Language of document : ECLI:EU:C:2022:306

Affaires jointes C415/20, C419/20 et C427/20

Gräfendorfer Geflügel- und Tiefkühlfeinkost Produktions GmbH
et
F. Reyher Nchfg. GmbH & Co. KG vertr. d. d. Komplementärin Verwaltungsgesellschaft F. Reyher Nchfg. mbH

contre

Hauptzollamt Hamburg

et

Flexi Montagetechnik GmbH & Co. KG

contre

Hauptzollamt Kiel

(demandes de décision préjudicielle, introduites par le Finanzgericht Hamburg)

 Arrêt de la Cour(deuxième chambre) du 28 avril 2022

« Renvoi préjudiciel – Union douanière – Droits au remboursement ou au paiement de sommes d’argent perçues ou refusées par un État membre en violation du droit de l’Union – Droits antidumping, droits à l’importation, restitutions à l’exportation et sanctions pécuniaires – Notion de “violation du droit de l’Union” – Interprétation ou application erronée de ce droit – Constat de l’existence d’une violation dudit droit par une juridiction de l’Union ou par une juridiction nationale – Droit au versement d’intérêts – Période couverte par ce versement d’intérêts »

1.        Droit de l’Union européenne – Droits conférés aux particuliers – Droits au remboursement ou au paiement de sommes d’argent perçues ou refusées par un État membre en violation du droit de l’Union – Droit au versement d’intérêts sur ces sommes d’argent – Portée – Restitutions à l’exportation refusées en violation du droit de l’Union et octroyées avec retard – Sanction pécuniaire imposée en raison de cette violation – Inclusion


 

(voir points 51, 52, 54, 56-59, 85 et disp.)

2.        Droit de l’Union européenne – Droits conférés aux particuliers – Droits au remboursement ou au paiement de sommes d’argent perçues ou refusées par un État membre en violation du droit de l’Union – Droit au versement d’intérêts sur ces sommes d’argent – Notion de violation du droit de l’Union – Interprétation ou application erronée de ce droit par une autorité nationale – Constat de l’existence d’une violation dudit droit par une juridiction de l’Union ou par une juridiction nationale – Inclusion


 

(voir points 60-64, 66, 69, 85 et disp.)

3.        Droit de l’Union européenne – Droits conférés aux particuliers – Droits au remboursement ou au paiement de sommes d’argent perçues ou refusées par un État membre en violation du droit de l’Union – Droit au versement d’intérêts sur ces sommes d’argent – Modalités – Application du droit national – Conditions – Respect des principes d’équivalence et d’effectivité – Exclusion d’intérêts pour la période antérieure à l’introduction d’un recours juridictionnel visant le paiement ou le remboursement de la somme d’argent en cause – Inadmissibilité – Obligation d’introduction d’un recours juridictionnel – Admissibilité – Limites

(voir points 73-77, 79-81, 84, 85 et disp.)

Résumé

Trois sociétés établies en Allemagne se sont vues imposer, par des autorités douanières allemandes, le paiement de différentes sommes d’argent en lien avec, respectivement, l’exportation de carcasses de volailles vers des pays tiers, l’importation d’éléments de fixation métalliques et l’importation de mousquetons dans l’Union. Dans le cadre de différents recours, des juridictions allemandes ont ultérieurement constaté que les actes pris par les autorités douanières à l’égard de ces trois sociétés étaient fondés sur une interprétation de dispositions du droit de l’Union ne correspondant pas à la jurisprudence de la Cour ou sur une application erronée de celles-ci.

À la suite de ces décisions, l’autorité douanière compétente a payé à la première société - Gräfendorfer (affaire C‑415/20) - les restitutions à l’exportation initialement refusées à celle-ci et lui a remboursé la sanction pécuniaire qui lui avait été imposée en lien avec ce refus, sans pour autant verser des intérêts sur ces sommes. Les deux autres sociétés, Reyher (affaire C‑419/20) et Flexi Montagetechnik (affaire C‑427/20), ont obtenu respectivement le remboursement des montants des droits antidumping et des droits à l’importation qu’elles avaient payés. Toutefois, les autorités douanières ont versé seulement une partie des intérêts sur ces montants, en refusant le versement d’intérêts, s’agissant de la deuxième société, pour la période antérieure au remboursement et, s’agissant de la troisième société, pour la période antérieure à la date à laquelle celle-ci avait introduit une procédure juridictionnelle.

N’ayant ainsi pas obtenu un versement intégral des intérêts demandés, chacune des trois sociétés a introduit un recours devant le Finanzgericht Hamburg (tribunal des finances de Hambourg, Allemagne). Dans ce contexte, cette juridiction se pose plusieurs questions sur la portée, en l’espèce, des principes dégagés par la Cour dans sa jurisprudence relative au remboursement de sommes d’argent perçues par les États membres en violation du droit de l’Union ainsi qu’au versement des intérêts correspondants.

Saisie à titre préjudiciel, la Cour juge que lesdits principes s’appliquent notamment, d’une part, au regard de restitutions à l’exportation refusées en violation du droit de l’Union et octroyées avec retard et, d’autre part, au regard d’une sanction pécuniaire imposée en raison d’une telle violation. Par ailleurs, ces principes s’appliquent lorsqu’il résulte d’une décision de la Cour ou d’une juridiction nationale que le paiement de telles restitutions à l’exportation, d’une telle sanction pécuniaire ou encore de droits antidumping ou à l’importation a été refusé ou imposé du fait d’une violation du droit de l’Union, entendue comme une interprétation ou une application erronées de ce droit. Dans de tels cas de figure, le droit national ne peut exclure du versement d’intérêts la période antérieure à l’introduction d’un recours juridictionnel visant à obtenir le paiement ou le remboursement de la somme d’argent en cause. Toutefois, sous certaines conditions, le versement d’intérêts pourrait éventuellement être conditionné à l’introduction d’un tel recours.

Appréciation de la Cour

Tout d’abord, la Cour rappelle que, en vertu du principe général de répétition de l’indu, tout administré auquel une autorité nationale a imposé le paiement d’une taxe, d’un droit, d’un impôt ou d’un autre prélèvement en violation du droit de l’Union a, en vertu de ce dernier, le droit d’obtenir de l’État membre concerné le remboursement de la somme d’argent indûment perçue ainsi que le versement d’intérêts visant à compenser l’indisponibilité de cette somme.

Ces droits s’appliquent ainsi, notamment, au regard d’une sanction pécuniaire infligée à tort par une autorité nationale en application d’un acte du droit de l’Union ou de dispositions du droit interne adoptées en vue d’exécuter un tel acte, de le transposer ou d’en assurer le respect. Partant, l’intéressé a droit au remboursement d’une telle sanction pécuniaire ainsi qu’au versement d’intérêts. Ces intérêts sont, par analogie, également dus lorsque des restitutions à l’exportation ont été payées avec retard à un administré, en violation du droit de l’Union.

Ensuite, la Cour apporte des précisions concernant la circonstance, fondant le droit au remboursement et au versement d’intérêts, consistant dans le fait que le paiement d’une somme d’argent a été imposé ou refusé par une autorité nationale « en violation du droit de l’Union ».Une telle violation peut ainsi concerner, notamment, le cas de figure où une autorité nationale a imposé ou refusé ce paiement en faisant une application erronée d’un acte de l’Union ou d’une réglementation nationale assurant l’exécution ou la transposition d’un tel acte. Par ailleurs, l’existence d’une violation du droit de l’Union peut non seulement être établie par le juge de l’Union, mais aussi par une juridiction nationale, que celle-ci soit appelée à tirer les conséquences d’un constat d’illégalité ou d’invalidité préalablement effectué par le juge de l’Union ou à constater qu’un acte adopté par une autorité nationale est vicié par une mise en œuvre erronée du droit de l’Union.

En l’absence de réglementation de l’Union, il appartient au législateur national de prévoir les modalités du versement d’intérêts en cas de remboursement de sommes d’argent perçues ou refusées en violation du droit de l’Union, tout en respectant les principes d’équivalence et d’effectivité. En particulier, de tels intérêts doivent pouvoir être également demandés et obtenus par un administré pour la période allant de la date à laquelle la somme d’argent en cause a été payée à l’État membre concerné ou aurait dû être octroyée à l’administré à la date de l’introduction d’un recours juridictionnel visant à obtenir le remboursement ou l’octroi de ces sommes d’argent.

Cela étant, il n’est pas nécessairement exclu qu’une législation nationale prévoie que le versement d’intérêts n’est dû que si un recours juridictionnel a été introduit. La juridiction nationale doit toutefois vérifier que cette condition n’aboutit pas à rendre excessivement difficile, voire impossible, l’exercice des droits que les administrés tirent du droit de l’Union.