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DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (sixième chambre)

16 juin 2022 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure de déchéance – Marque de l’Union européenne verbale tagesschau – Déclaration partielle de déchéance – Représentation par un avocat n’ayant pas la qualité de tiers indépendant de la partie requérante – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑83/20,

bonnanwalt Vermögens- und Beteiligungsgesellschaft mbH, établie à Bonn (Allemagne), représentée par Me T. Wendt, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. S. Hanne, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

les autres parties à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

Bayerischer Rundfunk, établie à Munich (Allemagne), et les autres parties intervenantes dont les noms figurent en annexe ,

représentées par Me B. Krause, avocate,


LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de Mme A. Marcoulli, présidente, MM. J. Schwarcz et R. Norkus (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la phase écrite de la procédure, notamment :

l’exception d’irrecevabilité soulevée par l’EUIPO le 6 avril 2020,

les observations de la requérante sur l’exception d’irrecevabilité déposées au greffe du Tribunal le 31 août 2020,

la décision du 1erfévrier 2021 de suspendre l’affaire jusqu’à la décision de la Cour mettant fin à l’instance dans les affaires ayant donné lieu à l’arrêt du 24 mars 2022, PJ et PC/EUIPO (C‑529/18 P et C‑531/18 P, EU:C:2022:218),

les observations des parties sur l’arrêt du 24 mars 2022, PJ et PC/EUIPO (C‑529/18 P et C‑531/18 P, EU:C:2022:218), déposées au greffe du Tribunal les 12 et 19 avril 2022,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, bonnanwalt Vermögens- und Beteiligungsgesellschaft mbH, demande l’annulation de la décision de la deuxième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 12 décembre 2019 (affaire R 1487/2019-2) (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        Le 15 novembre 2017, la requérante a présenté à l’EUIPO une demande en déchéance de la marque verbale de l’Union européenne tagesschau enregistrée le 27 septembre 2012, pour des produits et des services compris dans les classes 9, 16, 21, 25, 26, 28, 38, 41 et 42, au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié.

3        Le motif invoqué à l’appui de la demande en déchéance était celui visé à l’article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1).

4        Le 15 mai 2019, la division d’annulation a déchu les titulaires de la marque contestée de leurs droits, pour tous les produits et services attaqués, à l’exception des services relevant de la classe 41 correspondant à la description suivante : « Production et diffusion d’émissions et de programmes d’actualités ».

5        Le 12 juillet 2019, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO contre la décision de la division d’annulation dans la mesure où la demande en déchéance avait été rejetée.

6        Par la décision attaquée, la chambre de recours a annulé la décision de la division d’annulation et déclaré la déchéance de la marque contestée pour l’ensemble des produits et des services en cause, à l’exception des services compris dans la classe 41 et correspondant à la description suivante « Diffusion d’émissions et de programmes d’actualités ».

 Conclusions des parties

7        Dans la requête, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée en tant que la chambre de recours a rejeté la demande en déchéance de la marque contestée pour les services compris dans la classe 41, au sens de l’arrangement de Nice, correspondant à la description suivante : « Diffusion d’émissions et de programmes d’actualités » ;

–        déclarer la déchéance de la marque contestée ;

–        condamner les titulaires de la marque contestée aux dépens.

8        Dans l’exception d’irrecevabilité, l’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme étant irrecevable ;

–        condamner la requérante aux dépens.

9        Dans ses observations sur l’irrecevabilité, la requérante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au tribunal de rejeter l’exception d’irrecevabilité.

10      Les intervenantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

11      Aux termes de l’article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure, la partie défenderesse peut demander au Tribunal de statuer sur l’irrecevabilité, sans engager le débat au fond. En application de l’article 130, paragraphe 6, dudit règlement, le Tribunal peut décider d’ouvrir la phase orale de la procédure sur l’exception d’irrecevabilité.

12      En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide de statuer sans ouvrir la phase orale de la procédure.

13      Par son exception d’irrecevabilité, l’EUIPO soutient que la requérante n’est pas dûment représentée par un avocat, au sens de l’article 51, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, lu conjointement avec l’article 19, troisième et quatrième alinéas, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

14      À l’appui de son exception d’irrecevabilité, l’EUIPO invoque une fin de non-recevoir, tirée du fait que le représentant de la requérante devant le Tribunal travaille, en tant que salarié, pour le cabinet d’avocats dirigé par le gérant et représentant légal de cette dernière. Compte tenu du rapport d’emploi qui le lierait au gérant de la requérante, le représentant de cette dernière se trouverait dans une situation de subordination à son égard. Il en résulterait un risque de confusion entre les intérêts propres de la requérante et les intérêts personnels de son représentant, de sorte que celui-ci ne posséderait pas l’indépendance nécessaire pour remplir son rôle essentiel d’auxiliaire de justice de la manière la plus appropriée.

15      La requérante conteste l’argumentation de l’EUIPO. Elle fait, tout d’abord, valoir que l’existence d’un contrat de droit civil entre un client et son représentant ne saurait être suffisant pour caractériser un défaut d’indépendance de celui-ci par rapport à celui-là. En tout état de cause, elle ne serait pas, elle-même, le propriétaire du cabinet d’avocats qui emploierait son représentant devant le Tribunal. Elle ne serait pas non plus affiliée audit cabinet d’avocats. En conséquence, les conditions susceptibles de caractériser un défaut d’indépendance de son représentant à son égard ne seraient pas remplies en l’espèce.

16      Il convient de rappeler que, en ce qui concerne la représentation devant les juridictions de l’Union des parties, autres que les États membres et les institutions de l’Union européenne, l’Autorité de surveillance de l’Association européenne de libre-échange (AELE) ou les États parties à l’accord sur l’Espace économique européen (EEE), l’article 19, troisième et quatrième alinéas, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicables à la procédure devant le Tribunal conformément à l’article 53, premier alinéa, du même statut et de l’article 51, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, prévoit deux conditions distinctes et cumulatives, à savoir, la première, que les parties doivent être représentées par un avocat et, la seconde, que seul un avocat habilité à exercer devant une juridiction d’un État membre ou d’un autre État partie à l’accord sur l’EEE peut représenter ou assister une partie devant les juridictions de l’Union (voir arrêt du 24 mars 2022, PJ et PC/EUIPO, C‑529/18 P et C‑531/18 P, EU:C:2022:218, point 58 et jurisprudence citée).

17      S’agissant de la seconde condition, il ressort du libellé de l’article 19, quatrième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le sens et la portée de cette condition doivent être interprétés par renvoi au droit national concerné. En l’espèce, il est constant et n’est pas contesté que cette condition a été respectée par l’avocat représentant la requérante devant le Tribunal.

18      Pour ce qui est de la première condition, relative à la notion d’« avocat », la Cour a jugé que, en l’absence de renvoi par l’article 19, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne au droit national des États membres, il convient d’interpréter cette notion de manière autonome et uniforme dans toute l’Union, en tenant compte non seulement du libellé de cette disposition, mais également de son contexte et de son objectif (voir arrêt du 24 mars 2022, PJ et PC/EUIPO, C‑529/18 P et C‑531/18 P, EU:C:2022:218, point 60 et jurisprudence citée).

19      À cet égard, il ressort du libellé de l’article 19, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, en particulier de l’emploi du terme « représentée[s] », qu’une « partie », au sens de cette disposition, quelle que soit sa qualité, n’est pas autorisée à agir elle–même devant une juridiction de l’Union, mais doit recourir aux services d’un tiers. Cette constatation est corroborée par l’objectif de la représentation par un avocat des parties visées aux troisième et quatrième alinéas de l’article 19 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, objectif qui consiste, d’une part, à empêcher que les parties privées agissent elles-mêmes en justice sans avoir recours à un intermédiaire et, d’autre part, à garantir que les personnes morales soient défendues par un représentant qui est suffisamment détaché de la personne morale qu’il représente (voir arrêt du 24 mars 2022, PJ et PC/EUIPO, C‑529/18 P et C‑531/18 P, EU:C:2022:218, points 61 et 63 et jurisprudence citée).

20      À cet égard, la Cour a souligné que l’objectif de la mission de représentation par un avocat telle qu’elle est visée à l’article 19, troisième et quatrième alinéas, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, qui s’exerce dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, consiste avant tout à protéger et à défendre au mieux les intérêts du mandant, en toute indépendance ainsi que dans le respect de la loi et des règles professionnelles et déontologiques (voir arrêt du 24 mars 2022, PJ et PC/EUIPO, C‑529/18 P et C‑531/18 P, EU:C:2022:218, point 64 et jurisprudence citée).

21      Conformément à la jurisprudence de la Cour, l’exigence d’indépendance se définit non seulement de manière négative, c’est-à-dire par l’absence d’un rapport d’emploi, mais également de manière positive, à savoir par une référence à la discipline professionnelle (arrêt du 24 mars 2022, PJ et PC/EUIPO, C‑529/18 P et C‑531/18 P, EU:C:2022:218, point 66).

22      S’agissant de la définition négative de la notion d’« indépendance », si l’exigence d’indépendance de l’avocat, dans le contexte spécifique de l’article 19 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, implique nécessairement l’absence d’un rapport d’emploi entre ce dernier et son client, ce raisonnement s’applique avec la même force dans une situation dans laquelle un avocat est employé par une entité liée à la partie qu’il représente (voir arrêt du 24 mars 2022, PJ et PC/EUIPO, C‑529/18 P et C‑531/18 P, EU:C:2022:218, points 67 et 68 et jurisprudence citée).

23      S’agissant de la définition positive de la notion d’« indépendance » incombant à l’avocat, la Cour a souligné expressément que cette indépendance devait être comprise comme l’absence non pas de tout lien quelconque de l’avocat avec son client, mais uniquement de ceux qui portent manifestement atteinte à sa capacité à assurer sa mission de défense en servant au mieux les intérêts de son client, dans le respect de la loi et des règles professionnelles et déontologiques (arrêt du 24 mars 2022, PJ et PC/EUIPO, C‑529/18 P et C‑531/18 P, EU:C:2022:218, point 69).

24      C’est à la lumière des considérations qui précèdent qu’il convient d’examiner la fin de non-recevoir opposée par l’EUIPO au présent recours.

25      En l’espèce, il est constant que le propriétaire et directeur du cabinet d’avocats que la requérante a mandaté pour assurer sa représentation dans le cadre de la présente procédure est également le représentant légal et le gérant de cette dernière.

26      Il est également constant que Me Tilo Wendt, avocat exerçant dans ledit cabinet en tant que collaborateur salarié, a été chargé d’assurer la représentation de la requérante par le directeur dudit cabinet, et qu’il en est l’unique collaborateur.

27      Il ressort des conditions de représentation de la requérante dans le présent litige, telles qu’elles viennent d’être exposées, qu’aucun rapport d’emploi, ainsi que celle-ci l’observe à juste titre, ne la lie directement à son représentant devant le Tribunal.

28      Toutefois, ainsi qu’il a été rappelé au point 22 ci-dessus, l’exigence d’indépendance de l’avocat chargé de représenter une partie privée dans une juridiction de l’Union s’applique avec la même force dans une situation dans laquelle cet avocat est employé par une entité liée à la partie qu’il représente.

29      D’une part, il doit être présumé qu’un avocat collaborateur dans un cabinet, même s’il exerce sa profession dans le cadre d’un contrat de travail, remplit les mêmes exigences d’indépendance qu’un avocat exerçant individuellement ou comme associé dans un cabinet (arrêt du 24 mars 2022, PJ et PC/EUIPO, C‑529/18 P et C‑531/18 P, EU:C:2022:218, point 79).

30      D’autre part, si un avocat collaborateur dans un cabinet est présumé satisfaire, en principe, aux exigences d’indépendance au sens de l’article 19 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, y compris dans l’hypothèse où il exercerait ses fonctions dans le cadre d’un contrat de travail ou dans le cadre d’une autre relation subordonnée, il convient d’opérer une distinction en fonction de la situation du client représenté (arrêt du 24 mars 2022, PJ et PC/EUIPO, C‑529/18 P et C‑531/18 P, EU:C:2022:218, point 80).

31      Or, il est constant que le client représenté est, en l’espèce, géré par la même personne physique que celle qui dirige et est propriétaire du cabinet d’avocats au sein duquel travaille le représentant de la requérante (voir points 25 et 26 ci-dessus).

32      Compte tenu du lien de subordination existant au sein du cabinet d’avocats dans lequel travaille le représentant de la requérante dans le présent litige, il convient de considérer que le propriétaire dudit cabinet, qui en est également le responsable, peut exercer, de ce fait, un contrôle effectif sur ledit représentant, lequel est, de surcroît, son unique collaborateur.

33      Ainsi, la relation d’emploi liant le représentant de la requérante au responsable du cabinet d’avocats, est susceptible d’influer sur l’indépendance de ce représentant, et ce même si ledit cabinet est une entité juridique distincte de la requérante. En effet, les intérêts de ce cabinet, dont le responsable est également le gérant de la requérante, sont largement communs avec ceux de cette dernière. Il existe donc un risque que l’opinion professionnelle du représentant de la requérante soit, à tout le moins en partie, influencée par son environnement professionnel. 

34      À cet égard, est sans incidence la circonstance, invoquée par la requérante dans ses observations sur l’arrêt du 24 mars 2022, PJ et PC/EUIPO (C‑529/18 P et C‑531/18 P, EU:C:2022:218), qu’elle n’est pas, contrairement au cas d’espèce tranché par cet arrêt, une personne physique. Il convient, en effet, de souligner, ainsi que la Cour l’a précisé dans ledit arrêt, que l’objectif de la représentation par un avocat des parties non visées aux deux premiers alinéas de l’article 19 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, consiste non seulement à empêcher que les parties privées agissent elles-mêmes en justice sans avoir recours à un intermédiaire, mais aussi à garantir que les personnes morales soient défendues par un représentant qui est suffisamment détaché de la personne morale qu’il représente (arrêt du 24 mars 2022, PJ et PC/EUIPO, C‑529/18 P et C‑531/18 P, EU:C:2022:218, point 63).

35      Dans ces conditions, et alors même qu’il n’existe pas formellement de rapport d’emploi entre la requérante et son représentant dans la présente procédure, il y a lieu de conclure que les liens qui existent entre ce dernier, compte tenu de sa qualité d’avocat collaborateur du représentant légal de la requérante, et cette dernière sont tels qu’ils portent manifestement atteinte à l’indépendance de l’avocat, telle qu’elle est exigée par la jurisprudence de la Cour.

36      Compte tenu de tout ce qui précède, il y a lieu de faire droit à l’exception d’irrecevabilité soulevée par l’EUIPO et de rejeter le recours comme irrecevable.

 Sur les dépens

37      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens.

38      La requérante ayant succombé en l’espèce, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’EUIPO et de l’intervenante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)      bonnanwalt Vermögens- und Beteiligungsgesellschaft mbH est condamnée aux dépens.

Fait à Luxembourg, le 16 juin 2022.

Le greffier

 

La présidente

E. Coulon

 

A. Marcoulli


*      Langue de procédure : l’allemand.