Language of document : ECLI:EU:T:2011:384

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

14 juillet 2011(*)

« Référé – Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes et entités au regard de la situation en Tunisie – Gel de fonds – Demande de sursis à exécution et de mesures provisoires – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑187/11 R,

Mohamed Trabelsi, demeurant à Paris (France),

Ines Lejri, demeurant à Paris,

Moncef Trabelsi, demeurant à Paris,

Selima Trabelsi, demeurant à Paris,

Tarek Trabelsi, demeurant à Paris,

représentés initialement par Me A. Metzker, puis par Me A. Tekari, avocats,

parties requérantes,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. A. Vitro et G. Étienne, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de mesures provisoires et de sursis à l’exécution de la décision d’exécution 2011/79/PESC du Conseil, du 4 février 2011, mettant en œuvre la décision 2011/72/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes et entités au regard de la situation en Tunisie (JO L 31, p. 40),

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        Les requérants, M. Mohamed Trabelsi, son épouse, Mme Ines Lejri et leurs trois enfants mineurs, Moncef, Selima et Tarek, sont des citoyens tunisiens. Depuis le 14 janvier 2011, ils résident en France à la suite des événements politiques survenus en Tunisie.

2        Le 31 janvier 2011, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision 2011/72/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes et entités au regard de la situation en Tunisie (JO L 28, p. 62), par laquelle il a, notamment, réaffirmé à la République tunisienne et au peuple tunisien toute sa solidarité et son soutien en faveur des efforts déployés pour établir une démocratie stable, l’État de droit, le pluralisme démocratique et le plein respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

3        En outre, le Conseil a adopté des « mesures restrictives à l’encontre de personnes responsables du détournement de fonds publics tunisiens, qui privent ainsi le peuple tunisien des avantages du développement durable de son économie et de sa société et compromettent l’évolution démocratique du pays ».

4        Dans son article 1er, paragraphe 1, la décision 2011/72/PESC dispose :

« Sont gelés tous les capitaux et ressources économiques qui appartiennent à des personnes responsables du détournement de fonds publics tunisiens et aux personnes physiques ou morales, entités ou organismes qui leur sont associés, de même que tous les capitaux et ressources économiques qui sont en leur possession, ou qui sont détenus ou contrôlés par ces personnes, entités ou organismes, dont la liste figure à l’annexe. »

5        En vertu de l’article 2, paragraphe 1, de la décision 2011/72/PESC :

« Le Conseil, statuant sur proposition d’un État membre ou du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, établit la liste qui figure à l’annexe et la modifie. »

6        La liste figurant à l’annexe de la décision 2011/72/PESC ne contenait pas le nom des requérants, mais uniquement le nom de deux personnes physiques, à savoir M. Zine el-Abidine Ben Hamda Ben Ali, ancien président de la République tunisienne, et Mme Leïla Bent Mohammed Trabelsi, son épouse.

7        Le 4 février 2011, le Conseil a adopté la décision d’exécution 2011/79/PESC, mettant en œuvre la décision 2011/72/PESC (JO L 31, p. 40, ci-après la « décision attaquée »), qui est entrée en vigueur, en vertu de son article 2, le jour même de son adoption.

8        La décision attaquée a modifié la liste des personnes faisant l’objet des mesures restrictives énoncées à l’annexe de la décision 2011/72/PESC en substituant sa propre annexe à cette dernière. En substance, la décision attaquée a étendu l’application des mesures restrictives à 48 personnes physiques, dont l’un des requérants, M. Mohamed Trabelsi.

9        L’annexe de la décision attaquée contient les informations nécessaires à l’identification de chaque personne inscrite et indique les motifs de cette inscription. Concernant M. Mohamed Trabelsi, l’annexe de la décision attaquée contient les informations suivantes :

« Nom : Mohamed Ben Moncef Ben Mohamed TRABELSI ;

Informations d’identification : Tunisien, né à Sabha-Lybie le 7 janvier 1980, fils de Yamina SOUIEI, gérant de société, marié à Inès LEJRI, demeurant résidence de l’étoile du nord - suite B - 7ème étage - appt. N° 25 - Centre urbain du nord - Cité El Khadra - Tunis, titulaire de la CNI n° 04524472 ;

Motifs : Personne faisant l’objet d’une enquête judiciaire des autorités tunisiennes pour acquisition de biens immobiliers et mobiliers, ouverture de comptes bancaires et détention d’avoirs financiers dans plusieurs pays dans le cadre d’opérations de blanchiment d’argent. »

 Procédure

10      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 mars 2011, les requérants ont introduit un recours visant à l’annulation de la décision attaquée.

11      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 31 mars 2011, les requérants ont introduit la présente demande en référé, dans laquelle ils concluent à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        suspendre l’exécution de la décision attaquée ;

–        leur octroyer le versement d’une provision à hauteur de 25 000 euros ;

–        ordonner la suppression du nom de M. Mohamed Trabelsi ainsi que des informations d’identification le concernant de la liste annexée à la décision attaquée ;

–        leur autoriser un droit de réponse ;

–        protéger Tarek Trabelsi du fait de son handicap ;

–        mettre à la charge de l’Union la somme de 25 000 euros au titre des dépens ;

–        condamner l’État au versement de frais irrépétibles sur le fondement de l’article L 761-1 du code de justice administrative français.

12      Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 13 avril 2011, le Conseil conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé ;

–        condamner les requérants aux dépens.

 En droit 

 Sur les demandes tendant, d’une part, au sursis à l’exécution de la décision attaquée et, d’autre part, à ce qu’il soit ordonné la suppression du nom de M. Mohamed Trabelsi et des informations d’identification le concernant de la liste annexée à ladite décision

13      En vertu des dispositions combinées des articles 278 TFUE et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

14      Conformément à une jurisprudence constante, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires ne peuvent être accordées par le juge des référés que s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui sollicite les mesures provisoires, qu’ils soient prononcés et produisent leurs effets dès avant la décision principale. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence [voir ordonnance du président de la Cour du 29 avril 2005, Technische Glaswerke Ilmenau/Commission, C‑404/04 P(R), Rec. p. I‑3539, point 10, et la jurisprudence citée ; ordonnance du président de la Cour du 10 décembre 2009, Commission/Italie, C‑573/08 R, non publiée au Recueil, point 11].

15      Les conditions ainsi posées sont cumulatives, de sorte que les mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une de ces conditions fait défaut (voir ordonnance Technische Glaswerke Ilmenau/Commission, précitée, point 11, et la jurisprudence citée ; ordonnance Commission/Italie, précitée, point 12).

16      En outre, dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit de l’Union ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnances du président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C‑149/95 P(R), Rec. p. I‑2165, point 23, et du 3 avril 2007, Vischim/Commission, C‑459/06 P(R), non publiée au Recueil, point 25].

17      Enfin, il importe de souligner que l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours (ordonnance du président de la Cour du 25 juillet 2000, Pays-Bas/Parlement et Conseil, C‑377/98 R, Rec. p. I‑6229, point 44, et ordonnance du président du Tribunal du 28 juin 2000, Cho Yang Shipping/Commission, T‑191/98 RII, Rec. p. II‑2551, point 42). Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires.

18      Les mesures demandées doivent en outre être provisoires en ce sens qu’elles ne préjugent pas les points de droit ou de fait en litige, ni ne neutralisent par avance les conséquences de la décision principale à rendre ultérieurement (ordonnance Commission/Atlantic Container Line e.a., précitée, point 22, et ordonnance du président du Tribunal du 7 mai 2002, Aden e.a./Conseil et Commission, T‑306/01 R, Rec. p. II‑2387, point 41). 

19      Eu égard aux éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de toutes les informations nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales. 

20      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition relative à l’urgence est remplie.

21      Selon une jurisprudence constante, l’urgence doit s’apprécier par rapport à la nécessité de statuer provisoirement, afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la mesure provisoire.

22      L’imminence du préjudice ne doit pas être établie avec une certitude absolue. Il suffit, particulièrement lorsque la réalisation du préjudice dépend de la survenance d’un ensemble de facteurs, qu’elle soit prévisible avec un degré de probabilité suffisant (voir ordonnance du président du Tribunal du 7 juin 2007, IMS/Commission, T‑346/06 R, Rec. p. II‑1781, points 121 et 123, et la jurisprudence citée). Toutefois, la partie qui s’en prévaut demeure tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un préjudice grave et irréparable [ordonnance du président de la Cour du 14 décembre 1999, HFB e.a./Commission, C‑335/99 P(R), Rec. p. I‑8705, point 67 ; ordonnances du président du Tribunal du 15 novembre 2001, Duales System Deutschland/Commission, T‑151/01 R, Rec. p. II‑3295, point 188, et du 25 juin 2002, B/Commission, T‑34/02 R, Rec. p. II‑2803, point 86].

23      À la lumière de ces considérations, il convient d’examiner si les requérants ont démontré avec un degré de probabilité suffisant que, en cas de rejet de la demande en référé, ils subiraient un préjudice grave et irréparable.

24      À cet égard, les requérants soutiennent, en substance, qu’ils subiront un préjudice grave et irréparable, affectant leur vie, leur patrimoine et leur intégrité morale du fait de la mention de leurs noms, directement pour deux d’entre eux, M. Mohamed Trabelsi et Mme Ines Lejri, et indirectement pour leur trois enfants mineurs, sur la liste des personnes soumises au gel de leurs avoirs financiers annexée à la décision attaquée. Les préjudices allégués résulteraient des conséquences attachées, d’une part, au caractère public de ladite liste et, d’autre part, au gel des avoirs financiers des requérants. Ces derniers invoquent donc à la fois un préjudice moral et un préjudice financier. 

 Sur le préjudice moral lié au caractère public de la liste nominative annexée à la décision attaquée

25      En premier lieu, les requérants invoquent un risque pour leur sécurité personnelle et leur intégrité physique, en expliquant que la décision attaquée encourage les représailles et les brimades et qu’ils ont d’ores et déjà reçu, oralement et par écrit, des menaces de mort anonymes. À l’appui de cet argument, ils fournissent une lettre, adressée à M. Mohamed Trabelsi, dans laquelle ces menaces ont été formulées. En second lieu, les requérants font valoir que la décision attaquée porte atteinte à leur honneur, à leur dignité, à leur réputation ainsi qu’à leur présomption d’innocence, ce qui cause ou, à tout le moins, contribue à causer leur détresse morale et affective ainsi que leur stigmatisation sociale.

26      À titre liminaire, il convient de souligner que les mesures de gel de fonds ont pour objet, en l’espèce, de préserver les possibilités des autorités tunisiennes de recouvrer, à l’issue de la procédure judiciaire en cours, les fonds publics éventuellement détournés. Ces mesures sont donc de nature purement conservatoire, et, en tant que telles, n’impliquent aucune accusation de nature pénale. À cet égard, il y a lieu de rappeler la jurisprudence, bien établie en la matière, selon laquelle les mesures restrictives ne constituent pas une sanction pénale et n’impliquent, par ailleurs, aucune accusation de cette nature (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 11 juillet 2007, Sison/Conseil, T‑47/03, non publié au Recueil, point 101, et du 7 décembre 2010, Fahas/Conseil, T‑49/07, non encore publié au Recueil, point 67).

27      S’agissant tout d’abord du prétendu risque pesant sur la sécurité personnelle et l’intégrité physique des requérants, il y a lieu de constater que les requérants n’ont pas démontré qu’un tel risque, à supposer qu’il soit réel, résulterait nécessairement de la mention de leurs noms dans la liste annexée à la décision attaquée, ni que ce risque pourrait être écarté si leurs noms étaient retirés de ladite liste.

28      De surcroît, sur la base des éléments du dossier, il apparaît plausible que les menaces formulées à l’encontre des requérants, pour condamnables qu’elles soient, aient pour origine non la décision attaquée, mais l’appartenance de ces derniers à la famille de M. Zine el-Abidine Ben Hamda Ben Ali, ancien président de la République tunisienne – M. Mohamed Trabelsi étant le neveu de Mme Leïla Bent Mohammed Trabelsi –, et les faits qui lui sont reprochés par les autorités tunisiennes dans le cadre de l’enquête judiciaire en cours, à savoir « acquisition de biens mobiliers et immobiliers, ouverture de comptes bancaires et détention d’avoir financier dans plusieurs pays dans le cadre d’opérations de blanchiment d’argent ».

29      Il convient d’ajouter que tant les liens familiaux des requérants avec l’ancien président déchu que l’enquête judiciaire en cours étaient notoirement connus des publics tunisien et étranger avant même la publication de la décision attaquée. Compte tenu de ces éléments, il n’apparaît pas raisonnable d’attribuer la cause des menaces formulées à l’encontre des requérants ou, de manière générale, le prétendu risque pesant sur leur sécurité personnelle et leur intégrité physique à la décision attaquée.

30      Par ailleurs, il y a également lieu de noter que les requérants eux-mêmes semblent reconnaître que les préjudices invoqués ne sont pas directement liés à la décision attaquée lorsqu’ils énoncent que, « depuis leur arrivée en France courant janvier 2011 [antérieurement à la date d’adoption de la décision attaquée], la vie de [leur] famille est un véritable enfer, puisqu’[ils vivent] dans la peur de représailles du peuple tunisien influencé par la nouvelle classe politique tunisienne qui, sans le moindre scrupule, appelle à la chasse à toute une famille sans la moindre nuance ».

31      À cet égard, il convient de constater que l’octroi de la mesure provisoire demandée, consistant en la suppression du nom de M. Mohamed Trabelsi et des informations d’identification le concernant de la liste annexée à la décision attaquée, ne saurait écarter le risque, aussi réel qu’il puisse être, qui pèse sur sa sécurité personnelle et son intégrité physique ou sur celles de sa famille.

32      S’agissant ensuite du préjudice moral résultant de l’atteinte prétendument portée à l’honneur, à la dignité, à la réputation et à la présomption d’innocence des requérants, de leur détresse morale et émotionnelle ainsi que de la stigmatisation sociale dont ils seraient victimes, il y a lieu de souligner que, comme il a déjà été mentionné au point 26 ci-dessus, les mesures restrictives instaurées par la décision attaquée sont de nature conservatoire. Elles n’impliquent aucune accusation de nature pénale susceptible de porter atteinte à la présomption d’innocence des requérants. Par ailleurs, les requérants n’ont pas démontré que le préjudice invoqué résulterait de la décision attaquée et non des événements politiques survenus en Tunisie et de l’enquête judiciaire en cours. De surcroît, à supposer même que la décision attaquée ait pu contribuer au prétendu préjudice et que l’octroi des mesures provisoires demandées puisse y remédier, à tout le moins en partie, il convient néanmoins de constater qu’un tel octroi ne pourrait le faire plus que ne le ferait une éventuelle annulation de l’acte attaqué au terme de la procédure principale (ordonnances du président du Tribunal Aden e.a./Conseil et Commission, précitée, point 117 ; du 15 mai 2003, Sison/Conseil, T‑47/03 R, Rec. p. II‑2047, point 41, et du 27 août 2008, Melli Bank/Conseil, T‑246/08 R, non publiée au Recueil, point 53).

33      Dans la mesure où la finalité de la procédure en référé n’est pas d’assurer la réparation d’un préjudice, mais de garantir la pleine efficacité de l’arrêt au fond, il convient de conclure, s’agissant du préjudice moral allégué, que la condition relative à l’urgence fait défaut en l’espèce [voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 25 mars 1999, Willeme/Commission, C‑65/99 P(R), Rec. p. I‑1857, point 62 ; ordonnances Sison/Conseil, précitée, point 41 et Melli Bank/Conseil, précitée, point 53].

34      Il s’ensuit que la condition relative à l’urgence fait défaut en l’espèce en ce qui concerne l’ensemble du préjudice moral invoqué.

 Sur le préjudice financier lié aux mesures de gel de fonds

35      Les requérants invoquent un préjudice financier lié aux mesures de gel de fonds imposées par la décision attaquée. Ils font également valoir que l’ensemble de leur patrimoine est en péril et qu’ils sont « ruinés et proches de la misère ». Enfin, ils se plaignent des pillages de leur maison et de leurs biens en Tunisie.

36      Il convient de relever que, selon une jurisprudence bien établie, un préjudice d’ordre purement pécuniaire ne peut, en principe, être regardé comme irréparable, ou même difficilement réparable, dès lors qu’il peut faire l’objet d’une compensation financière ultérieure (ordonnance du président de la troisième chambre de la Cour du 3 juillet 1984, de Compte/Parlement, 141/84 R, Rec. p. 2575, point 4 ; ordonnances du président du Tribunal du 29 septembre 1993, Hogan/Cour de justice, T‑497/93 RII, Rec. p. II‑1005, point 17, et du 30 novembre 1993, D./Commission, T‑549/93 R, Rec. p. II‑1347, point 45).

37      Il appartient toutefois au juge des référés d’apprécier, en fonction des circonstances propres à chaque espèce, si l’exécution immédiate de l’acte faisant l’objet de la demande de sursis à exécution peut causer à la partie qui sollicite les mesures provisoires un préjudice grave et imminent, qu’aucune décision ultérieure ne serait susceptible de réparer.

38      Dans un contexte tel que celui de la présente affaire, le juge des référés doit s’assurer, eu égard aux circonstances propres à la situation de la partie qui sollicite les mesures provisoires, qu’elle dispose d’une somme devant normalement lui permettre de faire face à l’ensemble des dépenses indispensables pour assurer la satisfaction de ses besoins élémentaires jusqu’au moment où il sera statué sur le fond du recours (ordonnances Aden e.a./Conseil et Commission, précitée, point 94, et Sison/Conseil, précitée, point 31).

39      À cet égard, y a lieu de constater que, en l’espèce, les requérants ne prétendent et encore moins ne démontrent, preuve à l’appui, qu’ils ne disposent pas des ressources nécessaires permettant d’assurer la satisfaction de leurs besoins élémentaires jusqu’au prononcé de la décision dans l’affaire principale. En effet, les requérants se limitent à des affirmations de nature générale et vague, selon lesquelles la décision attaquée a pour effet de mettre leur patrimoine en danger et donc de les conduire à la misère.

40      De surcroît, il suffit de relever que l’article 1er, paragraphe 3, de la décision 2011/72/PESC prévoit :

« L’autorité compétente d’un État membre peut autoriser le déblocage de certains fonds ou ressources économiques gelés ou la mise à disposition de certains capitaux ou ressources économiques, dans les conditions qu’elle juge appropriées, après avoir établi que les fonds ou les ressources économiques concernés sont :

a) nécessaires pour répondre aux besoins fondamentaux des personnes dont la liste figure à l’annexe et des membres de leur famille qui sont à leur charge, notamment les dépenses consacrées à l’achat de vivres, au paiement de loyers ou au remboursement de prêts hypothécaires, à l’achat de médicaments et au paiement de frais médicaux, des impôts, des primes d’assurance et de services collectifs ;

b) destinés exclusivement au paiement d’honoraires professionnels raisonnables et au remboursement de dépenses correspondant à la prestation de services juridiques ;

c) destinés exclusivement au paiement de charges ou frais correspondant à la garde ou à la gestion courantes de fonds ou de ressources économiques gelés ; ou

d) nécessaires pour des dépenses extraordinaires, pour autant que l’autorité compétente ait notifié à l’autorité compétente des autres États membres et à la Commission les motifs pour lesquels elle estime qu’une autorisation spéciale devrait être accordée, au moins deux semaines avant l’autorisation. »

41      Il découle donc de ces dispositions que la décision attaquée n’a pas pour effet de priver les requérants de la possibilité d’accéder, sous réserve de l’obtention d’une autorisation de l’autorité compétente de l’État membre, aux fonds gelés nécessaires à la satisfaction de leurs besoins élémentaires. Il s’ensuit que les requérants peuvent, en adressant une demande aux autorités nationales, obtenir les moyens financiers nécessaires pour satisfaire leurs besoins élémentaires.

42      À cet égard, il y a lieu de constater que les requérants ne font référence, dans la demande en référé, ni au fait qu’ils auraient d’ores et déjà présenté une demande visant à obtenir l’autorisation d’utiliser les fonds gelés – ce qui pourrait, par ailleurs, laisser supposer qu’ils disposent d’autres ressources pour subvenir à leur besoins élémentaires – ni au fait qu’ils auraient rencontré des difficultés pour obtenir une telle autorisation auprès de l’autorité compétente d’un État membre.

43      Ainsi, il convient de relever que la condition relative à l’urgence fait défaut en l’espèce en ce qui concerne le préjudice financier invoqué.

44      Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que la demande en référé doit être rejetée en ce qu’elle vise, d’une part, le sursis à l’exécution de la décision attaquée et, d’autre part, la suppression du nom de M. Mohamed Trabelsi et des informations d’identification le concernant de la liste annexée à la décision attaquée, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la recevabilité de cette dernière ni qu’il y ait lieu d’examiner si les autres conditions d’octroi des mesures sollicitées sont réunies.

 Sur les autres mesures provisoires demandées

45      Outre le sursis à l’exécution de la décision attaquée et la suppression de certaines données figurant dans la liste annexée à ladite décision, les requérants sollicitent d’autres mesures provisoires, consistant en une demande de provision à hauteur de 25 000 euros, en une demande de droit de réponse et en une demande de protection de Tarek Trabelsi du fait de son handicap.

46      En premier lieu, les requérants demandent l’octroi d’une provision à hauteur de 25 000 euros, laquelle doit être comprise comme visant à la réparation provisoire du préjudice prétendument subi.

47      Tout d’abord, il y a lieu de relever que le recours principal, sur lequel se greffe la présente demande en référé, est une action en annulation contestant la légalité de la décision attaquée fondée sur l’article 263 TFUE, et non un recours en indemnité dirigé contre une institution de l’Union en vertu des articles 268 TFUE et 340 TFUE. Il en résulte que le chef de conclusions visant l’obtention d’une provision au titre de dommages et intérêts dépasse le cadre du recours principal, de sorte qu’il doit être déclaré manifestement irrecevable (voir, en ce sens, ordonnance Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht/Commission, précitée, point 42). 

48      À cet égard, il importe de souligner que la procédure de référé a un caractère accessoire par rapport à la procédure principale sur laquelle elle se greffe, de sorte que le juge des référés ne saurait adopter des mesures provisoires qui se situeraient hors du cadre de la décision finale susceptible d’être prise par le Tribunal sur le recours principal (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 29 mars 2001, Goldstein/Commission, T‑18/01 R, Rec. p. II‑1147, point 14, et la jurisprudence citée).

49      Il s’ensuit que la recevabilité d’une demande tendant à ce que soit adoptée l’une des mesures provisoires visées à l’article 279 TFUE est subordonnée à l’existence d’un lien suffisamment étroit entre la mesure provisoire sollicitée, d’une part, et les conclusions ainsi que l’objet du recours principal, d’autre part (voir, en ce sens, ordonnance Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht/Commission, précitée, point 39, et la jurisprudence citée). 

50      À titre surabondant, à supposer même que le recours principal introduit par les requérants en l’espèce puisse être regardé comme visant, en substance, à la fois une demande en annulation et une demande indemnitaire – en ce que l’un des chefs de conclusions tend à la condamnation du Conseil à des dommages et intérêts –, il convient de souligner que l’octroi d’une mesure provisoire portant sur une partie de l’indemnité réclamée dans le recours principal, fondé sur les articles 268 TFUE et 340 TFUE, reste exceptionnel dans le cadre d’une demande en référé.

51      Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, le recours à ce type de mesure, qui est plus que d’autres susceptible de produire, de fait, des effets irréversibles, en particulier en cas d’insolvabilité ultérieure de la partie qui sollicite les mesures provisoires, doit être exercé avec restriction et se limiter aux cas dans lesquels le fumus boni juris apparaît particulièrement solide et l’urgence des mesures demandées incontestable [ordonnance du président de la Cour du 29 janvier 1997, Antonissen/Conseil et Commission, C‑393/96 P(R), Rec. p. I‑441].

52      Or, en l’espèce, il convient de relever que les requérants se limitent à invoquer l’obtention d’une provision dans l’un de leurs chefs de conclusions, sans fournir les éléments de fait et de droit nécessaires pour permettre au juge des référés d’apprécier l’intensité de l’urgence ou l’importance du fumus boni juris justifiant leur demande.

53      Par conséquent, il convient de rejeter le chef de conclusions visant l’obtention d’une provision à hauteur de 25 000 euros.

54      En second lieu, en ce qui concerne les autres mesures provisoires demandées, force est de constater que les chefs de conclusions invitant le juge des référés à autoriser un droit de réponse aux requérants et à protéger Tarek Trabelsi du fait de son handicap revêtent un caractère vague et imprécis, de sorte qu’ils ne remplissent pas les conditions de l’article 44, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure du Tribunal, auquel renvoie l’article 104, paragraphe 3, de ce même règlement. Par conséquent, ces chefs de conclusions doivent être déclarés manifestement irrecevables (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 17 décembre 2009, Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht/Commission, T‑396/09 R, non publiée au Recueil, point 36, et la jurisprudence citée).

55      À titre surabondant, il convient d’ajouter que, en vertu de l’article 2, paragraphe 2, de la décision 2011/72/PESC et de l’avis 2011/C 37/04 du Conseil à l’attention des personnes et entités auxquelles s’appliquent les mesures prévues par la décision 2011/72/PESC et par le règlement (UE) n° 101/2011 du Conseil concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes et entités au regard de la situation en Tunisie (JO C 37, p. 6), les requérants ont la possibilité d’exercer un droit de réponse en soumettant au Conseil une demande de réexamen de la décision par laquelle ils ont été inscrits sur la liste des personnes faisant l’objet de mesures restrictives. Il ressort néanmoins des éléments du dossier que les requérants n’ont soumis aucune demande de réexamen au Conseil. Dans ces circonstances, les requérants ne sauraient demander au juge des référés de pallier l’absence d’exercice des droits que l’article 2, paragraphe 2, de la décision 2011/72/PESC et l’avis 2011/C 37/04 leur confèrent expressément.

56      Quant à la demande de protection de Tarek Trabelsi du fait de son handicap, il convient de noter que l’article 1er, paragraphe 3, de la décision 2011/72/PESC prévoit qu’il est possible de présenter à l’autorité compétente de l’État concerné une demande visant à obtenir l’autorisation d’utiliser les fonds gelés pour répondre, notamment, à « l’achat de médicaments et au paiement de frais médicaux ». Les requérants ne prétendent pas, et encore moins ne démontrent, que cette dérogation prévue par la décision attaquée ne permettrait pas une prise en charge suffisante de leur enfant handicapé. En outre, il ressort des éléments du dossier que Tarek Trabelsi est actuellement suivi par un médecin spécialiste dans un hôpital de Paris.

57      Sur la base de ces éléments, il convient de rejeter la demande en référé pour l’ensemble des mesures provisoires sollicitées par les requérants.

 Sur les dépens

58      Les requérants demandent de mettre à la charge de l’Union la somme de 25 000 euros au titre des dépens et d’ordonner le remboursement non chiffré des frais irrépétibles à la charge de l’État sur le fondement de l’article L 761-1 du code de justice administrative français.

59      Il convient d’interpréter ces demandes comme visant en substance à condamner la partie défenderesse aux dépens.

60      À cet égard, il suffit de souligner que, conformément à l’article 87, paragraphe 1, du règlement de procédure, il est statué sur les dépens dans l’arrêt ou l’ordonnance mettant fin à l’instance. En principe, c’est donc au Tribunal, statuant sur le recours principal, qu’il appartient de statuer sur les dépens, y compris ceux afférents à la procédure de référé (ordonnance du Tribunal du 22 juin 2005, Nijs/Cour des comptes, T‑171/05 R, RecFP p. I‑A‑169 et II‑761, point 28). En l’absence de motifs justifiant qu’il soit dérogé à ce principe, il s’ensuit que les dépens afférents à la présente procédure en référé sont réservés.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 14 juillet 2011.

Le greffier

 

      Le président

E. Coulon

 

      M. Jaeger


* Langue de procédure : le français.