Language of document : ECLI:EU:C:1998:316

ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

25 juin 1998 (1)

«Transferts de déchets destinés à être valorisés — Principes d'autosuffisance et de proximité»

Dans l'affaire C-203/96,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE, par le Nederlandse Raad van State et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Chemische Afvalstoffen Dusseldorp BV e.a.

et

Minister van Volkshuisvesting, Ruimtelijke Ordening en Milieubeheer,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des articles 34, 86, 90 et 130 T du traité CE, de la directive 75/442/CEE du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets (JO L 194, p. 39), telle que modifiée par la directive 91/156/CEE du Conseil, du 18 mars 1991 (JO L 78, p. 32), ainsi que du règlement (CEE) n° 259/93 du Conseil, du 1er février 1993, concernant la surveillance et le contrôle des transferts de déchets à l'entrée et à la sortie de la Communauté européenne (JO L 30, p. 1),

LA COUR (sixième chambre),

composée de MM. H. Ragnemalm (rapporteur), président de chambre, G. F. Mancini, P. J. G. Kapteyn, J. L. Murray et G. Hirsch, juges,

avocat général: M. F. G. Jacobs,


greffier: M. H. A. Rühl, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées:

—    pour Chemische Afvalstoffen Dusseldorp BV e.a., par Mes B. J. M. Veldhoven, avocat au barreau de La Haye, O. W. Brouwer, avocat au barreau d'Amsterdam, et F. P. Louis, avocat au barreau de Bruxelles,

—    pour le gouvernement néerlandais, par M. J. G. Lammers, conseiller juridique remplaçant au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,

—    pour le gouvernement français, par Mme C. de Salins, sous-directeur à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et M. R. Nadal, secrétaire adjoint des affaires étrangères à la même direction, en qualité d'agents,

—     pour la Commission des Communautés européennes, par M. H. van Vliet et Mme M. Condou, membres du service juridique, en qualité d'agents,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de Chemische Afvalstoffen Dusseldorp BV e.a., représentées par Mes O. W. Brouwer et F. P. Louis, du gouvernement néerlandais, représenté par M. J. S. van den Oosterkamp, conseiller juridique adjoint au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, du gouvernement danois, représenté par M. P. Biering, chef de direction au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, et de la Commission, représentée par M. H. van Vliet, à l'audience du 3 juillet 1997,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 23 octobre 1997,

rend le présent

Arrêt

1.
    Par ordonnance du 23 avril 1996, parvenue à la Cour le 14 juin suivant, le Nederlandse Raad van State a posé, en application de l'article 177 du traité CE, quatre questions préjudicielles sur l'interprétation des articles 34, 86, 90 et 130 T du traité CE, de la directive 75/442/CEE du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets (JO L 194, p. 39), telle que modifiée par la directive 91/156/CEE du Conseil, du 18 mars 1991 (JO L 78, p. 32, ci-après la «directive»), ainsi que du règlement (CEE) n° 259/93 du Conseil, du 1er février 1993, concernant la surveillance et le contrôle des transferts de déchets à l'entrée et à la sortie de la Communauté européenne (JO L 30, p. 1, ci-après le «règlement»).

2.
    Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant Chemische Afvalstoffen Dusseldorp BV (ci-après «Dusseldorp»), Factron Technik GmbH (ci-après «Factron») et Dusseldorp Lichtenvoorde BV (ci-après «Dusseldorp Lichtenvoorde») au Minister van Volkshuisvesting, Ruimtelijke Ordening en Milieubeheer (ministre du Logement, de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement néerlandais, ci-après le «ministre») à propos de l'exportation en Allemagne de déchets destinés à y être valorisés.

La réglementation communautaire

La directive

3.
    L'article 1er de la directive définit, d'une part, les opérations d'élimination des déchets et, d'autre part, les opérations de valorisation des déchets, en renvoyant respectivement aux annexes II A et II B qui contiennent chacune une liste précise des opérations concernées.

4.
    Les articles 3, 4 et 5 de la directive fixent les objectifs suivants: tout d'abord, la prévention, la réduction, la valorisation et l'utilisation des déchets; ensuite, la protection de la santé de l'homme et de l'environnement dans le traitement des déchets, que ceux-ci soient destinés à être éliminés ou valorisés, et, enfin, la création, au niveau communautaire et si possible au niveau national, d'un réseau intégré d'élimination des déchets.

5.
    Ainsi, l'article 5 de la directive dispose:

«1.    Les États membres prennent les mesures appropriées, en coopération avec d'autres États membres lorsque cela s'avère nécessaire ou opportun, en vue de l'établissement d'un réseau intégré et adéquat d'installations d'élimination, en tenant compte des meilleures technologies disponibles qui n'entraînent pas de coûts excessifs. Ce réseau doit permettre à la Communauté dans son ensemble d'assurer elle-même l'élimination de ses déchets et aux États membres de tendre individuellement vers ce but, en tenant compte des conditions géographiques ou du besoin d'installations spécialisées pour certains types de déchets.

2.    Le réseau visé au paragraphe 1 doit permettre, en outre, l'élimination des déchets dans l'une des installations appropriées les plus proches, grâce à l'utilisation des méthodes et technologies les plus appropriées pour garantir un niveau élevé de protection de l'environnement et de la santé publique.»

6.
    L'article 7 de la directive oblige ensuite les États membres à établir des plans de gestion des déchets pour mettre en oeuvre les objectifs visés aux articles 3, 4 et 5 et leur permet de prendre des mesures pour empêcher les mouvements de déchets qui n'y sont pas conformes.

Le règlement

7.
    Le règlement traite du transfert des déchets notamment entre États membres.

8.
    Le titre II du règlement, intitulé «Transferts de déchets entre États membres», contient deux chapitres distincts traitant, pour l'un, de la procédure applicable aux transferts de déchets destinés à être éliminés (chapitre A) et, pour l'autre, de la procédure applicable aux transferts de déchets destinés à être valorisés (chapitre B). La procédure prévue pour cette seconde catégorie de déchets est moins contraignante que celle applicable à la première.

9.
    L'article 4, paragraphe 3, sous a), i), qui fait partie du chapitre A, relatif aux transferts de déchets destinés à être éliminés, dispose:

«i)    Afin de mettre en oeuvre les principes de proximité, de priorité à la valorisation et d'autosuffisance aux niveaux communautaire et national, conformément à la directive 75/442/CEE, les États membres peuvent prendre, conformément au traité, des mesures d'interdiction générale ou partielle ou d'objection systématique concernant les transferts de déchets. Ces mesures sont immédiatement notifiées à la Commission, qui en informe les autres États membres.»

10.
    En revanche, le chapitre B, relatif aux transferts des déchets destinés à être valorisés, ne mentionne pas les principes d'autosuffisance et de proximité.

11.
    L'article 7, paragraphes 2 et 4, sous a), qui fait partie du chapitre B, prévoit:

«2. Les autorités compétentes de destination, d'expédition et de transit disposent d'un délai de trente jours à compter de l'expédition de l'accusé de réception pour soulever des objections contre le transfert. Ces objections sont fondées sur le paragraphe 4. Elles sont communiquées par écrit au notifiant et aux autres autorités compétentes concernées au cours du délai précité.

...

4. a)    Les autorités compétentes de destination et d'expédition peuvent soulever des objections motivées contre le transfert envisagé:

    

    —    conformément à la directive 75/442/CEE, et notamment à son article 7

ou

    —    s'il n'est pas conforme aux dispositions législatives et réglementaires nationales en matière de protection de l'environnement, d'ordre public, de sécurité publique ou de protection de la santé

...»

La réglementation nationale

12.
    Le plan pluriannuel néerlandais d'élimination des déchets dangereux de juin 1993 (ci-après le «plan pluriannuel») énonce en son paragraphe 6, cinquième alinéa:

«Lorsqu'il existe une technique de traitement de meilleure qualité à l'étranger ou que la capacité de traitement d'un déchet déterminé est insuffisante aux Pays-Bas, l'exportation est autorisée à moins que cela n'empêche de réaliser aux Pays-Bas une élimination au moins équivalente. Dans ce cas, on recourra au stockage en attendant qu'elle soit réalisée.»

13.
    Le plan sectoriel 19 de la deuxième partie du plan pluriannuel précise à l'égard des filtres à huile que les exportations ne sont pas autorisées si le traitement de ces filtres à l'étranger n'est pas d'une qualité supérieure à celui pratiqué aux Pays-Bas.

14.
    Le plan sectoriel 10 de la deuxième partie du plan pluriannuel, relatif aux déchets à incinérer, prévoit, en se fondant sur le principe d'autosuffisance, que l'exportation des déchets dangereux à incinérer doit, autant que possible, être limitée, notamment parce que les exigences en matière d'émission en cas d'incinération sont moins sévères à l'étranger qu'aux Pays-Bas.

15.
    Dans ce plan sectoriel, la recherche du mode d'élimination le plus performant possible est également mise en oeuvre par l'attribution à AVR Chemie CV (ci-après «AVR Chemie») d'une fonction dite de «gestion des déchets». AVR Chemie est ainsi désignée comme seul opérateur final pour l'incinération des déchets dangereux dans un four rotatif à haute performance. Les déchets qui doivent être incinérés dans un tel four ne peuvent être exportés que par AVR Chemie dont la licence comporte des conditions régulatrices destinées à éviter des hausses de prix indésirables.

16.
    AVR Chemie est constituée sous forme d'une société en commandite, dont les associés sont l'État néerlandais, la commune de Rotterdam ainsi que huit entreprises industrielles parmi lesquelles Akzo Nobel Nederland. L'État néerlandais et la commune de Rotterdam détiennent à eux deux une participation de 55 % dans AVR Chemie.

17.
    Le directeur de la direction des déchets du ministère de l'Environnement est également le représentant de l'État néerlandais au sein du conseil de surveillance d'AVR Chemie. Cette direction est chargée de définir la politique néerlandaise en matière d'exportation de déchets et décide, concrètement, si une exportation peut être autorisée ou refusée.

Les faits du litige au principal

18.
    En 1994, Dusseldorp a demandé l'autorisation d'exporter en Allemagne deux lots de filtres à huile et déchets apparentés d'une contenance respective de 2 000 et de60 tonnes afin qu'ils y soient traités par Factron.

19.
    Par deux décisions du 22 août 1994, le ministre a, en vertu des dispositions combinées du plan pluriannuel et de l'article 7, paragraphes 2 et 4, sous a), du règlement, soulevé des objections à l'encontre de cette exportation.

20.
    Le 13 septembre 1994, Dusseldorp, Factron et Dusseldorp Lichtenvoorde ont introduit une réclamation à l'encontre de ces deux décisions.

21.
    A l'issue d'une visite effectuée par deux fonctionnaires du ministère de l'Environnement néerlandais dans les installations de Factron, le ministre a, par une nouvelle décision du 8 décembre 1994, déclaré non fondés les griefs des intéressées, au motif que le traitement appliqué par Factron n'était pas plus performant que celui appliqué par l'entreprise néerlandaise de transformation et de gestion de déchets AVR Chemie.

22.
    Par requête du 18 janvier 1995, Dusseldorp, Factron et Dusseldorp Lichtenvoorde ont formé un recours devant le Nederlandse Raad van State en vue d'obtenir l'annulation de la décision du ministre du 8 décembre 1994 qui, selon eux, n'est pas compatible avec la réglementation communautaire.

Les questions préjudicielles

23.
    Doutant de la réponse à apporter à la question de savoir si les principes d'autosuffisance et de proximité, tels que mis en oeuvre dans le plan pluriannuel, pouvaient être appliqués aux transferts de déchets destinés à être valorisés, la juridiction nationale a posé à la Cour les quatre questions préjudicielles suivantes:

«1) a)    Eu égard à l'économie du règlement (CEE) n° 259/93 du Conseil, du 1er février 1993, concernant la surveillance et le contrôle des transferts de

déchets à l'entrée et à la sortie de la Communauté européenne, et de la directive 75/442/CEE du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets (telle que modifiée par la directive 91/156/CEE), examinés ensemble, les principes d'autosuffisance et de proximité s'appliquent-ils uniquement au transfert entre États membres de déchets destinés à être éliminés, ou s'appliquent-ils également à celui des déchets destinés à être valorisés?

b)    Au cas où la Cour estimerait que les principes d'autosuffisance et de proximité ne peuvent pas être appliqués sur la base du règlement (CEE) n° 259/93 et de la directive 75/442/CEE au transfert entre États membres de déchets destinés à être valorisés, l'article 130 T du traité CE peut-il justifier une réglementation telle que celle que contient à cet égard le plan pluriannuel d'élimination des déchets dangereux, de juin 1993, établi par le gouvernement néerlandais?

2)    Le plan pluriannuel précité met en oeuvre les principes d'autosuffisance et de proximité en imposant la recherche du mode d'élimination (incluant la valorisation) le plus performant possible et d'une continuité de l'élimination. Cela constitue-t-il une mise en oeuvre correcte de ces principes?

3) a)    A supposer que les critères définis dans le plan pluriannuel pour pouvoir soulever des objections contre l'exportation de déchets destinés à être valorisés soient en eux-mêmes acceptables, est-on ici en présence d'une mesure d'effet équivalent au sens de l'article 34 du traité CE, et existe-t-il à cet égard une justification?

b)    La question de savoir si les principes d'autosuffisance et de proximité, à supposer que ceux-ci puissent être appliqués dans le cas de déchets destinés à être valorisés, sont appliqués principalement dans la Communauté considérée comme un tout, ou exclusivement au niveau national, a-t-elle une incidence à cet égard?

4)    Des droits exclusifs tels que ceux accordés à AVR Chemie CV par les autorités néerlandaises, au moyen du plan sectoriel 10 de la partie II du plan pluriannuel, pour l'incinération des déchets dangereux, sont-ils, compte tenu de la motivation présentée à cet égard dans le plan pluriannuel, compatibles avec les paragraphes 1 et 2 de l'article 90 du traité CE, lus en combinaison avec l'article 86?»

Sur la première question

24.
    Par sa première question, la juridiction nationale demande, en substance, si la directive et le règlement doivent être interprétés en ce sens que les principes d'autosuffisance et de proximité sont applicables aux transferts de déchets destinés

à être valorisés. Dans la négative, elle demande si l'article 130 T permet aux États d'étendre l'application de ces principes à de tels déchets.

Sur l'interprétation de la directive et du règlement

25.
    Les gouvernements néerlandais et danois estiment que l'absence de mention expresse, dans la directive et le règlement, des principes d'autosuffisance et de proximité pour les déchets destinés à être valorisés n'empêchent pas que ces principes puissent être appliqués à ce type de déchets. L'article 7 de la directive énumérerait en effet de façon non exhaustive les données que les plans de gestion des déchets doivent inclure.

26.
    Dusseldorp, le gouvernement français et la Commission estiment en revanche qu'il résulte de l'absence de mention expresse des principes d'autosuffisance et de proximité pour les déchets destinés à être valorisés dans la directive et le règlement, ainsi que de l'économie de ce dernier, que lesdits principes ne peuvent pas être pris en compte pour les déchets destinés à être valorisés.

27.
    A cet égard, il convient de relever, en premier lieu, que l'article 7 de la directive dispose que les États membres établissent des plans de gestion des déchets notamment afin de réaliser les objectifs prévus aux articles 3, 4 et 5. Parmi ces dispositions, seul l'article 5 fait référence aux principes d'autosuffisance et de proximité, et ce uniquement pour les déchets destinés à être éliminés. De même, le septième considérant qui fait allusion à ces principes concerne exclusivement cette catégorie de déchets.

28.
    En second lieu, le règlement ne mentionne expressément ces principes qu'au dixième considérant, qui les associe uniquement aux déchets destinés à être éliminés, et à l'article 4, paragraphe 3, sous a), i), et b), qui établit le type de mesures que peuvent prendre les États membres ainsi que les autorités compétentes d'expédition et de destination en vue de les mettre en oeuvre. Faisant partie du chapitre A du titre II du règlement, cette disposition concerne seulement le transfert des déchets destinés à être éliminés.

29.
    L'article 7 du règlement, qui figure dans le chapitre B, relatif aux déchets destinés à être valorisés et fait pendant à l'article 4, précité, ne prévoit pas la possibilité de prendre des mesures pour la mise en oeuvre des principes d'autosuffisance et de proximité.

30.
    Ainsi, il résulte des dispositions de la directive et du règlement, ainsi que de l'économie de ce dernier, qu'aucun de ces deux textes n'envisage l'application des principes d'autosuffisance et de proximité aux déchets destinés à être valorisés.

31.
    Cette conclusion est confirmée par la résolution du Conseil, du 7 mai 1990, sur la politique en matière de déchets (JO C 122, p. 2), à laquelle fait référence le deuxième considérant de la directive. Dans cette résolution, le Conseil précise en

effet que l'objectif d'autosuffisance en matière de déchets ne s'applique pas au recyclage.

32.
    En outre, dans l'exposé des motifs de la proposition de règlement initiale [COM(90) 415 final — SYN 305 du 26 octobre 1990], il est indiqué que le critère de proximité pouvait justifier une intervention des autorités en matière de déchets à éliminer. Ce critère n'était pas mentionné pour les déchets destinés à être valorisés; pour ces derniers, seul le critère de gestion écologiquement rationnelle pouvait être appliqué.

33.
    Enfin, il convient de souligner que la différence de traitement entre les déchets destinés à être éliminés et ceux destinés à être valorisés reflète la différence entre les rôles que chacun de ces deux types de déchets est appelé à jouer dans le développement de la politique environnementale de la Communauté. Par définition, seuls les déchets destinés à être valorisés peuvent contribuer à mettre en oeuvre le principe de priorité à la valorisation énoncé à l'article 4, paragraphe 3, du règlement. C'est afin de stimuler cette valorisation dans l'ensemble de la Communauté, notamment par l'émergence des techniques les plus performantes, que le législateur communautaire a prévu que les déchets de ce type devaient pouvoir circuler librement entre les États membres en vue d'y être traités, pour autant que le transport ne crée pas de danger pour l'environnement. Il a dès lors introduit une procédure plus souple pour le transport interfrontières de ces déchets, à laquelle s'opposent les principes d'autosuffisance et de proximité.

34.
    Au vu des considérations qui précèdent, il y a donc lieu de considérer que le règlement et la directive doivent être interprétés en ce sens que les principes d'autosuffisance et de proximité ne sont pas applicables aux déchets destinés à être valorisés.

Sur l'interprétation de l'article 130 T du traité

35.
    Selon Dusseldorp et la Commission, le règlement a réalisé une harmonisation complète des règles relatives aux transferts de déchets entre les États membres, de sorte que ces derniers ne peuvent en principe s'opposer aux transferts de déchets que sur la base de ce règlement. En outre, l'article 130 T du traité n'autoriserait les États à adopter une réglementation que si celle-ci est compatible avec, notamment, les articles 30 et suivants du traité. Or, selon Dusseldorp et la Commission, le plan pluriannuel contient des mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives à l'exportation interdites par l'article 34 du traité, qui ne sont justifiées ni par les exigences impératives tenant à la protection de l'environnement ni au regard de l'article 36 du traité CE.

36.
    Selon le gouvernement néerlandais, il peut être déduit de la lettre et de l'économie du règlement ainsi que de l'article 130 T du traité que les mesures arrêtées au titre de l'article 130 S constituent une harmonisation minimale. Dans ces conditions, rien

n'empêcherait les États de tendre vers un niveau de protection plus élevé sur le fondement de l'article 130 T. En outre, le plan pluriannuel ne serait pas contraire au traité et, en particulier, ne contiendrait pas d'interdiction d'exporter. A titre subsidiaire, le gouvernement néerlandais soutient que, si le plan pluriannuel contient une interdiction d'exporter au sens de l'article 34, cette interdiction est justifiée, au titre de l'article 36 du traité, par la recherche du mode d'élimination des déchets le plus performant et la continuité de l'élimination qui visent à protéger la santé et la vie des personnes.

37.
    Il y a lieu de constater que la directive et le règlement ont été adoptés sur la base de l'article 130 S du traité, auquel fait référence l'article 130 T du traité.

38.
    L'article 130 T du traité dispose:

«Les mesures de protection arrêtées en vertu de l'article 130 S ne font pas obstacle au maintien et à l'établissement, pour chaque État membre, de mesures de protection renforcées. Ces mesures doivent être compatibles avec le présent traité. Elles sont notifiées à la Commission.»

39.
    Il y a lieu, dès lors, d'examiner si, conformément à cette disposition, des mesures telles que celles qui ont été prises dans le plan pluriannuel pour l'application desprincipes d'autosuffisance et de proximité aux déchets destinés à être valorisés sont compatibles avec l'article 34 du traité.

40.
    Cette disposition interdit les restrictions quantitatives à l'exportation ainsi que toutes les mesures d'effet équivalent. Selon la jurisprudence constante de la Cour, elle vise les mesures nationales qui ont pour objet ou pour effet de restreindre spécifiquement les courants d'exportation et d'établir ainsi une différence de traitement entre le commerce intérieur d'un État membre et son commerce d'exportation, de manière à assurer un avantage particulier à la production nationale ou au marché intérieur de l'État intéressé (arrêt du 14 juillet 1981, Oebel, 155/80, Rec. p. 1993, point 15).

41.
    Le plan sectoriel 19 de la deuxième partie du plan pluriannuel prévoit que les exportations ne sont pas autorisées, à moins que le traitement des filtres à huile à l'étranger ne relève d'une qualité supérieure à celui pratiqué aux Pays-Bas.

42.
    Force est de constater qu'une telle disposition a pour objet et pour effet de restreindre l'exportation et d'assurer un avantage particulier à la production nationale.

43.
    Toutefois, le gouvernement néerlandais a fait valoir, en premier lieu, que la disposition précitée du plan pluriannuel pouvait être justifiée par une exigence impérative tenant à la protection de l'environnement. Selon lui, les mesures concernées sont nécessaires pour permettre à AVR Chemie de fonctionner de manière rentable en ayant suffisamment de matière à éliminer ainsi que pour lui

assurer une fourniture suffisante de filtres à huile, aux fins d'utilisation en tant que combustible. En cas d'approvisionnement insuffisant, AVR Chemie serait obligée d'utiliser un combustible moins respectueux de l'environnement ou de se procurer d'autres combustibles également respectueux de l'environnement mais engendrant des coûts supplémentaires.

44.
    A supposer même que la mesure nationale en cause puisse être justifiée par des raisons tenant à la protection de l'environnement, il suffit de constater que les arguments avancés par le gouvernement néerlandais, relatifs à la rentabilité de l'entreprise nationale AVR Chemie, et les coûts auxquels elle doit faire face sont d'ordre économique. Or, la Cour a jugé que des objectifs de nature purement économique ne peuvent justifier une entrave au principe fondamental de la libre circulation des marchandises (arrêt du 28 avril 1998, Decker, C-120/95, non encore publié au Recueil, point 39).

45.
    Le gouvernement néerlandais estime, en second lieu, que la disposition litigieuse du plan pluriannuel est justifiée par la dérogation prévue à l'article 36 du traité relative à la protection de la santé et de la vie des personnes.

46.
    Il convient de relever qu'une telle justification serait pertinente si le traitement des filtres à huile dans les autres États membres et leur transport sur une plus grande distance, du fait de leur exportation, constituaient un danger pour la santé et pour la vie des personnes.

47.
    Toutefois, il ne ressort pas du dossier que tel soit le cas. D'une part, le gouvernement néerlandais a lui-même admis que le traitement des filtres en Allemagne était comparable à celui pratiqué par AVR Chemie. D'autre part, il n'a pas été établi que le transport des filtres à huile constituait un danger pour l'environnement ou la vie et la santé des personnes.

48.
    Il s'ensuit que des restrictions à l'exportation des déchets destinés à être valorisés telles que celles qui ont été établies par la réglementation néerlandaise n'étaient pas nécessaires pour protéger la santé et la vie des personnes conformément à l'article 36 du traité.

49.
    Il convient, dès lors, de conclure que l'application des principes d'autosuffisance et de proximité à des déchets destinés à être valorisés tels que les filtres à huile a pour objet et pour effet de restreindre les exportations de ces déchets sans être justifiée, dans un cas tel que celui de l'espèce au principal, par une exigence impérative liée à la protection de l'environnement ou par le souci de protéger la santé et la vie des personnes conformément à l'article 36 du traité. Partant, un État ne saurait invoquer l'article 130 T du traité pour appliquer les principes d'autosuffisance et de proximité à de tels déchets.

50.
    Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la première question posée que la directive et le règlement ne sauraient être interprétés en ce sens que les principes d'autosuffisance et de proximité sont applicables aux transferts de déchets destinés à être valorisés. L'article 130 T du traité ne permet pas aux États membres d'étendre l'application de ces principes à de tels déchets lorsqu'il apparaît qu'ils constituent une entrave aux exportations qui n'est justifiée ni par une mesure impérative tenant à la protection de l'environnement ni par une des dérogations prévues à l'article 36 du traité.

Sur les deuxième et troisième questions

51.
    Les deuxième et troisième questions sont posées par le juge de renvoi uniquement pour le cas où la Cour jugerait que les principes d'autosuffisance et de proximité sont applicables aux déchets destinés à être valorisés soit en vertu de la directive et du règlement, soit en vertu de l'article 130 T du traité.

52.
    Eu égard à la réponse donnée à la première question, il n'y a pas lieu de répondre à ces questions.

Sur la quatrième question

53.
    Par sa quatrième question, la juridiction nationale s'interroge sur la compatibilité avec les règles de concurrence contenues dans les articles 90 et 86 du traité de droits exclusifs tels que ceux octroyés à AVR Chemie dans le cadre de la politique mise en oeuvre conformément au plan pluriannuel. Ainsi que le relève M. l'avocat général au point 97 de ses conclusions, les droits exclusifs auxquels se réfère la juridiction nationale doivent être compris comme incluant à la fois l'exclusivité générale accordée pour l'incinération et toute exclusivité résultant de la disposition litigieuse. Cette dernière concerne l'interdiction d'exporter des filtres à huile, à moins que le traitement à l'étranger ne soit plus performant que celui pratiqué aux Pays-Bas.

54.
    La juridiction nationale demande donc en substance si l'article 90 du traité, lu en combinaison avec l'article 86, s'oppose à une réglementation, telle que le plan pluriannuel, en vertu de laquelle un État membre oblige les entreprises à confier leurs déchets destinés à être valorisés, tels que les filtres à huile, à une entreprise nationale à laquelle il a accordé le droit exclusif d'incinérer les déchets dangereux, à moins que le traitement de leurs déchets dans un autre État membre ne soit plus performant que celui pratiqué par cette entreprise.

55.
    Le gouvernement néerlandais estime que AVR Chemie ne dispose pas de droits exclusifs, de sorte que l'article 90 ne saurait trouver application en l'espèce au principal.

56.
    Dusseldorp considère, pour sa part, que les droits exclusifs qui ont été accordés par les autorités néerlandaises à AVR Chemie sont incompatibles avec l'article 90,

paragraphe 1, du traité, lu en combinaison avec l'article 86. En outre, ces droits ne pourraient être justifiés au regard de l'article 90, paragraphe 2, du traité, étant donné que le maintien de la structure d'élimination néerlandaise peut être assuré par des mesures affectant moins la concurrence et la libre circulation des marchandises.

57.
    La Commission rappelle que le fait qu'un État membre n'accorde une autorisation de traitement de certains déchets qu'à une seule entreprise établie sur son territoire n'est pas, en tant que tel, incompatible avec l'article 90 du traité, lu en combinaison avec l'article 86.

58.
    Il ressort du dossier que AVR Chemie a été désignée comme seul opérateur final pour l'incinération des déchets dangereux. Cette entreprise peut donc être considérée comme disposant d'un droit exclusif au sens de l'article 90, paragraphe 1, du traité.

59.
    Cette disposition prévoit que les États membres n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles du traité, notamment en matière de concurrence.

60.
    A cet égard, il y a lieu de relever que l'octroi de droits exclusifs pour l'incinération des déchets dangereux sur la totalité du territoire d'un État membre doit être considéré comme conférant à l'entreprise bénéficiaire une position dominante sur une partie substantielle du marché commun (voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 1991, ERT, C-260/89, Rec. p. I-2925, point 31).

61.
    Si le simple fait de créer une position dominante n'est pas, en tant que tel, incompatible avec l'article 86 du traité, un État membre enfreint les interdictions édictées par l'article 90, lu en combinaison avec l'article 86, s'il prend une mesure législative, réglementaire ou administrative qui conduit une entreprise à laquelle il a conféré des droits exclusifs à abuser de sa position dominante (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 1991, GB-Inno-BM, C-18/88, Rec. p. I-5941, point 20).

62.
    A cet égard, il ressort du dossier que, sur le fondement du plan pluriannuel, le gouvernement néerlandais a interdit à la requérante au principal d'exporter et, ce faisant, lui a, en pratique, imposé une obligation de confier ses filtres à huile, déchets destinés à être valorisés, à l'entreprise nationale, détentrice du droit exclusif d'incinérer les déchets dangereux, alors même que la qualité du traitement offert dans un autre État membre était comparable à celle de l'entreprise nationale.

63.
    Une telle obligation a pour effet de favoriser l'entreprise nationale en lui permettant de traiter des déchets qui étaient destinés à être traités par une entreprise tierce. Elle a donc pour conséquence de limiter les débouchés de manière contraire à l'article 90, paragraphe 1, du traité, lu en combinaison avec l'article 86.

64.
    Il convient toutefois d'examiner si cette obligation pourrait être justifiée par une mission d'intérêt économique général au sens de l'article 90, paragraphe 2, du traité.

65.
    Il résulte de la jurisprudence de la Cour que cette disposition peut être invoquée pour justifier une mesure contraire à l'article 86 du traité prise en faveur d'une entreprise à laquelle l'État a accordé des droits exclusifs, si cette mesure est nécessaire pour permettre à l'entreprise d'accomplir la mission particulière qui lui a été impartie et si elle n'affecte pas le développement des échanges d'une manière contraire à l'intérêt de la Communauté (voir, en ce sens, arrêts du 19 mai 1993, Corbeau, C-320/91, Rec. p. I-2533, point 14, et du 23 octobre 1997, Commission/France, C-159/94, Rec. p. I-5815, point 49).

66.
    A cet égard, le gouvernement néerlandais fait valoir que la réglementation litigieuse vise à réduire les coûts de l'entreprise chargée de l'incinération des déchets dangereux et à lui permettre ainsi d'être économiquement viable.

67.
    Or, même si la tâche confiée à cette entreprise pouvait constituer une tâche d'intérêt économique général, il appartiendrait au gouvernement néerlandais, comme le relève M. l'avocat général au point 108 de ses conclusions, de démontrer, de manière satisfaisante pour la juridiction nationale, que cet objectif ne peut pasêtre atteint par d'autres moyens. Ainsi, l'article 90, paragraphe 2, du traité ne pourrait s'appliquer que s'il était démontré que, en l'absence de la mesure litigieuse, l'entreprise en question serait incapable de remplir la tâche qui lui a été confiée.

68.
    Dans ces circonstances, il convient de répondre à la quatrième question préjudicielle que l'article 90 du traité, lu en combinaison avec l'article 86, s'oppose à une réglementation, telle que le plan pluriannuel, en vertu de laquelle un État membre oblige les entreprises à confier leurs déchets destinés à être valorisés, tels que les filtres à huile, à une entreprise nationale à laquelle il a accordé le droit exclusif d'incinérer les déchets dangereux, à moins que le traitement de leurs déchets dans un autre État membre ne soit plus performant que celui pratiqué par cette entreprise, lorsque cette réglementation aboutit, sans raison objective et sans que cela soit nécessaire à l'accomplissement d'une mission d'intérêt général, à favoriser l'entreprise nationale et à accroître sa position dominante.

Sur les dépens

69.
    Les frais exposés par les gouvernements néerlandais, danois et français, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par le Nederlandse Raad van State, par ordonnance du 23 avril 1996, dit pour droit:

    

1.
    La directive 75/442/CEE du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets, telle que modifiée par la directive 91/156/CEE du Conseil, du 18 mars 1991, et le règlement (CEE) n° 259/93 du Conseil, du 1er février 1993, concernant la surveillance et le contrôle des transferts de déchets à l'entrée et à la sortie de la Communauté européenne, ne sauraient être interprétés en ce sens que les principes d'autosuffisance et de proximité sont applicables aux transferts de déchets destinés à être valorisés. L'article 130 T du traité CE ne permet pas aux États membres d'étendre l'application de ces principes à de tels déchets lorsqu'il apparaît qu'ils constituent une entrave aux exportations qui n'est justifiée ni par une mesure impérative tenant à la protection de l'environnement ni par une des dérogations prévues à l'article 36 dudit traité.

    

2.
    L'article 90 du traité CE, lu en combinaison avec l'article 86, s'oppose à une réglementation, telle que le plan pluriannuel, en vertu de laquelle un État membre oblige les entreprises à confier leurs déchets destinés à être valorisés, tels que les filtres à huile, à une entreprise nationale à laquelle il a accordé le droit exclusif d'incinérer les déchets dangereux, à moins que le traitement de leurs déchets dans un autre État membre ne soit plus performant que celui pratiqué par cette entreprise, lorsque cette réglementation aboutit, sans raison objective et sans que cela soit nécessaire à l'accomplissement d'une mission d'intérêt général, à favoriser l'entreprise nationale et à accroître sa position dominante.

Ragnemalm

Mancini
Kapteyn

            Murray                        Hirsch

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 25 juin 1998.

Le greffier

Le président de la sixième chambre

R. Grass

H. Ragnemalm


1: Langue de procédure: le néerlandais.