Language of document : ECLI:EU:C:2017:364

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 13 mars 2018 (1)

Affaire C‑52/17

VTB Bank (Austria) AG

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral, Autriche)]

« Renvoi préjudiciel – Rapprochement de législations – Surveillance des établissements de crédit – Directive 2013/36/UE – Règlement (UE) no 575/2013 – Règlement (UE) no 468/2014 – Pouvoirs de surveillance et de sanction – Limites aux grands risques – Réglementation d’un État membre prévoyant l’imposition d’intérêts en cas de dépassement des limites aux grands risques »






1.        Ce renvoi offre à la Cour la possibilité de se prononcer pour la première fois (sauf erreur de ma part) sur certains aspects de la procédure de surveillance des exigences prudentielles auxquelles le législateur de l’Union soumet les établissements de crédit et les entreprises d’investissement.

2.        La réglementation régissant cette matière se compose de la directive 2013/36/UE (2) et du règlement (UE) no 575/2013 (3). Dans ce contexte, le litige pendant devant les juridictions autrichiennes soulève, en substance, deux questions :

–      d’une part, celle de la nature juridique de l’imposition d’intérêts aux établissements qui ne respectent pas les limites applicables à l’exposition aux risques fixées par le CRR. Concrètement, il faudra établir s’il s’agit d’une sanction ou d’une mesure administrative, et apprécier les marges dont disposent les autorités nationales en décidant de cette imposition dans des cas tels que celui de l’affaire au principal ;

–      d’autre part, celle des conditions dans lesquelles l’existence d’une procédure de surveillance en cours pourra être admise, en vue de l’application du régime transitoire prévu par le règlement (UE) no 468/2014 (4) (ci-après le « règlement-cadre MSU »), compte tenu de la modification de la répartition des compétences entre la Banque centrale européenne (BCE) et une autorité de surveillance nationale.

I.      Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

1.      La directive 2013/36

3.        Le considérant 2 de la directive 2013/36 énonce :

« La présente directive contient, entre autres, les dispositions régissant l’agrément, l’acquisition de participations qualifiées, l’exercice de la liberté d’établissement et de la libre prestation de services, les compétences des autorités de surveillance des États membres d’origine et d’accueil dans ce domaine, ainsi que les dispositions régissant le capital initial et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d’investissement. Les principaux objectifs de la présente directive sont de coordonner les dispositions nationales concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, leurs modalités de gouvernance et leur cadre de surveillance. Les directives 2006/48/CE [(5)] et 2006/49/CE [(6)] contenaient aussi des exigences prudentielles pour les établissements de crédit et les entreprises d’investissement. Il convient que ces exigences fassent l’objet du règlement (UE) no 575/2013, instituant, pour les établissements de crédit et les entreprises d’investissement, des exigences prudentielles uniformes et directement applicables, compte tenu du lien étroit qui existe, pour un certain nombre d’actifs détenus par les établissements de crédit et les entreprises d’investissement, entre ces exigences et le fonctionnement des marchés financiers. La présente directive devrait par conséquent être lue conjointement avec le règlement (UE) no 575/2013 et devrait, ensemble avec ledit règlement, former le cadre juridique régissant les activités bancaires, le cadre de surveillance et les règles prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement. »

4.        Le considérant 35 de la directive 2013/36 se lit comme suit :

« Afin d’assurer que les établissements, les personnes qui contrôlent effectivement leurs activités et les membres de leur organe de direction respectent les obligations résultant de la présente directive et du règlement (UE) no 575/2013 et de leur garantir un traitement similaire dans l’ensemble de l’Union, les États membres devraient être tenus de prévoir des sanctions administratives et autres mesures administratives efficaces, proportionnées et dissuasives. Les sanctions administratives et autres mesures administratives fixées par les États membres devraient donc remplir certaines exigences essentielles relatives à leurs destinataires, aux critères à prendre en compte pour les appliquer, à leur publication, aux principaux pouvoirs d’imposer des sanctions et au montant des sanctions pécuniaires administratives. »

5.        Le considérant 41 de la directive 2013/36 se lit comme suit :

« La présente directive devrait pourvoir aussi bien à des sanctions administratives qu’à d’autres mesures administratives, afin d’assurer un champ d’application aussi large que possible aux actes consécutifs à une infraction et d’aider à prévenir de nouvelles infractions, que ces actes constituent des sanctions administratives ou des autres mesures administratives en droit national. Les États membres devraient être en mesure de prévoir d’autres sanctions en plus de celles mentionnées dans la présente directive et peuvent fixer les sanctions pécuniaires administratives à un montant supérieur à celui prévu dans la présente directive. »

6.        L’article 64 (« Pouvoirs de surveillance et de sanction ») de la directive 2013/36 dispose :

« 1.      Les autorités compétentes sont investies de tous les pouvoirs de surveillance permettant d’intervenir dans l’activité des établissements qui sont nécessaires à l’exercice de leurs fonctions, et notamment du pouvoir de retirer un agrément conformément à l’article 18, des pouvoirs requis conformément à l’article 102 et des pouvoirs énoncés aux articles 104 et 105.

2.      Les autorités compétentes exercent leurs pouvoirs de surveillance et de sanction, conformément à la présente directive et au droit national, selon les modalités suivantes :

a)      directement ;

b)      en collaboration avec d’autres autorités ;

c)      sous leur responsabilité, par délégation à d’autres autorités ;

d)      par saisine des autorités judiciaires compétentes. »

7.        L’article 65 (« Sanctions administratives et autres mesures administratives ») de la directive 2013/36 prévoit, à son paragraphe 1 :

« Sans préjudice des pouvoirs de surveillance dont les autorités compétentes sont investies en vertu de l’article 64 et du droit des États membres de prévoir et d’imposer des sanctions pénales, les États membres déterminent le régime des sanctions administratives et autres mesures administratives applicables aux infractions aux dispositions nationales transposant la présente directive et au règlement (UE) no 575/2013 et ils prennent toutes les mesures nécessaires pour garantir leur mise en œuvre. Lorsque les États membres décident de ne pas déterminer de régime des sanctions administratives pour les infractions qui relèvent du droit pénal national, ils communiquent à la Commission les dispositions de droit pénal applicables. Les sanctions administratives et autres mesures administratives sont effectives, proportionnées et dissuasives. »

8.        En vertu de l’article 67 de la directive 2013/36 :

« 1.      Le présent article s’applique au moins dans une des circonstances suivantes :

[…]

k)      un établissement est soumis à une exposition supérieure aux limites fixées par l’article 395 du règlement (UE) no 575/2013 ;

[…]

2.      Les États membres veillent à ce que, dans les cas visés au paragraphe 1, les sanctions administratives et autres mesures administratives pouvant être imposées soient au moins les suivantes :

[…]

g)      des sanctions pécuniaires administratives d’un montant maximal de deux fois l’avantage retiré de l’infraction ou des pertes qu’elle a permis d’éviter, si ceux-ci peuvent être déterminés.

[…] »

2.      Le règlement no 575/2013

9.        Le considérant 5 du règlement no 575/2013 indique ce qui suit :

« Le présent règlement et la directive 2013/36/UE combinés devraient former le cadre juridique régissant l’accès à l’activité, le cadre de surveillance et les règles prudentielles applicables aux établissements de crédit et entreprises d’investissement […]. Par conséquent, le présent règlement devrait être lu conjointement avec ladite directive. »

10.      Aux termes du considérant 9 du règlement no 575/2013 :

« Pour des raisons de sécurité juridique et vu la nécessité de conditions de concurrence égales au sein de l’Union, un ensemble unique de réglementations applicables à tous les acteurs du marché est un élément essentiel du fonctionnement du marché intérieur. Pour éviter les distorsions du marché et l’arbitrage réglementaire, les exigences prudentielles minimales devraient dès lors assurer un maximum d’harmonisation […] »

11.      Conformément à l’article 2 du règlement no 575/2013 :

« Afin d’assurer le respect du présent règlement, les autorités compétentes disposent des pouvoirs et suivent les procédures prévus par la directive 2013/36/UE. »

12.      Aux termes de l’article 395 du règlement no 575/2013 :

« 1.      Un établissement n’assume pas d’exposition à l’égard d’un client ou d’un groupe de clients liés, dont la valeur, après prise en considération des effets de l’atténuation du risque de crédit conformément aux articles 399 à 403, dépasse 25 % de ses fonds propres éligibles. Lorsque ce client est un établissement, ou lorsqu’un groupe de clients liés comprend un ou plusieurs établissements, cette valeur ne dépasse pas 25 % des fonds propres de l’établissement ou 150 000 000 EUR, le montant le plus élevé étant retenu, sous réserve que la somme des valeurs d’exposition, après prise en considération des effets de l’atténuation du risque de crédit conformément aux articles 399 à 403, à l’égard de tous les clients liés qui ne sont pas des établissements ne dépasse pas 25 % des fonds propres éligibles de l’établissement.

Lorsque le montant de 150 000 000 EUR est supérieur à 25 % des fonds propres éligibles de l’établissement, la valeur de l’exposition, après prise en considération des effets de l’atténuation du risque de crédit conformément aux articles 399 à 403, ne dépasse pas une limite raisonnable par rapport aux fonds propres éligibles de l’établissement. Cette limite est déterminée par l’établissement, conformément aux politiques et procédures, visées à l’article 81 de la directive 2013/36/UE, qu’il a mises en place pour traiter et contrôler le risque de concentration. Elle ne dépasse pas 100 % des fonds propres éligibles de l’établissement.

Les autorités compétentes peuvent fixer une limite inférieure à 150 000 000 EUR ; elles en informent l’ABE [Autorité bancaire européenne] et la Commission.

[…]

5.      Les limites prévues au présent article peuvent être dépassées pour les expositions relevant du portefeuille de négociation de l’établissement lorsque les conditions suivantes sont remplies :

a)      l’exposition, hors portefeuille de négociation, sur le client ou groupe de clients liés concerné ne dépasse pas la limite prévue au paragraphe 1, cette limite étant calculée par rapport aux fonds propres éligibles, si bien que le dépassement résulte entièrement du portefeuille de négociation ;

b)      l’établissement satisfait à une exigence de fonds propres supplémentaire pour le dépassement de la limite prévue au paragraphe 1, laquelle est calculée conformément aux articles 397 et 398 ;

c)      lorsqu’un maximum de dix jours s’est écoulé depuis la survenance du dépassement, l’exposition sur le client ou groupe de clients liés dans le cadre du portefeuille de négociation ne dépasse pas 500 % des fonds propres éligibles de l’établissement ;

d)      tout dépassement qui dure depuis plus de dix jours ne dépasse pas, au total 600 % des fonds propres éligibles de l’établissement.

Chaque fois que la limite est dépassée, l’établissement déclare sans délai, aux autorités compétentes le montant du dépassement et le nom du client concerné et, le cas échéant, le nom du groupe de clients liés concernés.

[…] »

13.      Conformément à son article 396, paragraphe 1 :

« Si, dans un cas exceptionnel, les expositions prises par un établissement dépassent la limite prévue à l’article 395, paragraphe 1, l’établissement déclare, sans délai, la valeur exposée au risque aux autorités compétentes qui peuvent, lorsque les circonstances le justifient, accorder un délai limité pour que l’établissement se conforme aux limites.

[…] »

3.      Le règlement (UE) no 1024/2013

14.      L’article 33, paragraphe 2, du règlement (UE) no 1024/2013 (7) dispose :

« La BCE assume les missions que lui confie le présent règlement le 4 novembre 2014, sous réserve des dispositions et mesures d’exécution énoncées au présent paragraphe.

[…] »

4.      Le règlement-cadre MSU

15.      L’article 2 du règlement-cadre MSU énonce les définitions suivantes :

« […]

24.      “procédure de surveillance prudentielle de la BCE”, toute activité de la BCE visant à préparer une décision de surveillance prudentielle de la BCE, y compris les procédures communes et l’imposition de sanctions pécuniaires administratives. […]

25.      “procédure de surveillance prudentielle d’une autorité compétente nationale”, toute activité d’une autorité compétente nationale visant à préparer une décision de cette autorité de surveillance prudentielle, dont le destinataire est une entité soumise à la surveillance prudentielle ou un groupe soumis à la surveillance prudentielle ou une ou plusieurs autres personnes, y compris l’imposition de sanctions administratives ;

[…] »

16.      L’article 48 (« Procédures en cours ») du règlement-cadre MSU dispose :

« 1.      S’il doit être procédé à une modification de la répartition des compétences entre la BCE et une autorité compétente nationale, l’autorité dont la compétence prend fin (ci-après “l’autorité dont la compétence prend fin”) informe l’autorité à laquelle cette compétence est attribuée (ci-après “l’autorité prenant en charge la surveillance prudentielle”) de toute procédure de surveillance prudentielle formellement initiée, qui requiert une décision. L’autorité prenant en charge la surveillance prudentielle peut, dans des cas dûment justifiés, autoriser des transmissions d’informations moins fréquentes. Aux fins des articles 48 et 49, on entend par procédure de surveillance prudentielle, une procédure de surveillance prudentielle de la BCE ou une procédure de surveillance prudentielle d’une autorité compétente nationale.

Préalablement à la modification de la répartition des compétences, l’autorité dont la compétence prend fin prend contact avec l’autorité prenant en charge la surveillance prudentielle, dans les meilleurs délais, après l’engagement formel de toute nouvelle procédure de surveillance prudentielle requérant une décision.

[…]

3.      Si une procédure de surveillance prudentielle formellement engagée et qui requiert une décision ne peut pas être menée à terme avant la date à laquelle il doit être procédé à une modification de la répartition des compétences de surveillance prudentielle, l’autorité dont la compétence prend fin reste compétente pour mener à terme la procédure en cours. À cette fin, l’autorité dont la compétence prend fin conserve également toutes les compétences pertinentes jusqu’au terme de la procédure de surveillance prudentielle. L’autorité dont la compétence prend fin mène à son terme ladite procédure de surveillance prudentielle en cours conformément au droit applicable dans le cadre des pouvoirs qu’elle conserve. L’autorité dont la compétence prend fin informe l’autorité prenant en charge la surveillance prudentielle avant d’adopter toute décision, dans le cadre d’une procédure de surveillance prudentielle, qui était non finalisée avant la modification de la répartition des compétences. Elle fournit à l’autorité prenant en charge la surveillance prudentielle une copie de la décision prise et tout document pertinent afférent à cette décision.

[…] »

17.      L’article 149 (« Continuité des procédures existantes ») du règlement-cadre MSU dispose :

« 1.      Sauf décision contraire de la BCE, si une autorité compétente nationale a initié des procédures de surveillance prudentielle pour lesquelles la BCE devient compétente sur la base du règlement MSU, et ce, avant le 4 novembre 2014, les procédures prévues à l’article 48 du présent règlement s’appliquent.

2.      Par dérogation à l’article 48, le présent article s’applique aux procédures communes. »

B.      Le droit autrichien

18.      L’article 97, paragraphe 1, du Bankwesengesetz (loi sur le secteur bancaire) (8) disposait :

« La Finanzmarktaufsichtsbehörde (autorité de surveillance des marchés financiers, ci-après la “FMA”) doit imposer aux établissements de crédit des intérêts à hauteur des montants suivants :

[…]

4.      2 % du dépassement des limites applicables aux grands risques conformément à l’article 395, paragraphe 1, du [CRR], calculés par année, pour une durée de trente jours, à moins que des mesures de surveillance aient été adoptées en application de l’article 70, paragraphe 2, ou que l’établissement de crédit soit surendetté. »

19.      Aux termes de l’article 98, paragraphe 5 du BWG :

« Quiconque, agissant en tant que responsable […] d’un établissement de crédit,

[…]

2)      expose l’établissement à des créances supérieures aux limites fixées à l’article 395 du règlement (UE) no 575/2013 ;

[…]

commet, si le fait ne constitue par un acte punissable relevant de la compétence des cours et tribunaux, une infraction administrative et doit être condamné par l’autorité de surveillance des marchés financiers à une sanction pécuniaire pouvant aller jusqu’à 5 millions d’euros ou jusqu’au double du gain tiré de l’infraction, si celui-ci peut être calculé. »

II.    Les faits et la demande préjudicielle

20.      Sur le fondement de l’article 97, paragraphe 1, point 4, du BWG, la FMA a adopté à l’encontre de VTB Bank Austria (ci-après « VTB Bank ») deux décisions, respectivement datées du 30 octobre 2014 et du 11 mai 2015, par lesquelles elle lui a imposé des intérêts au motif que celle-ci avait assumé, à l’égard d’un groupe de clients liés, une exposition supérieure à celle autorisée en vertu de l’article 395, paragraphe 1, du règlement no 575/2013.

21.      Les intérêts se sont élevés, dans le premier cas, à un montant de 94 951,41 euros, correspondant à un dépassement commis au cours des mois de mars à septembre 2014, et, dans le second cas, à un montant de 28 278,57 euros, en raison d’un dépassement commis au cours du mois d’octobre 2014.

22.      VTB Bank a formé un recours devant le Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral, Autriche) contre la seconde des décisions de la FMA, en faisant valoir qu’elle ne pouvait être sanctionnée en vertu d’une disposition nationale puisque l’article 395, paragraphe 5, du CRR était applicable.

23.      Dans ces conditions, le Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Des dispositions de droit dérivé de l’Union (en particulier les articles 64 ou l’article 65, paragraphe 1, de la [directive 2013/36]) peuvent-elles s’appliquer à la décision par laquelle l’autorité [de surveillance des marchés financiers] a imposé des intérêts en application d’une règle légale conformément à laquelle, en cas de dépassement de la limite applicable aux grands risques prévue à l’article 395, paragraphe 1, du [CRR], des intérêts à hauteur de 2 % de ce dépassement, calculés par année, doivent être imposés à l’établissement de crédit pour une durée de trente jours ?

2)      Le droit de l’Union (en particulier l’article 395, paragraphes 1 et 5, du [CRR]) fait-il obstacle à une règle nationale telle que celle qui figurait à l’article 97, paragraphe 1, point 4, du [BWG] lorsque des intérêts (de recouvrement) sont imposés en raison d’une violation de l’article 395, paragraphe 1, du [CRR], bien que les conditions d’application de la dérogation inscrite à l’article 395, paragraphe 5, du même règlement soient remplies ?

3)      L’article 48, paragraphe 3, du [règlement-cadre MSU] doit-il être interprété en ce sens que l’on peut déjà considérer qu’il y a une “procédure de surveillance prudentielle formellement engagée” lorsqu’une entreprise fait un signalement à l’autorité de surveillance ou bien peut-on considérer qu’il y a une “procédure de surveillance prudentielle formellement engagée” lorsque l’autorité de surveillance a déjà rendu une décision dans une procédure parallèle engagée à l’encontre d’infractions similaires commises au cours de périodes antérieures ? »

III. La procédure devant la Cour

24.      La demande de décision préjudicielle a été enregistrée à la Cour le 1er février 2017.

25.      Lors de la phase écrite, des observations ont été déposées par VTB Bank, la FMA, la BCE et la Commission européenne. La Cour n’a pas jugé utile de tenir une audience.

IV.    Appréciation

26.      Selon mon opinion, qui concorde avec celle de la Commission, les deux premières questions du Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral) autorisent une réponse conjointe.

27.      Elles visent à déterminer, en substance :

–      si l’imposition d’intérêts que prévoit la loi nationale lorsqu’un établissement de crédit dépasse les limites d’exposition fixées à l’article 395, paragraphe 1, du CRR constitue une « sanction administrative » ou une « autre mesure administrative » au sens des articles 65 et 67 de la directive 2013/36 ;

–      s’il est compatible avec le droit de l’Union d’imposer ces intérêts par application de la réglementation nationale alors même que les conditions de l’exception prévue à l’article 395, paragraphe 5, du CRR sont remplies.

28.      Par sa troisième (et dernière) question, la juridiction de renvoi souhaite savoir à quel moment une procédure de surveillance doit être considérée comme formellement ouverte. C’est de la réponse à cette question que dépendra l’autorité tenue de mener cette procédure, s’il y a modification de la répartition des compétences entre la BCE et une autorité compétence nationale (ci-après « ACN ») concernant les procédures pendantes.

A.      Les « sanctions administratives et autres mesures administratives » applicables à la violation de la limite d’exposition au risque de crédit (première et deuxième questions préjudicielles)

1.      Résumé des arguments des parties

29.      Pour VTB Bank, la mesure nationale litigieuse entre dans le champ d’application de la directive 2013/36, en relevant des notions de « sanctions administratives » et « autres mesures administratives » prévues à son article 65. Les États membres sont tenus de faire application des unes et des autres en cas d’infraction au CRR.

30.      Même si la directive 2013/36 ne définit pas avec précision les deux notions, il ressort de son article 66, paragraphe 2, selon VTB Bank, que les sanctions et les mesures en question doivent remplir certaines conditions qui les rendent susceptibles de réduire ou d’empêcher toute infraction aux dispositions du CRR. Compte tenu de leur nature, essence et caractère, les intérêts imposés par la FMA seraient comparables aux sanctions ou mesures administratives énoncées par la directive 2013/36.

31.      VTB Bank rappelle en outre que l’article 395, paragraphe 5, du CRR permet que, sous certaines conditions, les limites aux grands risques visées au paragraphe 1 soient dépassées. En conséquence, un législateur national ne pourrait adopter une mesure privant d’effet utile cette disposition du législateur de l’Union.

32.      Selon la FMA, les intérêts en cause ne relèvent pas des articles 64 et 65 de la directive 2013/36. Elle estime que, selon la jurisprudence constitutionnelle autrichienne, il s’agit de mesures d’orientation économique poursuivant des objectifs du droit de la concurrence, dénuées de caractère de sanction, qui prévoient un recouvrement forfaitaire de l’avantage obtenu ou pouvant être obtenu par un établissement de crédit au moyen de la violation d’une règle prudentielle.

33.      La FMA fait valoir que le règlement no 1024/2013 confère aux États membres une certaine liberté d’adopter leur propre réglementation. Les missions de surveillance qui ne sont pas confiées à la BCE demeureraient du ressort des autorités nationales, de sorte que la mesure en question serait une règle de droit spécifiquement autrichienne qui n’aurait pas pour objet de transposer la directive 2013/36.

34.      Enfin, la FMA soutient qu’il n’existe aucun rapport direct entre la disposition litigieuse et le CRR, au motif que l’article 97, paragraphe 1, point 4, du BWG ne fait référence à l’article 395, paragraphe 1, dudit règlement (et non au paragraphe 5 du même article) que pour énoncer les conditions matérielles de prélèvement des intérêts. Compte tenu de la finalité poursuivie par cette disposition, relève-t-elle, l’application des intérêts est automatique en cas de dépassement des limites visées à l’article 395, paragraphe 1, du règlement no 575/2013, même si les conditions établies au paragraphe 5 de cet article sont respectées.

35.      La Commissionestime que la réglementation autrichienne met en œuvre les articles 64, 65 et 67 de la directive 2013/36, mais qu’elle n’est cependant pas conforme à cette directive dès lors qu’elle impose des conséquences juridiques négatives ayant un effet automatique en cas de violation de l’article 395, paragraphe 1, du CRR, sans vérifier si les conditions prévues au paragraphe 5 dudit article sont remplies.

36.      La Commission rappelle en ce sens que les articles 387 à 403 du CRR, relatifs aux grands risques, doivent être considérés comme « une mesure d’harmonisation maximale définitive des exigences prudentielles », de sorte que les États membres n’ont « aucune marge pour adopter des mesures nationales propres, dérogatoires, en matière d’exigences relatives aux grands risques ».

37.      Elle indique que la directive 2013/36 fixe des obligations aux États membres, en vertu desquelles ces derniers doivent prévoir des sanctions administratives et d’autres mesures administratives en cas de violation de la limite visée à l’article 395, paragraphe 1, du règlement CRR. Conformément à l’article 67, paragraphe 2, sous g), de ladite directive, il y a lieu d’imposer au moins des sanctions pécuniaires afin de poursuivre ladite violation.

38.      Selon la Commission, il n’y aura pas violation des limites de l’article 395, paragraphe 1, du CRR si les conditions d’application de la dérogation prévue au paragraphe 5 de cet article sont réunies. Par conséquent, une disposition nationale qui institue le paiement d’intérêts, sans prendre en considération cet article dans son ensemble, constitue une sanction administrative ou une mesure administrative à l’encontre d’un comportement autorisé par le droit de l’Union.

2.      Appréciation

39.      La directive 2013/36 et le CRR forment le cadre juridique régissant les activités bancaires, la surveillance et les règles prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement (9).

40.      Le CRR énonce précisément les exigences prudentielles qui peuvent être imposées aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement. Il s’agit uniquement de certaines conditions minimales visant, aux dires du législateur, à « assurer […] un maximum d’harmonisation » pour « éviter les distorsions du marché et l’arbitrage réglementaire ».

41.      L’idée maîtresse est que « [p]our des raisons de sécurité juridique et vu la nécessité de conditions de concurrence égales au sein de l’Union, un ensemble unique de réglementations applicables à tous les acteurs du marché est un élément essentiel du fonctionnement du marché intérieur » (10).

42.      La directive 2013/36 fournit le cadre juridique indispensable pour l’application et le respect des règles relatives à la surveillance des établissements de crédit et des entreprises d’investissement établies par le CRR.

43.      Parmi les exigences prudentielles imposées par le CRR, ressort, en ce qui concerne la présente affaire, celle prévue à l’article 395, paragraphe 1, qui interdit aux établissements d’« assume[r] […] [une] exposition à l’égard d’un client ou d’un groupe de clients liés, dont la valeur, après prise en considération des effets de l’atténuation du risque de crédit […] dépasse 25 % de ses fonds propres éligibles [(11)] ».

44.      Selon la juridiction de renvoi, cette limite d’exposition aux risques a été dépassée dans l’affaire au principal. Par conséquent, les circonstances envisagées à l’article 67, paragraphe 1, sous k), de la directive 2013/36 sont constituées, de sorte que, selon le paragraphe 2 de ce même article, il conviendrait d’appliquer « au moins », notamment, « une sanction pécuniaire administrative d’un montant maximal de deux fois l’avantage retiré de l’infraction ou des pertes qu’elle a permis d’éviter, si celles-ci peuvent être déterminées ». Cette sanction fait en effet partie des « sanctions administratives et autres mesures administratives » que les États membres sont tenus de prévoir pour les cas où cette infraction concrète, parmi d’autres, est commise.

45.      Sans que la position de la juridiction de renvoi soit claire à cet égard, la FMA insiste sur le fait que les intérêts imposés à VTB Bank ne l’ont pas été en tant que « sanction administrative » ou de « mesure coercitive » au titre d’une infraction au CRR. Il s’agirait uniquement d’« intérêts de recouvrement » (Abschöpfungszinsen), dépourvus de caractère de sanction en droit autrichien, lequel les conçoit comme « une mesure de droit économique […] qui vise au recouvrement forfaitaire de l’avantage obtenu ou pouvant être obtenu au moyen du comportement illégal, […] et qui a pour objet de compenser l’avantage économique résultant pour l’entreprise du dépassement des limites applicables aux grands risques [de crédit] » (12).

46.      Selon moi, on peut soutenir que l’imposition d’intérêts perçus au titre de l’article 97, paragraphe 1, point 4, du BWG n’est pas l’une des « sanctions administratives pécuniaires » que, en vertu de l’article 67, paragraphe 1, sous k), et paragraphe 2, sous g), de la directive 2013/36, les États membres sont « au moins » tenus d’infliger aux établissements qui assument une exposition dépassant les limites fixées à l’article 395, paragraphe 1, du CRR.

47.      La « sanction pécuniaire administrative » que vise l’article 67, paragraphe 2, sous g), de la directive 2013/36 paraît être davantage, comme l’indique la Commission (13), celle envisagée à l’article 98, paragraphe 5, point 2, du BWG lui-même. En vertu de cette disposition, le responsable d’un établissement de crédit qui a exposé l’établissement à des créances supérieures aux limites fixées à l’article 395 du règlement est condamné à une sanction pécuniaire pouvant aller jusqu’à 5 millions d’euros ou jusqu’au double du gain tiré de l’infraction, si celui-ci peut être calculé, à condition que l’acte en cause ne constitue pas une infraction pénale.

48.      Le recouvrement de ces intérêts (en l’absence de dette préalable pour le principal) en vertu d’une décision de l’autorité publique pourrait plutôt être qualifié de mesure administrative. Il est selon moi sans pertinence que l’article 67, paragraphe 2, sous g), de la directive 2013/36 trouve son pendant national dans l’article 97 ou l’article 98 du BWG. Outre qu’il s’agit là d’une question qu’il appartient à la juridiction nationale de trancher, cela ne signifie pas pour autant que l’article 97 du BWG (et, partant, l’imposition des intérêts litigieux) ne relèverait pas du champ d’application de la directive 2013/36.

49.      Les sanctions et mesures auxquelles se réfère l’article 67, paragraphe 2, de la directive 2013/36 n’épuisent pas l’ensemble des actes publics constituant une réaction possible aux infractions au CRR. La directive 2013/36 permet – et même attend – que les États membres prévoient des sanctions et mesures additionnelles, c’est-à-dire qu’ils prennent « toutes les mesures nécessaires pour garantir » l’application tant de ladite directive que du CRR (article 65, paragraphe 1, de la directive 2013/36) (14).

50.      Parmi les sanctions et les mesures que les États membres peuvent ajouter à celles minimales instituées par le législateur de l’Union, l’on pourrait certainement inclure l’imposition d’intérêts tels que ceux envisagés à l’article 97, paragraphe 1, point 4, du BWG. De ce point de vue, il n’importe donc pas que la mesure décidée par la FMA puisse être qualifiée de « sanction administrative » ou d’« autre mesure administrative » au sens des articles 65 et 67 de la directive 2013/36, puisqu’elle serait de toute façon licite aux yeux du législateur de l’Union (15).

51.      Toutefois, s’il est certain que les États membres sont autorisés à adopter d’autres sanctions ou mesures administratives, il n’en demeure pas moins que ceux qui prennent une telle décision sont tenus de respecter le cadre juridique établi par la directive 2013/36 et le CRR.

52.      Je veux dire par là que, ayant opté pour un « maximum d’harmonisation » (16) dans le domaine de la surveillance et des normes prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement, le législateur de l’Union a institué un régime normatif unique, composé de la directive 2013/36 et du CRR. L’existence de ce régime unique pour tous les acteurs du marché « est un élément essentiel du fonctionnement du marché intérieur » (17).

53.      C’est pourquoi, tout en offrant aux États membres la possibilité de prévoir d’autres sanctions et mesures administratives, la directive 2013/36 vise à garantir que, en précisant les contours de celles-ci et en fixant le niveau des sanctions pécuniaires, les législateurs nationaux suivent certaines règles communes (18). Dans cette perspective, la directive 2013/36 n’impose pas seulement un corps minimal de sanctions et de mesures administratives (en laissant aux États membres une marge de liberté pour les étendre), mais établit également un tableau des infractions passibles de sanctions ou donnant lieu à l’adoption d’autres mesures administratives.

54.      Je pense donc qu’il existe deux catégories de comportements répréhensibles : a) ceux que décrit précisément l’article 67, paragraphe 1, de la directive 2013/36, et b) d’autres (19) que les États membres peuvent définir comme des infractions au CRR, et qui sont distincts de ceux visés dans la directive 2013/36. Pour ces derniers, les États membres peuvent également prévoir des sanctions ou des mesures différentes de celles qui sont « au moins » exigées par le législateur de l’Union.

55.      La question est de savoir si, étant autorisés à ajouter de nouveaux types d’infraction, les États membres peuvent également remodeler les types d’infractions prévus par la directive 2013/36. Il m’apparaît que ce ne sera pas le cas si, ce faisant, ils modifient ou éliminent l’une des situations de fait qui pourraient être considérées comme « nécessaires », c’est-à-dire comme relevant, en vertu de la directive, de celles que le droit national doit « au moins » prévoir.

56.      Dans la présente affaire, et sur la base des informations disponibles, il apparaît que l’article 98, paragraphe 5, point 2, du BWG est la disposition ayant transposé en droit autrichien le contenu de l’article 67, paragraphe 1, sous k), et paragraphe 2, sous g), de la directive 2013/36.

57.      Si tel est le cas, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer, le législateur national aura respecté l’obligation d’envisager « au moins » l’une des situations énoncées par le législateur de l’Union. Il aura en outre attaché à cette situation la conséquence juridique que la directive 2013/36 prévoit (également « au moins ») d’imposer.

58.      Plus précisément, l’article 98, paragraphe 5, point 2, du BWG vise la personne responsable d’un établissement de crédit qui expose ce dernier « à des créances supérieures aux limites fixées à l’article 395 du [CRR] ». La référence à l’article 395 du CRR dans son ensemble, c’est‑à-dire sans qu’aucun de ses paragraphes ne soit exclu, signifie que la situation visée à l’article 98, paragraphe 5, point 2, du BWG est celle décrite par cette disposition du CRR.

59.      Il est important de souligner que la situation prévue à l’article 395 du CRR n’est pas seulement celle décrite au paragraphe 1 du CRR, mais aussi celle qui résulte de la combinaison de ce paragraphe avec les dispositions du paragraphe 5 du même article.

60.      En vertu de l’article 395, paragraphe 1, du CRR, les établissements n’assument pas d’exposition dont la valeur dépasse 25 % de leurs fonds propres éligibles (20). Toutefois, le simple dépassement de cette limite n’est pas en soi constitutif de la situation visée à l’article 67, paragraphe 1, sous k), de la directive 2013/36 : en se référant à l’ensemble de l’article 395 du CRR, cette disposition inclut également le paragraphe 5 dudit article, qui permet de dépasser cette limite lorsque certaines conditions sont remplies.

61.      En d’autres termes, la lecture combinée de la situation prévue à l’article 67, paragraphe 1, sous k), de la directive 2013/36 confère à cette règle le libellé suivant : « Le présent article s’applique […] [lorsqu’]un établissement est soumis à une exposition supérieure aux limites fixées par l’article 395, paragraphe 1, du CRR sans que soient remplies les conditions fixées au paragraphe 5 de ce même article ».

62.      C’est en ces termes que l’article 98, paragraphe 5, point 2, du BWG serait la traduction fidèle de l’article 67, paragraphe 1, sous k), de la directive 2013/36 et que le législateur national aurait transposé en droit autrichien l’une des infractions qu’il était « au moins » tenu de prévoir.

63.      Si cette interprétation est correcte, comme je le pense, l’article 97, paragraphe 1, point 4, du BWG viendrait non pas instituer un cas de figure distinct, mais plutôt dénaturer celui de l’article 67, paragraphe 1, sous k), de la directive 2013/36.

64.      En effet, la règle autrichienne se réfère aux seules circonstances décrites à l’article 395, paragraphe 1, du CRR, sans tenir compte de l’article 395, paragraphe 5. On pourrait donc l’interpréter comme instituant un nouveau cas de figure, visant uniquement le dépassement de la limite fixée à l’article 395, paragraphe 1, du CRR, qu’il y ait ou non application des circonstances visées au paragraphe 5.

65.      En tant toutefois qu’il autorise dans certaines circonstances (que décrit son paragraphe 5) le dépassement des plafonds d’exposition (que fixe son paragraphe 1), l’article 395 du CRR implique que les limites réellement décisives sont celles résultant de la lecture combinée de ces deux paragraphes de ladite disposition. Ces deux éléments constituent une unité indissociable et traduisent, en définitive, le niveau de risque que les établissements peuvent assumer.

66.      En d’autres termes, il résulte du cas de figure visé par l’article 395, paragraphes 1 et 5, du CRR que les établissements financiers peuvent légalement s’exposer à des risques compris dans les limites définies par ces deux paragraphes.

67.      Si les États membres étaient autorisés à prendre des mesures à l’encontre d’établissements qui, précisément parce qu’ils remplissent les conditions énoncées à l’article 395, paragraphe 5, du CRR, se sont exposés aux risques qui y sont admis, l’article 395 s’en trouverait, me semble-t-il, dénaturé dans son ensemble, avec pour conséquence grave de défaire la confiance légitime que les établissements peuvent avoir dans le fait que les limites dans lesquelles il leur est permis d’assumer des risques sont celles résultant de l’application combinée des paragraphes 1 à 5 de l’article 395 du CRR.

68.      Sous le couvert de la possibilité offerte aux États membres par le législateur de l’Union d’établir d’autres infractions et d’autres sanctions ou mesures administratives, outre celles « au moins » requises en tout état de cause par la directive 2013/36, le législateur national peut prévoir de nouveaux cas de figure, mais ne saurait, je le répète, dénaturer ceux qui ont déjà fait l’objet de l’attention du législateur de l’Union.

69.      J’en déduis donc que la réglementation nationale examinée n’est pas compatible avec le cadre juridique établi par la directive 2013/36 et le CRR.

B.      Sur l’existence de procédures de surveillance en cours lors d’une modification de la répartition des compétences entre les autorités de surveillance (troisième question préjudicielle)

1.      Résumé des observations des parties

70.      VTB Bank estime que, conformément à l’article 48, paragraphe 3, et à l’article 149, paragraphe 1, du règlement-cadre MSU, la FMA n’est compétente que pour les procédures de surveillance formellement engagées avant le 4 novembre 2014.

71.      Comme la décision de la FMA d’imposer des intérêts (en raison du dépassement de la limite aux grands risques au cours du mois d’octobre 2014) est datée du 11 mai 2015 et se fonde sur une déclaration effectuée par VTB Bank elle-même le 3 novembre 2014, cet établissement estime que cette déclaration ne peut être considérée comme l’engagement d’une procédure de surveillance formelle au sens de l’article 2, point 25, et de l’article 48, paragraphe 3, du règlement-cadre MSU.

72.      Par conséquent, VTB Bank en déduit que, n’ayant pas engagé de procédure de surveillance formelle avant le 4 novembre 2014, la FMA n’était pas compétente pour adopter la décision du 11 mai 2015.

73.      En réponse à ces arguments, la FMA justifie sa compétence en soutenant que, si le droit de l’Union ne prévoit pas d’intérêts comparables à ceux exigés, il autorise néanmoins une certaine marge pour de telles particularités nationales. La BCE n’étant pas compétente en l’espèce en vertu du règlement-cadre MSU, la FMA considère qu’il n’est pas nécessaire d’analyser les dispositions transitoires concernant les procédures en cours visées à l’article 48, paragraphe 3, de ce règlement.

74.      La FMA soutient en outre que, pour des raisons d’économie de procédure, la déclaration de VTB Bank du 3 novembre 2014 avait déjà été prise en compte dans le cadre de la procédure d’instruction concernant les dépassements précédents, étant donné qu’il s’agissait des mêmes clients et des mêmes faits.

75.      La BCE, dont les observations se bornent à cette troisième question, relève que la notion de « procédure de surveillance prudentielle formellement engagée » a été instituée à l’article 48, paragraphe 3, du règlement-cadre MSU pour les cas dans lesquels se produit une modification de la répartition des compétences entre la BCE et une ACN. Cette notion se rattache aux missions et aux pouvoirs de la BCE, de sorte que l’article 48 du règlement ne concerne, selon elle, que les procédures relevant du domaine de ses compétences.

76.      En conséquence, l’application de l’article 48, paragraphe 3, du règlement‑cadre MSU dépendra de la qualification qu’il y a lieu de conférer à l’imposition d’intérêts en cause. Cette disposition s’appliquera si ladite imposition est une mesure de surveillance prudentielle au sens des articles 64 et 65 de la directive 2013/36, mais non si elle constitue une mesure d’ordre économique destinée au recouvrement global d’un avantage acquis ou susceptible d’être acquis en conséquence d’un comportement illégal.

77.      Pour la Commission, qui ne s’est prononcée sur cette question qu’à titre subsidiaire, une procédure de surveillance prudentielle au sens de l’article 48, paragraphe 3, du règlement-cadre MSU n’est pas engagée lorsqu’un établissement de crédit dépose une déclaration au titre de l’article 396 du CRR. D’autre part, elle estime que les procédures antérieures concernant des infractions similaires, mais déjà clôturées, ne sauraient donner lieu à une telle procédure en cas d’infraction nouvelle.

2.      Appréciation

78.      La troisième question porte sur le point de savoir si, conformément à l’article 48, paragraphe 3, du règlement-cadre MSU, il existe une « procédure de surveillance prudentielle formellement engagée » dans l’un de ces deux cas suivants :

–      dès qu’un établissement de crédit a notifié aux autorités compétentes les risques excédentaires qu’il a assumés, supérieurs à ceux prévus à l’article 395 du CRR ;

–      lorsque, dans le cadre d’une procédure parallèle concernant des infractions similaires antérieures, l’autorité de surveillance a déjà pris une décision.

79.      Dans le cas présent, l’imposition d’intérêts que la FMA a décidée le 11 mai 2015 a été motivée par un dépassement des limites aux grands risques survenu en octobre 2014 et communiqué par VTB Bank à cette autorité le 3 novembre 2014 (soit un jour avant que la BCE n’assume les compétences que lui confère le règlement-cadre MSU).

80.      Dans le domaine de la coopération entre la BCE et les autorités de surveillance nationales, l’article 48 du règlement-cadre MSU traite des procédures de surveillance en cours lors d’une modification de la répartition des compétences entre la BCE et l’une de ces autorités.

81.      Aux termes de l’article 149, paragraphe 1, du règlement-cadre MSU, les procédures transitoires prévues à l’article 48 dudit règlement doivent, dans ce cas de figure, s’appliquer, « [s]auf décision contraire de la BCE, si une autorité compétente nationale a initié des procédures de surveillance prudentielle pour lesquelles la BCE devient compétente sur la base du règlement MSU ».

82.      Pour la juridiction de renvoi, l’important est de savoir si la FMA avait engagé une procédure formelle de surveillance avant le 4 novembre 2014. Je pense cependant qu’il convient d’analyser une condition préalable, rappelée par la BCE dans ses observations et dont la FMA conteste l’application.

83.      En effet, la FMA considère que la compétence d’imposer des intérêts de recouvrement n’appartiendrait nullement à la BCE, autrement dit que celle-ci n’en jouirait pas non plus depuis le 4 novembre 2014. Si tel était le cas, le régime transitoire de l’article 48 du règlement-cadre MSU ne serait pas applicable.

84.      Conformément à l’article 4, paragraphe 1, sous d), du règlement no 1024/2013, « la BCE est […] seule compétente pour exercer, à des fins de surveillance prudentielle, les missions suivantes à l’égard de tous les établissements de crédit établis dans les États membres participants », entre autres fonctions, celle de « veiller au respect des actes visés à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, qui imposent des exigences prudentielles aux établissements de crédit dans les domaines […] des limites applicables aux grands risques […] ».

85.      L’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1024/2013 prévoit précisément que, aux fins de l’accomplissement de ses missions, « et en vue d’assurer des normes de surveillance de niveau élevé, la BCE applique toutes les dispositions pertinentes du droit de l’Union et, lorsque celui-ci comporte des directives, le droit national transposant ces directives ». Il ajoute que « [l]orsque le droit pertinent de l’Union comporte des règlements et que ces règlements laissent expressément aux États membres un certain nombre d’options, la BCE applique également la législation nationale faisant usage de ces options » (21).

86.      Que l’imposition d’intérêts soit une mesure nationale valide que prend un État membre en exerçant une option permise par le cadre juridique formé de la directive 2013/36 et du CRR, ou qu’elle soit une mesure imposée en application directe de ce cadre (comme je le pense), elle ne saurait, dans aucune de ces deux hypothèses, être considérée comme se situant en dehors du champ d’application des compétences confiées à la BCE au regard de l’article 4 du règlement no 1024/2013.

87.      Une fois remplie la première des conditions énoncées à l’article 48 du règlement-cadre MSU (c’est-à-dire l’attribution de la compétence à la BCE), il convient d’examiner si la condition sur laquelle porte expressément la question de la juridiction de renvoi est également constituée. Il s’agit de savoir si, à la date à laquelle la BCE a assumé la compétence de surveillance, une procédure était en cours devant la FMA.

88.      L’article 48, paragraphe 3, du règlement-cadre MSU fait expressément référence à une « procédure de surveillance formellement engagée ». L’adverbe utilisé ne fait pas référence aux motifs de l’ouverture de la procédure, qui peut inclure la déclaration que, conformément à l’article 395, paragraphe 5, du CRR, l’établissement doit adresser aux autorités compétentes lorsqu’il a dépassé la limite d’exposition.

89.      Selon moi, le législateur de l’Union a entendu accorder une attention particulière au moment auquel la procédure a été formellement ou officiellement engagée, c’est-à-dire à la date à laquelle l’autorité compétente a pris une décision expresse d’ouverture de la procédure. Quelles que soient les causes matérielles (telles que la déclaration d’une institution financière) qui ont conduit à l’adoption formelle d’une telle décision, c’est cette dernière qui importe, et non lesdites causes.

90.      Je considère donc que la déclaration faite par VTB Bank le 3 novembre 2014 ne saurait être considérée comme ayant engagé la procédure de surveillance visée à l’article 48, paragraphe 3, du règlement-cadre MSU.

91.      Il ne m’apparaît pas non plus que l’imposition d’intérêts décidée à la suite de la déclaration de VTB Bank du 3 novembre 2014 puisse relever de la procédure ayant conduit à la décision du 30 octobre 2014, par laquelle des intérêts ont été imposés en raison de dépassements survenus antérieurement.

92.      Avec toutes les précautions qu’il convient de prendre pour une question qu’il appartient en définitive à la juridiction de renvoi de trancher, on peut supposer que la procédure qui a donné lieu à la décision du 30 octobre 2014 était clôturée lorsque VTB Bank a déclaré le deuxième des dépassements des valeurs limites d’exposition au risque (3 novembre 2014). La décision prise en ce qui concerne ce deuxième dépassement ne pouvait l’être qu’au titre d’une nouvelle « procédure de surveillance formellement engagée » et, partant, distincte de la précédente.

93.      La FMA s’est appuyée sur des raisons d’économie de procédure pour en quelque sorte rattacher la deuxième des décisions à la procédure qu’avait clôturée la décision du 30 octobre 2014. Elle soutient à cet égard que le dépassement déclaré par VTB Bank le 3 novembre 2014 aurait déjà été pris en compte dans cette procédure. Sans vouloir m’attarder sur une question qu’il appartient, je le répète, à la juridiction nationale de trancher, j’estime que la référence qui est faite à l’article 48, paragraphe 3, du règlement-cadre MSU au caractère formel de l’ouverture de la procédure de surveillance exclut les considérations matérielles et d’économie procédurale invoquées par la FMA.

94.      En conséquence, j’estime qu’il convient de répondre à la troisième question qu’il n’y a de « procédure de surveillance formellement engagée » dans aucun des deux cas visés par la juridiction de renvoi.

V.      Conclusion

95.      À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour d’apporter la réponse suivante au Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral, Autriche) :

1)      La directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, modifiant la directive 2002/87/CE et abrogeant les directives 2006/48/CE et 2006/49/CE, en particulier ses articles 64, 65 et 67, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale telle que celle appliquée dans la procédure au principal, qui prévoit l’imposition d’intérêts en cas de dépassement des limites aux grands risques inscrites à l’article 395, paragraphe 1, du règlement (UE) no 575/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement et modifiant le règlement (UE) no 648/2012, même si les conditions de l’exception prévue à l’article 395, paragraphe 5, du règlement no 575/2013 sont remplies.

2)      L’article 48, paragraphe 3, du règlement (UE) no 468/2014 de la Banque centrale européenne, du 16 avril 2014, établissant le cadre de la coopération au sein du mécanisme de surveillance unique entre la Banque centrale européenne, les autorités compétentes nationales et les autorités désignées nationales (règlement-cadre MSU), doit être interprété en ce sens qu’une « procédure de surveillance prudentielle » ne peut être considérée comme « formellement engagée » que si l’autorité compétente adopte une décision expresse d’ouverture de ladite procédure, sans que la déclaration que lui adresse un établissement financier puisse être considérée comme telle.


1      Langue originale : l’espagnol.


2      Directive du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, modifiant la directive 2002/87/CE et abrogeant les directives 2006/48/CE et 2006/49/CE (JO 2013, L 176, p. 338).


3      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement et modifiant le règlement (UE) no 648/2012 (JO 2013, L 175, p. 1). Ci-après « CRR », d’après son sigle en anglais (Capital Requirements Regulation).


4      Règlement de la Banque centrale européenne du 16 avril 2014 établissant le cadre de la coopération au sein du mécanisme de surveillance unique entre la Banque centrale européenne, les autorités compétentes nationales et les autorités désignées nationales (le « règlement-cadre MSU ») (JO 2014, L 141, p. 1).


5      Directive du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et son exercice (JO 2006, L 177, p. 1).


6      Directive du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 sur l’adéquation des fonds propres des entreprises d’investissement et des établissements de crédit (JO 2006, L 177, p. 201).


7      Règlement du Conseil du 15 octobre 2013 confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit (JO 2013, L 287, p. 63).


8      Dans sa version publiée au BGBl. I no 532/2014, qui a été en vigueur du 1er mars au 14 août 2015 et faisait référence à l’article 395, paragraphe 1, du CRR (ci-après le « BWG »).


9      Considérant 2 de la directive 2013/36 et considérant 5 du CRR.


10      Considérant 9 du CRR. Dans cette même ligne, le considérant 2 de la directive 2013/36 précise que sont envisagées, « pour les établissements de crédit et les entreprises d’investissement, des exigences prudentielles uniformes et directement applicables, compte tenu du lien étroit qui existe […] entre ces exigences et le fonctionnement des marchés financiers ».


11      La notion de « fonds propres éligibles » pourrait correspondre, en termes plus restrictifs, à celle de « fonds propres ». Voir rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur l’examen de l’adéquation de la définition des « fonds propres éligibles » en application de l’article 571 du règlement (UE) no 575/2013 [COM(2016) 21 final].


12      Point 6 de la décision de renvoi.


13      Point 28 de ses observations.


14      En ce sens, le considérant 41 de la directive 2013/36 ne pourrait être plus clair lorsqu’il déclare que « [l]es États membres devraient être en mesure de prévoir d’autres sanctions en plus de celles mentionnées dans la présente directive et peuvent fixer les sanctions pécuniaires administratives à un montant supérieur à celui prévu dans la présente directive ». La marge laissée aux États membres ne se borne pas au domaine des sanctions au sens strict, puisque ce considérant vise aussi bien les « sanctions administratives » que les « autres mesures administratives », en relevant que l’important est d’« assurer un champ d’application aussi large que possible aux actes consécutifs à une infraction et d’aider à prévenir de nouvelles infractions, que ces [conséquences prévues en droit national] constituent des sanctions administratives ou des autres mesures administratives en droit national » (italiques ajoutés).


15      Je renvoie à la note précédente. Et ce nonobstant le fait que, comme l’a jugé la Cour en ce qui concerne les mesures prises par les États membres pour protéger les intérêts financiers de l’Union, « l’obligation de restituer un avantage indûment perçu au moyen d’une irrégularité ne constitue pas une sanction, mais est la simple conséquence de la constatation que les conditions requises pour l’obtention de l’avantage résultant de la réglementation de l’Union n’ont pas été respectées, rendant indu l’avantage perçu » (arrêt du 26 mai 2016, Județul Neamț et Județul Bacău, C‑260/14 et C‑261/14, EU:C:2016:360, point 50).


16      Considérant 9 du CRR.


17      Loc. ult. cit.


18      C’est la raison pour laquelle l’article 70 de la directive 2013/36 dispose que « les autorités compétentes [doivent tenir] compte de toutes les circonstances », notamment « a) de la gravité et de la durée de l’infraction ; b) du degré de responsabilité de la personne physique ou morale responsable de l’infraction ; c) de l’assise financière de la personne physique ou morale responsable de l’infraction […] ; d) de l’importance des gains obtenus ou des pertes évitées par la personne physique ou morale responsable de l’infraction, dans la mesure où ils peuvent être déterminés ; […] [ou] f) du degré de coopération avec les autorités compétentes dont a fait preuve la personne physique ou morale responsable de l’infraction », entre autres.


19      Je rappelle que, selon ce même article 67, « [l]e présent article s’applique au moins dans une des circonstances suivantes […] » (italiques ajoutés). De même, l’article 66, paragraphe 1, de cette même directive énumère une série de cas devant « au moins » faire l’objet de sanctions administratives et d’autres mesures administratives étatiques.


20      Le paragraphe 1 prévoit également pour certains cas une limite non exprimée en pourcentage, mais cette hypothèse n’entre pas en ligne de compte dans la présente affaire.


21      Italiques ajoutés.