Language of document : ECLI:EU:C:1998:303

ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

18 juin 1998 (1)

«Recours en manquement — Entente — Fixation de tarifs professionnels — Expéditeurs en douane — Législation renforçant les effets de l'entente»

Dans l'affaire C-35/96,

Commission des Communautés européennes, représentée par M. Enrico Traversa, membre du service juridique, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du même service, Centre Wagner, Kirchberg,

partie requérante,

contre

République italienne, représentée par M. le professeur Umberto Leanza, chef du service du contentieux diplomatique du ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, assisté de M. Pier Giorgio Ferri, avvocato dello Stato, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade d'Italie, 5, rue Marie-Adélaïde,

partie défenderesse,

ayant pour objet de faire constater par la Cour que, en adoptant et en maintenant en vigueur une loi qui impose au Consiglio nazionale degli spedizionieri doganali (Conseil national des expéditeurs en douane), par l'attribution du pouvoir de décision correspondant, l'adoption d'une décision d'association d'entreprises

contraire à l'article 85 du traité CE en ce qu'elle fixe un tarif obligatoire pour tous les expéditeurs en douane, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 5 et 85 de ce même traité,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de MM. C. Gulmann, président de chambre, M. Wathelet (rapporteur), J. C. Moitinho de Almeida, P. Jann et L. Sevón, juges,

avocat général: M. G. Cosmas,


greffier: M. R. Grass,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 4 décembre 1997,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 12 février 1998,

rend le présent

Arrêt

1.
    Par requête déposée au greffe de la Cour le 9 février 1996, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CE, un recours visant à faire constater que, en adoptant et en maintenant en vigueur une loi qui impose au Consiglio nazionale degli spedizionieri doganali (Conseil national des expéditeurs en douane, ci-après le «CNSD»), par l'attribution du pouvoir de décision correspondant, l'adoption d'une décision d'association d'entreprises contraire à l'article 85 du traité CE en ce qu'elle fixe un tarif obligatoire pour tous les expéditeurs en douane, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 5 et 85 de ce même traité.

2.
    En Italie, l'activité des expéditeurs en douane indépendants est réglementée par la loi n° 1612, du 22 décembre 1960, relative à la reconnaissance juridique de la profession d'expéditeur en douane et à l'institution des registres et du fonds de prévoyance en faveur des expéditeurs en douane (GURI n° 4 du 5 janvier 1961, ci-après la «loi n° 1612/1960»), et par des dispositions d'exécution, notamment par des décrets présidentiels et ministériels.

3.
    Cette activité implique la prestation de services dans le cadre de la procédure de dédouanement (article 1er de la loi n° 1612/1960). Son exercice est subordonné à la possession d'un agrément (patente) et à une inscription au registre national des

expéditeurs en douane. Celui-ci se compose de l'ensemble des registres départementaux tenus par les Consigli compartimentali (conseils départementaux des expéditeurs en douane), institués dans chaque département douanier (articles 2 et 4 à 12 de la loi n° 1612/1960).

4.
    La surveillance de l'activité des expéditeurs en douane est exercée par les conseils départementaux des expéditeurs en douane. Les membres de ceux-ci sont élus à bulletin secret par les expéditeurs en douane inscrits au registre des différentes directions départementales pour un mandat de deux ans, renouvelable; la présidence est assumée par un membre élu par ses pairs (article 10 de la loi n° 1612/1960).

5.
    Les conseils départementaux des expéditeurs en douane sont chapeautés par le CNSD, un organisme de droit public, composé de neuf membres désignés à bulletin secret par les membres des conseils départementaux des expéditeurs en douane et présidé par un membre élu parmi ses pairs (article 12 de la loi n° 1612/1960). Jusqu'en 1992, le directeur général des douanes et impôts indirects en était membre de droit et occupait la fonction de président. Cette règle a cependant été supprimée par l'article 32 du décret-loi n° 331 du 30 août 1992 (ci-après le «décret-loi n° 331/1992»). Les membres du CNSD sont nommés pour trois ans et peuvent être réélus (article 13, paragraphe 2, de la loi n° 1612/1960).

6.
    Ne peuvent être élus comme membres des conseils départementaux ou du CNSD que des expéditeurs en douane inscrits sur les registres (articles 8, deuxième alinéa, et 22, deuxième alinéa, du décret du ministre des Finances du 10 mars 1964).

7.
    Le CNSD est notamment chargé d'établir le tarif des prestations professionnelles des expéditeurs en douane sur la base des propositions des conseils départementaux [article 14, sous d), de la loi n° 1612/1960]. Le tarif est obligatoire (article 11, deuxième alinéa, de la loi n° 1612/1960). Les contrevenants s'exposent à des sanctions disciplinaires allant du blâme à la suspension temporaire du registre en cas de récidive, voire à la radiation du registre en cas de suspension prononcée deux fois en cinq ans par le conseil départemental (articles 38 à 40 du décret du ministre des Finances, du 10 mars 1964, portant règles d'application de la loi n° 1612/1960, GURI, supplemento ordinario, n° 102, du 24 avril 1964).

8.
    Lors de la séance du 21 mars 1988, le CNSD a adopté le tarif des prestations professionnelles des expéditeurs en douane (ci-après le «tarif») dans les termes suivants:

«Le présent tarif prévoit les montants minimaux et maximaux à payer pour les opérations en douane et les prestations fournies dans les domaines monétaire, commercial et fiscal, y compris en matière de contentieux fiscal. Pour déterminer concrètement le prix à payer compris entre le montant minimal et le montant

maximal, il convient de prendre en considération les caractéristiques, la nature et l'importance de la prestation» (article 1er).

«En relation avec les dispositions de l'article 1er ci-dessus, le présent tarif est toujours obligatoire à l'égard du mandant et annule toute autre convention contraire...» (article 5).

«Le Conseil national des expéditeurs en douane est habilité à prononcer des dérogations particulières et/ou temporaires aux montants minimaux prévus par le présent tarif» (article 6).

«Le Conseil national des expéditeurs en douane procède à la mise à jour du présent tarif, selon les indices fournis par l'Istat (Institut central de statistiques) — secteur industriel — à compter de la date de la décision y relative» (article 7).

9.
    Ce tarif a été approuvé par le ministre des Finances italien par décret du 6 juillet 1988 (GURI n° 168, du 19 juillet 1988, p. 19).

10.
    En application de l'article 7 du tarif, le CNSD a décidé, lors de sa séance du 15 décembre 1989, de majorer de 8 % les prix fixés par le tarif à compter du 1er janvier 1990 (communiqué du ministère des Finances, publié au GURI n° 299, du 23 décembre 1989).

11.
    La Commission a initié trois procédures distinctes contre la législation italienne.

12.
    Le 24 mars 1992, elle a introduit une requête devant la Cour visant à faire constater que la République italienne avait violé les articles 9 et 12 du traité CE en approuvant le tarif. Ce recours a été rejeté par l'arrêt du 9 février 1994, Commission/Italie (C-119/92, Rec. p. I-393), faute d'obligation pour l'importateur d'avoir recours en toute hypothèse aux services d'un expéditeur professionnel (point 46).

13.
    Le 30 juin 1993, la Commission a arrêté la décision 93/438/CEE relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/33.407 — CNSD, JO L 203, p. 27), dans laquelle elle a constaté que le tarif constituait une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité. Le CNSD a introduit un recours en annulation à l'encontre de cette décision, qui est actuellement pendant devant le Tribunal de première instance des Communautés européennes (affaire T-513/93) et dont celui-ci a décidé de reporter l'examen jusqu'au prononcé de l'arrêt de la Cour dans la présente affaire (ordonnance du Tribunal de première instance, du 6 mai 1996, non publiée au Recueil).

14.
    Enfin, considérant que la législation nationale en cause contrevenait aux articles 5 et 85 du traité, la Commission a engagé la procédure précontentieuse à l'origine du présent recours.

15.
    Par lettre du 18 octobre 1993, elle a mis le gouvernement italien en demeure de présenter ses observations à cet égard dans un délai de deux mois.

16.
    En l'absence de réponse, la Commission a, le 21 juin 1995, émis un avis motivé invitant la République italienne à adopter les mesures nécessaires pour s'y conformer dans les deux mois à compter de sa notification.

17.
    Les autorités italiennes n'ayant pas donné suite à cet avis motivé, la Commission a saisi la Cour du présent recours.

18.
    Dans un mémoire déposé le 15 mai 1996, le gouvernement italien a soulevé une exception d'irrecevabilité conformément à l'article 91, paragraphe 1, du règlement de procédure.

19.
    La Cour a décidé de joindre son examen à celui du fond de l'affaire.

20.
    Le gouvernement italien n'a pas présenté de mémoire en défense.

Sur l'exception d'irrecevabilité

21.
    Dans un premier moyen, le gouvernement italien soutient que la Commission ne pouvait engager une seconde procédure en constatation de manquement pour des griefs fondés sur les articles 5 et 85 du traité, sans se désister du premier recours, relatif à la violation des articles 9 et 12 du traité.

22.
    La raison en serait tout d'abord que les pratiques incriminées consistent soit dans l'imposition d'une taxe, soit dans la conclusion d'un accord par une association d'entreprises et entériné par l'État membre concerné, mais ne peuvent constituer les deux en même temps.

23.
    Ensuite, il ressortirait de l'économie générale des règles relatives au recours en manquement que, une fois saisie, la Cour doit inéluctablement rendre un arrêt sur le fond du litige, à moins que le requérant ne se désiste de son recours. Dès lors, si la Commission acquiert la conviction que l'État n'a pas manqué aux obligations dont la violation lui a été reprochée dans l'avis motivé émis dans le cadre de la première procédure, mais à d'autres obligations incompatibles avec celles-ci, elle ne peut simultanément continuer à exiger de la Cour qu'elle se prononce sur ledit avis et engager une nouvelle procédure portant sur une contestation distincte et incompatible avec la première.

24.
    Enfin, en procédant de la sorte, la Commission aurait violé les droits de la défense du gouvernement italien, car elle l'aurait contraint à se défendre simultanémentdans deux causes ayant pour objet les mêmes faits mais fondées sur des dispositions différentes.

25.
    Dans un second moyen, le gouvernement italien fait état de lacunes dans la lettre de mise en demeure et dans l'avis motivé. Ainsi, seule la requête contiendrait une analyse détaillée des éléments constitutifs de la prétendue infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité. En revanche, tant dans la lettre de mise en demeure que dans l'avis motivé, la Commission se serait bornée, pour la violation de l'article 85, paragraphe 1, à renvoyer à la décision 93/438. Or, selon une jurisprudence constante, l'avis motivé devrait contenir un exposé cohérent et détaillé des raisons ayant amené la Commission à la conviction que l'État intéressé a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu du traité (arrêt du 11 juillet 1991, Commission/Portugal, C-247/89, Rec. p. I-3659).

26.
    S'agissant du premier moyen, outre le fait que seule la mise en demeure dans la présente affaire a été effectuée à un moment où la Cour n'avait pas encore rendu son arrêt dans l'affaire C-119/92, il convient de rappeler que, conformément aux articles 155 et 169 du traité CE, la Commission est la gardienne de la légalité communautaire. En cette qualité, elle a pour mission de veiller, dans l'intérêt général communautaire, à la bonne application du traité par les États membres et de faire constater, en vue de leur cessation, l'existence de manquements éventuels aux obligations qui en dérivent (arrêt du 4 avril 1974, Commission/France, 167/73, Rec. p. 359, point 15).

27.
    C'est donc à la Commission qu'il incombe d'apprécier l'opportunité d'agir contre un État membre, de déterminer les dispositions qu'il aurait violées et de choisir le moment où elle initiera la procédure en manquement à son encontre, les considérations qui déterminent ce choix ne pouvant affecter la recevabilité de l'action (arrêt du 1er juin 1994, Commission/Allemagne, C-317/92, Rec. p. I-2039, point 4).

28.
    Par ailleurs, comme l'objet du litige soumis à la Cour est circonscrit par l'avis motivé, dans la mesure où le recours doit être fondé sur les mêmes motifs et moyens que celui-ci (arrêts du 7 février 1984, Commission/Italie, 166/82, Rec. p. 459, point 16; du 1er décembre 1993, Commission/Danemark, C-234/91, Rec. p. I-6273, point 16, et du 12 janvier 1994, Commission/Italie, C-296/92, Rec. p. I-1, point 11), la Commission n'a d'autre possibilité, lorsqu'elle considère que la législation nationale incriminée viole d'autres règles de droit communautaire, violations qu'elle souhaite aussi faire constater, que de diligenter une nouvelle procédure en manquement afin de s'acquitter pleinement des missions qui lui sont assignées par les articles 155 et 169 du traité.

29.
    Des considérations qui précèdent, il découle que le fait qu'un État membre doive se défendre dans deux causes distinctes ayant pour objet les mêmes faits mais fondées sur des dispositions différentes ne saurait en soi constituer une violation des droits de la défense. Par ailleurs, le gouvernement italien n'a fait état d'aucun autre élément susceptible de démontrer que le déroulement des deux procédures, envisagées séparément ou même cumulativement, a donné lieu à une violation de ses droits de défense.

30.
    S'agissant du second moyen, il suffit de constater que l'avis motivé contient un exposé cohérent et précis des raisons ayant amené la Commission à la conviction que l'État intéressé a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu du traité.

31.
    En effet, quoique succinctement, la lettre de mise en demeure et l'avis motivé déterminent clairement l'objet du litige. En outre, ils renvoient tous deux expressément à la décision 93/438 dans laquelle la Commission a décrit en détail le cadre factuel et juridique dans lequel s'exerce l'activité des expéditeurs en douane et du CNSD (partie I, «Les faits», p. 27 à 31), puis a donné son appréciation juridique de manière tout aussi détaillée (partie II, «Appréciation juridique», p. 31 à 33). Enfin, la lettre de mise en demeure et l'avis motivé contiennent un exposé détaillé sur la seule question qui n'a pas été traitée dans la décision 93/438, celle de l'imputabilité à la République italienne de l'infraction au droit communautaire qu'aurait commise le CNSD.

32.
    Le recours est donc recevable.

Sur le fond

33.
    Afin de statuer sur le recours en manquement introduit par la Commission, il convient, en premier lieu, d'examiner si le tarif constitue une décision d'une association d'entreprises au sens de l'article 85 du traité.

34.
    Lors de l'audience, le gouvernement italien a soutenu que, si, exerçant une profession libérale, à l'instar d'un avocat, d'un géomètre ou d'un interprète, l'expéditeur en douane est un travailleur indépendant, il ne peut toutefois être considéré comme une entreprise, au sens de l'article 85 du traité, parce que les services qu'il fournit sont de nature intellectuelle et parce que l'exercice de sa profession nécessite une autorisation et implique le respect de certaines conditions. Le traité ferait d'ailleurs une distinction entre les travailleurs indépendants et les entreprises, de sorte que toute activité non salariée ne serait pas nécessairement exercée dans le cadre d'une entreprise. De plus, ferait défaut l'élément organisationnel indispensable, c'est-à-dire la réunion d'éléments personnels, matériels et immatériels durablement affectés à la poursuite d'un but économique déterminé.

35.
    Les expéditeurs en douane indépendants n'étant pas des entreprises, le CNSD ne saurait constituer, à plus forte raison, une association d'entreprises au sens de l'article 85 du traité.

36.
    Il convient de rappeler tout d'abord que, selon une jurisprudence constante, la notion d'entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement (arrêts du 23 avril 1991, Höfner et Elser, C-41/90, Rec. p. I-1979, point 21; du 16

novembre 1995, Fédération française des sociétés d'assurances e.a., C-244/94, Rec. p. I-4013, point 14, et du 11 décembre 1997, Job Centre, C-55/96, Rec. p. I-7119, point 21) et que constitue une activité économique toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné (arrêt du 16 juin 1987, Commission/Italie, 118/85, Rec. p. 2599, point 7).

37.
    Or, l'activité des expéditeurs en douane présente un caractère économique. En effet, ceux-ci offrent, contre rémunération, des services consistant à effectuer des formalités douanières, concernant surtout l'importation, l'exportation et le transit de marchandises, ainsi que d'autres services complémentaires, comme des services relevant des domaines monétaire, commercial et fiscal. En outre, ils assument les risques financiers afférents à l'exercice de cette activité (arrêt du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, point 541). En cas de déséquilibre entre dépenses et recettes, l'expéditeur en douane est appelé à supporter lui-même les déficits.

38.
    Dans ces conditions, la circonstance que l'activité d'expéditeur en douane serait intellectuelle, nécessiterait une autorisation et pourrait être poursuivie sans la réunion d'éléments matériels, immatériels et humains n'est pas de nature à l'exclure du champ d'application des articles 85 et 86 du traité CE.

39.
    Il convient ensuite d'examiner dans quelle mesure une organisation professionnelle telle que le CNSD se comporte comme une association d'entreprises, au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité, dans le cadre de l'élaboration du tarif.

40.
    A cet égard, il y a lieu de rappeler que le statut de droit public d'un organisme national tel que le CNSD ne fait pas obstacle à l'application de l'article 85 du traité. Selon ses propres termes, cette disposition s'applique à des accords entre entreprises et à des décisions d'associations d'entreprises. Dès lors, le cadre juridique dans lequel s'effectue la conclusion de tels accords et sont prises de telles décisions, ainsi que la qualification juridique donnée à ce cadre par les différents ordres juridiques nationaux sont sans incidence sur l'applicabilité des règles communautaires de la concurrence, et notamment de l'article 85 du traité (arrêt du 30 janvier 1985, Clair, 123/83, Rec. p. 391, point 17).

41.
    De plus, les membres du CNSD sont des représentants des expéditeurs professionnels que rien dans la réglementation nationale concernée n'empêche d'agir dans l'intérêt exclusif de la profession.

42.
    En effet, d'une part, les membres du CNSD ne peuvent être que des expéditeurs en douane inscrits sur les registres puisqu'ils sont élus parmi les membres des conseils départementaux, lesquels ne réunissent que des expéditeurs en douane (articles 13 de la loi n° 1612/1960, 8, deuxième alinéa, et 22, deuxième alinéa, du décret du ministre des Finances du 10 mars 1964). A cet égard, il importe de souligner que, depuis la modification introduite par le décret-loi n° 331/1992, le directeur général des douanes ne participe plus au CNSD en qualité de président.

Enfin, le ministre des Finances italien, qui est chargé de la surveillance de l'organisation professionnelle concernée, ne peut intervenir dans la désignation des membres des conseils départementaux et du CNSD.

43.
    D'autre part, le CNSD est chargé d'établir le tarif des prestations professionnelles des expéditeurs en douane sur la base des propositions des conseils départementaux [article 14, sous d), de la loi n° 1612/1960]. A cet égard, aucune règle dans la législation nationale en cause n'oblige ni même n'incite les membres tant du CNSD que des conseils départementaux à tenir compte de critères d'intérêt public.

44.
    Il en découle que les membres du CNSD ne sauraient être qualifiés d'experts indépendants (voir en ce sens les arrêts du 17 novembre 1993, Reiff, C-185/91, Rec. p. I-5801, points 17 et 19; du 9 juin 1994, Delta Schiffahrts- und Speditionsgesellschaft, C-153/93, Rec. p. I-2517, points 16 et 18, et du 17 octobre 1995, DIP e.a., C-140/94 à C-142/94, Rec. p. I-3257, points 18 et 19) et qu'ils ne sont pas tenus par la loi de fixer les tarifs en prenant en considération non pas seulement les intérêts des entreprises ou des associations d'entreprises du secteur qui les a désignés, mais aussi l'intérêt général et les intérêts des entreprises des autres secteurs ou des usagers des services en question (arrêts précités Reiff, points 18 et 24; Delta Schiffahrts- und Speditionsgesellschaft, point 17, et DIP e.a., point 18).

45.
    En deuxième lieu, il convient de constater que les décisions par lesquelles le CNSD a fixé un tarif uniforme et obligatoire pour tous les expéditeurs en douane restreignent la concurrence au sens de l'article 85 du traité et qu'elles sont susceptibles d'affecter les échanges intracommunautaires.

46.
    Le tarif fixe, en effet, directement les prix des services des expéditeurs en douane. Il prévoit, pour chaque type distinct d'opérations, les prix maximaux et minimaux qui peuvent être réclamés aux clients. En outre, le tarif détermine différents échelons en fonction de la valeur ou du poids de la marchandise à dédouaner ou du type spécifique de marchandise, voire du type de prestation professionnelle (article 1er).

47.
    Enfin, le tarif est impératif (article 5) de sorte qu'un expéditeur en douane ne peut s'en écarter de sa propre initiative. Seul le CNSD est habilité à prononcer des dérogations (article 6).

48.
    Quant à l'affectation des échanges intracommunautaires, il suffit de rappeler qu'une entente s'étendant à l'ensemble du territoire d'un État membre a, par sa naturemême, pour effet de consolider des cloisonnements de caractère national, entravant ainsi l'interpénétration économique voulue par le traité (arrêts du 17 octobre 1972, Vereeniging van Cementhandelaren/Commission, 8/72, Rec. p. 977, point 29, et du 11 juillet 1985, Remia e.a./Commission, 42/84, Rec. p. 2545, point 22).

49.
    Cette incidence est d'autant plus sensible en l'espèce que divers types d'opérations d'importation ou d'exportation de marchandises à l'intérieur de la Communauté ainsi que d'opérations effectuées entre opérateurs communautaires exigent l'accomplissement de formalités douanières et peuvent, par conséquent, rendre nécessaire l'intervention d'un expéditeur en douane indépendant inscrit au registre.

50.
    Ainsi en va-t-il des opérations dites de «transit interne», qui couvrent l'envoi de marchandises d'Italie vers un État membre, c'est-à-dire d'un point à un autre du territoire douanier de la Communauté, moyennant un transit par un pays tiers (par exemple la Suisse). Ce type d'opérations revêt une importance particulière pour l'Italie, puisqu'une grande partie des marchandises expédiées des régions du nord-ouest du pays vers l'Allemagne et les Pays-Bas transite par la Suisse.

51.
    Des considérations qui précèdent, il découle que, en adoptant le tarif, le CNSD a enfreint l'article 85, paragraphe 1, du traité.

52.
    En troisième lieu, il y a lieu d'examiner dans quelle mesure cette infraction peut être imputée à la République italienne.

53.
    A cet égard, il convient de rappeler que, s'il est vrai que, par lui-même, l'article 85 du traité concerne uniquement le comportement des entreprises et ne vise pas des mesures législatives ou réglementaires émanant des États membres, il n'en reste pas moins que cet article, lu en combinaison avec l'article 5 du traité, impose aux États membres de ne pas prendre ou maintenir en vigueur des mesures, même de nature législative ou réglementaire, susceptibles d'éliminer l'effet utile des règles de concurrence applicables aux entreprises (pour l'article 85 du traité, voir arrêts du 21 septembre 1988, Van Eycke, 267/86, Rec. p. 4769, point 16; Reiff, précité, point 14, et Delta Schiffahrts- und Speditionsgesellschaft, précité, point 14; pour l'article 86 du traité, voir arrêt du 16 novembre 1977, GB-Inno-BM, 13/77, Rec. p. 2115, point 31).

54.
    Tel est notamment le cas si un État membre impose ou favorise la conclusion d'ententes contraires à l'article 85, s'il renforce les effets ou s'il retire à sa propre réglementation son caractère étatique en déléguant à des opérateurs privés la responsabilité de prendre des décisions d'intervention en matière économique (arrêts précités Van Eycke, point 16; Reiff, point 14, et Delta Schiffahrts- und Speditionsgesellschaft, point 14).

55.
    Force est de constater que, en édictant la réglementation nationale en cause, la République italienne a non seulement prescrit la conclusion d'un accord contraire à l'article 85 du traité et renoncé à influer sur sa teneur, mais concourt aussi à en assurer le respect.

56.
    Premièrement, l'article 14, sous d), de la loi n° 1612/1960 contraint le CNSD à élaborer un tarif obligatoire et uniforme pour les prestations des expéditeurs en douane.

57.
    Deuxièmement, ainsi qu'il ressort des points 41 à 44 du présent arrêt, la législation nationale en cause a complètement abandonné à des opérateurs économiques privés la compétence des autorités publiques en matière de détermination des tarifs.

58.
    Troisièmement, la législation italienne interdit expressément aux expéditeurs en douane inscrits au registre de déroger au tarif (article 11 de la loi n° 1612/1960), sous peine d'interdiction, de suspension ou de radiation du registre (articles 38 à 40 du décret du ministre des Finances du 10 mars 1964).

59.
    Quatrièmement, si aucune disposition légale ou réglementaire ne confère au ministre des Finances le pouvoir d'approuver le tarif, il n'en reste pas moins que le décret du ministre des Finances du 6 juillet 1988 a conféré au tarif l'apparence d'une réglementation publique. Tout d'abord, la publication dans la «Série générale» de la Gazzetta ufficiale della Repubblica italiana a entraîné une présomption de connaissance du tarif par des tiers à laquelle la décision du CNSD n'aurait jamais pu prétendre. Ensuite, le caractère officiel ainsi conféré au tarif facilite l'application par les expéditeurs en douane des prix qu'il fixe. Enfin, il est de nature à dissuader les clients qui voudraient contester les prix pratiqués par les expéditeurs en douane.

60.
    Compte tenu des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que, en adoptant et en maintenant en vigueur une loi qui impose au CNSD, par l'attribution d'un pouvoir de décision correspondant, l'adoption d'une décision d'association d'entreprises contraire à l'article 85 du traité, consistant à fixer un tarif obligatoire pour tous les expéditeurs en douane, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 5 et 85 du traité.

Sur les dépens

61.
    Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La République italienne ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre)

déclare et arrête:

1)    En adoptant et en maintenant en vigueur une loi qui impose au Conseil national des expéditeurs en douane (Consiglio nazionale degli spedidizionieri doganali — CNSD), par l'attribution du pouvoir de décision correspondant, l'adoption d'une décision d'association d'entreprises contraire à l'article 85 du traité CE, consistant à fixer un tarif obligatoire pour tous les expéditeurs en douane, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 5 et 85 du même traité.

2)    La République italienne est condamnée aux dépens.

Gulmann

Wathelet
Moitinho de Almeida

Jann

Sevón

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 18 juin 1998.

Le greffier

Le président de la cinquième chambre

R. Grass

C. Gulmann


1: Langue de procédure: l'italien.