Language of document : ECLI:EU:T:2015:644

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

18 septembre 2015 (*)

  « Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de l’Iran dans le but d’empêcher la prolifération nucléaire – Gel des fonds – Recours en annulation – Entité infra‑étatique – Qualité pour agir – Intérêt à agir – Recevabilité – Erreur d’appréciation – Modulation des effets dans le temps d’une annulation »

Dans l’affaire T‑5/13,

Iran Liquefied Natural Gas Co., établie à Téhéran (Iran), représentée par M. J. Grayston, solicitor, Mes G. Pandey, P. Gjørtler, D. Rovetta, M. Gambardella et N. Pilkington, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. M. Bishop et Á. de Elera-San Miguel Hurtado, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 2012/635/PESC du Conseil, du 15 octobre 2012, modifiant la décision 2010/413/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO L 282, p. 58), ainsi que du règlement d’exécution (UE) n° 945/2012 du Conseil, du 15 octobre 2012, mettant en œuvre le règlement (UE) n° 267/2012 concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO L 282, p. 16), dans la mesure où ces actes concernent la requérante,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de M. M. van der Woude (rapporteur), président, Mme I. Wiszniewska-Białecka et M. I. Ulloa Rubio, juges,

greffier : M. L. Grzegorczyk, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 26 février 2015,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, Iran Liquefied Natural Gas Co., est une société iranienne qui a été constituée en 2006 en vue de réaliser un projet spécial consistant à construire, à détenir et à exploiter une installation de production de gaz naturel liquéfié en Iran.

2        La présente affaire s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives instaurées en vue de faire pression sur la République islamique d’Iran afin que cette dernière mette fin aux activités nucléaires présentant un risque de prolifération et à la mise au point des vecteurs d’armes nucléaires.

3        Le 9 juin 2010, le Conseil de sécurité des Nations unies (ci-après le « Conseil de sécurité ») a adopté la résolution 1929 (2010) [ci-après la résolution 1929 »], destinée à élargir la portée des mesures restrictives instituées par les résolutions 1737 (2006), 1747 (2007) et 1803 (2008) du Conseil de sécurité et à instaurer des mesures restrictives supplémentaires à l’encontre de l’Iran.

4        Le 17 juin 2010, le Conseil européen a souligné qu’il était de plus en plus préoccupé par le programme nucléaire iranien et il s’est félicité de l’adoption de la résolution 1929. Rappelant sa déclaration du 11 décembre 2009, il a invité le Conseil à adopter des mesures mettant en œuvre celles prévues dans la résolution 1929 ainsi que des mesures d’accompagnement, en vue de contribuer à répondre, par la voie des négociations, à l’ensemble des préoccupations que continue de susciter le développement par l’Iran de technologies sensibles à l’appui de ses programmes nucléaire et balistique. Ces mesures devaient porter sur le secteur du commerce, le secteur financier, le secteur des transports iraniens et les grands secteurs de l’industrie gazière et pétrolière, ainsi que sur des désignations supplémentaires, en particulier le Corps des gardiens de la révolution islamique.

5        Le 26 juillet 2010, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision 2010/413/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant la position commune 2007/140/PESC (JO L 195, p. 39), dont l’annexe II énumère les personnes et les entités ­ – autres que celles désignées par le Conseil de sécurité ou par le comité des sanctions créé par la résolution 1737 (2006), mentionnées à l’annexe I – dont les avoirs sont gelés. Son considérant 22 se réfère à la résolution 1929 et mentionne que cette résolution relève le lien potentiel entre les recettes que l’Iran tire de son secteur de l’énergie et le financement de ses activités nucléaires posant un risque de prolifération.

6        Le 23 janvier 2012, le Conseil a adopté la décision 2012/35/PESC modifiant la décision 2010/413 (JO L 19, p. 22). Selon le treizième considérant de cette décision, les restrictions à l’admission et le gel des fonds et des ressources économiques devraient être appliqués à l’égard d’autres personnes et entités qui fournissent un appui au gouvernement iranien lui permettant de poursuivre des activités nucléaires posant un risque de prolifération ou la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires, en particulier les personnes et entités apportant un soutien financier, logistique ou matériel au gouvernement iranien.

7        L’article 1er, paragraphe 7, sous a), ii), de la décision 2012/35 a ajouté la disposition suivante à l’article 20, paragraphe 1, de la décision 2010/413, prévoyant le gel des fonds appartenant aux personnes et aux entités ci-après :

« c) les autres personnes et entités non mentionnées à l’annexe I qui fournissent un appui au gouvernement iranien et les personnes et entités qui leur sont associées, telles qu’énumérées à l’annexe II ».

8        En conséquence, dans le cadre du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, le Conseil a adopté, le 23 mars 2012, le règlement (UE) n° 267/2012 concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant le règlement (UE) n° 961/2010 (JO L 88, p. 1). En vue de mettre en œuvre l’article 1er, paragraphe 7, sous a), ii), de la décision 2012/35, l’article 23, paragraphe 2, de ce règlement prévoit le gel des fonds des personnes, des entités et des organismes énumérés à son annexe IX, qui ont été reconnus :

« d) comme étant d’autres personnes, entités ou organismes qui fournissent un appui au gouvernement iranien, notamment un soutien matériel, logistique ou financier, ou qui lui sont associés ».

9        Le 15 octobre 2012, le Conseil a adopté la décision 2012/635/PESC modifiant la décision 2010/413 (JO L 282, p. 58 ; ci-après la « décision attaquée »). Selon le considérant 16 de cette décision, il convient d’inscrire d’autres personnes et entités sur la liste des personnes et des entités faisant l’objet de mesures restrictives qui figure à l’annexe II de la décision 2010/413, en particulier les entités détenues par l’État iranien se livrant à des activités dans le secteur du pétrole et du gaz, étant donné qu’elles fournissent une source de revenus substantielle au gouvernement iranien.

10      L’article 1er, paragraphe 8, sous a), de la décision attaquée a modifié l’article 20, paragraphe 1, sous c), de la décision 2010/413, qui prévoit ainsi que feront l’objet de mesures restrictives :

« c) d’autres personnes et entités non mentionnées à l’annexe I qui fournissent un appui au gouvernement iranien et aux entités qui sont leur propriété ou qui sont sous leur contrôle ou les personnes et entités qui leur sont associées, telles qu’énumérées à l’annexe II ».

11      L’article 2 de la décision attaquée a inscrit le nom de la requérante dans le tableau I de l’annexe II de la décision 2010/413, lequel contient la liste des « [p]ersonnes et [des] entités concourant au programme nucléaire ou de missiles balistiques et des personnes et [des] entités appuyant le gouvernement de l’Iran ».

12      En conséquence, le même jour, le Conseil a adopté le règlement d’exécution (UE) n° 945/2012 mettant en œuvre le règlement n° 267/2012 (JO L 282, p. 16 ; ci-après le « règlement attaqué »). L’article 1er du règlement attaqué a inscrit le nom de la requérante dans le tableau I de l’annexe IX du règlement n° 267/2012, lequel contient la liste des « [p]ersonnes et [des] entités concourant au programme nucléaire ou de missiles balistiques et [des] personnes et [des] entités appuyant le gouvernement de l’Iran ».

13      Le nom de la requérante a été inscrit sur les listes figurant à l’annexe II de la décision 2010/413 et à l’annexe IX du règlement n° 267/2012 (ci-après les « listes ») par la décision et le règlement attaqués (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués ») au motif suivant : « Filiale de la National Iranian Oil Company (NIOC) ».

14      Le Conseil a procédé à la publication d’un avis au Journal officiel de l’Union européenne du 16 octobre 2012 à l’attention des personnes et des entités auxquelles s’appliquent les mesures restrictives prévues dans les actes attaqués (JO C 312, p. 21). Il a par ailleurs notifié lesdits actes attaqués à la requérante  par lettre datée du même jour. La requérante a toutefois indiqué ne pas avoir reçu cette lettre de notification.

15      Par lettre du 19 novembre 2012, la requérante a demandé au Conseil de lui communiquer une copie de la lettre officielle de notification ainsi que la motivation de l’inscription de son nom sur les listes. Le Conseil a accusé réception de cette demande le 26 novembre 2012.

16      Par lettre du 3 décembre 2012, le Conseil a communiqué à la requérante une copie de la lettre officielle de notification du 16 octobre 2012, à laquelle était annexée une copie des actes attaqués.

17      Par lettre du 11 décembre 2012, le Conseil a informé la requérante que les éventuelles observations concernant l’inscription de son nom sur les listes devaient lui être communiquées avant le 31 janvier 2013 afin de pouvoir être prises en considération lors du réexamen de cette inscription.

18      Le même jour, la requérante a demandé au Conseil de lui communiquer les raisons pour lesquelles il avait décidé de l’inscrire sur les listes et de lui donner accès aux documents sur la base desquels il s’était fondé pour adopter sa décision.

19      Par lettre du 20 décembre 2012, la requérante a réitéré sa demande formulée dans sa lettre du 11 décembre 2012 et a fait valoir que le Conseil avait violé ses droits de la défense en ne lui communiquant pas les documents demandés.

20      Le 4 janvier 2013, le Conseil a accusé réception des lettres de la requérante des 11 et 20 décembre 2012 et a indiqué que celles-ci étaient en cours d’examen.

21      Par lettre du 1er février 2013, la requérante a informé le Conseil que, malgré ses demandes répétées, elle n’avait toujours pas eu accès aux documents de son dossier et lui a à nouveau demandé de lui communiquer lesdits documents.

22      Par lettre du 28 février 2013, la requérante a indiqué au Conseil que l’absence de réponse à ses lettres devait être considérée comme un refus illégal de lui accorder un accès aux documents demandés. Elle lui a, dès lors, demandé de revoir cette décision et de lui donner accès auxdits documents ou de lui indiquer si ces documents n’existaient pas ou les raisons pour lesquelles ils ne pouvaient pas lui être communiqués.

23      Le Conseil a répondu, par lettre du 12 mars 2013, à la lettre de la requérante du 11 décembre 2012 et lui a donné accès aux documents suivants :

–        les propositions présentées par un État membre d’inscrire le nom de la requérante sur les listes ;

–        le compte-rendu de la réunion du groupe de travail « COMEM » (Moyen Orient/Golfe) du 9 octobre 2012 ;

–        les notes des 11 et 12 octobre 2012 du secrétariat général du Conseil au Comité des représentants permanents  (Coreper)/Conseil, et du 12 octobre 2012 du Coreper au Conseil.

24      Dans cette lettre du 12 mars 2013, le Conseil a précisé qu’il ne détenait pas d’autres documents ou informations concernant la requérante.

25      La requérante a répondu au Conseil par lettre du 5 avril 2013 et a fait valoir que la décision d’inscrire son nom sur les listes avait été adoptée sur la base d’une proposition d’un État membre, mais que le Conseil n’avait pas vérifié le bien-fondé de cette proposition. En outre, elle a indiqué qu’elle n’était pas une filiale de NIOC et que son nom devait donc être retiré des listes.

 Procédure et conclusions des parties

26      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 9 janvier 2013, la requérante a introduit le présent recours.

27      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 9 janvier 2013, la requérante a introduit une demande de procédure accélérée, au titre de l’article 154 du règlement de procédure du Tribunal. Le 4 février 2013, le Conseil a déposé ses observations sur cette demande.

28      Par décision du 8 mars 2013, le Tribunal (quatrième chambre) a rejeté la demande de procédure accélérée.

29      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 11 juillet 2013, la requérante a introduit une demande en référé, dans laquelle elle a conclu, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal de surseoir à l’exécution, d’une part, des actes attaqués, dans la mesure où ils la concernent, et, d’autre part, de l’article 1er du règlement (UE) n° 1263/2012 du Conseil, du 21 décembre 2012, modifiant le règlement n° 267/2012 (JO L 356, p. 34), dans la mesure où cet acte rend impossible l’exécution des contrats conclus par la requérante avec des partenaires établis dans l’Union européenne.

30      Par ordonnance du 29 août 2013, Iran Liquefied Natural Gas/Conseil (T‑5/13 R, EU:T:2013:395), la demande en référé a été rejetée et les dépens ont été réservés.

31      Par ordonnance du président de la quatrième chambre du Tribunal du 3 septembre 2013, la procédure dans la présente affaire a été suspendue jusqu’au prononcé de l’arrêt du Tribunal dans l’affaire T‑578/12, National Iranian Oil Company/Conseil.

32      L’arrêt National Iranian Oil Company/Conseil (T‑578/12, EU:T:2014:678) ayant été prononcé le 16 juillet 2014, la procédure dans la présente affaire a été reprise. Le Tribunal a décidé de recueillir les observations des parties sur les conséquences à tirer de cet arrêt sur le présent recours. Les parties ont déféré à cette demande dans le délai imparti.

33      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la septième chambre à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

34      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués, dans la mesure où ces actes la concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

35      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ou, à titre subsidiaire, comme non-fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

36      Dans la réplique, la requérante réitère en substance les chefs de conclusions qui figurent dans la requête et demande, en outre, au Tribunal de déclarer inapplicable l’article 1er du règlement n° 1263/2012, dans la mesure où il la concerne. Toutefois, lors de l’audience, à la suite d’une question du Tribunal, la requérante a déclaré que cette demande ne constituait pas un chef de conclusions à part entière, mais était un élément contextuel à prendre en considération dans l’examen de la légalité des actes attaqués.

  En droit

 Sur la recevabilité

37      Le Conseil, sans soulever une exception d’irrecevabilité formelle, invoque l’irrecevabilité du présent recours. Il soutient que la requérante doit être considérée comme une organisation gouvernementale au sens de l’article 34 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), lequel détermine les personnes autorisées à introduire une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme, et exclut les organisations gouvernementales du prétoire de cette juridiction. Le Conseil fait valoir que la requérante est une entreprise publique dont le capital est détenu, via sa société mère, par l’État iranien.

38      En tant qu’émanation de l’État iranien, la requérante n’aurait, dès lors, pas qualité pour former un recours, afin d’invoquer une violation du droit de propriété ou d’autres droits fondamentaux. À cet égard, le Conseil distingue entre, d’une part, certains droits procéduraux reconnus aux États et, d’autre part, les droits fondamentaux, tels que le droit de propriété, dont les États ne sauraient bénéficier.

39      Cette fin de non-recevoir s’appliquerait à l’ensemble des moyens invoqués, car le présent recours viserait en réalité à obtenir l’annulation du gel des fonds, lequel constituerait une atteinte – justifiée – au droit de propriété. Peu importerait, dès lors, que tous les moyens ne se réfèrent pas spécifiquement à ce droit.

40      Selon le Conseil, la ratio legis de l’article 34 de la CEDH réside dans la nature même des droits fondamentaux, dont le respect doit être garanti par l’État à l’égard de personnes physiques et morales relevant de sa juridiction au sens de la CEDH. Un État ou une de ses émanations ne pourraient dès lors pas bénéficier des droits fondamentaux, car un État souverain ne relève pas de la juridiction d’un autre État.

41      Malgré l’absence de disposition expresse similaire dans les traités et la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, le principe selon lequel un État ne bénéficie pas des droits fondamentaux serait transposable dans le système juridique de l’Union, tant en ce qui concerne les États membres que les États tiers, ou les entités qui en émanent. Dès lors, il n’appartiendrait pas aux juridictions de l’Union de régler les litiges entre cette dernière et des États tiers, relatifs aux droits de propriété de ces derniers.

42      La requérante estime que son recours et l’ensemble des moyens qu’elle invoque sont recevables.

43      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans ses arrêts du 29 janvier 2013, Bank Mellat/Conseil (T‑496/10, Rec, sous pourvoi , EU:T:2013:39), et du 5 février 2013, Bank Saderat Iran/Conseil (T‑494/10, Rec, sous pourvoi, EU:T:2013:59), le Tribunal a déjà eu l’occasion de rejeter une argumentation similaire, qui avait été opposée par le Conseil, soutenu par la Commission, aux moyens tirés de la violation des droit fondamentaux invoqués par les requérantes, les deux institutions susvisées faisant valoir que ces dernières étaient des émanations de l’État iranien.

44      En outre, dans l’arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft (C‑348/12 P, Rec, EU:C:2013:776), la Cour a écarté l’argumentation du Conseil et de la Commission selon laquelle Kala Naft, en tant qu’émanation de l’État iranien, ne bénéficiait pas de la protection des droits fondamentaux. À cet égard, la Cour a constaté que, dans la mesure où le recours s’inscrivait dans le cadre de l’article 275, second alinéa, TFUE, et où la requérante avait qualité et intérêt à agir contre son inscription, cette argumentation « ne concernait pas la recevabilité du recours ni même d’un moyen, mais avait trait au fond du litige ». La Cour a ainsi confirmé, en substance, qu’une entité qui est une émanation d’un État tiers est recevable à former un recours en annulation contre les mesures restrictives adoptées à son égard.

45      En l’espèce, il convient de relever que, à la différence de son argumentation devant le Tribunal dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 25 avril 2012, Manufacturing Support & Procurement Kala Naft/Conseil (T‑509/10, Rec, EU:T:2012:201), Bank Mellat/Conseil, point 43 supra (EU:T:2013:39), et Bank Saderat Iran/Conseil, point 43 supra (EU:T:2013:59), dans lesquelles il n’avait pas excipé de l’irrecevabilité du recours dans son ensemble, le Conseil ne se limite pas à contester « la possibilité pour la requérante d’invoquer les protections et garanties liées aux droits fondamentaux ». En effet, le Conseil conclut expressément à l’irrecevabilité du présent recours dans son ensemble. 

46      La fin de non-recevoir soulevée par le Conseil ne saurait être accueillie.

47      En effet, il y a lieu de rappeler que le présent recours s’inscrit dans le cadre de l’article 275, second alinéa, TFUE, en combinaison avec l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, en ce qu’il tend à l’annulation de la décision attaquée, fondée sur l’article 29 TUE. En effet, l’article 275, second alinéa, TFUE soumet expressément les décisions prévoyant des mesures restrictives à l’encontre de personnes physiques ou morales, adoptées par le Conseil sur la base du titre V, chapitre 2, du traité UE, au contrôle de légalité dans les conditions prévues à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

48      Or, l’article 263, quatrième alinéa, TFUE confère à toute personne physique ou morale qualité pour agir contre les actes des institutions de l’Union, dès lors que les conditions définies par cette disposition sont réunies, ce qui est le cas en l’espèce et n’est d’ailleurs pas contesté. En l’espèce, la requérante justifie de la qualité pour agir et d’un intérêt à agir contre les actes attaqués, en ce qu’ils l’inscrivent sur les listes (voir, en ce sens, arrêt Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, point 44 supra, EU:C:2013:776, point 50). À cet égard, il convient en effet de rappeler que la nature individuelle des mesures restrictives adoptées à l’égard d’une personne ouvre, conformément aux termes de l’article 275, second alinéa, TFUE, et de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, l’accès au juge de l’Union (arrêt du 23 avril 2013, Gbagbo e.a./Conseil, C‑478/11 P à C‑482/11 P, Rec, EU:C:2013:258, point 58). Partant, dans la mesure où ni les deux articles susmentionnés ni aucune autre disposition du droit primaire de l’Union n’exclut les États tiers de ce droit de recours, une personne morale qui est une émanation d’un État tiers ne saurait se voir dénier le droit de former un recours contre une mesure de gel des fonds adoptée à son encontre, en vue d’obtenir le contrôle de la légalité de cette mesure. En effet, une telle solution violerait les dispositions de l’article 263 et de l’article 275, second alinéa, TFUE, et serait dès lors contraire au système de protection juridictionnelle institué par le traité FUE, ainsi qu’au droit à un recours effectif consacré par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, Rec, EU:C:2013:470, point 64).

49      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, la fin de non-recevoir soulevée par le Conseil doit être rejetée.

 Sur le fond

50      À l’appui de son recours, la requérante invoquent six moyens. Le premier moyen est tiré d’une violation du droit d’être entendu. Le deuxième moyen est tiré d’une violation de l’obligation de notification. Le troisième moyen est tiré d’une violation de l’obligation de motivation. Le quatrième moyen est tiré d’une violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective. Le cinquième moyen est tiré d’une erreur d’appréciation. Le sixième moyen est tiré d’une violation du principe de proportionnalité et du droit de propriété.

51      Il convient d’examiner, d’abord, le cinquième moyen.

52      Dans le cadre de son cinquième moyen, la requérante fait valoir qu’elle n’est pas une filiale de NIOC et que le Conseil a, dès lors, commis une erreur d’appréciation en inscrivant son nom sur les listes sur la base de ce motif.

53      Le Conseil soutient, en substance, que, les membres du conseil d’administration de NIOC constituant également le conseil d’administration de l’actionnaire majoritaire de la requérante, cette dernière est contrôlée par NIOC et peut donc être considérée comme une filiale de cette entité.

54      Il convient de rappeler que l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux exige notamment que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne déterminée sur les listes, le juge de l’Union s’assure que cette décision repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur le point de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, Rec, EU:C:2013:518, point 119).

55      C’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs. Il importe que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne concernée. Si ces éléments ne permettent pas de constater le bien-fondé d’un motif, le juge de l’Union écarte ce dernier en tant que support de la décision d’inscription ou de maintien de l’inscription en cause (arrêt Commission e.a./Kadi, point 54 supra, EU:C:2013:518, points 121 à 123).

56      En l’espèce, il ressort des documents fournis par la requérante que, au jour de l’adoption des actes attaqués, le capital de cette dernière était détenu comme suit :

–        49 % par la Social Security Organisation, à laquelle National Iranian Gas Export Co., filiale de NIOC, a transféré ses actions le 18 mars 2012 ;

–        50 % (moins deux actions) par Petroleum Industry Pension Saving Fund (ci-après le « PIPF ») ;

–        1 % par Oil Pension Fund Investment Co. (ci-après « Investorco »), filiale à 99,9 % de PIPF ;

–        1 action par Saba Naft Construction and Engineering Co., filiale à 99,9 % d’Investorco ;

–        1 action par Jey Oil Refining Co., filiale à 99,9 % d’Investorco.

57      Il y a lieu de constater, à l’instar du Conseil, que, par la détention quasi-intégrale du capital d’Investorco, de Saba Naft et de Jey Oil Refining, PIPF détient, de facto, 51 % du capital de la requérante et est donc l’actionnaire majoritaire de cette dernière.

58      Toutefois, la participation majoritaire de PIPF dans le capital de la requérante ne permet aucunement de conclure que cette dernière est une filiale de NIOC.

59      En effet, d’une part, l’examen de la composition de l’actionnariat de la requérante révèle clairement que NIOC ne possède aucune participation, même indirecte, dans le capital de la requérante ou dans celui de PIPF et n’est donc titulaire d’aucun droit de vote dans ces sociétés.

60      D’autre part, le dossier du Conseil ne contient aucun élément permettant de considérer que NIOC exerce un contrôle sur la requérante par l’intermédiaire de PIPF. À cet égard, le Tribunal souligne que la seule circonstance que les membres du conseil d’administration de NIOC composent également le conseil d’administration de PIPF ne saurait suffire à établir l’existence d’un tel contrôle. En effet, à défaut d’information sur la personne ou l’entité investie du pouvoir de nommer les personnes composant lesdits conseils d’administration, rien ne permet de conclure que c’est NIOC qui exerce un contrôle sur PIPF et non le contraire. L’identité de personnes dans la composition des conseils d’administration de NIOC et de PIPF révèle tout au plus que ces entités sont des sociétés sœurs, mais ne permet aucunement de conclure que l’une d’elles est filiale de l’autre et, par conséquent, que la requérante est une filiale de NIOC.

61      Partant, la décision d’inscrire le nom de la requérante sur les listes au motif qu’elle est une filiale de NIOC n’est pas justifiée. Or, étant donné que seul ce motif a été retenu à l’encontre de la requérante lors de l’adoption des actes attaqués, les autres raisons avancées par le Conseil au cours de la procédure devant le Tribunal, telles que l’importance des activités de la requérante dans les secteurs du gaz et du pétrole iraniens, ne sauraient être prises en considération. En effet, selon la jurisprudence, la légalité des actes attaqués ne peut être appréciée que sur le fondement des éléments de fait et de droit sur la base desquels ils ont été adoptés. Le Tribunal ne saurait dès lors procéder à une substitution des motifs sur lesquels ces actes se fondent (voir arrêt du 12 novembre 2013, North Drilling/Conseil, T‑552/12, EU:T:2013:590, point 25 et jurisprudence citée).

62      Au vu de ce qui précède, il y a donc lieu d’accueillir le cinquième moyen, tiré d’une erreur  d’appréciation, et d’annuler les actes attaqués sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens invoqués par la requérante.

 Sur les effets dans le temps de l’annulation des actes attaqués

63      La requérante fait valoir qu’il y a pas de raisons valables, au titre de l’article 264, second alinéa, TFUE, de maintenir un quelconque effet des actes attaqués jusqu’à ce que le Conseil puisse adopter une nouvelle décision.

64      Il convient de rappeler que, en vertu de l’article 264, second alinéa, TFUE, le Tribunal peut, s’il l’estime nécessaire, indiquer ceux des effets d’un acte annulé qui doivent être considérés comme définitifs. Il résulte de la jurisprudence que cette disposition permet au juge de l’Union de décider de la date de prise d’effet de ses arrêts en annulation (voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2013, Nabipour e.a./Conseil, T‑58/12, EU:T:2013:640, points 250 et 251).

65      Dans les circonstances de l’espèce, le Tribunal considère, pour les raisons exposées ci-après, qu’il est nécessaire de suspendre la prise d’effet du présent arrêt jusqu’à la date d’expiration du délai de pourvoi visé à l’article 56, premier alinéa, du statut de la Cour ou, si un pourvoi a été introduit dans ce délai, jusqu’au rejet de celui-ci.

66      Le programme nucléaire mis en œuvre par la République islamique d’Iran est une source de préoccupations vives tant sur le plan international que sur le plan européen. C’est dans ce contexte que le Conseil a graduellement élargi le nombre de mesures restrictives prises à l’encontre de cet État, en vue de faire obstacle au développement d’activités mettant en péril la paix et la sécurité internationale, dans le cadre de la mise en œuvre de résolutions du Conseil de sécurité.

67      Dès lors, l’intérêt de la requérante à obtenir une prise d’effet immédiate du présent arrêt en annulation doit être mis en balance avec l’objectif d’intérêt général poursuivi par la politique de l’Union en matière de mesures restrictives à l’encontre de la République islamique d’Iran. La modulation des effets dans le temps de l’annulation d’une mesure restrictive peut ainsi se justifier par la nécessité d’assurer l’efficacité des mesures restrictives et, en définitive, par des considérations impérieuses touchant à la sûreté ou à la conduite des relations internationales de l’Union et de ses États membres (voir, par analogie, s’agissant de l’absence d’obligation de communication préalable à l’intéressé des motifs de son inscription initiale sur les listes, arrêt du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, Rec, EU:C:2011:853, point 67).

68      Or, l’annulation avec effet immédiat des actes attaqués en ce qu’ils concernent la requérante permettrait à d’autres entités désignées ou au gouvernement iranien d’utiliser cette dernière aux fins de contourner les mesures restrictives prises à l’encontre de l’Iran, sans que le Conseil puisse le cas échéant appliquer en temps utile l’article 266 TFUE en vue de remédier aux irrégularités constatées dans le présent arrêt, de sorte qu’une atteinte sérieuse et irréversible risquerait d’être causée à l’efficacité desdites mesures restrictives. En effet, s’agissant de l’application de l’article 266 TFUE dans le cas d’espèce, il y a lieu de relever que l’annulation par le présent arrêt de l’inscription du nom de la requérante sur les listes découle du fait que les motifs de cette inscription ne sont pas étayés par des preuves suffisantes. Bien qu’il appartienne au Conseil de décider des mesures d’exécution de cet arrêt, une nouvelle inscription du nom de la requérante ne saurait être exclue d’emblée. En effet, dans le cadre de ce nouvel examen, le Conseil a la possibilité de réinscrire le nom de la requérante sur la base de motifs étayés à suffisance de droit.

69      Il s’ensuit que les effets des actes attaqués doivent être maintenus à l’égard de la requérante, jusqu’à la date d’expiration du délai de pourvoi ou, si un pourvoi est introduit dans ce délai, jusqu’au rejet du pourvoi.

 Sur les dépens

70      L’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure dispose que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de le condamner aux dépens de la présente instance ainsi qu’à ceux afférents à la procédure en référé, conformément aux conclusions de la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision 2012/635/PESC du Conseil, du 15 octobre 2012, modifiant la décision 2010/413/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran, est annulée en ce qu’elle a inscrit le nom d’Iran Liquefied Natural Gas Co. dans l’annexe II de la décision 2010/413/PESC du Conseil, du 26 juillet 2010, concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant la position commune 2007/140/PESC.

2)      Le règlement d’exécution (UE) n° 945/2012 du Conseil, du 15 octobre 2012, mettant en œuvre le règlement (UE) n° 267/2012 concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran, est annulé en ce qu’il a inscrit le nom d’Iran Liquefied Natural Gas dans l’annexe IX du règlement (UE) n° 267/2012 du Conseil, du 23 mars 2012, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant le règlement (UE) n° 961/2010.

3)      Les effets de la décision 2012/635 et du règlement d’exécution n° 945/2012 sont maintenus en ce qui concerne Iran Liquefied Natural Gas, jusqu’à la date d’expiration du délai de pourvoi visé à l’article 56, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ou, si un pourvoi a été introduit dans ce délai, jusqu’au rejet du pourvoi.

4)      Le Conseil de l’Union européenne supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par Iran Liquefied Natural Gas, dans le cadre de la présente instance et de la procédure en référé.

Van der Woude

Wiszniewska-Białecka

Ulloa Rubio

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 18 septembre 2015.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.