlement/Conseil. À la lumière de sa formulation, celui‑ci semble être un critère factuel (quel est le contenu et qu’étaient les circonstances dans lesquelles l’acte contesté a été adopté ?). Cependant, sa vraie nature est plutôt celle d’une correction du critère de l’auteur formel normative, fondée sur la compétence dans des situations factuelles éventuelles (qui, selon une interprétation appropriée des dispositions pertinentes du droit de l’Union, était supposé prendre une décision donnée ?). En revenant à la métaphore de la casquette, la vraie question à poser vise à savoir quelle était la bonne casquette que les États membres auraient dû porter en prenant une telle décision. En raisonnant à l’inverse de cette constatation, il peut être nécessaire ex post facto de réajuster l’auteur et donc, en partie, la nature de l’acte adopté par les États membres.

60.      En deuxième lieu, la correction du critère de l’auteur formel fondée sur le contenu est le résultat de la transposition à l’identification du véritable auteur d’un acte de l’approche utilisée par la Cour pour déterminer l’existence d’effets de droit contraignants dans les actes de l’Union qui pourraient sembler à première vue en être privés en raison de leur forme (45). Dans ce dernier cadre, la Cour n’examine pas simplement l’« enveloppe » de la mesure en question, mais examine en revanche plus étroitement son contenu et son objet réels afin d’assurer une protection juridictionnelle effective à l’encontre de ces actes des organes de l’Union qui pourraient en fait produire des effets de droit contraignants en dépit de leur forme (non contraignante). Cette approche, appliquée à l’auteur, signifie que la Cour s’assurera que l’acte en question n’est pas artificiellement déguisé en un acte insusceptible de recours sur le fondement d’une simple déclaration que les États membres sont les auteurs de l’acte.

61.      En 2017, le Tribunal a appliqué cette logique et a constaté que, « nonobstant les termes regrettablement ambigus de la déclaration UE‑Turquie » (46) sur un plan d’action commun tendant à renforcer leur coopération, en matière de gestion migratoire, c’est en leur qualité de chefs d’État ou de gouvernement des États membres que les représentants de ces États membres ont rencontré le Premier ministre turc dans les locaux partagés par le Conseil européen et le Conseil (47).

62.      Afin de parvenir à la conclusion que la déclaration en question n’était pas imputable au Conseil européen, le Tribunal a successivement examiné plusieurs éléments factuels, comme la nature des réunions qui avaient été tenues antérieurement par les chefs d’État ou de gouvernement des États membres ; la présentation de la déclaration en comparaison avec les déclarations antérieures ; les termes employés, le contenu de la déclaration ; la forme sous laquelle elle a été publiée ; les documents relatifs à la réunion où la déclaration en question a été adoptée. Le Tribunal est même allé jusqu’à examiner les invitations à dîner et à déjeuner afin de conclure que deux événements distincts (la réunion du Conseil européen et un sommet international) avaient été « organisés de manière parallèle selon des voies distinctes sur le plan juridique, protocolaire et organisationnel corroborant la nature juridique distincte de ces deux évènements » (48).

63.      Selon moi, les ordonnances du Tribunal démontrent que transposer l’approche prévalant à l’égard de la correction du critère de l’auteur formel fondée sur le contenu, utilisée pour déterminer la nature contraignante de l’acte, à la décision sur son auteur (ou plutôt pour contourner l’auteur) est problématique. Examiner des éléments de preuve circonstanciels, factuels a du sens si l’on essaie d’établir l’existence d’effets de droit contraignants parce qu’une telle analyse est centrée sur les caractéristiques intrinsèques d’un acte d’une institution qui a les pouvoirs nécessaires pour adopter un acte contraignant. Ce n’est cependant pas le cas dans le cadre de la question plutôt normative de savoir si les États membres ou le Conseil (ou le Conseil européen) sont supposés être l’auteur de l’acte.

64.      En outre, en pratique, examiner des éléments factuels aux fins de cette détermination doit aboutir à une constatation peu concluante concernant l’identité du véritable auteur de l’acte en question. La raison en est qu’une décision collective prise par tous les États membres en marge d’une réunion du Conseil doit sembler, s’agissant des faits, très semblable à une décision du Conseil (ou du Conseil européen). Les deux décisions sont effectivement susceptibles d’impliquer les mêmes acteurs (c’est-à-dire les États membres), ont un contenu lié à l’Union, sont publiées au Journal officiel et impliquent à un même degré la Commission et le Conseil, au moins par l’intermédiaire du secrétariat de ce dernier (et de son service juridique en cas de litige)(49).

65.      Par ailleurs, ce qui prête peut-être le plus à confusion est que, si le (véritable) critère de l’auteur était effectivement un critère factuel (qui a signé un traité ou qui a adopté une décision), et non normatif, dépendant de la compétence (qui devait dûment signer un traité, qui devait dûment adopter une décision), on devrait en principe escompter que des éléments de preuve soient produits et en particulier demandés par le juge de l’Union pour qu’ils soient directement pertinents et concluants pour la question factuelle à résoudre dans le cadre d’une procédure donnée. Si le litige factuel devant une juridiction porte sur le point de savoir « qui a signé le document concerné », la plupart des juridictions demanderaient alors simplement aux parties de produire ce document (éventuellement confidentiel) afin de déterminer l’auteur de la signature figurant sur ledit document. Ce n’est que si aucun document n’existe en fait, et si cela est confirmé par les témoignages ou déclarations sous serment pertinents, que l’on serait finalement susceptible d’être obligé de procéder à un contrôle juridictionnel des menus des dîners (50).

66.      Dans les présentes affaires, les arguments avancés par le gouvernement italien et la commune de Milan dans les affaires EMA, ainsi que par le Parlement dans l’affaire ELA, constituent une nouvelle illustration du caractère peu concluant de l’approche par « le contenu et les circonstances » pour déterminer « sous quelle casquette » les États membres ont adopté les décisions attaquées. Des questions comme le point de savoir si les infrastructures et les installations du Conseil ont été utilisées, ou si d’autres institutions de l’Union ont participé d’une quelconque manière au processus décisionnel, n’aident guère à déterminer la fonction au titre de laquelle les États membres ont agi (auraient dû agir).

67.      Ce point souligne, encore une fois, le fait que ces questions factuelles donneront peu d’orientations lorsque la véritable question est celle de la compétence. La véritable question n’est pas de savoir qui était l’auteur, mais qui aurait dû être l’auteur. Des éléments de preuve factuels seront principalement (si ne n’est uniquement) pertinents dans ces affaires où l’identité de l’auteur formel est simplement inconnue, où il n’existe donc aucune indication particulière dans l’acte lui‑même identifiant les États membres ou le Conseil.

68.      En troisième lieu, il existe également la question de la « direction » éventuelle de la correction du critère de l’auteur formel. Fonctionne-t-elle, ou plutôt devrait-elle fonctionner, dans les deux sens ? Dans l’arrêt de 1993 Parlement/Conseil, l’introduction de la correction du critère de l’auteur formel fondée sur le contenu se fondait apparemment sur l’idée selon laquelle la Cour devrait établir la compétence au titre de l’article 263 TFUE sur ces actes qui ont été adoptés formellement par les États membres et sont donc à première vue insusceptibles de recours, mais qui semblent être des actes du Conseil déguisés. Par conséquent, ce qui avait été antérieurement formellement exclu a été ensuite inclus de nouveau.

69.      L’orientation des ordonnances du Tribunal examinées ci-dessus était, cependant, exactement opposée. Ce qui était, au moins dans un communiqué de presse, formellement qualifié d’« accord “UE-Turquie” » a été par la suite requalifié par le Tribunal comme ayant réellement été adopté non pas par le Conseil (ou le Conseil européen), mais par les États membres. Ainsi, ce qui relevait apparemment auparavant de la compétence du juge de l’Union est devenu, sur le fond, exclu de cette même compétence.

70.      En quatrième lieu et enfin, le débat précédent illustre la vraie nature du critère, évoquée ci-dessus : si le critère développé dans l’arrêt Parlement/Conseil relatif à l’identité sous laquelle les États membres ont agi dans un cas spécifique doit avoir une signification logique, il doit, de par sa nature, être normatif et non factuel. La véritable question à traiter ici ne concerne pas l’auteur (qui sera toujours les mêmes 27 personnes dans une pièce), mais la fonction que ces personnes exerçaient en adoptant l’acte (ces 27 personnes agissaient-elles, à ce moment-là, en tant que Conseil ou en qualité de représentants de leurs gouvernements ?). Cette dernière question est donc inévitablement une question de pouvoir et de compétence. L’acte en cause est-il relatif à une compétence des États membres (de sorte que celui-ci devrait avoir été adopté par les États membres agissant en tant qu’États membres) ou à une compétence de l’Union (de sorte que celui-ci devrait avoir été adopté par les États membres agissant en tant que Conseil) ?

71.      Plus précisément, en ce qui concerne les décisions attaquées, devraient‑elles être imputées au Conseil, car établir le siège d’une agence relève de la compétence de l’Union, et une telle décision ne pourrait donc être prise que par le Parlement et le Conseil, et non par les États membres ? Il s’agit de la position essentiellement adoptée par le gouvernement italien et la commune de Milan dans les affaires EMA. Pour sa part, le Parlement n’est pas allé jusqu’à affirmer que la décision attaquée dans l’affaire ELA était imputable au Conseil au motif que cette décision aurait dû être prise par le Conseil. Cependant, le Parlement a consacré une part importante de son raisonnement à suggérer que la question de la compétence est un élément pertinent, avançant que la décision attaquée peut faire l’objet d’un recours en annulation en vertu de l’article 263 TFUE.

3.      S’il est connu, l’auteur reste, en principe, l’auteur

72.      Il est certainement vrai que la (re)qualification, sur le fondement de la compétence de l’Union, d’un acte collectif des États membres en un acte du Conseil présenterait un certain nombre d’avantages. D’une part, elle protégerait en effet solidement l’intégrité de l’ordre juridique de l’Union en assurant le respect des compétences de l’Union et de l’équilibre institutionnel au sein de l’Union. D’autre part, elle peut améliorer la protection juridictionnelle (par le juge de l’Union) dans la mesure où toutes les juridictions nationales ne sont sans doute pas totalement compétentes pour examiner la légalité de décisions collectives des États membres, quand bien même elles pourraient être éventuellement compétentes pour examiner la participation de leurs gouvernements respectifs au processus décisionnel collectif.

73.      Cependant, cette correction du critère de l’auteur formel normative fondée sur la compétence de l’auteur formel a également d’importants inconvénients. En procédant à une comparaison, ces inconvénients dominent largement les avantages éventuels.

74.      En premier lieu, contrairement à la nature (contraignante ou autre) d’un acte, où le fond devrait naturellement l’emporter sur la forme, l’auteur est l’auteur. En laissant encore de côté les rares cas où l’auteur est en effet factuellement peu clair, il est difficile d’étendre la même approche aux cas où l’auteur est factuellement clair, mais est contesté par d’autres acteurs simplement en matière de pouvoir et de compétence. Encore une fois, s’il ne s’agissait pas de la double casquette Conseil/États membres, la question ne se poserait même pas. Il serait effectivement assez étrange que quelqu’un cherche à engager, par exemple, un recours contre la Commission en alléguant que l’acte en cause a été en fait adopté par le Parlement.

75.      En deuxième lieu, à l’égard des États membres spécifiquement, il va sans dire que, au-delà ou hors du cadre du droit de l’Union, ceux‑ci sont souverains. La règle est donc que les États membres demeurent libres d’agir, à moins qu’ils ne soient limités par une disposition spécifique du droit de l’Union.

76.      En troisième lieu, comment la compétence de l’Union serait-elle déterminée dans un tel contexte où, par défaut, les États membres sont libres d’agir ? Pour commencer, de nos jours, presque tous les sujets peuvent potentiellement être considérés comme relevant (d’un certain type) de la compétence de l’Union. S’agissant des vastes domaines des compétences partagées, il n’est pas toujours facile de déterminer en pratique si une certaine question a déjà été « préemptée » par l’Union ou si les États membres peuvent toujours adopter des règles autonomes (51). En particulier, serait-il nécessaire à la Commission, à des fins de préemption, de lancer formellement la procédure législative ordinaire, incluant expressément la matière en cause dans son champ d’application, ou serait-il suffisant de constater que cette matière est généralement régie par le droit de l’Union ?

77.      Il n’est par ailleurs pas évident de savoir si une correction du critère de l’auteur formel fondée sur la compétence s’appliquerait seulement à l’examen des décisions des États membres en marge du Conseil ou également à celui des décisions des États membres en dehors des réunions du Conseil. Serait-il déterminant que les mêmes 27 personnes se soient rencontrées physiquement ou virtuellement à Bruxelles, ou dans tout autre lieu en fait ? Il est également difficile de dire si cette correction du critère de l’auteur formel ne pouvait s’opérer que dans le cadre de décisions de tous les États membres ou également à l’égard des décisions adoptées seulement par une majorité des États membres, ou même par quelques États membres seulement. À l’extrême, une décision des États membres participant collectivement à la prise de décision d’une autre organisation internationale qui, sur le fond, empiète sur une compétence de l’Union, pourrait‑elle faire l’objet d’un contrôle par la Cour au titre de l’article 263 TFUE ?

78.      Je ne suggère certainement pas que cela doive être le cas. Ce que je souhaite simplement indiquer est que, en matière de critère applicable, ces situations sont difficiles à distinguer. Une correction du critère de l’auteur formel fondée sur la compétence comporte donc, au moins à mon sens, trop d’incertitudes, ce qui rend son utilisation assez incertaine et arbitraire, et, dans l’ensemble, assez contre-productive.

79.      Pour ces motifs, je n’adhère pas à l’approche globale retenue par le gouvernement italien et la commune de Milan dans les affaires EMA, proposant en substance que, du fait qu’une décision sur le site d’implantation du siège devrait être prise par l’Union, toute déclaration des États membres à ce sujet constitue automatiquement une décision du Conseil.

80.      En revanche, je proposerais de limiter la logique de l’arrêt Parlement/Conseil aux scénarios exceptionnels dans lesquels le pouvoir de prendre une décision donnée, dans une procédure clairement définie et, généralement, déjà en cours, est indubitablement conféré au Conseil en sa qualité d’institution de l’Union. Ce n’est que si, dans un cadre procédural clairement circonscrit, une décision est adoptée de manière inattendue et constitue, à proprement parler, une décision des États membres, que l’on pourrait en effet envisager de requalifier cette décision, en dépit de son auteur formel, comme étant une décision du Conseil et donc comme étant une décision susceptible de recours au titre de l’article 263 TFUE. Cependant, ces scénarios exceptionnels devraient ensuite être régis par la logique bien plus étroite sous-tendant les scénarios dans lesquels il existe un contournement clair des règles existantes dans le cadre des procédures en cours, et ne devraient pas être supposés exister uniquement au motif de la présence d’un simple chevauchement de compétences dans l’abstrait, si aucune procédure n’est en cours.

81.      En dehors d’un tel scénario exceptionnel, je considère qu’une décision formelle des États membres est simplement une vraie décision des États membres qui est en dehors du champ d’application du contrôle de la Cour au titre de l’article 263 TFUE. Si l’auteur formel est connu, il ne devrait pas appartenir à la Cour de la modifier. Le contenu, les circonstances factuelles ou l’absence de compétence ne devraient donner des orientations que lorsqu’il existe une véritable incertitude factuelle quant au point de savoir si un acte a été adopté par les États membres en tant que tels ou par les États membres agissant en tant que Conseil. Ces éléments ne devraient pas être utilisés lorsqu’il s’agit simplement de contestation de la compétence par d’autres acteurs.

82.      Il s’ensuit que, par principe et certainement compte tenu de l’état actuel des traités, la Cour n’a pas compétence au titre de l’article 263 TFUE sur les décisions prises par les représentants des États membres.

B.      Le champ d’application de l’article 341 TFUE

83.      Selon la Cour, les décisions des États membres adoptées dans le cadre des traités en vertu de l’article 253 TFUE ne peuvent pas faire l’objet d’un recours en annulation (52). L’article 341 TFUE est rédigé d’une manière similaire dans la mesure où, d’une part, celui‑ci concerne également les décisions établies du commun accord des gouvernements des États membres et, d’autre part, les États membres sont habilités par cette disposition à établir le siège des institutions de l’Union. Il en découle logiquement que l’approche applicable à l’article 253 TFUE s’applique également aux décisions des États membres prises à juste titre dans le champ d’application approprié de l’article 341 TFUE.

84.      Cependant, la question cruciale est de savoir si la décision sur le siège des agences de l’Union doit être prise par les États membres au titre de l’article 341 TFUE. Ce type de décision se rapporte-t-il aux États membres, comme le fait valoir le Conseil, ou relève-t-il du législateur de l’Union, c’est‑à‑dire du Parlement et du Conseil, comme le soutiennent le gouvernement italien, la commune de Milan et la Commission dans les affaires EMA, et le Parlement dans l’affaire ELA ? Si la seconde proposition est retenue, quelle est alors la nature juridique des décisions prises par les États membres établissant le site d’implantation du siège des agences de l’Union ?

85.      Dans leurs observations, les parties à l’affaire ELA ont longuement traité la question du champ d’application de l’article 341 TFUE et le point de savoir si celui-ci pouvait constituer une base juridique valide pour adopter la décision attaquée concernant le siège de l’ELA. Bien que ces observations soient exposées dans le cadre du premier moyen d’annulation soulevé par le Parlement, leurs positions respectives sont également valides à l’égard de la question de la compétence de la Cour. Effectivement, selon la Cour, l’appréciation de la recevabilité du recours est liée à celle qui doit être portée sur les griefs invoqués à l’encontre de l’acte litigieux (53).

86.      Selon le Parlement, l’article 341 TFUE n’est pas une base juridique appropriée pour décider du siège des agences de l’Union, cette disposition étant seulement applicable aux institutions. Si les rédacteurs des traités avaient souhaité inclure les agences dans le champ de cette disposition, ils les auraient incluses expressément. Cependant, l’article 341 TFUE n’a jamais été modifié à cet effet. Compte tenu de son propre libellé, le protocole no 6 ne peut pas avoir visé à élargir le champ d’application de cette disposition. Par ailleurs, non seulement la pratique institutionnelle antérieure n’est pas pertinente pour déterminer le champ d’application de l’article 341 TFUE, mais le législateur de l’Union a également, dans le passé, adopté des décisions sur le siège de ses agences. Il ne saurait donc être soutenu qu’il appartient aux seuls États membres de prendre une telle décision.

87.      Néanmoins, selon le Parlement, la décision d’établir le siège d’une agence incombe au législateur de l’Union qui, à cet effet, peut s’appuyer sur la base juridique de la politique correspondante. C’est sur le fondement des articles 46 et 48 TFUE que le règlement 2019/1149 créant l’ELA a été adopté. Rien ne justifie le fait de distinguer la décision sur le siège d’une agence de la décision sur sa création et la définition de ses missions, de son organisation et de son fonctionnement. À moins qu’une disposition spécifique des traités n’en dispose autrement, la décision sur le siège d’une agence devrait donc être prise par le législateur de l’Union. Bien que des considérations politiques et symboliques entrent en jeu lorsqu’une décision est prise sur le site d’implantation géographique d’une agence, cette question n’est pas inhabituelle pour la création de l’agence, la définition de ses missions et, en conséquence, de son organisation et de son fonctionnement. À ce titre, il est logique et cohérent que la décision sur le siège d’une agence doive être prise par le législateur de l’Union. En tout état de cause, la sensibilité politique de cette question ne devrait pas modifier les compétences conférées par les traités aux institutions de l’Union.

88.      En dehors de quelques variations mineures, l’ensemble des États membres intervenants adoptent la vision du Conseil selon laquelle l’article 341 TFUE, interprété compte tenu de son objectif et de son cadre, habilite les États membres à établir le siège des agences de l’Union. Bien que, depuis le traité de Lisbonne, plusieurs dispositions des traités renvoient à présent expressément à des institutions et à des organes ou des organismes de l’Union, cela ne devrait pas mener à une interprétation restrictive du champ d’application de ces dispositions qui se réfèrent seulement aux « institutions ». Cette interprétation est soutenue par le contexte et l’évolution historique de cette disposition. Notamment, le protocole no 6 fixe la localisation du siège de deux comités et d’une agence. Pour sa part, l’article 2 de la décision d’Édimbourg confirme encore que le siège de futurs organes de l’Union doit être décidé par les représentants des gouvernements des États membres. En outre, de nombreux précédents sur plusieurs décennies confirment que la compétence des États membres pour établir le siège des institutions s’applique également aux agences. Une interprétation restrictive de l’article 341 TFUE distinguerait indûment les agences et les exclurait de l’application des dispositions finales du traité FUE.

89.      En outre, selon le Conseil, la compétence relative à la décision sur le siège d’une agence est distincte de la compétence relative à la réglementation d’un certain domaine. La décision relative au siège est fondamentalement d’une nature différente en raison de sa dimension politique et symbolique. De ce fait, la décision sur le siège d’une agence de l’Union ne doit pas être prise en utilisant la procédure législative ordinaire. Inclure le choix du siège dans le champ du débat législatif aurait des conséquences paradoxales et néfastes. Le site d’implantation géographique d’une agence ferait alors partie des négociations et aurait une incidence sur la substance des règles politiques elles‑mêmes. Par ailleurs, les règles de vote du Parlement et du Conseil ne permettraient pas de parvenir à un équilibre géographique.

90.      Je ne suis pas d’accord avec le Conseil. D’après moi, l’article 341 TFUE ne s’applique pas aux agences.

1.      Libellé

91.      Le libellé de l’article 341 TFUE se réfère au siège des « institutions », sans autres précisions. Cependant, depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la notion d’« institutions » a été définie au niveau constitutionnel à l’article 13 TUE, qui dresse effectivement la liste des institutions de l’Union. Il ressort clairement de cette définition juridique prévue par les traités que les agences ne sont pas des institutions.

92.      Une définition si claire, juridique, ou même constitutionnelle du terme à interpréter ne s’oppose pas à un examen supplémentaire du régime général et de l’objet des règles dont ce terme relève. Cependant, des arguments très persuasifs sous l’intitulé de cadre ou d’objet seraient nécessaires, montrant que la lecture littérale et naturelle d’un terme clairement défini aboutirait dans un contexte donné à une injustice ou à une absurdité flagrante, pour justifier qu’une juridiction écarte une telle définition constitutionnelle dépourvue d’ambiguïtés.

2.      Contexte et système

93.      Selon moi, il n’existe, cependant, aucun argument concluant de la sorte en faveur du contraire. En fait, l’interprétation littérale de l’article 341 TFUE trouve une autre confirmation dans le contexte et le système de cette disposition.

94.      Premièrement, le traité de Lisbonne a modifié de nombreuses dispositions des traités, distinguant de ce fait les institutions de l’Union des autres « organes ou organismes de l’Union ». En effet, plusieurs dispositions concernant la compétence de la Cour ont été modifiées pour inclure clairement ce dernier ensemble dans son champ d’application (54). Le traité de Lisbonne a également étendu l’interdiction pour la Banque centrale européenne (BCE) d’accorder des facilités de crédit (55) aux « institutions, organes ou organismes de l’Union » et le contrôle par le médiateur de la mauvaise administration (56). De façon similaire, le statut de la Cour de justice de l’Union européenne opère à présent également une distinction entre les institutions, les organes ou les organismes de l’Union. Cela est plus particulièrement le cas à ses articles 23 et 40 : tandis que les institutions peuvent intervenir dans toutes les affaires devant la Cour, les organes ou les organismes de l’Union ne peuvent le faire que s’ils établissent un intérêt dans le résultat d’une affaire.

95.      En substance, il est clair que les traités ont été révisés suffisamment récemment pour reconnaître l’existence autonome d’« organes ou organismes » de l’Union qui sont distincts des institutions. Dans ce cadre constitutionnel, la notion d’« institutions » ne peut pas, ou ne peut certainement plus, être simplement interprétée largement.

96.      Or, selon le Conseil, le fait que les dispositions générales et finales du traité FUE – dont l’article 341 TFUE fait partie – n’ont pas été modifiées et visent seulement les « institutions » ne devrait pas être interprété comme manifestant l’intention des rédacteurs des traités de rétrécir leur champ d’application. Du fait qu’elles possèdent un caractère horizontal et s’appliquent donc de manière transversale dans le traité, ces dispositions générales et définitives devraient être en réalité interprétées de manière large.

97.      Je ne suis pas d’accord. Il n’existe pas de raison systémique ou intrinsèque justifiant que les dispositions générales et finales devraient être distinguées et interprétées différemment des autres dispositions des traités. En outre, en termes concrets, l’argument du Conseil relatif à l’article 341 TFUE n’est pas très persuasif.

98.      L’article 342 TFUE, qui concerne le régime linguistique des institutions de l’Union (57), s’applique en fait seulement à ces dernières. Certainement, les règlements créant des agences déclarent souvent applicables à ces agences les dispositions du règlement no 1 du Conseil du 15 avril 1958 déterminant les langues à utiliser par les institutions (58). Cependant, il existe également des règlements qui laissent le conseil d’administration de l’agence établir les accords linguistiques internes (59). Surtout, le régime linguistique d’une agence peut être différent de celui en vigueur dans les institutions, ainsi que la Cour l’a confirmé (60).

99.      La seule exception qui semble, au moins à première vue, étayer les arguments avancés par le Conseil est l’article 340, deuxième alinéa, TFUE. Cette disposition, qui concerne la responsabilité non contractuelle de l’Union, a été interprétée par la Cour en ce sens que la notion d’« institution », au sens de ladite disposition, englobe non seulement les institutions de l’Union énumérées à l’article 13, paragraphe 1, TUE, mais aussi tous les organes et organismes de l’Union institués par les traités, ou en vertu de ceux-ci, et destinés à contribuer à la réalisation des objectifs de l’Union (61).

100. Cependant, lorsqu’on y regarde de plus près, une telle interprétation est en effet justifiée tant par le libellé que par la logique de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE. Quant à son libellé, cette dernière disposition indique en fait que « l’Union doit réparer [...] les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions ». Logiquement, par conséquent, si les « agents », ou en d’autres termes les agents individuels de l’Union, sont déjà clairement inclus dans son libellé, alors, a fortiori, toutes les agences, les autorités ou les autres organismes qui constituent le spectre entre une institution de l’Union, d’une part, et un agent individuel de l’Union, d’autre part, doivent également y être inclus. Quant à sa logique, il serait effectivement étrange d’interpréter cette disposition spécifique, qui offre une importante voie de recours individuelle vis‑à‑vis des torts éventuellement commis par l’Union en tant qu’entité juridique, d’une manière si étonnamment formaliste qui laisse en substance entendre que seuls les institutions et les agents peuvent être responsables, mais que les agences ou les autres organismes ne peuvent pas l’être, quand bien même ceux-ci sont déjà inclus explicitement dans le spectre des représentants de l’Union, étant donné la référence expresse aux deux extrémités de ce spectre.

101. En tant que tel, l’article 340, deuxième alinéa, TFUE inclut indubitablement les agences. Il constitue, cependant, simplement une disposition très différente, tant en ce qui concerne son libellé que sa logique. En vue de cette clarification, je ne peux pas approuver l’argument selon lequel, du fait que l’article 341 TFUE vient après l’article 340 TFUE, parmi un ensemble de dispositions diverses, générales et finales, ces deux articles doivent donc automatiquement être interprétés exactement de la même manière, indépendamment des différences objectives.

102. Je viens donc à la conclusion que le fait que le traité de Lisbonne n’a pas modifié l’article 341 TFUE, alors que la plupart des autres dispositions d’une nature similaire ont été modifiées de manière à inclure les autres « organes ou organismes de l’Union » dans leurs champs d’application respectifs, signifie que la définition constitutionnelle des institutions prévue à l’article 13 TUE peut difficilement être écartée.

103. Deuxièmement, cette position est de même étayée à un niveau plus systémique : les institutions de l’Union sont constitutionnellement différentes des organes ou organismes de l’Union. Les institutions sont créées par les traités eux‑mêmes. Elles exercent de larges fonctions constitutionnelles dans des domaines régis par le droit de l’Union dans lesquels l’Union est compétente. Surtout, leur création et leurs fonctions sont prévues directement par les traités eux-mêmes. Le régime juridique des institutions est donc autonome et ne requiert pas la moindre législation dérivée. Il est donc assez logique qu’une procédure constitutionnelle spéciale, qui est prévue à l’article 341 TFUE, s’applique à l’égard des décisions concernant leurs sièges. En quel autre endroit que le traité lui-même pourrait-on escompter trouver l’indication soit du siège, soit au moins de la procédure permettant d’établir la localisation du siège, d’une institution créée par ce traité ? De même, compte tenu de la sensibilité historiquement élevée de cette question, il est compréhensible que la décision doive être prise par consensus des États membres.

104. En revanche, les agences ne sont pas créées en principe par les traités. Elles sont créées par une législation dérivée, en vertu de la procédure législative ordinaire, mettant en œuvre une politique de l’Union donnée. Leur rôle est largement administratif et clairement limité à un objet étroitement défini et spécialisé. Les dispositions de fond pertinentes des traités concernant les politiques constituent la base juridique de la création de ces agences (62). En termes strictement constitutionnels, il n’existe aucune nécessité intrinsèque ou systémique justifiant que la procédure de sélection de leur siège doive être subitement déterminée par une disposition des traités.

105. Troisièmement, à cet égard, je ne vois pas non plus comment, en termes conceptuels, la décision sur le site d’implantation du siège d’une agence serait une question distincte de la création de cette agence – une position avancée par le Conseil et les États membres intervenants. La question du site d’implantation du siège relève d’après moi de l’organisation de l’agence, qui est régie par l’instrument juridique approprié créant cette agence. Il n’existe pas d’argument structurel clair expliquant pourquoi, d’une part, la décision sur le siège suivrait un régime juridique différent de celui de la décision sur sa création, et justifiant, d’autre part, que la première décision serait prise en suivant le même modèle juridique que celui des institutions, c’est-à-dire au moyen de l’article 341 TFUE.

106. Le Conseil soutient que la décision relative au siège d’une agence est une décision politique. Naturellement, je ne réfute pas le fait qu’une telle décision revête effectivement une dimension politique. Cependant, il n’est pas évident de savoir pourquoi, par implication, le Parlement, qui représente les citoyens européens, ne serait pas en mesure de prendre une telle décision ni pourquoi le Conseil lui-même, en tant qu’institution de l’Union réunissant les représentants des États membres au niveau ministériel, ne pourrait pas se prononcer à son sujet. En général, je trouve l’argument que le Parlement n’est pas bien placé pour prendre des décisions politiques pour le moins contre-intuitif (63).

107. De toute manière, la décision relative au site d’implantation du siège d’une agence peut difficilement être considérée comme étant une décision purement politique, au moins si les critères indiqués dans les deux présentes affaires méritent de se voir accorder un certain crédit. Les règles de sélection respectives ont prévu plusieurs critères qui sont tous davantage de nature technique, à savoir la date à laquelle l’agence pouvait être créée sur le site ; l’accessibilité du site d’implantation ; l’existence d’établissements scolaires adéquats pour les enfants du personnel des agences et un accès adéquat au marché du travail, à la sécurité sociale et aux soins médicaux pour les enfants et les conjoints (64). L’équilibre géographique semble être le seul critère qui soit principalement de nature politique.

108. Il en découle donc que les décisions relatives au siège d’une agence de l’Union peuvent très bien, en raison de leur nature mixte, être prises par le Parlement et le Conseil dans le cadre de la procédure législative ordinaire, lancée par une proposition de la Commission.

3.      Le passé

109. S’agissant des arguments soulevés par le Conseil à l’égard de la genèse de l’article 341 TFUE, de l’incidence du protocole no 6 et de la décision d’Édimbourg, et de la pratique institutionnelle antérieure, aucun de ces arguments n’apparaît suffisamment impérieux pour renverser l’interprétation qui ressort déjà du libellé, ainsi que du cadre et du régime, de l’article 341 TFUE.

110. Premièrement, concernant l’évolution de l’article 341 TFUE, le contenu de cette disposition est toujours resté le même depuis 1951 (65). La seule différence réside dans le fait que l’expression « institutions de la Communauté » a été remplacée par « institutions de l’Union ». Le traité de Lisbonne n’a pas modifié fondamentalement cette disposition pour inclure expressément les organes ou organismes de l’Union (66).

111. Deuxièmement, le Conseil et, dans l’affaire ELA, le gouvernement luxembourgeois en particulier ont largement invoqué le protocole no 6 et la décision d’Édimbourg, adoptés en marge d’une réunion du Conseil européen en 1992, pour préconiser l’inclusion des agences dans le champ d’application de l’article 341 TFUE.

112. En ce qui concerne le protocole no 6, il est vrai que celui‑ci ne fixe pas seulement le siège des institutions, mais également celui de deux comités et d’une agence, à savoir Europol. Par conséquent, il est clair que le siège de ces organes a été inscrit dans le droit primaire. Cependant, le protocole no 6 n’indique en aucune manière que les sièges de toutes les agences (possibles ou futures) doivent être déterminés par les États membres sur le fondement de l’article 341 TFUE ; celui‑ci indiquant plutôt le contraire. En adoptant un protocole spécifique (donc en modifiant les traités selon les procédures de modification qui y sont prévues), les États membres ont clairement considéré que leur décision collective devait être inscrite dans les traités afin de produire des effets juridiques en vertu du droit de l’Union.

113. Concernant la décision d’Édimbourg, l’article 2 de cette décision dispose que « [l]e siège d’autres organismes et services créés ou à créer sera décidé d’un commun accord par les représentants des gouvernements des États membres lors d’un prochain Conseil européen, en tenant compte des avantages des dispositions ci-dessus pour les États membres intéressés, et en donnant une priorité appropriée aux États membres qui, à l’heure actuelle, n’abritent pas le siège d’une institution des Communautés » (67). Il ressort de cette déclaration que les représentants des gouvernements des États membres souhaitaient se réserver les décisions relatives aux sièges des agences (en tant qu’« autres organismes ») de la même manière qu’ils sont expressément et clairement habilités par l’article 341 TFUE à établir les sièges des institutions.

114. Compte tenu de l’article 2 de la décision d’Édimbourg, je conviens donc qu’il apparaît en effet que les chefs d’État ou de gouvernement pourraient avoir envisagé d’étendre le champ d’application de l’article 341 TFUE aux agences. Accessoirement, il semblerait en fait également que, en cherchant à adopter le même article, ses rédacteurs aient admis que l’article 341 TFUE n’englobait pas les agences (s’il les englobait, pourquoi serait-il alors nécessaire d’élaborer un protocole spécial à cet effet ?).

115. Cependant, je suis en désaccord sur les conséquences juridiques à tirer de l’article 2 de la décision d’Édimbourg. Selon moi, la nature de cette disposition spécifique est celle d’un accord international entre États membres. Du fait que cette décision a été prise en dehors des procédures de révision prévues à l’article 48 TUE, celle-ci ne saurait être acceptée comme constituant un moyen valide de modifier l’article 341 TFUE. Cette disposition n’a donc aucun effet juridique contraignant dans l’ordre juridique de l’Union (ce qui ne l’empêche pas d’avoir de tels effets en droit international).

116. Pour être clair, une décision des représentants des États membres, comme la décision d’Édimbourg, qui n’a pas été prise au titre d’une disposition du droit de l’Union, ne possède une valeur juridique en vertu du droit de l’Union que dans la mesure où son contenu a été formellement incorporé par le droit de l’Union, en suivant les procédures prévues par le droit de l’Union (68). Dans le passé, cette « incorporation » a pris habituellement la forme de l’adoption d’un protocole, dont des exemples notables sont le protocole no 22 sur la position du Danemark à la suite du refus initial de ce pays de ratifier le traité de Maastricht (69) ou le protocole relatif aux préoccupations du peuple irlandais concernant le traité de Lisbonne (70).

117. En ce qui concerne la décision d’Édimbourg, seul son article 1 er a été incorporé par le protocole no 6, devenant de ce fait le droit de l’Union en 1999 avec l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam, auquel ce nouveau protocole a été annexé. Pour sa part, l’article 2 n’a jamais, à ma connaissance, été incorporé dans quelque instrument formel du droit de l’Union que ce soit, pas même une déclaration (interprétative). Celui-ci ne fait pas partie du droit primaire ni du droit dérivé (71).

118. Il en découle que la seule valeur à attribuer au titre du droit de l’Union à l’article 2 de la décision d’Édimbourg peut être, au mieux, politique, mais certainement pas juridique. Cet article pourrait tout au plus être pris en considération comme étant un instrument d’interprétation des traités (72).

119. En tout état de cause, il serait utile de se rappeler que les auteurs de la décision d’Édimbourg n’ont pas intégré son article 2 dans le cadre du droit primaire. Par conséquent, les lignes directrices interprétatives apportées par cette disposition ne sauraient aller en tout état de cause à l’encontre de la lettre, du contexte, du système et de l’objectif de l’article 341 TFUE.

120. Troisièmement, le Conseil a invoqué largement la pratique institutionnelle antérieure concernant la décision sur le siège des agences pour soutenir que ces décisions ont souvent pris la forme d’une décision des représentants des États membres sur le fondement de l’article 341 TFUE. En résumé, selon le Conseil, le fait qu’il existait une certaine pratique institutionnelle au cours des dernières décennies confirme non seulement que l’article 341 TFUE inclut les agences, mais justifie également cette pratique aujourd’hui et, apparemment, la rend également permanente pour l’avenir.

121. Je ne suis pas d’accord. D’une part, je ne peux vraiment pas accepter cette position au niveau simplement factuel et empirique. En tenant compte de toutes les informations qui ont été portées à l’attention de la Cour dans le cadre des présentes procédures, il semble exister un certain niveau de variabilité des manières selon lesquelles les décisions sur les sièges des agences ou organes de l’Union ont été prises.

122. Il est certain que, pour plusieurs agences dans le passé, la décision relative au site d’implantation de leur siège a été prise par les États membres, et non par le règlement de l’Union les créant. Ce fut particulièrement le cas en 1993 pour neuf agences, y compris le prédécesseur de l’EMA (73), en 2004 pour neuf autres organismes (74), en 2009 pour l’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie (ACER) (75), et plus récemment pour l’ELA et le Centre européen de compétences industrielles, technologiques et de recherche en matière de cybersécurité (76). Il convient de mentionner que certaines de ces agences ont eu également leur siège mentionné par la suite dans le règlement les créant (77).

123. Cependant, il existait également une pratique antérieure par laquelle le siège des agences était décidé par le législateur de l’Union, c’est-à-dire le Conseil agissant initialement de sa propre initiative, et ensuite, avec les évolutions du cadre constitutionnel de l’Union, par le Parlement et le Conseil. Ce fut, en particulier, le cas de la toute première agence de l’Union, dans les années 1970, à savoir le Cedefop (78), et d’Eurofound (79). Ce fut également le cas plus tard pour Frontex (80), pour l’agence communautaire de contrôle des pêches (81) et, plus récemment, pour les trois agences qui ont été créées dans le sillage de la crise financière mondiale (l’Autorité bancaire européenne, l’Autorité européenne des marchés financiers et l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles) (82). Cela est vrai pour les agences qui relèvent du champ d’application de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), lesquelles ont leur siège fixé par le (seul) Conseil, et non par les États membres (83).

124. Outre ces deux scénarios, certaines autres manières, utilisées moins fréquemment, de décider du siège d’une agence de l’Union ont également existé. Ce fut le cas, par exemple, du CEPOL pour lequel, de façon assez inhabituelle, la décision a été prise en réalité par plusieurs acteurs différents (84).

125. Il est clair que la manière selon laquelle les décisions sur les sièges des agences ont été prises a varié au long des dernières décennies. Il est impossible d’identifier clairement une pratique institutionnelle. En fait, dès la création des premières agences, la pratique institutionnelle a constamment évolué.

126. D’autre part, et en tout état de cause, même s’il était possible d’identifier une pratique unique cohérente au fil des ans, ce qui n’est pas le cas, la question est de savoir quelle importance normative actuelle revêt une telle constatation pour la présente affaire.

127. Sur ce point, je ne peux être qu’en désaccord avec le Conseil. Pour moi, dans une Union fondée sur l’État de droit, c’est le cadre constitutionnel actuel, et non la pratique antérieure, qui est déterminant. Il existe certainement, selon moi, un devoir, incombant au législateur de l’Union, de maintenir la législation pertinente et raisonnablement à jour, réactive aux évolutions sociales et sociétales (85). Il est, cependant, quelque peu différent de proposer essentiellement que l’actuelle constitution soit (ré)interprétée afin de s’adapter à une certaine pratique antérieure et de la prolonger, sans tenir compte du changement de l’environnement constitutionnel. En le formulant simplement, ce n’est pas l’actuelle constitution qui doit être mise en conformité avec la pratique passée, mais plutôt le contraire : la pratique présente et future doit être mise en conformité avec le cadre constitutionnel actuel.

128. Cependant, ceci pose en effet la question suivante : quel est l’objet actuel de l’article 341 TFUE ? Il s’agit de la question sur laquelle je vais me pencher à présent.

4.      L’objectif (présent)

129. Selon le Conseil, une interprétation de l’article 341 TFUE qui exclurait les agences de son champ d’application priverait cette disposition de toute effectivité (effet utile). Le siège des institutions elles‑mêmes a déjà été décidé par le droit primaire. On ne peut pas considérer que l’effectivité qui serait laissée à l’article 341 TFUE comprendrait la décision de déplacer le siège des institutions, car, d’après le Conseil, ces décisions seraient prises en suivant les procédures de révision de l’article 48 TUE, non celles de l’article 341 TFUE.

130. Selon moi, si la présente affaire démontre quelque chose, c’est que les arguments relatifs à l’effectivité, et tout autre raisonnement finaliste en droit, peuvent être problématiques. La raison en est qu’un tel raisonnement, en l’espèce ainsi qu’en général, peut mener quelqu’un en n’importe quel lieu où il souhaite aller, sur le fondement de l’objectif auquel il décide d’adhérer.

131. L’objet ou la valeur ajoutée de l’article 341 TFUE ne dépend aujourd’hui que de l’intérêt, de l’objectif ou de la valeur que chacun décide d’attribuer à cette disposition. L’article 341 TFUE ne possède pas la moindre effectivité évidente par lui-même, lu isolément. Cet intérêt ou cette valeur doit provenir d’ailleurs. En effet, comme le montrent les diverses positions des parties à la présente affaire, le résultat peut ensuite mener à des orientations opposées en fonction de la valeur spécifique choisie.

132. En premier lieu, si l’importance était conférée à la dimension politique de décisions relatives aux sièges en général, comme le Conseil l’a souligné, et également si l’on devait croire que seuls les États membres sont en mesure de prendre une telle décision (86), l’article 341 TFUE pourrait en effet être ensuite interprété de manière large. À cet égard, l’objectif à attribuer à la disposition serait effectivement la protection des pouvoirs décisionnels des États membres (objectif no 1).

133. En deuxième lieu, l’interprétation plus étroite, préconisée par le Parlement dans l’affaire ELA, serait nécessaire aux fins de renforcer le rôle du Parlement (et celui des institutions de l’Union) et pour le motif que la décision sur le siège d’une agence fait nécessairement partie de la décision générale de créer une agence pour contrôler la mise en œuvre des politiques de l’Union. En ce cas, l’objectif serait de protéger le rôle du Parlement, et éventuellement celui des autres institutions de l’Union (objectif no 2).

134. En troisième lieu, par rapport au point précédent, mais en l’exprimant d’une manière un peu plus systémique, figure l’objectif de préserver l’intégrité (interne) de l’ordre juridique de l’Union. Les décisions devant être prises dans l’intérêt et au nom de l’Union ne devraient pas pouvoir sortir de ce système et être effectivement déléguées hors du système, le résultat atteint hors de ce système étant réintégré dans ce système. Cet objectif même justifie une lecture de l’article 341 TFUE qui n’inclurait pas les agences (objectif no 3).

135. En quatrième lieu, l’article 341 TFUE semble exiger l’unanimité. Si l’objectif à suivre par son interprétation est le maintien ou même l’amélioration de la faisabilité des procédures décisionnelles de l’Union, l’unanimité parmi les États membres pourrait être alors plus difficile à atteindre que lorsque les mêmes représentants doivent décider en siégeant en Conseil et en suivant les exigences (inférieures) de seuil dans le cadre de ce processus décisionnel. Cela donnerait encore une raison de garder l’interprétation de l’article 341 TFUE aussi étroite que possible (objectif no 4).

136. En cinquième lieu et enfin, l’objet de l’interprétation de l’article 341 TFUE pourrait (également) être de maintenir les principes d’une Union fondée sur l’État de droit où « l’existence même d’un contrôle juridictionnel effectif destiné à assurer le respect des dispositions du droit de l’Union est inhérente à l’existence d’un tel État de droit » (87). Cependant, si cela devait être le cas, ainsi que le gouvernement italien l’a en substance proposé à l’audience, l’article 341 TFUE doit alors être interprété d’une manière qui soit aussi restrictive que possible en raison de l’impossibilité d’un contrôle juridictionnel en découlant, au moins devant la Cour, du fait de son applicabilité (objectif no 5).

137. Premièrement, en général, mais également dans des situations particulières comme en l’espèce, je ne considère pas qu’il soit avisé pour une juridiction, y compris la Cour, de sélectionner et choisir un objectif plutôt qu’un autre. En revanche, il conviendrait de respecter le libellé assez clair et le système des traités. Cependant, si un objectif devait être effectivement favorisé par rapport aux autres, alors, du point de vue du juge de l’Union, cet objectif devrait logiquement maintenir l’intégrité et la fonction du système de l’Union en tant que tel.

138. Deuxièmement, quoi qu’il en soit, je dois admettre que je ne considère pas l’argument du Conseil relatif à l’effectivité convaincant. D’un côté, il est certes exact que les sièges des institutions de l’Union ont déjà été déterminés. Ainsi, dans une certaine mesure, l’article 341 TFUE a largement épuisé son potentiel. Cependant, ce résultat était déjà inhérent à son objet. D’un autre côté, le fait que les agences ne peuvent pas être interprétées comme relevant du champ d’application de l’article 341 TFUE ne prive pas cette disposition de son usage. L’article 341 TFUE englobe clairement les institutions, en s’assurant que cette disposition continue à être opérationnelle et toujours importante à leur égard. Elle demeure en effet en vigueur et est éventuellement applicable à une décision fixant le siège d’une nouvelle institution (88) et, surtout, à une décision de changer le siège d’une institution existante (89). Il ne saurait donc être soutenu que l’article 341 TFUE est totalement dépourvu de tout contenu s’il était considéré comme n’englobant pas les organes ou les organismes de l’Union. En tout état de cause, le fait que le champ d’application de l’article 341 TFUE semble à présent assez limité n’est pas une raison valide d’étendre artificiellement ce champ d’application à l’encontre de son libellé.

139. Troisièmement et enfin, je reste perplexe devant l’argument général du Conseil selon lequel l’article 341 TFUE doit inclure les agences, car les décisions établissant leurs sièges sont politiquement sensibles et, de ce fait, l’unanimité des États membres exigée en vertu de l’article 341 TFUE doit être préservée.

140. Cependant, en même temps, il semble que le même impératif était apparemment absent dans les deux affaires faisant l’objet des présentes procédures. Si on examine spécifiquement les décisions attaquées dans les présentes affaires, aucune d’entre elles n’a été conçue pour être régie par l’unanimité. En effet, les deux ensembles de règles de sélection ont anticipé que la décision sur les sièges de l’EMA et de l’ELA serait régie par un vote à la majorité simple.

141. En termes factuels et en ce qui concerne l’EMA, le gouvernement italien a indiqué à l’audience que la décision sur le siège de cette agence n’a pas été prise d’un commun accord de tous les États membres. Le gouvernement italien a souligné à plusieurs reprises qu’il n’a jamais approuvé cette décision.

142. C’est à ce stade que le décalage entre l’objectif systémique affiché préconisé par le Conseil et la réalité devient trop grand pour être ignoré. Le Conseil a indiqué à plusieurs reprises que la Cour devait interpréter l’article 341 TFUE largement, pour inclure les agences, afin de préserver la nature politique spéciale de la prise de décision nécessitant l’unanimité. Cependant, le Conseil lui‑même s’est ensuite écarté, à chaque fois qu’il l’a pu, de cette même procédure, en choisissant à la place de voter à la simple majorité.

143. Pour tous ces motifs, je considère que l’article 341 TFUE ne régit pas la décision sur les sièges des agences et des autres organismes de l’Union.

C.      La nature juridique des décisions attaquées

144. S’agissant des décisions attaquées, il semble que celles-ci ne sont pas des décisions du Conseil déguisées. Elles sont de vraies décisions des États membres sur lesquelles la Cour n’a donc pas compétence au titre de l’article 263 TFUE (sous-section 1). Cependant, en tant que décisions des États membres qui ont été prises hors du cadre des traités, elles sont privées de tout effet juridique contraignant dans l’ordre juridique de l’Union (sous-section 2).

1.      Des décisions du Conseil déguisées ?

145. Dans les affaires EMA, le gouvernement italien soutient que, étant donné son contenu et les circonstances de son adoption, la décision attaquée a été prise par le Conseil. D’une part, les conditions spécifiques dans lesquelles la décision attaquée a été adoptée prouvent qu’il s’agissait d’une décision du Conseil, car celle-ci a été prise dans les locaux du Conseil et s’appuyait sur ses structures institutionnelles, à savoir sa présidence, son secrétariat général, son service juridique et le Coreper. En outre, plusieurs institutions de l’Union, en particulier le Conseil européen et la Commission, ont participé au processus de sélection du nouveau siège de l’EMA. Par ailleurs, cette décision a été réellement prise conformément à la règle de la majorité. Cette approche est caractéristique du processus décisionnel du Conseil, et clairement différente d’une décision intergouvernementale des États membres agissant ensemble, car ces décisions sont prises à l’unanimité ou par consensus (d’un « commun accord »).

146. D’autre part, le gouvernement italien considère que la décision sur le siège des agences de l’Union relève indubitablement de la compétence exclusive de l’Union, ainsi que cela ressort, en particulier, de la proposition de la Commission modifiant le règlement no 726/2004. Cette compétence ne peut pas être exercée par un acte des États membres. Conclure que la Cour n’est pas compétente reviendrait à exempter les décisions du Conseil du contrôle du juge de l’Union à chaque fois que les États membres examinent des questions se rapportant à des procédures et compétences de l’Union qui seraient en fait « intergouvernementales ». La décision attaquée devrait donc être considérée comme étant une décision du Conseil.

147. Pour sa part, le Conseil maintient que la décision attaquée est une décision qui a été prise par les représentants des États membres. Cette décision a été adoptée afin de modifier la décision du 29 octobre 1993 des représentants des États membres qui avaient sélectionné le site d’implantation du siège antérieur de l’EMA. Plus généralement, les décisions relatives aux sièges des agences de l’Union ne relèvent pas de la compétence de l’Union ni, en conséquence, de la procédure législative ordinaire.

148. Dans l’affaire ELA, selon le Parlement, le Conseil est l’auteur de la décision. La décision a été signée par le président du Conseil. Le processus décisionnel précédant l’adoption de l’acte se fondait sur les structures administratives du Conseil, y compris le Coreper.

149. Selon le Conseil, et comme l’ont essentiellement affirmé tous les États membres intervenants, il s’agit d’une décision des représentants des États membres qui a été adoptée au titre de l’article 341 TFUE. Le fait que les processus décisionnels soient intervenus dans les locaux du Conseil avec l’aide du secrétariat général du Conseil, qui est chargé du soutien administratif de l’action intergouvernementale, et qu’une institution de l’Union ait participé à la prise d’effet de la décision attaquée ne met pas en cause la conclusion que la décision attaquée est par sa nature un acte des États membres. Bien que le Conseil se soit également réuni le 13 juin 2019, il existait deux réunions distinctes qui ont été organisées en suivant des procédures distinctes sur les plans juridique, protocolaire et organisationnel. En ce qui concerne la signature de la décision attaquée par le président du Conseil, les représentants des gouvernements des États membres auraient confié à la Roumanie (en tant qu’État membre présidant ensuite le Conseil) le soin d’assurer le bon fonctionnement du processus décisionnel.

150. Selon moi, aucune des décisions attaquées ne peut être attribuée au Conseil.

151. En premier lieu, comme il l’a été expliqué ci-dessus (90), le contenu et les circonstances entourant l’adoption d’un acte peuvent apporter des orientations afin de vérifier qui est l’auteur formel de cet acte lorsque cet auteur est inconnu. Dans les présentes affaires, toutefois, il est clair que les décisions attaquées sont officiellement des décisions des États membres. L’argument des requérants dans les deux affaires est encore de nature normative : selon eux, ces décisions devraient avoir été dûment adoptées par le Conseil, et non par les États membres.

152. En ce qui concerne le niveau factuel, en commençant par l’ELA, la décision attaquée est une décision formelle des représentants des États membres qui a été publiée en tant que telle au Journal officiel (91). On peut admettre que le fait que la décision attaquée a été en fait publiée dans les séries L du Journal officiel pose des problèmes en soi (92). Cependant, et en même temps, ces problèmes ne portent pas sur l’authenticité. Le Journal officiel indiquant avec autorité « une décision des États membres » en haut d’un document n’est certainement pas un simple communiqué de presse tortueux en ligne quelque part, où on peut en effet avoir des doutes sur ce que vise exactement ce communiqué de presse.

153. De la même manière, je considère que l’argument selon lequel le document a été formellement signé par le président du Conseil revêt une faible valeur probante. Bien entendu, encore d’un point de vue formel, il pourrait sans doute paraître sensé qu’une telle décision soit signée par tous les représentants des États membres. Cependant, la signature de la décision attaquée par le président du Conseil semble être conforme au rôle de coordination qui lui a été confié par les chefs d’État ou de gouvernement dans les règles de sélection. En outre, comme le Conseil l’a proposé en substance à l’audience, je conviens qu’il apparaît judicieux en pratique de confier le rôle de « notaire public » pour ces types de décisions collectives au même pays présidant l’Union au moment de la prise de décision.

154. Dans les affaires EMA, la décision attaquée a été, pour sa part, annoncée dans le procès-verbal d’une réunion du Conseil et a été publiée dans un communiqué de presse (93). Elle n’a pas donné lieu à une décision formelle des représentants des États membres publiée au Journal officiel. Cependant, en dépit de l’absence de cette formalisation de la décision attaquée elle-même, il est toujours clairement indiqué que cette dernière est une décision des États membres. Tant le procès-verbal que le communiqué de presse indiquent de manière univoque que la décision a été prise par les représentants des États membres.

155. Accessoirement, le fait que cette décision ne peut pas être imputée au Conseil est encore confirmé par l’adoption ultérieure du règlement 2018/1718. L’existence de ce règlement montre que, conformément aux règles de la procédure de sélection (94), les représentants des États membres étaient les véritables auteurs de la décision attaquée. Ce n’est que par la suite que le Conseil en tant que tel a participé, avec le Parlement, à la procédure législative ordinaire, afin d’insérer la mention du nouveau siège dans le règlement fondateur de l’EMA qui illustrerait le vote des États membres.

156. En outre, autant pour le siège de l’ELA que pour celui de l’EMA, la participation d’autres institutions au processus décisionnel, en particulier celle de la Commission au travers de son appréciation des offres, et celle du Conseil par sa présidence, son secrétariat général et plus généralement ses propres locaux, peut difficilement mener à la conclusion que les décisions attaquées sont en fait celles du Conseil. Encore une fois, compte tenu de la nature duale du Conseil et des États membres en qualité de membres le composant, il est difficilement possible d’étendre la logique (« ce qui se passe dans l’immeuble du Conseil relève du Conseil »), qui pouvait éventuellement fonctionner à l’égard des autres institutions de l’Union (« ce qui se passe dans les immeubles de la Commission relève de la Commission »), à cet étrange animal (95).

157. Par ailleurs, il ressort en effet d’une jurisprudence constante que les États membres sont, dans les domaines qui ne relèvent pas de la compétence exclusive de l’Union, en droit de confier, en dehors du cadre de l’Union, des missions aux institutions, telles que la coordination d’une action collective entreprise par les États membres, pour autant que ces missions ne dénaturent pas les attributions que les traités confèrent à ces institutions (96).

158. En second lieu, ainsi qu’il est expliqué ci-dessus, la création d’agences relève de la compétence de l’Union et doit être décidée normalement par la procédure législative ordinaire. Cela devrait aussi être vrai pour les sièges des agences dans le cadre de leur « paquet de création » (97). Logiquement, ces décisions devraient alors être adoptées par le Parlement et le Conseil, et non par les États membres.

159. Cependant, la compétence de l’Union en cette matière concerne seulement la  sélection contraignante du siège d’une agence en tant que question de droit de l’Union. Cela peut difficilement s’appliquer à ce qui constitue, par sa nature en vertu du droit de l’Union, une déclaration politique non contraignante prévoyant qu’une nouvelle agence de l’Union doit être créée, qui mentionne également où son siège devrait idéalement se situer.

160. De plus, et ce qui est peut-être plus important, compte tenu des fluctuations passées et actuelles concernant la question de la compétence pour établir le siège des agences (98), les présentes affaires sont loin de toute logique qui pourrait peut‑être, au moins d’après moi, justifier exceptionnellement la « requalification » ex post facto de l’auteur d’un acte par la Cour (99).

161. La pratique institutionnelle antérieure concernant les sièges des agences témoigne des désaccords persistants entre les acteurs concernés au sujet du droit applicable. En 2012, le Parlement, le Conseil et la Commission considéraient en effet que « la décision politique fixant le siège [d’une] agence [est] prise d’un commun accord par les représentants des États membres réunis au niveau des chefs d’État ou de gouvernement ou par le Conseil » (100). En 2017, la Commission a indiqué, en lien avec le futur siège de l’EMA, que « la question de la fixation du siège de l’Agence relève de la compétence exclusive de l’Union » (101). En 2018, le Parlement et le Conseil ont retiré les dispositions relatives à la localisation du siège de l’ELA du projet de règlement fondateur (102), en laissant apparemment aux représentants des États membres le soin de prendre la décision. En 2019, dans un rapport demandé par le Conseil après une demande du Parlement de réviser la procédure relative au site d’implantation des sièges des agences, la Commission a finalement conclu, après avoir relevé l’existence de diverses pratiques depuis 2012 pour choisir ce site d’implantation, que « les principes de l’approche commune constituent un bon cadre pour le processus décisionnel relatif aux sièges des agences et pour garantir que les États membres d’accueil répondent aux besoins spécifiques des agences » (103).

162. Dans un tel contexte, compte tenu du fait que, dans l’état actuel du cadre constitutionnel de l’Union, la décision sur les sièges des agences doit être dûment prise par des institutions de l’Union et non par les États membres, la pratique antérieure des États membres de décider eux‑mêmes des sièges des agences, même après que le cadre constitutionnel a changé avec le traité de Lisbonne, peut éventuellement être considérée comme étant quelque peu praeter legem, mais pas clairement contra legem (104).

163. Je considère donc impossible de (ré)attribuer, ex post facto, les décisions contestées au Conseil. Ces dernières sont des décisions collectives des représentants des États membres sur lesquelles la Cour n’a aucune compétence au titre de l’article 263 TFUE.

2.      Effets juridiques des décisions attaquées en vertu du droit de l’Union

164. La dernière conclusion vient néanmoins avec une clarification assez importante qui provient directement du champ d’application de l’article 341 TFUE tel qu’exposé dans les présentes conclusions. Les décisions attaquées sont des décisions des États membres. Cependant, elles ne peuvent pas être considérées comme étant des décisions prises en vertu de l’article 341 TFUE, car cette dernière disposition n’habilite pas les États membres à établir les sièges des agences. Il en découle que les décisions attaquées sont des décisions des États membres adoptées hors du cadre des traités.

165. Il est vrai que, à l’égard de décisions similaires des États membres adoptées en vertu de l’article 253 TFUE, la Cour a déclaré qu’il est « indifférent que les représentants des gouvernements des États membres aient agi dans le cadre des traités ou d’autres sources juridiques, telles que le droit international » (105). Je ne vais pas m’engager dans une discussion sur le point de savoir si cela est en effet totalement indifférent aux fins de la compétence de la Cour en vertu de l’article 263 TFUE, question sur laquelle je doute toujours sérieusement. Cependant, traiter cette question n’est pas pertinent aux fins des présentes affaires, car les présentes décisions des États membres ne sont pas prévues par les traités.

166. Il m’apparaît, cependant, clairement que l’action des États membres dans le cadre des traités et l’action des États membres hors du cadre des traités doivent être distinguées aux fins de déterminer si une décision des États membres produit des effets de droit contraignants en vertu du droit de l’Union. Indubitablement, si une décision des États membres est prévue par les traités, elle produit alors des effets de droit contraignants au titre du droit de l’Union en vertu des traités. En revanche, ainsi que la Commission, de même que le Parlement l’ont indiqué à juste titre dans les affaires EMA, une décision des États membres dans une matière où les traités ne prévoient pas leur action est privée, en n’étant pas incorporée d’une manière ou d’une autre dans l’ordre juridique de l’Union, de tout effet de droit contraignant en vertu du droit de l’Union.

167. De façon analogue à ce qui a été expliqué dans les présentes conclusions à l’égard de la décision d’Édimbourg, les décisions des représentants des États membres qui ne sont pas prises en vertu d’une disposition du droit de l’Union ne font pas partie du droit de l’Union. Elles n’ont aucun effet juridique contraignant dans l’ordre juridique de l’Union. Afin de produire des effets de droit contraignants dans l’ordre juridique de l’Union, leur contenu doit être incorporé dans le droit de l’Union, en suivant les procédures du droit de l’Union (106).

168. La même logique s’applique naturellement aux décisions attaquées. Comme elles ne sont ni imposées ni prévues par le droit de l’Union, que ce soit par l’article 341 TFUE ou par toute autre disposition du droit de l’Union, elles n’ont donc pas d’effets de droit contraignants à ce titre. Elles restent pour ainsi dire « sur le seuil » de l’ordre juridique de l’Union. Certainement, cela ne signifie pas qu’une telle décision des États membres ne produira pas éventuellement des effets de droit contraignants en vertu du droit international. Par conséquent, tandis que les États membres qui l’ont approuvée peuvent être liés mutuellement en vertu du droit international, ni les États membres qui étaient en désaccord ni les institutions de l’Union ne sont tenus par les décisions attaquées en vertu du droit de l’Union.

169. Il est possible d’admettre que les décisions attaquées ont une certaine importance politique, car elles donnent de l’élan politique à une nouvelle action juridique dans l’ordre juridique de l’Union. On peut en particulier escompter, rebus sic stantibus, que la position exposée dans ces décisions par les États membres sera également la position du Conseil à l’avenir. Cependant, le Conseil lui-même n’est pas légalement tenu par ces décisions lorsqu’il participe ultérieurement à la procédure législative ordinaire. Il peut changer d’avis en fonction des évolutions de la situation. Certains éléments du schéma institutionnel d’une nouvelle agence peuvent faire l’objet d’un compromis politique auquel on parvient dans le cadre du processus législatif.

170. Les décisions attaquées ne peuvent produire des effets de droit contraignants dans l’ordre juridique de l’Union que si elles font partie du droit de l’Union d’une manière ou d’une autre. En particulier, le contenu (non contraignant) de ces décisions peut finalement être incorporé, à la suite d’une procédure législative de l’Union, dans des actes (contraignants) de droit dérivé. Cependant, une telle mesure « d’incorporation » est ensuite susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation si les exigences prévues par l’article 263 TFUE sont satisfaites.

171. Le recours contre le règlement 2018/1718, qui a incorporé le contenu de la décision attaquée dans les affaires EMA, formé dans les affaires parallèles par la commune de Milan et la République italienne (107), est un exemple de ce dernier scénario. Cependant, la mesure « d’incorporation » de l’Union ne peut pas être ensuite considérée comme étant une simple mesure confirmative compte tenu de l’absence d’effets de droit contraignants de la décision des États membres. Pour la même raison, la décision des États membres ne peut pas être considérée comme étant un acte préparatoire d’une mesure d’incorporation de l’Union. C’est alors logiquement cette dernière qui est un acte contraignant et donc éventuellement susceptible de recours au titre du droit de l’Union.

172. À l’égard de l’autre scénario, où le contenu de la décision des États membres n’a pas été placé dans l’acte fondateur ou dans tout autre acte contraignant de l’Union pertinent, il n’existe alors aucune possibilité de déclencher l’article 263 TFUE à un certain stade (ultérieur). Cependant, même dans ce cas, la décision des États membres reste privée d’effets de droit contraignants en vertu du droit de l’Union. En conséquence, à l’égard de l’ELA, si la mention du siège n’a pas été intégrée dans un acte de droit de l’Union, la décision de localiser le siège de cette dernière à Bratislava ne peut pas produire d’effets juridiques dans l’ordre juridique de l’Union jusqu’à ce qu’un site d’implantation soit formellement décidé par un acte de l’Union. En d’autres termes, aux fins du droit de l’Union, le site d’implantation du siège de l’ELA dans cette ville est, du moins pour le moment, simplement une question de fait.

173. À titre de remarque conclusive, selon moi, les États membres peuvent être, en général, difficilement empêchés d’adopter des actes en dehors du cadre des traités, y compris dans les matières liées à l’Union, s’ils le souhaitent. Ceux-ci demeurent, après tout, souverains. Cependant, sortir de ce cadre a précisément pour conséquence (peut-être pas totalement surprenante, en raison tout du moins des lois fondamentales de la physique) qu’ils se trouvent à l’extérieur.

174. Cependant, même en étant hors de ce cadre, il est naturellement possible d’exprimer des déclarations non contraignantes sur ce qui devrait avoir lieu dans l’idéal à l’intérieur de celui-ci. Après tout, l’ordre juridique de l’Union et la jurisprudence de la Cour permettent à divers acteurs, y compris aux institutions de l’Union, d’adopter diverses mesures non contraignantes (« soft law ») dans un but d’incitation et de persuasion, distinct du pouvoir d’adopter des actes dotés d’une force contraignante (108). Si cela est en fait possible pour les institutions de l’Union tenues par le principe de la compétence attribuée, cela doit être a fortiori applicable aux États membres souverains, même si cela concerne des questions appartenant au droit de l’Union.

175. Néanmoins, le fait qu’une décision des États membres ne relève pas de la compétence de la Cour au titre de l’article 263 TFUE ne signifie pas que cette décision tombe totalement en dehors de la compétence de la Cour. En laissant de côté les scénarios où ils « deviennent le droit de l’Union », les actes des États membres qui sont adoptés en dehors du cadre des traités demeurent en effet soumis au droit de l’Union, mais éventuellement à des formes d’action différentes, par exemple, les procédures en manquement (109) ou les demandes de décision préjudicielle en matière d’interprétation (110).

176. En résumé, il n’est certainement pas interdit que les États membres fassent connaître leur avis collectif sur le caractère souhaitable d’une nouvelle agence de l’Union, sa fonction générale et les limites générales de ses fonctions, y compris le site d’implantation désiré de son siège, avant que la procédure législative dans l’Union ne soit engagée à cette fin. En effet, les États membres, même s’ils sont réunis plus tard au sein du Conseil, peuvent déjà indiquer leurs préférences politiques de cette manière. Le Parlement le peut aussi à cette même fin. Néanmoins, la création d’une telle agence, y compris le choix contraignant de son siège, relève du droit de l’Union et de ses propres procédures législatives internes, généralement de la procédure législative ordinaire. D’une certaine manière, ce n’est guère surprenant. Après tout, l’agence à créer est une agence de l’Union, et non des États membres.

V.      Sur les dépens

177. En vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens.

178. En termes formels, il est vrai que, dans les présentes affaires, la commune de Milan et la République italienne, dans les affaires EMA, et le Parlement, dans l’affaire ELA, ont succombé dans la mesure où il a été établi que la Cour n’a pas compétence pour examiner les décisions attaquées.

179. Cependant, eu égard au fait i) qu’il ne peut pas être affirmé que le Conseil aurait obtenu gain de cause sur le fond de son argumentation ; ii) qu’il s’agissait d’un litige complexe, intrinsèquement institutionnel, qui était autant au sujet des affaires passées que de la clarification des règles pour l’avenir, et iii) que la Cour a joint certaines des affaires et a tenu ensuite une audience commune à l’ensemble des cinq affaires, à la suite de laquelle une ventilation rétroactive des dépens exacts de chaque affaire individuelle peut constituer un exercice assez complexe, je trouverais plus juste et équitable, exceptionnellement, d’appliquer l’article 138, paragraphe 3, du règlement de procédure et de condamner (toutes) les parties à supporter leurs propres dépens.

180. En vertu de l’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, les parties intervenantes doivent également supporter leurs propres dépens.

VI.    Conclusion

181. Dans les affaires jointes C‑59/18, Italie/Conseil, et C‑182/18, commune de Milan/Conseil, je propose à la Cour de :

–        déclarer qu’elle n’est pas compétente sur la décision des représentants des États membres adoptée en marge d’une réunion du Conseil de l’Union européenne fixant le nouveau siège de l’Agence européenne des médicaments à Amsterdam (Pays-Bas) ;

–        condamner la commune de Milan (Italie), la République italienne et le Conseil à supporter leurs propres dépens ;

–        condamner l’ensemble des parties intervenantes à supporter leurs propres dépens.

182. Dans l’affaire C‑743/19, Parlement/Conseil, je propose à la Cour de :

–        déclarer qu’elle n’est pas compétente sur la décision (UE) 2019/1199 prise d’un commun accord entre les représentants des gouvernements des États membres, le 13 juin 2019, fixant le siège de l’Autorité européenne du travail ;

–        condamner le Parlement européen et le Conseil à supporter leurs propres dépens ;

–        condamner les parties intervenantes à supporter leurs propres dépens.


1      Langue originale : l’anglais.


2      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 14 novembre 2018 portant modification du règlement (CE) no 726/2004 en ce qui concerne la fixation du siège de l’Agence européenne des médicaments (JO 2018, L 291, p. 3).


3      Conclusions dans les affaires jointes Italie et Comune di Milano/Conseil et Parlement (Siège de l’Agence européenne des médicaments) (C‑106/19 et C‑232/19, EU:C:2021:816).


4      JO 1992, C 341, p. 1.


5      JO 1993, L 214, p. 1.


6      Décision prise du commun accord des représentants des gouvernements des États membres réunis au niveau des chefs d’État et de gouvernement relative à la fixation des sièges de certains organismes et services des Communautés européennes ainsi que d’Europol (JO 1993, C 323, p. 1).


7      JO 2004, L 136, p. 1.


8      Document XT 21045/17 du Conseil – Procédure conduisant à une décision relative au transfert de l’Agence européenne des médicaments et de l’Autorité bancaire européenne dans le cadre du retrait du Royaume‑Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union.


9      Document 11450/12 du Conseil – Approbation de la déclaration commune et de l’approche commune.


10      Voir point 2 des règles de sélection.


11      Évaluation par la Commission des 27 offres présentées par les États membres en vertu de la procédure conduisant à une décision relative au transfert de l’Agence européenne des médicaments et de l’Autorité bancaire européenne dans le cadre du retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union.


12      Document XT 21092/17 du Conseil – Procédure conduisant à une décision relative au transfert de l’Agence européenne des médicaments et de l’Autorité bancaire européenne dans le cadre du retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union.


13      Document 14559/17 du Conseil – Résultats de la session du Conseil [3 579e session du Conseil, Affaires générales (article 50)].


14      Communiqué de presse du 20 novembre 2017, « Transfert de l’Agence européenne des médicaments à Amsterdam, aux Pays-Bas » – https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2017/11/20/european-medicines-agency-to-be-relocated-to-city-country/.


15      Note sans pertinence dans la version en langue française des présentes conclusions.


16      Voir article 71 bis du règlement no 726/2004.


17      Cette affaire a été initialement introduite devant le Tribunal par la commune de Milan (affaire T‑46/18). Le 8 mars 2018, le Tribunal a décidé, conformément à l’article 54, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 128 du règlement de procédure du Tribunal, de décliner sa compétence en faveur de la Cour de manière à permettre à cette dernière de statuer sur ce recours compte tenu du fait que, dans l’affaire T‑46/18, la question de la validité du même acte a été soulevée comme dans l’affaire C‑59/18.


18      Ordonnance du vice-président de la Cour du 2 juillet 2018, Comune di Milano/Conseil (C‑182/18 R, non publiée, EU:C:2018:524).


19      COM(2018) 131 final.


20      Voir note du président du Conseil, contenant les règles de sélection en annexe (document 7491/19 du Conseil – Procédure de sélection du siège de l’Autorité européenne du travail).


21      Voir note en bas de page 9 des présentes conclusions.


22      Dans la note 2 du document contenant les règles de sélection, « common agreement » et « common accord » ont été définis comme étant des « [termes anglais qui] emportent la même exigence, à savoir que tous les représentants de gouvernement doivent être en mesure de s’exprimer en faveur de la solution retenue (pas d’abstention) ».


23      P8_TA(2019)0380 – Résolution législative du Parlement européen, du 16 avril 2019, sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant une Autorité européenne du travail [COM(2018) 131 – C8‑0118/2018 – 2018/0064(COD)].


24      Point 32 des présentes conclusions.


25      Cette déclaration a été publiée au Journal officiel (JO 2019, L 188, p. 131) après l’adoption du règlement fondateur.


26      Voir document 10360/19 du Conseil – Projet de procès-verbal, Conseil de l’Union européenne (Emploi, politique sociale, santé et consommateurs), p. 5. Voir également le communiqué de presse du 13 juin 2019 du Conseil.


27      Décision prise d’un commun accord entre les représentants des gouvernements des États membres, le 13 juin 2019, fixant le siège de l’Autorité européenne du travail (JO 2019, L 189, p. 68).


28      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 instituant l’Autorité européenne du travail, modifiant les règlements (CE) no 883/2004, (UE) no 492/2011 et (UE) 2016/589, et abrogeant la décision (UE) 2016/344 (JO 2019, L 186, p. 21).


29      Voir, par exemple, arrêts du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement (294/83, EU:C:1986:166, point 23) ; du 28 mars 2017, Rosneft (C‑72/15, EU:C:2017:236, point 66 et jurisprudence citée), ainsi que du 3 juin 2021, Hongrie/Parlement (C‑650/18, EU:C:2021:426, point 34).


30      Voir, par exemple, arrêts du 26 mars 2019, Commission/Italie (C‑621/16 P, EU:C:2019:251, point 44) ; du 9 juillet 2020, République tchèque/Commission (C‑575/18 P, EU:C:2020:530, point 46 et jurisprudence citée), ainsi que du 3 juin 2021, Hongrie/Parlement (C‑650/18, EU:C:2021:426, point 37).


31      Voir, à titre d’exemples de cas où la Cour a jugé qu’elle n’était pas compétente, arrêts du 28 avril 1988, LAISA et CPC España/Conseil (31/86 et 35/86, non publié, EU:C:1988:211, points 17 et 18), concernant des dispositions d’un acte d’adhésion ; du 19 mars 1996, Commission/Conseil (C‑25/94, EU:C:1996:114, points 24 à 28), concernant un acte adopté par des organes auxiliaires d’une institution de l’Union comme le Coreper, et du 17 septembre 2014, Liivimaa Lihaveis (C‑562/12, EU:C:2014:2229, point 51), concernant un acte adopté par les représentants des autorités nationales de plusieurs États membres agissant dans le cadre d’un comité prévu par un règlement de l’Union.


32      Voir, par exemple, arrêts du 31 mars 1971, Commission/Conseil (22/70, EU:C:1971:32, points 40 à 42) ; du 4 septembre 2014, Commission/Conseil (C‑114/12, EU:C:2014:2151, point 39), et du 20 février 2018, Belgique/Commission (C‑16/16 P, EU:C:2018:79, point 31).


33      Voir, par exemple, arrêt du 19 décembre 2018, Berlusconi et Fininvest (C‑219/17, EU:C:2018:1023, points 42 à 50).


34      Voir, par exemple, s’agissant de la compétence de la Cour découlant de l’article 14.2, second alinéa, du statut du SEBC et de la BCE, arrêt du 26 février 2019, Rimšēvičs et BCE/Lettonie (C‑202/18 et C‑238/18, EU:C:2019:139, point 55).


35      Voir, par exemple, arrêt du 3 décembre 1992, Oleificio Borelli/Commission (C‑97/91, EU:C:1992:491, point 9) ; et ordonnances du 16 mai 2008, Raulin/France (C‑49/08, non publiée, EU:C:2008:286, point 7), et du 21 février 2013, Gassiat/Ordre des avocats de Paris (C‑467/12, non publiée, EU:C:2013:104, point 8 et jurisprudence citée).


36      Voir, par exemple, Bebr, G., « Actes of representatives of the governments of Member States », Sociaal-Economische Wetgeving, vol. 14, 1966, p. 528 ; Pescatore, P., « Remarques sur la nature juridique des “décisions des représentants des États membres réunis au sein du Conseil” », Sociaal-Economische Wetgeving, vol. 14, 1966, p. 579 ; Mortelmans, K. J., « The Extramural Meetings of the Ministers of the Member States of the Community », Common Market Law Review, vol. 11, 1974, p. 62.


37      Arrêt du 30 juin 1993, Parlement/Conseil  et Commission (C‑181/91 et C‑248/91, ci-après l’« arrêt Parlement/Conseil », EU:C:1993:271, point 12). Mise en italique par mes soins.


38      Voir ordonnances de la Cour du 16 juin 2021, Sharpston/Conseil et Conférence des représentants des gouvernements des États membres (C‑684/20 P, non publiée, EU:C:2021:486, point 39), et du 16 juin 2021, Sharpston/Conseil et représentants des gouvernements des États membres (C‑685/20 P, EU:C:2021:485, point 39). Voir également ordonnances du vice‑présidente de la Cour du 10 septembre 2020, Conseil/Sharpston [C‑423/20 P(R), non publiée, EU:C:2020:700, point 26], et du 10 septembre 2020, Conseil/Sharpston [C‑424/20 P(R), non publiée, EU:C:2020:705, point 26].


39      Voir ordonnance de la Cour du 16 juin 2021, Sharpston/Conseil et Conférence des représentants des gouvernements des États membres (C‑684/20 P, non publiée, EU:C:2021:486, point 40).


40      Avec le type de compétence de la Cour prévu dans ces décisions. Voir, par exemple, par analogie en ce qui concerne les accords entre États membres, considérant 16 et article 37, paragraphe 3, du traité instituant le mécanisme européen de stabilité, et arrêt du 27 novembre 2012, Pringle (C‑370/12, EU:C:2012:756, points 170 à 176).


41      Voir, à ce dernier effet, ordonnance de la Cour du 16 juin 2021, Sharpston/Conseil et Conférence des représentants des gouvernements des États membres (C‑684/20 P, non publiée, EU:C:2021:486, points 41 et 42).


42      Voir, à cet effet, arrêts du 22 juin 2010, Melki et Abdeli (C‑188/10 et C‑189/10, EU:C:2010:363, points 45 à 47, 54 et 55), ainsi que du 19 décembre 2018, Berlusconi et Fininvest (C‑219/17, EU:C:2018:1023, point 46).


43      Arrêt du 22 octobre 1987, Foto-Frost (314/85, EU:C:1987:452, point 15).


44      Arrêt Parlement/Conseil (point 14).


45      Voir, à cet effet, conclusions de l’avocat général Jacobs dans les affaires jointes Parlement/Conseil et Commission (C‑181/91 et C‑248/91, non publiées, EU:C:1992:520, points 17 à 22).


46      Ordonnance du 28 février 2017, NG/Conseil européen  (T‑193/16, EU:T:2017:129, point 67).


47      Voir ordonnances du Tribunal du 28 février 2017, NF/Conseil européen (T‑192/16, EU:T:2017:128) ; du 28 février 2017, NG/Conseil européen  (T‑193/16, EU:T:2017:129), et du 28 février 2017, NM/Conseil européen  (T‑257/16, EU:T:2017:130).


48      Ordonnances du Tribunal du 28 février 2017, NF/Conseil européen  (T‑192/16, EU:T:2017:128, point 62) ; du 28 février 2017, NG/Conseil européen (T‑193/16, EU:T:2017:129, point 63), et du 28 février 2017, NM/Conseil européen (T‑257/16, EU:T:2017:130, point 61).


49      Voir, par exemple, ordonnances du vice-président de la Cour du 10 septembre 2020, Conseil/Sharpston [C‑423/20 P(R), non publiée, EU:C:2020:700], et du 10 septembre 2020, Conseil/Sharpston [C‑424/20 P(R), non publiée, EU:C:2020:705], où les mêmes personnes représentaient à la fois le Conseil et les représentants des gouvernements des États membres.


50      Je reconnais volontiers néanmoins que toutes ces considérations pourraient simplement se rattacher à une vision assez étroite et peut-être dépassée de la fonction juridictionnelle selon laquelle le contrôle juridictionnel des actes ne peut être opéré qu’à l’égard de ceux que l’on a en fait vus. Cependant, la clairvoyance est peut-être susceptible de surmonter des limitations physiques aussi prosaïques. Voir également, à cet égard, arrêt du 10 mars 2009, Heinrich (C‑345/06, EU:C:2009:140), compte tenu des conclusions de l’avocate générale Sharpston dans l’affaire Heinrich (C‑345/06, EU:C:2008:212, points 70 à 77).


51      Pour fournir un exemple notable récent, ce n’est que dans son arrêt du 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B. (C‑42/17, EU:C:2017:936, points 43 à 47), que la Cour a tiré cette conséquence du fait que « la protection des intérêts financiers de l’Union par l’édiction de sanctions pénales relève d’une compétence partagée entre l’Union et les États membres » et que, comme dans l’arrêt du 8 septembre 2015, Taricco e.a. (C‑105/14, EU:C:2015:555), au moment de la procédure au principal, les règles de limitation applicables aux procédures pénales relatives à la taxe sur la valeur ajoutée n’avaient pas été harmonisées par le législateur de l’Union.


52      Voir ordonnances de la Cour du 16 juin 2021, Sharpston/Conseil et Conférence des représentants des gouvernements des États membres  (C‑684/20 P, non publiée, EU:C:2021:486), et du 16 juin 2021, Sharpston/Conseil et représentants des gouvernements des États membres (C‑685/20 P, EU:C:2021:485).


53      Voir, par exemple, arrêt Parlement/Conseil (point 15).


54      Voir dernière phrase du premier alinéa de l’article 263 TFUE ; second alinéa de l’article 265 TFUE, et article 267 TFUE.


55      Voir article 123 TFUE. Voir également, toujours à l’égard de la BCE, article 282, paragraphe 3, TFUE.


56      Voir article 228 TFUE. Voir également, concernant l’administration plus généralement, article 298, paragraphe 1, TFUE.


57      Sur le fondement de l’article 342 TFUE, « [l]e régime linguistique des institutions de l’Union est fixé, sans préjudice des dispositions prévues par le statut de la Cour de justice de l’Union européenne, par le Conseil statuant à l’unanimité par voie de règlements ».


58      Règlement du Conseil portant fixation du régime linguistique de la Communauté Économique Européenne (JO 1958, 17, p. 385). Voir, par exemple, article 35 du règlement 2019/1149.


59      Voir, par exemple, article 25, paragraphe 2, du règlement (CE) no 168/2007 du Conseil, du 15 février 2007, portant création d’une Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (JO 2007, L 53, p. 1).


60      Voir, concernant l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (OHMI), le prédécesseur de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), arrêt du 9 septembre 2003, Kik/OHMI (C‑361/01 P, EU:C:2003:434, points 92 à 94).


61      Voir, par exemple, arrêt du 16 décembre 2020, Conseil e.a./K. Chrysostomides & Co. e.a. (C‑597/18 P, C‑598/18 P, C‑603/18 P et C‑604/18 P, EU:C:2020:1028, point 80).


62      Voir, par exemple, concernant la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail (Eurofound), règlement (UE) 2019/127 du Parlement européen et du Conseil, du 16 janvier 2019, instituant la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail (Eurofound) et abrogeant le règlement (CEE) no 1365/75 du Conseil (JO 2019, L 30, p. 74), qui a mentionné l’article 153, paragraphe 2, TFUE (compétence complémentaire de l’Union dans le domaine des conditions de travail), et concernant l’Agence de l’Union européenne pour la sécurité aérienne (AESA), règlement (UE) 2018/1139 du Parlement européen et du Conseil, du 4 juillet 2018, concernant des règles communes dans le domaine de l’aviation civile et instituant une Agence de l’Union européenne pour la sécurité aérienne, et modifiant les règlements (CE) no 2111/2005, (CE) no 1008/2008, (UE) no 996/2010, (UE) no 376/2014 et les directives 2014/30/UE et 2014/53/UE du Parlement européen et du Conseil, et abrogeant les règlements (CE) no 552/2004 et (CE) no 216/2008 du Parlement européen et du Conseil ainsi que le règlement (CEE) no 3922/91 du Conseil (JO 2018, L 212, p. 1), adopté sur le fondement de l’article 100, paragraphe 2, TFUE qui concerne le transport maritime et aérien.


63      Je souligne encore en termes conceptuels, quant à la nature de la décision à prendre et à la capacité de la prendre. Je suis sans doute d’accord avec la considération, s’agissant de la décision spécifique et de son résultat, qu’une décision politique du Parlement, ainsi que de tout autre institution ou acteur dans ce domaine, puisse éventuellement différer de celle des États membres. Cependant, la capacité de parvenir à une décision différente ne peut certainement pas équivaloir à l’incapacité de rendre une décision politique.


64      En détail aux points 14 et 33 des présentes conclusions respectivement.


65      Les prédécesseurs de l’article 341 TFUE sont, dans l’ordre chronologique inversé, l’article 289 CE, l’article 216 CEE et l’article 77 du traité CECA.


66      Voir point 91 des présentes conclusions.


67      Mise en italique par mes soins.


68      Lorsque ce type de décision est pris sur le fondement d’une disposition spécifique du droit de l’Union, il fait ensuite partie du droit de l’Union. Voir, par exemple, à cet effet, à l’égard du siège des institutions de l’Union en vertu du prédécesseur de l’article 341 TFUE, arrêt du 1er octobre 1997, France/Parlement (C‑345/95, EU:C:1997:450, point 34), où la Cour a examiné la compatibilité du vote en cause du Parlement avec la décision d’Édimbourg.


69      Le protocole no 22 a été adopté dans le sillage de la décision des chefs d’État ou de gouvernement, réunis en Conseil européen à Édimbourg le 12 décembre 1992, concernant certains problèmes soulevés par le Danemark sur le traité sur l’Union européenne, auquel ce protocole se réfère expressément.


70      À la suite du premier rejet du traité du Lisbonne par le peuple irlandais, les chefs d’État ou de gouvernement des 27 États membres de l’Union, réunis en Conseil européen, ont adopté en juin 2009 une décision relative aux préoccupations du peuple irlandais concernant le traité de Lisbonne. Cette décision a envisagé l’adoption d’un protocole au moment du prochain traité d’adhésion. Un protocole relatif aux préoccupations du peuple irlandais concernant le traité de Lisbonne a donc été adopté et annexé aux traités à l’occasion de l’adhésion de la Croatie (JO 2013, L 60, p. 131).


71      En vertu du traité de Lisbonne, avec la création du Conseil européen en tant qu’institution de l’Union, les décisions des chefs d’État ou de gouvernement vont être probablement graduellement remplacées par des décisions (susceptibles de recours) du Conseil européen. En conséquence, des situations qui pouvaient éventuellement mener à des vides juridiques dans le droit de l’Union en raison de décisions « non incorporées » des chefs d’État ou de gouvernement devraient finalement disparaître.


72      Voir, à cet effet, arrêt du 2 mars 2010, Rottmann (C‑135/08, EU:C:2010:104, point 40), qui concernait la partie de la décision d’Édimbourg relative au Danemark et également une déclaration interprétative annexée aux traités.


73      Voir note en bas de page 5 des présentes conclusions.


74      Décision prise du commun accord des représentants des États membres réunis au niveau des chefs d’État ou de gouvernement du 13 décembre 2003 relative à la fixation des sièges de certains organismes de l’Union européenne (JO 2004, L 29, p. 15), concernant les sièges du Collège européen de Police (CEPOL), de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), de l’Agence de l’Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale (Eurojust), de l’Agence européenne pour la sécurité maritime (EMSA), de l’Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA), de l’Agence ferroviaire européenne (ERA), de l’Agence européenne chargée de la sécurité des réseaux et de l’information (ENISA), du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) et de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA).


75      Décision prise d’un commun accord par les représentants des gouvernements des États membres du 7 décembre 2009 fixant le siège de l’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie (JO 2009, L 322, p. 39), prise « vu l’article 341 [TFUE] » et signée par la présidente du Conseil. La création de cette agence a été décidée par le règlement (CE) no 713/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, instituant une agence de coopération des régulateurs de l’énergie (JO 2009, L 211, p. 1).


76      Décision (UE) 2021/4 prise d’un commun accord entre les représentants des gouvernements des États membres, du 9 décembre 2020, fixant le siège du Centre européen de compétences industrielles, technologiques et de recherche en matière de cybersécurité (JO 2021, L 4, p. 7).


77      Voir, par exemple, article 94, paragraphe 3, du règlement 2018/1139 ; article 79, paragraphe 1, du règlement (UE) 2018/1727 du Parlement européen et du Conseil, du 14 novembre 2018, relatif à l’Agence de l’Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale (Eurojust) et remplaçant et abrogeant la décision 2002/187/JAI du Conseil (JO 2018, L 295, p. 138), et article 25 du règlement (UE) 2015/2219 du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2015, sur l’Agence de l’Union européenne pour la formation des services répressifs (CEPOL) et remplaçant et abrogeant la décision 2005/681/JAI du Conseil (JO 2015, L 319, p. 1).


78      Le siège du centre européen pour le développement de la formation professionnelle (Cedefop) a été décidé par l’acte fondateur [article 1er du règlement (CEE) no 337/75 du Conseil, du 10 février 1975, portant création d’un centre européen pour le développement de la formation professionnelle (JO 1975, L 39, p. 1)], sans mentionner l’article 341 TFUE. Ce règlement a été abrogé par le règlement (UE) 2019/128 du Parlement européen et du Conseil, du 16 janvier 2019, instituant le Centre européen pour le développement de la formation professionnelle (Cedefop) et abrogeant le règlement no 337/75 du Conseil (JO 2019, L 30, p. 90). Son article 20, paragraphe 3, indique que « [l]e siège du Cedefop est fixé à Thessalonique [(Grèce)] ».


79      Voir règlement (CEE) no 1365/75 du Conseil, du 26 mai 1975, concernant la création d’une Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail (JO 1975, L 139, p. 1). En vertu de son article 4, paragraphe 2, « [l]e siège de la Fondation est fixé en Irlande ». En vertu de l’article 21, paragraphe 3, du règlement 2019/127, « [l]e siège d’Eurofound est fixé à Dublin [(Irlande)] ».


80      Voir décision 2005/358/CE du Conseil, du 26 avril 2005, portant désignation du siège de l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne (JO 2005, L 114, p. 13). Cette décision a été prise « vu » l’article 15, cinquième alinéa, du règlement (CE) no 2007/2004 du Conseil, du 26 octobre 2004, portant création d’une Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne (JO 2004, L 349, p. 1). L’article 341 TFUE n’était pas mentionné dans cette décision.


81      Article 18, paragraphe 4, du règlement (CE) no 768/2005 du Conseil, du 26 avril 2005, instituant une agence communautaire de contrôle des pêches et modifiant le règlement (CEE) no 2847/93 instituant un régime de contrôle applicable à la politique commune de la pêche (JO 2005, L 128, p. 1).


82      Voir, par exemple, article 7 du règlement (UE) no 1093/2010 du Parlement européen et du Conseil, du 24 novembre 2010, instituant une Autorité européenne de surveillance (Autorité bancaire européenne), modifiant la décision no 716/2009/CE et abrogeant la décision 2009/78/CE de la Commission (JO 2010, L 331, p. 12). Voir également, dans le cadre de l’Union bancaire, le siège du Conseil de résolution unique (CRU) [article 48 du règlement (UE) no 806/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 15 juillet 2014, établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre d’un mécanisme de résolution unique et d’un Fonds de résolution bancaire unique, et modifiant le règlement (UE) no 1093/2010 (JO 2014, L 225, p. 1)].


83      Voir, par exemple, article 1er, paragraphe 3, de la décision 2014/401/PESC du Conseil, du 26 juin 2014, relative au Centre satellitaire de l’Union européenne et abrogeant l’action commune 2001/555/PESC relative à la création d’un centre satellitaire de l’Union européenne (JO 2014, L 188, p. 73). Voir également article 1er, paragraphe 5, de la décision (PESC) 2015/1835 du Conseil, du 12 octobre 2015, définissant le statut, le siège et les modalités de fonctionnement de l’Agence européenne de défense (JO 2015, L 266, p. 55), adoptée sur le fondement spécifique de l’article 45, paragraphe 2, TUE.


84      Initialement, la décision sur le siège a été prise par le Conseil dans sa décision du 22 décembre 2000 portant création du Collège européen de Police (CEPOL) (2000/820/JAI) (JO 2000, L 336, p. 1). Ce siège a été ensuite « décidé » de nouveau par la décision des représentants des États membres du 13 décembre 2003 (voir note en bas de page 77 des présentes conclusions). Par la suite, ce fut le Conseil qui décida, le 8 octobre 2013, de modifier le siège du CEPOL avant le Parlement. En conséquence, le règlement (UE) no 543/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, modifiant la décision 2005/681/JAI du Conseil instituant le Collège européen de police (CEPOL) (JO 2014, L 163, p. 5) a été adopté. À présent, le siège du CEPOL est mentionné à l’article 25 du règlement 2015/2219.


85      Voir, par exemple, mes conclusions dans l’affaire Confédération paysanne e.a. (C‑528/16, EU:C:2018:20, points 138 à 142).


86      Ce qui n’est pas le cas, comme expliqué au point 106 des présentes conclusions, cette supposition étant émise pour la commodité du raisonnement.


87      Voir, par exemple, arrêts du 19 juillet 2016, H/Conseil e.a. (C‑455/14 P, EU:C:2016:569, point 41), et du 28 mars 2017, Rosneft (C‑72/15, EU:C:2017:236, points 72 et 73).


88      Accessoirement, il semble toujours qu’il n’existe aucun siège formel du Conseil européen, malgré la transformation de ce dernier d’une pratique intergouvernementale en une institution de l’Union par le traité du Lisbonne.


89      La question de savoir si l’article 341 TFUE suffit à cet effet ou s’il doit être invoqué en association avec l’article 48 TUE, comme le fait valoir le Conseil, ne doit pas être tranchée aux fins des présentes affaires.


90      Points 72 à 81 des présentes conclusions.


91      Voir points 38 et 40 des présentes conclusions.


92      Se rapportant plutôt à la nature du document et à sa force contraignante, pas nécessairement à l’auteur. Cependant, même à l’égard de la première, la Cour a indiqué à maintes reprises que la publication au Journal officiel n’est pas pertinente. Voir, par exemple, à cet effet, arrêts du 6 octobre 1987, Demouche e.a. (152/83, EU:C:1987:421, point 19), et du 15 juin 2017, Lietuvos Respublikos transporto priemonių draudikų biuras (C‑587/15, EU:C:2017:463, point 38).


93      Point 19 des présentes conclusions.


94      Voir point 6 des règles de sélection.


95      Avec le principe de la compétence attribuée qui a des répercussions sur l’auteur aussi : si cela s’est produit (factuellement) au sein de la Commission, et que la Commission peut seulement agir en tant que cette institution même, l’auteur doit donc être la Commission – voir point 58 des présentes conclusions.


96      Voir, par exemple, arrêt du 27 novembre 2012, Pringle (C‑370/12, EU:C:2012:756, point 158 et jurisprudence citée).


97      Voir points 104 à 108 des présentes conclusions.


98      Voir points 121 à 125 des présentes conclusions.


99      Comme proposé aux points 80 et 81 des présentes conclusions.


100      Point 6 de l’approche commune annexée à la déclaration commune sur les agences décentralisées (voir note en bas de page 9). Mise en italique par mes soins.


101      Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant modification du règlement (CE) no 726/2004 en ce qui concerne la fixation du siège de l’Agence européenne des médicaments [COM(2017) 735 final – 2017/0328 (COD)]. Mise en italique par mes soins.


102      Point 32 des présentes conclusions.


103      Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur la mise en œuvre de la déclaration commune et de l’approche commune en ce qui concerne la fixation du siège des agences [COM(2019) 187 final].


104      Ainsi que l’ont aussi indirectement illustré les observations de presque toutes les parties aux présentes affaires : tout en ayant des avis très différents sur les points juridiques soulevés par les présentes affaires, et parfois même des avis diamétralement opposés, toutes les parties (institutionnelles) étaient unies pour dire qu’il est fondamental que la Cour précise les règles pour l’avenir.


105      Ordonnances de la Cour, Sharpston/Conseil et Conférence des représentants des gouvernements des États membres (C‑684/20 P, non publiée, EU:C:2021:486, point 44), et du 16 juin 2021, Sharpston/Conseil et représentants des gouvernements des États membres (C‑685/20 P, EU:C:2021:485, point 50).


106      Voir points 115 à 117 des présentes conclusions.


107      Voir mes conclusions parallèles dans les affaires EMA 2 (C‑106/19 et C‑232/19, EU:C:2021:816).


108      Voir, par exemple, arrêt du 20 février 2018, Belgique/Commission (C‑16/16 P, EU:C:2018:79, point 26).


109      Voir, à cet effet, arrêt du 31 janvier 2006, Commission/Espagne (C‑503/03, EU:C:2006:74, points 33 à 35). Voir également conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Commission/Conseil (C‑13/07, EU:C:2009:190, points 37 à 41).


110      Voir, par exemple, à cet effet, arrêts du 27 novembre 2012, Pringle (C‑370/12, EU:C:2012:756, points 163 et 164), en ce qui concerne le traité établissant le mécanisme européen de stabilité, compte tenu notamment des compétences de l’Union, ainsi que du 20 septembre 2016, Ledra Advertising e.a./Commission et BCE (C‑8/15 P à C‑10/15 P, EU:C:2016:701, point 67), s’agissant des protocoles d’accord entre un État membre et le mécanisme européen de stabilité.