Language of document : ECLI:EU:C:2017:235

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAL BOBEK

présentées le 23 mars 2017 (1)

Affaire C‑143/16

Abercrombie & Fitch Italia Srl

contre

Antonio Bordonaro

[demande de décision préjudicielle formée par la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie)]

« Demande de décision préjudicielle – Politique sociale – Principes d’égalité de traitement et de non-discrimination en raison de l’âge – Directive 2000/78/CE – Égalité de traitement dans l’emploi et le travail – Article 6, paragraphe 1 – Législation nationale prévoyant des contrats de travail intermittent avec des personnes de moins de 25 ans »






I –    Introduction

1.        Le contrat de travail intermittent italien (« contratto di lavoro intermittente ») est un contrat de travail flexible par lequel un salarié se met à la disposition d’un employeur, lequel peut lui attribuer du travail de manière intermittente, en fonction de ses besoins. De manière générale, ce contrat est soumis à des conditions objectives relatives à la nature intermittente des services ainsi qu’à des exigences prévues dans des conventions collectives. En outre, ce même contrat peut être proposé « dans tous les cas » à des travailleurs de moins de 25 ans ou de plus de 45 ans.

2.        M. Antonio Bordonaro a été employé pendant un an et demi par Abercrombie & Fitch Italia Srl (ci-après « Abercrombie & Fitch ») au titre d’un contrat de travail intermittent. Il a été mis un terme à son contrat de travail lorsqu’il a atteint l’âge de 25 ans, en raison du fait que la condition tenant à l’âge n’était plus remplie.

3.        Dans ce contexte factuel et juridique, la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie) a demandé si la disposition italienne concernant les contrats de travail intermittent, dans la mesure où elle contient des conditions d’accès et de licenciement spécifiques pour les personnes âgées de moins de 25 ans, est contraire au principe de non‑discrimination en raison de l’âge tel qu’il est consacré dans la directive 2000/78/CE (2) et à l’article 21, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

4.        Dans l’affaire qui nous occupe, la Cour, pour la première fois à ma connaissance (3), est appelée à examiner sous l’angle de la discrimination en raison de l’âge une mesure nationale introduisant, s’agissant de l’accès à un contrat de travail flexible d’un type particulier, des conditions spécifiques pour les jeunes travailleurs.

II – Le cadre juridique

A –    Le droit de l’Union

5.        Aux termes du considérant 25 de la directive 2000/78, « [l]’interdiction des discriminations liées à l’âge constitue un élément essentiel pour atteindre les objectifs établis par les lignes directrices sur l’emploi et encourager la diversité dans l’emploi. Néanmoins, des différences de traitement liées à l’âge peuvent être justifiées dans certaines circonstances et appellent donc des dispositions spécifiques qui peuvent varier selon la situation des États membres. Il est donc essentiel de distinguer entre les différences de traitement qui sont justifiées, notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et les discriminations qui doivent être interdites. »

6.        L’article 1er de la directive 2000/78 expose l’objet de la directive, à savoir « établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, l[e] handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement ».

7.        L’article 2 de la directive est ainsi libellé :

« 1.      Aux fins de la présente directive, on entend par “principe de l’égalité de traitement” l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1er.

2.      Aux fins du paragraphe 1 :

a)      une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er ;

[…] ».

8.        L’article 6 de la directive 2000/78, intitulé « Justification des différences de traitement fondées sur l’âge », est, dans son paragraphe 1, ainsi libellé :

« Nonobstant l’article 2, paragraphe 2, les États membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l’âge ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.

Ces différences de traitement peuvent notamment comprendre :

a)      la mise en place de conditions spéciales d’accès à l’emploi et à la formation professionnelle, d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération, pour les jeunes, les travailleurs âgés et ceux ayant des personnes à charge, en vue de favoriser leur insertion professionnelle ou d’assurer leur protection ;

b)      la fixation de conditions minimales d’âge, d’expérience professionnelle ou d’ancienneté dans l’emploi, pour l’accès à l’emploi ou à certains avantages liés à l’emploi ;

c)      la fixation d’un âge maximum pour le recrutement, fondée sur la formation requise pour le poste concerné ou la nécessité d’une période d’emploi raisonnable avant la retraite ».

B –    Le droit italien

9.        Selon la juridiction de renvoi, l’article 34 du decreto Legislativo n. 276, Attuazione delle deleghe in materia di occupazione e mercato del lavoro, di cui alla legge 14 febbraio 2003, n. 30 (décret législatif no 276, portant mise en œuvre des délégations dans le domaine de l’emploi et du marché du travail instituées par la loi no 30 du 14 février 2003), du 10 septembre 2003, dans sa version applicable à la date à laquelle M. Bordonaro a été licencié (4), était ainsi libellé :

« 1.      Le contrat de travail intermittent peut être conclu en vue de l’exécution de prestations à caractère discontinu ou intermittent, selon les modalités précisées par les conventions collectives conclues par les organisations patronales et salariales les plus représentatives sur le plan national ou territorial, pour des périodes prédéterminées dans le cadre de la semaine, du mois ou de l’année, au sens de l’article 37.

2.      Le contrat de travail intermittent peut porter dans tous les cas sur des prestations exécutées par des personnes âgées de moins de vingt-cinq ans, ou par des travailleurs de plus de quarante-cinq ans, même pensionnés ».

10.      En outre, la juridiction de renvoi explique que, à la date à laquelle M. Bordonaro a été licencié, l’article 34, paragraphe 2, du décret législatif no 276/2003 était ainsi libellé : « Le contrat de travail intermittent peut porter dans tous les cas sur des prestations exécutées par des personnes âgées de plus de cinquante-cinq ans ou de moins de vingt-quatre ans, étant entendu, dans le second cas, que les prestations contractuelles doivent être exécutées avant la vingt‑cinquième année » (5).

11.      L’article 34 du décret législatif no 276/2003 n’est plus en vigueur. Néanmoins, son contenu a été partiellement repris par l’article 13 du decreto legislativo n. 81, Disciplina organica dei contratti di lavoro e revisione della normativa in tema di mansioni, a norma dell’articolo 1, comma 7, della legge 10 dicembre 2014, n. 183( décret législatif no 81 sur le règlement systématique des contrats de travail et la révision de la législation sur les obligations professionnelles, conformément à l’article 1er, paragraphe 7, de la loi no 183 du 10 décembre 2014), du 15 juin 2015 (la disposition actuelle en vigueur) (6).

III – Le litige dans l’affaire au principal et la question préjudicielle

12.      M. Bordonaro a été employé par Abercrombie & Fitch au titre d’un contrat de travail intermittent à durée déterminée conclu le 14 décembre 2010. Le 1er janvier 2012, le contrat a été converti en contrat de travail intermittent à durée indéterminée. Il résulte des observations présentées devant la Cour que M. Bordonaro a travaillé en moyenne trois à cinq fois par semaine. À partir du 26 juillet 2012, il n’a plus figuré dans le planning de travail. Après avoir sollicité une explication à ce sujet par courrier électronique, il s’est vu notifier, le 30 juillet 2012, qu’il avait été licencié le 26 juillet précédent en raison du fait qu’il avait atteint l’âge de 25 ans. Dès lors, il ne remplissait plus les conditions prévues par la législation italienne pour qu’il existe un contrat de travail intermittent.

13.      M. Bordonaro a introduit un recours devant le Tribunale di Milano (tribunal de Milan, Italie), par lequel il fait valoir que son contrat et son licenciement étaient illégaux. Il a demandé à être réintégré dans son poste. Ce recours a été déclaré irrecevable par une ordonnance qui a été annulée ultérieurement en appel par la Corte d’appello di Milano (cour d’appel de Milan, Italie). Cette dernière juridiction a considéré que tant le contrat de travail intermittent conclu avec M. Bordonaro sur la base de son âge que son licenciement lorsque celui-ci a atteint l’âge de 25 ans étaient discriminatoires. Elle a considéré qu’une relation de travail à durée indéterminée avait été établie. Elle a condamné Abercrombie & Fitch à réintégrer M. Bordonaro dans son poste et à lui verser des dommages et intérêts.

14.      Abercrombie & Fitch a formé un pourvoi devant la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation). Abercrombie & Fitch a fait essentiellement valoir que la Corte d’appello di Milano (cour d’appel de Milan) avait commis une erreur en considérant que le principe de non‑discrimination avait été enfreint. La présente affaire concernerait une loi qui bénéficie aux travailleurs en raison de leur âge, et non le contraire. Abercrombie & Fitch a soutenu en outre que l’article 34, paragraphe 2, du décret législatif no 276/2003 était conforme à la directive 2000/78 et a demandé que la Cour soit saisie de cette question à titre préjudiciel.

15.      Considérant que l’article 34, paragraphe 2, du décret législatif no 276/2003 pouvait être contraire au principe de non-discrimination en raison de l’âge compte tenu de la référence spécifique et claire à l’âge qu’il établit, la juridiction de renvoi a sursis à statuer et a demandé, à titre préjudiciel, si :

« la règle nationale contenue à l’article 34 du décret législatif no 276 de 2003, selon laquelle le contrat de travail intermittent peut porter dans tous les cas sur des prestations exécutées par des personnes âgées de moins de vingt-cinq ans, est contraire au principe de non-discrimination en raison de l’âge, qui est consacré par la directive 2000/78/CE et à l’article 21, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ».

16.      M. Bordonaro, Abercrombie & Fitch, le gouvernement italien et la Commission européenne ont présenté des observations écrites. Tous ont également présenté des observations orales lors de l’audience qui s’est déroulée le 12 janvier 2017.

IV – Analyse

17.      La présente affaire concerne une disposition nationale qui autorise les employeurs à conclure « dans tous les cas » des contrats de travail intermittent avec des personnes ayant moins de 25 ans ou plus de 45 ans (7), tandis que ce même type de contrat, pour les personnes qui se trouvent dans la catégorie restante d’âge « intermédiaire », n’est disponible que dans des conditions particulières. En outre, pour les travailleurs de moins de 25 ans, la disposition nationale en cause a été interprétée en ce sens qu’elle entraîne automatiquement la fin de la relation de travail lorsque ceux‑ci atteignent l’âge de 25 ans (8).

18.      La question posée par la juridiction de renvoi ne concerne la disposition en cause qu’à l’égard de son application à des travailleurs de moins de 25 ans. Elle porte sur la compatibilité de cette mesure avec l’interdiction de discrimination en raison de l’âge consacrée dans deux textes de droit de l’Union différents, à savoir à l’article 21, paragraphe 1, de la Charte et dans la directive 2000/78, à propos d’une affaire impliquant une relation juridique entre des personnes privées.

19.      Des considérations liminaires s’imposent (ci-dessous, sous A), avant d’aborder le fond de la question posée (ci-dessous, sous  B). Lesdites considérations portent sur l’identification des dispositions de droit de l’Union qui sont pertinentes pour l’analyse de la présente affaire (ci-dessous, sous  1) et sur la portée précise de la question posée par la juridiction de renvoi (ci-dessous, sous  2).

A –    Considérations liminaires

1.      Les dispositions pertinentes du droit de l’Union

20.      L’interdiction de discrimination en raison de l’âge constitue un principe général du droit de l’Union qui a été codifié par l’article 21, paragraphe 1, de la Charte. La directive2000/78 constitue une expression particulière de ce principe dans le domaine de l’emploi et du travail (9).

21.      Pour cette raison, lorsqu’une situation relève du champ d’application de la directive 2000/78, c’est celle-ci, à titre d’instrument spécifique, qui constituera le cadre principal de l’analyse (10).

22.      La situation en cause dans la présente affaire relève-t‑elle du champ d’application de la directive2000/78 ? Ainsi que la Cour l’a jugé de manière constante, il ressort du titre, du contenu et de l’objectif de la directive que celle-ci cherche à établir un cadre général afin de garantir l’égalité de traitement « dans l’emploi et le travail », en offrant une protection effective contre les discriminations fondées sur les motifs qui y sont énumérés (11). En particulier, l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive prévoit que celle-ci s’applique, dans les domaines de compétence conférés à l’Union européenne, à toutes les personnes, en ce qui concerne « les conditions d’accès à l’emploi, […] y compris les critères de sélection et les conditions de recrutement, quelle que soit la branche d’activité et à tous les niveaux de la hiérarchie professionnelle […] ». Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, sous c), elle s’applique aussi aux « conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération » (12).

23.      La présente affaire concerne le recrutement et le licenciement. Il ne fait pas de doute qu’une disposition telle que celle en cause dans la procédure au principal concerne « les conditions d’accès à l’emploi », de même que « les conditions de travail, y compris les conditions de licenciement ». Ladite disposition entre donc pleinement dans le champ d’application matériel de la directive 2000/78.

24.      En ce qui concerne le champ d’application personnel de la directive 2000/78, sous réserve de l’ultime vérification factuelle de la juridiction de renvoi, il ne fait pas de doute que M. Bordonaro peut être considéré comme étant un travailleur au sens du droit de l’Union. Selon les précisions fournies par ce dernier, il a travaillé de trois à cinq fois par semaine pendant une période de plus d’un an et demi. Son activité ne saurait être considérée comme étant purement marginale ou accessoire (13). Une personne employée au titre d’un contrat de travail intermittent ne saurait se voir privée, en raison de ses conditions d’emploi, de la qualification de travailleur au sens du droit de l’Union (14).

25.      Dans ces circonstances, la directive 2000/78 est applicable à la situation qui donne lieu au présent litige.

26.      Le fait que l’analyse qui sera développée dans les présentes conclusions se situe d’abord dans le cadre de la directive ne s’oppose pas à l’applicabilité simultanée de l’article 21, paragraphe 1, de la Charte. En effet, dès lors que les dispositions en cause relèvent du champ d’application du droit de l’Union par le truchement de la directive2000/78, la protection garantie par la Charte s’applique, en vertu de l’article 51, paragraphe 1, de celle-ci (15).

27.      Ainsi, l’article 21, paragraphe 1, de la Charte et la directive 2000/78 entretiennent non pas une relation d’exclusion mutuelle, mais une relation de complémentarité, dans laquelle l’une vient préciser la portée de l’autre. Ainsi que nous l’avons déjà mentionné, la directive 2000/78 constitue une expression spécifique du principe général consacré par la Charte. Le cadre dans lequel l’analyse est opérée au titre de celles-ci est donc nécessairement similaire (16). En outre, pour autant que cela est approprié, l’approche suivie au titre de celles-ci doit répondre à la même logique, afin de garantir une pratique cohérente du contrôle juridictionnel du droit de l’Union et du droit national en matière de non-discrimination en raison de l’âge dans le domaine de l’emploi.

28.      Bien entendu, le principe de non-discrimination tel qu’il est consacré à l’article 21, paragraphe 1, de la Charte demeure applicable même dans le cadre d’une application simultanée de la directive 2000/78. Il existe notamment deux situations dans lesquelles l’article 21, paragraphe 1, de la Charte demeure pertinent dans un tel cas de figure. Premièrement, les dispositions de la Charte demeurent pleinement applicables aux fins d’une éventuelle interprétation conforme du droit de l’Union dérivé et du droit national qui relève du champ d’application du droit de l’Union. Secondement, la validité du droit de l’Union dérivé est mesurée au regard des dispositions de la Charte.

29.      En outre, l’« autonomie » du principe d’égalité de traitement en tant que principe général du droit ou en tant que droit fondamental consacré par la Charte revêt une importance particulière lorsque, ainsi que la Cour l’a jugé de manière constante (17), le fait qu’un litige concerne des particuliers fait obstacle à la possibilité d’invoquer la directive (18).

2.      Sur la portée précise de la question préjudicielle posée par la juridiction de renvoi

30.      Dans les observations présentées devant la Cour, seul M. Bordonaro a fait valoir que la disposition nationale en cause ne devait pas être appliquée et que le principe de droit de l’Union de non‑discrimination en raison de l’âge devait être appliqué directement.

31.      Néanmoins, la question épineuse de l’éventuelle applicabilité directe de l’article 21, paragraphe 1, de la Charte dans une relation horizontale n’a pas à être abordée en l’espèce, essentiellement pour deux raisons.

32.      Premièrement, la question préjudicielle dont est saisie la Cour concerne exclusivement la compatibilité « normative » ou « abstraite » d’une disposition nationale avec le droit de l’Union. Une disposition nationale qui est applicable de manière générale dans tous les types de relations juridiques est-elle compatible avec le droit de l’Union ? Cette analyse précède celle des recours ultérieurs éventuels qui sont disponibles dans le cas de figure particulier d’une relation de droit privé, et elle est indépendante de ceux-ci. En d’autres termes, le point crucial de la présente affaire est de savoir si une disposition nationale, considérée de manière abstraite indépendamment de son application dans des relations verticales ou horizontales, est compatible avec le droit de l’Union. La juridiction de renvoi n’a pas interrogé la Cour sur les conséquences à tirer d’une éventuelle absence de conformité à la directive 2000/78 de la disposition nationale en cause.

33.      Secondement, ainsi que l’ont fait valoir la Commission et Abercrombie & Fitch dans leurs observations écrites et ainsi que cela a également été confirmé lors de l’audience, la directive 2000/78 a été transposée en droit italien (19). L’importance de ce fait doit être soulignée expressément. Cela signifie que l’obligation de non-discrimination en raison de l’âge découle non pas seulement de la directive ou uniquement de l’article 21, paragraphe 1, de la Charte, mais également des règles nationales transposant ces dispositions de droit de l’Union en droit national.

34.      Dans un tel cas de figure, le droit de l’Union est susceptible d’atteindre ultérieurement les relations horizontales d’abord par le truchement de l’interprétation de l’interdiction de discrimination en raison de l’âge du droit national effectuée à la lumière des dispositions initiales (et ultérieurement parallèles) du droit de l’Union, telles que celles-ci sont interprétées par la Cour. Au besoin, la juridiction de renvoi doit alors examiner la totalité du corpus de règles de droit et appliquer les méthodes d’interprétation dont elle dispose (20). Dans la décision de renvoi, aucun élément n’indique qu’il est impossible à la juridiction de renvoi d’interpréter la disposition nationale en cause en conformité avec le droit de l’Union (21).

35.      Ainsi, l’interdiction de discrimination en raison de l’âge fondée sur le droit de l’Union atteindra d’abord les situations concrètes au niveau national au moyen de ses dispositions de transposition nationales, interprétées à la lumière des dispositions de droit de l’Union dont elle tire son origine. Admettre ce fait permet d’éviter que la portée de l’applicabilité directe horizontale éventuelle des dispositions de la Charte fasse l’objet de conceptions erronées. En pratique, cela limite à des cas très peu nombreux, voire exceptionnels, les situations dans lesquelles il pourrait être envisagé d’appliquer directement des dispositions de la Charte à des relations entre particuliers. Cela prend également en considération la pratique, à mon sens sensée, de certains systèmes juridiques qui considèrent que le rôle des droits fondamentaux dans les relations entre particuliers est d’abord interprétatif : le contenu des droits et des obligations qui doivent être établis, en ce qui concerne leur existence, par la loi nationale, doit être interprété à la lumière des droits fondamentaux.

36.      En ayant ces considérations préliminaires à l’esprit, l’analyse que je ferai dans les points suivants se concentrera sur la compatibilité de la disposition nationale en cause avec la directive 2000/78.

B –    Sur la discrimination fondée sur l’âge

37.      Le principe d’égalité de traitement prévu à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2000/78 interdit toute discrimination directe ou indirecte pour l’un des motifs mentionnés à l’article 1er de ladite directive, parmi lesquels figure l’âge. Aux termes de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2000/78, « une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er » (22).

38.      La discrimination en raison de l’âge diffère des autres « motifs suspects » tels que la religion ou les convictions, le handicap ou l’orientation sexuelle. À la différence des autres motifs, une discrimination directe en raison de l’âge est susceptible d’être justifiée sur la base du régime spécifique de l’article 6 (23). En vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78, les États membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l’âge ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.

39.      En ayant à l’esprit ce cadre normatif établi à l’article 2, paragraphe 2, sous a), et à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78, mon analyse sera structurée de la manière suivante : d’abord j’examinerai si des catégories de personnes comparables sont traitées différemment sur la base d’un motif interdit (sous 1) ; ensuite j’analyserai la notion de « traitement moins favorable » (sous 2) ; enfin, j’aborderai les justifications admissibles, à savoir la question de savoir si le traitement différent poursuit un objectif légitime et si la mesure est appropriée et nécessaire pour atteindre cet objectif (sous 3).

1.      Sur le traitement différent de situations comparables pour un motif interdit

40.      Comparabilité ne signifie pas identité. L’examen de la première notion porte seulement sur le point de savoir si, à l’égard d’une qualité donnée (à savoir le tertium comparationis, qui peut être une valeur, un objectif, une action, une situation, etc.), les éléments de comparaison (tels que des personnes, des entreprises ou des produits) présentent davantage de similitudes ou davantage de différences (24). L’analyse de la notion de « comparabilité » exige de prendre dûment en considération le contexte concret dans lequel elle est effectuée : celui de la prestation ou du régime concernés (25). Ainsi que la Cour l’a jugé de manière constante, la question de savoir si des situations sont de nature comparable doit être appréciée de manière globale, en tenant compte de l’ensemble des facteurs les caractérisant, à la lumière de l’objet et de la finalité de l’acte qui effectue la distinction en cause (26).

41.      En l’espèce, c’est la directive 2000/78 qui constitue le cadre législatif d’ensemble dans lequel s’inscrit la comparaison. La qualité donnée à l’égard de laquelle une comparaison doit être effectuée est le traitement (accès, conditions, licenciement) dans l’emploi et le travail.

42.      Les éléments de comparaison sont les personnes qui font l’objet d’un tel traitement égal ou inégal. La législation nationale en cause (telle qu’elle était en vigueur à la fois à la date du recrutement et à celle du licenciement) réglemente les contrats de travail intermittent. Elle établit deux régimes différents en fonction de l’âge du travailleur. Premièrement, en vertu de l’article 34, paragraphe 1, du décret législatif no 276/2003, ce contrat peut être utilisé par les employeurs quel que soit l’âge du travailleur lorsque certaines conditions objectives sont remplies. L’application d’un tel contrat est conditionnée à la nature discontinue ou intermittente des prestations à fournir conformément aux exigences prévues par des conventions collectives, pour des périodes déterminées à l’avance (27). Secondement, en vertu de l’article 34, paragraphe 2, du décret législatif no 276/2003, pour les travailleurs de moins de 25 ou de plus de 45 ans (ou, à la suite de la modification ultérieure, de plus de 55 ans), ces conditions ne sont pas requises et des contrats de travail intermittent peuvent être conclus « dans tous les cas ». En outre, ainsi que le gouvernement italien l’a précisé lors de l’audience, les contrats de travail intermittent conclus au titre de cette dernière disposition avec des personnes de moins de 25 ans prennent fin à la date du 25e anniversaire de celles-ci.

43.      C’est précisément à l’égard de l’accès à un type particulier de contrat et à l’égard du licenciement que la règle en cause établit une distinction entre trois catégories de personnes en fonction de leur âge. Ce régime a pour conséquence que certaines personnes sont traitées différemment d’autres sur le seul fondement de leur âge, sans qu’il soit tenu compte du fait qu’elles sont susceptibles de se trouver dans des situations comparables à l’égard de la nature des prestations et des tâches à accomplir ou à l’égard de leur expérience professionnelle ou de leurs qualifications.

44.      En outre, en ce qui concerne le licenciement automatique à l’âge de 25 ans, les travailleurs bénéficiant d’un contrat de travail intermittent au titre de l’article 34, paragraphe 2, du décret législatif no 276/2003 qui atteignent l’âge de 25 ans sont dans une situation comparable à celle des travailleurs plus jeunes embauchés au titre du même contrat, de même qu’à celle des travailleurs embauchés au titre de l’article 34, paragraphe 1, du décret législatif no 276/2003. Néanmoins, elles doivent faire face à un licenciement au seul motif de leur âge.

45.      Il existe donc une nette différence de traitement en raison de l’âge. Il serait fait obstacle à la possibilité de comparer de telles catégories de personnes seulement s’il existait un élément, tel qu’une caractéristique personnelle ou une circonstance factuelle ou juridique, qui rende les situations différentes à un point tel que la comparaison deviendrait illogique ou déraisonnable ; si les différences étaient prépondérantes par rapport aux similitudes, ou s’il existait ne serait-ce qu’une seule différence, mais qui serait fondamentale, qui rendrait la comparaison impossible.

46.      J’estime que tel n’est pas le cas en l’espèce. Il pourrait être suggéré que le problème d’un chômage particulièrement grave parmi les jeunes constitue un tel élément distinctif. Ainsi, parce que le chômage des jeunes pourrait être considéré comme étant relativement élevé et structurel, la population jeune cesserait d’être, en termes d’accès au marché du travail, comparable au reste de la population. Il pourrait être considéré que cela crée une catégorie distincte en tant que telle.

47.      Je ne partage pas ce point de vue. Ainsi que je l’ai déjà mentionné, en matière de comparabilité, il y a lieu d’effectuer une analyse d’ensemble. Une telle analyse appréhende de manière globale un certain nombre de facteurs qui sont pertinents pour la qualité donnée qui fait l’objet de la comparaison. S’agissant de l’accès et du traitement dans l’emploi et le travail, l’ensemble des catégories d’âge sont susceptibles de recevoir le même contrat. Elles sont toutes en concurrence pour les mêmes emplois. Elles sont donc pleinement comparables (28).

48.      Le fait qu’il puisse exister certaines différences partielles, telles qu’une catégorie d’âge donnée soit susceptible d’avoir des problèmes particuliers, peut bien entendu être pertinent pour la motivation d’une mesure nationale visant à remédier à ce problème. Il est susceptible de favoriser la politique sous-jacente à l’adoption de cette mesure. Néanmoins, de telles considérations se trouvent au cœur de l’objectif légitime mis en avant par le gouvernement italien. L’examen de cet aspect relève donc de l’analyse de la justification de la mesure.

49.      Les jeunes travailleurs auxquels l’article 34, paragraphe 2, du décret législatif no 276/2003 s’applique sont donc dans une situation comparable à celle des autres travailleurs et demandeurs d’emploi. En outre, il est évident qu’en imposant que le contrat prenne fin de manière automatique à l’âge de 25 ans, la disposition en cause emporte également une différence de traitement à l’égard des travailleurs embauchés au titre de l’article 34, paragraphe 2, du décret législatif no 276/2003, qui n’ont pas atteint cet âge ou qui ont plus de 45 ou de 55 ans et à l’égard des travailleurs qui bénéficient de contrats de travail intermittent au titre du régime général prévu par l’article 34, paragraphe 1, du décret législatif no 276/2003 (29).

50.      En bref, l’article 34, paragraphe 2, du décret législatif no 276/2003 emporte une différence de traitement de groupes comparables fondée directement et uniquement sur l’un des motifs interdits, à savoir l’âge.

2.      Sur le traitement moins favorable

51.      En vertu de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2000/78, la protection garantie par celle-ci s’applique lorsqu’une personne est traitée « de manière moins favorable qu’une autre ne l’est ». Cela signifie que la différence de traitement doit se faire en défaveur ou au détriment de la personne (ou des personnes) d’un âge donné.

52.      Les affaires portant sur une discrimination en raison de l’âge dont est saisie la Cour concernent généralement des prestations, des conditions de travail ou des restrictions qui impliquent clairement un avantage ou un désavantage pour un demandeur particulier (30). Dans de telles affaires, il est relativement aisé de déterminer si la mesure en cause s’applique au détriment d’une personne. Le fait de ne pas recevoir une prestation, d’être payé moins, ou d’être obligé de partir en retraite lorsqu’on ne le souhaite pas emporte à l’évidence un traitement moins favorable.

53.      Néanmoins, la présente affaire est plus complexe. La question de savoir si la disposition nationale contestée est favorable ou défavorable au groupe protégé a suscité d’assez amples discussions devant la Cour.

54.      M. Bordonaro fait valoir que le contrat de travail intermittent est un type de contrat défavorable. Celui-ci manque de certitude à l’égard des horaires de travail. Il autorise un licenciement fondé seulement sur l’âge.

55.      Dans ses observations écrites, la Commission s’est penchée tout particulièrement sur l’aspect tenant à la fin automatique du contrat à l’âge de 25 ans. Selon la Commission, cet aspect constitue une discrimination directe en raison de l’âge au sens de la directive 2000/78.

56.      Le gouvernement italien et Abercrombie & Fitch ne partagent pas lesdites positions. Ils maintiennent que la différence de traitement n’emporte pas de traitement moins favorable. Les travailleurs de moins de 25 ans sont en réalité traités de manière plus favorable que les travailleurs de plus de 25 ans. Selon Abercrombie & Fitch, le contrat de travail intermittent constitue une « possibilité contractuelle supplémentaire » accordant un statut contractuel privilégié au travailleur, lequel devient plus attractif pour les employeurs. En outre, le gouvernement italien a fait valoir que le principe de non-discrimination s’applique aux autres conditions de travail afférentes au contrat de travail intermittent, telles que le salaire, le congé annuel et la protection sociale.

57.      Il y a lieu d’emblée de préciser qu’aucun élément n’indique que la disposition en cause relève de la catégorie de l’action positive. Aux termes de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2000/78, « [p]our assurer la pleine égalité dans la vie professionnelle, le principe de l’égalité de traitement n’empêche pas un État membre de maintenir ou d’adopter des mesures spécifiques destinées à prévenir ou à compenser des désavantages liés à l’un des motifs visés à l’article 1er ». Les mesures qui relèvent de cette disposition visent spécifiquement et exclusivement à prévenir ou à compenser des désavantages effectifs qui existent en réalité (31).

58.      Néanmoins, en l’espèce, loin de viser sans équivoque à donner un avantage destiné à assurer une pleine égalité en pratique aux jeunes travailleurs, le véritable impact de la mesure apparaît être ambivalent. D’un certain point de vue, il pourrait être considéré qu’il perpétue la position plus précaire sur le marché du travail de la tranche la plus jeune de la population (32).

59.      Quoi qu’il en soit, le gouvernement italien a confirmé, lors de l’audience, que la disposition en cause n’est pas censée être une mesure d’action positive au sens de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2000/78.

60.      Cette affirmation étant prise comme prémisse, l’analyse de l’existence d’un « traitement moins favorable » demeure pertinente. Il est évident que la mesure en cause a un impact ambivalent. Il apparaît également que l’analyse de la question de savoir si une mesure emporte un traitement moins favorable est susceptible de dépendre du point de vue d’un demandeur potentiel et du point sur lequel l’analyse se focalise.

61.      Aux termes du considérant 15 de la directive 2000/78, « [l]’appréciation des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte appartient à l’instance judiciaire nationale […], conformément au droit national ou aux pratiques nationales […] » (33). Si de tels faits sont établis, il revient à la partie défenderesse de prouver qu’il n’y a pas eu violation du principe de l’égalité de traitement, conformément au mécanisme prévu à l’article 10, paragraphe 1, de la directive 2000/78 (34).

62.      Ainsi, et cela est également conforme à la répartition des compétences instaurée dans la procédure préjudicielle de l’article 267 TFUE (35), c’est à la juridiction de renvoi qu’il appartient d’analyser la question de savoir s’il existe un traitement moins favorable ; cette analyse, qui est avant tout factuelle, étant cruciale pour établir l’existence d’une discrimination. Il est néanmoins possible de fournir certains éléments d’orientation à la juridiction de renvoi afin de lui être utile.

63.      Il peut être considéré qu’un licenciement automatique à l’âge de 25 ans limite l’usage du contrat de travail intermittent prévu à l’article 34, paragraphe 2, du décret législatif no 276/2003. D’un certain point de vue, il peut effectivement être considéré que cette mesure vise à ne pas perpétuer la situation précaire des travailleurs qui deviennent progressivement « moins jeunes ». Néanmoins, elle place également les travailleurs dans la position d’être licenciés indépendamment de leur performance ou d’un comportement particulier. Il ne peut guère être contesté que cet élément, appréhendé de manière distincte, emporte un traitement moins favorable (36).

64.      Néanmoins, ainsi que nous l’avons déjà laissé entendre, l’analyse du point de savoir s’il existe en l’espèce un traitement plus favorable ou moins favorable ne saurait se limiter à un aspect unique. La question posée par la juridiction de renvoi porte sur la règle prévue à l’article 34, paragraphe 2, du décret législatif no 276/2003, laquelle contient deux aspects, l’un tenant à l’accès à l’emploi et l’autre à la fin du contrat. J’estime que ces deux aspects sont étroitement liés. Ainsi, afin de répondre utilement à la juridiction de renvoi, l’analyse de la mesure doit être effectuée de manière globale, en mettant en balance les différents aspects de la relation contractuelle ainsi que les conditions et les considérations qui sous‑tendent cette dernière. En particulier, l’impact du contrat doit être analysé à la lumière du cadre législatif d’ensemble, qui comprend les conditions de travail du salarié telles qu’elles découlent du régime général des contrats de travail intermittent (prévoyant une indemnité de départ, des congés annuels, une égalité de situation entre l’employeur et le salarié et la possibilité du salarié de refuser librement du travail), de même que la prise en compte de l’impact sur l’accès des jeunes au marché du travail.

65.      Dans l’arrêt Mangold (37), la Cour a considéré qu’autoriser sans restriction des contrats à durée déterminée pour des travailleurs ayant atteint un certain âge relevait de la directive 2000/78, du fait que cela emporte un traitement différent en raison de l’âge. Dans l’arrêt Georgiev (38), la Cour a déclaré qu’imposer un contrat à durée déterminée à des professeurs qui avaient atteint l’âge de 65 ans constituait un traitement différent au sens de l’article 6 de la directive 2000/78, du fait que les conditions de travail de ceux-ci devenaient « plus précaires » que celles des professeurs n’ayant pas atteint cet âge.

66.      Il résulte de cette jurisprudence que lorsqu’une disparité de traitement existe, son caractère moins favorable est déterminé en effectuant une analyse d’ensemble des conditions prévues par les régimes contractuels applicables aux catégories d’âge spécifiques, en prenant comme point de référence les relations de travail ordinaires, par opposition aux autres formes de travail plus flexibles, telles que les contrats à durée déterminée. À l’issue d’une telle analyse, il a été considéré qu’autoriser sans restriction ou imposer des formes contractuelles spécifiques (à durée déterminée) caractérisées par un degré de stabilité moindre par rapport aux contrats de travail à durée indéterminée emporte un « traitement moins favorable ».

67.      En l’espèce, le contrat de travail intermittent constitue une forme contractuelle sui generis caractérisée par une dérogation aux « contrats habituels » (à la fois à ceux à plein temps et à ceux à temps partiel) s’agissant de l’organisation temporelle de la relation de travail. Une flexibilité s’applique à l’aspect temporel de ladite relation, lequel est laissé à l’appréciation de l’employeur en fonction de ses besoins. L’utilisation d’un contrat de travail intermittent implique qu’un travailleur n’a pas de nombre d’heures de travail garanti et, dès lors, qu’il n’a pas de revenu fixe. Tandis que ce régime est applicable aux travailleurs de toutes catégories pour des raisons objectives et dans certaines conditions, le régime qui s’applique aux travailleurs de moins de 25 ans déroge quant à lui aux conditions réglementaires qui justifient le recours à ce type de contrat sui generis.

68.      Par ailleurs, la disposition en cause offre prétendument un accès plus large au marché du travail aux personnes de moins de 25 ans, grâce à un contrat particulièrement flexible. Cela ne fait pas obstacle à la possibilité que des employeurs proposent à ces personnes d’autres types de contrats. Toutefois, la possibilité d’avoir recours à des contrats de travail intermittent sans conditions objectives est en même temps susceptible de rendre plus difficile aux personnes de moins de 25 ans l’accès à d’autres contrats qui n’octroient pas une telle flexibilité à l’employeur. En conséquence, les travailleurs plus jeunes sont susceptibles d’accéder plus difficilement à un emploi « régulier » au cours d’une partie de leur vie professionnelle (39). En bref, même si le droit de l’Union ne s’oppose pas à de telles modalités contractuelles, plus flexibles (40), les imposer ou les appliquer sans restriction à un groupe d’âge particulier est susceptible de devenir problématique.

69.      En outre, le fait que le droit national limite l’utilisation générale des contrats de travail intermittent (et que les limitations en cause aient été progressivement renforcées) laisse entrevoir que, en droit national, la considération selon laquelle l’application du contrat emporte, s’agissant des conditions de travail, un traitement plus favorable ou plus protecteur n’est pas dépourvue d’ambiguïté. En effet, dans ses observations écrites, le gouvernement italien a qualifié ce contrat d’instrument « moins exigeant et moins coûteux que le contrat de travail ordinaire ».

70.      En conclusion, j’estime que s’agissant de l’existence d’un traitement moins favorable, il y a lieu d’effectuer une analyse d’ensemble de l’impact du fonctionnement de la règle. Une telle analyse exige de connaître à la fois l’impact factuel de la règle et l’environnement législatif plus large dans lequel cette dernière s’inscrit. Elle incombe donc à la juridiction de renvoi.

71.      En procédant à une telle analyse, il y a lieu d’éviter deux extrêmes. Premièrement, ainsi qu’il ressort des présents points, l’analyse d’un traitement moins favorable ne saurait se borner à l’examen d’une règle très spécifique appréhendée de manière isolée, sans prendre le reste en considération. Secondement, une analyse globale signifie que certains aspects individuels de l’ensemble sont susceptibles d’être positifs, et d’autres négatifs. Il n’est guère possible d’envisager une mesure dont il puisse être dit qu’elle est exclusivement favorable dans tous ses aspects. C’est le total qui compte : dans l’ensemble, la mesure laisse-t‑elle le groupe protégé dans une situation moins favorable ?

72.      Enfin, il y a également lieu de garder à l’esprit que l’impact de la mesure ne doit pas être confondu avec son objectif, tel qu’il est avancé par le gouvernement italien. La disposition en cause est en effet susceptible d’être destinée à donner à de jeunes demandeurs d’emploi des possibilités supplémentaires d’accès au marché du travail. Néanmoins, le critère permettant de déterminer le caractère désavantageux de la mesure à l’égard de ce groupe de personnes doit être celui de son impact, là encore analysé de manière globale, qui comprend non seulement l’accès au marché, mais également les conditions de travail et le licenciement.

3.      Sur la justification

73.      Si la juridiction de renvoi considère que l’article 34, paragraphe 2, du décret législatif no 276/2003 emporte un traitement moins favorable au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2000/78, il y a lieu d’examiner si la différence de traitement peut être justifiée au titre de l’article 6, paragraphe 1, de celle-ci. L’analyse se focalise alors plus particulièrement sur la question de savoir si la différence de traitement peut être objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime (sous a), si les moyens invoqués pour atteindre cet objectif sont appropriés et s’ils ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi (sous b).

a)      Sur l’objectif légitime

74.      Dans l’affaire qui nous occupe, l’identification de l’objectif légitime poursuivi à l’article 34, paragraphe 2, du décret législatif no 276/2003 n’est pas allée sans controverses. Ainsi que le relève la juridiction de renvoi, le décret législatif no 276/2003 ne contient aucune référence spécifique aux objectifs que poursuit son article 34, paragraphe 2.

75.      En principe, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 impose aux États membres la charge d’établir la légitimité de l’objectif poursuivi à concurrence d’un seuil probatoire élevé (41). Néanmoins, en l’absence d’indication claire quant à l’objectif que la mesure est censée poursuivre, la Cour a admis une certaine souplesse pour identifier les objectifs poursuivis, autorisant le recours à des aspects tels que le contexte général de la mesure en cause (42).

76.      Le gouvernement italien a fait valoir que la mesure poursuivait différents objectifs, dont certains sont liés entre eux sans se recouper entièrement. Premièrement, la mesure en cause s’inscrit dans un cadre juridique visant à promouvoir la flexibilité du marché du travail, afin d’augmenter le taux d’activité. Deuxièmement, la législation nationale vise à favoriser l’entrée des jeunes sur le marché du travail. Troisièmement, lors de l’audience, le gouvernement italien a expliqué que la disposition en cause poursuit plus spécifiquement l’objectif de fournir à une personne non pas un emploi stable, mais une première possibilité d’être embauchée, lui permettant ainsi d’acquérir une expérience initiale et ultérieure pertinente sur le marché du travail.

77.      La Commission a fait valoir que cet objectif ressort également de la « legge di delega » (la loi d’habilitation) qui constitue le fondement du décret législatif no 276/2003 en cause, dont l’article 1er, paragraphe 1, se réfère à l’objectif de renforcer « [l]a capacité d’intégration professionnelle des personnes sans emploi et de toutes celles qui sont à la recherche d’un premier emploi, en particulier des femmes et des jeunes » (43).

78.      L’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 contient une liste illustrative d’objectifs légitimes. Figurent dans cette liste la politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle (44). L’article 6, paragraphe 1, sous a), fournit des exemples de différence de traitement qui sont légitimes, à savoir « la mise en place de conditions spéciales d’accès à l’emploi et à la formation professionnelle, d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération, pour les jeunes, les travailleurs âgés et ceux ayant des personnes à charge, en vue de favoriser leur insertion professionnelle ou d’assurer leur protection ».

79.      Dès lors, il ne fait pas de doute que favoriser l’emploi constitue un objectif légitime. Il en va a fortiori ainsi s’agissant de l’emploi des jeunes, qui est une question qui préoccupe également les institutions de l’Union (45). La Cour a confirmé à de multiples reprises que constituent des objectifs légitimes l’encouragement du recrutement impliquant la promotion de l’accès des jeunes à une profession (46) ou la promotion de la position des jeunes sur le marché du travail afin de promouvoir leur intégration professionnelle ou de garantir leur protection (47).

80.      La Cour a également admis que des mesures promouvant la flexibilité du marché du travail sont susceptibles d’être considérées comme des mesures relatives à la politique de l’emploi (48). À cet égard, la Cour a en particulier admis que des règles nationales peuvent octroyer et réserver un certain degré de flexibilité aux employeurs, lorsqu’elles poursuivent des objectifs d’intérêt public légitimes de politique de l’emploi ou de politique du marché du travail (49). Le fait de faciliter le recrutement de jeunes travailleurs en augmentant la flexibilité de la gestion du personnel constitue notamment un objectif légitime (50).

81.      En conclusion, il apparaît que chacun des objectifs invoqués par le gouvernement italien et la Commission est susceptible de constituer, en principe, un objectif légitime au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78.

82.      Néanmoins, le problème précis de la présente affaire n’est pas l’absence de tout objectif légitime. Au contraire, il semble exister une pléthore d’objectifs invoqués par le gouvernement italien, chacun d’entre eux allant dans une direction un peu différente. C’est à la juridiction de renvoi qu’il incombe de lever les doutes qui subsistent quant à l’objectif précis qui est poursuivi en l’espèce.

83.      La nécessité d’identifier clairement un objectif légitime particulier qui sous-tend la mesure devient cruciale pour l’étape ultérieure de l’analyse : celle du caractère approprié, cohérent et nécessaire de la mesure. Cette analyse, comme tout examen de proportionnalité, se focalise sur la relation entre les objectifs et les moyens. Néanmoins, il est impossible d’évaluer le caractère approprié des moyens choisis en l’absence de clarté sur les objectifs. Pour parler de manière métaphorique, il est difficile de discuter de la question de savoir si l’on se trouve sur le droit chemin si le but du voyage n’est pas déterminé. L’objectif ou la pluralité d’objectifs qui peuvent être poursuivis en même temps (51) doivent donc être clairement identifiés.

b)      Sur le caractère approprié et nécessaire

84.      L’analyse du caractère approprié consiste à évaluer si les moyens choisis sont susceptibles d’atteindre l’objectif. Celle de la nécessité se focalise sur le point de savoir s’il n’existe pas d’autres possibilités, qui soient moins intrusives que les moyens choisis. Les deux types d’analyse exigent d’avoir une connaissance approfondie du cadre législatif d’ensemble, de même que des règles générales destinées à protéger les travailleurs, des règles particulières destinées à éviter les abus, ainsi que des règles régissant les conditions de travail matérielles relatives au contrat de travail intermittent en cause dans l’affaire au principal. Dès lors, il appartient encore une fois à la juridiction de renvoi de procéder, au final, à l’analyse du caractère approprié et nécessaire de la disposition nationale en cause.

85.      Les considérations qui suivent visent à fournir à la juridiction de renvoi un éclairage aux fins de l’analyse, sans préjudice d’une identification plus précise, par ladite juridiction, de l’objectif qui sous‑tend la mesure. En ayant cet objectif à l’esprit, j’examinerai les critères tenant au caractère approprié et nécessaire pour chacun des objectifs avancés par le gouvernement italien : l’objectif de promouvoir la flexibilité du marché du travail [sous i)], de favoriser l’accès des jeunes au marché du travail [sous ii)], et de fournir aux jeunes une première possibilité d’embauche [sous iii)].

86.      Il y a lieu de rappeler, à titre de remarque introductive commune aux différents points de la présente section, que les États membres disposent d’une large marge d’appréciation dans leur choix de poursuivre un objectif particulier dans le domaine de la politique sociale et de l’emploi, de même que dans l’aménagement des mesures susceptibles d’atteindre ledit objectif (52). Cette marge d’appréciation se trouve néanmoins limitée par l’interdiction d’entraver la mise en œuvre du principe de non-discrimination en raison de l’âge (53).

i)      Sur l’objectif de favoriser la flexibilité du marché du travail

87.      Le gouvernement italien a précisé que la disposition nationale en cause s’inscrit dans un cadre législatif plus large qui, au cours de la dernière décennie, a cherché à flexibiliser le marché du travail.

88.      De manière générale, il peut être considéré qu’une mesure qui autorise des types de contrats de travail qui sont moins rigides pour les employeurs est effectivement, de prime abord, appropriée pour atteindre un degré de flexibilité plus grand sur le marché du travail.

89.      Néanmoins, l’article 34, paragraphe 2, du décret législatif no 276/2003 autorise un recours plus large à un contrat flexible pour des catégories d’âge particulières : pour les personnes de moins de 25 ans et pour celles de plus de 45 ans. Ainsi, on peut se demander comment le fait de faciliter l’accès à une forme contractuelle flexible seulement pour des catégories d’âge spécifiques poursuit de manière cohérente l’objectif d’ensemble de flexibilité du marché du travail. De ce point de vue, la juridiction de renvoi aura à analyser pourquoi une mesure poursuivant l’objectif général d’augmenter la flexibilité sur le marché du travail ne devrait s’appliquer qu’à des catégories d’âge particulières. En d’autres termes, si la flexibilité constitue un objectif qui concerne l’ensemble du marché du travail, il n’apparaît pas clairement, sans davantage d’explications, pourquoi la charge de la réalisation d’un tel objectif devrait être supportée seulement par des catégories d’âge spécifiques.

90.      En outre, lors de l’examen de la question de savoir si la mesure va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi, la disposition en cause doit être placée dans son contexte. Les effets défavorables qu’elle est susceptible de causer aux personnes concernées doivent être pris en considération (54). Dès lors, la juridiction de renvoi, dans son analyse de la nécessité de la mesure au regard de l’objectif de favoriser la flexibilité du marché du travail, aura à analyser si ladite mesure trouve un juste équilibre entre les intérêts généraux de politique de l’emploi et les risques encourus par les jeunes travailleurs d’être relégués dans les catégories les plus précaires du marché du travail.

ii)    Sur l’objectif de faciliter l’emploi des jeunes

91.      Le gouvernement italien a mis en avant l’accès plus large aux contrats de travail intermittent pour les demandeurs d’emploi de moins de 25 ans afin d’atteindre l’objectif de faciliter l’accès des jeunes au marché du travail.

92.      En revanche, la Commission considère que cet objectif n’est pas poursuivi de manière cohérente, dès lors que les jeunes travailleurs engagés au titre de ce régime sont licenciés à l’âge de 25 ans. Ce fait annulerait les effets favorables de la mesure sur l’emploi des jeunes.

93.      En ayant à l’esprit la large marge d’appréciation dont bénéficie le législateur national à cet égard et à défaut, notamment, de données statistiques, il n’est à ce stade pas possible de conclure que la mesure est manifestement inappropriée pour atteindre l’objectif poursuivi. Il incombe à la juridiction de renvoi, à l’aide des éléments de fait et des preuves appropriés, de déterminer si tel est effectivement le cas en l’espèce.

94.      Néanmoins, il y a lieu de rappeler que « [d]e simples affirmations générales concernant l’aptitude d’une mesure déterminée à participer à la politique de l’emploi, du marché du travail ou de la formation professionnelle ne suffisent pas pour faire apparaître que l’objectif de cette mesure est de nature à justifier qu’il soit dérogé audit principe ni ne constituent des éléments permettant raisonnablement d’estimer que les moyens choisis sont aptes à la réalisation de cet objectif » (55).

95.      En particulier, il incombe à la juridiction de renvoi d’évaluer, conformément aux règles du droit national qui lui sont applicables, la valeur des preuves qui sont produites devant elle, lesquelles peuvent inclure, notamment, des preuves statistiques (56). À cet égard, il est vrai que les choix législatifs faits dans le domaine de l’emploi, pour lesquels les États membres disposent d’une marge d’appréciation particulière, sont susceptibles d’être fondés sur des prévisions et sur des considérations politiques elles-mêmes susceptibles d’impliquer un certain degré d’incertitude (57). Néanmoins, l’exigence d’un caractère approprié édictée à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 impose à tout le moins une relation logique de compatibilité et de cohérence entre l’objectif poursuivi et les moyens choisis.

96.      Dès lors, il y aura lieu de déterminer si l’objectif de favoriser le recrutement des jeunes est poursuivi de manière cohérente et systématique à l’article 34, paragraphe 2, du décret législatif no 276/2003. L’argument avancé par la Commission tenant au manque de cohérence interne de cette disposition en raison du licenciement automatique qui intervient à l’âge de 25 ans mérite en particulier d’être examiné plus avant. Il pourrait en effet être considéré, si cela est étayé par des preuves supplémentaires, que la disposition en cause, plutôt que de rechercher un remède au chômage, se borne à déplacer le problème, ne faisant que reporter le chômage sur la catégorie d’âge suivante.

97.      Du point de vue de la nécessité de la mesure, c’est également à la juridiction de renvoi qu’il incombe d’examiner s’il existe des possibilités moins intrusives qu’un licenciement automatique qui permettraient d’adopter une approche plus nuancée de la limite d’âge.

iii) Sur l’objectif de donner une possibilité d’obtenir un premier emploi

98.      Enfin, lors de l’audience, le gouvernement italien a précisé que l’objectif principal et spécifique de la disposition en cause est non pas de donner aux jeunes un accès stable au marché du travail, mais seulement de leur fournir une première possibilité d’accès à celui-ci. L’objectif est non pas de faire entrer les jeunes sur le marché du travail et de leur permettre de conserver un emploi (permanent), mais de leur fournir une première expérience qui les placera ultérieurement dans une situation meilleure pour être en concurrence sur le marché du travail. En d’autres termes, il a été considéré que la disposition nationale litigieuse intervient en réalité à une étape antérieure au plein accès audit marché. Elle a pour objectif de créer une certaine égalité des chances ou des possibilités, de sorte que dans l’étape ultérieure, les personnes de moins de 25 ans puissent effectivement être en concurrence avec des catégories de personnes d’un âge plus avancé.

99.      De prime abord, l’âge, en particulier lorsqu’il est inférieur à 25 ans, est susceptible d’être utilisé en tant qu’indicateur du manque d’expérience sur le marché du travail. Le caractère approprié de la mesure au regard de cet objectif doit, une fois encore, être déterminé à l’aide des éléments probatoires dont dispose la juridiction de renvoi et en tenant dûment compte de la marge d’appréciation dont dispose le législateur national.

100. La juridiction de renvoi devra en particulier tenir compte du fait que la disposition en cause, même si elle poursuit l’objectif de donner une première possibilité d’emploi, n’exige pas que les personnes auxquelles l’article 34, paragraphe 2, du décret législatif no 276/2003 s’applique n’aient aucune expérience antérieure. En effet, cette disposition ne se réfère qu’à l’âge et elle n’est pas reliée à l’expérience, à la formation ou à l’apprentissage.

101. En outre, il y a lieu de relever que même si le gouvernement italien a exposé que la disposition en cause ne vise pas à créer des possibilités d’emploi stable, le contrat de travail intermittent peut également être conclu sous la forme d’un contrat de travail à durée indéterminée. C’est à la juridiction de renvoi qu’il appartient de déterminer la pertinence de ce fait, de manière cohérente, en tenant dûment compte de la durée au cours de laquelle ce contrat peut rester applicable aux jeunes travailleurs qui ont atteint l’âge de travailler prévu par le droit national.

102. S’agissant du critère de nécessité, il y a lieu de déterminer si d’autres moyens moins contraignants n’auraient pas pu être envisagés. En particulier, l’analyse de la mesure doit prendre en compte le fait que la disposition en cause n’est fondée que sur l’âge. C’est à la juridiction nationale qu’il appartient d’examiner si la mesure aurait pu effectivement raisonnablement atteindre l’objectif invoqué grâce à des critères pertinents supplémentaires, tels que l’exigence d’être sans emploi ou l’absence d’expérience antérieure (58).

103. En outre, le gouvernement italien a fait valoir que l’objectif de donner une première expérience de travail de nature non stable justifie qu’il soit mis un terme automatiquement au contrat de travail lorsque l’âge de 25 ans est atteint. Selon le gouvernement italien, la mesure peut ainsi atteindre un niveau d’effectivité élevé. Cela permet à un nombre de personnes plus important d’avoir accès aux postes disponibles. Le motif qui sous-tend cet argument est de partager les postes disponibles, de proposer une part du gâteau à tout le monde.

104. Néanmoins, cette explication tenant au « partage du gâteau » n’apparaît pas parfaitement convaincante. Une personne embauchée jeune peut avoir sa part du gâteau pendant plusieurs années, tandis qu’une personne qui l’est lorsqu’elle est plus proche de l’âge de 25 ans n’en profitera que pour quelques mois. Pourquoi alors ne pas plutôt prévoir une durée maximale de contrat à appliquer à chaque personne, afin de distribuer le « gâteau » de manière plus juste ? L’explication tenant au « partage du gâteau » devient relativement tautologique s’agissant de la catégorie des personnes de moins de 25 ans en tant que telle : cette catégorie d’âge devrait-elle partager le gâteau, tandis que les autres se voient servir un repas différent ?

105. En conclusion, dans les domaines sensibles tels que la politique de l’emploi et la politique sociale, les États membres disposent d’un large pouvoir d’appréciation. Ils sont susceptibles de poursuivre plusieurs objectifs légitimes. Néanmoins, la poursuite de ces objectifs doit faire état d’un niveau raisonnable de clarté et de cohérence, qui se résument dans les critères du caractère approprié et nécessaire.

V –    Conclusion

106. Compte tenu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la question préjudicielle déférée par la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie) de la manière suivante :

L’article 2, paragraphe 2, sous a), et l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une législation nationale telle que celle en cause dans l’affaire au principal, qui prévoit que des contrats de travail intermittent sont applicables dans tous les cas aux travailleurs âgés de moins de 25 ans, dès lors que :

–        cette législation poursuit un objectif légitime lié à une politique de l’emploi et du marché du travail ; et

–        elle atteint cet objectif par des moyens qui sont à la fois appropriés et nécessaires.

Il incombe à la juridiction de renvoi de déterminer si ces conditions sont remplies en l’espèce.


1       Langue originale : l’anglais.


2      Directive du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JO 2000, L 303, p. 16).


3      L’ordonnance du 16 janvier 2008, Polier (C‑361/07, non publiée, EU:C:2008:16) concernait le contrat de travail français « nouvelles embauches ». La Cour a considéré que la situation n’était pas de son ressort. Les questions posées par la juridiction de renvoi dans cette affaire ne concernaient cependant pas le principe de non-discrimination en raison de l’âge.


4       GURI no 235, du 9 octobre 2003 (ci-après le « décret législatif no 276/2003 »).


5      Modifié par la loi du 28 juin 2012, n. 92, Disposizioni in materia di riforma del mercato del lavoro in una prospettiva di crescita (dispositions en matière de réforme du marché du travail dans une perspective de croissance) (GURI no 153, du 3 juillet 2012).


6       (GURI no 144, du 24 juin 2015).


7      Cette limite d’âge a été portée à 55 ans par une réforme ultérieure de la disposition en cause. Voir point 10 des présentes conclusions.


8      Même si la condition selon laquelle « les prestations contractuelles doivent être exécutées avant l’âge de 25 ans […] » n’a été introduite que par la loi no 92/2012 (voir point 10 des présentes conclusions), le gouvernement italien a précisé, lors de l’audience, que l’article 34, paragraphe 2, du décret législatif no 276/2003 a toujours été interprété en ce sens que le contrat prend fin à l’âge de 25 ans.


9      Voir, notamment, arrêts du 19 avril 2016, DI (C‑441/14, EU:C:2016:278, points 22 et 23 ainsi que jurisprudence citée), et du 21 décembre 2016, Bowman (C‑539/15, EU:C:2016:977, point 19 ainsi que jurisprudence citée).


10      Voir, en ce sens, arrêts du 7 juin 2012, Tyrolean Airways Tiroler Luftfahrt Gesellschaft (C‑132/11, EU:C:2012:329, points 22 et 23) ; du 11 novembre 2014, Schmitzer (C‑530/13, EU:C:2014:2359, points 23 et 24) ; du 13 novembre 2014, Vital Pérez (C‑416/13, EU:C:2014:2371, point 25), ainsi que du 21 janvier 2015, Felber (C‑529/13, EU:C:2015:20, point 17).


11      Voir, notamment, arrêt du 10 novembre 2016, de Lange (C‑548/15, EU:C:2016:850, point 16 et jurisprudence citée).


12      Voir, notamment, arrêt du 21 janvier 2015, Felber (C‑529/13, EU:C:2015:20, point 19).


13      Voir, en ce sens, arrêt du 1er octobre 2015, O (C‑432/14, EU:C:2015:643, points 22 et suiv. ainsi que jurisprudence citée).


14      Voir, en ce sens, arrêt du 26 février 1992, Raulin (C‑357/89, EU:C:1992:87, point 11).


15      Voir, en ce sens, arrêt du 19 avril 2016, DI (C‑441/14, EU:C:2016:278, point 24).


16      Voir, pour la même logique dans un cas de figure inverse, conclusions que je présenterai dans l’affaire Fries (C‑190/16, EU:C:2017:225).


17      Voir, notamment, arrêts du 26 février 1986, Marshall (152/84, EU:C:1986:84, point 48) ; du 14 juillet 1994, Faccini Dori (C‑91/92, EU:C:1994:292, point 20) ; du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a. (C‑397/01 à C‑403/01, EU:C:2004:584, point 108) ; du 19 janvier 2010, Kücükdeveci (C‑555/07, EU:C:2010:21, point 46), ainsi que du 15 janvier 2014, Association de médiation sociale (C‑176/12, EU:C:2014:2, point 36).


18      Voir arrêts du 19 janvier 2010, Kücükdeveci (C‑555/07, EU:C:2010:21, points 50 et 51), ainsi que du 19 avril 2016, DI (C‑441/14, EU:C:2016:278, points 35 à 37).


19      Il ressort des documents dont dispose la Cour que la directive 2000/78 semble avoir été transposée en droit italien par le decreto legislativo, n. 216, Attuazione della direttiva 2000/78/CE per la parità di trattamento in material di occupazione e di condizioni di lavoro (GURIno 187, du 13 août 2003).


20      Voir, à cet égard, arrêts du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a. (C‑397/01 à C‑403/01, EU:C:2004:584, point 113) ; du 19 janvier 2010, Kücükdeveci (C‑555/07, EU:C:2010:21, point 48) ; du 15 janvier 2014, Association de médiation sociale (C‑176/12, EU:C:2014:2, point 38), ainsi que du 19 avril 2016, DI (C‑441/14, EU:C:2016:278, point 31).


21      Arrêts du 19 janvier 2010, Kücükdeveci (C‑555/07, EU:C:2010:21, point 49), et du 15 janvier 2014, Association de médiation sociale (C‑176/12, EU:C:2014:2, point 40). Voir également, s’agissant de l’éventuelle impossibilité d’interprétation à la lumière du droit de l’Union, arrêt du 19 avril 2016, DI (C‑441/14, EU:C:2016:278, point 37).


22      Voir, également, notamment, arrêt du 24 novembre 2016, Parris (C‑443/15, EU:C:2016:897, point 65).


23      Arrêt du 5 mars 2009, Age Concern England (C‑388/07, EU:C:2009:128, point 60). Voir, notamment, pour une discussion sur la nature « différente » de l’âge en tant que « motif suspect », conclusions que l’avocat général Mazák a présentées dans l’affaire Palacios de la Villa (C‑411/05, EU:C:2007:106, points 61 à 64), dans l’affaire Age Concern England (C‑388/07, EU:C:2008:518, points 73 à 75), et conclusions que l’avocat général Jacobs a présentées dans l’affaire Lindorfer/Conseil (C‑227/04 P, EU:C:2005:656, points 83 et suiv.).


24      Voir conclusions que j’ai présentées dans l’affaire Lidl (C‑134/15, EU:C:2016:169, point 69) et dans l’affaire Belgique/Commission (C‑270/15 P, EU:C:2016:289, point 30).


25      Voir, en ce sens, arrêts du 12 décembre 2013, Hay (C‑267/12, EU:C:2013:823, point 33 et jurisprudence citée), ainsi que du 1er octobre 2015, O (C‑432/14, EU:C:2015:643, point 32).


26      Voir, notamment, arrêts du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a. (C‑127/07, EU:C:2008:728, points 25 et 26 ainsi que jurisprudence citée), et du 1er octobre 2015, O (C‑432/14, EU:C:2015:643, point 31).


27      Lors de l’audience, le gouvernement italien a précisé que dès lors que ces conventions collectives n’ont pas été conclues, les exigences en cause ont été déterminées par un décret ministériel adopté en 2004.


28      C’est également pour cette raison que l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 1er octobre 2015, O (C‑432/14, EU:C:2015:643, points 37 à 39), doit être distinguée de celle en cause dans la présente affaire. Cette affaire concernait une disposition nationale qui prévoyait qu’une indemnité de fin de contrat, versée à l’expiration d’un contrat de travail à durée déterminée lorsque la relation contractuelle n’était pas poursuivie sous la forme d’un contrat à durée indéterminée, n’était pas due lorsque le contrat était conclu avec une personne jeune pour une période correspondant aux vacances scolaires ou universitaires. La Cour a considéré que les étudiants concernés n’étaient pas dans une situation objectivement comparable à celle des autres travailleurs ayant droit à une telle indemnité. À la différence de l’affaire O, en l’espèce, les personnes qui se situent dans le groupe d’âge des moins de 25 ans cherchent non pas seulement une expérience professionnelle pour les vacances d’été, mais un travail normal. Pour cette raison, ils ne constituent pas une catégorie spécifique cherchant un type différent d’expérience professionnelle : encore une fois, ils sont susceptibles de chercher précisément les mêmes types de contrats que le reste de la population.


29      Voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2011, Prigge e.a. (C‑447/09, EU:C:2011:573, point 44).


30      Voir, en ce sens, s’agissant du calcul des droits à pension, arrêt du 16 juin 2016, Lesar (C‑159/15, EU:C:2016:451). Voir, s’agissant des déductions fiscales des dépenses de formation, arrêt du 10 novembre 2016, de Lange (C‑548/15, EU:C:2016:850). Voir, notamment, s’agissant des conditions d’avancement en salaire, arrêt du 21 décembre 2016, Bowman (C‑539/15, EU:C:2016:977). Voir, notamment, s’agissant des limites d’âge pour l’accès à une profession, arrêts du 13 septembre 2011, Prigge e.a. (C‑447/09, EU:C:2011:573), et du 15 novembre 2016, Salaberria Sorondo (C‑258/15, EU:C:2016:873). Voir, notamment, s’agissant des âges de départ à la retraite obligatoire ou des clauses de fin de contrat en raison de la retraite, arrêt du 12 octobre 2010, Rosenbladt (C‑45/09, EU:C:2010:601).


31      Voir, par analogie, arrêt du 17 octobre 1995, Kalanke (C‑450/93, EU:C:1995:322, point 18). Néanmoins, les mesures consistant, notamment, en des règles visant à promouvoir une priorité dans une nomination ou une promotion sont soumises à certaines limites. Voir, notamment, arrêts du 17 octobre 1995, Kalanke (C‑450/93, EU:C:1995:322, point 22), et du 11 novembre 1997, Marschall (C‑409/95, EU:C:1997:533, point 32).


32      En matière de discrimination fondée sur le sexe, la Cour a écarté la possibilité de considérer qu’une mesure nationale relève d’une « action positive » lorsque la règle en cause, loin d’assurer une pleine égalité en pratique, était susceptible de perpétuer une distribution traditionnelle des rôles de l’homme et de la femme. Voir, notamment, arrêt du 16 juillet 2015, Maïstrellis (C‑222/14, EU:C:2015:473, point 50 et jurisprudence citée).


33      Voir, aussi, arrêt du 21 juillet 2011, Fuchs et Köhler (C‑159/10 et C‑160/10, EU:C:2011:508, point 79).


34      Voir arrêt du 25 avril 2013, Asociația Accept (C‑81/12, EU:C:2013:275, point 42).


35      Voir, notamment, arrêt du 28 juillet 2016, Kratzer (C‑423/15, EU:C:2016:604, point 27 et jurisprudence citée).


36      Voir, notamment, arrêts du 16 octobre 2007, Palacios de la Villa (C‑411/05, EU:C:2007:604, point 51), ainsi que du 13 septembre 2011, Prigge e.a. (C‑447/09, EU:C:2011:573, point 44).


37      Arrêt du 22 novembre 2005 (C‑144/04, EU:C:2005:709, point 57).


38      Arrêt du 18 novembre 2010 (C‑250/09 et C‑268/09, EU:C:2010:699, points 33 et 34), dans lequel la Cour a rejeté les arguments du gouvernement bulgare selon lesquels la mesure n’emportait pas de traitement défavorable.


39      Voir, par analogie, arrêt du 22 novembre 2005, Mangold (C‑144/04, EU:C:2005:709, point 64).


40      Voir, notamment, arrêt du 12 octobre 2004, Wippel (C‑313/02, EU:C:2004:607).


41      Voir arrêt du 5 mars 2009, Age Concern England (C‑388/07, EU:C:2009:128, point 65).


42      Voir, notamment, arrêts du 16 octobre 2007, Palacios de la Villa (C‑411/05, EU:C:2007:604, points 56 et 57) ; du 5 mars 2009, Age Concern England (C‑388/07, EU:C:2009:128, point 45) ; du 12 janvier 2010, Petersen (C‑341/08, EU:C:2010:4, point 40), ainsi que du 13 novembre 2014, Vital Pérez (C‑416/13, EU:C:2014:2371, point 62).


43      Loi no 30 du 14 février 2003 (GURI no 47, du 26 février 2003).


44      Voir, en ce sens, arrêts du 5 mars 2009, Age Concern England (C–388/07, EU:C:2009:128, point 43), du 12 octobre 2010, Rosenbladt (C‑45/09, EU:C:2010:601, point 40), ainsi que du 13 septembre 2011, Prigge e.a. (C‑447/09, EU:C:2011:573, point 80).


45      Voir recommandations du Conseil du 22 avril 2013 sur l’établissement d’une garantie pour la jeunesse (JO 2013, C 120, p. 1). Cet instrument établit des orientations et invite les États membres à veiller « à ce que tous les jeunes de moins de 25 ans se voient proposer un emploi de qualité, une formation continue, un apprentissage ou un stage dans les quatre mois suivant la perte de leur emploi ou leur sortie de l’enseignement formel » (mise en italique par nos soins).


46      Voir, notamment, arrêts du 16 octobre 2007, Palacios de la Villa (C‑411/05, EU:C:2007:604, point 65) ; du 12 janvier 2010, Petersen (C‑341/08, EU:C:2010:4, point 68) ; du 18 novembre 2010, Georgiev (C‑250/09 et C–268/09, EU:C:2010:699, point 45), ainsi que du 21 juillet 2011, Fuchs et Köhler (C‑159/10 et C‑160/10, EU:C:2011:508, point 49).


47      Voir arrêt du 10 novembre 2016, de Lange (C‑548/15, EU:C:2016:850, point 27).


48      Voir arrêt du 11 avril 2013, HK Danmark (C‑335/11 et C‑337/11, EU:C:2013:222, point 82).


49      Voir, en ce sens, arrêts du 5 mars 2009, Age Concern England (C‑388/07, EU:C:2009:128, point 46), et du 21 juillet 2011, Fuchs et Köhler (C‑159/10 et C‑160/10, EU:C:2011:508, point 52).


50      Arrêt du 19 janvier 2010, Kücükdeveci (C‑555/07, EU:C:2010:21, points 35 et 36).


51      Voir, en ce sens, arrêt du 21 juillet 2011, Fuchs et Köhler (C‑159/10 et C‑160/10, EU:C:2011:508, points 44 et 46 ainsi que jurisprudence citée).


52      Voir, notamment, arrêt du 18 novembre 2010, Georgiev (C‑250/09 et C‑268/09, EU:C:2010:699, point 50 et jurisprudence citée).


53      Voir, notamment, arrêt du 13 novembre 2014, Vital Pérez (C‑416/13, EU:C:2014:2371, point 67 et jurisprudence citée).


54      Voir, en ce sens, arrêts du 6 décembre 2012, Odar (C–152/11, EU:C:2012:772, point 65), et du 11 avril 2013, HK Danmark (C–335/11 et C–337/11, EU:C:2013:222, point 89).


55      Arrêt du 5 mars 2009, Age Concern England (C‑388/07, EU:C:2009:128, point 51).


56      Voir, en ce sens, arrêt du 21 juillet 2011, Fuchs et Köhler (C‑159/10 et C‑160/10, EU:C:2011:508, point 82).


57      Voir, en ce sens, arrêt du 21 juillet 2011, Fuchs et Köhler (C‑159/10 et C‑160/10, EU:C:2011:508, point 81).


58      Voir, en ce sens, arrêt du 22 novembre 2005, Mangold (C‑144/04, EU:C:2005:709, points 64 et 65).