Language of document : ECLI:EU:C:2000:188

ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

6 avril 2000 (1)

«Pourvoi - Recours en annulation - Moyens - Violation des formes substantielles - Absence d'authentification d'une décision adoptée par le collège des membres de la Commission - Moyen pouvant être soulevé d'office»

Dans l'affaire C-286/95 P,

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. J. Currall et B. J. Drijber, membres du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. C. Gómez de la Cruz, membre du même service, Centre Wagner, Kirchberg,

partie requérante,

ayant pour objet un pourvoi formé contre l'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes (première chambre élargie) du 29 juin 1995, ICI/Commission (T-37/91, Rec. p. II-1901), et tendant à l'annulation de cet arrêt,

l'autre partie à la procédure étant:

Imperial Chemical Industries plc (ICI), établie à Londres (Royaume-Uni), représentée par MM. D. Vaughan, QC, G. Barling, QC, et D. Anderson, barrister, mandatés par MM. V. O. White, R. J. Coles et Mme S. M. Turner, solicitors, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Lambert H. Dupong, 14 A, rue des Bains,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de MM. L. Sevón (rapporteur), président de la première chambre, faisant fonction de président de la cinquième chambre, P. J. G. Kapteyn, P. Jann, H. Ragnemalm et M. Wathelet, juges,

avocat général: M. N. Fennelly,


greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 7 octobre 1999,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 25 novembre 1999,

rend le présent

Arrêt

1.
    Par requête déposée au greffe de la Cour le 30 août 1995, la Commission des Communautés européennes a, en vertu de l'article 49 du statut CE de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l'arrêt du Tribunal de première instance du 29 juin 1995, ICI/Commission (T-37/91, Rec. p. II-1901, ci-après l'«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a annulé la décision 91/300/CEE de la Commission, du 19 décembre 1990, relative à une procédure d'application de l'article 86 du traité CEE (IV/33.133-D: Carbonate de soude - ICI) (JO 1991, L 152, p. 40, ci-après la «décision litigieuse»).

2.
    S'agissant des faits qui sont à l'origine du présent pourvoi, il ressort de l'arrêt attaqué que le collège des membres de la Commission, lors de sa 1 040e réunion, qui s'est tenue les 17 et 19 décembre 1990, a adopté la décision litigieuse qui constate, en substance, que Imperial Chemical Industries plc (ci-après «ICI») occupait une position dominante sur le marché de la soude au Royaume-Uni et abusait de cette position, au sens de l'article 86 du traité CEE (devenu article 82 CE), depuis l'année 1983 environ, en sorte qu'elle lui a infligé une amende de dix millions d'écus. La décision litigieuse a été notifiée à ICI par lettre recommandée du 1er mars 1991.

3.
    Le Tribunal a relevé que le texte de la décision notifiée n'avait pas fait l'objet d'une authentification préalable, par l'apposition des signatures du président et du secrétaire exécutif de la Commission, dans les conditions prévues à l'article 12, premier alinéa, du règlement intérieur 63/41/CEE de la Commission, du 9 janvier 1963 (JO 1963, 17, p. 181), maintenu provisoirement en vigueur par l'article 1er de la décision 67/426/CEE de la Commission, du 6 juillet 1967 (JO 1967, 147, p. 1), modifié en dernier lieu par la décision 86/61/CEE, Euratom, CECA de la Commission, du 8 janvier 1986 (JO L 72, p. 34), alors en vigueur (ci-après le «règlement intérieur»).

4.
    Il ressort des points 17 à 22 de l'arrêt attaqué notamment les faits suivants quant à la procédure devant le Tribunal.

5.
    Le 14 mai 1991, ICI a introduit un recours devant le Tribunal visant à l'annulation de la décision litigieuse et à la condamnation de la Commission aux dépens.

6.
    ICI a déposé, le 2 avril 1992, un «complément à la réplique», dans lequel elle a soulevé un moyen nouveau visant à ce que la décision litigieuse soit déclarée inexistante. Renvoyant à deux articles de presse parus dans le Wall Street Journal du 28 février 1992 et dans le Financial Times du 2 mars 1992, elle a fait valoir, entre autres, que la Commission avait publiquement indiqué que l'absence d'authentification des actes adoptés par le collège de ses membres était une pratique suivie depuis des années et que, depuis 25 ans, aucune décision n'avait fait l'objet d'une authentification. Ces déclarations de la Commission se référaient à des recours alors pendants devant le Tribunal contre une décision de la Commission constatant une entente dans le domaine du polychlorure de vinyle (ci-après la «décision PVC») et sur lesquels le Tribunal a statué par l'arrêt du 27 février 1992, BASF e.a./Commission (T-79/89, T-84/89 à T-86/89, T-89/89, T-91/89, T-92/89, T-94/89, T-96/89, T-98/89, T-102/89 et T-104/89, Rec. p. II-315).

7.
    Dans sa duplique, la Commission a présenté des observations écrites sur le complément à la réplique.

8.
    La Cour ayant statué sur le pourvoi dirigé contre cet arrêt du Tribunal, par arrêt du 15 juin 1994, Commission/BASF e.a. (C-137/92 P, Rec. p. I-2555), le Tribunal a arrêté des mesures d'organisation de la procédure invitant notamment la Commission à produire, entre autres, le texte de la décision litigieuse, telle qu'authentifiée à l'époque, dans les langues où elle fait foi, par les signatures du président et du secrétaire général et annexée au procès-verbal.

9.
    La Commission a répondu qu'il lui paraissait indiqué, aussi longtemps que le Tribunal n'aurait pas statué sur la recevabilité du moyen tiré d'une absence d'authentification de la décision litigieuse, de ne pas aborder le bien-fondé du moyen ainsi soulevé.

10.
    Par ordonnance du 25 octobre 1994, le Tribunal a, en application de l'article 65 de son règlement de procédure, enjoint à la Commission de produire le texte susmentionné.

11.
    À la suite de cette ordonnance, la Commission a produit, le 11 novembre 1994, notamment, le texte de la décision litigieuse en langue anglaise, dont la page de couverture est revêtue d'une formule d'authentification, non datée, signée par le président et le secrétaire exécutif de la Commission.

    

12.
    Par l'arrêt attaqué, le Tribunal a admis la recevabilité du moyen nouveau. Au point 82 de l'arrêt attaqué, il a considéré que les déclarations faites par des représentants de la Commission constituaient un élément de fait susceptible d'être invoqué par ICI, dès lors que, même si ces déclarations étaient intervenues dans le seul contexte de l'affaire BASF e.a./Commission, précitée, leur contenu couvrait toutes les procédures d'application des articles 85 du traité CEE (devenu article 81 CE) et 86 du traité qui se sont déroulées jusqu'à la fin de l'année 1991, y compris la procédure faisant l'objet du litige dont le Tribunal était saisi.

13.
    Il a constaté, au point 84 de l'arrêt attaqué, que l'article 48, paragraphe 2, de son règlement de procédure ne prévoit ni un délai ni une formalité spécifique pour la production d'un moyen nouveau.

14.
    Au point 85, il a par ailleurs estimé que, même si cette disposition devait être interprétée en ce sens qu'un moyen nouveau n'est recevable que s'il est produit le plus rapidement possible, il aurait été, en l'espèce, satisfait à cette exigence, le complément à la réplique ayant été déposé dans un délai raisonnable après la parution des articles invoqués comme fait nouveau.

15.
    Statuant sur le fond, le Tribunal a tout d'abord rappelé le texte de l'article 12 du règlement intérieur de la Commission, dans la version en vigueur à l'époque des faits:

«Les actes adoptés par la Commission ... sont authentifiés, dans la ou les langues où ils font foi, par les signatures du président et du secrétaire exécutif.

Les textes de ces actes sont annexés au procès-verbal de la Commission où il est fait mention de leur adoption.

Le président notifie, en tant que de besoin, les actes adoptés par la Commission.»

16.
    Il a estimé, au point 88 de l'arrêt attaqué, que l'économie même de cette réglementation implique un ordre de déroulement suivant lequel les actes sont d'abord adoptés par le collège des membres de la Commission et font ensuite l'objet d'une authentification, avant d'être, le cas échéant, notifiés et, éventuellement, publiés. Il en a déduit que l'authentification d'un acte doit forcément précéder sa notification.

17.
    Au point 89, il a considéré que cet ordre, qui résulte d'une interprétation littérale et systématique de la disposition en cause, est confirmé par la finalité de cette disposition. Il a rappelé à cet égard que, dans l'arrêt Commission/BASF e.a., précité, la Cour a jugé, au point 73, que cette disposition est la conséquence de l'obligation incombant à la Commission de prendre les mesures aptes à permettre d'identifier avec certitudele texte complet des actes adoptés par le collège et, au point 75, que l'authentification a ainsi pour but d'assurer la sécurité juridique en figeant, dans les langues faisant foi, le texte adopté par le collège, afin que puisse être vérifiée, en cas de contestation, la correspondance parfaite des textes notifiés ou publiés avec le texte adopté et, par là même, avec la volonté de leur auteur.

18.
    Ayant constaté que l'authentification de la décision litigieuse avait été effectuée après la notification de celle-ci, le Tribunal a conclu, au point 90 de l'arrêt attaqué, qu'il y avait eu violation d'une forme substantielle au sens de l'article 173 du traité CE (devenu, après modification, article 230 CE).

19.
    Il a précisé, au point 91, que cette violation est constituée par le seul non-respect de la forme substantielle en cause et qu'elle est, dès lors, indépendante de la question de savoir si les textes adopté, notifié et publié présentent des divergences et, dans l'affirmative, si ces dernières revêtent ou non un caractère essentiel.

20.
    Au point 92, il a ajouté que, après le dépôt de l'acte introductif d'instance, une institution ne saurait, par une simple mesure de régularisation rétroactive, faire disparaître un vice substantiel dont la décision attaquée est entachée.

21.
    Par l'arrêt attaqué, le Tribunal a annulé la décision litigieuse et a condamné la Commission aux dépens.

22.
    Par son pourvoi, la Commission demande à la Cour d'annuler l'arrêt attaqué et de rejeter le moyen d'annulation de la décision litigieuse tiré de l'absence d'authentification régulière, de renvoyer l'affaire devant le Tribunal afin qu'il statue sur les autres moyens d'annulation et de condamner ICI aux dépens.

23.
    ICI conclut au rejet du pourvoi et à la condamnation de la Commission aux dépens. À titre subsidiaire, elle demande que la Cour juge définitivement le litige en sa faveur ou renvoie l'affaire devant le Tribunal afin qu'il statue sur les autres moyens d'annulation invoqués par elle.

24.
    À l'appui de son pourvoi, la Commission invoque deux moyens.

25.
    Le premier moyen est tiré d'erreurs de droit et de motivation concernant la recevabilité du moyen nouveau de ICI, l'organisation de la procédure et la réunion des éléments de preuve.

26.
    Par la première branche de ce moyen, la Commission fait valoir que, en jugeant, au point 82 de l'arrêt attaqué, que les déclarations de la Commission auxquelles il est fait référence peuvent constituer, en tant que telles, un élément de fait au sens de l'article 48, paragraphe 2, de son règlement de procédure, le Tribunal a commis une erreur de droit.

27.
    Par la deuxième branche de ce moyen, la Commission fait valoir que, en considérant, aux points 84 et 85 de l'arrêt attaqué, qu'il n'existait pas de limites temporelles pour l'introduction d'un moyen nouveau conformément à l'article 48, paragraphe 2, de son règlement de procédure, le Tribunal a commis une erreur de droit.

28.
    Par la troisième branche du premier moyen, la Commission soutient que, en lui ordonnant de produire le texte de la décision litigieuse telle qu'authentifiée à l'époque, le Tribunal a commis une erreur de droit, consistant en une conception erronée de la procédure devant lui et des règles relatives à la réunion des éléments de preuve, ainsi qu'un défaut de motivation, en ce qu'il a omis d'indiquer, tant dans l'ordonnance du 25 octobre 1994, précitée, que dans l'arrêt attaqué, les motifs qui l'ont amené à estimer qu'il y avait lieu d'enjoindre à la Commission de produire ledit texte.

29.
    Le second moyen du pourvoi est tiré d'erreurs de droit et de motivation concernant la fonction et les conséquences du manque d'authentification de la décision litigieuse au moment de son adoption.

30.
    Par la première branche du second moyen, la Commission soutient que, en jugeant, au point 91 notamment, que l'authentification est une condition de forme qui doit être respectée, indépendamment de la présence d'éléments susceptibles de mettre en cause le caractère authentique du texte notifié, le Tribunal a commis une erreur de droit.

31.
    Par la deuxième branche de ce moyen, la Commission soutient que, en décidant, aux points 88 à 90 et 92 de l'arrêt attaqué, que l'authentification doit intervenir, sous peine de nullité, avant la notification de l'acte à son destinataire et que, dans le cas d'espèce, l'authentification a été irrégulière, le Tribunal a commis une erreur de droit.

32.
    Par la troisième branche du second moyen, la Commission soutient que, en omettant de considérer la question de savoir si le prétendu vice était de nature à porter préjudice aux intérêts du destinataire de la décision, le Tribunal a commis une erreur de droit et, subsidiairement, a manqué à son obligation de motiver son arrêt.

Sur le second moyen

33.
    Il convient d'examiner d'abord le second moyen et d'en traiter ensemble les première et troisième branches.

34.
    Selon la Commission, l'arrêt attaqué serait entaché d'une erreur de droit en ce que le Tribunal a considéré que la violation d'une forme substantielle est constituée par le seul non-respect de la forme substantielle en cause, indépendamment, d'une part, de l'existence d'autres vices affectant le texte notifié et, d'autre part, de l'existence d'une atteinte aux intérêts de la partie qui demande l'annulation de l'acte.

35.
    La Commission soutient qu'il ressortirait de l'arrêt Commission/BASF e.a., précité, que l'absence d'authentification ne constitue une irrégularité de procédure qu'en liaison avec un ou plusieurs autres vices affectant le texte notifié. En effet, la conditionrelative à l'authentification ne pourrait être dissociée de la nécessité de pouvoir identifier avec certitude le texte complet des actes adoptés par le collège. En l'espèce, en l'absence d'indices entraînant une incertitude quant au contenu exact du texte adopté, la question de savoir si la décision litigieuse avait été authentifiée n'aurait aucun intérêt.

36.
    La Commission estime, par ailleurs, que le Tribunal a commis une erreur de droit en faisant abstraction de la question de savoir si les intérêts de ICI ont pu être affectés par l'absence d'authentification à l'époque. Elle cite l'exemple de l'arrêt Commission/BASF e.a., précité, dans lequel la Cour aurait examiné si les irrégularités entachant la procédure de prise de décision avaient pu avoir une incidence sur le contenu de la décision PVC et, dès lors, sur les droits de ses destinataires.

37.
    ICI répond que, selon l'arrêt Commission/BASF e.a., précité, l'authentification des actes constitue une forme substantielle au sens de l'article 173 du traité, dont la violation peut donner lieu à un recours en annulation. Elle rappelle la jurisprudence de la Cour en matière de formes substantielles, de laquelle il ressort que la forme substantielle est à ce point importante que le juge communautaire peut, voire doit, examiner d'office si elle a été respectée, que la violation d'une forme substantielle ne peut être régularisée et que la méconnaissance d'une forme substantielle entraîne la nullité de l'acte indépendamment des conséquences concrètes de la violation. Elle soutient enfin que la sauvegarde de la sécurité juridique exigerait que la procédure d'authentification soit respectée indépendamment de la question de savoir si des modifications ont été apportées à l'acte après son adoption.

38.
    À cet égard, il y a lieu de rappeler que, l'élément intellectuel et l'élément formel constituant un tout indissociable, la mise en forme écrite de l'acte est l'expression nécessaire de la volonté de l'autorité qui l'adopte (arrêt Commission/BASF e.a., précité, point 70).

39.
    Par l'article 12, premier alinéa, du règlement intérieur en vigueur à l'époque des faits, la Commission a défini les mesures qui permettent d'identifier avec certitude le texte complet des actes adoptés par le collège.

40.
    La Cour a déjà jugé que l'authentification des actes prévue audit article 12, premier alinéa, a pour but d'assurer la sécurité juridique en figeant, dans les langues faisant foi, le texte adopté par le collège (arrêt Commission/BASF e.a., précité, point 75).

41.
    Elle en a déduit que cette authentification constitue une forme substantielle au sens de l'article 173 du traité, dont la violation peut donner lieu à un recours en annulation (arrêt Commission/BASF e.a., précité, point 76).

42.
    Contrairement à ce que soutient la Commission, il convient de relever que la violation d'une forme substantielle est constituée par le seul défaut d'authentification d'un acte,sans qu'il soit nécessaire d'établir, en outre, que l'acte est affecté d'un autre vice ou que l'absence d'authentification a causé un préjudice à celui qui l'invoque.

43.
    À cet égard, l'arrêt Commission/BASF e.a., précité, ne saurait être interprété dans le sens proposé par la Commission.

44.
    Dans cet arrêt, la Cour a précisé, au point 75, que l'authentification des actes a pour but d'assurer la sécurité juridique.

45.
    Le principe de sécurité juridique, qui fait partie de l'ordre juridique communautaire, exige que tout acte de l'administration produisant des effets juridiques soit certain notamment quant à son auteur et à son contenu.

46.
    Le contrôle du respect de la formalité de l'authentification et, ainsi, du caractère certain de l'acte est un préalable à tout autre contrôle tel que celui de la compétence de l'auteur de l'acte, du respect du principe de la collégialité ou encore celui du respect de l'obligation de motiver les actes.

47.
    Ce n'est également qu'après avoir, éventuellement, contrôlé le caractère certain de l'acte adopté par son auteur qu'il sera possible de contrôler s'il y a une correspondance parfaite du texte notifié ou publié avec le texte adopté par l'auteur de l'acte.

48.
    Si, dans la plupart des cas dans lesquels la production d'un acte authentifié a été ordonnée, il s'agissait d'un litige où l'une des parties invoquait, par ailleurs, un autre grief à l'encontre de l'acte, il ne peut en être déduit qu'une telle allégation serait une condition nécessaire pour ordonner la production d'un acte authentifié. A fortiori n'est-il pas nécessaire d'établir, par un certain nombre d'indices, un commencement de preuve de l'existence d'un autre défaut de l'acte.

49.
    Il appartient, en effet, au juge communautaire de décider de la nécessité de la production d'un tel acte, en fonction des circonstances du litige, conformément aux dispositions du règlement de procédure applicables aux mesures d'instruction.

50.
    S'agissant du Tribunal, il résulte des dispositions combinées des articles 49 et 65, sous b), de son règlement de procédure, que la demande de production de documents fait partie des mesures d'instruction que le Tribunal peut ordonner à tout stade de la procédure.

51.
    Si le juge communautaire constate, à l'examen de l'acte produit devant lui, que ce dernier n'a pas été régulièrement authentifié, il lui appartient de soulever d'office le moyen tiré de la violation d'une forme substantielle consistant en un défaut d'authentification régulière et d'annuler, en conséquence, l'acte entaché d'un tel vice.

52.
    Il importe peu, à cet égard, que l'absence d'authentification n'ait causé aucun préjudice à l'une des parties au litige. En effet, l'authentification des actes est une forme substantielle au sens de l'article 173 du traité, essentielle à la sécurité juridique, dontla violation entraîne l'annulation de l'acte vicié, sans qu'il soit nécessaire d'établir l'existence d'un tel préjudice.

53.
    Il s'ensuit que, en annulant la décision litigieuse pour violation d'une forme substantielle au sens de l'article 173 du traité, consistant dans l'authentification irrégulière de l'acte adopté par la Commission, le Tribunal n'a pas commis d'erreur de droit et a motivé son arrêt.

54.
    Par conséquent, les première et troisième branches du second moyen doivent être rejetées.

55.
    Par la deuxième branche du second moyen, la Commission soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit et de motivation en considérant, aux points 88 à 90 et 92 de l'arrêt attaqué, que l'authentification doit intervenir, sous peine de nullité, avant la notification de l'acte à son destinataire.

56.
    Selon la Commission, l'adoption d'une décision est complète et parfaite par l'approbation d'un projet de décision par le collège des commissaires. La position du Tribunal méconnaîtrait la jurisprudence de la Cour selon laquelle d'éventuelles irrégularités intervenant après l'adoption d'une décision ne seraient pas de nature à en affecter la validité.

57.
    Elle fait également valoir qu'une notification immédiate serait requise pour un nombre d'actes en raison de leur caractère urgent et afin de garantir leur efficacité, sans qu'il soit possible d'attendre jusqu'à ce que le procès-verbal de la réunion de la Commission ait été approuvé et authentifié.

58.
    Selon ICI, il résulte de la procédure décrite à l'article 12 du règlement intérieur que l'authentification doit précéder la notification et la publication de l'acte. Un tel principe pourrait d'ailleurs être déduit du point 75 de l'arrêt Commission/BASF e.a., précité, selon lequel l'authentification permet la vérification de la correspondance des textes notifiés ou publiés avec le texte authentifié.

59.
    À cet égard, il suffit de constater que l'article 12 du règlement intérieur prévoit que les actes adoptés par la Commission sont authentifiés par les signatures du président et du secrétaire exécutif et qu'ils sont notifiés, en tant que de besoin, par le président.

60.
    C'est donc à juste titre que le tribunal a considéré, aux points 88 et 89 de l'arrêt attaqué, qu'il résulte d'une interprétation littérale et systématique de cette disposition que l'authentification d'un acte doit forcément précéder sa notification, ce que confirme la finalité de la disposition relative à l'authentification.

61.
    Il importe en effet, dans le but de garantir la sécurité juridique, de veiller à ce que les textes adoptés par la Commission soient authentifiés dans un délai bref, après que le président et le secrétaire exécutif, auxquels incombe la responsabilité del'authentification, se sont assurés que le texte qu'ils authentifient correspond à celui qui a été adopté.

62.
    Il est à tout le moins indispensable que l'authentification précède la notification, à défaut de quoi il existerait toujours un risque que le texte notifié ne soit pas identique au texte adopté par la Commission.

63.
    C'est donc à bon droit que le Tribunal a jugé qu'il y a violation d'une forme substantielle au sens de l'article 173 du traité lorsque l'authentification d'une décision intervient à une date indéterminée, postérieure à la notification de l'acte et même à l'introduction d'un recours en annulation contre cet acte.

64.
    Par conséquent, la deuxième branche du second moyen n'est pas fondée et doit être rejetée.

Sur le premier moyen

65.
    Ce moyen est tiré d'erreurs de droit et de motivation concernant la recevabilité du moyen nouveau de ICI, l'organisation de la procédure et la réunion des éléments de preuve.

66.
    Eu égard à ce qui a été indiqué précédemment au sujet, d'une part, du droit du Tribunal, conformément aux articles 49 et 65, sous b), de son règlement de procédure, d'ordonner la production de documents à tout stade de la procédure et, d'autre part, de son obligation de soulever d'office un moyen tiré de la violation d'une forme substantielle telle que le défaut d'authentification régulière d'un acte, il n'est pas nécessaire de répondre plus avant au premier moyen soulevé par la Commission qui doit être rejeté comme étant manifestement non fondé.

67.
    Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que les moyens présentés par la Commission ne sont pas fondés, en sorte que le pourvoi doit être rejeté.

Sur les dépens

68.
    Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l'article 118, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre)

déclare et arrête:

1)    Le pourvoi est rejeté.

2)    La Commission des Communautés européennes est condamnée aux dépens.

Sevón
Kapteyn
Jann

Ragnemalm

Wathelet

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 avril 2000.

Le greffier

Le président de la cinquième chambre

R. Grass

D. A. O. Edward


1: Langue de procédure: l'anglais.