Language of document : ECLI:EU:T:2024:352

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

5 juin 2024 (*)

« Politique économique et monétaire – Surveillance prudentielle des établissements de crédit – Missions spécifiques de surveillance confiées à la BCE – Fixation des exigences prudentielles – Engagements de paiements irrévocables – Recours en annulation – Absence d’intérêt à agir – Irrecevabilité partielle – Erreur manifeste d’appréciation – Proportionnalité »

Dans l’affaire T‑182/22,

Deutsche Bank AG, établie à Francfort-sur-le-Main (Allemagne),

BHW Bausparkasse AG, établie à Hamelin (Allemagne),

norisbank GmbH, établie à Bonn (Allemagne),

représentées par Mes H. Berger et M. Weber, avocats,

parties requérantes,

contre

Banque centrale européenne (BCE), représentée par MM. K. Lackhoff, M. Prokop et F. Bonnard, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie),

composé de M. F. Schalin (rapporteur), président, Mme P. Škvařilová‑Pelzl, M. I. Nõmm, Mme G. Steinfatt et M. D. Kukovec, juges,

greffier : M. P. Cullen, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 21 juin 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par leur recours fondé sur l’article 263 TFUE, d’une part, les requérantes, Deutsche Bank AG, BHW Bausparkasse AG et norisbank GmbH, demandent l’annulation partielle de la décision ECB-SSM-2022-DEDEB-6 de la Banque centrale européenne (BCE), du 2 février 2022, établissant des exigences prudentielles (ci-après la « décision du 2 février 2022 »), y compris ses annexes I et II, en ce qui concerne les exigences qui leur ont été imposées, et, d’autre part, Deutsche Bank et BHW Bausparkasse demandent l’annulation partielle de la décision ECB-SSM-2022-DEDEB-44 de la BCE, du 21 décembre 2022, établissant des exigences prudentielles (ci-après la « décision du 21 décembre 2022 »), y compris ses annexes I et II, en ce qui concerne les exigences qui leur ont été imposées.

 Antécédents du litige

2        Les requérantes, en tant qu’entité importante au sens de l’article 6, paragraphe 4, du règlement (UE) no 1024/2013 du Conseil, du 15 octobre 2013, confiant à la BCE des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit (JO 2013, L 287, p. 63), relèvent de la surveillance prudentielle directe de la BCE.

3        Le 13 avril 2021, dans le cadre de sa mission de surveillance prudentielle, la BCE a envoyé aux requérantes un questionnaire, portant sur le traitement par ces dernières des engagements de paiements irrévocables (ci-après les « EPI »), qui constituent une faculté de s’acquitter de l’obligation de contribution aux fonds de résolution ou aux systèmes de garantie en concluant un contrat par lequel il est convenu, d’une part, que le montant dû sera versé à première demande et, d’autre part, qu’une garantie égale au montant dû est octroyée (voir point 39 ci-après).

4        Le 11 mai 2021, les requérantes ont transmis leurs réponses au questionnaire.

5        Le 8 novembre 2021, la BCE a adressé aux requérantes un projet de décision au terme du processus de contrôle et d’évaluation prudentiels (Supervisory Review and Evaluation Process, SREP), comportant, notamment, l’exigence prudentielle que le montant cumulé des EPI soit déduit des fonds propres de base de catégorie 1 (ci-après les « CET 1 »). Les requérantes ont été invitées à se prononcer sur ce projet.

6        Par courrier du 23 novembre 2021, les requérantes ont présenté leurs observations.

7        En application de l’article 4, paragraphe 1, sous f), et de l’article 16 du règlement no 1024/2013, la BCE a adopté la décision du 2 février 2022.

8        Dans cette décision, la BCE a déterminé que, conformément à l’article 16, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1024/2013, les dispositifs, stratégies, processus et mécanismes mis en œuvre par les requérantes et les fonds propres et liquidités qu’elles détenaient n’assuraient pas une gestion saine et une couverture de leurs risques dans la mesure où les requérantes surestimaient le niveau de leurs CET 1.

9        Pour couvrir ce risque, la BCE a imposé, d’une part, une mesure en application de l’article 16, paragraphe 2, sous d), du règlement no 1024/2013 (ci-après la « mesure de déduction ») et, d’autre part, une obligation en application de l’article 16, paragraphe 2, sous j), de ce même règlement (ci-après l’« obligation de déclaration »).

10      La mesure de déduction équivaut, selon la formule figurant au point 1.3 de la décision du 2 février 2022, à la valeur des sommes placées en garantie et inscrites à l’actif du bilan des requérantes, diminuée des éléments susceptibles de réduire le risque, c’est-à-dire les éléments des CET 1 détenus par les requérantes relatifs aux sommes placées en garantie et, le cas échéant, de la valeur économique positive attribuée à l’actif enregistré, compte tenu des sommes placées en garantie des EPI. La mise en œuvre de cette mesure s’impose à condition qu’aucune dérogation relative aux exigences de fonds propres ne s’applique au niveau individuel.

11      L’obligation de déclaration vise à permettre à la BCE de s’assurer de la bonne prise en compte de la déduction imposée aux requérantes.

 Conclusions des parties et faits postérieurs à l’introduction du recours

12      Le 11 avril 2022, les requérantes ont introduit le présent recours.

13      Dans le cadre d’un nouveau cycle de SREP, la BCE a adopté la décision du 21 décembre 2022, qui a remplacé la décision du 2 février 2022, à compter du 1er janvier 2023, et qui maintient la mesure de déduction et l’obligation de déclaration.

14      Pour parvenir à cette décision, la BCE a suivi la même procédure que celle décrite aux points 3 à 6 ci-dessus.

15      Le 1er mars 2023, les requérantes ont déposé au greffe du Tribunal un mémoire en adaptation de la requête dans lequel Deutsche Bank et BHW Bausparkasse concluaient notamment à l’annulation partielle de la décision du 21 décembre 2022, en invoquant les deux mêmes premiers moyens que ceux initialement soulevés dans la requête à l’encontre de la décision du 2 février 2022.

16      En revanche, étant donné que la décision du 21 décembre 2022 n’imposerait plus la mesure de déduction et l’obligation de déclaration sur une base individuelle à l’égard de Deutsche Bank et de norisbank, les requérantes ont renoncé à invoquer le troisième moyen initialement soulevé.

17      Dans leur mémoire en adaptation de la requête, puis, conformément à l’article 86 du règlement de procédure du Tribunal, par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 10 mai 2023, Deutsche Bank et norisbank ont présenté une demande de non-lieu à statuer dans la mesure où le recours les concernait à titre individuel.

18      La BCE a présenté ses observations sur le mémoire en adaptation de la requête et sur la demande de non-lieu à statuer, dans les délais impartis.

19      Deutsche Bank et BHW Bausparkasse concluent, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler partiellement la décision du 21 décembre 2022 ;

–        condamner la BCE aux dépens, y compris les dépens encourus jusqu’au remplacement de la décision du 2 février 2022.

20      Deutsche Bank et norisbank concluent, dans leur demande de non-lieu à statuer, du fait que la décision du 21 décembre 2022 n’impose pas une mesure de déduction et une obligation de déclaration sur une base individuelle à leur égard, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        constater qu’il n’y a plus lieu de statuer ;

–        condamner la BCE aux dépens.

21      La BCE conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité du recours et sur la demande de non-lieu à statuer s’agissant de Deutsche Bank et de norisbank

22      Deutsche Bank et norisbank ont demandé au Tribunal de constater qu’il n’y avait plus lieu de statuer au motif que l’objet du litige n’existait plus à leur égard sur une base individuelle.

23      À cet égard, lesdites requérantes font valoir que la décision du 21 décembre 2022, contrairement à celle du 2 février 2022, ne leur impose plus la mesure de déduction sur une base individuelle.

24      La BCE, sans formellement soulever une exception d’irrecevabilité par acte séparé, a excipé d’une fin de non-recevoir. À cet égard, elle fait valoir que la décision du 2 février 2022 n’a pas imposé une mesure de déduction ni une obligation de déclaration à Deutsche Bank et à norisbank sur une base individuelle, de sorte que leur recours était dès le début de la présente procédure irrecevable.

25      Selon une jurisprudence bien établie, l’intérêt à agir d’une partie requérante doit, compte tenu de l’objet du recours, exister au stade de l’introduction de celui-ci, sous peine d’irrecevabilité. Cet objet du litige doit perdurer, tout comme l’intérêt à agir, jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle, sous peine de non-lieu à statuer, ce qui suppose que le recours soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (voir arrêt du 17 octobre 2019, Alcogroup et Alcodis/Commission, C‑403/18 P, EU:C:2019:870, point 24 et jurisprudence citée).

26      En l’espèce, force est de constater que la décision du 21 décembre 2022 ne contient aucune mesure portant sur les EPI à l’égard de Deutsche Bank et de norisbank sur une base individuelle. En outre, bien que la décision du 2 février 2022, compte tenu du mémoire en adaptation de la requête, ne fasse plus l’objet du présent recours, elle en était à l’origine, de sorte qu’il importe de savoir si Deutsche Bank et norisbank sur une base individuelle avaient un intérêt à agir à l’encontre de cette décision au moment de l’introduction du recours. À cet égard, force est de constater que ladite décision ne contenait pas non plus une mesure portant sur les EPI visant lesdites requérantes sur une base individuelle. En effet, il ressort du point 1.3 de la décision du 2 février 2022, qui est le seul point de ladite décision imposant la mesure de déduction et l’obligation de déclaration et qui contient également la formule à appliquer afin de calculer la déduction à effectuer, que « [l]es entités soumises à la surveillance prudentielle concernées sont tenues d’effectuer ces ajustements au niveau individuel de chaque entité soumise à la surveillance prudentielle concernée utilisant de tels EPI et à tout niveau consolidé ou sous-consolidé auquel appartient l’entité soumise à la surveillance prudentielle concernée le cas échéant, et à condition qu’aucune dérogation relative aux exigences de fonds propres ne s’applique au niveau concerné ». Il en résulte donc clairement que l’exigence de déduction est imposée à un niveau individuel et de manière consolidée uniquement « à condition qu’aucune dérogation relative aux exigences de fonds propres ne s’applique au niveau concerné ». À cet égard, il est constant entre les parties que Deutsche Bank et norisbank bénéficiaient d’une telle dérogation. Cette dérogation ressort également de l’annexe I de la décision du 2 février 2022. Étant donné que Deutsche Bank et norisbank bénéficiaient d’une dérogation à leurs exigences de fonds propres sur une base individuelle, ce qui signifie qu’aucune exigence de déduction (ni aucune obligation de déclaration correspondante) ne s’appliquait au niveau individuel de ces deux requérantes, la mesure dont l’annulation était initialement demandée n’existait pas à l’encontre de ces dernières sur une base individuelle et elles n’avaient donc pas d’intérêt à agir contre les mesures contenues dans la décision du 2 février 2022. Force est également de constater que lesdites requérantes n’ont pas avancé d’autres motifs pour justifier que l’annulation de la décision du 2 février 2022 leur procurerait un bénéfice alors qu’il leur incombait de le faire (arrêt du 20 décembre 2017, Binca Seafoods/Commission, C‑268/16 P, EU:C:2017:1001, point 45).

27      Partant, il y a lieu de rejeter le présent recours comme étant irrecevable, en ce qui concerne Deutsche Bank et norisbank sur une base individuelle, dans la mesure où ces requérantes ne disposaient pas, dès l’introduction du recours, d’un intérêt à agir.

28      Dès lors que leur recours est irrecevable, il n’y a pas lieu de répondre à leur demande de non-lieu à statuer.

29      Il convient, par conséquent, s’agissant de la décision du 21 décembre 2022, d’examiner le recours au fond pour Deutsche Bank sur une base consolidée et pour BHW Bausparkasse sur une base individuelle.

 Sur le fond

30      À l’appui de leur recours, Deutsche Bank et BHW Bausparkasse invoquent deux moyens, tirés, en premier lieu, d’une violation du droit de l’Union européenne en ce que la BCE aurait outrepassé les pouvoirs qui lui sont accordés par le règlement no 1024/2013 et violé les principes généraux du droit de l’Union et, en second lieu, d’une violation du principe de proportionnalité.

 Sur le premier moyen, tiré d’une violation du droit de l’Union en ce que la BCE aurait outrepassé les pouvoirs qui lui sont accordés par le règlement no 1024/2013 et violé les principes généraux du droit de l’Union

31      Dans le cadre du premier moyen, qui contient plusieurs griefs, Deutsche Bank et BHW Bausparkasse soutiennent, en substance :

–        qu’aucune disposition du droit de l’Union n’autorise la mesure de déduction et l’obligation de déclaration ;

–        que la BCE n’a pas effectué d’examen individuel de leur situation concrète ;

–        que la BCE n’a pas procédé à l’évaluation du risque sur la base d’une méthodologie cohérente et adéquate ;

–        que la BCE a fondé l’évaluation du risque lié aux EPI sur des faits inexacts ainsi que sur plusieurs erreurs manifestes d’appréciation ;

–        que l’évaluation effectuée par la BCE des dispositifs, stratégies, processus et mécanismes de gestion et de suivi de l’éventuel risque lié aux EPI est fondée sur une erreur grave dans la mesure où les pouvoirs de la BCE se limitaient à demander un renforcement de ces dispositifs, stratégies, processus et mécanismes de gestion.

32      Il ressort des arguments de Deutsche Bank et de BHW Bausparkasse qu’elles contestent, en substance, d’une part, la compétence de la BCE et, d’autre part, l’existence d’un examen individuel ou, au moins, d’un examen approprié de leur situation individuelle. Il y aura également lieu d’examiner les griefs portant sur l’absence de méthodologie adéquate, l’inexactitude des faits et les erreurs manifestes d’appréciation concernant l’examen mené par la BCE.

33      La BCE réfute les arguments de Deutsche Bank et de BHW Bausparkasse.

–       Sur la compétence de la BCE

34      Deutsche Bank et BHW Bausparkasse avancent que la BCE a imposé une exigence de portée générale s’agissant des fonds propres, qui relève de la compétence du législateur, une telle compétence étant identifiée comme relevant du « premier pilier », par opposition au pouvoir de la BCE de compléter, au cas par cas, les exigences réglementaires par des mesures additionnelles dans le cadre de l’exercice SREP, une telle compétence étant, quant à elle, identifiée comme relevant du « deuxième pilier ».

35      Plus spécifiquement, en premier lieu, Deutsche Bank et BHW Bausparkasse allèguent qu’un risque de surestimation des CET 1, découlant d’une prétendue perte de ressources, méconnaît le cadre législatif relatif aux éléments de déduction prévu à l’article 36 du règlement (UE) no 575/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement et modifiant le règlement (UE) no 648/2012 (JO 2013, L 176, p. 1, rectificatifs JO 2013, L 208, p. 68, et JO 2013, L 321, p. 6). En deuxième lieu, le risque allégué que les EPI souscrits entraîneraient une perte qui devrait être retranchée des CET 1 ne saurait être déterminé sans évaluer le risque suscité par l’appel en paiement des EPI. À cet égard, le raisonnement de la BCE ne reflèterait pas suffisamment la nature juridique d’un EPI, qui serait une obligation de paiement conditionnelle, impliquant que l’obligation de paiement ne naîtrait que si la condition correspondante serait remplie. La question à poser serait donc plutôt de savoir si les sûretés octroyées seraient un jour saisies et si leur valeur serait réalisée en raison du défaut de paiement. De même, en cas d’un appel en paiement des EPI, elles auraient, de toute façon, la possibilité de payer le montant dû au titre des EPI et conserveraient donc le pouvoir de récupérer les sûretés en procédant au paiement des EPI garantis à leur échéance. En troisième lieu, tant que les sûretés ne seraient pas réalisées, Deutsche Bank et BHW Bausparkasse garderaient la pleine propriété économique des sûretés octroyées. Ces dernières revêtiraient une valeur économique pour elles, conformément au référentiel comptable applicable. En outre, la continuité de la propriété économique, en ce sens qu’il n’y aurait pas de perte économique, ressortirait également du fait qu’elles continueraient de percevoir les revenus d’intérêts liés aux sûretés octroyées. Deutsche Bank et BHW Bausparkasse font, dans ce contexte, également référence à la façon dont le Conseil de résolution unique (CRU) comptabilise les sûretés, à savoir qu’il ne les inscrit pas à l’actif du bilan sans inscription correspondante au passif.

36      Deutsche Bank et BHW Bausparkasse soutiennent également, dans le cadre de ce grief, que l’obligation de déclaration  outrepasse les pouvoirs conférés à la BCE par l’article 16, paragraphe 2, sous j), du règlement no 1024/2013, dans la mesure où elle les oblige à déclarer un montant des CET 1 réduit par déduction du montant cumulé des EPI dans le modèle COREP C 01.00, ligne 0529, ID 1.1.1.28 « Éléments de fonds propres CET 1 ou déductions – autres », tel qu’il figure à l’annexe I du règlement d’exécution (UE) 2021/451 de la Commission, du 17 décembre 2020, définissant des normes techniques d’exécution pour l’application du règlement no 575/2013 en ce qui concerne l’information prudentielle à fournir par les établissements, et abrogeant le règlement d’exécution (UE) no 680/2014 (JO 2021, L 97, p. 1). Deutsche Bank et BHW Bausparkasse considèrent, notamment, que, en imposant l’obligation de déclaration, la BCE a, au lieu d’imposer « des obligations de déclaration supplémentaires ou plus fréquentes », modifié en réalité l’obligation de déclaration réglementaire définie à l’article 430, paragraphe 1, sous a), du règlement no 575/2013, lu conjointement avec le règlement d’exécution 2021/451.

37      En l’espèce, il y a lieu de constater que la BCE a imposé la mesure de déduction et l’obligation de déclaration pour remédier au risque de surestimation des CET 1 de Deutsche Bank et de BHW Bausparkasse.

38      Avant d’examiner les arguments de Deutsche Bank et de BHW Bausparkasse, il convient, à titre liminaire, de rappeler quel est le risque identifié.

39      À cet égard, il convient de mentionner que Deutsche Bank et BHW Bausparkasse sont tenues de verser, sur une base au moins annuelle, des contributions ex ante au Fonds de résolution unique (FRU) et au système de garantie des dépôts allemand, à savoir le régime légal d’indemnisation des banques allemandes (Entschädigungseinrichtung deutscher Banken, ci-après l’« EdB »), c’est-à-dire de verser ces contributions préalablement et indépendamment de toute survenance des opérations pour lesquelles ces fonds ont été établis. Lesdites contributions peuvent se faire soit par le biais d’un versement immédiat (en espèces) soit, pour un certain pourcentage, par le biais des EPI. Dans le cas d’une contribution sous forme d’EPI, ceux-ci doivent être garantis par un dépôt d’espèces d’un montant équivalant à celui des EPI, mis à la libre disposition des autorités de résolution ou du système de garanties des dépôts.

40      En identifiant le risque de surestimation des CET 1, la BCE a pris comme point de départ le régime juridique applicable aux EPI, à savoir que les EPI doivent être garantis simultanément à leur souscription et que les sommes transférées au titre de cette garantie ne sont plus à la libre disposition de l’établissement souscripteur. Le risque identifié par la BCE est ainsi basé sur les considérations suivantes :

–        les CET 1 doivent être utilisables immédiatement et sans restrictions par Deutsche Bank et BHW Bausparkasse pour couvrir les risques ou les pertes dès que ceux-ci se présentent ;

–        Deutsche Bank et BHW Bausparkasse ont souscrit des EPI dans le cadre d’un financement ex ante du FRU et de l’EdB, et ces EPI sont garantis par Deutsche Bank et BHW Bausparkasse au moyen d’un dépôt d’espèces ;

–        les sommes placées en garantie ne sont plus à la disposition de Deutsche Bank et de BHW Bausparkasse dans un scénario habituel de continuité d’exploitation ;

–        Deutsche Bank et BHW Bausparkasse comptabilisent, dans leur bilan, un actif d’un montant équivalant à celui des sommes placées en garantie, en considérant lesdites sommes comme une créance de restitution, et traitent les EPI comme un élément hors bilan. Ce traitement comptable combiné des sommes placées en garantie et des EPI signifie que la perte de valeur économique des sommes placées en garantie découlant de leur indisponibilité dans un scénario habituel de continuité d’exploitation ne se traduit pas par une diminution des CET 1 ;

–        l’intégration de cette valeur économique perdue dans les CET 1 a pour conséquence qu’une partie des CET 1 n’est pas disponible pour une utilisation immédiate pour couvrir les risques ou les pertes dès qu’ils se présentent et conduit à une surestimation des CET 1 ;

–        sur le plan prudentiel, ces pertes auraient dû être retranchées des CET 1 de Deutsche Bank et de BHW Bausparkasse, puisque l’objectif de ces CET 1 est précisément d’absorber les pertes en continuité d’exploitation.

41      En outre, selon la BCE, bien que le risque de surestimation soit en relation avec le risque encouru en cas d’appel en paiement des EPI, il est différent de ce risque. Alors que le risque de surestimation signifierait qu’il existerait un risque que les CET 1 déclarés ne soient pas là pour couvrir les risques ou les pertes dès qu’ils se présentent, le risque suscité par l’appel en paiement des EPI représenterait pour l’établissement concerné le risque d’encourir des pertes une fois que les EPI ont été appelés et que les EPI hors bilan deviennent une dépense réelle entraînant des pertes devant être enregistrées dans son compte de résultat.

42      En premier lieu, s’agissant de l’argument selon lequel la BCE n’aurait pas de compétence pour exiger la déduction totale de certains éléments des fonds propres, laquelle aboutirait à une exigence générale non prévue par le législateur à l’article 36 du règlement no 575/2013, il suffit de remarquer qu’il a déjà été écarté dans les arrêts du 9 septembre 2020, Société Générale/BCE (T‑143/18, non publié, EU:T:2020:389), du 9 septembre 2020, Crédit Agricole e.a./BCE (T‑144/18, non publié, EU:T:2020:390), du 9 septembre 2020, Confédération nationale du Crédit Mutuel e.a./BCE (T‑145/18, non publié, EU:T:2020:391), du 9 septembre 2020, BPCE e.a./BCE (T‑146/18, non publié, EU:T:2020:392), du 9 septembre 2020, Arkéa Direct Bank e.a./BCE (T‑149/18, non publié, EU:T:2020:393), et du 9 septembre 2020, BNP Paribas/BCE (T‑150/18 et T‑345/18, EU:T:2020:394) (ci-après les « arrêts de 2020 »). Certes, dans lesdits arrêts, le Tribunal a reconnu que la BCE n’avait pas de pouvoir réglementaire relevant du « premier pilier », qui concerne les obligations de nature réglementaire, ce pouvoir relevant de la compétence exclusive du législateur de l’Union. Toutefois, il a été reconnu que, dans le cadre de ses missions de surveillance prudentielle, notamment celles que la BCE exerçait en vertu de l’article 4, paragraphe 1, sous f), du règlement no 1024/2013, elle pouvait, une fois les vérifications effectuées, sur la base des vulnérabilités et des faiblesses recensées, imposer des mesures correctives (voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2020, BNP Paribas/BCE, T‑150/18 et T‑345/18, EU:T:2020:394, points 51 à 60).

43      Ainsi, bien que le règlement no 575/2013 fixe des exigences prudentielles générales de fonds propres, parmi lesquelles se trouvent les CET 1, applicables à l’ensemble des établissements de crédit assujettis et que l’article 36 de ce règlement prévoie que plusieurs éléments doivent être déduits des CET 1, ledit règlement, et plus particulièrement son article 36, n’interdit pas que la BCE puisse identifier un risque lié aux CET 1 au cours de son examen prudentiel et n’interdit donc pas non plus la prise d’une mesure prudentielle additionnelle telle qu’une mesure de déduction dans le cadre de son pouvoir au titre du « deuxième pilier ».

44      Partant, si Deutsche Bank et BHW Bausparkasse sont exposées à un certain risque, en l’occurrence le risque de surestimation de leurs CET 1, et s’il résulte de l’examen individuel effectué par la BCE que les dispositifs, stratégies, processus et mécanismes mis en œuvre par Deutsche Bank et BHW Bausparkasse ainsi que les fonds propres et les liquidités qu’elles détiennent n’assurent pas une gestion saine et une couverture de ce risque, la BCE peut prendre l’une des mesures prévues à l’article 16, paragraphe 2, du règlement no 1024/2013, en l’occurrence celles visées à l’article 16, paragraphe 2, sous d), dudit règlement.

45      En deuxième lieu, en ce qui concerne l’argument tiré de la nature juridique des EPI selon lequel ils constitueraient une obligation de paiement conditionnelle impliquant que l’obligation ne naîtrait que si la condition correspondante est remplie, celui-ci ne saurait non plus prospérer.

46      Le risque identifié par la BCE est celui d’une surestimation des CET 1, risque dont l’existence en tant que telle a déjà été reconnue dans la jurisprudence citée au point 42 ci-dessus. À cet égard, il convient de relever, à l’instar de la BCE, que, bien que le risque de surestimation des CET 1 soit lié au risque encouru en cas d’appel en paiement des EPI, ils sont différents. Le risque identifié signifie qu’il existe un risque que les CET 1 déclarés ne soient pas là pour couvrir les risques ou les pertes dès que ceux-ci se présentent, un risque qui existe même en cas de faible probabilité d’appel en paiement des EPI.

47      Or, comme l’a constaté la BCE à juste titre, l’octroi de sûretés entraîne une perte nette de ressources économiques, se traduisant par une diminution de la capacité d’absorption des CET 1 dès la souscription des EPI et de l’octroi des sûretés, que Deutsche Bank et BHW Bausparkasse ne peuvent pas récupérer dans un scénario de continuité d’exploitation sans une sortie équivalente de ressources économiques. Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 42 ci-dessus, la souscription d’EPI et l’octroi de sûretés ont un lien indissociable et ne peuvent pas s’envisager séparément. En effet, les EPI, en ce qu’ils contribuent au financement ex ante du FRU et de l’EdB, doivent être irrévocables et assortis de sûretés de grande qualité. Les sûretés octroyées ne sont restituées aux établissements concernés que dans les cas de contribution à titre de rééquilibrage, de retrait de leur agrément bancaire ou de transfert de l’intégralité des dépôts couverts et des EPI à un établissement de crédit cessionnaire. Partant, comme l’indique la BCE à juste titre, même en l’absence d’appel en paiement des EPI, Deutsche Bank et BHW Bausparkasse ne sont jamais en mesure de récupérer la valeur économique que représentent les sûretés dans un scénario de continuité d’exploitation.

48      Par ailleurs, il ressort des réponses de Deutsche Bank et de BHW Bausparkasse au questionnaire envoyé dans le cadre de l’exercice SREP qu’elles considèrent également que les seuls scénarios de restitution de leurs sûretés, en l’absence de contribution à titre de rééquilibrage, sont, en ce qui concerne le FRU, la restitution de leur agrément bancaire et, en ce qui concerne l’EdB, le transfert des dépôts couverts et des EPI pris envers l’EdB, avec le consentement de ce dernier, vers un autre établissement de crédit.

49      En troisième lieu, ne saurait prospérer l’argument de Deutsche Bank et de BHW Bausparkasse selon lequel dès lors qu’elles percevraient tous les revenus d’intérêts liés aux sûretés octroyées pour garantir les EPI elles resteraient, d’un point de vue comptable, les propriétaires économiques des sûretés octroyées en espèces pour garantir les EPI souscrits à l’égard du FRU et de l’EdB. De même, ne saurait prospérer l’argument tiré du fait que le CRU reconnaîtrait un passif lié à la sûreté.

50      À cet égard, il convient de remarquer que la BCE n’a remis en cause ni le référentiel comptable de Deutsche Bank et de BHW Bausparkasse (voir également point 81 ci-après) ni le fait que les actifs octroyés en tant que sûretés pouvaient avoir une valeur économique.

51      En effet, il ressort du point 3.3.3. de la décision du 21 décembre 2022 que la BCE a tenu compte du fait que Deutsche Bank et BHW Bausparkasse conservaient le droit de percevoir des intérêts associés aux sûretés. Il n’en demeure pas moins que la BCE pouvait apprécier comment lesdits intérêts avaient effectivement contribué, dans les systèmes de Deutsche Bank et de BHW Bausparkasse, à la valeur économique positive qu’elles attribuaient à ces sûretés uniquement sur la base des informations fournies par celles-ci, mais ces dernières ne les avaient pas transmises.

52      De même, le fait que le CRU ait comptabilisé un passif correspondant aux sûretés inscrites comme actif ne change pas les conditions limitées de remboursement de ce passif envers un établissement de crédit, et en particulier le fait que les sûretés en espèces ne sont restituées qu’en cas de rééquilibrage dans un scénario de continuité d’exploitation. Dans un tel scenario, le passif comptabilisé par le CRU, correspondant à la restitution des sûretés, ne devient exigible que lorsque les EPI deviennent eux-mêmes exigibles. Partant, le passif comptabilisé par le CRU ne représente aucune valeur économique réelle pour les établissements concernés, sachant qu’ils ne pourront jamais récupérer les ressources économiques que constituent les sûretés en espèces sans supporter une sortie de ressources économiques équivalente.

53      Enfin, s’agissant de l’argument selon lequel l’obligation de déclaration  outrepasse les pouvoirs conférés à la BCE par l’article 16, paragraphe 2, sous j), du règlement no 1024/2013, celui-ci doit également être rejeté.

54      L’article 16, paragraphe 2, sous j), du règlement no 1024/2013 autorise la BCE à « imposer des obligations de déclaration supplémentaires ou plus fréquentes, y compris des déclarations sur les positions de fonds propres et de liquidités ».

55      Le fait que l’information recherchée, afin de garantir que la mesure de déduction est mise en œuvre, doive être fournie en utilisant le modèle prévu par l’annexe I du règlement d’exécution 2021/451 ne permet pas de conclure, contrairement à ce que prétendent Deutsche Bank et BHW Bausparkasse, qu’il s’agit donc d’une mesure appartenant au « premier pilier » ou que la BCE a outrepassé sa compétence.

56      De même, l’obligation de déclaration imposée par la décision du 21 décembre 2022 ne modifie ni ne change l’obligation de déclaration figurant à l’article 430, paragraphe 1, sous a), du règlement no 575/2013 ou dans le règlement d’exécution 2021/451.

57      Il résulte de ce qui précède que la BCE a le pouvoir d’imposer la mesure de déduction et l’obligation de déclaration à condition d’avoir effectué un examen individuel de la situation de Deutsche Bank et de BHW Bausparkasse à l’aune du risque prudentiel identifié et qui aboutit à la conclusion que ce risque n’est pas suffisamment géré ou couvert.

58      Il convient donc de vérifier si la BCE a procédé à un examen individuel et les autres griefs associés, tels que la méthodologie appliquée et l’appréciation qui en découle.

–       Sur l’examen individuel

59      Il résulte d’une jurisprudence constante que, si l’institution compétente dispose d’un pouvoir discrétionnaire, le contrôle juridictionnel que le Tribunal doit exercer sur le bien-fondé des motifs de la décision attaquée ne doit pas le conduire à substituer son appréciation à celle de l’institution compétente, mais vise à vérifier que la décision attaquée ne repose pas sur des faits matériellement inexacts et qu’elle n’est entachée d’aucune erreur de droit ou erreur manifeste d’appréciation ou d’aucun détournement de pouvoir (voir, en ce sens, arrêt du 4 mai 2023, BCE/Crédit lyonnais, C‑389/21 P, EU:C:2023:368, point 55 et jurisprudence citée).

60      À cet égard, il est de jurisprudence constante que le juge de l’Union doit non seulement vérifier l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (voir arrêt du 4 mai 2023, BCE/Crédit lyonnais, C‑389/21 P, EU:C:2023:368, point 56 et jurisprudence citée).

61      Il résulte également d’une jurisprudence constante que, lorsque les institutions disposent d’un tel pouvoir d’appréciation, le respect des garanties conférées par l’ordre juridique de l’Union dans les procédures administratives revêt une importance d’autant plus fondamentale. Parmi ces garanties conférées par l’ordre juridique de l’Union dans les procédures administratives figure, notamment, le principe de bonne administration, auquel se rattache l’obligation pour l’institution compétente d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce (arrêts du 21 novembre 1991, Technische Universität München, C‑269/90, EU:C:1991:438, point 14, et du 29 mars 2012, Commission/Estonie, C‑505/09 P, EU:C:2012:179, point 95).

62      S’agissant de l’examen individuel, Deutsche Bank et BHW Bausparkasse font valoir que la BCE n’a pas réellement effectué un tel examen au cas par cas. La BCE n’aurait pas évalué leur situation concrète, notamment leur profil de risque et leur niveau de liquidité, et n’aurait pas tenu compte de tous les facteurs possibles pouvant atténuer le risque allégué. L’absence d’examen individuel résulterait également du fait que les raisons qui leur ont été fournies pour justifier la mesure de déduction seraient les mêmes que celles qui ont été fournies aux autres établissements de crédit souscrivant des EPI. En outre, la BCE se serait, à tort, concentrée sur la question de savoir comment les établissements géraient les sûretés, alors que la question pertinente serait de savoir si les EPI seraient appelés en paiement et, partant, quels seraient leurs effets sur les fonds propres et sur les liquidités.

63      Ainsi qu’il a déjà été constaté, le risque identifié par la BCE est le risque de surestimation des CET 1 et le but de la mesure de déduction est de remédier à ce risque, et non de remédier aux risques suscités par un éventuel appel en paiement des EPI. Le risque de surestimation des CET 1 est suscité par l’indisponibilité des sommes placées à titre de garantie de l’engagement souscrit par Deutsche Bank et BHW Bausparkasse. Partant, la question de savoir comment Deutsche Bank et BHW Bausparkasse gèrent les sûretés octroyées est, contrairement à ce qu’elles prétendent, une question pertinente.

64      De même, l’existence du risque de surestimation en tant que telle a déjà été reconnue par le Tribunal (voir point 46 ci-dessus). En outre, il n’appartient pas au Tribunal d’exiger que la BCE examine le risque suscité par un appel en paiement des EPI et non le risque de surestimation des CET 1.

65      En l’espèce, l’examen a été mené conformément à la méthodologie développée par la BCE et qui consiste en un questionnaire qui l’a conduite à examiner, eu égard aux réponses des établissements soumis à la surveillance prudentielle et contribuant au financement du FRU et des systèmes de garantie des dépôts en souscrivant des EPI, si ces établissements étaient exposés au risque de surestimation des CET 1 et, le cas échéant, si ce risque était couvert.

66      Cette méthodologie a été développée à la suite des arrêts de 2020 dans lesquels le Tribunal a constaté que la BCE n’avait pas effectué un examen au cas par cas. L’objectif de ce questionnaire était de permettre à la BCE de disposer d’informations, en premier lieu, pour quantifier le risque de surestimation des CET 1 et, en second lieu, pour vérifier si, à la lumière de chacun des facteurs mentionnés à l’article 16, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1024/2013, les établissements concernés s’étaient assurés que ce risque était géré et couvert.

67      À cette fin, afin de quantifier le risque, les questions posées concernaient les montants des EPI souscrits, les sûretés fournies, le traitement comptable et prudentiel des EPI et des sûretés, et les possibles scénarios de récupération des sûretés ou d’appel en paiement des EPI, y compris les liens entre ces différents scénarios. Afin d’apprécier les dispositifs, stratégies, processus et mécanismes mis en œuvre par l’établissement de crédit concerné pour gérer le risque ainsi que les fonds propres et les liquidités détenus pour couvrir ce risque, la BCE a demandé des informations additionnelles sur, notamment, le traitement comptable et prudentiel, les mesures d’atténuation des risques, les mesures de liquidités et de fonds propres, et toute autre mesure utilisée pour atténuer le risque de surestimation des CET 1.

68      Sur la base des informations reçues, la BCE a par la suite procédé à l’examen de la situation de Deutsche Bank et de BHW Bausparkasse, ainsi que cela résulte de la décision du 21 décembre 2022.

69      Dans un premier temps, elle a constaté que Deutsche Bank et BHW Bausparkasse avaient souscrit des EPI, pour lesquels elles avaient fourni des sûretés (sous la forme d’un dépôt d’espèces), au profit du FRU et de l’EdB.

70      Dans un second temps, elle a fait état du traitement comptable des EPI et des sûretés tel qu’appliqué par Deutsche Bank et BHW Bausparkasse, ainsi que du traitement prudentiel appliqué aux sûretés inscrites à l’actif du bilan et de celui appliqué aux EPI hors bilan.

71      Plus spécifiquement, après l’exercice de la quantification du risque, la BCE a évalué si les CET 1 détenus par Deutsche Bank et BHW Bausparkasse assuraient une gestion et une couverture saines du risque de surestimation des CET 1. Elle a suivi une approche en cinq étapes.

72      En premier lieu, la BCE a évalué si Deutsche Bank et BHW Bausparkasse avaient partiellement couvert le risque de surestimation des CET 1 par des CET 1 qu’elles étaient déjà tenues de détenir au titre du dispositif de fonds propres applicables et qui pourraient contribuer à couvrir ce risque. En deuxième lieu, elle a vérifié si le niveau des CET 1, détenus par Deutsche Bank et BHW Bausparkasse au-delà des exigences globales de fonds propres qui leur étaient applicables, était susceptible de couvrir le risque de surestimation des CET 1. En troisième lieu, la BCE a évalué si une valeur économique positive pouvait être attribuée aux sûretés fournies en garantie des EPI d’un point de vue prudentiel, et ainsi réduire l’effet de la souscription aux EPI et de l’octroi des sûretés correspondantes sur la capacité des CET 1 à supporter les risques. En quatrième lieu, la BCE a évalué s’il existait des actifs ou des passifs d’impôt différé susceptibles de réduire le risque de surestimation des CET 1 et, en cinquième lieu, la BCE a examiné s’il existait d’autres circonstances ou d’autres mesures particulières appliquées par Deutsche Bank et BHW Bausparkasse qui seraient susceptibles d’atténuer le risque de surestimation des CET 1.

73      Après l’examen décrit ci-dessus et portant sur les fonds propres, la BCE a examiné si les liquidités détenues par Deutsche Bank et BHW Bausparkasse assuraient une gestion et une couverture saines du risque identifié.

74      En outre, la BCE a examiné si et comment les dispositifs, stratégies, processus et mécanismes mis en œuvre par Deutsche Bank et BHW Bausparkasse assuraient une gestion et une couverture saines du risque de surestimation des CET 1.

75      Force est de constater qu’il en résulte que la BCE a pris en compte les éléments pertinents, tels que visés par l’article 4, paragraphe 1, sous f), et par l’article 16, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1024/2013.

76      À cet égard, la BCE a évalué si les fonds propres et les liquidités détenus par Deutsche Bank et BHW Bausparkasse couvraient le risque identifié et a évalué si Deutsche Bank et BHW Bausparkasse avaient mis en place des dispositifs, stratégies, processus et mécanismes assurant la gestion de ce risque. En outre, il ressort de la décision du 21 décembre 2022 que la BCE a motivé son raisonnement. De même, il y a lieu de constater qu’elle a posé des questions pertinentes au regard du risque identifié.

77      Les arguments de Deutsche Bank et de BHW Bausparkasse ne permettent pas de remettre en cause ce qui précède.

78      À cet égard, Deutsche Bank et BHW Bausparkasse nient que la BCE ait effectué un examen individuel, puisque, en substance, les justifications de la mesure de déduction qu’elle leur a imposée sont identiques à celles des autres entités contrôlées pour la même évaluation des fonds propres.

79      Il importe toutefois de remarquer que si certains établissements appliquent plus ou moins un traitement comptable identique à celui de Deutsche Bank et de BHW Bausparkasse, il existe une forte probabilité que le même risque soit identifié sur la base de considérations similaires. Il convient également de rappeler que le Tribunal n’a pas exclu, dans les arrêts de 2020, que les risques identiques pouvaient être couverts par des mesures identiques (arrêt du 9 septembre 2020, BNP Paribas/BCE, T‑150/18 et T‑345/18, EU:T:2020:394, point 80).

80      S’agissant plus spécifiquement de l’argument selon lequel la BCE aurait créé une règle d’une portée générale visant les traitements comptables identiques à celui de Deutsche Bank et de BHW Bausparkasse, force est de constater que le traitement comptable des EPI est propre à chaque établissement et que les règles comptables applicables laissent une certaine marge, voire un choix, dont bénéficiaient Deutsche Bank et BHW Bausparkasse.

81      Force est également de constater que la BCE n’a pas remis en cause les méthodes comptables de reconnaissance et de valorisation appliquées par Deutsche Bank et BHW Bausparkasse par rapport aux normes comptables. Il est également constant que les comptes de Deutsche Bank et de BHW Bausparkasse ont été établis conformément aux dispositions du règlement (CE) no 1606/2002 du Parlement européen et du Conseil, du 19 juillet 2002, sur l’application des normes comptables internationales (JO 2002, L 243, p. 1). Il n’en demeure pas moins qu’un traitement comptable spécifique peut aboutir à un risque prudentiel spécifique.

82      À cet égard, il est possible de faire figurer l’engagement de paiement dans le bilan en tant que passif ou le contrat de sûreté dans le compte de profits et pertes. L’établissement qui appliquerait un tel traitement enregistrerait une perte, si bien qu’un montant équivalent serait déduit de son CET 1, au moment de la souscription de l’engagement. Il est également possible de ne pas enregistrer au bilan les EPI en tant que passif, donc d’opérer un traitement hors bilan, et, dans un même temps, d’inscrire les espèces fournies à titre de sûreté à l’actif du bilan en tant que créance envers le FRU. Un tel traitement comptable ne se traduit pas par une diminution des éléments de CET 1.

83      De même, du point de vue d’un traitement prudentiel, il est possible d’opérer une réduction volontaire ou alors de considérer que l’actif enregistré au bilan, représentant la créance de restitution des sommes placées en garantie, génère une exposition à un risque auquel une pondération spécifique doit être assignée, ce qui suscitera des exigences de fonds propres et qui, partant, pourrait couvrir partiellement le risque de surestimation des CET 1.

84      L’ensemble de ces possibilités se reflète, notamment, dans les décisions prises dans le cadre du SREP visant l’année 2022, que la BCE a produites à la suite d’une mesure d’organisation de la procédure et qui démontrent que l’examen de la situation individuelle des différents établissements souscrivant des EPI a conduit à des conclusions différentes. En effet, le montant des sommes placées en garantie et devenues par conséquent indisponibles a fait l’objet d’une déduction partielle, d’une déduction totale, voire d’aucune mesure de déduction selon les établissements concernés.

85      En l’espèce, la BCE a pris en compte le traitement comptable appliqué par Deutsche Bank et par BHW Bausparkasse en tant qu’élément factuel pour déterminer si et comment Deutsche Bank et BHW Bausparkasse géraient et couvraient les risques prudentiels encourus du fait de la souscription des EPI et de l’octroi de sûretés.

86      Ainsi, elle a constaté que Deutsche Bank et BHW Bausparkasse avaient opté pour un traitement comptable combiné, consistant en un traitement comptable hors bilan des EPI, tout en faisant figurer dans leur bilan comme un actif des sommes placées en garantie à leur valeur nominale totale. Un tel choix impliquait pour la BCE que la contribution ex ante au financement du FRU et de l’EdB ne se reflétât pas dans le bilan ayant pour conséquence un risque de surestimation des CET 1.

87      L’examen mené par la BCE visait justement à vérifier si ce risque était, d’une façon ou d’une autre, couvert.

88      Partant, il résulte de ce qui précède que le grief portant sur l’absence d’examen individuel doit être écarté.

–       Sur la méthodologie d’évaluation prétendument inadéquate et incohérente

89      Deutsche Bank et BHW Bausparkasse avancent que l’examen concernant la quantification du risque, l’évaluation des fonds propres et l’évaluation des liquidités, tel que décrit aux points 3.3.2 à 3.3.4 de la décision du 21 décembre 2022, ne repose pas sur une méthodologie adéquate. En effet, la BCE n’aurait pas appliqué sa propre méthodologie relative au SREP, telle que publiée sur son site Internet, ni les orientations de l’Autorité bancaire européenne (ABE) sur les procédures et méthodologies communes à appliquer dans le cadre du SREP. À titre d’exemple, elle se serait abstenue d’attribuer une note au risque lié aux EPI.

90      Deutsche Bank et BHW Bausparkasse soutiennent également que la méthodologie appliquée déroge aux règles légales et contractuelles régissant les EPI et les sûretés ainsi qu’aux normes comptables reconnues et applicables. Enfin, selon Deutsche Bank et BHW Bausparkasse, la BCE s’est soustraite à sa propre obligation de procéder à un examen au titre de l’article 16, paragraphe 1, sous c), et paragraphe 2, sous d), du règlement no 1024/2013 en utilisant un questionnaire demandant de fournir des informations relatives aux EPI.

91      Premièrement, force est de constater, ainsi qu’il a déjà été indiqué au point 66 ci-dessus, que la méthodologie utilisée par la BCE, qui consiste en un questionnaire détaillé, a été développée à la suite des arrêts de 2020 et vise à examiner l’existence d’un risque spécifique.

92      Compte tenu du contexte dans lequel cette méthodologie a été développée, le reproche selon lequel la BCE n’aurait pas appliqué sa méthodologie préconisée pour l’évaluation des risques pesant sur les fonds propres et sur les liquidités, telle que publiée sur son site Internet, ou celle préconisée par l’ABE est sans pertinence. En tout état de cause, Deutsche Bank et BHW Bausparkasse n’ont pas expliqué à suffisance leur argumentation.

93      Deuxièmement, en ce que Deutsche Bank et BHW Bausparkasse critiquent le fait que la BCE leur a demandé de fournir des informations au moyen d’un questionnaire, il suffit de constater que ledit questionnaire s’inscrivait dans le cadre de leur obligation de prêter assistance à la BCE pour la clarification des faits dans le cadre d’une procédure relative au SREP, conformément à l’article 28, paragraphe 3, du règlement (UE) no 468/2014 de la BCE, du 16 avril 2014, établissant le cadre de la coopération au sein du mécanisme de surveillance unique entre la BCE, les autorités compétentes nationales et les autorités désignées nationales (le « règlement-cadre MSU ») (JO 2014, L 141, p. 1). Ce questionnaire permettait également à Deutsche Bank et à BHW Bausparkasse de prendre position sur cet examen.

94      Troisièmement, il y a lieu de constater que, en estimant que la méthodologie appliquée dérogerait aux règles légales et contractuelles régissant les EPI et les sûretés ainsi qu’aux règles comptables, Deutsche Bank et BHW Bausparkasse font référence au fait qu’elles conserveraient la propriété économique des sûretés en question. Or, à cet égard, il suffit de rappeler que les règles comptables ne sont pas remises en cause et que, ainsi qu’il a déjà été mentionné au point 49 ci-dessus, le fait qu’elles resteraient les propriétaires économiques des sûretés ne remet pas en cause l’absence de contrôle effectif qu’elles ont sur celles-ci.

95      Quatrièmement, il convient de rejeter l’argument de Deutsche Bank et de BHW Bausparkasse selon lequel la BCE aurait commis une grave erreur de procédure en ne posant pas toutes les questions pertinentes pour établir les faits pertinents relatifs à leur situation.

96      En effet, Deutsche Bank et BHW Bausparkasse critiquent uniquement le fait que, dans le questionnaire, la BCE n’a pas posé de questions sur les dispositifs, stratégies, processus et mécanismes qu’elles mettraient en place si les exigences de déduction imposées par la décision relative au SREP de 2019, décision qui a précédé celle prise le 2 février 2022 après une pause due à la pandémie de COVID-19 et imposant une mesure de déduction similaire, étaient levées ou n’étaient pas imposées.

97      Or, force est de constater que l’article 16, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1024/2013 impose à la BCE de procéder à un examen individuel pour déterminer si les dispositifs, stratégies, processus et mécanismes mis en œuvre par l’établissement de crédit et les fonds propres et liquidités qu’il détient assurent une gestion saine et une couverture de ses risques. Il s’ensuit que la BCE doit évaluer une situation réelle et non une situation hypothétique. En outre, il va de soi que la BCE ne peut pas se fonder, lorsqu’elle prend des mesures, sur des situations hypothétiques. Par ailleurs, il y a lieu de relever que Deutsche Bank et BHW Bausparkasse ont fait usage, lors de la procédure administrative, de la possibilité de s’exprimer dans la mesure où elles ont expliqué leur traitement comptable des EPI et des sûretés qu’elles avaient avant que la décision relative au SREP de 2019 soit prise, ainsi que les réserves qu’elles avaient à l’égard de cette décision. En outre, une mesure imposée afin de remédier au risque identifié n’exclut pas qu’un établissement de crédit puisse opter pour d’autres mesures pour y remédier de sorte que, au prochain cycle relatif au SREP, la BCE puisse les prendre en compte. En tout état de cause, la BCE peut uniquement prendre en compte les dispositifs et processus effectifs mis en place par les établissements de crédit concernés.

–       Sur les prétendues erreurs manifestes d’appréciation

98      S’agissant des prétendues erreurs manifestes d’appréciation et du reproche selon lequel la BCE aurait fondé sa décision sur des faits inexacts, il convient de constater que Deutsche Bank et BHW Bausparkasse réitèrent les arguments déjà développés dans le cadre des autres griefs, à savoir l’utilisation d’une méthodologie inadéquate, le fait que le risque identifié ne saurait être déterminé sans évaluer le risque suscité par l’appel en paiement et le fait qu’elles restent les propriétaires économiques des sûretés. Ces facteurs auraient amené la BCE à utiliser des faits inexacts et à commettre des erreurs manifestes d’appréciation dans la décision du 21 décembre 2022.

99      Pour les mêmes motifs que ceux exposés dans le cadre des précédents griefs, ces arguments ne peuvent prospérer.

100    Ainsi qu’il a déjà été constaté, la BCE a utilisé une méthodologie adéquate à l’aune du risque identifié.

101    De même, l’argument tiré de la nature juridique des EPI en tant qu’obligations de paiement conditionnel, qui consiste à alléguer que la BCE aurait également dû examiner le risque suscité par l’appel en paiement des EPI et en tenir compte, a déjà été écarté. Partant, la décision du 21 décembre 2022 ne repose pas, à cet égard, sur des faits inexacts ou des erreurs manifestes d’appréciation.

102    En outre, l’argument de Deutsche Bank et de BHW Bausparkasse selon lequel elles resteraient, selon les règles comptables appliquées, les propriétaires économiques des sûretés octroyées ne change rien au fait que celles-ci ne sont pas disponibles pour absorber des pertes dès qu’elles se présentent.

103    Partant, l’argument selon lequel la décision du 21 décembre 2022 reposerait sur une évaluation erronée de leurs fonds propres en ce que la BCE aurait constaté, d’une façon manifestement erronée, que les sûretés fournies n’auraient aucune valeur économique doit être écarté.

104    À cet égard, le fait que Deutsche Bank et BHW Bausparkasse peuvent récupérer la sûreté en rendant leur licence ou en transférant les EPI à un autre établissement n’ajoute aucune valeur économique positive en termes de capacité des CET 1 à supporter les risques étant donné que les CET 1 doivent pouvoir absorber les pertes dès qu’elles se présentent tandis que Deutsche Bank et BHW Bausparkasse étaient engagées dans une stratégie de continuité d’exploitation.

105    De même, le fait que ni le FRU ni l’EdB ne bénéficiaient d’un droit d’utiliser ou de disposer des sûretés avant d’appeler en paiement les EPI ne rendait pas celles-ci disponibles pour Deutsche Bank et BHW Bausparkasse en continuité d’exploitation, puisqu’elles devaient rester disponibles et non grevées à l’égard du CRU ou de l’EdB aux fins d’un éventuel appel en paiement. Cette considération est donc dénuée de pertinence aux fins de la détermination de la valeur économique des sûretés en termes de capacité à supporter les risques.

–       Sur l’évaluation prétendument erronée des dispositifs, stratégies, processus et mécanismes de gestion et de suivi de l’éventuel risque lié aux EPI

106    Deutsche Bank et BHW Bausparkasse reprochent à la BCE de ne pas avoir tenu compte de la décision relative au SREP de l’année précédente, d’avoir violé le principe d’équité et de ne pas avoir envisagé de supprimer l’exigence de déduction de la décision relative au SREP de 2019.

107    Les allégations de Deutsche Bank et de BHW Bausparkasse ne sont pas fondées.

108    En premier lieu, la BCE a pris en compte, dans la décision du 21 décembre 2022, la déduction fondée sur l’exigence imposée dans la décision relative au SREP de l’année précédente. Il n’en demeure pas moins que chaque cycle SREP est un cycle autonome dans lequel le risque lié aux EPI est réévalué, de sorte que la mise en place des dispositifs, stratégies, processus et mécanismes demeure pertinente.

109    En deuxième lieu, Deutsche Bank et BHW Bausparkasse ne peuvent valablement reprocher à la BCE de ne pas les avoir informées, au préalable, de son intention de demander à nouveau une mesure de déduction. À cet égard, bien que Deutsche Bank et BHW Bausparkasse aient respecté la décision relative au SREP de l’année précédente, elles n’ont pas développé de manière indépendante un mécanisme interne pour remédier au risque identifié dans ladite décision. Or, si elles appliquent la déduction résultant de la décision relative au SREP de l’année précédente sans développer un mécanisme apte à prévenir de façon systématique le risque précédemment identifié, Deutsche Bank et BHW Bausparkasse s’exposent à la possibilité qu’une mesure similaire soit exigée l’année suivante.

110    En troisième lieu, l’article 16, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1024/2013 confère à la BCE le pouvoir d’exiger, dans le cadre de ses activités de surveillance, le renforcement des dispositifs, processus, mécanismes et stratégies. Toutefois, comme l’a fait valoir à juste titre la BCE, elle n’est pas tenue, du point de vue de l’équité procédurale, de demander d’abord le renforcement des dispositifs, processus, mécanismes et stratégies en vertu de l’article 16, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1024/2013 avant d’imposer une déduction en vertu de l’article 16, paragraphe 2, sous d), dudit règlement.

111    Il résulte de ce qui précède que les griefs avancés dans le cadre du premier moyen doivent être rejetés et, partant, le premier moyen dans son ensemble.

 Sur le second moyen, tiré de la violation du principe de proportionnalité

112    Deutsche Bank et BHW Bausparkasse avancent que la BCE a commis une erreur de droit dans la décision du 21 décembre 2022 concernant la proportionnalité des mesures exigées. Selon elles, même en partant de l’hypothèse que les exigences de l’article 16, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1024/2013 seraient satisfaites, et que les dispositifs, stratégies, processus et mécanismes qu’elles avaient mis en œuvre ainsi que les fonds propres et les liquidités qu’elles détenaient n’assuraient pas une gestion saine et la couverture du risque lié aux EPI, la BCE aurait dû tenir compte du fait que l’article 16, paragraphe 2, de ce même règlement prévoyait d’autres mesures appropriées et moins contraignantes. Ainsi, la BCE aurait pu exiger le renforcement des dispositifs, processus, mécanismes et stratégies nécessaires pour remédier de manière appropriée au risque lié aux EPI en application de l’article 16, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1024/2013. Elle aurait également pu demander l’augmentation des exigences de fonds propres additionnels en application de l’article 16, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1024/2013. En tout état de cause, la probabilité que des EPI soient réellement et totalement appelés en paiement serait inférieure à 100 %, ce qui impliquerait qu’une mesure visant à la déduction de la totalité du montant des EPI ou des sûretés qui y sont liées ne saurait être appropriée et nécessaire.

113    En outre, Deutsch Bank et BHW Bausparkasse estiment que la BCE a modifié les « exigences de déclaration COREP » applicables à leurs fonds propres. Elles estiment également que la BCE suppose à tort que les EPI seront appelés, ce qui signifie que la probabilité de la survenance de l’évènement s’élève à 100 % alors que, en réalité, un tel appel est extrêmement improbable, de sorte qu’elles peuvent récupérer la sûreté à leur entière discrétion, soit en rendant leur licence soit en transférant les EPI. Par conséquent, le risque lié aux EPI serait un risque futur, qui pourrait être couvert de manière adéquate par une augmentation des exigences de fonds propres supplémentaires.

114    La BCE réfute l’argumentation de Deutsche Bank et de BHW Bausparkasse et conclut au rejet de ce moyen.

115    À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon l’article 5, paragraphe 4, TUE, en vertu du principe de proportionnalité, le contenu et la forme de l’action de l’Union n’excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs des traités. Les institutions de l’Union appliquent le principe de proportionnalité conformément au protocole no 2 sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, annexé au TFUE.

116    En application d’une jurisprudence constante, le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union soient aptes à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause et ne dépassent pas les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de ces objectifs, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêt du 16 mai 2017, Landeskreditbank Baden-Württemberg/BCE, T‑122/15, EU:T:2017:337, point 67 et jurisprudence citée).

117    En outre, selon la Cour, l’appréciation de la proportionnalité d’une mesure doit se concilier avec le respect de la marge d’appréciation éventuellement reconnue aux institutions de l’Union à l’occasion de son adoption (voir arrêt du 8 mai 2019, Landeskreditbank Baden-Württemberg/BCE, C‑450/17 P, EU:C:2019:372, point 53 et jurisprudence citée).

118    En l’espèce, après avoir constaté que l’existence du risque identifié non couvert donnait lieu à la situation problématique visée à l’article 16, paragraphe l, sous c), du règlement no 1024/2013 et que, afin de remédier à ce problème, elle pouvait exercer les pouvoirs que lui conférait l’article 16, paragraphe 2, sous d), de ce même règlement pour exiger de l’établissement concerné qu’il applique à ses actifs une politique spéciale de provisionnement ou un traitement spécial en termes d’exigences de fonds propres, la BCE a examiné la proportionnalité de la mesure de déduction.

119    En premier lieu, la BCE a déterminé que l’exigence de déduction était appropriée pour remédier au risque de surestimation des CET 1, car elle remédiait spécifiquement à la perte de ressources économiques déjà survenue. En second lieu, la BCE a évalué si l’exigence de déduction était nécessaire et, notamment, s’il existait d’autres mesures alternatives, moins onéreuses et susceptibles d’atteindre de la même manière l’objectif de ne déclarer que les CET 1 capables de supporter les risques.

120    La BCE a considéré que cet objectif ne serait pas atteint par le recours à d’autres mesures au titre du « deuxième pilier » en vertu de l’article 16, paragraphe 2, sous a), visant l’augmentation des exigences de fonds propres, et sous i), visant la limitation de distribution de dividendes, du règlement no 1024/2013.

121    Force est de constater que l’analyse portant sur la proportionnalité de la mesure de déduction n’est pas erronée.

122    À cet égard, en premier lieu, il convient de rappeler que le risque identifié concerne le risque de surestimation des CET 1 et non le risque d’appel en paiement des EPI. Pour cette raison, l’argument tiré d’une probabilité d’un appel de moins de 100 % justifiant des mesures alternatives et moins onéreuses ne saurait prospérer.

123    En deuxième lieu, la BCE n’est pas tenue, du point de vue de la proportionnalité, de demander d’abord le renforcement des dispositifs, stratégies, processus et mécanismes en vertu de l’article 16, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1024/2013 avant d’imposer une déduction en vertu de l’article 16, paragraphe 2, sous d), dudit règlement. En effet, une simple exigence de renforcement des dispositifs, stratégies, processus et mécanismes sans mise en œuvre effective et sans exiger que la surestimation des CET 1 soit corrigée par une déduction appropriée aboutirait à une situation dans laquelle le risque non couvert de l’établissement de crédit concerné perdurerait jusqu’au moment où lesdits dispositifs, stratégies, processus et mécanismes seraient renforcés.

124    En troisième lieu, s’agissant de l’argument de Deutsche Bank et de BHW Bausparkasse selon lequel elles sont tenues d’utiliser le modèle prévu à l’annexe I du règlement d’exécution 2021/451 afin de répondre à l’obligation de déclaration, il convient de rappeler que cette obligation ne modifie pas leur obligation de déclaration figurant à l’article 430, paragraphe 1, du règlement no 575/2013 (voir point 56 ci-dessus). En outre, un tel argument ne saurait utilement être invoqué pour établir la violation du principe de proportionnalité alléguée.

125    Eu égard à ce qui précède, le second moyen doit être écarté et, par voie de conséquence, le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

126    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

127    Deutsche Bank, BHW Bausparkasse et norisbank ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la BCE.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Le recours introduit par Deutsche Bank AG et tendant à l’annulation des mesures imposées sur une base individuelle en vertu du point 1.3 de la décision ECB-SSM-2022-DEDEB-6 de la Banque centrale européenne (BCE), du 2 février 2022, est rejeté comme étant irrecevable.

2)      Le recours introduit par norisbank GmbH et tendant à l’annulation des mesures imposées sur une base individuelle en vertu du point 1.3 de la décision ECB-SSM-2022-DEDEB-6 de la BCE, du 2 février 2022, est rejeté comme étant irrecevable.

3)      Le recours est rejeté pour le surplus comme étant non fondé.

4)      Deutsche Bank, BHW Bausparkasse AG et norisbank sont condamnées aux dépens.

Schalin

Škvařilová-Pelzl

Nõmm

Steinfatt

 

      Kukovec

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 5 juin 2024.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.