Language of document : ECLI:EU:T:2009:140

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

6 mai 2009 (*)

« Concurrence – Ententes – Marché des tubes industriels en cuivre – Décision constatant une infraction à l’article 81 CE – Fixation des prix et répartition des marchés – Amendes – Principe de légalité des peines – Taille du marché concerné – Effet dissuasif –Durée de l’infraction – Coopération »

Dans l’affaire T‑116/04,

Wieland-Werke AG, établie à Ulm (Allemagne), représentée par Mes R. Bechtold et U. Soltész, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée initialement par M. É. Gippini Fournier et Mme H. Gading, puis par MM. Gippini Fournier, O. Weber et Mme K. Mojzesowicz, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation ou de réduction du montant de l’amende infligée à la requérante en vertu de l’article 2, sous a), de la décision C (2003) 4820 final de la Commission, du 16 décembre 2003, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/E‑1/38.240 – Tubes industriels),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCEDES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (huitième chambre),

composé de Mme M. E. Martins Ribeiro, président, MM. S. Papasavvas et N. Wahl (rapporteur), juges,

greffier : Mme C. Kantza, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 5 mars 2008,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Wieland-Werke AG (ci-après « Wieland » ou la « requérante ») est une entreprise allemande non cotée en Bourse ayant son siège à Ulm (Allemagne). La requérante est la société mère d’un groupe présent dans le monde entier et principalement actif dans la production, la vente et la distribution de semi-produits et de produits spéciaux en cuivre et en alliage de cuivre.

2        À la suite de la communication d’informations par Mueller Industries Inc., la Commission a procédé à des vérifications inopinées, en mars 2001, dans les locaux des sociétés KME Germany AG (anciennement KM Europa Metal AG), KME France SAS (anciennement Tréfimétaux SA), KME Italy SpA (anciennement Europa Metalli SpA) (ci-après, prises ensemble, « KME » ou le « groupe KME »), Outokumpu Oyj et Luvata Oy (anciennement Outokumpu Copper Products Oy) (ci-après, prises ensemble, « Outokumpu ») et de la requérante, en vertu de l’article 14 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204).

3        Le 9 avril 2001, Outokumpu a soumis à la Commission une offre de coopération au titre de la communication de la Commission concernant la non-imposition d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 1996, C 207, p. 4, ci-après la « communication de 1996 sur la coopération »). Elle a déposé un mémorandum à ce sujet le 30 mai 2001.

4        En réponse à une demande de renseignements au titre de l’article 11, paragraphe 2, du règlement n° 17 adressée en juillet 2002 par la Commission au groupe KME et à Wieland, cette dernière a sollicité, le 30 septembre 2002, le bénéfice de l’application de la communication de 1996 sur la coopération.

5        Faisant suite à la même demande de renseignements, le groupe KME a sollicité pour son propre compte le bénéfice de l’application de ladite communication le 15 octobre 2002.

6        Après avoir mené une enquête, comprenant des vérifications complémentaires dans les locaux d’Outokumpu et du groupe KME, participé à des réunions avec des représentants d’Outokumpu, du groupe KME et de Wieland ainsi que, en vertu de l’article 11 du règlement n° 17, adressé des demandes de renseignements complémentaires au groupe KME et à Wieland, la Commission a engagé en juillet 2003 une procédure d’infraction et a adopté une communication des griefs adressée au groupe KME, à la requérante et à Outokumpu. Les entreprises destinataires ayant renoncé à la tenue d’une audition, celle-ci n’a pas été organisée.

7        Le 16 décembre 2003, la Commission a adopté la décision C (2003) 4820 final, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/E‑1/38.240 – Tubes industriels) (ci-après la « décision attaquée »), dont un résumé est publié au Journal officiel de l’Union européenne du 28 avril 2004 (JO L 125, p. 50).

8        Il ressort de la décision attaquée que, vers la fin des années 80, les producteurs organisés au sein de l’association pour la qualité des tubes utilisés dans le secteur de l’air conditionné et de la réfrigération (Cuproclima Quality Association, ci-après « Cuproclima »), parmi lesquels figuraient la requérante, ont étendu leur coopération aux questions de concurrence.

9        Les réunions que Cuproclima tenait deux fois par an auraient constitué une occasion régulière de discuter et de fixer les prix ainsi que d’autres conditions commerciales applicables aux tubes industriels, une fois épuisé leur ordre du jour officiel. Des contacts bilatéraux entre les entreprises concernées auraient complété ces réunions contraires aux règles de concurrence. Les entreprises concernées auraient fixé des objectifs de prix ainsi que d’autres conditions commerciales pour les tubes industriels, elles auraient coordonné des augmentations de prix, se seraient partagé les clients et les parts de marché et auraient surveillé la mise en œuvre de leurs arrangements anticoncurrentiels, d’une part, en désignant des chefs de file pour les marchés et, d’autre part, en échangeant des informations confidentielles.

10      La décision attaquée comprend notamment les dispositions suivantes :

« Article premier

Les entreprises suivantes ont enfreint les dispositions de l’article 81, paragraphe 1, [CE] et, à compter du 1er janvier 1994, de l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE, en participant, pour les périodes indiquées, à un ensemble d’accords et de pratiques concertées consistant à fixer les prix et à se répartir les marchés dans le secteur des tubes industriels :

a)      [Wieland] du 3 mai 1988 au 22 mars 2001 ;

b)      Outokumpu […], à titre individuel du 3 mai 1988 au 30 décembre 1988, et solidairement avec [Luvata] du 31 décembre 1988 au 22 mars 2001 ;

c)      [Luvata], du 31 décembre 1988 au 22 mars 2001 (solidairement avec Outokumpu […]) ;

d)      [KME Germany], à titre individuel du 3 mai 1988 au 19 juin 1995, et solidairement avec [KME France] et [KME Italy] du 20 juin 1995 au 22 mars 2001 ;

e)      [KME Italy], solidairement avec [KME France] du 3 mai 1988 au 19 juin 1995, et solidairement avec [KME Germany] et [KME France] du 20 juin 1995 au 22 mars 2001 ;

f)      [KME France], solidairement avec [KME Italy] du 3 mai 1988 au 19 juin 1995, et solidairement avec [KME Germany] et [KME Italy] du 20 juin 1995 au 22 mars 2001.

Article 2

Les amendes suivantes sont infligées pour les infractions visées à l’article 1er :

a)      [Wieland] : 20,79 millions d’euros ;

b)      Outokumpu […] et [Luvata], solidairement : 18,13 millions d’euros ;

c)      [KME Germany], [KME France] et [KME Italy], solidairement : 18,99 millions d’euros ;

d)      [KME Germany] : 10,41 millions d’euros ;

e)      [KME Italy] et [KME France] solidairement : 10,41 millions d’euros. »

11      S’agissant, en premier lieu, de la fixation du montant de départ de l’amende, la Commission a considéré que l’infraction, qui consistait essentiellement à fixer les prix et à répartir les marchés, était, par sa nature même, une infraction très grave (considérant 294 de la décision attaquée).

12      En vue de déterminer la gravité de l’infraction, la Commission a également pris en compte le fait que le cartel avait affecté la totalité du territoire de l’Espace économique européen (EEE) (considérant 316 de la décision attaquée). La Commission a en outre examiné les effets réels de l’infraction et a constaté que l’entente avait, « globalement, produit des effets sur le marché » (considérant 314 de la décision attaquée).

13      Aux fins de cette dernière constatation, elle s’est fondée notamment sur les indices suivants. Premièrement, elle a eu égard à la mise en œuvre de l’entente en se référant au fait que les participants s’étaient communiqué les volumes de vente et les niveaux de prix (considérant 300 de la décision attaquée). Deuxièmement, des éléments du dossier auraient montré que les prix avaient baissé en période de faible respect de l’accord collusif et augmenté fortement pendant d’autres périodes (considérant 310 de la décision attaquée). Troisièmement, la Commission s’est référée à la part de marché collective de 75 à 85 % détenue par les membres de l’entente (considérant 310 de la décision attaquée). Quatrièmement, la Commission a constaté que les parts de marché respectives des participants à l’entente étaient restées relativement stables pendant toute la durée de l’infraction, même si les clients des participants avaient parfois changé (considérant 312 de la décision attaquée).

14      Enfin, toujours dans le cadre de la détermination de la gravité de l’infraction, la Commission a pris en compte le fait que le marché des tubes industriels en cuivre constituait un secteur important, dont la valeur a été estimée à 288 millions d’euros au niveau dans l’EEE (considérant 318 de la décision attaquée).

15      Eu égard à toutes ces circonstances, la Commission a conclu que l’infraction en cause devait être considérée comme très grave (considérant 320 de la décision attaquée).

16      En deuxième lieu, la Commission a procédé à un traitement différencié des entreprises concernées, en vue de tenir compte de la capacité économique effective de chacune à causer un préjudice important à la concurrence. À cet égard, la Commission a relevé l’existence d’une différence entre les parts de marché détenues sur le marché des tubes industriels dans l’EEE, d’une part, par le groupe KME, leader sur le marché dans l’EEE avec [confidentiel] (1) % de parts de marché et, d’autre part, Outokumpu et Wieland détenant respectivement [confidentiel] et 13,4 % de parts de marché. Eu égard à cette différence, le montant de départ de l’amende infligée à Outokumpu et à Wieland a été fixé à 33 % de celui infligé au groupe KME, soit 11,55 millions d’euros pour Outokumpu et pour Wieland et 35 millions d’euros pour le groupe KME (considérants 327 et 328 de la décision attaquée).

17      En troisième lieu, afin de tenir compte de la nécessité de fixer l’amende à un niveau lui assurant un effet dissuasif, la Commission a majoré le montant de départ de l’amende infligée à Outokumpu de 50 %, le portant ainsi à 17,33 millions d’euros, en considérant que le chiffre d’affaires mondial de celle-ci, supérieur à 5 milliards d’euros, indiquait qu’elle disposait d’une taille et d’une puissance économique autorisant ladite majoration (considérant 334 de la décision attaquée).

18      En quatrième lieu, la Commission a qualifié la durée de l’infraction, qui s’est déroulée sur une période allant du 3 mai 1988 au 22 mars 2001, de « longue ». Ainsi, en tenant compte de la durée de l’infraction, la Commission a dès lors jugé approprié de majorer de 10 % par année de participation au cartel le montant de départ des amendes infligées aux entreprises concernées. Partant, le montant de départ de l’amende infligée à la requérante a été augmenté de 125 %, le montant de base étant par conséquent fixé à 25,99 millions d’euros (considérants 338, 342 et 347 de la décision attaquée).

19      En cinquième lieu, au titre des circonstances aggravantes, le montant de base de l’amende infligée à Outokumpu a été majoré de 50 % au motif qu’elle s’était rendue coupable de récidive, puisqu’elle avait été destinataire de la décision 90/417/CECA de la Commission, du 18 juillet 1990, relative à une procédure au titre de l’article 65 [CA] concernant l’accord et les pratiques concertées des producteurs européens de produits plats en acier inoxydable laminés à froid (JO L 220, p. 28) (considérant 354 de la décision attaquée).

20      En sixième lieu, au titre des circonstances atténuantes, la Commission a relevé que, sans la coopération d’Outokumpu, elle n’aurait pu établir l’existence du comportement infractionnel que pour une période de quatre ans, et a par conséquent réduit le montant de base de son amende de 22,22 millions d’euros, de façon que ledit montant corresponde à l’amende qui lui aurait été infligée pour une telle période (considérant 386 de la décision attaquée).

21      En septième et dernier lieu, la Commission a procédé, en vertu du titre D de la communication de 1996 sur la coopération, à une réduction du montant des amendes de 50 % pour Outokumpu, de 20 % pour Wieland et de 30 % pour le groupe KME (considérants 402, 408 et 423 de la décision attaquée).

 Procédure et conclusions des parties

22      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 24 mars 2004, la requérante a introduit le présent recours.

23      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la huitième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

24      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal à l’audience du 5 mars 2008.

25      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler ou, à titre subsidiaire, réduire l’amende infligée par la Commission à l’article 2, sous a), de la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

26      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

27      En l’espèce, à l’appui de son recours, la requérante excipe tout d’abord de l’illégalité de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 en ce que cette disposition violerait le principe de légalité des peines. Elle articule également quatre moyens, tirés, respectivement, d’une évaluation incorrecte de la taille du marché affecté par l’infraction, d’une prise en compte inappropriée de la taille des entreprises concernées, d’une augmentation erronée du montant de l’amende en raison de la durée de l’infraction et d’une application discriminatoire, à son égard, de la communication de 1996 sur la coopération

28      S’agissant des moyens ayant trait au calcul du montant de l’amende, il importe de rappeler, d’une part, qu’il ressort des considérants 290 à 387 de la décision attaquée que les amendes infligées par la Commission du fait de l’infraction l’ont été en vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et, d’autre part, que, quand bien même la Commission ne se réfère pas explicitement, dans la décision attaquée, aux lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, [CA] (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les « lignes directrices »), il est constant qu’elle a déterminé le montant des amendes en application de la méthodologie définie dans celles-ci.

29      Les lignes directrices, bien qu’elles ne puissent être qualifiées de règle de droit, énoncent une règle de conduite indicative de la pratique à suivre dont la Commission ne peut s’écarter, dans un cas particulier, sans présenter de justifications (voir arrêt de la Cour du 18 mai 2006, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, C‑397/03 P, Rec. p. I‑4429, point 91, et la jurisprudence citée).

30      Il appartient donc au Tribunal de vérifier, dans le cadre du contrôle de la légalité des amendes infligées par la décision attaquée, si la Commission a exercé son pouvoir d’appréciation selon la méthode exposée dans les lignes directrices et, dans la mesure où il devrait constater qu’elle s’en est départie, de vérifier si cet écart est justifié et motivé à suffisance de droit. À cet égard, il importe de relever que la Cour a confirmé la validité, d’une part, du principe même des lignes directrices et, d’autre part, de la méthode qui y est indiquée (arrêt de la Cour du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, points 252 à 255, 266 à 267, 312 et 313).

31      L’autolimitation du pouvoir d’appréciation de la Commission résultant de l’adoption des lignes directrices n’est en effet pas incompatible avec le maintien d’une marge d’appréciation substantielle pour la Commission. Les lignes directrices contiennent différents éléments de flexibilité qui permettent à la Commission d’exercer son pouvoir discrétionnaire en conformité avec les dispositions du règlement n° 17, telles qu’interprétées par la Cour (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 30 supra, point 267).

32      En outre, dans les domaines tels que la détermination du montant d’une amende infligée en vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, où la Commission dispose d’une marge d’appréciation, par exemple en ce qui concerne le taux de majoration aux fins de dissuasion, le contrôle de légalité opéré sur ces appréciations se limite à celui de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 18 juillet 2005, Scandinavian Airlines System/Commission, T‑241/01, Rec. p. II‑2917, point 79.

33      La marge d’appréciation de la Commission et les limites qu’elle y a apportées ne préjugent par ailleurs pas, en principe, de l’exercice, par le juge communautaire, de sa compétence de pleine juridiction (arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, JFE Engineering e.a./Commission, T‑67/00, T‑68/00, T‑71/00 et T‑78/00, Rec. p. II‑2501, point 538), qui l’habilite à supprimer, à réduire ou à majorer le montant de l’amende infligée par la Commission (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 8 février 2007, Groupe Danone/Commission, C‑3/06 P, Rec. p. I‑1331, points 60 à 62 ; arrêt du Tribunal du 21 octobre 2003, General Motors Nederland et Opel Nederland/Commission, T‑368/00, Rec. p. II‑4491, point 181).

 Sur l’exception d’illégalité de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17

 Arguments des parties

34      La requérante soutient, en substance, que l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 ainsi que l’application qu’en a faite la Commission dans sa pratique décisionnelle enfreignent le principe de légalité des peines, dans la mesure où la Commission dispose d’une marge de manœuvre quasi illimitée pour la fixation du montant des amendes et où le montant de l’amende en cause a par conséquent été déterminé de manière aléatoire. Partant, l’injonction faite à la requérante de procéder au paiement de 20,79 millions d’euros serait irrégulière.

35      La requérante rappelle que les normes communautaires doivent respecter le principe de légalité des peines, qui revêt une importance essentielle dans le cas de normes ayant le caractère de sanction. En vertu de ce principe, la législation communautaire devrait être claire, exacte et prévisible pour les justiciables, et, lorsqu’il s’agit d’une réglementation susceptible de comporter des conséquences financières, le caractère de certitude et de prévisibilité constituerait un impératif qui s’imposerait avec une rigueur particulière.

36      La requérante souligne que les normes communautaires doivent d’ailleurs définir de manière prévisible non seulement le comportement sanctionné, mais également les conséquences juridiques qui en découlent pour le particulier. Même si, selon la requérante, l’existence d’une marge d’appréciation de l’administration peut s’avérer nécessaire, il n’en resterait pas moins que cette marge ne doit pas être illimitée, à plus forte raison lorsqu’il s’agit d’une norme de droit dérivé ou d’une mesure pénale ou « quasi pénale ».

37      Selon la requérante, il découle tant des déclarations officielles de la Commission que de l’interprétation large donnée à la notion de procédure pénale par la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH ») que les amendes imposées en vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 ont le caractère de normes pénales. Au soutien de cette conclusion, la requérante fait également référence à la jurisprudence communautaire (arrêt de la Cour du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission, 41/69, Rec. p. 661, points 172 et suivants, et arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, Brugg Rohrsysteme/Commission, T‑15/99, Rec. p. II‑1613, point 123).

38      La requérante prétend que le règlement n° 17, qui se limite à indiquer qu’il convient de tenir compte « de la gravité et de la durée » de l’infraction pour déterminer le montant de l’amende, ne satisfait pas aux exigences de clarté et de prévisibilité d’une loi. En effet, le Conseil n’aurait pas satisfait à son obligation, telle que prévue par l’article 83 CE, de délimiter clairement la compétence conférée à la Commission.

39      La requérante allègue également que l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 ne prévoit pas de plafond pour le montant de l’amende, ce qui implique que, pour une infraction donnée, ledit article permet à la Commission d’infliger des amendes allant de mille euros à, pour certains groupes mondiaux, plusieurs dizaines de milliards d’euros. Cela signifierait que la loi ne détermine pas à l’avance le montant de l’amende, mais que celui-ci est exclusivement déterminé par la Commission. Partant, la fixation du montant de l’amende risquerait d’être arbitraire et incontrôlable. Par conséquent, cet article violerait une norme communautaire supérieure (le principe de légalité des peines) ainsi que les droits fondamentaux en matière de détermination des normes pénales qui résultent de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), signée à Rome le 4 novembre 1950, et de la jurisprudence de la Cour EDH.

40      La requérante considère que l’article 15, paragraphe 4, du règlement n° 17, selon lequel les décisions infligeant des amendes n’ont pas un caractère pénal, n’affecte pas son raisonnement, dès lors que, d’une part, toute norme communautaire, ayant ou non un caractère pénal, doit respecter le principe de légalité des peines et, d’autre part, conformément à la jurisprudence de la Cour EDH, ce n’est pas la désignation d’un acte juridique qui est déterminante, mais son contenu.

41      La requérante prétend en outre que les lignes directrices ne remédient pas au manque de précision et de clarté du règlement n° 17. En effet, le montant de départ des amendes pour les infractions qualifiées de « très graves » est fixé arbitrairement et indépendamment du chiffre d’affaires de l’entreprise. La requérante allègue également que, en tout état de cause, les lignes directrices ne sauraient constituer une « loi » au sens de la CEDH. Dans ce contexte, la requérante souligne que celles-ci lient uniquement la Commission et non les instances judiciaires, qui sont habilitées à exercer un contrôle de pleine juridiction sur les décisions de la Commission.

42      Or, selon la requérante, puisque ce sont les instances judiciaires qui sont compétentes pour fixer le montant définitif des amendes, elles ne sont pas liées par les lignes directrices, ces dernières n’ayant aucune incidence sur l’appréciation de la légalité d’une norme pénale au sens de l’article 7 de la CEDH. De plus, la requérante relève que le Tribunal a récemment affirmé que le cadre juridique pour la détermination du montant des amendes était défini par le seul règlement n° 17.

43      En outre, la requérante considère que le fait que le montant des amendes fixé par la Commission soit contrôlable par le juge communautaire au titre de sa compétence de pleine juridiction ne saurait davantage remédier à l’illégalité de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.

44      La requérante souligne, par ailleurs, que, lorsqu’une disposition enfreint le principe de légalité des peines, il ne peut y être remédié pour la simple raison que les principes de proportionnalité et d’égalité de traitement ont été respectés dans l’application de ladite disposition.

45      La requérante allègue également que, s’il est possible que l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 ait été compatible avec le principe de légalité des peines à l’époque de sa rédaction, tel n’est plus le cas désormais dans la mesure où les chiffres d’affaires réalisés par les sociétés sont beaucoup plus importants aujourd’hui qu’ils ne l’étaient auparavant.

46      Enfin, la requérante prétend que, en tout état de cause et indépendamment de la légalité de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, la Commission devrait, lors de la fixation du montant des amendes, faire usage de sa marge de manœuvre à la lumière du principe de légalité des peines. Ainsi, elle aurait dû apporter dans sa pratique décisionnelle et par les lignes directrices un certain degré de transparence et de prévisibilité en matière de fixation du montant des amendes. Elle aurait cependant omis de le faire en privilégiant l’effet dissuasif de la sanction.

47      La Commission conclut au rejet du moyen de la requérante.

 Appréciation du Tribunal

48      En ce qui concerne l’argumentation selon laquelle la Commission aurait dû apporter avec sa pratique décisionnelle et les lignes directrices un certain degré de transparence et de prévisibilité en matière de fixation du montant des amendes, il y a lieu de constater que cet argument n’implique aucun grief juridique concret à l’encontre du règlement n° 17 ou de la décision attaquée mais formule des souhaits quant à l’exercice pratique de la politique de la Commission. Dès lors, il convient de rejeter cet argument comme inopérant.

49      S’agissant du fond, il suffit de constater qu’il ressort clairement des arrêts du Tribunal du 5 avril 2006, Degussa/Commission (T‑279/02, Rec. p. II‑897, points 66 à 88), et du 27 septembre 2006, Jungbunzlauer/Commission (T‑43/02, Rec. p. II‑3435, points 69 à 92), que l’exception d’illégalité soulevée par la requérante ne saurait être accueillie. Par ailleurs, cette jurisprudence vient d’être confirmée par l’arrêt de la Cour 22 mai 2008, Evonik Degussa/Commission et Conseil (C‑266/06 P, non encore publié au Recueil, points 36 à 63).

50      Partant, l’exception d’illégalité doit donc être rejetée.

 Sur le premier moyen, tiré d’une évaluation inadéquate de la taille du secteur affecté par l’infraction

 Arguments des parties

51      La requérante fait valoir que la Commission a, en évaluant la valeur du marché concerné à 288 millions d’euros, exagéré la taille de celui-ci et, partant, la gravité de l’infraction, ce qui aurait donné lieu à une amende excessive. Elle affirme également que la motivation de la Commission au sujet du calcul de son chiffre d’affaires est insuffisante et constitue, par conséquent, une violation de l’article 253 CE.

52      La requérante note que, dans le secteur des tubes industriels, le prix total des produits se compose normalement du prix du cuivre, fondé sur la cotation au London Metal Exchange (Bourse des métaux de Londres, ci-après le « LME »), et du coût de transformation, qui correspond à la valeur ajoutée par le fabricant (ci-après la « marge de transformation »). La matière première nécessaire à la fabrication des tubes industriels serait fournie soit par le client, soit par le fabricant de tubes lui-même, qui la facturerait alors dans le prix total.

53      Selon la requérante, la taille du marché concerné est déterminante pour apprécier la gravité d’une infraction et fixer le montant de départ de l’amende.

54      En s’appuyant sur ce qui précède, la requérante soutient que, dans la mesure où l’infraction portait uniquement sur la marge de transformation (30 à 40 % du prix final), la Commission aurait dû soustraire 60 à 70 % du prix total des produits en cause lors de l’évaluation de la taille du marché affecté, ce qui aurait abouti à fixer un montant de départ de l’amende moins élevé. À cet égard, la requérante rappelle que le prix du cuivre échappe à son contrôle, puisqu’il est fixé selon le LME. En effet, le prix du cuivre serait uniquement un élément à répercuter, pour l’essentiel, auprès des clients. La requérante affirme que, si les membres du cartel avaient tenté d’augmenter le prix du cuivre, leurs clients se le seraient procuré auprès d’entreprises tierces.

55      Ainsi, en ce qui concerne l’approvisionnement du cuivre, la requérante aurait agi en tant qu’intermédiaire. La Commission aurait donc dû calculer le chiffre d’affaires du marché de la même façon qu’elle calcule le chiffre d’affaires des intermédiaires dans le contexte du contrôle des opérations de concentration. Par ailleurs, dans la mesure où les coûts du cuivre représenteraient une part très importante de l’ensemble des coûts, la Commission n’aurait pas pu les traiter de la même manière que les coûts de livraison et d’emballage, qui généralement constituent une part négligeable du total des coûts. Par conséquent, dans l’appréciation correcte de la taille du marché en cause et, partant, de la gravité du cartel, la Commission aurait dû seulement tenir compte de la fraction du prix que l’infraction en cause avait affectée, c’est-à-dire la marge de transformation. La Commission aurait fait le contraire en appliquant une approche trop formaliste dans le calcul du chiffre d’affaires pertinent.

56      La requérante fait également valoir que la Commission a violé son obligation de motivation en faisant référence à l’arrêt du Tribunal du 13 décembre 2001, Krupp Thyssen Stainless et Acciai speciali Terni/Commission (T‑45/98 et T‑47/98, Rec. p. II‑3757), cité au considérant 319 de la décision attaquée, aux fins de justifier l’inclusion du prix du métal dans le chiffre d’affaires réalisé sur le marché en cause. Cet arrêt ne serait pas pertinent en l’espèce, puisqu’il en ressortirait uniquement qu’une entente portant seulement sur une partie du prix final enfreint le droit de la concurrence, ce qui serait incontestable dans la présente procédure. En l’espèce, la question pertinente serait l’identification du chiffre d’affaires adéquat aux fins d’établir le montant de départ de l’amende.

57      La Commission conclut au rejet du moyen soulevé par la requérante.

 Appréciation du Tribunal

58      S’agissant, en premier lieu, de l’allégation de l’insuffisance de motivation, il importe de relever qu’il est de jurisprudence constante que la motivation d’une décision individuelle doit faire apparaître, de façon claire et non équivoque, le raisonnement de l’institution auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de la motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si elle satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement du libellé de l’acte en cause, mais aussi du contexte dans lequel cet acte a été adopté ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 63, et la jurisprudence citée).

59      En ce qui concerne la fixation d’amendes au titre de la violation du droit de la concurrence, les exigences de la formalité substantielle que constitue cette obligation de motivation sont satisfaites lorsque la Commission indique, dans sa décision, les éléments d’appréciation qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l’infraction (voir arrêt de la Cour du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec. p. I‑8375, point 463, et la jurisprudence citée).

60      En l’espèce, la Commission a, en ce qui concerne l’appréciation de la gravité de l’infraction en cause, satisfait à ces exigences aux considérants 292 à 320 de la décision attaquée. Il ressort notamment du considérant 318 de ladite décision que la Commission a, dans son appréciation de la gravité de l’infraction, pris en compte le chiffre d’affaires du marché concerné. Au considérant 319 de cette même décision, la Commission a en outre répondu aux critiques, relatives à la prise en compte du prix du cuivre aux fins du calcul dudit chiffre d’affaires, soulevées par les entreprises concernées. Le fait que cette réponse puisse être erronée n’est pas susceptible de mettre en cause le caractère suffisant de la motivation de la décision attaquée, la détermination de l’existence d’une telle erreur relevant du contrôle de la légalité au fond de ladite décision (voir, en ce sens, arrêts de la Cour Commission/Sytraval et Brink’s France, point 58 supra, points 66 à 72, et du 2 octobre 2003, International Power e.a./NALOO, C‑172/01 P, C‑175/01 P, C‑176/01 P et C‑180/01 P, Rec. p. I‑11421, points 134 à 138).

61      Il s’ensuit que le grief tiré d’une insuffisance de motivation doit être rejeté.

62      S’agissant, en second lieu, du fond, il importe de souligner, tout d’abord, que la méthodologie exposée dans les lignes directrices, qui ont été appliquées par la Commission dans la décision attaquée (voir point 28 ci-dessus), répond à une logique forfaitaire selon laquelle le montant de départ général de l’amende, déterminé en fonction de la gravité de l’infraction, est calculé en fonction de la nature de l’infraction, de son impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable et de l’étendue du marché géographique concerné (point 1 A, premier alinéa, des lignes directrices). Par la suite, le montant de départ général de l’amende est individualisé pour chaque participant en fonction notamment de sa dimension.

63      Par ailleurs, aux fins de déterminer le montant de départ de l’amende, la Commission peut, sans pour autant y être obligée, avoir égard à la taille du marché affecté (arrêts du Tribunal du 15 mars 2006, BASF/Commission, T‑15/02, Rec. p. II‑497, point 134, et du 27 septembre 2006, Roquette Frères/Commission, T‑322/01, Rec. p. II‑3137, points 149 et 150).

64      Au vu de cette jurisprudence, il apparaît que la prémisse de la requérante selon laquelle la taille du marché pertinent est, en tant que telle, un facteur déterminant pour évaluer la gravité d’une infraction et, partant, pour déterminer le montant de départ d’une amende n’est pas fondée.

65      Il ressort toutefois clairement de la décision attaquée que la Commission a, en l’espèce, choisi de prendre en compte la taille du marché des tubes industriels dans de l’EEE dans son évaluation de la gravité de l’infraction en cause. Bien que la Commission ait déjà conclu, sur la base de la nature de l’infraction, que celle-ci était « très grave » au sens de ses lignes directrices (considérant 294), elle a en effet déterminé, dans la décision attaquée, la gravité de l’infraction et, partant, le montant de départ général de l’amende, en prenant en compte les effets réels du cartel sur le marché (considérants 295 à 314), l’étendue géographique du marché en cause (considérants 315 à 317) et le fait que le secteur faisant l’objet de l’infraction était un marché important, dont la taille dans l’EEE était évaluée à 288 millions d’euros (considérants 318 et 319).

66      Si, aux fins d’évaluer la gravité de l’infraction et le montant de départ général de l’amende, la taille du marché concerné n’a constitué qu’un des éléments retenus par la Commission dans la décision attaquée, il n’en reste pas moins que celle-ci a effectivement fixé ledit montant en en tenant compte. Partant, l’affirmation de la Commission selon laquelle le montant de départ de l’amende infligée à la requérante n’aurait pas nécessairement été inférieur à 11,55 millions d’euros si le prix du cuivre avait été déduit du chiffre d’affaires du marché doit être rejeté.

67      Par conséquent, il y a lieu de vérifier si c’est à tort que la Commission, lors de l’évaluation de la taille du marché affecté, a pris en compte le prix du cuivre.

68      La requérante prétend à cet égard, d’une part, que le prix du cuivre échappe au contrôle des fabricants de tubes industriels dès lors qu’il est fixé selon le LME et, d’autre part, que ce sont les acheteurs de tubes industriels qui décident eux-mêmes à quel prix le métal est acquis. La requérante souligne également que les fluctuations du prix du métal n’ont aucune incidence sur leur profit.

69      Force est cependant de constater qu’aucune raison valable n’impose que le chiffre d’affaires d’un marché pertinent soit calculé en excluant certains coûts de production. Ainsi que la Commission l’a relevé à juste titre, il existe dans tous les secteurs industriels des coûts inhérents au produit final que le fabricant ne peut maîtriser, mais qui constituent néanmoins un élément essentiel de l’ensemble de ses activités et qui, partant, ne sauraient été exclus de son chiffre d’affaires lors de la fixation du montant de départ de l’amende (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, Rec. p. II‑491, points 5030 et 5031). Le fait que le prix du cuivre constitue une partie importante du prix final des tubes industriels ou que le risque de fluctuations des prix du cuivre soit bien plus élevé que pour d’autres matières premières n’infirme pas cette conclusion.

70      Il y a donc lieu de conclure que c’est à bon droit que la Commission a pris en compte le prix du cuivre aux fins de déterminer la taille du marché concerné.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’un défaut de prise en considération appropriée de la taille de la requérante

 Arguments des parties

71      La requérante affirme que, en fixant le montant de départ et, partant, le montant final de l’amende, la Commission a omis de tenir compte de sa taille telle qu’elle ressort de son chiffre d’affaires global, qui s’élevait à 1,2 milliard d’euros en 2002. À la même époque, les chiffres d’affaires de KME et d’Outokumpu se seraient élevés respectivement à 2,05 milliards d’euros et à 5,56 milliards d’euros. La requérante prétend que la majoration de 50 % du montant de départ de l’amende infligée à Outokumpu au considérant 334 de la décision attaquée n’est pas suffisante pour satisfaire à l’obligation de la Commission de respecter les principes de proportionnalité et d’égalité de traitement. La Commission aurait également enfreint le principe selon lequel chaque amende doit être le résultat d’un calcul individualisé.

72      À l’appui de son moyen, la requérante fait valoir que la taille globale de l’entreprise revêt une importance particulière dans le cadre de la fixation du montant de l’amende et que le montant de départ de l’amende infligée à chacune des trois entreprises concernées aurait dû être individualisé afin d’être proportionnel à l’écart existant entre les tailles des entreprises. La requérante avance également que le principe d’égalité de traitement impose à la Commission de modifier le montant de départ des amendes en fonction du chiffre d’affaires global de toutes les entreprises et pas uniquement de celui des grandes sociétés. En conséquence, la Commission aurait dû diminuer le montant de départ de l’amende infligée à la requérante.

73      La requérante rappelle à cet égard, d’une part, que la Commission n’a pas augmenté le montant de départ de l’amende infligée au groupe KME malgré le fait qu’il soit presque deux fois plus grand qu’elle et, d’autre part, qu’Outokumpu, qui est cinq fois plus grande qu’elle, n’a subi qu’une majoration de 50 % du montant de départ de l’amende qui lui a été infligée.

74      La requérante en conclut que la Commission, en ne tenant pas suffisamment compte de la disparité de la capacité économique et de la taille des entreprises, l’a défavorisée, elle qui est une petite entreprise. Au soutien de sa conclusion, la requérante se réfère également à certaines décisions de la Commission, dans lesquelles le rapport entre le montant final de l’amende et le chiffre d’affaires des entreprises sanctionnées était inférieur au sien.

75      Enfin, la requérante estime que la Commission a négligé son obligation de motivation en n’ayant pas justifié le traitement discriminatoire dont elle a fait l’objet.

76      La Commission conclut au rejet du moyen soulevé par la requérante.

 Appréciation du Tribunal

77      S’agissant, en premier lieu, du grief tiré du défaut de motivation, il y a lieu de l’écarter pour les raisons suivantes.

78      Tout d’abord, dans la mesure où Wieland reproche à la Commission de ne pas avoir indiqué la raison pour laquelle elle avait choisi un taux de majoration de 50 % à l’encontre d’Outokumpu, il y a lieu de rappeler que la Cour a jugé que l’obligation de motivation est remplie lorsque la Commission indique, dans sa décision, les éléments d’appréciation qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l’infraction (arrêt Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, point 59 supra, point 463). En revanche, la Commission n’est pas tenue d’y faire figurer des éléments chiffrés ou un exposé plus détaillé concernant le mode de calcul de l’amende (arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Cascades/Commission, C‑279/98 P, Rec. p. I‑9693, point 50).

79      Il convient également de relever qu’une décision telle que la décision attaquée, bien que rédigée et publiée sous la forme d’une seule décision, doit s’analyser comme un faisceau de décisions individuelles constatant à l’égard de chacune des entreprises destinataires la ou les infraction(s) retenue(s) à sa charge et lui infligeant, le cas échéant, une amende (arrêt du Tribunal du 4 juillet 2006, Hoek Loos/Commission, T‑304/02, Rec. p. II‑1887, points 59 et 60).

80      Dès lors, la requérante ne saurait critiquer la motivation de la décision attaquée s’agissant du taux de majoration appliqué à l’encontre d’Outokumpu au titre de l’effet dissuasif.

81      En tout état de cause, la Commission a indiqué, aux considérants 332 à 334 de la décision attaquée, les éléments qu’elle avait pris en compte aux fins de majorer au titre de la dissuasion le montant de l’amende infligée à Outokumpu. Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence susmentionnée (voir point 78 ci-dessus), il ne saurait être reproché à la Commission de ne pas avoir davantage motivé sa décision à cet égard.

82      Pour autant que l’argument de la requérante puisse être compris comme faisant grief à la Commission de ne pas avoir motivé les raisons pour lesquelles le montant de départ de l’amende qui lui a été infligée n’a pas été réduit au titre de la dissuasion, il y a lieu de constater que l’article 253 CE, au vu de la jurisprudence rappelée au point 80 ci-dessus, ne peut être interprété dans le sens qu’il impose à la Commission d’expliquer dans ses décisions les raisons pour lesquelles elle n’a pas retenu, en ce qui concerne le calcul du montant de l’amende, des approches, hypothétiques par rapport à celle effectivement retenue dans la décision attaquée (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Fiskeby Board/Commission, T‑319/94, Rec. p. II‑1331, point 127).

83      Il s’ensuit de ce qui précède que le grief tiré d’un défaut de motivation doit être rejeté.

84      S’agissant, en second lieu, du fond, il y a lieu de constater que la requérante critique la différentiation opérée par la Commission entre les montants de départ des amendes infligées aux entreprises concernées conformément à la méthode exposée dans les lignes directrices. La requérante soutient que, dans le cadre de la fixation du montant de l’amende, la taille de l’entreprise revêt une importance particulière et que, en l’occurrence, le montant de départ de l’amende infligée à chacune des trois entreprises concernées aurait dû être individualisé afin d’être proportionnel à l’écart existant entre les tailles des entreprises.

85      À cet égard, il y a tout d’abord lieu de relever que les décisions de la Commission invoquées par la requérante ne sont pas pertinentes, dès lors que la pratique décisionnelle antérieure de celle-ci ne sert pas de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence (voir arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 30 supra, points 169 à 171, et arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Michelin/Commission, T‑203/01, Rec. p. II‑4071, point 292, et la jurisprudence citée).

86      Le fait que la méthode de calcul exposée dans les lignes directrices n’est pas fondée sur le chiffre d’affaires global des entreprises concernées et permet, de ce fait, qu’apparaissent des disparités entre les entreprises en ce qui concerne le rapport entre leurs chiffres d’affaires et le montant des amendes qui leur sont infligées est sans pertinence pour apprécier si la Commission a violé les principes de proportionnalité et d’égalité de traitement ainsi que d’individualité des peines. En effet, la Commission n’est pas tenue, lors de la détermination du montant des amendes en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction en cause, d’assurer, au cas où des amendes seraient infligées à plusieurs entreprises impliquées dans une même infraction, que les montants finals des amendes auxquels son calcul aboutit pour les entreprises concernées traduisent toute différenciation parmi celles-ci quant à leur chiffre d’affaires global ou à leur chiffre d’affaires pertinent (arrêt de la Cour du 25 janvier 2007, Dalmine/Commission, C‑407/04 P, Rec. p. I‑829, points 141 à 147 ; arrêt du Tribunal du 29 novembre 2005, Union Pigments/Commission, T‑62/02, Rec. p. II‑5057, point 159).

87      Il s’ensuit que la Commission ne peut être tenue, à aucun stade de l’application des lignes directrices, d’assurer que les montants intermédiaires des amendes retenus traduisent toute différence existant entre les chiffres d’affaires globaux des entreprises concernées.

88      En l’espèce, il ressort des considérants 321 à 323, 326 à 328 et 332 à 334 de la décision attaquée que la Commission a effectué une différentiation en deux étapes entre les entreprises concernées. Elle a, tout d’abord, opéré, en conformité avec le point 1 A, sixième alinéa, des lignes directrices, une différentiation en fonction de la part de responsabilité qui incombait à chacun des participants à l’infraction en cause. Ensuite, en application du point 1 A, quatrième alinéa, des lignes directrices, elle a procédé à une pondération aux fins de garantir un effet suffisamment dissuasif aux amendes infligées.

89      S’agissant de la part de responsabilité qui incombe à chacun des participants à l’infraction en cause, la Commission a pris en considération la part de marché dans l’EEE de chacune des entreprises présentes sur le marché des tubes industriels en 2000, dernière année pleine de l’infraction. Elle en a déduit que KME, avec une part de marché de [confidentiel] %, était de loin l’acteur le plus important sur le marché et relevait dès lors d’une première catégorie d’entreprises, alors qu’Outokumpu ([confidentiel] % de parts de marché) et la requérante (13,4 % de parts de marché) relevaient d’une seconde catégorie comprenant des entreprises pouvant être considérées de taille moyenne sur le marché en cause, de sorte qu’un traitement différencié devait être appliqué. Partant, le montant de départ des amendes infligées à Outokumpu et à la requérante a été fixé à 33 % du montant de départ de l’amende infligée à KME, soit 11,55 millions d’euros pour Outokumpu et la requérante et 35 millions d’euros pour KME.

90      Il ressort de la jurisprudence qu’il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir suivi cette approche en ce qui concerne la première étape de pondération. En effet, dans le cadre de la détermination du montant de l’amende en fonction de la gravité, même si, en raison de la répartition en groupes, certaines entreprises se voient appliquer un montant de base identique alors qu’elles sont de tailles différentes, cette différence de traitement est objectivement justifiée par la prééminence accordée à la nature de l’infraction par rapport à la taille des entreprises lors de la détermination de la gravité de l’infraction (voir arrêt Degussa/Commission, point 49 supra, point 330, et la jurisprudence citée).

91      Dans le cadre de la deuxième étape de pondération, la Commission a, au regard du chiffre d’affaires global d’Outokumpu, estimé que le montant de départ de l’amende infligée à Outokumpu devait être majoré de 50 % afin de lui assurer un effet suffisamment dissuasif et de tenir compte du fait que les grandes entreprises disposent de connaissances et d’infrastructures juridico-économiques qui leur permettent de mieux apprécier le caractère illicite de leur comportement.

92      La requérante ne saurait reprocher à la Commission d’avoir procédé à une telle pondération. En effet, l’augmentation du montant de départ de l’amende infligée à Outokumpu « pour prendre en compte sa taille et l’ensemble de ses ressources » (considérant 334 de la décision attaquée) n’implique pas que la Commission aurait dû diminuer le montant de départ de l’amende infligée à la requérante eu égard au chiffre d’affaires global de cette dernière. Il importe de rappeler à cet égard (voir points 86 et 87 ci-dessus) que la Commission n’est pas tenue, dans le cadre d’une modification du montant de départ d’amendes au titre de la dissuasion, d’assurer que les montants retenus pour les diverses entreprises traduisent toute différenciation parmi celles-ci quant à leur chiffre d’affaires global.

93      Au contraire, conformément au raisonnement exposé aux points 31 et 30 ci-dessus, il est loisible à la Commission, dans le cadre de sa marge d’appréciation, d’ajuster le montant des amendes selon une méthode forfaitaire pour autant que celles-ci n’apparaissent pas déraisonnables eu égard aux circonstances de l’espèce.

94      Dans ce contexte, il importe de souligner que, dans le cadre de la prise en compte de la dissuasion, le montant de l’amende est modulé pour tenir compte de l’impact recherché sur l’entreprise à laquelle elle est infligée, et ce afin que l’amende ne soit pas rendue négligeable ou au contraire excessive, au regard de la capacité financière de l’entreprise en question, conformément aux exigences tirées, d’une part, de la nécessité d’assurer l’effectivité de l’amende et, d’autre part, du respect du principe de proportionnalité (arrêt Degussa/Commission, point 49 supra, point 283).

95      Par ailleurs, en choisissant le taux de majoration pour des entreprises de taille supérieure, la Commission est limitée par le fait que le montant de départ ne peut pas, en tout état de cause, dépasser un montant proportionnel à la gravité de l’infraction. Partant, même dans les situations où le chiffre d’affaires de l’entreprise la plus importante est nettement plus élevé que celui des autres entreprises concernées, il se peut, en fonction de la gravité de l’infraction en cause, que la Commission ne puisse majorer que marginalement le montant de départ de l’amende infligée à l’entreprise la plus importante.

96      Eu égard à tout ce qui précède, et en tenant compte de la gravité de l’infraction en cause, de la part de marché détenue par la requérante dans l’EEE ainsi que de son chiffre d’affaires global en 2002, soit 1,2 milliard d’euros, le Tribunal estime que le montant de départ de l’amende infligée à la requérante est justifié.

97      Il résulte de ce qui précède que le deuxième moyen doit être rejeté.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une augmentation erronée du montant de départ de l’amende en raison de la durée de l’infraction

 Arguments des parties

98      En premier lieu, la requérante affirme que la marge d’appréciation dont dispose la Commission en vertu du point 1 B des lignes directrices lui permet de décider tant de l’opportunité d’une majoration au titre de la durée de l’infraction que de son taux, dans la limite du plafond de 10 %. La requérante fait observer que la Commission a, en retenant la formulation du considérant 338 de la décision attaquée, renoncé à faire usage de la prérogative que lui confère le point 1 B, premier alinéa, des lignes directrices pour les cinq premières années de l’entente. En conséquence, la Commission ne pouvait majorer le montant de l’amende infligée à la requérante que pour les sept dernières années de l’infraction.

99      Selon la requérante, la Commission ne saurait se prévaloir du fait que le considérant 338 de la décision attaquée est mal formulé. La requérante considère que c’est à l’auteur d’une décision de supporter les conséquences d’une rédaction erronée et que, dans l’hypothèse où une décision comporterait des déclarations contradictoires, la sanction la plus favorable à l’égard de la personne concernée l’emporte.

100    En outre, une motivation ambiguë constitue, d’après la requérante, une motivation entachée d’un vice et, partant, une violation de l’article 230 CE.

101    En second lieu, la requérante fait valoir que la Commission a enfreint le principe selon lequel chaque amende doit être le résultat d’un calcul individualisé. Elle aurait également omis de respecter son obligation de motivation en n’expliquant pas pourquoi elle n’avait pas fait usage de sa marge d’appréciation. Selon la requérante, la Commission a en effet retenu la même circonstance aggravante, à savoir que l’infraction en cause avait duré plus de cinq années, tant pour motiver l’application d’une majoration que pour fixer le taux maximal de majoration de 10 %.

102    La requérante prétend que la Commission, qui a choisi d’appliquer le taux maximal de 10 % pour chaque année d’infraction, n’avance pas les raisons pour lesquelles une telle augmentation était appropriée. La requérante soutient que la Commission aurait dû faire état de circonstances propres au cartel visé en l’espèce pour appliquer le taux en cause. Elle reproche également à la Commission de ne pas avoir suffisamment motivé l’augmentation du montant de l’amende du point de vue de l’intensité et de la continuité du cartel en cause.

103    La Commission conclut au rejet du moyen.

 Appréciation du Tribunal

104    En ce qui concerne, en premier lieu, le grief tiré du caractère prétendument ambigu de la motivation ainsi que de ce que la Commission aurait renoncé, dans la décision attaquée, à augmenter le montant de départ de l’amende infligée à la requérante pour les cinq premières années de l’entente, il y a lieu d’examiner les considérants 338, 340 et 342 de la décision attaquée, qui sont libellés comme suit :

« (338) Il convient tout d’abord de noter que la pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne sert pas elle-même de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence, étant donné que celui-ci est uniquement défini dans le règlement n° 17 [...] Il convient donc de rejeter l’argument invoqué par KME au considérant 337 et tiré d’une décision antérieure de la Commission. La politique actuellement menée par la Commission dans les affaires d’ententes consiste à majorer les amendes de 10 % par année au-delà de cinq années d’infraction. Cela a entraîné des augmentations liées à la durée supérieures à 100 % dans plusieurs affaires récentes [...] Dans la présente affaire où la durée du cartel était de douze ans et dix mois, la Commission considère qu’il est approprié d’augmenter les amendes de 10 % par an.

[…]

(340) Sur la base de ce qui précède, la Commission considère que [Wieland], Outokumpu [et le groupe KME] ont enfreint l’article 81, paragraphe 1, [CE] et l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE, à compter du 3 mai 1988 au moins et jusqu’au 22 mars 2001. Elles ont commis une infraction continue de longue durée de plus de douze ans et dix mois.

[…]

(342) Le montant de départ des amendes déterminées en fonction de la gravité sera par conséquent augmenté de 125 % pour Outokumpu et [Wieland] […] »

105    Force est de constater qu’une lecture combinée de ces considérants et du point 1 B des lignes directrices ne laisse aucun doute sur l’intention de la Commission d’augmenter le montant de départ de l’amende infligée à la requérante de 10 % pour chaque année infractionnelle. Partant, il y a lieu de rejeter les griefs soulevés par la requérante à cet égard.

106    S’agissant, en second lieu, du fond, il convient de rappeler qu’une augmentation du montant de l’amende en fonction de la durée n’est pas limitée à l’hypothèse où il existerait une relation directe entre la durée et un préjudice accru causé aux objectifs communautaires visés par les règles de concurrence (voir, en ce sens, arrêt Michelin/Commission, point 85 supra, point 278, et la jurisprudence citée).

107    Il ressort en outre des lignes directrices que la Commission n’a établi aucun chevauchement ni aucune interdépendance entre l’appréciation de la gravité et celle de la durée de l’infraction.

108    Au contraire, premièrement, il ressort de l’économie des lignes directrices qu’elles prévoient l’appréciation de la gravité de l’infraction en tant que telle aux fins de déterminer un montant de départ général de l’amende. Deuxièmement, la gravité de l’infraction est analysée par rapport aux caractéristiques de l’entreprise concernée, notamment sa taille et sa position sur le marché pertinent, ce qui peut donner lieu à une pondération du montant de départ, à la répartition des entreprises en catégories et à la fixation d’un montant de départ spécifique. Troisièmement, la durée de l’infraction est prise en compte pour la fixation du montant de base et, quatrièmement, les lignes directrices prévoient la prise en considération de circonstances aggravantes et atténuantes permettant de moduler le montant de l’amende, notamment en fonction du rôle actif ou passif des entreprises concernées dans la mise en œuvre de l’infraction.

109    Il s’ensuit que le simple fait que la Commission se soit réservée une possibilité de majoration par année d’infraction allant, s’agissant des infractions de longue durée, jusqu’à 10 % du montant retenu pour la gravité de l’infraction ne l’oblige nullement à fixer ce taux en fonction de l’intensité des activités de l’entente ou des effets de celle-ci, voire de la gravité de l’infraction. Il appartient en effet à la Commission de choisir, dans le cadre de sa marge d’appréciation (voir point 31 ci-dessus), le taux de majoration qu’elle entend appliquer au titre de la durée de l’infraction.

110    En ce qui concerne le grief selon lequel la Commission aurait retenu la même circonstance, à savoir que l’infraction en cause a duré plus de cinq années, tant pour motiver l’application d’une majoration que pour fixer le taux maximal de ladite majoration à 10 %, le Tribunal ne perçoit aucune illégalité dans le fait que la durée d’une infraction suscite non seulement la majoration du montant de base en tant quel tel, mais aussi, le cas échéant, le taux définitif de majoration. Ainsi qu’il a été exposé au point précédent, la Commission n’est pas tenue de prendre en compte la gravité de l’infraction en choisissant le taux de majoration appliqué au titre de la durée de l’infraction.

111    En l’espèce, la Commission a constaté, notamment aux considérants 335 et 340 de la décision attaquée, que la requérante avait participé à l’infraction pendant une durée de douze ans et dix mois, soit une longue durée au sens des lignes directrices et, partant, a majoré l’amende de 125 %. Ce faisant, la Commission ne s’est pas écartée des règles qu’elle s’est imposées dans les lignes directrices. Au demeurant, le Tribunal estime que cette majoration de 125 % n’est pas, en l’espèce, manifestement disproportionnée.

112    Il résulte de l’ensemble de ces considérations que le moyen relatif à la majoration du montant de l’amende au titre de la durée doit être rejeté comme non fondé.

 Sur le quatrième moyen, tiré de l’application discriminatoire de la communication de 1996 sur la coopération

 Arguments des parties

113    En substance, la requérante estime qu’elle a été discriminée vis-à-vis de KME, qui a obtenu une réduction de 30 % du montant de l’amende infligée, alors qu’elle n’a obtenu qu’une réduction de 20 %, bien que sa coopération ait été au moins aussi importante que celle de KME.

114    En premier lieu, la requérante fait valoir que c’est à tort que la Commission a accordé à KME une réduction du montant de l’amende supérieure à celle qui lui a été accordée au motif que « KME a dénoncé l’existence des dispositifs anticoncurrentiels depuis les années 80 […] contre 1993, date avancée par Wieland […] » (considérant 423 de la décision attaquée).

115    Tout en admettant la valeur limitée de sa contribution pour l’enquête portant sur la période antérieure à 1993, la requérante rappelle qu’elle n’a pas nié l’existence du cartel durant cette période, mais que, en raison de la démission de plusieurs de ses collaborateurs, elle n’était pas en mesure de la confirmer. Selon la requérante, la Commission a accordé une importance démesurée à la contribution de KME par rapport à la sienne. En effet, seule une déclaration de KME établirait véritablement l’existence du cartel avant 1993. De plus, ladite déclaration aurait été faite après une demande explicite de la part de la Commission. Les autres déclarations de KME seraient de même nature que celles de la requérante, puisqu’elles attesteraient de l’existence de réunions sans les qualifier d’anticoncurrentielles.

116    Se référant aux considérants 397, 417 et 418 de la décision attaquée, la requérante affirme que la Commission a constaté que KME n’avait que très faiblement éclairci les faits pour la période antérieure à 1993. La requérante en conclut que l’octroi d’une réduction du montant de l’amende plus importante à KME qu’à elle-même est manifestement erroné et entaché d’un défaut de motivation, puisque sa coopération a présenté une valeur comparable à celle de KME.

117    Au demeurant, la requérante estime avoir été à cet égard sanctionnée par la Commission en raison de son refus, contrairement à KME, de procéder à un aveu général. Bien que la requérante ait fourni, à la suite d’une enquête interne approfondie, un exposé des faits différenciés et détaillés, ladite enquête ne lui aurait pas permis de vérifier et d’admettre l’existence d’une pratique anticoncurrentielle pendant la période allant de 1988 à 1993. Le traitement subi par la requérante reviendrait, dans une large mesure, à forcer une entreprise à s’accuser elle‑même, ce qui serait contraire au droit communautaire dès lors qu’il constituerait une violation des droits de la défense.

118    En deuxième lieu, la requérante prétend que c’est à tort que la Commission a, en tenant compte du fait que KME aurait fait état de huit réunions de « groupe de travail » qui n’auraient pas été mentionnées par les autres participants, accordé à KME une réduction supérieure à celle qui lui a été accordée. En effet, cette dernière, dans sa lettre du 30 septembre 2002 adressée à la Commission, aurait fait référence à une série de réunions ayant eu lieu entre 1999 et 2000 et en aurait donné une description plus complète que celle fournie par KME.

119    En troisième lieu, la requérante soutient qu’elle a volontairement fourni à la Commission, dans sa lettre du 30 septembre 2002, des renseignements nettement plus précis et plus détaillés que ceux fournis par KME sur la période allant de 1997 à 1999 (ci-après la « période d’accalmie »). Selon la requérante, la Commission s’appuie, comme cela est mentionné dans un seul passage au considérant 202 de la décision attaquée, sur des informations sommaires émanant de KME pour démontrer l’existence de comportements anticoncurrentiels pendant la période d’accalmie, quand bien même la requérante a décrit, de façon plus détaillée que KME, la tenue de douze réunions au cours des années 1997 et 1998. Par ailleurs, l’exposé des faits fourni par la requérante serait évoqué par la Commission dans onze notes en bas de page insérées sous les considérants 157 à 167 et 202 à 212 de la décision attaquée.

120    En quatrième lieu, la requérante allègue que sa coopération avec la Commission deux semaines avant KME aurait dû lui donner droit à un taux de réduction du montant de l’amende plus élevé ou, à tout le moins, identique à celui de KME. À cet égard, la requérante fait référence à la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3, ci-après la « communication de 2002 sur la coopération »), qui prévoit l’octroi d’une réduction plus importante à l’entreprise qui coopère le plus rapidement. La requérante reconnaît que ladite communication n’est pas applicable en l’espèce, mais que le Tribunal pourrait la prendre en considération en tant qu’expression d’un principe général de droit.

121    La Commission conteste l’ensemble des griefs soulevés par la requérante.

 Appréciation du Tribunal

122    S’agissant, en premier lieu, du grief tiré du défaut de motivation, il y a lieu de constater qu’il est manifestement non fondé. Les éléments d’appréciation que la Commission a pris en compte pour octroyer des réductions d’amendes à KME et à la requérante en vertu de la communication de 1996 sur la coopération sont clairement indiqués aux considérants 404 à 423 de la décision attaquée, ce qui suffit pour remplir les exigences de l’article 253 CE (voir points 58 à 59 ci-dessus).

123    S’agissant, en second lieu, du fond, il y a lieu de constater, à titre liminaire, que, lorsqu’une entreprise a commis une infraction aux règles communautaires de concurrence, elle peut tenter d’obtenir une réduction substantielle du montant de l’amende qui risque de lui être infligée, voire d’échapper à toute amende, en coopérant avec la Commission. À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, une réduction de l’amende au titre de la coopération lors de la procédure administrative trouve son fondement dans la considération selon laquelle une telle coopération facilite la constatation par la Commission des infractions (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, BPB de Eendracht/Commission, T‑311/94, Rec. p. II‑1129, point 325, et Finnboard/Commission, T‑338/94, Rec. p. II‑1617, point 363).

124    Il convient également de rappeler que, dans le cadre de l’appréciation de la coopération fournie par les membres d’une entente, seule une erreur manifeste d’appréciation de la part de la Commission est susceptible d’être censurée dès lors qu’elle bénéfice d’une large marge d’appréciation pour évaluer la qualité et l’utilité de la coopération fournie par une entreprise, notamment par rapport aux contributions d’autres entreprises (arrêt de la Cour du 10 mai 2007, SGL Carbon/Commission, C‑328/05 P, Rec. p. I‑3921, point 88). Pourtant, elle ne saurait, dans le cadre de cette appréciation, méconnaître le principe d’égalité de traitement.

125    Étant donné que les griefs de la requérante ont tous trait à la prétendue discrimination qu’elle aurait subie par rapport à KME, il convient donc de vérifier si la Commission a pu, sans méconnaître le principe d’égalité de traitement et sans outrepasser sa marge d’appréciation, accorder une réduction du montant de leurs amendes de 20 % à la requérante et de 30 % à KME au titre de leur coopération respective.

126    S’agissant de la chronologie de la communication des informations à la Commission, il y a lieu de constater que tant la requérante que KME ont commencé à coopérer avec la Commission après avoir reçu une demande de renseignements de la part de celle-ci, mais avant l’envoi de la communication des griefs. De plus, KME et la requérante relevaient toutes les deux du point D de la communication de 1996 sur la coopération, qui ne fait aucune référence au critère de l’antériorité de la coopération d’une entreprise par rapport à une autre.

127    Il ressort par ailleurs de la jurisprudence que, dans le cadre de l’appréciation des degrés de coopération qu’ont respectivement fournie deux entreprises, l’élément chronologique ne peut pas être pris en compte dans les situations où les informations transmises par les parties concernées l’ont été dans un intervalle assez bref et à un stade sensiblement identique de la procédure administrative (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 13 décembre 2001, Acerinox/Commission, T‑48/98, Rec. p. II‑3859, point 139, et du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, T‑38/02, Rec. p. II‑4407, point 467).

128    Dès lors, bien que la requérante ait devancé KME de deux semaines dans sa coopération avec la Commission, cette différence n’implique pas, en tant que telle, que la Commission était tenue de lui attribuer un taux de réduction du montant de l’amende infligée supérieur ou, du moins, identique à celui accordé à KME.

129    Dans la mesure où la requérante invoque l’application, par analogie, du point 23 de la communication de 2002 sur la coopération, qui prévoit que la Commission peut octroyer une réduction du montant de l’amende supérieure à l’entreprise qui est la première à apporter des éléments de preuve de l’infraction présumée apportant une valeur ajoutée significative, il y lieu de relever qu’une application par analogie est seulement possible aux fins de combler une lacune normative. Or, force est de constater que la coopération de la requérante ainsi que celles de KME et d’Outokumpu étaient régies par la communication de 1996 sur la coopération.

130    Pour autant que l’argument de la requérante puisse être compris comme soulevant en fait un conflit de lois dans le temps, il suffit de constater qu’un tel conflit ne saurait exister. En effet, c’est uniquement en l’absence de dispositions transitoires qu’une règle nouvelle s’applique immédiatement aux effets futurs d’une situation née sous l’empire de la règle ancienne (voir arrêt de la Cour du 21 janvier 2003, Allemagne/Commission, C‑512/99, Rec. p. I‑845, point 46, et la jurisprudence citée). En l’occurrence, le point 28 de la communication de 2002 sur la coopération prévoit clairement que ladite communication s’appliquait à compter du 14 février 2002 pour toutes les affaires dans lesquelles aucune entreprise ne s’était prévalue de la communication de 1996 sur la coopération. Or, en l’espèce, il est constant que les entreprises concernées, dont la requérante, se sont prévalues de la communication de 1996 sur la coopération.

131    Ayant écarté les arguments de la requérante tirés de la chronologie de la communication des informations à la Commission, il y a lieu de vérifier si, sur le plan qualitatif, la contribution de KME, comparée à celle de la requérante, était de nature à justifier la différence de 10 points de pourcentage entre les taux de réduction appliqués aux montants des amendes infligées auxdites entreprises.

132    Tout d’abord, l’argument de la requérante selon lequel l’octroi d’une réduction du montant de l’amende en raison de la reconnaissance, par une entreprise, de sa participation à une infraction constituerait une violation des droits de la défense des autres entreprises concernées ne saurait prospérer.

133    En effet, il ressort de la jurisprudence que la Commission est en droit de réduire le montant des amendes qu’elle inflige aux entreprises qui ne se contentent pas de lui communiquer des informations utiles mais vont jusqu’à reconnaître expressément leur participation à une infraction. Certes, la Commission ne peut contraindre une entreprise à avouer sa participation à une infraction. Néanmoins, elle n’est pas pour autant empêchée de tenir compte, dans la fixation du montant de l’amende, de l’aide que cette entreprise, de son propre gré, lui a fournie aux fins d’établir l’existence de l’infraction (arrêts de la Cour du 14 juillet 2005, Acerinox/Commission, C‑57/02 P, Rec. p. I‑6689, point 87, et ThyssenKrupp/Commission, C‑65/02 P et C‑73/02 P, Rec. p. I‑6773, point 50).

134    La reconnaissance de l’infraction reprochée revêt en effet un caractère purement volontaire de la part de l’entreprise concernée, celle-ci n’étant en aucune manière contrainte de reconnaître l’entente (arrêt du 14 juillet 2005, Acerinox/Commission, point 133 supra, point 89, et arrêt ThyssenKrupp/Commission, point 133 supra, point 52).

135    En l’espèce, il y a lieu de constater qu’il résulte d’une lecture combinée des considérants 405 et 406 et des considérants 416 à 422 de la décision attaquée que la Commission a octroyé des réductions du montant des amendes infligées à la requérante et à KME sur le fondement de deux éléments cumulatifs, à savoir, d’une part, le fait qu’elles n’ont pas contesté la matérialité des faits constitutifs de l’infraction constatée et, d’autre part, le fait que leur coopération à l’établissement des faits est allée au-delà des obligations résultant de l’article 11 du règlement nº 17.

136    Quant à ce dernier élément, il ressort des considérants 168, 169, 171, 405, 417, 419 et 423 de la décision attaquée que la Commission a estimé que les contributions de KME et de la requérante étaient de qualité semblable, à l’exception, d’une part, de la reconnaissance de l’existence d’activités collusoires avant 1993 et, d’autre part, de la révélation de réunions auxiliaires prétendument destinées à intensifier le fonctionnement de l’infraction.

137    Eu égard au fait qu’il a été établi que l’entente avait débuté en 1988, il est manifeste que la détermination par la Commission de la durée de l’infraction n’a pas été facilitée par la réponse de la requérante dans sa lettre du 30 septembre 2002. En effet, dans ladite lettre, la requérante a fourni une liste de réunions officielles de Cuproclima qui se sont tenues depuis 1985, sans indiquer les sujets qui ont été abordés au cours de ces réunions. Dans cette même lettre, elle a estimé que les contacts collusoires avaient commencé aux alentours de l’année 1993.

138    En revanche, dans sa lettre du 15 octobre 2002, KME a admis que les participants s’entendaient sur la répartition des clients dans les premières années qui ont suivi la création de Cuproclima en 1985 et décrit la manière dont ils procédaient.

139    En ce qui concerne la période d’accalmie (de 1997 à 1999), il y a lieu de constater que, dans la lettre de KME du 15 octobre 2002, des informations sur l’évolution du fonctionnement de l’entente au sein de Cuproclima sont fournies, ainsi que sur le fait que KME, Wieland et, dans une moindre mesure, Outokumpu ont eu des contacts réguliers en dehors du contexte de Cuproclima jusqu’en 1999, le plus souvent par téléphone, afin de discuter de certains clients ou des prix.

140    S’agissant de la période de 1999 à 2001, il ressort de ladite lettre que les membres de Cuproclima se sont retrouvés lors d’environ huit réunions de « groupe de travail » tenues en dehors des séances régulières de Cuproclima afin d’intensifier les activités du cartel.

141    Quant à la coopération de la requérante concernant lesdites périodes, il convient de constater que, bien que la liste des réunions qu’elle a fournie soit plus complète que celle fournie par KME, elle n’a pas indiqué si, lors des réunions reprises dans ladite liste, des thèmes ayant trait à l’entente avaient été abordés. Il s’ensuit que, par cette liste, la requérante n’a pas contribué à ce que la Commission soit en mesure de connaître le contexte desdites réunions et d’apprécier leur objet. Partant, la requérante ne peut pas se prévaloir de cette liste afin de soutenir que sa coopération aurait été, aux fins de l’enquête de la Commission, d’une valeur supérieure ou équivalente à celle des déclarations faites par KME (voir points 139 et 140 ci-dessus).

142    Dans le cadre de sa coopération, la requérante a toutefois fourni à la Commission quelques éléments pertinents en ce qui concerne la période d’accalmie et la période allant de 1999 à 2000.

143    Elle a notamment, à l’instar de KME, fourni des preuves concernant de la correspondance anticoncurrentielle qu’elle avait échangée avec KME en 1997 (considérant 163 de la décision attaquée).

144    Elle a également déclaré que les membres de Cuproclima avaient décidé vers la fin des années 90 de relancer leur activité collusoire, ce qui s’est matérialisé par l’adoption en 1999 d’un tableau censé être accessible par voie électronique aux membres du cartel et contenant des données sensibles. Force est cependant de constater que ces informations, bien qu’ayant trait à l’infraction, ne révèlent pas l’organisation de réunions auxiliaires ayant pour objet d’adapter et de renforcer l’activité collusoire menée lors des réunions régulières de Cuproclima, que KME avait au contraire signalé à la Commission en dénonçant les huit réunions de « groupe de travail ».

145    Eu égard à ce qui précède, il convient de constater que les affirmations de la requérante, selon lesquelles elle aurait contribué, d’une façon plus complète que KME, à éclaircir la période infractionnelle entre 1997 et 2000, ne sont pas étayées par les documents versés au dossier.

146    Dès lors, et à la lumière de la jurisprudence citée au point 133 ci-dessus, le Tribunal considère que la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation dans la détermination du niveau de réduction, au titre de la coopération, des amendes infligées à la requérante.

147    Eu égard à l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de conclure que le dernier moyen n’est pas non plus fondé.

148    Partant, le recours doit être rejeté.

 Sur les dépens

149    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Wieland-Werke AG est condamnée aux dépens.

Martins Ribeiro

Papasavvas

Wahl

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 mai 2009.

Signatures


* Langue de procédure : l’allemand.


1 – Données confidentielles occultées.