ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)
4 mars 1998 (1)
«Fonctionnaires stagiaires Nomination d'un ancien agent temporaire
Maintien de l'ancienneté d'échelon Principe d'égalité de traitement
Exception d'illégalité»
Dans l'affaire T-146/96,
Maria da Graça De Abreu, fonctionnaire de la Cour de justice des Communautés
européennes, demeurant à Luxembourg, représentée par Me Jean-Noël Louis,
avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la
fiduciaire Myson SARL, 30, rue de Cessange,
contre
Cour de justice des Communautés européennes, représentée par M. Timothy
Millett, conseiller juridique pour les affaires administratives, en qualité d'agent,
ayant élu domicile à Luxembourg auprès de ce dernier, au siège de la Cour de
justice, Kirchberg,
soutenue par
Conseil de l'Union européenne, représenté par M. Diego Canga Fano et Mme
Thérèse Blanchet, membres du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu
domicile à Luxembourg auprès de M. Alessandro Morbilli, directeur général de la
direction des affaires juridiques de la Banque européenne d'investissement, 100,
boulevard Konrad Adenauer,
ayant pour objet une demande d'annulation de la décision de la Cour de justice,
du 5 décembre 1995, nommant la requérante fonctionnaire en qualité de
dactylographe, en ce qu'elle a fixé son classement au troisième échelon du grade
C 4,
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),
composé de MM. A. Kalogeropoulos, président, C. W. Bellamy et J. Pirrung, juges,
greffier: M. A. Mair, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 27 novembre 1997,
rend le présent
Arrêt
Faits à l'origine du litige et cadre juridique
- 1.
- Le 16 mai 1987, la requérante est entrée au service de l'institution défenderesse en
tant qu'agent temporaire relevant de l'article 2, sous c), du régime applicable aux
autres agents des Communautés européennes (ci-après «RAA») en qualité de
dactylographe de grade C 4, échelon 3. Elle a été affectée au cabinet d'un juge sur
la base du choix personnel de ce dernier.
- 2.
- A la suite d'une demande du juge susmentionné, le président de l'institution
défenderesse a, par décision du 15 juillet 1993, nommé la requérante au grade C 3,
échelon 4. A ce titre, elle a toujours exercé ses fonctions de dactylographe en tant
qu'agent temporaire au même cabinet.
- 3.
- Lauréate du concours général EUR/C/22 organisé par l'institution défenderesse et
le Parlement européen pour le recrutement de dactylographes (JO 1992, C 47 A),
la requérante, après avoir été inscrite sur la liste de réserve établie le 30 septembre
1992, a été nommée fonctionnaire stagiaire par décision de l'autorité investie du
pouvoir de nomination (ci-après «AIPN») du 5 décembre 1995, notifiée à la
requérante le 16 janvier 1996. Affectée à la direction de la traduction, la
requérante a été simultanément mise à la disposition du cabinet du juge
susmentionné où elle a travaillé jusqu'à présent.
- 4.
- La décision de nomination a classé la requérante au grade C 4, échelon 3, et cela
en application de l'article 32 du statut des fonctionnaires des Communautés
européennes (ci-après «statut») qui dispose:
«Le fonctionnaire recruté est classé au premier échelon de son grade.
Toutefois, l'[AIPN] peut, pour tenir compte de la formation et de l'expérience
professionnelle spécifique de l'intéressée, lui accorder une bonification d'ancienneté
d'échelon dans ce grade; cette bonification ne peut excéder 72 mois dans les grades
A 1 à A 4, LA 3 et LA 4 et 48 mois dans les autres grades.
[...]»
C'est en application du deuxième alinéa dudit article 32 que la requérante s'est vu
attribuer l'échelon 3.
- 5.
- Contestant ce classement à l'échelon 3, la requérante a introduit une réclamation
en date du 1er avril 1996. Elle a invoqué notamment l'article 8 du règlement (CEE,
Euratom, CECA) n° 3947/92 du Conseil, du 21 décembre 1992, modifiant le statut
des fonctionnaires des Communautés et le régime applicable aux autres agents de
ces Communautés (JO L 404, p. 1, ci-après «règlement litigieux» ou «règlement»),
qui a complété l'article 32 du statut d'un troisième alinéa libellé comme suit:
«L'agent temporaire dont le classement a été fixé conformément aux critères de
classement arrêtés par l'institution garde l'ancienneté d'échelon qu'il a acquise en
qualité d'agent temporaire lorsqu'il a été nommé fonctionnaire dans le même grade
à la suite immédiate de cette période.»
Selon le troisième considérant du règlement, cette modification de l'article 32 du
statut vise à «permettre le dépassement des limites de bonification d'ancienneté
d'échelon prévues à l'article 32, deuxième alinéa, du statut, dans le cas du
classement en échelon d'un agent temporaire nommé fonctionnaire stagiaire pour
tenir compte de ses années de service en tant qu'agent temporaire».
- 6.
- La requérante a considéré que cette disposition devait recevoir une interprétation
téléologique et qu'elle obligeait l'AIPN à prendre en compte les années de service
en tant qu'agent temporaire pour déterminer le classement en échelon du
fonctionnaire lors de son recrutement. Elle a fait valoir que, en application de cette
disposition, elle aurait dû être classée au grade C 4, échelon 7.
- 7.
- Par décision du comité chargé des réclamations, du 10 juin 1996, notifiée à la
requérante le 19 juin 1996, la réclamation a été rejetée au motif notamment que
la requérante n'avait pas été nommée fonctionnaire «dans le même grade» à la
suite immédiate de sa période de service en tant qu'agent temporaire et que
l'article 32, troisième alinéa, du statut n'était donc pas applicable. Le comité a
estimé que cette disposition, contrairement à la thèse de la requérante, ne pouvait
pas recevoir une interprétation à l'encontre de son libellé clair et précis.
- 8.
- Le 24 mai 1996, la requérante a été nommée fonctionnaire titulaire, avec effet au
1er juillet 1996, et classée au grade C 4, échelon 3. Le 18 juin 1996, elle a été
détachée auprès du cabinet susmentionné, également avec effet au 1er juillet 1996,
et classée au grade C 3, échelon 5.
Procédure et conclusions des parties
- 9.
- Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 septembre 1996, la requérante a
introduit le présent recours.
- 10.
- Par ordonnance du 4 décembre 1996, le président de la deuxième chambre du
Tribunal a admis le Conseil de l'Union européenne à intervenir à l'appui des
conclusions de la partie défenderesse. Le 30 janvier 1997, le Conseil a déposé un
mémoire en intervention, dans lequel il déclare soutenir les conclusions de la partie
défenderesse. Par mémoire introduit le 18 mars 1997, la requérante a formulé ses
observations sur ce mémoire en intervention.
- 11.
- Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d'ouvrir
la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables. Il a
toutefois adopté des mesures d'organisation de la procédure, au titre de l'article 64
du règlement de procédure, consistant à demander aux parties de répondre par
écrit, avant la date de l'audience, à certaines questions. Les parties ont déféré à
cette invitation dans le délai imparti.
- 12.
- Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux
questions du Tribunal lors de l'audience qui s'est déroulée le 27 novembre 1997.
- 13.
- La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
annuler la décision de la Cour de justice, du 5 décembre 1995, portant
nomination de la requérante à l'emploi de dactylographe de grade C 4, en
ce qu'elle fixe son classement au troisième échelon de son grade;
condamner la partie défenderesse aux dépens, y compris ceux exposés par
elle du fait de l'intervention du Conseil.
- 14.
- La Cour de justice conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
rejeter le recours comme non fondé;
condamner la requérante à supporter ses propres dépens.
Sur la recevabilité du recours
- 15.
- La partie défenderesse rappelle que la requérante, après avoir été nommée
fonctionnaire stagiaire puis titulaire au grade C 4, échelon 3, a été détachée au
cabinet du juge susmentionné avec classement au grade C 3, échelon 5. Elle
souligne que la nomination litigieuse n'a donc entraîné, à la date de l'introduction
du présent recours, aucune baisse effective du salaire de la requérante étant donné
qu'elle continuait de bénéficier de la rémunération afférente au grade C 3,
échelon 5. La partie défenderesse soulève ainsi la question de savoir si la
requérante dispose de l'intérêt à agir nécessaire à la recevabilité de son recours,
c'est-à-dire d'un intérêt personnel à l'annulation de l'acte attaqué (voir, par
exemple, l'arrêt du Tribunal du 16 décembre 1993, Moat/Commission, T-58/92,
Rec. p. II-1443, point 31, et la jurisprudence citée).
- 16.
- A cet égard, le Tribunal constate que l'acte attaqué par le présent recours, à savoir
le classement en échelon de la requérante à l'occasion de sa nomination en tant
que fonctionnaire, relève d'un domaine statutaire autre que le classement supérieur
qu'elle a obtenu au titre de son activité dans le cabinet susmentionné sur la base
d'un détachement réglé par l'article 37, sous a), deuxième tiret, du statut. Ce
dernier régime, contrairement à celui du fonctionnaire affecté à un emploi
permanent, présente une précarité en ce sens qu'il peut être mis fin au
détachement à tout moment, à la demande de la personne auprès de laquelle le
fonctionnaire détaché a été placé. La requérante est donc exposée au risque de
se voir replacée, à tout moment, dans l'échelon contesté du grade C 4, auquel elle
a été classée en tant que fonctionnaire. Il s'ensuit que ce classement fait grief à la
requérante, de manière virtuelle et latente, même pendant la période de son
détachement.
- 17.
- Par conséquent, l'intérêt à agir de la requérante n'a pas disparu en raison du
détachement en cause, de sorte que le présent recours doit être déclaré recevable.
Sur la portée des conclusions du recours
- 18.
- Dans ses observations sur le mémoire en intervention, la requérante rappelle que
sa nomination au grade C 3 est intervenue à une date à laquelle elle était déjà
inscrite sur la liste de réserve du concours EUR/C/22, de sorte qu'elle avait déjà
vocation à être nommée fonctionnaire. La partie défenderesse se serait abstenue
d'attirer l'attention sur les conséquences préjudiciables de cette «promotion», eu
égard au texte de l'article 32, troisième alinéa, du statut et à l'interprétation du
passage «dans le même grade» qu'elle ferait sienne en l'espèce. L'institution auraitdonc commis une faute de service de nature à engager sa responsabilité. La
requérante déclare ne pas manquer, dans cette hypothèse, de demander
l'indemnisation du préjudice qu'elle en subirait.
- 19.
- A cet égard, le Tribunal constate que la requérante n'a pas demandé, dans les
conclusions de son recours, la condamnation de la partie défenderesse à la
réparation d'un tel préjudice. Dès lors, l'argumentation de la requérante doit être
écartée comme irrecevable.
- 20.
- Dans sa réplique, la requérante reproche à l'AIPN d'avoir adopté la décision
attaquée sans tenir compte de ses années de service en tant qu'agent temporaire.
L'AIPN aurait donc méconnu la ratio legis du règlement litigieux, telle qu'elle serait
exprimée par son troisième considérant, ainsi que le principe d'égalité de
traitement. Dans ses observations sur le mémoire en intervention, la requérante
considère encore que le législateur a ajouté à l'article 32 du statut le troisième
alinéa litigieux pour permettre aux institutions de prendre en compte, lors de la
nomination de fonctionnaires, leurs années de service en tant qu'agents
temporaires. Il conviendrait d'interpréter la nouvelle disposition à la lumière de ce
raisonnement. De plus, l'interprétation de cette disposition devrait être conforme
aux principes d'égalité de traitement et de non-discrimination.
- 21.
- Le Tribunal constate, toutefois, que, dans sa requête, la requérante n'a soulevé
aucun grief spécifique à l'encontre de l'institution défenderesse. Au contraire, elle
a expressément relevé que l'article 8 du règlement ne permettait pas à l'AIPN de
valoriser ses années d'ancienneté. Par conséquent, les reproches, faits à l'institution
défenderesse pour la première fois postérieurement à la requête, d'avoir méconnu
le troisième considérant du règlement litigieux et de ne pas avoir interprété la
disposition attaquée à la lumière de sa ratio legis, devraient être déclarés tardifs,
en vertu de l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure, s'ils étaient
maintenus par la requérante.
- 22.
- Or, la requérante a circonscrit, à l'audience, la portée de son recours en précisant
qu'elle soulevait une exception d'illégalité dirigée contre le règlement litigieux pour
autant que son article 8 énonce que seul un agent temporaire nommé fonctionnaire
«dans son grade» peut bénéficier du maintien de son ancienneté d'échelon.
L'illégalité de cette disposition résulterait, d'une part, de la violation du principe
d'égalité de traitement et, d'autre part, de la violation des principes de la vocation
à la carrière et de la bonne gestion. Par conséquent, la décision attaquée, prise en
application de cette disposition illégale, devrait être annulée en ce qu'elle fixe le
classement de la requérante au troisième échelon du grade C 4.
- 23.
- Compte tenu de ces précisions, il y a lieu d'examiner, tout d'abord, si l'exception
d'illégalité peut valablement être dirigée contre la condition d'application «dans le
même grade» figurant dans la disposition litigieuse. Dans l'affirmative, il conviendra
d'examiner, ensuite, si cette condition d'application enfreint les principes invoqués
par la requérante.
Sur l'exception d'illégalité dirigée contre l'article 8 du règlement litigieux et
l'article 32, troisième alinéa, du statut
Sur la recevabilité de l'exception d'illégalité
- 24.
- Dans la mesure où la requérante excipe de l'illégalité tant de l'article 8 du
règlement litigieux et de l'article 32, troisième alinéa, du statut (ci-après
«disposition litigieuse») que de «la décision attaquée prise en application de cette
disposition», il convient de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie,
l'exception d'illégalité, prévue à l'article 184 du traité, assure à toute partie le droit
de contester par voie incidente, en vue d'obtenir l'annulation d'une décision qui lui
est adressée, la validité de l'acte réglementaire qui forme la base juridique de celle-ci (voir les arrêts de la Cour du 19 janvier 1984, Andersen e.a./Parlement, 262/80,
Rec. p. 195, point 6, et du 11 juillet 1985, Salerno e.a./Commission et Conseil,
87/77, 130/77, 22/83, 9/84 et 10/84, Rec. p. 2523, point 36, ainsi que les arrêts du
Tribunal du 26 octobre 1993, Reinarz/Commission, T-6/92 et T-52/92, Rec.
p. II-1047, point 56, et du 27 octobre 1994, Chavane de Dalmassy e.a./Commission,
T-64/92, RecFP p. II-723, point 41).
- 25.
- Il importe, toutefois, de constater que, en l'espèce, la disposition litigieuse objet de
l'exception d'illégalité ne constitue pas formellement la base juridique de la décision
attaquée. Cette dernière a plutôt été adoptée sur la base de l'article 32, deuxième
alinéa, du statut, l'AIPN de l'institution défenderesse s'étant précisément abstenue
d'appliquer à la situation de la requérante la disposition litigieuse dont elle réclame
le bénéfice. Il apparaît donc que l'exception d'illégalité est dirigée, non pas contre
l'acte réglementaire qui forme la base juridique directe de la décision faisant grief
à la requérante, mais contre un seul élément («dans le même grade») de la
disposition litigieuse, la requérante faisant valoir que c'est le seul fait de ne pas
remplir cet élément qui l'exclut du bénéfice de cette disposition.
- 26.
- Afin de déterminer si l'exception d'illégalité dirigée contre un tel élément
d'application est couverte pas l'article 184 du traité, il y a lieu de rappeler que le
texte même de l'article 184 du traité ouvre la voie de l'exception d'illégalité à toute
partie à un litige «mettant en cause un règlement» («Rechtsstreit, bei dem es auf
die Geltung einer Verordnung ankommt», «proceedings in which a regulation is
at issue»). De plus, la Cour a déjà interprété l'article 184 du traité dans le sens
d'une extension de son champ d'application aux actes qui n'ont pas la forme d'un
règlement mais qui produisent des effets analogues, en soulignant la nécessité
d'assurer un contrôle de légalité efficient (arrêt du 6 mars 1979,
Simmenthal/Commission, 92/78, Rec. p. 777, points 39 à 41).
- 27.
- Le Tribunal en conclut que l'exception d'illégalité peut être dirigée contre toute
disposition réglementaire pertinente, dans le cas d'espèce, pour l'adoption de la
décision administrative objet d'un recours en annulation.
- 28.
- Cette conclusion n'est pas contredite par la jurisprudence citée ci-dessus au
point 24. En effet, loin de vouloir juridiquement limiter l'exception d'illégalité,
contrairement au libellé de l'article 184 du traité, aux seuls cas de figure dans
lesquels un acte réglementaire sert formellement de base juridique à une décision
administrative, cette jurisprudence s'explique par le fait que, dans chacune des
affaires jugées, l'acte réglementaire objet de l'exception d'illégalité constituait
effectivement la base de la décision attaquée. Or, il est évident que ces hypothèses
entrent, en tout état de cause, dans le champ d'application de l'article 184 du traité.
- 29.
- Il y a lieu de constater ensuite que le critère «dans le même grade», mis en cause
par l'exception d'illégalité, a joué un rôle dans l'adoption de la décision attaquée.
S'il est vrai que cette décision repose sur la disposition de l'article 32, deuxième
alinéa, du statut, il n'en demeure pas moins que la partie défenderesse a
explicitement relevé, dans la motivation de la décision rejetant la réclamation de
la requérante, que l'application du troisième alinéa de cet article se heurtait à
l'élément «dans le même grade». Or, la décision de classement en échelon étant
dépourvue de tout exposé des motifs, c'est la motivation de la décision portant rejet
de la réclamation qui est censée coïncider avec la motivation de la décision de
classement initiale (voir, en ce sens, l'arrêt de la Cour du 9 décembre 1993,
Parlement/Volger, C-115/92 P, Rec. p. I-6549, points 22 et 23). Par ailleurs, la
partie défenderesse a confirmé, en réponse à une question du Tribunal, que la
requérante, à défaut d'avoir été affectée au grade C 3 avant d'être nommée
fonctionnaire, aurait été classée à l'échelon 7 du grade C 4. Il s'ensuit que la
décision administrative attaquée repose essentiellement sur la considération selon
laquelle seul l'élément d'application «dans le même grade» excluait la requérante
du bénéfice de la disposition litigieuse.
- 30.
- Il convient encore d'examiner si l'exception d'illégalité dirigée, non pas contre une
disposition réglementaire toute entière, mais contre un seul élément normatif
spécifique peut amener le Tribunal à constater, en vertu de l'article 184 du traité,
l'inapplicabilité d'une partie de la disposition litigieuse. A cet égard, il importe de
rappeler que la Cour a déjà admis, dans d'autres domaines du droit, l'invalidité
partielle d'actes normatifs ou individuels.
- 31.
- Ainsi, la Cour a jugé, en matière préjudicielle, qu'un régime communautaire
concernant l'octroi de certains avantages à des producteurs agricoles était invalide
dans la mesure où il ne prévoyait pas l'attribution d'un tel avantage à une catégorie
spécifique de producteurs (arrêt du 28 avril 1988, Mulder, 120/86, Rec. p. 2321,
point 28). La Cour a donc constaté une invalidité partielle en ce que le législateur
communautaire, en violation du principe de protection de la confiance légitime,
avait exclu du bénéfice d'un régime une catégorie de personnes bien définie.
- 32.
- Toujours en matière préjudicielle, la Cour a interprété une directive
communautaire en ce sens qu'elle s'opposait à une disposition spécifique figurant
dans un régime législatif national; elle a imposé à la juridiction nationale d'écarter
cette disposition et relevé que la catégorie de personnes défavorisées par ladite
disposition devait être traitée de la même façon et se voir appliquer le même
régime que la catégorie favorisée, régime qui restait provisoirement le seul système
de référence valable (arrêt du 13 décembre 1989, Ruzius-Wilbrink, C-102/88, Rec.
p. 4311, points 17, 19 et 20; voir également l'arrêt du 24 février 1994, Roks e.a.,
C-343/92, Rec. p. I-571, points 18 à 21). La Cour a donc admis le principe de
l'invalidité partielle d'une législation nationale complexe, tout en imposant aux
autorités nationales d'appliquer, dans l'attente de mesures nationales conformes à
la directive, cette législation tronquée de la disposition déclarée invalide.
- 33.
- Enfin, à la suite d'un recours direct formé dans une affaire où la Commission avait
accordé, au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité, une exemption assortie de
conditions et charges, la Cour a annulé la condition spécifique attaquée en jugeant
que, «pour important que soit l'objet de cette partie de la décision, elle n'en est
pas moins détachable, à titre provisoire, des autres dispositions, de sorte qu'une
annulation partielle est possible et justifiée par la circonstance qu'il s'agit d'une
décision favorable, dans son ensemble, aux intérêts des entreprises concernées»
(arrêt du 23 octobre 1974, Transocean Marine Paint Association/Commission,
17/74, Rec. p. 1063, points 16 et 21). Ainsi, la Cour a admis le principe d'une
illégalité partielle d'un acte complexe, à condition que l'élément annulé soit
détachable de l'acte en cause.
- 34.
- A la lumière de cette jurisprudence, le Tribunal estime que rien ne s'oppose, en
principe, à ce que l'inapplicabilité partielle d'un acte normatif puisse être
prononcée en vertu de l'article 184 du traité. A cet égard, il n'y a pas lieu de faire
une distinction entre le cas d'un régime normatif complexe, partiellement invalide
en raison de l'illégalité d'une disposition particulière, et le cas d'une seule
disposition normative, partiellement invalide en raison de l'illégalité d'un élément
spécifique, à condition que cet élément puisse en être détaché.
- 35.
- En l'espèce, le Tribunal constate que l'élément «dans le même grade» peut êtreséparé de l'ensemble du troisième alinéa de l'article 32 du statut, sans que cette
disposition cesse d'être susceptible de produire des effets juridiques (voir, pour le
principe, l'arrêt de la Cour du 28 juin 1972, Jamet/Commission, 37/71, Rec. p. 483,
point 11). Il est vrai que, dans l'hypothèse où ledit élément normatif devrait être
déclaré inapplicable, la conséquence automatique en serait que l'imputation de
l'ancienneté d'échelon prévue par ce troisième alinéa trouverait pleinement
application au cas de la requérante sans aucune possibilité pour l'AIPN de
l'institution défenderesse de réexaminer la situation. Un tel résultat serait toutefois
dans la logique de l'article 184 du traité qui a pour but de protéger le justiciable
contre l'application d'un acte normatif illégal, étant entendu que les effets d'un
arrêt qui constate l'inapplicabilité sont limités aux seules parties du litige et que cet
arrêt ne met pas en cause l'acte lui-même, devenu inattaquable (arrêts de la Cour
du 14 décembre 1962, Wöhrmann et Lütticke/Commission, 31/62 et 33/62, Rec.
p. 965, 979, et du 21 février 1974, Kortner e.a./Conseil, Commission et Parlement,
15/73 à 33/73, 52/73, 53/73, 57/73 à 109/73, 116/73, 117/73, 123/73, 132/73 et 135/73
à 137/73, Rec. p. 177, points 36 et 37).
- 36.
- Il résulte de ce qui précède que l'exception d'illégalité soulevée en l'espèce et
dirigée contre le seul élément «dans le même grade» doit être déclarée recevable.
Par conséquent, il convient de procéder à l'examen du bien-fondé de cette
exception, et cela tout d'abord au regard de la prétendue violation du principe
d'égalité de traitement.
Sur la violation du principe d'égalité de traitement
Exposé sommaire de l'argumentation des parties
- 37.
- La requérante rappelle que, selon une jurisprudence constante, il y a violation du
principe d'égalité de traitement lorsque deux catégories de personnes, dont les
situations factuelles et juridiques ne présentent pas de différences essentielles, se
voient appliquer un traitement différent lors de leur recrutement.
- 38.
- A cet égard, la requérante souligne que, six ans après être entrée au service de
l'institution défenderesse en tant qu'agent temporaire de grade C 4, elle a fait
l'objet d'une nomination au grade supérieur en raison de hautes qualités de
compétence, de rendement et de conduite dans le service. Seule cette «promotion»
aurait eu pour conséquence de l'exclure du champ d'application de la disposition
litigieuse, dans la mesure où elle n'a pas été nommée fonctionnaire stagiaire «dans
le même grade». Par conséquent, cette disposition aurait pour effet de la pénaliser
au seul motif qu'elle avait accepté d'être «promue» avant sa nomination en tant
que fonctionnaire. Il s'agirait là d'une discrimination par rapport à ses collègues,
non «promus», qui se trouvent pourtant dans une situation factuelle et juridique
ne présentant pas de différences essentielles. Or, dans l'hypothèse où elle n'aurait
pas été «promue» avant son recrutement en tant que fonctionnaire, elle aurait été
nommée au grade C 4, échelon 7, avec ancienneté d'échelon fixée au 16 mai 1995.
- 39.
- La requérante souligne que, depuis son entrée en service, elle exerce les mêmes
fonctions, et cela aussi bien en tant qu'agent temporaire de grade C 4 et de grade
C 3 que depuis sa nomination en tant que fonctionnaire. S'il est donc vrai qu'elle
a été recrutée en tant que fonctionnaire pour un emploi qu'elle n'a jamais occupé,
à savoir un emploi affecté à la direction de la traduction, il serait également vrai
qu'elle a été détachée, le jour de sa nomination, à l'emploi qu'elle occupe depuis
près de neuf ans en tant qu'agent temporaire. En tout état de cause, la disposition
litigieuse ne prévoirait pas qu'un fonctionnaire ne garde son ancienneté d'échelon
que pour autant qu'il soit nommé dans l'emploi qu'il occupait en tant qu'agent
temporaire.
- 40.
- Dans la mesure où le Conseil, partie intervenante, se réfère à l'historique du
règlement litigieux et indique que la Commission, dans sa proposition de règlement,
justifiait la disposition litigieuse par la nécessité de permettre «un dépassement
limité» des bonifications prévues jusqu'alors, la requérante rétorque que le texte
clair du troisième considérant du règlement litigieux contredit le caractère
prétendument limité de cette disposition. En effet, la volonté du législateur viserait,
de toute évidence, à bonifier sans limites les années d'ancienneté d'échelon
acquises par l'agent temporaire nommé fonctionnaire.
- 41.
- En outre, la disposition litigieuse ne limiterait en aucune manière la prise en
compte de l'ancienneté d'échelon acquise. Le seul fait d'avoir été agent temporaire
pendant presque neuf ans n'exclurait donc pas l'application de cette disposition
lorsque les autres conditions d'application sont réunies. Du reste, ladite disposition
ne ferait aucune différence entre les agents temporaires suivant qu'ils relèvent de
l'article 2, sous a), sous b), sous c) ou sous d), du RAA. La requérante précise
qu'elle ne prétend pas à être privilégiée du fait de sa nomination antérieure au
grade C 3. Elle demanderait seulement à bénéficier des mêmes conditions de
recrutement que ses collègues agents temporaires, qui ont vu leur ancienneté
pleinement bonifiée du seul fait qu'ils n'avaient pas été «promus». En l'espèce,
deux autres agents temporaires de l'institution défenderesse auraient réussi le
même concours EUR/C/22 que la requérante. Par décision du 5 décembre 1995,
ils auraient également été recrutés en tant que fonctionnaires stagiaires.
- 42.
- A cet égard, la requérante précise que ces deux collègues ont été engagés, le
1er mars 1992, en tant qu'agents temporaires de grade C 4, échelon 3. Ils auraient
été nommés fonctionnaires stagiaires au grade C 4 et classés à l'échelon 4. La
requérante relève qu'elle a été recrutée, en tant que fonctionnaire stagiaire, le
même jour que ses collègues. Or, bien que justifiant d'une ancienneté de service
de presque neuf ans en tant qu'agent temporaire alors que ses collègues ne
justifiaient que d'une ancienneté de quatre ans, elle aurait été recrutée au grade
C 4, échelon 3, ce qui constituerait une discrimination par rapport à ses deux
collègues.
- 43.
- La partie défenderesse estime que l'argumentation de la requérante est fondée sur
de fausses prémisses. En effet, sa nomination comme agent temporaire au grade
C 3 n'aurait pas constitué une promotion au sens du statut. Elle n'aurait résulté
d'aucun examen comparatif des mérites de différents candidats promouvables, mais
aurait été décidée, à la suite d'une demande du juge pour lequel la requérante
avait travaillé, sur la seule base de son ancienneté. La partie défenderesse en
conclut que la requérante ne peut pas prétendre à être privilégiée en grade par
rapport à d'autres fonctionnaires et notamment à d'autres lauréats du concours
EUR/C/22. Elle ne pourrait pas non plus prétendre que ces derniers sont moins
méritants qu'elle-même.
- 44.
- Selon la partie défenderesse, c'est à tort que la requérante affirme avoir été
recrutée en tant que fonctionnaire à l'emploi qu'elle occupait précédemment en
tant qu'agent temporaire. En réalité, elle aurait été nommée fonctionnaire dans un
emploi affecté à la direction de la traduction, sa présence dans le cabinet en cause
résultant d'un détachement de cette direction. Par conséquent, la requérante ne
pourrait pas prétendre à la continuité d'un même emploi avant et après sa
nomination comme fonctionnaire.
- 45.
- La partie défenderesse relève que l'argumentation développée par la requérante
ne lui permet pas de voir avec quelle catégorie de personnel la requérante prétend
être dans une situation factuelle et juridique ne présentant pas de différences
essentielles. Dans ce contexte, elle souligne qu'un agent temporaire relevant de
l'article 2, sous c), du RAA, tel que la requérante, ne doit réussir aucun concours
ni épreuve de recrutement. En revanche, de très nombreux candidats se
présenteraient à des concours généraux des institutions communautaires sans les
réussir. L'ancienneté de la requérante n'aurait pas été acquise en tant que lauréate
d'un tel concours, mais en tant qu'agent temporaire relevant de l'article 2, sous c),
du RAA. Elle ne pourrait donc pas prétendre être dans une situation identique à
celle des autres lauréats du concours.
- 46.
- La partie défenderesse souligne que les contrats d'agent temporaire relevant de
l'article 2, sous a), sous b), et sous d), du RAA sont subordonnés à certaines
limitations quant à leur durée, alors que l'engagement d'un agent temporaire visé
à l'article 2, sous c), du RAA, tel que la requérante, ne peut être que de durée
indéterminée. Par conséquent, ce dernier agent temporaire pourrait acquérir de
l'ancienneté pendant une durée illimitée. Si son ancienneté pouvait être
intégralement prise en compte le jour de sa réussite à un concours, le report
d'ancienneté pourrait être excessivement important, ce qui fausserait la carrière des
autres lauréats du concours. Ainsi, il serait aberrant, par rapport, notamment, aux
autres lauréats du concours EUR/C/22, que l'intégralité de l'ancienneté acquise par
la requérante en vertu de l'article 2, sous c), du RAA puisse être prise en compte
lors de sa nomination en tant que lauréate dudit concours. Selon la partie
défenderesse, la condition qui limite le bénéfice de la disposition litigieuse au cas
où l'agent temporaire est nommé fonctionnaire «dans le même grade» qu'il
occupait en tant qu'agent temporaire tend donc à protéger l'égalité de traitement
des différentes catégories de fonctionnaires.
- 47.
- Dans la mesure où la requérante développe une comparaison entre son cas et le
cas de deux autres lauréats du concours EUR/C/22, la partie défenderesse estime
que le classement au grade C 4, échelon 4, des deux collègues de la requérante
représente une application correcte de l'article 32 du statut. Tous les deux auraient
été nommés fonctionnaires dans le même grade (C 4) à la suite immédiate de leur
période de service en tant qu'agents temporaires. La requérante, en revanche,
n'aurait pas été dans la même situation que ses deux collègues parce qu'elle aurait
été nommée fonctionnaire dans un grade différent (C 4) que celui qu'elle occupait
immédiatement auparavant en tant qu'agent temporaire (C 3). Cette différence de
grade refléterait la réalité que la requérante avait été agent temporaire beaucoup
plus longtemps que les deux autres personnes en question. Il y aurait donc une
différence de situation qui justifie une différence de traitement.
- 48.
- La partie défenderesse considère que la fonction même de la disposition litigieuse
est de mettre une limite au report d'ancienneté permis à l'agent temporaire qui
vient d'être nommé fonctionnaire. Les plus graves distorsions en résulteraient, et
avec elles les plus sérieuses injustices vis-à-vis des autres fonctionnaires, si les
agents temporaires ayant joui de contrats à durée indéterminée pouvaient reporter
une ancienneté d'échelon d'une durée extrêmement longue. Si la condition
d'application «dans le même grade» disparaissait, une ancienneté d'échelon
illimitée devrait être reportée dans tous les cas où un agent temporaire devient
fonctionnaire, et cela même en cas de changement de catégorie.
- 49.
- Dans ce contexte, la partie défenderesse expose les hypothèses suivantes, qui
démontrent, à son avis, que l'argumentation de la requérante aboutirait à des
résultats exorbitants et injustes:
une assistante adjointe de grade B 5 en tant qu'agent temporaire pourrait
présenter un concours de dactylographe de grade C 4 afin d'obtenir la
sécurité d'emploi du fonctionnaire même en acceptant un grade inférieur;
si l'argument de la requérante était retenu, l'intégralité de l'ancienneté
d'échelon acquise en tant qu'agent temporaire de grade B 5 devrait être
reportée lors de la nomination en tant que dactylographe C 4;
inversement, dans l'hypothèse où un agent temporaire de grade C 4
réussirait un concours d'assistant adjoint de grade B 5/B 4, l'ensemble de
l'ancienneté acquise en grade C 4 devrait, selon l'argument de la
requérante, être reportée lors de la nomination au grade B 5/B 4, bien qu'il
soit inapproprié que l'ancienneté acquise dans une catégorie puisse être
reportée dans une autre catégorie et surtout une catégorie supérieure;
de même, il serait envisageable qu'une dactylographe de grade C 4 en tant
qu'agent temporaire présente un concours de recrutement d'huissiers de
grade D 3, en préférant changer de catégorie afin de jouir de la sécurité de
l'emploi; si l'argument de la requérante était accepté, l'intégralité de
l'ancienneté d'échelon acquise en tant que dactylographe de grade C 4
devrait être reportée lors de la nomination en tant que fonctionnaire de
grade D 3, bien qu'il s'agisse de tâches complètement différentes.
- 50.
- Le Conseil, partie intervenante, se range à l'argumentation développée par la
partie défenderesse. Se référant à l'historique du règlement litigieux, il précise que,
dans sa proposition du 11 janvier 1989, transmise par lettre du 17 janvier 1989, la
Commission expliquait les motifs de sa proposition d'ajout d'un troisième alinéa à
l'article 32 du statut par la nécessité de permettre un «dépassement limité» des
bonifications prévues au deuxième alinéa dudit article 32, compte tenu de la
situation découlant de certains arrêts de la Cour de justice. Selon le Conseil, il
s'agissait d'améliorer, de manière volontairement limitée, la situation des agents
temporaires nommés fonctionnaires à la suite notamment de l'arrêt de la Cour du
19 avril 1988, Sperber/Cour de justice (37/87, Rec. p. 1943). Le législateur aurait
dû trouver le point d'équilibre entre les différents intérêts en cause.
- 51.
- Le Conseil souligne qu'un agent temporaire engagé pour une durée indéterminée
peut, sans examen comparatif des mérites, mais sur simple demande du membre
de l'institution pour lequel il travaille, bénéficier d'un passage à un grade supérieur,
ce qui ne correspond pas à l'évolution normale des carrières de fonctionnaires. Si
cette personne, lors de sa nomination en tant que fonctionnaire dans un grade
inférieur, devait automatiquement bénéficier du maximum d'ancienneté d'échelon
dans ce grade inférieur au motif qu'elle avait un grade supérieur lorsqu'elle était
agent temporaire, il en résulterait une inégalité de traitement flagrante par rapport
aux autres nouveaux fonctionnaires, dont les années d'expérience et la valeur
professionnelle pourraient être supérieures, mais qui resteraient néanmoins soumis
aux limites de bonification d'ancienneté d'échelon prévues par l'article 32,
deuxième alinéa.
- 52.
- A l'audience, les parties défenderesse et intervenante ont déclaré que la disposition
litigieuse avait, en réalité, été conçue et adoptée pour remédier à la situation qui
faisait l'objet de l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Sperber/Cour de justice, précité.
Dans cette affaire, M. Sperber, lauréat d'un concours général, n'aurait pas été
immédiatement nommé fonctionnaire stagiaire, faute de moyens budgétaires, mais
aurait été engagé comme agent temporaire. En cette qualité, il aurait passé
plusieurs années et acquis l'échelon 4 dans son grade. Or, lors de sa nomination
comme fonctionnaire, M. Sperber aurait été déclassé d'un échelon, étant donné que
la bonification d'ancienneté d'échelon n'aurait pas pu dépasser l'échelon 3 prévu
à l'article 32, deuxième alinéa. Les parties défenderesse et intervenante ont
souligné que le législateur avait entendu rectifier ce cas de figure spécifique en
adoptant la disposition litigieuse.
Appréciation du Tribunal
- 53.
- Il convient de rappeler, à titre liminaire, qu'il y a violation du principe d'égalité de
traitement lorsque deux catégories de personnes, dont les situations factuelle et
juridique ne présentent pas de différence essentielle, se voient appliquer un
traitement différent (arrêt du Tribunal du 15 mars 1994, La Pietra/Commission,
T-100/92, RecFP p. II-275, point 50). Ce principe exige, dès lors, que des situations
comparables ne soient pas traitées de manière différente, à moins qu'une telle
différenciation ne soit objectivement justifiée (arrêts de la Cour du 9 novembre
1995, Francovich, C-479/93, Rec. p. I-3843, point 23, et du Tribunal du 21 février
1995, Campo Ebro e.a./Conseil, T-472/93, Rec. p. II-421, point 82).
- 54.
- Dans ce contexte, les parties défenderesse et intervenante ont souligné le caractère
unique de la situation dans laquelle la requérante était placée lors de sa
nomination en tant que fonctionnaire. Cette singularité, résultant de son affectation
à un grade supérieur, exclurait toute comparaison soit avec la situation des autres
lauréats du concours EUR/C/22 soit avec celle d'autres agents temporaires nommés
fonctionnaires précisément «dans le même grade». La requérante considère, en
revanche, que l'application dudit élément constitue, dans les circonstances
particulières de sa situation, un obstacle arbitraire qui l'exclut sans justification
valable du bénéfice de la disposition litigieuse.
- 55.
- Compte tenu de ces arguments, il convient de déterminer quels sont les paramètres
de comparaison pertinents pour répondre à la question de savoir si l'application du
critère «dans le même grade» constitue, dans le cas spécifique de la requérante,
une violation du principe d'égalité de traitement. A cet effet, il importe de tenir
compte du libellé et de la finalité de la disposition litigieuse ainsi que de sa place
dans l'économie du statut.
- 56.
- Il convient de rappeler, en premier lieu, que la disposition litigieuse fait partie de
l'article 32 du statut, qui régit le classement en échelon des fonctionnaires lors de
leur nomination. Pour les fonctionnaires recrutés dont l'AIPN considère qu'ils ne
disposent ni d'une formation ni d'une expérience professionnelle spécifique, le
classement est effectué au premier échelon de leur grade (article 32, premier
alinéa). Pour tenir compte d'une telle formation et/ou expérience, l'AIPN «peut»
accorder à l'intéressé une bonification d'ancienneté d'échelon, et cela selon les
différents grades jusqu'à 48 ou 72 mois au maximum, c'est-à-dire jusqu'au troisième
ou quatrième échelon du grade en cause (article 32, deuxième alinéa).
- 57.
- C'est dans ce contexte que la disposition litigieuse prévoit qu'un agent temporaire
nommé fonctionnaire garde, de plein droit, l'ancienneté d'échelon acquise en
qualité d'agent temporaire, à condition qu'il soit nommé fonctionnaire dans le
même grade à la suite immédiate de la période d'agent temporaire.
- 58.
- Ainsi qu'il ressort du troisième considérant du règlement litigieux, la disposition
litigieuse vise à permettre le dépassement des limites de bonification prévues à
l'article 32, deuxième alinéa, pour tenir compte des années de service que le
nouveau fonctionnaire a accumulées en tant qu'agent temporaire. Il est vrai que la
proposition d'ajout de cette disposition, présentée par la Commission, fait état d'un
«dépassement limité» des bonifications en cause. Toutefois, en dehors du critère
litigieux «dans le même grade», de telles limites ne se manifestent, dans le texte
même de la disposition litigieuse, ni par une différenciation entre les catégories
d'agents temporaires visés, ni par la fixation d'un nombre maximal d'échelons
susceptibles d'être reportés dans un grade donné, ni par des exigences quant à une
certaine continuité entre les services accomplis en tant qu'agent temporaire et les
activités exercées en tant que fonctionnaire.
- 59.
- Dans ce contexte, il y a lieu de préciser, premièrement, que toutes les catégories
d'agents temporaires énumérées à l'article 2, sous a), sous b), sous c) et sous d),
du RAA entrent dans le champ d'application de la disposition litigieuse. Le libellé
de cette disposition ne permet donc pas d'introduire une différenciation entre les
diverses catégories d'agents temporaires. Il n'autorise notamment pas un traitement
défavorable du seul groupe des agents temporaires relevant de l'article 2, sous c),
du RAA. Il s'ensuit que la requérante ne peut pas faire l'objet d'un traitement
particulier pour la seule raison qu'elle appartenait, à l'époque en question, à ce
groupe d'agents.
- 60.
- Il convient de rappeler, deuxièmement, que la disposition litigieuse ne fixe aucune
limite maximale pour le report, à l'intérieur de chaque grade, de l'ancienneté
d'échelon acquise. Ainsi, du seul fait de sa longue ancienneté d'échelon acquise en
tant qu'agent temporaire, le nouveau fonctionnaire peut se voir classer, sans limite
temporelle, à un échelon supérieur de son grade.
- 61.
- En raison de ce choix législatif délibéré, toutes les allégations des parties
défenderesse et intervenante, selon lesquelles le report automatique d'une
ancienneté trop importante constituerait un avantage excessif injustifié pour les
anciens agents temporaires par rapport aux fonctionnaires nommés dont
l'expérience professionnelle acquise en dehors des Communautés ne pourrait être
prise en compte qu'au titre de l'article 32, deuxième alinéa, doivent être rejetées
comme dénuées de pertinence.
- 62.
- Troisièmement, la disposition litigieuse n'exige pas que le report de l'ancienneté
d'échelon acquise par un agent temporaire doive refléter une expérience
professionnelle particulièrement utile pour l'emploi de fonctionnaire qu'il va
occuper. Il s'avère donc que le législateur a voulu admettre une pleine imputabilité
de l'ancienneté d'échelon même dans les cas où les activités en cause présentent
des différences manifestes.
- 63.
- Dans la mesure enfin où les parties défenderesse et intervenante renvoient à
l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Sperber/Cour de justice, précité aux points 50 et
52, pour faire valoir que le législateur a envisagé le cas de figure spécifique de cette
affaire, à savoir celui d'un lauréat d'un concours général qui, avant d'être nommé
fonctionnaire, a été employé pendant une certaine période comme agent
temporaire, le Tribunal constate que rien dans le texte de la disposition litigieuse
ne permet de limiter son bénéfice aux seuls agents temporaires qui ont déjà réussi
un concours général au moment de leur engagement.
- 64.
- Il résulte de ce qui précède que la requérante, si elle ne se heurtait pas au seul
élément «dans le même grade», entrerait dans le champ d'application de la
disposition litigieuse et bénéficierait donc, de plein droit, du report intégral de son
ancienneté d'échelon acquise en tant qu'agent temporaire. Le Tribunal en conclut
qu'il faut comparer le cas de figure représenté par la situation concrète de la
requérante qui, affectée à un grade supérieur, n'occupait pas «le même grade»
lors de sa nomination avec le cas de figure d'un agent dans la même situation que
la requérante, avec la seule différence qu'il satisfaisait au critère «dans le même
grade» lors de sa nomination, afin de déterminer si ce critère justifie objectivement
que la requérante soit exclue du bénéfice de la disposition litigieuse.
- 65.
- Il est vrai que, comme les parties défenderesse et intervenante l'ont relevé, le
critère «dans le même grade» pourrait avoir pour effet, en tout état de cause,
d'exclure du champ d'application de la disposition litigieuse les cas d'un
changement de catégorie. Ce raisonnement est toutefois dénué de pertinence pour
le cas d'espèce, dans lequel il ne s'agit que d'une différence de grade, à l'intérieur
d'une même catégorie.
- 66.
- Il s'avère donc que la disposition litigieuse, tout en instaurant un système de
bonification assez généreux (voir ci-dessus points 59 à 63), admet au bénéfice de
ce système le seul agent temporaire qui, indépendamment de ses mérites, se trouve,
de manière fortuite, dans la situation de pouvoir présenter sa candidature à unconcours pour le recrutement de fonctionnaires du grade qui correspond
précisément à celui qui, à ce moment-là, est le sien. C'est ainsi que les deux agents,
dont la situation a été décrite ci-dessus (points 42 et 47), ont bénéficié de
l'application de la disposition litigieuse, bien que leur ancienneté de service n'ait
été que de quatre ans, c'est-à-dire moins de la moitié de celle dont justifiait la
requérante.
- 67.
- En ce qui concerne la requérante, il importe de rappeler que, avant d'être nommée
fonctionnaire, elle a exercé, au cours de ses presque neuf années de service,
essentiellement les mêmes activités de secrétariat et de dactylographie. Ce faisant,
elle a acquis des expériences professionnelles homogènes. Ainsi qu'il ressort du
dossier, même l'affectation de la requérante au grade C 3, qui a eu pour
conséquence de l'évincer du champ d'application du règlement litigieux, a été
motivée par la longue ancienneté de la requérante.
- 68.
- En outre, le fait pour la requérante de ne pas avoir été nommée «dans le même
grade» repose sur les circonstances fortuites que, d'une part, le concours EUR/C/22
a porté précisément sur le recrutement de dactylographes de grade C 4 et non pas
de grade C 3 et, d'autre part, le classement de la requérante au grade C 3, avant
sa nomination en tant que fonctionnaire stagiaire de grade C 4, a été possible, à
cette époque précise, sur le plan administratif et budgétaire.
- 69.
- Dans ces circonstances, le Tribunal estime que, en ce qui concerne la situation
spécifique de la requérante qui remplit toutes les autres conditions d'application
de la disposition litigieuse, qui est lauréate d'un concours général externe, qui, en
tant qu'ancien agent temporaire, a été classée, à l'intérieur d'une même catégorie,
au grade immédiatement supérieur à celui de sa nomination comme fonctionnaire
et qui, au cours de sa période de service comme agent temporaire, a toujours
accompli les mêmes tâches de secrétariat et de dactylographie , les parties
défenderesse et intervenante n'ont pas pu établir une raison objective de nature à
justifier la différence de traitement dont se plaint la requérante.
- 70.
- Il faut notamment rejeter l'argumentation de la partie défenderesse selon laquelle
le fait pour la requérante de ne pas satisfaire au critère «dans le même grade»
reflète la réalité que la requérante a été agent temporaire trop longtemps. En effet,
ainsi qu'il a été relevé ci-dessus (point 60), la seule durée d'une ancienneté
d'échelon n'est pas, en tant que telle, de nature à exclure l'intéressé du champ
d'application de la disposition litigieuse, puisque le bénéfice de celle-ci peut
s'étendre, en tout état de cause, jusqu'au dernier échelon de chaque grade.
- 71.
- Dès lors, l'application du critère «dans le même grade» au cas de figure de la
requérante reviendrait à lui opposer, en raison de la seule circonstance que le
concours dont elle a été lauréate a été organisé en vue du recrutement d'agents au
grade C 4 et non au grade C 3, un obstacle purement fortuit par rapport au cas de
figure d'un agent temporaire placé dans la même situation sans pour autant avoir
été classé à un grade supérieur. Il convient donc de constater que cet élément de
la disposition litigieuse, en ce qu'il couvre la situation exceptionnelle de la
requérante telle qu'elle a été décrite ci-dessus aux points 67 à 69, enfreint le
principe d'égalité de traitement.
- 72.
- Il s'ensuit que l'article 32, troisième alinéa, du statut, pour autant qu'il contient
l'élément d'application «dans le même grade», doit être déclaré inapplicable au cas
d'espèce. Dans la mesure où la partie défenderesse a fait valoir qu'une telle
inapplicabilité pourrait provoquer des distorsions graves dans l'application du statut
allant bien au-delà du cas d'espèce, il y a lieu de rappeler que les effets juridiques
du présent arrêt, en ce qu'il fait application de l'article 184 du traité, sont limités
aux parties au litige (voir ci-dessus point 35).
- 73.
- Ce résultat, limité au cas spécifique de la requérante, ne saurait être considéré
comme une atteinte démesurée au pouvoir discrétionnaire dont le législateur
communautaire jouit dans la détermination du principe, de la portée et des
modalités du report de l'ancienneté d'échelon acquise par les agents temporaires
devenus fonctionnaires. En effet, à la seule exception du cas de figure de la
requérante, ce pouvoir législatif reste intact, alors que la requérante, à défaut de
pouvoir soulever une exception d'illégalité contre l'élément «dans le même grade»,
n'aurait aucune faculté de soumettre au contrôle du juge communautaire la légalité
de la décision administrative de classement en échelon qui lui fait grief.
- 74.
- Le grief tiré d'une violation du principe d'égalité de traitement étant fondé, il y a
lieu d'annuler la décision attaquée sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen
soulevé par la requérante et tiré d'une violation des principes de vocation à la
carrière et de bonne gestion.
Sur les dépens
- 75.
- Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie
qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens; si plusieurs
parties succombent, le Tribunal décide du partage des dépens. Les parties
défenderesse et intervenante ayant succombé en l'essentiel de leurs conclusions et
moyens, il y a lieu de les condamner à supporter les dépens. Quant à la répartition
des dépens, le Tribunal estime équitable que la partie intervenante supporte les
dépens qu'elle a causés à la requérante du fait de son intervention.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (deuxième chambre)
déclare et arrête:
1) La décision de la Cour de justice, du 5 décembre 1995, portant nomination
de la requérante à l'emploi de dactylographe de grade C 4 est annulée en
ce qu'elle fixe son classement au troisième échelon de son grade.
2) La Cour de justice supportera les dépens, à l'exclusion de ceux exposés par
le Conseil de l'Union européenne et de ceux causés à la requérante par
l'intervention du Conseil.
3) Le Conseil supportera ses propres dépens et ceux exposés par la requérante
du fait de son intervention.
KalogeropoulosBellamy
Pirrung
|
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 4 mars 1998.
Le greffier
Le président
H. Jung
A. Kalogeropoulos