Language of document : ECLI:EU:T:2003:127

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (troisième chambre)

6 mai 2003(1)

«Décision n° 2455/2001/CE - Recours en annulation - Irrecevabilité»

Dans l'affaire T-45/02,

DOW AgroSciences BV, établie à Rotterdam (Pays-Bas),

DOW AgroSciences Ltd, établie à Hitchin (Royaume-Uni),

représentées par Mes K. Van Maldegem et C. Mereu, avocats,

parties requérantes,

European Crop Protection Association (ECPA), ayant son siège à Bruxelles (Belgique), représentée par Mes D. Waelbroeck et D. Brinckman, avocats,

partie intervenante,

contre

Parlement européen, représenté par MM. C. Pennera et M. Moore, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

et

Conseil de l'Union européenne, représenté par Mme M. Sims-Robertson et M. B. Hoff-Nielsen, en qualité d'agents,

parties défenderesses,

soutenues par

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. G. Valero Jordana et K. Fitch, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d'annulation partielle de la décision n° 2455/2001/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 novembre 2001, établissant la liste des substances prioritaires dans le domaine de l'eau et modifiant la directive 2000/60/CE (JO L 331, p. 1),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),

composé de MM. K. Lenaerts, président, J. Azizi et M. Jaeger, juges,

greffier: M. H. Jung,

rend la présente

Ordonnance

Cadre juridique

Directive 91/414/CEE

1.
    Le 15 juillet 1991, le Conseil a adopté la directive 91/414/CEE concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques (JO L 230, p. 1). Afin d'assurer que de tels produits n'aient «aucune influence inacceptable pour l'environnement en général et, en particulier, aucun effet nocif sur la santé humaine ou animale ou sur les eaux souterraines», la directive 91/414 prévoit que les substances actives dont l'incorporation est autorisée dans les produits phytopharmaceutiques soient inscrites sur une liste communautaire jointe en tant qu'annexe I de la directive (directive 91/414, dixième considérant, et article 5).

2.
    La procédure prévue pour évaluer si une substance active peut être inscrite à l'annexe I de la directive 91/414 n'empêche pas un État membre d'autoriser une entreprise à mettre sur le marché de son territoire, pour une durée limitée, des produits phytopharmaceutiques contenant une substance active non encore inscrite sur cette liste, dans la mesure où il est assuré que l'entreprise concernée a soumis un dossier conforme aux exigences communautaires et que l'État membre en cause a examiné la conformité de la substance active et des produits phytopharmaceutiques avec les conditions fixées dans la directive (directive 91/414, quatorzième considérant, et article 8, paragraphe 2).

Directive 2000/60/CE et acte attaqué

3.
    Le 23 octobre 2000, le Parlement européen et le Conseil ont adopté la directive 2000/60/CE établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau (JO L 327, p. 1). Cette directive établit un «cadre pour la protection des eaux intérieures de surface, des eaux de transition, des eaux côtières et des eaux souterraines» (article 1er, premier alinéa). En particulier, ce cadre «vise à renforcer la protection de l'environnement aquatique ainsi qu'à l'améliorer, notamment par des mesures spécifiques» conçues pour réduire ou éliminer de manière progressive les «rejets, émissions et pertes de substances prioritaires [et de] substances dangereuses prioritaires» [article 1er, premier alinéa, sous c)].

4.
    En vertu de l'article 16, paragraphe 2, de la directive 2000/60, la Commission soumet au Parlement et au Conseil «une proposition fixant une liste de substances prioritaires, sélectionnées parmi celles qui présentent un risque significatif pour ou via l'environnement aquatique». Conformément à l'article 16, paragraphe 3, «[l]a proposition de la Commission indique également les substances dangereuses prioritaires».

5.
    L'article 16, paragraphe 11, de la directive 2000/60 dispose que «[l]a liste de substances prioritaires mentionnée aux paragraphes 2 et 3, proposée par la Commission, devient, après adoption par le Parlement européen et le Conseil, l'annexe X de la présente directive».

6.
    C'est ainsi que, le 20 novembre 2001, le Parlement européen et le Conseil ont adopté la décision n° 2455/2001/CE établissant la liste des substances prioritaires dans le domaine de l'eau et modifiant la directive 2000/60 (JO L 331, p. 1, ci-après l'«acte attaqué»). Le chlorpyrifos et la trifluraline sont inclus dans la liste des substances prioritaires ainsi établie. Une note en bas de page dispose que ces substances pourraient être reclassées comme substances dangereuses prioritaires. À cet égard, il est précisé que la Commission fera une proposition au Parlement et au Conseil concernant la classification définitive du chlorpyrifos et de la trifluraline dans un délai de douze mois à compter de l'adoption de l'acte attaqué.

7.
    Pour les substances prioritaires figurant à l'annexe X, il est prévu, à l'article 16, paragraphe 6, premier tiret, de la directive 2000/60, que «la Commission soumet des propositions de mesures de contrôle visant une réduction progressive des rejets, des émissions et des pertes des substances concernées». Pour les substances dangereuses prioritaires, il est prévu au deuxième tiret de la même disposition que «la Commission soumet des propositions de mesures de contrôle visant l'arrêt ou la suppression progressive des rejets, des émissions et des pertes [.] y compris un calendrier adéquat pour y parvenir». En outre, l'article 16, paragraphe 7, dispose que «[l]a Commission présente des propositions concernant des normes de qualité applicables aux concentrations des substances prioritaires dans les eaux de surface, les sédiments ou le biote». L'article 16, paragraphe 8, oblige la Commission à présenter ses «propositions, conformément aux paragraphes 6 et 7, [.] dans les deux ans qui suivent l'inclusion de la substance concernée dans la liste de substances prioritaires».

8.
    Les mesures ainsi proposées par la Commission seront, le cas échéant, adoptées par le Parlement et le Conseil, conformément à l'article 16, paragraphe 1, de la directive 2000/60.

Faits et procédure

9.
    DOW AgroSciences BV et Dow AgroSciences Ltd (ci-après dénommées conjointement les «requérantes») opèrent dans le domaine de la fabrication et de la commercialisation du chlorpyrifos et de la trifluraline.

10.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 26 février 2002, les requérantes ont formé le présent recours.

11.
    Par actes séparés déposés respectivement les 30 et 12 avril 2002, le Parlement et le Conseil ont, en vertu de l'article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, soulevé une exception d'irrecevabilité. Les requérantes ont déposé leurs observations sur ces exceptions le 12 juillet 2002.

12.
    Par ordonnances des 5 juillet et 26 septembre 2002, le président de la troisième chambre du Tribunal a autorisé la Commission et l'European Crop Protection Association (ci-après l'«ECPA») à intervenir, respectivement, au soutien des conclusions des défendeurs et des requérantes.

13.
    La Commission et l'ECPA ont déposé leur mémoire en intervention sur la question de la recevabilité, respectivement, le 30 août et le 8 novembre 2002, au sujet duquel les parties principales ont été invitées à présenter leurs observations.

Conclusions des parties

14.
    Dans leur requête, les requérantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    déclarer le recours recevable et fondé;

-    annuler l'acte attaqué, de manière à écarter le chlorpyrifos et la trifluraline de cet acte;

-    condamner le Parlement et le Conseil aux dépens.

15.
    Dans son exception d'irrecevabilité, le Conseil demande à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    déclarer le recours manifestement irrecevable ou, à titre subsidiaire, rejeter le recours comme étant irrecevable;

-    condamner les requérantes aux dépens.

16.
    Le Parlement, dans son exception d'irrecevabilité, et la Commission, dans son mémoire en intervention, demandent à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours dans son intégralité comme étant irrecevable;

-    condamner les requérantes aux dépens.

17.
    Dans leurs observations sur l'exception d'irrecevabilité, les requérantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    déclarer le recours recevable et fondé;

-    examiner le fond avant de statuer sur l'exception d'irrecevabilité ou, à titre subsidiaire, joindre l'exception d'irrecevabilité au fond;

-    annuler l'acte attaqué, de manière à écarter le chlorpyrifos et la trifluraline de cet acte;

-    condamner le Parlement et le Conseil aux dépens.

18.
    Dans son mémoire en intervention, l'ECPA demande à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    déclarer le recours recevable et examiner le bien-fondé de l'affaire;

-    condamner le Conseil aux dépens de l'intervention.

Sur la recevabilité

19.
    En vertu de l'article 114, paragraphe 3, du règlement de procédure, la suite de la procédure sur l'exception d'irrecevabilité est orale, sauf décision contraire du Tribunal. Le Tribunal (troisième chambre) estime que, en l'espèce, il est suffisamment éclairé par les pièces du dossier et qu'il n'y a pas lieu d'ouvrir la procédure orale.

Arguments des parties

20.
    Le Parlement et le Conseil, soutenus par la Commission, excipent de l'irrecevabilité du recours. Ils estiment, d'abord, que l'acte attaqué ne constitue pas un acte attaquable au sens de l'article 230, quatrième alinéa, CE. En effet, l'acte attaqué ne modifierait en aucune façon la situation juridique des requérantes. En tout état de cause, la demande tendant à l'annulation partielle de l'acte attaqué serait irrecevable en ce que l'acte attaqué constituerait en réalité une directive qui n'affecterait les requérantes ni directement ni individuellement.

21.
    Les requérantes, soutenues par l'ECPA, rétorquent, en premier lieu, que l'acte attaqué est un acte obligatoire du Parlement et du Conseil produisant des effets juridiques définitifs de nature à affecter les intérêts de celles-ci. Elles insistent sur le fait que, conformément à l'article 16 de la directive 2000/60, des mesures seront prises en vue de la réduction ou de la suppression progressive des rejets, des émissions et des pertes des substances identifiées par l'acte attaqué. Dès lors que le chlorpyrifos et la trifluraline auraient été inclus de manière irrévocable dans la liste des substances prioritaires, l'acte attaqué obligerait les opérateurs économiques à réduire la production, la commercialisation et l'usage de ces substances. En outre, en identifiant provisoirement le chlorpyrifos et la trifluraline comme des substances dangereuses prioritaires dont la production, la commercialisation et l'usage sont susceptibles d'être interdits, l'acte attaqué créerait les conditions juridiques pour l'interdiction définitive du chlorpyrifos et de la trifluraline et des produits contenant ces substances dans un délai de douze mois. Elles soulignent le fait que l'inscription du chlorpyrifos et de la trifluraline sur la liste des substances prioritaires est irréversible, l'acte attaqué et la directive 2000/60 ne prévoyant aucune mesure de retrait.

22.
    Dans leurs observations sur l'exception d'irrecevabilité, les requérantes relèvent que l'acte attaqué identifie les substances prioritaires auxquelles s'appliqueront les mesures de contrôle qui seront adoptées ultérieurement. Toute réglementation ultérieure ne pourrait concerner que les modalités de réduction ou de suppression progressive des rejets, des émissions et des pertes des substances visées par l'acte attaqué. Les requérantes ne pourraient plus mettre en cause l'inscription du chlorpyrifos et de la trifluraline sur la liste de l'annexe X de la directive 2000/60 dans le cadre d'un recours porté contre les mesures de contrôle ultérieurement adoptées concernant ces substances. L'acte attaqué modifierait donc le «statut juridique» du chlorpyrifos et de la trifluraline et, partant, des requérantes en leur qualité de distributeurs desdites substances.

23.
    Les requérantes ajoutent que, contrairement à ce que prétendent les parties défenderesses, l'acte attaqué constitue, de par son nom et son contenu, une «décision» et non pas une directive. En tout état de cause, le débat sur la nature de l'acte attaqué revêtirait peu d'importance dès lors qu'il a été jugé qu'une disposition à caractère normatif peut concerner directement et individuellement une personne physique ou morale (arrêts de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, Rec. p. 197, 223, et du 22 novembre 2001, Antillean Rice Mills/Conseil, C-451/98, Rec. p. I-8949, point 46).

24.
    En second lieu, les requérantes font observer qu'elles sont directement concernées par l'acte attaqué. Elles rappellent que la condition relative à l'affectation directe requiert que la mesure communautaire produise directement des effets sur la situation juridique du particulier et qu'elle ne laisse aucun pouvoir d'appréciation aux destinataires de cette mesure qui sont chargés de sa mise en .uvre, celle-ci ayant un caractère purement automatique découlant de la seule réglementation communautaire sans indication d'autres règles intermédiaires (arrêts de la Cour du 13 mai 1971, International Fruit Company e.a./Commission, 41/70 à 44/70, Rec. p. 411; du 6 mars 1979, Simmenthal/Commission, 92/78, Rec. p. 777; du 29 mars 1979, NTN Toyo Bearing e.a./Conseil, 113/77, Rec. p. 1185; du 11 juillet 1985, Salerno e.a./Commission et Conseil, 87/77, 130/77, 22/83, 9/84 et 10/84, Rec. p. 2523, et du 26 juin 1990, Sofrimport/Commission, C-152/88, Rec. p. I-2477). Or, en l'espèce, l'acte attaqué inclurait le chlorpyrifos et la trifluraline dans la liste des substances prioritaires sans imposer aux États membres aucune autre mesure d'application. Ces derniers seraient liés par la liste telle qu'elle a été établie par l'acte attaqué. Celui-ci produirait donc des effets juridiques précis, inconditionnels et directement applicables.

25.
    En troisième lieu, les requérantes seraient individuellement concernées par l'acte attaqué. À cet égard, elles font observer, premièrement, qu'elles sont titulaires de droits préexistants qui sont affectés par l'acte attaqué. Elles expliquent en particulier qu'elles détiennent des autorisations pour la mise sur le marché de produits à base de chlorpyrifos et de trifluraline dans la plupart des États membres conformément à l'article 8, paragraphe 2, de la directive 91/414. Les requérantes participeraient, en outre, à une procédure d'examen visant à ce que ces substances soient reprises à l'annexe I de la directive 91/414 en tant que substances actives répondant aux critères de sécurité de l'article 5 de cette dernière directive. L'acte attaqué, qui limiterait l'utilisation du chlorpyrifos et de la trifluraline, affecterait les droits des requérantes à commercialiser ces substances. Dès lors que les requérantes auraient acquis ces droits conformément aux dispositions de la directive 91/414, l'acte attaqué violerait des droits spécifiques des requérantes (arrêt de la Cour du 18 mai 1994, Codorniu/Conseil, C-309/89, Rec. p. I-1853). En tout état de cause, l'acte attaqué affecterait, de manière particulièrement sérieuse, un groupe très restreint d'opérateurs économiques auquel appartiendraient les requérantes (arrêts de la Cour du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement, 294/83, Rec. p. 1339, et du 16 mai 1991, Extramet Industrie/Conseil, C-358/89, Rec. p. I-2501; ordonnance du Tribunal du 30 septembre 1997, Federolio/Commission, T-122/96, Rec. p. II-1559). En effet, toute l'activité économique des requérantes serait mise en danger par l'acte attaqué.

26.
    Deuxièmement, les requérantes font observer que les institutions communautaires étaient obligées de tenir compte de leurs droits spécifiques lorsqu'elles ont adopté l'acte attaqué (arrêts de la Cour du 17 janvier 1985, Piraiki-Patraiki e.a./Commission, 11/82, Rec. p. 207, et Sofrimport/Commission, cité au point 24 ci-dessus; arrêts du Tribunal du 27 avril 1995, CCE de Vittel e.a./Commission, T-12/93, Rec. p. II-1247, et du 14 septembre 1995, Antillean Rice Mills e.a./Commission, T-480/93 et T-483/93, Rec. p. II-2305). Dans leurs observations sur l'exception d'irrecevabilité, elles se réfèrent à cet égard en particulier à l'article 16, paragraphe 2, sous a), de la directive 2000/60 qui leur donnerait le droit à ce que leurs produits fassent l'objet d'une évaluation scientifique fondée sur le risque. Les requérantes se réfèrent encore à l'arrêt du Tribunal du 3 mai 2002, Jégo-Quéré/Commission (T-177/01, Rec. p. II-2365), et aux conclusions de l'avocat général M. Jacobs sous l'arrêt de la Cour du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil (C-50/00 P, Rec. p. I-6677, I-6681).

27.
    Dans leurs observations sur l'exception d'irrecevabilité, les requérantes font encore valoir que, en l'espèce, la question de la recevabilité ne peut être pleinement appréhendée sans examen du fond. Elles rappellent, à cet égard, qu'elles détiennent des autorisations pour la mise sur le marché de produits à base de chlorpyrifos et de trifluraline, conformément à l'article 8, paragraphe 2, de la directive 91/414. Les requérantes participeraient en outre à une procédure d'examen visant à ce que ces substances soient reprises à l'annexe I de la directive 91/414 en tant que substances actives répondant aux critères de sécurité de l'article 5 de cette dernière directive. Afin d'apprécier pleinement la qualité pour agir des requérantes, il serait nécessaire d'examiner leurs droits et leur confiance légitime dans le cadre de la procédure réglementaire conduisant à l'inscription du chlorpyrifos et de la trifluraline à l'annexe I de la directive 91/414.

28.
    L'ECPA fait observer que, conformément à l'article 13 de la directive 91/414, les données scientifiques et les informations communiquées par les requérantes dans le cadre de la procédure d'examen visant à inclure le chlorpyrifos et la trifluraline à l'annexe I de la directive 91/414 sont protégées pendant une période de cinq ans à compter de l'inscription de la substance à ladite annexe. Se référant à l'arrêt du Tribunal du 11 septembre 2002, Pfizer/Conseil (T-13/99, non encore publié au Recueil, points 98 et 100), l'ECPA estime que les requérantes sont ainsi titulaires de droits spécifiques au sens de l'arrêt Codorniu/Conseil (cité au point 25 ci-dessus) et que l'inclusion du chlorpyrifos et de la trifluraline sur la liste établie par l'acte attaqué atteint les requérantes en raison de certaines qualités qui leur sont particulières et qui les caractérisent par rapport à toute autre personne.

29.
    Enfin, les requérantes soulignent que, en l'espèce, une protection juridictionnelle suffisante ne pourrait pas leur être assurée devant les juridictions nationales.

Appréciation du Tribunal

30.
    Aux termes de l'article 230, quatrième alinéa, CE, [t]oute personne physique ou morale peut former [...] un recours contre les décisions dont elle est le destinataire et contre les décisions qui, bien que prises sous l'apparence d'un règlement ou d'une décision adressée à une autre personne, la concernent directement et individuellement.

31.
    Il convient, tout d'abord, de rappeler que le terme «décision» figurant à l'article 230, quatrième alinéa, CE, doit être entendu dans le sens technique résultant de l'article 249 CE et que le critère de distinction entre un acte de nature normative et une décision au sens de ce dernier article doit être recherché dans la portée générale ou non de l'acte en question (arrêts de la Cour du 14 décembre 1962, Confédération nationale des producteurs de fruits et légumes e.a./Conseil, 16/62 et 17/62, Rec. p. 901, et du 29 juin 1993, Gibraltar/Conseil, C-298/89, Rec. p. I-3605, point 15).

32.
    En l'espèce, l'acte attaqué, qui est fondé directement sur l'article 175, paragraphe 1, CE, est un acte législatif adopté par le Parlement et le Conseil à l'issue de la procédure prévue à l'article 251 CE. Il établit la liste des substances prioritaires, incluant les substances dangereuses prioritaires, prévue à l'article 16, paragraphes 2 et 3, de la directive 2000/60. Conformément à l'article 16, paragraphe 11, de la directive 2000/60, cette liste «est ajoutée à la directive 2000/60/CE en tant qu'annexe X» (article 1er de l'acte attaqué). L'acte attaqué modifie donc la directive 2000/60, dont la portée générale n'est pas contestée, en y insérant une annexe qui identifie les substances pour lesquelles l'article 16, paragraphes 6 à 8, de la directive 2000/60 oblige la Commission à proposer des mesures spécifiques en vue de protéger et d'améliorer l'environnement aquatique.

33.
    Il s'ensuit que, malgré son intitulé, l'acte attaqué ne peut pas être regardé comme constitutif d'une décision au sens de l'article 230, quatrième alinéa, CE. Il participe, au contraire, du caractère général de la directive 2000/60 (voir, en ce sens, arrêt Gibraltar/Conseil, cité au point 31 ci-dessus, point 23; ordonnance du Tribunal du 11 juillet 2000, Fédération nationale d'agriculture biologique des régions de France e.a./Conseil, T-268/99, Rec. p. II-2893, point 38).

34.
    Il importe cependant d'examiner si, malgré la portée générale de l'acte attaqué, les requérantes peuvent néanmoins être considérées comme étant directement et individuellement concernées par celui-ci dans la mesure où il inclut le chlorpyrifos et la trifluraline dans la liste des substances prioritaires. Il ressort, en effet, d'une jurisprudence constante que la portée générale d'un acte n'exclut pas pour autant qu'il puisse concerner directement et individuellement certains opérateurs économiques intéressés (voir arrêts Extramet Industrie/Conseil, cité au point 25 ci-dessus, points 13 et 14; Codorniu/Conseil, cité au point 25 ci-dessus, point 19, et Antillean Rice Mills/Conseil, cité au point 23 ci-dessus, point 46; arrêts du Tribunal du 17 juin 1998, UEAPME/Conseil, T-135/96, Rec. p. II-2335, point 69, et du 27 juin 2000, Salamander e.a./Parlement et Conseil, T-172/98, T-175/98 à T-177/98, Rec. p. II-2487, point 30).

35.
    S'agissant, d'abord, du point de savoir si les requérantes sont directement concernées par l'acte attaqué, il convient de rappeler que la condition de l'atteinte directe requiert que l'acte incriminé produise directement des effets sur la situation juridique du particulier et qu'il ne laisse aucun pouvoir d'appréciation aux destinataires de cet acte qui sont chargés de sa mise en .uvre, celle-ci ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation communautaire sans application d'autres règles intermédiaires (arrêt de la Cour du 5 mai 1998, Dreyfus/Commission, C-386/96 P, Rec. p. I-2309, point 43, et la jurisprudence citée; arrêt Salamander e.a./Parlement et Conseil, cité au point 34 ci-dessus, point 52).

36.
    À cet égard, il doit être rappelé que les requérantes détiennent, dans plusieurs États membres, des autorisations pour la mise sur le marché de produits à base de chlorpyrifos et de trifluraline.

37.
    Toutefois, il ne peut être considéré que l'acte attaqué, qui identifie ces substances comme prioritaires, produit, par lui-même, des effets sur la situation juridique des requérantes. Contrairement à ce que prétendent ces dernières, l'inclusion du chlorpyrifos et de la trifluraline dans la liste des substances prioritaires n'oblige pas les opérateurs économiques à réduire la production, la commercialisation ou l'usage de ces substances.

38.
    En effet, l'acte attaqué identifie uniquement les substances, dont le chlorpyrifos et la trifluraline, pour lesquelles la Commission est tenue de proposer au Parlement et au Conseil des mesures spécifiques conformément à l'article 16, paragraphes 6 à 8, de la directive 2000/60. Le Parlement et le Conseil adopteront, le cas échéant, les mesures proposées par la Commission, sur la base de l'article 16, paragraphe 1, de la directive 2000/60. Cependant, l'inclusion du chlorpyrifos et de la trifluraline dans l'annexe X de la directive 2000/60 ne donne aucune indication précise quant aux mesures qui seront proposées par la Commission et qui, le cas échéant, seront adoptées ultérieurement par le Parlement et le Conseil, et n'affecte pas, en tant que telle, la situation juridique des requérantes.

39.
    À cet égard, il doit encore être souligné que la directive 2000/60 tient effectivement compte de l'éventualité que les propositions de la Commission se rapportant aux substances prioritaires n'aboutissent pas. Ainsi, l'article 16, paragraphe 8, de cette directive dispose que, «[p]our les substances figurant dans la première liste de substances prioritaires, en l'absence d'un accord au niveau de la Communauté six ans après la date d'entrée en vigueur de la présente directive, les États membres fixent des normes de qualité environnementale applicables à ces substances dans toutes les eaux de surface touchées par des rejets de ces substances ainsi que des limitations des principales sources de ces rejets, fondées notamment sur l'examen de toutes les options techniques de réduction». La même disposition ajoute encore que, «[p]our les substances insérées par la suite dans la liste des substances prioritaires, en l'absence d'un accord au niveau de la Communauté, les États membres prennent de telles mesures cinq ans après la date d'inclusion dans la liste».

40.
    Il résulte de tout ce qui précède que l'acte attaqué ne produit pas directement des effets sur la situation juridique des requérantes. Il ne concerne donc pas directement les requérantes au sens de l'article 230, quatrième alinéa, CE.

41.
    Les requérantes ne satisfaisant pas à l'une des conditions de recevabilité posées par l'article 230, quatrième alinéa, CE, le présent recours doit être rejeté comme irrecevable.

42.
    Il y a lieu, cependant, d'examiner encore, à titre surabondant, si les requérantes sont individuellement concernées par l'acte attaqué. Il doit être rappelé à cet égard que, pour qu'une personne physique ou morale puisse être considérée comme individuellement concernée par un acte de portée générale, il faut qu'elle soit atteinte, par l'acte en cause, en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d'une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne et de ce fait l'individualise d'une manière analogue à celle dont le destinataire d'une décision le serait (voir, notamment, arrêts de la Cour Plaumann/Commission, cité au point 23 ci-dessus, p. 223, et du 22 novembre 2001, Nederlandse Antillen/Conseil, C-452/98, Rec. p. I-8973, point 60).

43.
    Le fait que les requérantes détiennent des autorisations pour la mise sur le marché de produits à base de chlorpyrifos et de trifluraline, conformément aux dispositions de la directive 91/414, n'est pas de nature à individualiser les requérantes au sens de l'article 230, quatrième alinéa, CE. En effet, à supposer que l'acte attaqué affecte leur position sur le marché, les requérantes, qui ne font valoir aucun droit exclusif de propriété intellectuelle relatif aux substances identifiées par l'acte attaqué, se trouvent dans une situation comparable à celle de tout autre opérateur qui pourrait, à présent ou à l'avenir, être actif dans la commercialisation de ces substances (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 17 janvier 2002, Rica Foods/Commission, T-47/00, Rec. p. II-113, point 39, et ordonnance Federolio/Commission, citée au point 25 ci-dessus, point 67).

44.
    Les requérantes ne sauraient non plus prétendre que l'acte attaqué affecte des droits qu'elles auraient acquis dans le cadre de la directive 91/414. En effet, dès lors que l'acte attaqué n'oblige pas les opérateurs économiques à réduire la production, la commercialisation ou l'usage de chlorpyrifos et de trifluraline (voir, ci-dessus, point 37), cet acte ne peut être considéré comme ayant une incidence sur les autorisations que les requérantes détiennent pour la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques contenant ces substances. Pour les mêmes motifs, les requérantes ne sont pas fondées à prétendre que l'acte attaqué affecterait des droits spécifiques ou aurait causé un préjudice exceptionnel de nature à les individualiser par rapport à tout autre opérateur économique (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 20 juin 2000, Euromin/Conseil, T-597/97, Rec. p. II-2419, point 49).

45.
    Les requérantes soutiennent encore que les institutions communautaires étaient obligées de tenir compte de leur position particulière avant d'adopter l'acte attaqué.

46.
    Il importe de rappeler que le fait que les institutions communautaires aient l'obligation, en vertu de dispositions spécifiques, de tenir compte des conséquences de l'acte qu'elles envisagent d'adopter sur la situation de certains particuliers peut être de nature à individualiser ces derniers (arrêts Piraiki-Patraiki e.a./Commission, cité au point 26 ci-dessus, Sofrimport/Commission, cité au point 24 ci-dessus, et arrêt de la Cour du 11 février 1999, Antillean Rice Mills e.a./Commission, C-390/95 P, Rec. p. I-769, points 25 à 30; arrêt Antillean Rice Mills e.a./Commission, cité au point 26 ci-dessus, point 67).

47.
    Force est toutefois de constater qu'aucune disposition de droit communautaire n'impose au Parlement et au Conseil, lorsqu'ils établissent la liste des substances prioritaires dans le domaine de l'eau conformément à l'article 16, paragraphe 11, de la directive 2000/60, de tenir compte de la situation particulière des opérateurs économiques, tels que les requérantes, détenant, pour des produits phytopharmaceutiques, des autorisations de mise sur le marché (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 6 décembre 2001, Emesa Sugar/Conseil, T-43/98, Rec. p. II-3519, point 53). L'article 16, paragraphe 2, sous a), de la directive 2000/60, auquel se réfèrent les requérantes, concerne uniquement l'évaluation des risques à entreprendre aux fins de l'établissement de l'acte attaqué sans accorder une protection spécifique à un quelconque opérateur économique. Aux termes de la directive 2000/60, la protection des titulaires d'autorisations délivrées en application de la directive 91/414 n'intervient, en effet, qu'au stade de la procédure d'adoption de mesures de contrôle portant sur les substances identifiées par l'acte attaqué. Ainsi, l'article 16, paragraphe 6, deuxième alinéa, de la directive 2000/60 dispose que, lorsque les mesures de contrôle comportent le réexamen des autorisations pertinentes délivrées en application de la directive 91/414, ce réexamen est effectué conformément aux dispositions de cette dernière directive.

48.
    Enfin, quant à l'argument de l'ECPA tiré de l'arrêt Pfizer/Conseil, cité au point 28 ci-dessus, il doit être rappelé que l'acte attaqué dans cette dernière affaire interdisait l'utilisation de la virginiamycine comme additif dans l'alimentation des animaux. En contraste, dans la présente espèce, l'acte attaqué n'a aucun effet contraignant à l'égard des requérantes. Elles peuvent, en effet, continuer, sans aucune restriction, à produire et à commercialiser les substances visées par la liste établie par l'acte attaqué aussi longtemps que le Parlement et le Conseil ou les États membres n'auront pas pris de mesures spécifiques de contrôle relatives à ces substances.

49.
    Il résulte de tout ce qui précède que le présent recours doit être rejeté comme étant irrecevable.

50.
    Toutefois, à défaut d'être en mesure de demander l'annulation de l'acte attaqué, les requérantes conservent la possibilité d'en exciper l'illégalité devant les juridictions nationales, statuant dans le respect de l'article 234 CE (arrêt de la Cour du 17 novembre 1998, Kruidvat/Commission, C-70/97 P, Rec. p. I-7183, points 48 et 49; ordonnance du Tribunal du 12 juillet 2000, Conseil national des professions de l'automobile e.a./Commission, T-45/00, Rec. p. II-2927, point 26). Elles disposent ainsi d'une protection juridictionnelle suffisante devant les juridictions nationales (voir, en ce sens, arrêt Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, cité au point 26 ci-dessus, point 40).

Sur les dépens

51.
    En vertu de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de décider qu'elles supporteront, outre leurs propres dépens, ceux du Parlement et du Conseil, conformément aux conclusions de ces derniers.

52.
    Conformément à l'article 87, paragraphe 4, du règlement de procédure, la Commission et l'ECPA supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

ordonne:

1)    Le recours est rejeté comme étant irrecevable.

2)    Les requérantes supporteront leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par le Parlement et le Conseil.

3)    La Commission et l'European Crop Protection Association supporteront leurs propres dépens.

Fait à Luxembourg, le 6 mai 2003.

Le greffier

Le président

H. Jung

K. Lenaerts


1: Langue de procédure: l'anglais.