Language of document : ECLI:EU:T:2004:275

Arrêt du Tribunal

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)
28 septembre 2004 (1)

« Concurrence – Contrôle des opérations de concentration – Recours en annulation – Intérêt à agir – Compétence de la Commission »

Dans l'affaire T-310/00,

MCI, Inc., anciennement MCI WorldCom, Inc., puis WorldCom, Inc., établie à Ashburn, Virginie (États-Unis), représentée initialement par M. K. Lasok, QC, Mes J.-Y. Art et B. Hartnett, avocats, puis par M. Lasok, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

soutenue par

République fédérale d'Allemagne, représentée par M. W.-D. Plessing et Mme B. Muttelsee-Schön, en qualité d'agents,

partie intervenante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée initialement par MM. P. Oliver, P. Hellström et Mme L. Pignataro, puis par MM. Oliver et Hellström, en qualité d'agents, assistés de M. N. Khan, barrister, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

soutenue par

République française, représentée par MM. G. de Bergues et F. Million, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision 2003/790/CE de la Commission, du 28 juin 2000, déclarant une opération de concentration incompatible avec le marché commun et l'accord EEE (Affaire COMP/M.1741 – MCI WorldCom/Sprint) (JO 2003, L 300, p. 1),



LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),



composé de MM. J. Pirrung, président, A. W. H. Meij et N. J. Forwood, juges,

greffier : M. J. Plingers, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 30 mars 2004,

rend le présent



Arrêt




Faits à l’origine du litige et procédure devant la Commission

1
MCI, Inc., anciennement MCI WorldCom, Inc., puis WorldCom, Inc. (ci-après « WorldCom »), et Sprint Corp. (ci-après « Sprint ») sont toutes deux des entreprises de télécommunications à l’échelle planétaire, ayant leur siège aux États-Unis. En 1999, le chiffre d’affaires mondial de WorldCom s’est élevé à environ 37 milliards de dollars des États-Unis (USD) et celui de Sprint à environ 17 milliards. Jusqu’à une date récente, les activités de Sprint en Europe étaient menées, en totalité ou dans une large mesure, par l’intermédiaire de Global One, l’entreprise commune qu’elle avait créée en 1995 avec Deutsche Telekom et France Télécom.

2
Le 4 octobre 1999, WorldCom et Sprint ont signé un accord et un plan de fusion répondant à la définition d’une opération de concentration au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises [JO L 395, p. 1, rectificatifs au JO 1990, L 257, p. 13, abrogé depuis lors par le règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO L 24, p. 1)]. Cette fusion devait être réalisée par voie d’échange d’actions Sprint contre des actions WorldCom, pour un montant initialement évalué à 127 milliards de USD.

3
Par lettres des 20, 26 et 28 octobre 1999, WorldCom et Sprint ont informé la Commission de cet accord, en lui faisant part des raisons pour lesquelles elles considéraient que l’opération en cause n’avait pas une dimension communautaire, au sens de l’article 1er du règlement n° 4064/89, et qu’elle ne devait donc pas lui être notifiée au titre de ce règlement. Elles ont notamment fait valoir que, dans la mesure où Sprint s’était contractuellement engagée envers WorldCom à se défaire de sa participation dans Global One avant la réalisation de la fusion, le calcul du chiffre d’affaires total réalisé par Sprint dans la Communauté, au sens de l’article 5 du règlement n° 4064/89, ne devait pas inclure sa part dans le chiffre d’affaires de Global One.

4
Le 29 octobre 1999, la Commission a contesté ce point de vue et a informé les intéressées qu’elle devait prendre en considération la part de Sprint dans le chiffre d’affaires de Global One, ce qui l’amenait à conclure que l’opération envisagée avait une dimension communautaire. Elle a fait valoir que le calcul des chiffres d’affaires visant à déterminer si une opération de concentration revêt une dimension communautaire doit être effectué à la date de la signature de l’accord de fusion et au regard de la situation de fait existant à cette date ou, au plus tard, à la date à laquelle l’obligation de notification est née. Selon elle, le chiffre d’affaires attribuable à certaines activités ne peut être déduit que lorsque l’accord notifié est assorti d’une condition suspensive prévoyant la cession de ces activités ou si ces dernières ont été cédées entre la clôture des comptes et la signature de l’accord de fusion définitif. La Commission a estimé que tel n’était pas le cas en l’espèce.

5
Par acte du 10 janvier 2000 (ci-après la « notification »), reçu par la Commission le 11 janvier, WorldCom et Sprint (ci-après les « parties notifiantes ») ont conjointement notifié leur projet de concentration, conformément à l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 4064/89, « sans préjudice de la position des parties eu égard aux questions de compétence relatives à l’attribution à Sprint du chiffre d’affaires de Global One ».

6
Le 21 janvier 2000, Sprint a conclu un accord formel avec Deutsche Telekom et France Télécom, en vertu duquel elle se retirait de Global One.

7
Le 2 février 2000, les parties notifiantes ont informé la Commission de cet accord et ont proposé un engagement au sens de l’article 8, paragraphe 2, du règlement n° 4064/89, aux termes duquel Sprint devait tout mettre en oeuvre pour mener à bien, sans retard injustifié, son retrait de Global One et, dans l’intervalle, ne participer en aucune façon à la gestion courante de Global One. Le 10 février 2000, les parties notifiantes ont adressé à la Commission un mémorandum exposant leurs vues sur l’impact qu’aurait le retrait de Sprint de Global One sur la structure de la concurrence sur les marchés en cause et indiquant les raisons qui, selon elles, les autorisaient à retirer la notification.

8
Considérant que l’engagement proposé était insuffisant, que l’opération de concentration en cause relevait bien du champ d’application du règlement n° 4064/89 et que des doutes sérieux existaient quant à sa compatibilité avec le marché commun, la Commission a décidé, le 21 février 2000, d’engager la procédure, conformément à l’article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 4064/89. Elle a identifié trois marchés à l’égard desquels l’opération soulevait des problèmes de concurrence : celui de la « connectivité Internet du plus haut niveau ou universelle », celui des services mondiaux de télécommunications et celui de la téléphonie vocale internationale.

9
Après avoir obtenu divers renseignements en réponse à des demandes au titre de l’article 11 du règlement n° 4064/89, la Commission a envoyé aux parties notifiantes, le 3 mai 2000, une communication des griefs au sens de l’article 12, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 447/98 de la Commission, du 1er mars 1998, relatif aux notifications, aux délais et aux auditions prévus par le règlement n° 4064/89 [JO L 61, p. 1, ci-après le « règlement d’application », abrogé depuis lors par le règlement (CE) n° 802/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, concernant la mise en oeuvre du règlement n° 139/2004 (JO L 133, p. 1)], dans laquelle elle exposait que la concentration envisagée se traduirait par la création d’une position dominante au bénéfice des parties notifiantes, ou par le renforcement de la position dominante de WorldCom, sur le marché de la connectivité Internet du plus haut niveau ainsi que sur celui des services mondiaux de télécommunications aux entreprises multinationales. Les parties notifiantes ont répondu à cette communication des griefs le 22 mai 2000.

10
Après plusieurs réunions consacrées à l’examen des mesures correctives possibles, les parties notifiantes ont présenté à la Commission, par lettre du 8 juin 2000, un engagement (des « mesures correctives ») au titre de l’article 8, paragraphe 2, du règlement n° 4064/89 et de l’article 18, paragraphe 2, du règlement d’application, concernant la cession des activités Internet de Sprint.

11
Le 5 juin 2000, la Commission a convoqué une réunion du comité consultatif en matière de concentrations entre entreprises institué par l’article 19 du règlement n° 4064/89. Ce comité s’est réuni le 22 juin 2000 et a rendu son avis le même jour.

12
Le 26 juin 2000, le membre de la Commission en charge des affaires de concurrence, M. Monti, s’est rendu à Washington (États-Unis) pour y rencontrer des représentants du Department of Justice (ministère de la Justice, ci-après le « DoJ »). Il y a déclaré, lors d’une conférence de presse, qu’il proposerait à la Commission d’interdire la concentration projetée.

13
Le 27 juin 2000, les parties notifiantes ont télécopié deux lettres à la Commission, qui les a reçues le même jour, par lesquelles elles déclaraient formellement retirer, d’une part, l’engagement présenté le 8 juin 2000 et, d’autre part, la notification du 11 janvier 2000. La deuxième lettre contenait la déclaration suivante :

« Les parties n’ont plus l’intention de mettre en oeuvre le projet de concentration sous la forme présentée dans la notification. Pour autant que les parties décideront de fusionner leurs activités sous une autre forme à l’avenir, les parties présenteront les notifications appropriées dans le cadre des lois applicables en matière de concentrations. »

14
Le même jour, le DoJ a officiellement saisi la District Court of Columbia (cour du district de Columbia) d’une plainte à l’encontre de WorldCom et de Sprint, visant à faire constater que leur projet de fusion violait le Clayton Antitrust Act, 1914 (loi antitrust Clayton de 1914) et à obtenir une injonction permanente interdisant à ces entreprises de mettre en oeuvre l’accord de concentration en cause. Cette plainte se fondait sur les effets anticoncurrentiels que l’accord semblait devoir entraîner sur le marché de la fourniture de services de réseau Internet de base ainsi que sur une série d’autres marchés.

15
Le 27 juin 2000 également, Sprint a publié sur son site web un communiqué de presse relatif à la procédure judiciaire intentée par le DoJ, qui se terminait par ces mots :

« Sprint espère que cette opération de fusion trouvera une conclusion raisonnable. Les avantages qui en résulteraient pour le public sont trop importants pour y renoncer. »

16
Le même jour encore, le site web d’ABC News a publié le commentaire suivant :

« […] les déclarations publiées par les deux entreprises semblent indiquer qu’elles n’ont pas complètement renoncé à la mégaconcentration envisagée, d’une valeur de 128 milliards de dollars. M. Peter Lucht, porte-parole de WorldCom, n’a pas voulu dire s’ils avaient mis fin à leur OPA. ‘L’affaire est encore pendante devant les autorités américaines’, a déclaré M. Lucht. »

17
Le 28 juin 2000, la Commission a adopté la décision 2003/790/CE, déclarant une opération de concentration incompatible avec le marché commun et l’accord EEE (Affaire COMP/M.1741 – MCI WorldCom/Sprint) (JO 2003, L 300, p. 1, ci-après la « décision attaquée »), sur le fondement, notamment, de l’article 8, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89.

18
Au considérant 410 de la décision attaquée, la Commission a constaté que la concentration envisagée « entraînerait soit la création d’une position dominante au bénéfice de l’entité résultant de la concentration, soit le renforcement d’une position dominante de MCI WorldCom sur le marché de la fourniture de connectivité [du plus haut niveau] ou universelle, qui aurait comme conséquence que la concurrence serait entravée de façon significative dans le marché commun au sens de l’article 2, paragraphe 3, du règlement sur les concentrations ». En revanche, au considérant 302 de la décision attaquée, la Commission a « décidé de ne plus élever d’objection à l’égard du marché de la fourniture des services mondiaux de télécommunications ». Aux considérants 303 à 315 de la décision attaquée, la Commission a par ailleurs abandonné ses griefs relatifs au marché de la téléphonie vocale internationale.

19
La décision attaquée a été notifiée aux parties notifiantes le même jour.

20
Le 13 juillet 2000, les parties notifiantes ont annoncé, par voie de communiqués de presse, que, vu l’opposition du DoJ, elles mettaient fin à leur accord de fusion.


Procédure

21
Par requête enregistrée au greffe du Tribunal le 27 septembre 2000, la requérante a introduit le présent recours.

22
Le Tribunal (première chambre) a invité la requérante à se prononcer, dans sa réplique, sur le point de savoir si, à la lumière des arrêts du Tribunal du 25 mars 1999, Gencor/Commission (T-102/96, Rec. p. II‑753), et du 15 décembre 1999, Kesko/Commission (T-22/97, Rec. p. II‑3775), elle conservait un intérêt à agir, compte tenu de l’abandon définitif du projet de concentration à la suite de l’intervention du DoJ. La requérante a déféré à cette demande et la Commission a également pris position sur cette question dans sa duplique.

23
Par ordonnance du président de la première chambre du Tribunal du 16 mai 2001, la République fédérale d’Allemagne et la République française ont été admises à intervenir au soutien des conclusions respectivement de la requérante et de la Commission.

24
Le 21 juillet 2002, WorldCom et la plupart de ses filiales aux États-Unis ont déposé une demande de redressement volontaire, au sens du chapitre 11 du U.S. Bankruptcy Code (code des faillites américain), devant la Bankruptcy Court for the Southern District of New York (cour des faillites du district sud de New York).

25
Par lettre du greffe du Tribunal du 4 octobre 2002, la requérante a été invitée à se prononcer sur l’incidence éventuelle des événements en cours sur la poursuite de la procédure devant le Tribunal, à indiquer si elle estimait avoir encore un intérêt à demander l’annulation de la décision attaquée, sur la base des critères énoncés par le Tribunal dans les arrêts Gencor/Commission et Kesko/Commission, point 22 supra, plus particulièrement, à indiquer si elle estimait avoir encore une quelconque chance de réaliser à l’avenir l’opération de concentration déclarée incompatible avec le marché commun par la décision attaquée, ou toute autre opération similaire, au cas où la décision attaquée serait annulée conformément aux conclusions du recours, et à produire, aussitôt qu’il serait accepté par ses créanciers et approuvé par le tribunal américain compétent, le plan stratégique (business plan) requis au titre du chapitre 11 du U.S. Bankruptcy Code. La requérante a déféré à ces demandes par lettres des 21 octobre 2002, 2 mai 2003, 9 juillet 2003, 17 décembre 2003 et 11 mars 2004.

26
La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée à partir de la nouvelle année judiciaire, le juge rapporteur a été affecté à la deuxième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

27
Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et de tenir, dans un premier temps, une audience spécifiquement consacrée à l’examen des questions de recevabilité, d’intérêt à agir et de compétence de la Commission pour adopter la décision attaquée, que soulève le présent recours.

28
Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l’audience du 30 mars 2004.


Conclusions des parties

29
La requérante, soutenue par la République fédérale d’Allemagne, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

annuler la décision attaquée ;

condamner la Commission aux dépens.

30
La Commission, soutenue par la République française, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

rejeter le recours ;

condamner la requérante aux dépens.


Sur la recevabilité du recours

Arguments des parties

31
Dans sa réplique, la requérante souligne, d’abord, que c’est en réponse aux propos tenus par M. Monti lors de sa conférence de presse du 26 juin 2000 (voir point 12 ci-dessus) que les parties notifiantes ont, le lendemain, retiré leur notification et informé officiellement la Commission qu’elles avaient abandonné la concentration envisagée telle que notifiée. Quant à la procédure entamée le même 27 juin par le DoJ devant la District Court of Columbia (voir point 14 ci-dessus), la requérante souligne qu’elle était dépourvue d’effets juridiques contraignants, à la différence de la décision attaquée, adoptée le 28 juin 2000. De l’avis de la requérante, il est dès lors inexact d’affirmer que le projet de concentration a été abandonné « à la suite de l’intervention » du DoJ.

32
La requérante soutient ensuite qu’elle a un intérêt à demander l’annulation de la décision attaquée au regard des critères énoncés par le Tribunal dans les arrêts Gencor/Commission, point 22 supra (points 41 à 45), et Kesko/Commission, point 22 supra (points 57 à 64). À cet égard, elle fait plus particulièrement valoir que le projet de concentration a été abandonné par les parties notifiantes dès lors qu’il était manifestement clair que la Commission déclarerait l’opération incompatible avec le marché commun. Le fait que l’appréciation portée par la Commission ait été rendue publique avant l’adoption de la décision attaquée et le fait que les parties notifiantes aient agi sur la foi de la décision avant son adoption formelle ne priveraient pas la requérante de son intérêt à en demander l’annulation.

33
La requérante invoque également, en se référant à l’arrêt de la Cour du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement (294/83, Rec. p. 1339, point 23), son droit fondamental à la protection juridictionnelle, qui serait consacré tant par le traité CE que par les articles 16 et 21 du règlement n° 4064/89. Elle allègue notamment que, dans une communauté de droit, le contrôle juridictionnel effectif du pouvoir discrétionnaire de la Commission au titre du règlement n° 4064/89 ne saurait en aucune manière être affecté par l’existence de procédures judiciaires devant d’autres juridictions, d’autant plus que, en l’espèce, la décision attaquée constituerait le seul obstacle juridique à la concentration projetée.

34
Dans ses observations du 21 octobre 2002 en réponse aux questions du Tribunal du 4 octobre 2002 (voir point 25 ci-dessus), la requérante affirme, en substance, que son placement sous la protection du chapitre 11 du U.S. Bankruptcy Code n’a aucune incidence juridique sur la poursuite du présent recours, qu’elle a un intérêt plus grand encore qu’auparavant à obtenir l’annulation de la décision attaquée, au regard des critères énoncés par le Tribunal dans les arrêts Gencor/Commission et Kesko/Commission, point 22 supra, et, plus particulièrement, que, en raison des problèmes structurels de surcapacité, de contraction de la demande et autres qui sont apparus depuis l’an 2000 dans le secteur des télécommunications, elle aurait de meilleures chances encore qu’auparavant de réaliser l’opération de concentration déclarée incompatible avec le marché commun par la décision attaquée, ou une autre opération similaire, si cette décision était annulée conformément aux conclusions du recours.

35
Dans ses observations complémentaires du 2 mai 2003, la requérante fait notamment état d’une prochaine approbation, par la U.S. Bankruptcy Court, de son plan de redressement définitif et dit s’attendre à sortir de la procédure visée au chapitre 11 du U.S. Bankruptcy Code dans le courant du troisième trimestre de 2003. Elle confirme que l’achèvement de la procédure de redressement n’aura aucune incidence sur son intérêt à une prompte résolution du présent litige ni sur les droits susceptibles de découler d’un arrêt faisant droit à son recours.

36
En annexe à ses observations additionnelles des 9 juillet 2003, 17 décembre 2003 et 11 mars 2004, la requérante a joint, respectivement, une copie de l’ordonnance de la U.S. Bankruptcy Court du 7 juillet 2003, approuvant sa proposition de règlement final avec la U.S. Securities and Exchange Commission (commission des opérations de bourse américaine), une copie de l’ordonnance de cette même juridiction du 31 octobre 2003, approuvant son plan de réorganisation du 21 octobre 2003, et une copie de l’ordonnance de ladite juridiction du 25 février 2004, étendant le délai dont dispose la requérante pour se conformer à certaines des conditions prévues par son plan de réorganisation.

37
Dans sa duplique, la Commission relève que, dans les arrêts Gencor/Commission et Kesko/Commission, point 22 supra, le Tribunal a attaché une importance considérable aux circonstances de fait dans lesquelles le recours avait été introduit ainsi qu’à celles dans lesquelles l’opération de concentration projetée avait été abandonnée.

38
Elle souligne que, dans l’arrêt Gencor/Commission, point 22 supra (point 45), le Tribunal a indiqué que la disparition du fondement de l’opération de concentration n’était pas « en soi » un élément de nature à exclure un contrôle de la légalité de la décision en cause. Le Tribunal aurait précisé le sens de cette affirmation dans l’arrêt Kesko/Commission, point 22 supra (points 61 à 64), en concluant, après avoir examiné les raisons pour lesquelles la requérante avait renoncé à l’opération projetée, que cette renonciation n’était pas volontaire, mais directement imputable à la décision attaquée, et que le recours devait, dès lors, être déclaré recevable.

39
La Commission en déduit que les raisons pour lesquelles les parties notifiantes ont renoncé à leur projet de concentration, combinées avec d’autres circonstances, pourraient effectivement amener le Tribunal à se dessaisir. Elle fait valoir que, si les parties notifiantes ont pris cette décision pour des motifs étrangers à la décision attaquée, on peut raisonnablement en déduire que l’issue de la procédure ne présente pas un intérêt suffisant pour la requérante, de sorte que son recours devrait être rejeté comme irrecevable.

40
Or, en l’espèce, WorldCom et Sprint auraient elles-mêmes clairement affirmé qu’elles renonçaient à leur projet de concentration pour des raisons étrangères à la décision attaquée. Il ressortirait en effet de leurs propos que c’est uniquement en raison de l’opposition du DoJ que ce projet a été abandonné. La Commission se réfère plus particulièrement à l’extrait suivant du communiqué de presse publié le 13 juillet 2000 tant par la requérante que par Sprint (voir point 20 ci-dessus) :

« Les sociétés [WorldCom et Sprint] s’accordent à penser que les diverses conditions exigées en fin de compte par le [DoJ] compromettraient les avantages financiers de la fusion et les avantages que les clients pourraient en retirer. Le [DoJ] ayant affirmé qu’il ne serait pas prêt avant l’année prochaine à plaider sa cause sur la base de ses théories concernant la fusion, les sociétés ont décidé qu’il ne serait pas dans l’intérêt des actionnaires, des clients et des travailleurs de se lancer dans une procédure interminable. »

41
Dans ces conditions, la requérante serait mal fondée à soutenir que la plainte introduite par le DoJ auprès de la District Court of Columbia ne pouvait être à l’origine de sa décision de renoncer au projet de concentration du fait qu’elle n’avait pas d’effet contraignant.

42
La Commission conclut que l’abandon du projet de concentration n’était nullement une conséquence directe de la décision attaquée, que l’arrêt Kesko/Commission, point 22 supra, n’est pas pertinent en l’espèce et que le recours doit être rejeté comme irrecevable.

43
La Commission relève, par ailleurs, que, dans l’arrêt Kesko/Commission, point 22 supra (point 55), le Tribunal s’est notamment posé la question de savoir si le projet de concentration était toujours d’actualité au moment de l’introduction du recours, afin de déterminer s’il existait un intérêt né et actuel à l’annulation de la décision attaquée. Or, en l’espèce, le projet de concentration aurait été abandonné en juillet 2000, soit bien avant l’introduction du recours, le 27 septembre 2000.

Appréciation du Tribunal

44
Selon une jurisprudence constante, un recours en annulation intenté par une personne physique ou morale n’est recevable que dans la mesure où le requérant a un intérêt à voir annuler l’acte attaqué. Un tel intérêt suppose que l’annulation de cet acte soit susceptible, par elle‑même, d’avoir des conséquences juridiques (voir arrêt de la Cour du 24 juin 1986, AKZO Chemie/Commission, 53/85, Rec. p. 1965, point 21 ; arrêts du Tribunal du 14 septembre 1995, Antillean Rice Mills e.a./Commission, T‑480/93 et T‑483/93, Rec. p. II‑2305, points 59 et 60, et la jurisprudence citée, et du 20 juin 2001, Euroalliages/Commission, T‑188/99, Rec. p. II‑1757, point 26) ou, selon une autre formule, que le recours soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (arrêts de la Cour du 13 juillet 2000, Parlement/Richard, C‑174/99 P, Rec. p. I‑6189, point 33, et du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, C‑50/00 P, Rec. p. I‑6677, point 21).

45
S’agissant d’une fin de non‑recevoir d’ordre public (ordonnances de la Cour du 28 novembre 1985, Grégoire‑Foulon/Parlement, 19/85, Rec. p. 3771, et du 7 octobre 1987, D.M./Conseil et CES, 108/86, Rec. p. 3933 ; arrêt du Tribunal du 18 février 1993, Mc Avoy/Parlement, T‑45/91, Rec. p. II‑83, point 22), le juge communautaire peut la soulever d’office (arrêt de la Cour du 19 octobre 1995, Rendo e.a./Commission, C‑19/93 P, Rec. p. I‑3319).

46
Dans le domaine d’application du règlement n° 4064/89, le Tribunal a jugé, dans l’arrêt Gencor/Commission, point 22 supra (points 41 à 45), qu’une entreprise partie à une opération de concentration projetée conserve un intérêt à agir en annulation de la décision de la Commission déclarant cette opération incompatible avec le marché commun, alors même que, en raison de la disparition du fondement contractuel de cette opération, celle‑ci ne peut plus être réalisée, même en cas d’arrêt du Tribunal favorable à la requérante. Le Tribunal a eu égard, notamment, aux conséquences juridiques actuelles et futures de l’annulation d’une telle décision en vertu de l’article 233 CE, ainsi qu’aux impératifs du contrôle juridictionnel de la légalité des actes adoptés par la Commission au titre du règlement n° 4064/89.

47
Faisant application de ces principes à un cas d’abandon de l’opération de concentration projetée, le Tribunal a ajouté, dans l’arrêt Kesko/Commission, point 22 supra (points 61 à 65), que, lorsque les circonstances de l’espèce font apparaître que cet abandon n’a pas été volontaire, mais est la « conséquence directe » d’une décision de la Commission, l’entreprise en cause conserve un intérêt à agir en annulation de cette décision.

48
Contrairement à ce que soutient la Commission (voir point 43 ci-dessus), cette jurisprudence ne saurait être circonscrite aux seuls cas dans lesquels l’abandon de l’opération de concentration survient postérieurement à l’introduction d’un recours devant le Tribunal. En effet, ladite jurisprudence se fonde sur la considération qu’une entreprise qui se borne à se conformer à une décision de la Commission, comme elle en a l’obligation, ne perd, en aucune manière, son intérêt à poursuivre l’annulation de cette décision (arrêt Kesko/Commission, point 22 supra, point 59). Or, une telle obligation participe de la nature même de la décision, ainsi qu’il ressort de l’article 249, quatrième alinéa, CE. Elle existe donc préalablement à, et indépendamment de, l’introduction d’un recours, l’absence d’effet suspensif de celui-ci justifiant, par ailleurs, le maintien de l’intérêt à agir en cas d’abandon de l’opération en cours d’instance (arrêt de la Cour du 19 septembre 1985, Hoogovens Groep/Commission, 172/83 et 226/83, Rec. p. 2831, point 19).

49
En l’occurrence, la disparition du fondement contractuel de l’opération de concentration, à la suite de l’abandon du projet de concentration par les parties notifiantes, n’est donc pas en soi un élément de nature à exclure le contrôle de la légalité de la décision attaquée.

50
Le présent cas d’espèce pourrait toutefois se distinguer sous deux aspects des affaires ayant donné lieu aux arrêts Gencor/Commission et Kesko/Commission, point 22 supra. D’une part, bien que cette allégation soit partiellement contestée par la Commission, la requérante elle-même soutient que l’opération de concentration en cause a été abandonnée dès le 27 juin 2000, soit avant même l’adoption de la décision attaquée. D’autre part, la Commission soutient que cet abandon est davantage imputable à l’opposition du DoJ qu’à sa propre action. Sous l’un et l’autre aspect se pose dès lors la question de savoir dans quelle mesure l’abandon de l’opération de concentration en cause peut être qualifié de « conséquence directe » de la décision attaquée, au sens de l’arrêt Kesko/Commission, point 22 supra, et quelles sont les conséquences éventuelles d’une telle distinction quant à l’intérêt de la requérante à agir dans la présente espèce.

51
S’agissant du premier de ces deux aspects, il y a lieu de rappeler que, par lettre du 27 juin 2000, les parties notifiantes ont formellement déclaré à la Commission qu’elles retiraient leur notification et qu’elles n’avaient « plus l’intention de mettre en oeuvre le projet de concentration sous la forme présentée dans la notification ».

52
Le Tribunal constate, premièrement, que cette déclaration faisait immédiatement suite aux commentaires faits à la presse, le 26 juin 2000, par M. Monti, desquels il ressort que celui-ci comptait proposer à la Commission d’interdire la concentration projetée, et, deuxièmement, que cette déclaration avait manifestement pour objet d’éviter l’adoption de la décision attaquée, dont la discussion était inscrite à l’ordre du jour de la réunion de la Commission du 28 juin 2000.

53
Or, au considérant 12 de la décision attaquée, la Commission a refusé de considérer cette déclaration comme constitutive d’un retrait formel de l’accord de fusion notifié. Elle s’est, dès lors, considérée comme compétente pour connaître de cet accord, malgré les termes de la déclaration en question.

54
Le Tribunal estime que ces considérations suffisent à elles seules à justifier l’intérêt de la requérante à obtenir l’annulation d’une décision dont elle est destinataire et dont elle a vainement tenté de prévenir l’adoption en déclarant formellement renoncer à l’opération de concentration notifiée qui en fait l’objet. Il convient de relever, à cet égard, que l’un des principaux moyens invoqués par la requérante au soutien de ses conclusions en annulation est tiré de l’incompétence de la Commission pour adopter la décision attaquée, après le retrait de la notification intervenu le 27 juin 2000.

55
Il y a lieu d’ajouter que, aussi longtemps que subsiste la décision attaquée, qui bénéficie d’une présomption de validité jusqu’à son annulation par le juge communautaire (arrêt de la Cour du 1er avril 1982, Dürbeck/Commission, 11/81, Rec. p. 1251, point 17), la requérante est légalement empêchée de fusionner avec Sprint, du moins sous la configuration et aux conditions présentées dans la notification, au cas où elle en aurait de nouveau l’intention à l’avenir.

56
Le fait que la requérante n’a pas nécessairement cette intention, ou qu’elle ne la mettra peut‑être pas en oeuvre, constitue à cet égard une circonstance purement subjective qui ne saurait être prise en considération lors de l’appréciation de son intérêt à agir en annulation d’un acte qui, incontestablement, produit des effets juridiques obligatoires de nature à affecter ses intérêts, en modifiant de manière caractérisée sa situation juridique (arrêts de la Cour du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, Rec. p. 2639, point 9, et du 31 mars 1998, France e.a./Commission, C‑68/94 et C‑30/95, Rec. p. I‑1375, point 62 ; arrêts du Tribunal du 4 mars 1999, Assicurazioni Generali et Unicredito/Commission, T‑87/96, Rec. p. II‑203, point 37, et du 22 mars 2000, Coca‑Cola/Commission, T‑125/97 et T‑127/97, Rec. p. II‑1733, point 77).

57
Il y a donc lieu de conclure que la requérante justifierait d’un intérêt suffisant pour poursuivre l’annulation de la décision attaquée même dans le cas où, comme elle le prétend, elle aurait réellement abandonné l’opération en cause la veille de l’adoption de cette décision.

58
S’agissant du second des deux aspects mentionnés au point 50 ci‑dessus, il est vrai que le retrait formel de la notification et l’abandon du projet de concentration « sous la forme présentée dans la notification », notifiés par télécopie des parties notifiantes au secrétariat de la task-force « Contrôle des opérations de concentration entre entreprises » de la Commission à Bruxelles le 27 juin 2000 à 17h25 (voir annexe 3 de la requête, p. 185), coïncident jour pour jour et même pratiquement heure pour heure, compte tenu du décalage horaire, avec l’annonce de la saisine de la District Court of Columbia par le DoJ, faite à Washington dans la matinée du 27 juin 2000 (voir annexes 1 et 11 du mémoire en défense). En outre, de l’aveu même des parties notifiantes (voir leur communiqué de presse du 13 juillet 2000, cité au point 40 ci‑dessus), l’abandon définitif de leur projet de concentration est consécutif à la procédure intentée par le DoJ devant la District Court of Columbia.

59
Toutefois, à supposer même que l’opposition du DoJ ait été déterminante dans la décision des parties notifiantes d’abandonner l’opération de concentration en cause, il n’en demeure pas moins que, comme le relève à juste titre la requérante, la décision attaquée constitue pour l’heure le seul obstacle juridique actuel et certain à la réalisation de cette opération, dans l’éventualité où les parties notifiantes voudraient de nouveau fusionner sous la configuration et aux conditions présentées dans la notification, dès lors que la procédure entamée par le DoJ devant la District Court of Columbia n’est pas allée jusqu’au prononcé d’une injonction négative et qu’elle a même été volontairement abandonnée par le DoJ le 13 juillet 2000.

60
En outre, il ne saurait être exclu que les parties notifiantes auraient choisi de se défendre devant la District Court of Columbia si la Commission n’avait pas, de son côté, adopté la décision attaquée.

61
Dans ces conditions, et eu égard au principe fondamental selon lequel, dans une communauté de droit, le respect de la légalité doit être dûment assuré (arrêt de la Cour du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, C-496/99 P, non encore publié au Recueil, point 63), le Tribunal estime que le présent cas d’espèce ne se distingue pas suffisamment de ceux à l’origine des arrêts Gencor/Commission et Kesko/Commission, point 22 supra, pour justifier une solution différente quant à l’appréciation de l’intérêt de la requérante à agir, au moment de l’introduction du recours.

62
Quant aux circonstances susceptibles d’avoir affecté le maintien de cet intérêt, postérieurement à l’introduction du recours, le Tribunal estime que les observations déposées par la requérante les 21 octobre 2002, 2 mai 2003, 9 juillet 2003, 17 décembre 2003 et 11 mars 2004 permettent de considérer que son redressement judiciaire est en bonne voie.

63
Par ailleurs, la requérante a affirmé dans ces observations et répété à l’audience, sans être contredite par la Commission, que le domaine de ses activités est demeuré inchangé depuis l’introduction du recours et qu’elle est toujours susceptible de réaliser une opération du type de celle déclarée incompatible avec le marché commun par la décision attaquée.

64
Le Tribunal estime, dès lors, que la requérante conserve un intérêt suffisant à la poursuite de la présente procédure.


Sur la compétence de la Commission pour adopter la décision attaquée

65
Au soutien de ses conclusions, la requérante soulève, en substance, deux moyens d’annulation tirés de l’incompétence de la Commission pour adopter la décision attaquée.

66
Par un premier moyen, qui se subdivise en deux branches, la requérante fait valoir que la Commission n’était pas habilitée à adopter la décision attaquée dès lors que le projet de concentration en cause n’avait pas une dimension communautaire, que ce soit à la date d’engagement de la procédure (première branche) ou, par suite d’une modification substantielle des circonstances, à la date d’adoption de la décision (deuxième branche).

67
Par un second moyen, la requérante soutient que la Commission n’était pas habilitée à adopter la décision attaquée dès lors que les parties notifiantes avaient officiellement retiré leur notification et qu’elles l’avaient informée de l’abandon de la concentration sous la forme envisagée dans la notification.

68
Le Tribunal décide d’examiner par priorité ce second moyen, tiré de l’incompétence de la Commission pour adopter la décision attaquée après le retrait de la notification et l’abandon de la concentration sous la forme envisagée dans la notification.

Arguments des parties

69
La requérante, soutenue par le gouvernement allemand, fait valoir que la Commission a outrepassé ses pouvoirs en adoptant la décision attaquée, le 28 juin 2000, alors que, le 27 juin 2000, les parties notifiantes avaient officiellement retiré leur notification et l’avaient informée de ce qu’elles ne chercheraient pas à réaliser l’opération de concentration envisagée telle que notifiée et de ce que, pour autant qu’elles décideraient de fusionner leurs activités sous une autre forme à l’avenir, elles effectueraient les notifications requises par les dispositions applicables en matière de concentrations.

70
La Commission ayant notamment justifié sa compétence, au considérant 12 de la décision attaquée, par la circonstance que la communication des parties notifiantes du 27 juin 2000 ne constituait pas un retrait formel du contrat de fusion du 4 octobre 1999 ayant fait l’objet de la notification, la requérante soutient que cette interprétation est artificielle et contraire à une lecture rationnelle des termes de ladite communication. Quant aux communiqués de presse des parties notifiantes auxquels la Commission se réfère, dans son mémoire en défense, au soutien de la thèse selon laquelle ces parties n’avaient pas abandonné le projet de concentration tel que notifié (voir points 15, 16 et 20 ci‑dessus), rien n’indiquerait dans la décision attaquée que la Commission en a tenu compte dans son appréciation. En tout état de cause, ces communiqués ne seraient nullement en contradiction avec la communication des parties notifiantes à la Commission du 27 juin 2000.

71
En outre, pour autant que la Commission a considéré que le projet de concentration ne pouvait être retiré que si les parties résiliaient officiellement le contrat de fusion, la requérante soutient qu’elle a agi de manière déraisonnable, disproportionnée, contraire à sa propre pratique administrative et, dès lors, en violation du principe de protection de la confiance légitime (arrêts de la Cour du 12 novembre 1987, Ferriere San Carlo/Commission, 344/85, Rec. p. 4435 ; du 5 octobre 1988, Fingruth, 129/87, Rec. p. 6121, points 14 à 16, et du 14 novembre 1989, Italie/Commission, 14/88, Rec. p. 3677, points 28 à 31). La requérante considère, en effet, que, à la suite de leur communication du 27 juin 2000, les parties notifiantes pouvaient légitimement s’attendre à ce que la Commission n’adopte pas de décision sur le fond de la concentration notifiée, conformément à sa pratique administrative antérieure rendue publique dans une vingtaine d’autres affaires.

72
La Commission soutient que le simple retrait de la notification ne suffit pas pour la priver de sa compétence au titre du règlement n° 4064/89. Son dessaisissement ne peut intervenir, d’après elle, que si les parties notifiantes abandonnent également leur projet de concentration.

73
Il découlerait tant de l’esprit que de la lettre du règlement n° 4064/89, et notamment de ses considérants 9 et 17 ainsi que de son article 2, paragraphe 2, de son article 4, de son article 7, paragraphes 1 et 5, de son article 8, paragraphe 4, et de son article 11, que la compétence de la Commission n’est pas limitée aux seules opérations notifiées, la notification n’étant que l’instrument qui facilite l’exercice d’une compétence que la Commission possède en tout état de cause et qui ne saurait dépendre de la seule volonté des parties (arrêt du Tribunal du 24 mars 1994, Air France/Commission, T-3/93, Rec. p. II-121, point 53). Dès lors, la Commission estime que, puisqu’elle garde sous son contrôle les opérations de concentration indépendamment de toute notification préalable, inversement, les parties à un projet de concentration ne sauraient la priver de sa compétence en retirant leur notification, à moins qu’elles n’abandonnent également leur projet. De ce point de vue, le retrait de la notification exposerait en outre les parties notifiantes à des amendes au titre de l’article 14 du règlement n° 4064/89, à moins que le projet de concentration ne soit abandonné.

74
En l’espèce, il serait manifeste que, le 28 juin 2000, les parties notifiantes avaient encore grand espoir que l’opération de concentration envisagée puisse se réaliser. Cela ressortirait clairement des communiqués de presse publiés par elles la veille (voir points 15 et 16 ci-dessus). À cet égard, la Commission souligne que, si, effectivement, une décision aussi importante que l’abandon du projet de concentration avait été prise, les parties n’auraient pas manqué cette occasion de l’annoncer. Leur communication du 27 juin 2000 à la Commission aurait donc manqué de sincérité et ne devrait pas être prise au pied de la lettre, d’autant plus que ce n’est que le 13 juillet 2000 que les parties notifiantes ont annoncé leur intention d’abandonner leur projet de concentration aux autorités de contrôle américaines (voir point 20 ci-dessus). La Commission en conclut que, à la date d’adoption de la décision attaquée, le projet de concentration était encore d’actualité.

75
Quant à sa pratique administrative antérieure, la Commission précise que, dans toutes les affaires invoquées par la requérante, il avait été mis fin à l’opération notifiée avant qu’elle ne classe le dossier. Dans aucune de ces affaires, la Commission n’aurait considéré comme suffisant le simple retrait de la notification. Elle aurait, au contraire, insisté, dans deux affaires, sur la production de preuves, non spontanément fournies par les parties, attestant que le projet de concentration avait bien été abandonné. Or, en l’espèce, les parties notifiantes n’auraient pas fourni le moindre document ou élément de preuve susceptible d’étayer leur affirmation selon laquelle elles n’avaient plus l’intention de mener à bien leur projet de concentration.

76
En tout état de cause, la Commission réfute l’idée selon laquelle sa propre pratique administrative, consistant en une série de décisions individuelles, pourrait créer une confiance légitime. Une telle confiance devrait, selon elle, reposer à tout le moins sur une communication de portée générale. Elle considère, de même, que le sens commun interdit de considérer comme constituant en soi un comportement déraisonnable ou disproportionné le fait pour elle de s’écarter d’une pratique suivie dans une série de décisions antérieures.

77
Dans sa duplique, enfin, la Commission fait valoir que les arrêts Ferriere San Carlo/Commission et Fingruth, point 71 supra, sont sans pertinence dans le cas d’espèce. Ces deux arrêts auraient constaté l’existence d’une lacune dans la législation communautaire, à laquelle l’institution communautaire concernée avait remédié par une pratique administrative constante. En l’espèce, le règlement n° 4064/89 ne présenterait aucune lacune et la requérante invoquerait en réalité une soi-disant confiance légitime dans le fait que la Commission n’exercera pas les pouvoirs dont elle est investie en vertu de ce règlement.

Appréciation du Tribunal

78
Il convient, tout d’abord, de déterminer la portée de la lettre du 27 juin 2000, citée au point 13 ci‑dessus, aux termes de laquelle les parties notifiantes ont formellement retiré leur notification du 11 janvier 2000 et déclaré à la Commission qu’elles n’avaient « plus l’intention de mettre en oeuvre le projet de concentration sous la forme présentée dans la notification ».

79
Ainsi qu’il ressort de ses termes mêmes, et contrairement à ce que soutient la requérante dans le cadre du présent recours, cette communication ne portait pas sur l’abandon de principe de toute idée ou projet de concentration entre WorldCom et Sprint, mais seulement sur l’abandon du projet de concentration « sous la forme présentée dans la notification ». L’éventualité d’une concentration « sous une autre forme à l’avenir » est d’ailleurs expressément envisagée, de manière hypothétique il est vrai (« [i]nsofar as » – « [p]our autant que »), dans la même lettre. Le communiqué de presse de Sprint et les déclarations du porte‑parole de WorldCom du même jour, respectivement cités aux points 15 et 16 ci‑dessus, confirment également que les parties notifiantes avaient encore, à cette date, un certain espoir de fusionner leurs activités sous une forme ou sous une autre, malgré l’opposition du DoJ et de la Commission à leur projet. En réalité, ce n’est que par le communiqué de presse du 13 juillet 2000, cité au point 40 ci‑dessus, que les parties notifiantes ont annoncé publiquement qu’elles renonçaient définitivement à leur projet de concentration.

80
La question que soulève le présent moyen est par conséquent celle de savoir si, dans les circonstances de l’espèce, la Commission était compétente pour adopter une décision au titre de l’article 8, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89, déclarant la « concentration notifiée » incompatible avec le marché commun, alors que, sans renoncer formellement à leur projet de concentration, les parties notifiantes avaient officiellement déclaré qu’elles retiraient leur notification et qu’elles n’entendaient plus mettre en oeuvre ce projet sous la forme présentée dans la notification, tout en se réservant la possibilité de fusionner leurs activités sous une autre forme à l’avenir.

81
À cet égard, il convient de souligner d’emblée que, sous la forme présentée dans la notification, le projet de concentration en cause était celui concrètement identifié et décrit dans l’accord et dans le plan de fusion signés par WorldCom et Sprint le 4 octobre 1999, à l’exclusion de toute autre opération de concentration théoriquement envisageable entre ces parties.

82
Eu égard à la forme spécifique ainsi donnée à ce projet dans la notification, la déclaration des parties notifiantes du 27 juin 2000, signée par les avocats dûment mandatés pour représenter ces parties devant la Commission, ne pouvait être interprétée que comme impliquant la caducité de l’accord et du plan de fusion tels qu’ils avaient été conclus et notifiés au titre de l’article 4 du règlement n° 4064/89.

83
Dans ces circonstances, le Tribunal estime que la distinction établie par la Commission, au considérant 12 de la décision attaquée, entre le retrait de la notification et le retrait de l’accord de fusion signé le 4 octobre 1999, est excessivement formaliste, et même artificielle.

84
D’une part, en effet, cette distinction ne tient pas compte du fait que la lettre des parties notifiantes du 27 juin 2000 ne portait pas seulement sur le retrait de la notification, mais aussi sur la renonciation à la mise en oeuvre du projet de concentration « sous la forme présentée dans la notification », et donc sous la forme de l’accord de fusion du 4 octobre 1999.

85
D’autre part, cette distinction méconnaît la portée d’une telle renonciation, qui affecte nécessairement l’efficacité, sinon la validité, de l’accord de fusion lui‑même. À cet égard, la conclusion de la Commission selon laquelle la lettre des parties notifiantes du 27 juin 2000 « n’a pas constitué un retrait formel de l’accord de fusion » ne découle pas logiquement de l’affirmation des parties notifiantes selon laquelle celles‑ci « n’[avaient] plus l’intention de mettre en œuvre » ledit accord.

86
Par ailleurs, la circonstance, invoquée par la Commission au considérant 12 de la décision attaquée, selon laquelle les parties notifiantes s’étaient réservé la possibilité de fusionner leurs activités sous une autre forme à l’avenir, n’est pas pertinente aux fins d’apprécier s’il existait, à la date d’adoption de la décision attaquée, un accord de fusion en bonne et due forme, susceptible d’être mis en œuvre par ces parties, sur lequel aurait pu porter le contrôle de la Commission.

87
Au demeurant, cette circonstance est de nature à infirmer, plutôt qu’à confirmer, la thèse de la Commission, puisqu’elle révèle que les parties notifiantes considéraient que l’adoption d’une nouvelle décision de fusionner était requise pour réaliser à l’avenir, le cas échéant, la concentration envisagée.

88
Dans ses écritures, la Commission reproche toutefois aux parties notifiantes d’avoir « manqué de sincérité » dans leur communication du 27 juin 2000, de sorte que celle‑ci ne devrait pas « être prise au pied de la lettre ».

89
Pour autant que la Commission reproche ainsi aux parties notifiantes de ne pas avoir définitivement renoncé, à cette date, à leur projet de concentration, son grief est fondé (voir point 79 ci‑dessus), mais inopérant. En effet, il ne suffit pas que deux entreprises envisagent de fusionner (ou continuent à envisager de fusionner) pour qu’existe (ou subsiste) ipso facto entre elles un accord de concentration en bonne et due forme, au sens du règlement n° 4064/89. La compétence de la Commission ne peut pas reposer sur de simples intentions subjectives des parties. Elle dépend, comme le précise l’article 4 de ce règlement, de « la conclusion de l’accord » de concentration. De même que la Commission n’est pas compétente pour adopter une décision au titre du règlement n° 4064/89 avant la conclusion d’un tel accord, elle cesse d’être compétente aussitôt que cet accord vient à être résilié, quand bien même les entreprises concernées poursuivraient leurs négociations en vue de la conclusion d’un accord « sous une autre forme ».

90
Pour autant que la Commission reproche plus spécifiquement aux parties notifiantes d’avoir secrètement maintenu en vigueur leur accord de fusion du 4 octobre 1999 malgré les termes de leur communication officielle du 27 juin 2000, force est de constater que son grief, qui pourrait être opérant, n’est fondé sur aucun élément de preuve susceptible de l’établir à suffisance de droit. En particulier, rien ne vient l’étayer dans le communiqué de presse de Sprint ou dans les déclarations du porte‑parole de WorldCom du 27 juin 2000, précités, à supposer même que la Commission ait pu avoir égard à ces documents qui ne sont pas mentionnés dans la décision attaquée.

91
Il découle de ce qui précède que, au vu de la lettre des parties notifiantes du 27 juin 2000, telle que résumée au point 80 ci‑dessus et telle qu’interprétée aux points 82 à 86 ci‑dessus, la Commission aurait dû constater qu’elle n’était plus compétente, à défaut d’« accord » de concentration au sens de l’article 4 du règlement n° 4064/89, pour adopter une décision au titre de l’article 8, paragraphe 3, de ce règlement, déclarant l’« opération de concentration notifiée » incompatible avec le marché commun.

92
Aucun des autres arguments avancés par la Commission dans le cadre du présent recours n’est susceptible de remettre en cause cette appréciation.

93
Certes, ainsi que la Commission l’a soutenu à juste titre, en se référant au point 53 de l’arrêt Air France/Commission, point 73 supra, sa compétence n’est pas limitée aux seules opérations de concentration notifiées, la notification n’étant que l’instrument qui facilite l’exercice d’une compétence que la Commission possède en tout état de cause et qui ne saurait dépendre de la seule volonté des parties.

94
À cet égard, il convient de rejeter l’argument du gouvernement allemand selon lequel une décision d’incompatibilité au titre de l’article 8, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 ne pourrait être adoptée que lorsque la concentration, par hypothèse non notifiée, a déjà été mise en œuvre et que des mesures de déconcentration au titre de l’article 8, paragraphe 4, de ce règlement s’avèrent nécessaires. Une telle interprétation est contraire tant à l’esprit qu’à la lettre du règlement n° 4064/89, notamment son article 14, paragraphe 2, sous c).

95
Toutefois, la Commission est tenue dans son examen de tenir compte du contexte juridique et factuel existant et, en particulier, de se fonder sur les dispositions précises de l’accord, non notifié, réalisant la concentration (voir, par analogie, pour ce qui concerne l’examen d’office par la Commission d’un accord restrictif de concurrence non notifié, arrêt du Tribunal du 5 avril 2001, Wirtschaftsvereinigung Stahl e.a./Commission, T‑16/98, Rec. p. II‑1217, points 32 et 33).

96
Ainsi, s’il est vrai que les parties à un accord de concentration ne sauraient priver la Commission de sa compétence en retirant leur notification, encore faut‑il que, dans l’exercice de cette compétence, la Commission se prononce sur une véritable opération de concentration, et non pas, après le retrait de la notification et l’abandon de l’opération sous sa forme initialement envisagée, sur de vagues intentions des parties de fusionner leurs activités sous une autre forme à l’avenir, comme elle l’a fait en l’espèce.

97
Par ailleurs, la Commission ne peut, sans s’exposer à commettre des erreurs d’appréciation susceptibles d’avoir une incidence substantielle sur son appréciation de l’opération de concentration réellement en cause, faire porter son évaluation sur les dispositions d’un accord à la mise en oeuvre duquel les parties ont formellement déclaré renoncer.

98
En l’espèce, la communication des parties notifiantes à la Commission du 27 juin 2000 impliquait, à tout le moins, que ces parties prévoyaient d’apporter certaines modifications à l’accord de fusion notifié, avant que la concentration envisagée puisse éventuellement se réaliser « sous une autre forme » à l’avenir, et que cet accord ne reflétait donc plus leur volonté commune. Il s’ensuit que l’appréciation des dispositions de l’accord notifié à laquelle il a été procédé dans la décision attaquée méconnaît nécessairement la portée de l’opération nouvelle éventuellement envisagée, pour l’avenir, par les parties notifiantes.

99
Or, cette erreur a pu avoir une incidence substantielle sur l’appréciation de l’opération de concentration portée par la Commission dans la décision attaquée. En effet, si la Commission avait tenu compte de la portée réelle de l’opération de concentration envisagée sous une autre forme par les parties en cause, il n’est pas exclu que son évaluation aurait été différente et qu’elle aurait estimé que cette opération n’était pas incompatible avec le marché commun (voir, par analogie, arrêt Wirtschaftsvereinigung Stahl e.a./Commission, point 95 supra, point 45).

100
Dans ce contexte, il convient de relever également que les erreurs d’appréciation auxquelles s’est exposée la Commission, en procédant comme elle l’a fait en l’espèce, pouvaient aisément être évitées. En particulier, aucun impératif de délai n’exigeait qu’elle adoptât dans la précipitation une décision aussi hasardeuse que la décision attaquée.

101
En effet, ainsi qu’il ressort du considérant 11 de la décision attaquée, la Commission considérait que la date ultime pour l’adoption de cette décision, passé laquelle l’opération aurait été réputée compatible avec le marché commun en application de l’article 10, paragraphe 6, du règlement n° 4064/89, expirait le mercredi 12 juillet 2000. Dans son mémoire en défense, la Commission a par ailleurs exposé qu’elle se réunit en collège une fois par semaine, généralement le mercredi, que les décisions au titre de l’article 8, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 sont quasi systématiquement adoptées par la voie de la procédure orale, afin de garantir une transparence accrue, et qu’il est de règle d’en soumettre le projet lors de l’avant-dernière réunion précédant la date d’expiration du délai prévu à l’article 10, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89, de façon à permettre au collège de se prononcer sur un texte modifié, au cas où une majorité de ses membres s’opposerait à la première version.

102
Ainsi, si elle éprouvait des doutes quant à la portée ou quant à la sincérité de la communication des parties notifiantes du 27 juin 2000, la Commission avait tout le loisir, lors de sa réunion du mercredi 28 juin 2000, de reporter l’adoption formelle de la décision attaquée à la date du mercredi 5 ou du mercredi 12 juillet 2000 et d’adresser entre-temps aux parties notifiantes une demande de renseignements au titre de l’article 11, paragraphe 1, du règlement n° 4064/89, le cas échéant par voie de décision au titre du paragraphe 5 de cette même disposition.

103
En outre, aux termes de l’article 10, paragraphe 4, du règlement n° 4064/89, le délai maximal de quatre mois fixé au paragraphe 3 de ce même article, pour qu’intervienne une décision d’incompatibilité au titre de l’article 8, paragraphe 3, est exceptionnellement suspendu lorsque la Commission, en raison de circonstances dont une des entreprises participant à la concentration est responsable, a été contrainte de demander un renseignement par voie de décision en application de l’article 11. Relèvent, notamment, de ces circonstances, aux termes de l’article 9, paragraphe 1, sous a) et d), du règlement d’application, le fait que les informations que la Commission a demandées à l’une des parties notifiantes, en vertu de l’article 11, paragraphe 1, du règlement n° 4064/89, ne lui sont pas communiquées intégralement dans le délai qu’elle a fixé et le fait que les parties notifiantes ont omis de communiquer à la Commission des modifications essentielles des éléments indiqués dans la notification.

104
Ainsi, en l’espèce, la Commission était-elle en mesure de s’assurer, preuves formelles à l’appui, de la réalité du retrait ou de l’abandon de l’accord de fusion, ainsi qu’elle‑même reconnaît l’avoir fait par le passé, à l’occasion d’au moins deux autres opérations de concentration (voir point 111 ci‑après), si elle ne s’estimait pas suffisamment informée pour clore la procédure au vu de la communication des parties notifiantes du 27 juin 2000.

105
La Commission ne saurait davantage invoquer la nécessité dans laquelle elle se serait trouvée de prévenir une éventuelle utilisation détournée ou abusive de la communication des parties notifiantes du 27 juin 2000.

106
En particulier, il n’y avait pas lieu de craindre que les parties notifiantes, passant délibérément outre à l’interdiction de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 4064/89, ne poursuivent la mise en oeuvre de leur projet de concentration, que ce soit sous la forme notifiée ou sous toute autre forme, après le retrait de la notification. En effet, comme le relèvent la requérante et le gouvernement allemand, les parties notifiantes n’auraient pu procéder de la sorte qu’en s’exposant aux amendes prévues à l’article 14, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 4064/89, qui peuvent atteindre 10 % de leur chiffre d’affaires total. Ces amendes sont tout aussi dissuasives que celles prévues à l’article 14, paragraphe 2, sous c), de ce règlement, pour le cas où des entreprises réalisent une opération déclarée incompatible avec le marché commun par décision prise en application de l’article 8, paragraphe 3.

107
Eu égard à l’ensemble de ce qui précède, il y a lieu de conclure que, en adoptant la décision attaquée alors que les parties notifiantes avaient officiellement retiré leur notification et informé la Commission de l’abandon de la concentration sous la forme envisagée dans la notification, cette institution a outrepassé les limites de sa compétence au titre du règlement n° 4064/89.

108
En tout état de cause, à supposer même que la Commission n’ait pas été incompétente pour adopter la décision attaquée, ainsi qu’elle le soutient au départ de la distinction qu’elle établit entre le retrait de la notification et le retrait de l’accord de fusion, force est de constater que, ce faisant, la Commission s’est inopinément départie de sa pratique administrative constante, telle qu’elle a été portée à la connaissance du public. À cet égard, la requérante a fait état d’une vingtaine d’affaires dans lesquelles la Commission avait donné l’apparence qu’elle se satisfaisait d’un simple retrait de la notification par les parties intéressées, pour clore sans décision sur le fond une procédure relative à une affaire de concentration.

109
Ainsi, au vu des communications de la Commission intitulées « Retrait de la notification d’une opération de concentration », seuls documents à avoir été publiés, respectivement, dans les affaires n° IV/M.608, Ericsson/Ascom (JO 1995, C 292, p. 8), et n° IV/M.680, Kvaerner/Amec (JO 1996, C 8, p. 4), il semble que cette institution ait décidé de classer le dossier, sans adopter de décision, le jour même où les parties notifiantes lui ont fait savoir qu’elles avaient « suspendu la mise en oeuvre du projet de concentration notifiée » et « dès lors décidé de retirer la notification ».

110
Par ailleurs, dans un grand nombre d’autres affaires [n° IV/M.208, Scott/Mölnlycke ; n° IV/M.238, Siemens/Philips Kabel ; n° IV/M.388, Unilever France/Ortiz Miko ; n° IV/M.418, Tractebel/Distrigaz ; n° IV/M.494, Colonia/Lefac/KMK‑CCI ; n° IV/M.562, Swissair/Sabena ; n° IV/M.592, RWE-DEA/Enichem Augusta ; n° IV/M.805, Telecom-2 ; n° IV/M.852, BASF/Shell ; n° IV/M.888, Metallgesellschaft/AG ; n° IV/M.892, Hochtief/Deutsche Bank/Holzmann ; n° IV/M.905, Schweizer Rück/SAFR ; n° IV/M.948, Watt AG ; n° IV/M.974, Bertelsmann/Burda-Host ; n° IV/M.1010, Artémis/Worms & Cie ; n° IV/M.1047, Wienerberger/Cremer & Breuer (JO 1998, C 93, p. 23) ; n° IV/M.1246, LHZ/Carl Zeiss (JO 1998, C 384, p. 9) ; n° IV/M.1277, BLG Container/Maersk/Sea-Land Service (JO 1998, C 290, p. 12) ; n° IV/M.1321, Verbund/Kelag/Porr/OMV Proterra/Siemens/KRV (JO 1998, C 382, p. 3) ; n° IV/M.1431, Ahlström/Kvaerner (JO 1999, C 263, p. 3) ; n° IV/M.1447, Deutsche Post/Trans-o-flex (JO 1999, C 130, p. 9) ; n° IV/M.1609, Elf/Saga ; n° IV/M.1703, Phelps Dodge/Asarco (JO 1999, C 313, p. 7) ; COMP/M.2117, Aker Maritime/Kvaerner (JO 2001, C 9, p. 5), et COMP/M.1829, HMTF Nabisco Group Holdings/Burlington Biscuits/United Biscuits], la communication au Journal officiel et/ou le communiqué de presse annonçant la clôture de la procédure se bornent à indiquer que « les parties notifiantes ont informé la Commission qu’elles retiraient leur notification », sans se référer au sort réservé au projet ou à l’accord de concentration lui‑même. En libellant de la sorte les documents publics en question, la Commission a nécessairement amené les milieux intéressés à croire que le retrait de la notification équivalait pour elle, en pratique, à l’abandon du projet de concentration, même si sa pratique administrative réelle peut avoir été différente.

111
À cet égard, la Commission s’est référée, dans son mémoire en défense, à deux affaires [n° IV/1328, KLM/Martinair (JO 1999, C 162, p. 7), et n° IV/M.1412, Hutchison Whampoa/RMPM/ECT (JO 1999, C 256, p. 5)] dans lesquelles, soutient-elle, les parties n’ayant pas spontanément fourni les preuves de l’abandon de leur projet de concentration, elle a insisté sur la production de telles preuves avant de classer le dossier. Toutefois, les éléments de ces affaires rendus publics par voie de notification au Journal officiel et/ou de communiqué de presse ne font pas état d’une telle insistance de sa part. En tout état de cause, la Commission n’explique pas pourquoi elle n’a pas procédé de la même façon dans la présente affaire, au lieu de s’empresser d’adopter une décision négative, le lendemain du retrait de la notification.

112
Dans ces circonstances, les parties notifiantes étaient légitimement en droit de s’attendre à ce que leur communication du 27 juin 2000 suffise à entraîner la clôture du dossier, conformément à la pratique administrative antérieure de la Commission portée à la connaissance du public et en l’absence d’indications en sens contraire données par celle-ci. À cet égard, contrairement à ce que soutient la Commission, la jurisprudence de la Cour confirme qu’une simple pratique ou tolérance administrative, non contraire à la réglementation en vigueur et n’impliquant pas l’exercice d’un pouvoir d’appréciation, peut susciter la confiance légitime des intéressés, sans donc que celle-ci doive nécessairement se fonder sur une communication de portée générale (arrêt de la Cour du 1er octobre 1987, Royaume‑Uni/Commission, 84/85, Rec. p. 3765 ; arrêts Ferriere San Carlo/Commission et Fingruth, point 71 supra ; ordonnance du président de la Cour du 10 juin 1988, Sofrimport/Commission, C‑152/88 R, Rec. p. 2931).

113
Le Tribunal estime, dès lors, que la Commission a, à tout le moins, violé la confiance légitime des parties notifiantes en adoptant la décision attaquée sans les avertir au préalable de ce que leur communication ne la satisfaisait pas et de ce qu’elle avait l’intention d’adopter une décision au titre de l’article 8, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 à moins que lesdites parties ne lui fournissent sur‑le‑champ la preuve formelle du retrait de l’accord de fusion.

114
Il découle de ce qui précède que le second moyen est fondé. Il y a lieu, en conséquence, d’annuler la décision attaquée, conformément aux conclusions de la requérante, sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens et arguments articulés par celle-ci au soutien de son recours.


Sur les dépens

115
Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

116
Toutefois, aux termes de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens.


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)
La décision 2003/790/CE de la Commission, du 28 juin 2000, déclarant une opération de concentration incompatible avec le marché commun et l’accord EEE (Affaire COMP/M.1741 – MCI WorldCom/Sprint), est annulée.

2)
La Commission est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux de MCI, Inc.

3)
La République fédérale d’Allemagne et la République française supporteront leurs propres dépens.

Pirrung

Meij

Forwood

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 28 septembre 2004.

Le greffier

Le président

H. Jung

J. Pirrung


1
Langue de procédure : l'anglais.