Language of document : ECLI:EU:C:2019:192

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

13 mars 2019 (*)

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Politique relative à l’immigration – Droit au regroupement familial – Directive 2003/86/CE – Exclusions du champ d’application de la directive – Article 3, paragraphe 2, sous c) – Exclusion des personnes bénéficiaires d’une protection subsidiaire – Extension par le droit national du droit au regroupement familial auxdites personnes – Compétence de la Cour – Article 11, paragraphe 2 – Absence de pièces justificatives officielles attestant des liens familiaux – Explications considérées comme étant insuffisamment plausibles – Obligations incombant aux autorités des États membres d’effectuer des démarches complémentaires – Limites »

Dans l’affaire C‑635/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le rechtbank Den Haag zittingsplaats Haarlem (tribunal de La Haye siégeant à Haarlem, Pays-Bas), par décision du 14 novembre 2017, parvenue à la Cour le même jour, dans la procédure

E.

contre

Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. A. Arabadjiev (rapporteur), président de chambre, M. T. von Danwitz, Mme M. Berger, MM. C. Vajda et P. G. Xuereb, juges,

avocat général : M. N. Wahl,

greffier : M. K. Malacek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 17 octobre 2018,

considérant les observations présentées :

–        pour E., par Mes M. L. van Riel et C. J. Ullersma, advocaten,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman et C. S. Schillemans, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par M. G. Wils et Mme C. Cattabriga, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 29 novembre 2018,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 2, sous c), et de l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2003/86/CE du Conseil, du 22 septembre 2003, relative au droit au regroupement familial (JO 2003, L 251, p. 12).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant E., mineur de nationalité érythréenne demeurant au Soudan, au Staatssecretaris van Veilligheid en Justitie (secrétaire d’État à la Sécurité et à la Justice, Pays-Bas) (ci-après le « secrétaire d’État ») au sujet du rejet, par ce dernier, de la demande de regroupement familial introduite, au bénéfice de E., par Mme A., ressortissante érythréenne bénéficiaire d’une protection subsidiaire aux Pays-Bas, et se prétendant la tante et la tutrice de E.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La directive 2003/86

3        Aux termes du considérant 8 de la directive 2003/86 :

« La situation des réfugiés devrait demander une attention particulière, à cause des raisons qui les ont contraints à fuir leur pays et qui les empêchent d’y mener une vie en famille normale. À ce titre, il convient de prévoir des conditions plus favorables pour l’exercice de leur droit au regroupement familial. »

4        L’article 2 de la directive 2003/86, qui figure au chapitre I de cette dernière, intitulé « Dispositions générales », dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

a)      “ressortissant de pays tiers” : toute personne qui n’est pas citoyenne de l’Union au sens de l’article 17, paragraphe 1, du traité ;

b)      “réfugié” : tout ressortissant de pays tiers ou apatride bénéficiant d’un statut de réfugié au sens de la convention relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951, modifiée par le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 ;

c)      “regroupant” : un ressortissant de pays tiers qui réside légalement dans un État membre et qui demande le regroupement familial, ou dont des membres de la famille demandent à le rejoindre ;

d)      “regroupement familial” : l’entrée et le séjour dans un État membre des membres de la famille d’un ressortissant de pays tiers résidant légalement dans cet État membre afin de maintenir l’unité familiale, que les liens familiaux soient antérieurs ou postérieurs à l’entrée du regroupant ;

e)      “titre de séjour” : toute autorisation délivrée par les autorités d’un État membre, permettant à un ressortissant de pays tiers de séjourner légalement sur le territoire dudit État membre, [...]

[...] »

5        L’article 3 de ladite directive, qui figure également au chapitre I de celle-ci, énonce :

« 1.      La présente directive s’applique lorsque le regroupant est titulaire d’un titre de séjour délivré par un État membre d’une durée de validité supérieure ou égale à un an, ayant une perspective fondée d’obtenir un droit de séjour permanent, si les membres de sa famille sont des ressortissants de pays tiers, indépendamment de leur statut juridique.

2.      La présente directive ne s’applique pas lorsque le regroupant est un ressortissant de pays tiers :

[...]

c)      autorisé à séjourner dans un État membre en vertu de formes subsidiaires de protection, conformément aux obligations internationales, aux législations nationales ou aux pratiques des États membres, ou demandant l’autorisation de séjourner à ce titre et dans l’attente d’une décision sur son statut.

[...]

5.      La présente directive ne porte pas atteinte à la faculté qu’ont les États membres d’adopter ou de maintenir des conditions plus favorables. »

6        L’article 4 de la directive 2003/86, qui figure au chapitre II de celle-ci, intitulé « Membres de la famille », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Les États membres autorisent l’entrée et le séjour, conformément à la présente directive et sous réserve du respect des conditions visées au chapitre IV, ainsi qu’à l’article 16, des membres de la famille suivants :

[...]

c)      les enfants mineurs, y compris les enfants adoptés, du regroupant, lorsque celui-ci a le droit de garde et en a la charge. [...]

[...]

Les enfants mineurs visés au présent article doivent être d’un âge inférieur à la majorité légale de l’État membre concerné et ne pas être mariés.

[...] »

7        Aux termes de l’article 5 de cette directive, qui figure au chapitre III de celle-ci, intitulé « Dépôt et examen de la demande » :

« 1.      Les États membres déterminent si, aux fins de l’exercice du droit au regroupement familial, une demande d’entrée et de séjour doit être introduite auprès des autorités compétentes de l’État membre concerné soit par le regroupant, soit par les membres de la famille.

2.      La demande est accompagnée de pièces justificatives prouvant les liens familiaux et le respect des conditions prévues aux articles 4 et 6 et, le cas échéant, aux articles 7 et 8, ainsi que de copies certifiées conformes des documents de voyage des membres de la famille.

Le cas échéant, pour obtenir la preuve de l’existence de liens familiaux, les États membres peuvent procéder à des entretiens avec le regroupant et les membres de sa famille et à toute enquête jugée nécessaire.

[...]

4.      Dès que possible, et en tout état de cause au plus tard neuf mois après la date du dépôt de la demande, les autorités compétentes de l’État membre notifient par écrit à la personne qui a déposé la demande la décision la concernant.

Dans des cas exceptionnels liés à la complexité de l’examen de la demande, le délai visé au premier alinéa peut être prorogé.

La décision de rejet de la demande est dûment motivée. Toute conséquence de l’absence de décision à l’expiration du délai visé au premier alinéa doit être réglée par la législation nationale de l’État membre concerné.

5.      Au cours de l’examen de la demande, les États membres veillent à prendre dûment en considération l’intérêt supérieur de l’enfant mineur. »

8        L’article 10 de ladite directive, figurant au chapitre V de celle-ci, intitulé « Regroupement familial des réfugiés », indique, à son paragraphe 2 :

« Les États membres peuvent autoriser le regroupement d’autres membres de la famille non visés à l’article 4 s’ils sont à la charge du réfugié. »

9        L’article 11 de la directive 2003/86, figurant au même chapitre V, précise :

« 1.      En ce qui concerne le dépôt et l’examen de la demande, l’article 5 s’applique, sous réserve du paragraphe 2 du présent article.

2.      Lorsqu’un réfugié ne peut fournir les pièces justificatives officielles attestant des liens familiaux, l’État membre tient compte d’autres preuves de l’existence de ces liens, qui doivent être appréciées conformément au droit national. Une décision de rejet de la demande ne peut pas se fonder uniquement sur l’absence de pièces justificatives. »

10      Le chapitre VII de cette directive, relatif aux « [s]anctions et voies de recours », comprend les articles 16 à 18 de celle-ci.

11      L’article 16, paragraphe 2, de ladite directive dispose :

« Les États membres peuvent également rejeter une demande d’entrée et de séjour aux fins du regroupement familial, ou retirer ou refuser de renouveler le titre de séjour d’un membre de la famille, s’il est établi :

a)      que des informations fausses ou trompeuses ou des documents faux ou falsifiés ont été utilisés, ou qu’il a été recouru à la fraude ou à d’autres moyens illégaux ;

[...] »

12      L’article 17 de la même directive énonce :

« Les États membres prennent dûment en considération la nature et la solidité des liens familiaux de la personne et sa durée de résidence dans l’État membre, ainsi que l’existence d’attaches familiales, culturelles ou sociales avec son pays d’origine, dans les cas de rejet d’une demande, de retrait ou de non-renouvellement du titre de séjour, ainsi qu’en cas d’adoption d’une mesure d’éloignement du regroupant ou des membres de sa famille. »

 Les lignes directrices pour l’application de la directive 2003/86

13      La communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen, du 3 avril 2014, concernant les lignes directrices pour l’application de la directive 2003/86 [COM(2014) 210, ci-après les « lignes directrices »], contient les passages suivants :

« [...]

3.      Dépôt et examen de la demande

[...]

3.2.      Pièces justificatives

Conformément à l’article 5, paragraphe 2, une demande de regroupement familial doit être accompagnée :

a)      de pièces justificatives prouvant les liens familiaux ;

[...]

Les États membres bénéficient d’une certaine marge d’appréciation pour décider s’il est approprié et nécessaire de vérifier l’existence de liens familiaux au moyen d’entretiens ou d’autres enquêtes, y compris des tests d’ADN. Les critères du caractère approprié et de la nécessité nécessaire signifient que ces enquêtes ne sont pas autorisées si d’autres moyens adaptés et moins restrictifs sont disponibles pour établir l’existence de liens familiaux. Chaque demande, les pièces justificatives l’accompagnant et la nature “appropriée” et “nécessaire” des entretiens et autres enquêtes doivent être évaluées au cas par cas.

[...]

6.      Regroupement familial pour les bénéficiaires d’une protection internationale

6.1.      Réfugiés

[...]

La Commission souligne que les dispositions du chapitre V doivent être lues à la lumière des principes énoncés à l’article 5, paragraphe 5, et à l’article 17. Par conséquent, lors de l’examen des demandes de regroupement familial introduites par des réfugiés, les États membres doivent procéder à une appréciation équilibrée et raisonnable de tous les intérêts en jeu dans chaque situation, tout en veillant à prendre dûment en considération l’intérêt supérieur de l’enfant mineur [...] Aucun élément considéré isolément ne peut automatiquement aboutir à une décision ; chaque élément doit être pris en considération uniquement comme l’un des éléments pertinents [...]

[...]

6.1.2.            Absence de pièces justificatives officielles

Conformément à l’article 11, en ce qui concerne le dépôt et l’examen de la demande, l’article 5 s’applique, sous réserve de la dérogation relative aux pièces justificatives officielles établie à l’article 11, paragraphe 2. Ainsi, en vertu de l’article 5, paragraphe 2, les États membres peuvent considérer que les pièces justificatives prouvent les liens familiaux, et ils peuvent procéder à des entretiens et à toute autre enquête considérée appropriée et nécessaire.

Toutefois, la situation particulière des réfugiés qui ont été contraints de fuir leur pays suppose qu’il est souvent impossible ou dangereux pour les réfugiés ou les membres de leur famille de produire des documents officiels ou d’entrer en contact avec les autorités diplomatiques ou consulaires de leur pays d’origine.

L’article 11, paragraphe 2, indique explicitement, sans laisser de marge d’appréciation, que l’absence de pièces justificatives ne peut pas être la seule raison du rejet d’une demande et il oblige les États membres, dans de tels cas, à “[tenir] compte d’autres preuves” de l’existence des liens familiaux. Ces “autres preuves” devant être appréciées conformément au droit national, les États membres jouissent d’une certaine marge d’appréciation, mais ils doivent adopter des règles claires régissant ces exigences en matière de preuves. Citons, comme exemples d’“autres preuves” de l’existence des liens familiaux, les déclarations écrites ou verbales du demandeur, les entretiens réalisés auprès des membres de la famille ou les enquêtes menées sur la situation à l’étranger. Ces déclarations peuvent ensuite, par exemple, être corroborées par des pièces justificatives telles que des documents, du matériel audiovisuel, des pièces matérielles (diplômes, preuve de transferts de fonds, etc.) ou par la connaissance de la situation spécifique.

L’évaluation individualisée prévue à l’article 17 exige que les États membres tiennent compte de tous les éléments pertinents lors de l’examen des preuves fournies par le demandeur, notamment l’âge, le sexe, l’éducation, l’origine et le statut social ainsi que les aspects culturels spécifiques. La Commission estime que, lorsque des doutes sérieux subsistent après l’examen des autres types de preuve ou qu’il existe de solides indices d’une intention frauduleuse, des tests d’ADN peuvent être utilisés en dernier recours [...] Dans de tels cas, la Commission estime que les États membres devraient respecter les principes du [Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR)] relatifs aux tests d’ADN [...]

[...] »

 Le droit néerlandais

14      Il ressort de la décision de renvoi que la directive 2003/86 a été transposée dans l’ordre juridique néerlandais par la Vreemdelingenwet 2000 (loi de 2000 sur les étrangers), la Vreemdelingencirculaire 2000 (circulaire de 2000 sur les étrangers) et la Werkinstructie 2014/9 (instruction de service 2014/9).

15      La juridiction de renvoi, le rechtbank Den Haag zittingsplaats Haarlem (tribunal de La Haye siégeant à Haarlem, Pays-Bas), précise que le Royaume des Pays-Bas a transposé les dispositions plus favorables du chapitre V de cette directive, relatives au regroupement familial des réfugiés, y compris les dispositions facultatives qui y figurent. En particulier, le Royaume des Pays-Bas a choisi d’appliquer ladite directive aux bénéficiaires d’une protection subsidiaire, alors même que, selon l’article 3, paragraphe 2, sous c), de la même directive, elle ne leur est pas applicable. Le législateur néerlandais a ainsi rendu ce chapitre V applicable de manière directe et inconditionnelle à leur situation.

16      La circulaire de 2000 sur les étrangers et l’instruction de service 2014/9 portent notamment sur l’appréciation de la preuve de l’existence de liens familiaux entre le regroupant et le ressortissant de pays tiers en faveur duquel est introduite la demande de regroupement familial. Il en ressort que le secrétaire d’État fait droit à cette demande lorsqu’il est établi que le ressortissant de pays tiers fait réellement partie de la famille du regroupant.

17      À cet égard, le regroupant doit démontrer, selon la juridiction de renvoi, que le ressortissant de pays tiers concerné a réellement fait partie de sa famille avant l’arrivée du regroupant aux Pays-Bas et que ce lien familial effectif n’a pas été rompu. Si le regroupant doit, en principe, rapporter cette preuve au moyen de documents, il lui est toutefois possible, à défaut de tels documents, de fournir des informations complémentaires ou des explications plausibles, crédibles et cohérentes sur l’appartenance réelle à sa famille du ressortissant de pays tiers concerné. En particulier, pour apprécier si un pupille fait réellement partie de la famille du regroupant, il est tenu compte, notamment, de la raison pour laquelle le pupille a été accueilli dans cette famille.

18      Enfin, en cas d’impossibilité d’établir l’existence d’un lien familial effectif au moyen de documents officiels ou d’une analyse d’ADN, il est possible de recourir à un entretien comportant des questions d’identification. La juridiction de renvoi indique que tel est notamment le cas s’agissant de pupilles dans le cadre de la procédure de regroupement familial.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

19      Mme A. et sa fille résident depuis le 11 mars 2015 de manière régulière aux Pays-Bas en tant que bénéficiaires d’une protection subsidiaire, au sens de l’article 3, paragraphe 2, sous c), de la directive 2003/86. Le 16 avril 2015, Mme A. a introduit, au bénéfice de E., une demande de regroupement familial auprès des autorités compétentes néerlandaises.

20      À l’appui de cette demande, elle a fourni une déclaration du Front de libération de l’Érythrée du 6 avril 2015 (ci-après la « déclaration du FLE »), d’où il ressortirait qu’elle est la tante de E. et la tutrice de celui-ci depuis le décès de ses parents biologiques, intervenu lorsqu’il avait cinq ans. Elle a également allégué que, à compter de leur fuite de l’Érythrée, survenue au cours de l’année 2013 alors que E. était âgé de dix ans, celui-ci avait résidé avec elle au Soudan, jusqu’à ce qu’elle parte aux Pays-Bas. Actuellement, E. résiderait toujours au Soudan et serait placé dans une famille d’accueil.

21      Par décision du 12 mai 2016, le secrétaire d’État a rejeté la demande de regroupement familial.

22      Le secrétaire d’État s’est, tout d’abord, fondé sur le fait qu’aucune pièce justificative officielle n’avait été fournie concernant la réalité des liens familiaux unissant E. à Mme A., le seul document produit à cet effet, à savoir la déclaration du FLE, ayant été délivré de façon non autorisée. Le secrétaire d’État a, ensuite, constaté qu’aucune explication plausible quant à l’impossibilité de fournir des pièces justificatives officielles n’avait été avancée, alors que l’Érythrée délivre des documents de cette nature, tels des actes de décès et de tutelle, des cartes d’identité, ou encore des cartes scolaires ou d’étudiant. Le secrétaire d’État a ajouté, enfin, que, eu égard à ces circonstances, la demande de regroupement familial pouvait être rejetée sans qu’il soit nécessaire d’organiser un entretien avec E. ou avec Mme A. aux fins d’établir la réalité de leur lien familial.

23      La réclamation introduite contre cette décision a été rejetée par une décision confirmative du 27 octobre 2016.

24      Un recours en annulation ayant été introduit devant la juridiction de renvoi contre le rejet de la demande de regroupement familial en cause au principal, une audience a été tenue le 18 mai 2017. Par suite, l’affaire a été réattribuée à une formation collégiale et une seconde audience a été tenue le 13 septembre 2017.

25      La juridiction de renvoi précise que, au cours de cette dernière audience, le secrétaire d’État a abandonné ses objections relatives à l’identité de E. et de Mme A., ainsi qu’à l’existence d’un lien biologique entre ces deux personnes. De même, le secrétaire d’État a renoncé à invoquer l’absence de pièces justificatives officielles en ce qui concerne la tutelle de Mme A. sur E., dès lors que, en droit érythréen, une telle tutelle serait conférée de plein droit. Il s’ensuit, selon cette juridiction, que les seuls éléments encore contestés au principal sont ceux portant sur l’absence d’actes de décès des parents biologiques de E. et sur le caractère plausible des explications fournies à cet égard par Mme A.

26      La juridiction de renvoi doute de l’interprétation qu’il convient de donner de l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2003/86 et, en particulier, se demande si l’État membre concerné est tenu de « [tenir] compte d’autres preuves de l’existence [des liens familiaux] » dans le cas où le réfugié n’apporte aucune explication plausible de son incapacité de fournir des pièces justificatives officielles.

27      Cette même juridiction s’interroge néanmoins, à la lumière de l’arrêt du 18 octobre 2012, Nolan (C‑583/10, EU:C:2012:638, points 53 à 56), sur la compétence de la Cour pour répondre à une telle question dans l’affaire au principal, faisant observer que, si la situation de Mme A., en ce qu’elle est seulement bénéficiaire de la protection subsidiaire, ne relève pas du champ d’application des dispositions de cette directive, ces dernières ont été rendues applicables à une telle situation par le droit néerlandais de manière directe et inconditionnelle.

28      Dans ces conditions, le rechtbank Den Haag zittingsplaats Haarlem (tribunal de La Haye siégeant à Haarlem) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Compte tenu de l’article 3, paragraphe 2, sous c), de la directive [2003/86] et de l’arrêt du 18 octobre 2012, Nolan (C‑583/10, EU:C:2012:638), la Cour est-elle compétente pour répondre aux questions préjudicielles des juridictions néerlandaises relatives à l’interprétation des dispositions de cette directive dans une affaire portant sur le droit de séjour d’un membre de la famille d’un bénéficiaire de la protection subsidiaire si, dans le droit néerlandais, ladite directive a été déclarée directement et inconditionnellement applicable aux bénéficiaires de la protection subsidiaire ?

2)      L’article 11, paragraphe 2, de la directive [2003/86] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose au rejet d’une demande de regroupement familial introduite par un réfugié du seul fait qu’il ne fournit pas, dans le cadre de sa demande, de pièces justificatives officielles attestant des liens familiaux,

ou

l’article 11, paragraphe 2, de la directive [2003/86] doit-il être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose au rejet d’une demande de regroupement familial introduite par un réfugié motivé par la seule absence de pièces justificatives officielles attestant des liens familiaux que si ce dernier a donné une explication plausible au fait qu’il n’a pas fourni lesdites pièces justificatives et à son affirmation selon laquelle il ne peut toujours pas les produire ? »

 La procédure devant la Cour

29      La juridiction de renvoi a demandé à ce que le présent renvoi préjudiciel soit soumis à la procédure préjudicielle d’urgence prévue à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour.

30      Le 23 novembre 2017, la première chambre de la Cour a décidé, l’avocat général entendu, qu’il n’y avait pas lieu de donner suite à cette demande.

31      Néanmoins, par décision du 27 novembre 2017, le président de la Cour a accordé à la présente affaire un traitement prioritaire, conformément à l’article 53, paragraphe 3, du règlement de procédure.

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

32      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la Cour est compétente, au titre de l’article 267 TFUE, pour interpréter l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2003/86 dans une situation, telle que celle en cause au principal, dans laquelle une juridiction est appelée à se prononcer sur une demande de regroupement familial introduite par un bénéficiaire du statut conféré par la protection subsidiaire, lorsque cette disposition a été rendue applicable à une telle situation, de manière directe et inconditionnelle, par le droit national.

33      L’article 3, paragraphe 2, sous c), de la directive 2003/86 précise, notamment, que cette directive ne s’applique pas lorsque le regroupant est un ressortissant d’un pays tiers autorisé à séjourner dans un État membre en vertu de formes subsidiaires de protection, conformément aux obligations internationales, aux législations nationales ou aux pratiques des États membres.

34      Il en découle que la directive 2003/86 doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’applique pas à des ressortissants de pays tiers membres de la famille d’un bénéficiaire du statut conféré par la protection subsidiaire, tel que Mme A. (arrêt du 7 novembre 2018, K et B, C‑380/17, EU:C:2018:877, point 33).

35      Il ressort toutefois d’une jurisprudence constante de la Cour que celle-ci est compétente pour statuer sur une demande de décision préjudicielle portant sur des dispositions du droit de l’Union, dans des situations dans lesquelles, même si les faits au principal ne relèvent pas directement du champ d’application de ce droit, les dispositions dudit droit ont été rendues applicables par le droit national en raison d’un renvoi opéré par ce dernier au contenu de celles-ci (arrêt du 7 novembre 2018, K et B, C‑380/17, EU:C:2018:877, point 34 ainsi que jurisprudence citée).

36      En effet, dans de telles situations, il existe un intérêt certain de l’Union européenne à ce que, pour éviter des divergences d’interprétation futures, les dispositions reprises du droit de l’Union reçoivent une interprétation uniforme (arrêt du 7 novembre 2018, K et B, C‑380/17, EU:C:2018:877, point 35 ainsi que jurisprudence citée).

37      Ainsi, une interprétation par la Cour de dispositions du droit de l’Union dans des situations ne relevant pas du champ d’application de celles-ci se justifie lorsque ces dispositions ont été rendues applicables à de telles situations par le droit national de manière directe et inconditionnelle, afin d’assurer un traitement identique à ces situations et à celles qui relèvent du champ d’application desdites dispositions (arrêt du 7 novembre 2018, K et B, C‑380/17, EU:C:2018:877, point 36 ainsi que jurisprudence citée).

38      En l’occurrence, la juridiction de renvoi, seule compétente pour interpréter le droit national dans le cadre du système de coopération judiciaire établi à l’article 267 TFUE (voir, par analogie, arrêt du 7 novembre 2018, K et B, C‑380/17, EU:C:2018:877, point 37 ainsi que jurisprudence citée), a précisé que le législateur néerlandais a choisi d’assurer aux bénéficiaires du statut conféré par la protection subsidiaire un traitement plus favorable que celui prévu par la directive 2003/86 en leur appliquant les règles relatives aux réfugiés prévues par cette directive. Cette juridiction en a déduit qu’elle est tenue, en vertu du droit néerlandais, d’appliquer l’article 11, paragraphe 2, de ladite directive dans l’affaire en cause en principal.

39      Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que cette disposition a été rendue applicable, d’une manière directe et inconditionnelle, par le droit néerlandais, à des situations telles que celle en cause au principal et qu’il existe donc un intérêt certain de l’Union à ce que la Cour se prononce sur la demande préjudicielle (voir, par analogie, arrêt du 7 novembre 2018, K et B, C‑380/17, EU:C:2018:877, point 38).

40      En effet, la Cour a déjà jugé que, lorsque la condition énoncée au point 37 du présent arrêt est remplie, sa compétence peut également être établie dans des situations couvertes par un cas d’exclusion exprès du champ d’application d’un acte de l’Union (arrêt du 7 novembre 2018, C et A, C‑257/17, EU:C:2018:876, point 37 ainsi que jurisprudence citée).

41      Dans ce contexte, la compétence de la Cour ne saurait raisonnablement varier selon que le champ d’application de la disposition pertinente a été délimité au moyen d’une définition positive ou à travers l’établissement de certains cas d’exclusion, ces deux techniques législatives pouvant être utilisées indifféremment (arrêt du 7 novembre 2018, C et A, C‑257/17, EU:C:2018:876, point 39).

42      En outre, si la juridiction de renvoi expose que ses doutes quant à la compétence de la Cour résultent de l’arrêt du 18 octobre 2012, Nolan (C‑583/10, EU:C:2012:638), il importe de relever que l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt était caractérisée par des spécificités qui ne se retrouvent pas dans l’affaire au principal (voir, par analogie, arrêt du 7 novembre 2018, C et A, C‑257/17, EU:C:2018:876, points 41 à 43).

43      Au vu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la première question que la Cour est compétente, au titre de l’article 267 TFUE, pour interpréter l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2003/86, dans une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle la juridiction de renvoi est appelée à se prononcer sur une demande de regroupement familial introduite par un bénéficiaire du statut conféré par la protection subsidiaire, lorsque cette disposition a été rendue applicable à une telle situation, de manière directe et inconditionnelle, par le droit national.

 Sur la seconde question

44      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2003/86 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, où une demande de regroupement familial a été introduite par une regroupante bénéficiant du statut conféré par la protection subsidiaire au profit d’un mineur dont elle est la tante et prétendument la tutrice, et qui réside en tant que réfugié et sans attache familiale dans un pays tiers, à ce que cette demande soit rejetée au seul motif que la regroupante n’a pas fourni les pièces justificatives officielles attestant du décès des parents biologiques du mineur et, partant, du caractère effectif de ses liens familiaux avec celui-ci, et que l’explication que la regroupante a avancé pour justifier son incapacité de produire de telles pièces a été jugée non plausible par les autorités compétentes sur le seul fondement des informations générales disponibles concernant la situation dans le pays d’origine, sans prendre en considération la situation concrète de la regroupante et du mineur ainsi que les difficultés particulières auxquelles ceux-ci se sont trouvés confrontés, selon leurs dires, avant et après la fuite de leur pays d’origine.

 Sur l’objectif poursuivi par la directive 2003/86

45      À cet égard, il convient de rappeler que l’objectif poursuivi par la directive 2003/86 est de favoriser le regroupement familial et que cette directive vise, en outre, à accorder une protection aux ressortissants de pays tiers, notamment aux mineurs (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2012, O e.a., C‑356/11 et C‑357/11, EU:C:2012:776, point 69).

46      Dans ce contexte, l’article 4, paragraphe 1, de ladite directive impose aux États membres des obligations positives précises, auxquelles correspondent des droits subjectifs clairement définis. Il leur fait obligation, dans les hypothèses déterminées par la même directive, d’autoriser le regroupement familial de certains membres de la famille du regroupant sans pouvoir exercer leur marge d’appréciation (arrêts du 27 juin 2006, Parlement/Conseil, C‑540/03, EU:C:2006:429, point 60, ainsi que du 6 décembre 2012, O e.a., C‑356/11 et C‑357/11, EU:C:2012:776, point 70).

47      Au nombre des membres de la famille du regroupant dont l’État membre concerné doit autoriser l’entrée et le séjour figurent, conformément à l’article 4, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/86, « les enfants mineurs, y compris les enfants adoptés, du regroupant, lorsque celui-ci a le droit de garde et en a la charge ».

48      En outre, aux termes de l’article 10, paragraphe 2, de la directive 2003/86, les États membres peuvent autoriser le regroupement d’autres membres de la famille non visés à l’article 4 de cette directive, s’ils sont à la charge du réfugié.

49      À cet égard, la juridiction de renvoi a précisé que le droit néerlandais autorise le regroupement familial des pupilles avec lesquels le regroupant entretient des liens familiaux effectifs et que les autorités néerlandaises sont obligées d’autoriser le regroupement familial demandé si l’existence d’un lien familial effectif entre le regroupant et un pupille sont établis.

50      En l’occurrence, E. étant, selon les allégations de Mme A., son pupille, il apparaît que la demande de regroupement familial en cause au principal est susceptible de relever, à tout le moins, de la situation visée à l’article 10, paragraphe 2, de la directive 2003/86 et que, si cette hypothèse était avérée, le droit néerlandais ferait obligation aux autorités néerlandaises d’autoriser le regroupement familial demandé.

51      Partant, pour des raisons analogues à celles énoncées au point 38 du présent arrêt, il y a lieu de considérer que l’article 11 de cette directive a été rendu applicable, par le droit néerlandais, à une situation telle que celle en cause au principal.

 Sur l’examen à effectuer par les autorités nationales compétentes d’une demande de regroupement familial

52      S’agissant de l’examen qu’il appartient aux autorités nationales compétentes d’effectuer, il découle tant de l’article 5, paragraphe 2, que de l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2003/86 que ces autorités disposent d’une marge d’appréciation, notamment, lors de l’examen de l’existence ou non de liens familiaux, appréciation qui doit avoir lieu conformément au droit national (voir, en ce sens, arrêts du 27 juin 2006, Parlement/Conseil, C‑540/03, EU:C:2006:429, point 59, ainsi que du 6 décembre 2012, O e.a., C‑356/11 et C‑357/11, EU:C:2012:776, point 74).

53      Néanmoins, la marge d’appréciation reconnue aux États membres ne doit pas être utilisée par ceux-ci d’une manière qui porterait atteinte à l’objectif de la directive 2003/86 et à l’effet utile de celle-ci. En outre, ainsi qu’il ressort du considérant 2 de cette directive, celle-ci reconnaît les droits fondamentaux et observe les principes consacrés par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2012, O e.a., C‑356/11 et C‑357/11, EU:C:2012:776, points 74 et 75).

54      Partant, il incombe aux États membres non seulement d’interpréter leur droit national d’une manière conforme au droit de l’Union, mais également de veiller à ne pas se fonder sur une interprétation d’un texte du droit dérivé qui entrerait en conflit avec les droits fondamentaux protégés par l’ordre juridique de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 27 juin 2006, Parlement/Conseil, C‑540/03, EU:C:2006:429, point 105 ; du 23 décembre 2009, Detiček, C‑403/09 PPU, EU:C:2009:810, point 34, ainsi que du 6 décembre 2012, O e.a., C‑356/11 et C‑357/11, EU:C:2012:776, point 78).

55      Or, l’article 7 de la Charte, qui reconnaît le droit au respect de la vie privée ou familiale, doit être lu en corrélation avec l’obligation de prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant, reconnu à l’article 24, paragraphe 2, de la Charte, et en tenant compte de la nécessité pour un enfant d’entretenir régulièrement des relations personnelles avec ses deux parents, exprimée à l’article 24, paragraphe 3, de la Charte (arrêt du 27 juin 2006, Parlement/Conseil, C‑540/03, EU:C:2006:429, point 58).

56      Il s’ensuit que les dispositions de la directive 2003/86 doivent être interprétées et appliquées à la lumière de l’article 7 et de l’article 24, paragraphes 2 et 3, de la Charte, ainsi qu’il ressort d’ailleurs des termes du considérant 2 et de l’article 5, paragraphe 5, de cette directive, qui imposent aux États membres d’examiner les demandes de regroupement en cause dans l’intérêt des enfants concernés et dans le souci de favoriser la vie familiale (arrêt du 6 décembre 2012, O e.a., C‑356/11 et C‑357/11, EU:C:2012:776, point 80).

57      À cet égard, il incombe aux autorités nationales compétentes de procéder à une appréciation équilibrée et raisonnable de tous les intérêts en jeu, en tenant particulièrement compte de ceux des enfants concernés (arrêt du 6 décembre 2012, O e.a., C‑356/11 et C‑357/11, EU:C:2012:776, point 81).

58      Il convient en outre de tenir compte de l’article 17 de la directive 2003/86 qui impose une individualisation de l’examen des demandes de regroupement (arrêts du 9 juillet 2015, K et A, C‑153/14, EU:C:2015:453, point 60, ainsi que du 21 avril 2016, Khachab, C‑558/14, EU:C:2016:285, point 43), lequel doit prendre dûment en considération la nature et la solidité des liens familiaux de la personne et sa durée de résidence dans l’État membre ainsi que l’existence d’attaches familiales, culturelles ou sociales avec son pays d’origine (arrêt du 27 juin 2006, Parlement/Conseil, C‑540/03, EU:C:2006:429, point 64).

59      Par conséquent, il incombe aux autorités nationales compétentes, lors de la mise en œuvre de la directive 2003/86 et de l’examen des demandes de regroupement familial, de procéder, notamment, à une appréciation individualisée qui prenne en compte tous les éléments pertinents du cas d’espèce et qui prête, le cas échéant, une attention particulière aux intérêts des enfants concernés et au souci de favoriser la vie familiale. En particulier, des circonstances telles que l’âge des enfants concernés, leur situation dans leur pays d’origine et leur degré de dépendance par rapport à des parents sont susceptibles d’influer sur l’étendue et l’intensité de l’examen requis (voir, en ce sens, arrêt du 27 juin 2006, Parlement/Conseil, C‑540/03, EU:C:2006:429, point 56). En tout état de cause, ainsi que le précise le point 6.1 des lignes directrices, aucun élément considéré isolément ne peut automatiquement aboutir à une décision.

 Sur les obligations incombant au regroupant ainsi qu’au membre de sa famille concerné par la demande de regroupement familial

60      En ce qui concerne les obligations incombant au regroupant ainsi qu’au membre de sa famille concerné par la demande de regroupement familial, il convient de rappeler que, conformément à l’article 5, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 2003/86, une telle demande doit être accompagnée, notamment, de « pièces justificatives prouvant les liens familiaux ». L’article 11, paragraphe 2, de cette directive précise que ces pièces justificatives doivent présenter un caractère « officiel » et que, en leur absence, « l’État membre tient compte d’autres preuves de l’existence de ces liens ». Quant à l’article 5, paragraphe 2, deuxième alinéa, de ladite directive, il énonce que, le « cas échéant, pour obtenir la preuve de l’existence de liens familiaux, les États membres peuvent procéder à des entretiens avec le regroupant et les membres de sa famille et à toute enquête jugée nécessaire ».

61      Or, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 57 et 71 de ses conclusions, il découle de ces dispositions que le regroupant ainsi que le membre de sa famille concerné par la demande de regroupement familial ont l’obligation de coopérer avec les autorités nationales compétentes, notamment aux fins d’établir leur identité, l’existence de leurs liens familiaux ainsi que les raisons justifiant leur demande, ce qui implique de fournir, dans la mesure du possible, les justificatifs demandés et, le cas échéant, les explications et les renseignements sollicités (voir, par analogie, arrêt du 14 septembre 2017, K., C‑18/16, EU:C:2017:680, point 38).

62      Cette obligation de coopération implique, partant, que le regroupant ou le membre de sa famille concerné par la demande de regroupement familial fournissent tous les éléments de preuve pertinents pour l’appréciation de la réalité des liens familiaux qu’ils allèguent, mais également qu’ils répondent aux questions et aux demandes qui leur sont adressées à cet égard par les autorités nationales compétentes, qu’ils se tiennent à la disposition de ces autorités pour des entretiens ou d’autres enquêtes et qu’ils expliquent, lorsqu’ils ne peuvent pas fournir des pièces justificatives officielles attestant des liens familiaux, les raisons pour lesquelles ils se trouvent dans l’incapacité de fournir ces pièces.

 Sur l’examen des éléments de preuve fournis et des déclarations effectuées

63      S’agissant de l’examen par les autorités nationales compétentes du caractère probant ou plausible des éléments de preuve, des déclarations ou des explications ainsi fournis par le regroupant ou le membre de sa famille concerné par la demande de regroupement familial, l’appréciation individualisée requise exige que ces autorités tiennent compte de tous les éléments pertinents, y compris l’âge, le sexe, l’éducation, l’origine et le statut social du regroupant ou du membre de sa famille concerné ainsi que les aspects culturels spécifiques, comme le précise également le point 6.1.2 des lignes directrices.

64      Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 65, 66, 77, 79 et 81 de ses conclusions, il en découle que ces éléments, ces déclarations et ces explications fournis, d’une part, doivent être appréciés de manière objective au regard des informations tant générales que particulières pertinentes, objectives, fiables, précises et actualisées concernant la situation dans le pays d’origine, y compris, notamment, l’état de la législation ainsi que la manière dont celle-ci est appliquée, le fonctionnement des services administratifs et, le cas échéant, l’existence de défaillances affectant certaines localités ou certains groupes de personnes dudit pays.

65      D’autre part, les autorités nationales doivent tenir compte également de la personnalité du regroupant ou du membre de sa famille concerné par la demande de regroupement familial, de la situation concrète dans laquelle ils se trouvent et des difficultés particulières auxquelles il sont confrontés, de sorte que les exigences qui peuvent être posées en ce qui concerne le caractère probant ou plausible des éléments fournis par le regroupant ou le membre de sa famille, notamment aux fins d’établir l’incapacité de fournir des pièces justificatives officielles des liens familiaux, doivent être proportionnées et dépendre de la nature ainsi que du niveau des difficultés auxquelles ils sont exposés.

66      En effet, selon le considérant 8 de la directive 2003/86, la situation des réfugiés doit demander une attention particulière, à cause des raisons qui les ont contraints à fuir leur pays et qui les empêchent d’y mener une vie en famille normale. Ainsi qu’il est précisé également au point 6.1.2 des lignes directrices, la situation particulière des réfugiés suppose qu’il est souvent impossible ou dangereux pour les réfugiés ou les membres de leur famille de produire des documents officiels ou d’entrer en contact avec les autorités diplomatiques ou consulaires de leur pays d’origine.

67      En outre, il découle des considérations qui précèdent que, si le regroupant manque de manière flagrante au devoir de coopération qui lui incombe ou s’il apparaît clairement, à partir d’éléments objectifs dont disposent les autorités nationales compétentes, que la demande de regroupement familial présente un caractère frauduleux, ces autorités nationales sont en droit de rejeter cette dernière.

68      À l’inverse, en l’absence de telles circonstances, le défaut de pièces justificatives officielles attestant des liens familiaux ainsi que le manque éventuel de plausibilité des explications fournies à cet égard doivent être considérés comme étant de simples éléments devant être pris en compte lors de l’appréciation individualisée de tous les éléments pertinents du cas d’espèce et n’affranchissent pas les autorités nationales compétentes de l’obligation prévue à l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2003/86 de prendre en compte d’autres preuves.

69      En effet, ainsi que le rappelle également le point 6.1.2 des lignes directrices, l’article 11, paragraphe 2, de cette directive énonce explicitement, sans laisser de marge d’appréciation à cet égard, que l’absence de pièces justificatives ne peut pas être la seule raison du rejet d’une demande et il oblige les États membres, dans de tels cas, à tenir compte d’autres preuves de l’existence des liens familiaux.

 Sur la conformité aux exigences de la directive 2003/86 de l’examen effectué par le secrétaire d’État de la demande en cause au principal

70      En l’occurrence, dans ses décisions du 12 mai 2016 et du 27 octobre 2016, le secrétaire d’État a considéré, notamment, que Mme A. n’avait fourni aucune pièce justificative officielle concernant le décès des parents de E. et l’existence d’une tutelle exercée par elle sur l’enfant mineur ni présenté d’explication plausible quant à son incapacité de fournir de telles pièces justificatives, alors que, selon le secrétaire d’État, il était possible, en Érythrée, de se procurer des documents de cette nature.

71      Il est néanmoins constant que, lors de l’audience du 13 septembre 2017 devant la juridiction de renvoi, le secrétaire d’État a abandonné son objection relative à l’absence de pièces justificatives officielles relatives à l’existence de la tutelle exercée par Mme A. sur E., après avoir constaté que, en droit érythréen, une telle tutelle était conférée de plein droit.

72      Il s’ensuit que la décision de rejet de la demande de regroupement familial en cause au principal repose désormais seulement sur l’absence d’actes de décès des parents biologiques de E. et sur le caractère non plausible des explications fournies à cet égard par Mme A.

73      Lors de l’audience devant la Cour, le gouvernement néerlandais a soutenu qu’il serait nécessaire d’établir le décès des parents biologiques de E. afin d’exclure les hypothèses d’un enlèvement d’enfant, voire d’une traite humaine.

74      Or, et sous réserve des vérifications qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’effectuer, il convient de considérer, en premier lieu, qu’il ne ressort du dossier dont dispose la Cour aucune violation du devoir de coopération incombant à Mme A. En effet, il est constant que cette dernière a répondu à l’ensemble des questions et des demandes qui lui avaient été adressées au cours de la procédure administrative par le secrétaire d’État et que, en particulier, elle a exposé les raisons pour lesquelles elle et E. s’étaient trouvés, de son point de vue, dans l’incapacité de fournir les pièces justificatives officielles attestant des liens familiaux demandées par lesdites autorités.

75      À ce dernier égard, ainsi qu’il ressort du dossier dont dispose la Cour, Mme A. a fait valoir, tout d’abord, que la délivrance des actes de décès en Érythrée relèverait non pas de la compétence des services de l’état civil d’Asmara (Érythrée), mais de celle des administrations locales, auprès desquelles la procédure de délivrance varierait d’ailleurs fortement selon les localités. Ensuite, Mme A. a souligné qu’elle n’avait jamais disposé de tels actes, parce qu’elle était originaire d’un village de taille modeste, qu’elle ne sortait de sa maison qu’en cas de nécessité et que la possession d’actes de décès était inhabituelle. Enfin, il serait impossible d’obtenir aujourd’hui lesdits actes, puisqu’elle et E. avaient quitté l’Érythrée de manière illégale, de sorte que la demande de tels actes par l’intermédiaire de connaissances locales les aurait exposés aux éventuels « agissements de la diaspora » et aurait fait courir à leur famille demeurée en Érythrée des dangers et un risque de devoir payer une « taxe de diaspora ».

76      En deuxième lieu, il ressort de ce même dossier que, si le secrétaire d’État a tenu compte, aux fins de l’examen du caractère plausible des explications fournies par Mme A., des informations générales disponibles concernant la situation en Érythrée, il n’apparaît pas clairement qu’il ait tenu compte de la manière dont la législation pertinente est appliquée ni du fait que le fonctionnement des services de l’état civil de ce pays dépend, le cas échéant, des différents contextes locaux. En outre, ledit dossier ne permet pas non plus de vérifier si et, le cas échéant, dans quelle mesure il a pris en considération la personnalité et la situation concrète de Mme A. et de E. ainsi que les difficultés particulières auxquelles ceux-ci se sont trouvés confrontés, selon leurs dires, avant et après la fuite de leur pays d’origine.

77      En troisième lieu, aucun élément du dossier dont dispose la Cour ne met en évidence que le secrétaire d’État aurait pris en compte l’âge de E., sa situation de réfugié au Soudan, pays dans lequel il serait, selon les indications fournies par Mme A., placé dans une famille d’accueil sans aucune attache familiale, ou l’intérêt supérieur de cet enfant, tel qu’il se présenterait dans de telles circonstances. Or, si les prétentions de Mme A. devaient s’avérer véridiques, l’accueil de la demande de regroupement familial en cause au principal pourrait être le seul moyen d’assurer à E. la possibilité de grandir dans le milieu familial. Or, ainsi qu’il a été relevé au point 59 du présent arrêt, de telles circonstances sont susceptibles d’influer sur l’étendue et l’intensité de l’examen requis.

78      S’il est loisible aux autorités nationales compétentes de procéder à des démarches en vue de détecter des demandes frauduleuses de regroupement familial, survenant dans un contexte d’enlèvement d’enfants, voire de traite humaine, comme le fait valoir à juste titre le gouvernement néerlandais, cette circonstance n’affranchit pas ces autorités de l’obligation de prendre en compte l’intérêt supérieur d’un enfant se trouvant potentiellement dans des conditions telles que celles décrites par Mme A.

79      En outre, l’absence d’acte de décès des parents biologiques et le caractère insuffisamment plausible des explications fournies pour justifier cette absence ne sauraient permettre à eux seuls de conclure qu’une demande de regroupement familial concernée intervient nécessairement dans un contexte d’enlèvement d’enfant ou de traite humaine. À cet égard, il découle de l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2003/86, selon lequel l’État membre concerné tient compte d’autres preuves de l’existence des liens familiaux et ne peut pas se fonder uniquement sur l’absence de pièces justificatives, lu à la lumière de l’article 7 et de l’article 24, paragraphes 2 et 3, de la Charte, que les autorités nationales peuvent, en fonction des circonstances de l’espèce, être tenues de procéder à des vérifications complémentaires nécessaires, telles que la tenue d’un entretien avec le regroupant, afin d’exclure l’existence de tels phénomènes.

80      Il incombe à la juridiction de renvoi, qui est la seule à avoir une connaissance directe du litige qui lui est soumis, de vérifier, en tenant compte des éléments exposés aux points précédents, si l’examen effectué par le secrétaire d’État de la demande en cause au principal est conforme aux exigences de la directive 2003/86.

81      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la seconde question que l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2003/86 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, où une demande de regroupement familial a été introduite par une regroupante bénéficiant du statut conféré par la protection subsidiaire au profit d’un mineur dont elle est la tante et prétendument la tutrice, et qui réside en tant que réfugié et sans attache familiale dans un pays tiers, à ce que cette demande soit rejetée au seul motif que la regroupante n’a pas fourni les pièces justificatives officielles attestant du décès des parents biologiques du mineur et, partant, du caractère effectif de ses liens familiaux avec celui-ci, et que l’explication que la regroupante a avancé pour justifier son incapacité de produire de telles pièces a été jugée non plausible par les autorités compétentes sur le seul fondement des informations générales disponibles concernant la situation dans le pays d’origine, sans prendre en considération la situation concrète de la regroupante et du mineur ainsi que les difficultés particulières auxquelles ceux-ci se sont trouvés confrontés, selon leurs dires, avant et après la fuite de leur pays d’origine.

 Sur les dépens

82      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

1)      La Cour de justice de l’Union européenne est compétente, au titre de l’article 267 TFUE, pour interpréter l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2003/86/CE du Conseil, du 22 septembre 2003, relative au droit au regroupement familial, dans une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle la juridiction de renvoi est appelée à se prononcer sur une demande de regroupement familial introduite par un bénéficiaire du statut conféré par la protection subsidiaire, lorsque cette disposition a été rendue applicable à une telle situation, de manière directe et inconditionnelle, par le droit national.

2)      L’article 11, paragraphe 2, de la directive 2003/86 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, où une demande de regroupement familial a été introduite par une regroupante bénéficiant du statut conféré par la protection subsidiaire au profit d’un mineur dont elle est la tante et prétendument la tutrice, et qui réside en tant que réfugié et sans attache familiale dans un pays tiers, à ce que cette demande soit rejetée au seul motif que la regroupante n’a pas fourni les pièces justificatives officielles attestant du décès des parents biologiques du mineur et, partant, du caractère effectif de ses liens familiaux avec celui-ci, et que l’explication que la regroupante a avancé pour justifier son incapacité de produire de telles pièces a été jugée non plausible par les autorités compétentes sur le seul fondement des informations générales disponibles concernant la situation dans le pays d’origine, sans prendre en considération la situation concrète de la regroupante et du mineur ainsi que les difficultés particulières auxquelles ceux-ci se sont trouvés confrontés, selon leurs dires, avant et après la fuite de leur pays d’origine.

Signatures


*      Langue de procédure : le néerlandais.