Language of document : ECLI:EU:T:2014:1002

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (huitième chambre)

18 novembre 2014 (*)

« Recours en annulation – Représentation par un avocat n’ayant pas la qualité de tiers – Irrecevabilité manifeste »

Dans l’affaire T‑221/14,

Association/Vereniging Justice & Environment, établie à Amsterdam (Pays-Bas), représentée par Me C. Kiss, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation, d’une part, du règlement délégué (UE) n° 1391/2013 de la Commission, du 14 octobre 2013, modifiant le règlement (UE) n° 347/2013 du Parlement européen et du Conseil concernant des orientations pour les infrastructures énergétiques transeuropéennes, en ce qui concerne la liste des projets d’intérêt commun de l’Union (JO L 349, p. 28), et, d’autre part, de la réponse de la Commission du 7 février 2014 à la demande de réexamen interne [ener.b.1/AR/1b(2014)s290675] de la requérante,

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé de M. D. Gratsias, président, Mme M. Kancheva (rapporteur) et M. C. Wetter, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Procédure et conclusions de la requérante

1        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 avril 2014, la requérante, Association/Vereniging Justice & Environment, organisation non gouvernementale (ONG) constituant un réseau européen d’ONG opérant dans le domaine du droit de l’environnement, a introduit le présent recours. La requête a été signée par Me Kiss, en sa qualité d’avocat.

2        Par lettre du greffe du 25 juin 2014, le Tribunal a demandé à la requérante, d’abord, de spécifier si Me Kiss, l’avocat ayant signé la requête en son nom, était la même personne que M. C. Kiss, dont il ressortait du dossier qu’il exerçait la fonction de coordinateur en son sein, ensuite, d’expliquer en quoi consistait ladite fonction de « coordinateur », en précisant notamment si cette fonction était rémunérée et correspondait à un emploi ou à un poste de gestion dans sa structure, et, enfin, d’indiquer les liens éventuels existant, d’une part, entre elle et l’association dénommée Environmental Management and Law Association (EMLA) et, d’autre part, entre cette dernière et M. Kiss. Dans le cadre de cette mesure d’organisation de la procédure, la requérante a également été invitée à produire tous les documents certifiant les renseignements demandés sur la fonction de « coordinateur », et notamment une copie de l’acte de nomination de M. Kiss à ladite fonction ainsi qu’une copie des statuts établissant les pouvoirs afférents à cette fonction.

3        Le 9 juillet 2014, la requérante a déféré à la demande du Tribunal. Elle a, d’abord, spécifié que M. Kiss exerçait la profession d’avocat au barreau de Budapest (Hongrie) depuis 1998 et qu’elle l’avait engagé en qualité de coordinateur en 2011. Ensuite, elle a expliqué que cette fonction était rémunérée et que M. Kiss, ne pouvant être salarié conformément à la législation hongroise réglementant la profession d’avocat, agissait en qualité de prestataire d’un service contractuel facturé à titre de conseil en gestion. Enfin, elle a indiqué, d’une part, que l’EMLA était une ONG et son membre hongrois et, d’autre part, que M. Kiss était le directeur de l’EMLA et un représentant légal de cette dernière en vertu du droit hongrois. La requérante a également fourni les documents suivants :

–        une description de la fonction de coordinateur ;

–        les contrats de prestation de service conclus entre elle et M.  Kiss pour les années 2011, 2012 et 2013 ;

–        des votes par courrier électronique de ses membres ayant nommé M. Kiss au poste de coordinateur en 2011 ;

–        des extraits des procès-verbaux de ses assemblées générales ordinaires pour les années 2012 et 2013 ayant prorogé le mandat de M. Kiss jusqu’à l’assemblée générale ordinaire suivante ;

–        ses statuts, établis selon le droit néerlandais et révisés en 2011.

4        Dans sa requête, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal d’annuler, d’une part, le règlement délégué (UE) n° 1391/2013 de la Commission, du 14 octobre 2013, modifiant le règlement (UE) nº 347/2013 du Parlement européen et du Conseil concernant des orientations pour les infrastructures énergétiques transeuropéennes, en ce qui concerne la liste des projets d’intérêt commun de l’Union (JO L 349, p. 28), et, d’autre part, la réponse de la Commission européenne du 7 février 2014 à sa demande de réexamen interne [ener.b.1/AR/1b(2014)s290675].

 En droit

5        Aux termes de l’article 111 du règlement de procédure du Tribunal, lorsque le recours est manifestement irrecevable, le Tribunal peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d’ordonnance motivée.

6        En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide, en application de cet article, de statuer sans poursuivre la procédure.

7        Il convient de rappeler que, en vertu de l’article 19, troisième et quatrième alinéas, et de l’article 21, premier alinéa, le statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal conformément à l’article 53, premier alinéa, du même statut, et de l’article 43, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement de procédure du Tribunal, les parties autres que les États membres et les institutions de l’Union européenne, l’Autorité de surveillance de l’Association européenne de libre-échange (AELE) ou les États parties à l’accord sur l’Espace économique européen (EEE), doivent être représentées par un avocat remplissant la condition d’être habilité à exercer devant une juridiction d’un État membre ou d’un autre État partie à l’accord sur l’EEE. En outre, la requête doit contenir l’indication du nom et du domicile du requérant et de la qualité du signataire. Enfin, l’original de tout acte de procédure doit être signé par l’agent ou l’avocat de la partie.

8        Selon une jurisprudence constante, il ressort des dispositions susmentionnées, et, en particulier, de l’emploi du terme « représentées » à l’article 19, troisième alinéa, du statut de la Cour, que, aux fins de l’introduction d’un recours devant le Tribunal, une « partie », au sens de cet article, est tenue de recourir aux services d’un tiers qui doit être habilité à exercer devant une juridiction d’un État membre ou d’un État partie à l’accord sur l’EEE (ordonnances du 5 décembre 1996, Lopes/Cour de justice, C‑174/96 P, Rec, EU:C:1996:473, point 11 ; du 19 novembre 2009, EREF/Commission, T‑40/08, EU:T:2009:455, point 25, et du 5 décembre 2013, Martínez Ferríz/Espagne, T‑564/13, EU:T:2013:650, point 7). Il s’agit là d’une condition nécessaire mais non suffisante, en ce sens qu’un tiers habilité à exercer devant une juridiction d’un État membre n’est pas automatiquement admis à exercer devant les juridictions de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2012, Prezes Urzędu Komunikacji Elektronicznej et Pologne/Commission, C‑422/11 P et C‑423/11 P, Rec, EU:C:2012:553, point 33).

9        Cette exigence d’avoir recours à un tiers correspond à la conception du rôle de l’avocat selon laquelle celui-ci est considéré comme un collaborateur de la justice et est appelé à fournir, en toute indépendance et dans l’intérêt supérieur de celle-ci, l’assistance légale dont le client a besoin (ordonnance du 29 septembre 2010, EREF/Commission, C‑74/10 P et C‑75/10 P, EU:C:2010:557, point 52, et arrêt Prezes Urzędu Komunikacji Elektronicznej et Pologne/Commission, point 8 supra, EU:C:2012:553, point 23). Cette conception répond aux traditions juridiques communes aux États membres et, ainsi qu’il résulte de l’article 19 du statut de la Cour, se retrouve également dans l’ordre juridique de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 18 mai 1982, AM & S Europe/Commission, 155/79, Rec, EU:C:1982:157, point 24 ; du 14 septembre 2010, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission e.a., C‑550/07 P, Rec, EU:C:2010:512, point 42, et ordonnance Martínez Ferríz/Espagne, point 8 supra, EU:T:2013:650, point 8), au sein duquel elle fait l’objet d’une mise en œuvre objective, nécessairement indépendante des ordres juridiques nationaux (voir, en ce sens, arrêt Prezes Urzędu Komunikacji Elektronicznej et Pologne/Commission, point 8 supra, EU:C:2012:553, point 34).

10      En l’espèce, premièrement, les documents fournis par la requérante indiquent que la fonction de coordinateur en son sein constitue un poste de gestion prévu par ses statuts. Ainsi, l’article 15 desdits statuts dispose, en substance, que l’association compte un ou plusieurs coordinateurs, nommés par l’assemblée générale pour une période d’un an renouvelable et chargés de la gestion journalière de l’association et de tâches administratives en son sein, ainsi que de la mise en œuvre des résolutions adoptées par l’assemblée générale, laquelle fixe leur rémunération. En outre, le comité exécutif de l’association peut, aux termes de l’article 11, paragraphe 4, des mêmes statuts, déléguer aux coordinateurs une partie de ses responsabilités et, en vertu de l’article 13, paragraphe 2, de ces statuts, leur accorder le pouvoir de représenter l’association en justice, dans les limites du mandat conféré.

11      Deuxièmement, selon le procès-verbal de l’assemblée générale de la requérante qui s’est tenue à Opatija (Croatie) le 20 septembre 2013, il y a été décidé de renouveler M. Kiss au poste de coordinateur pour une année supplémentaire jusqu’à la prochaine assemblée générale à intervenir en 2014, après sa nomination par courriers électroniques des membres en 2011 et son renouvellement par l’assemblée générale de Budapest en 2012. De ce fait, M. Kiss exerçait la fonction de coordinateur au sein de la requérante à la date de l’introduction de la requête à l’origine du présent recours, à savoir le 4 avril 2014.

12      Troisièmement, à la suite de ces décisions de l’assemblée générale de la requérante, des contrats successifs de prestation de services ont été conclus par le président du comité exécutif avec M. Kiss, en sa qualité de coordinateur, pour les années 2011, 2012 et 2013. Chacun de ces contrats stipule, en son article 4, une rémunération mensuelle de 1 400 euros payables sur factures émises par le coordinateur à la requérante. Est jointe en annexe auxdits contrats une description de la fonction de coordinateur, auquel il incombe, notamment, de surveiller l’accomplissement des plans de travail annuels, de veiller à ce que la requérante remplisse ses obligations et ses procédures internes établies par ses statuts, de préparer les réunions du comité exécutif, de rédiger l’agenda et les procès-verbaux de l’assemblée générale et d’« identifier le besoin » d’une décision à prendre par le comité exécutif ou l’assemblée générale.

13      Il ressort de l’ensemble de ces documents que M. Kiss, en tant qu’il exerce continûment la fonction statutaire de coordinateur de la requérante depuis 2011, est investi de pouvoirs de gestion et d’administration importants, qui situent cette fonction à un niveau exécutif élevé au sein de l’association (voir, par analogie, ordonnance EREF/Commission, point 9 supra, EU:C:2010:557, point 50). La continuité et l’importance de ladite fonction justifient d’ailleurs, d’après les contrats successifs de prestation de services, le versement de la rémunération mensuelle susmentionnée.

14      Dans ces conditions, eu égard à la portée des pouvoirs de gestion et d’administration qui lui sont conférés par les statuts de la requérante, tels qu’explicités par la description annexée aux contrats successifs de prestation de services, ainsi qu’à la stipulation contractuelle de sa rémunération, de surcroît régulière et fixe, force est de constater que M. Kiss ne saurait être considéré comme un tiers indépendant de la requérante. En effet, l’existence d’un lien statutaire entre M. Kiss et l’assemblée générale de la requérante pour sa nomination au poste de coordinateur au sein de cette dernière ainsi que d’un lien contractuel entre lui-même et le président du comité exécutif pour la stipulation de sa rémunération mensuelle implique, pour lui, une claire absence d’indépendance.

15      Ce constat n’est pas infirmé par la référence de la requérante à la législation hongroise réglementant la profession d’avocat, laquelle n’est pas de nature, en elle-même, à démontrer qu’il est satisfait à l’exigence d’indépendance de son avocat devant le Tribunal. En effet, selon la jurisprudence, les dispositions concernant la représentation des parties non privilégiées devant les juridictions de l’Union doivent être interprétées, dans la mesure du possible, de manière autonome, sans référence au droit national (arrêt Prezes Urzędu Komunikacji Elektronicznej et Pologne/Commission, point 8 supra, EU:C:2012:553, point 35, et ordonnance EREF/Commission, point 8 supra, EU:T:2009:455, point 27). En outre, la notion d’indépendance de l’avocat devant les juridictions de l’Union est définie non seulement de manière positive, à savoir par une référence à la discipline professionnelle, mais également de manière négative, c’est-à-dire par l’absence d’un rapport d’emploi et de tout autre lien de dépendance, statutaire ou contractuel, entre l’avocat et son client (voir, en ce sens et par analogie, arrêts Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission e.a., point 9 supra, EU:C:2010:512, point 45, et Prezes Urzędu Komunikacji Elektronicznej et Pologne/Commission, point 8 supra, EU:C:2012:553, point 24).

16      Il s’ensuit que l’avocat désigné par la requérante aux fins de la présente affaire, Me Kiss, ne saurait assurer la fonction de représentant en justice de la requérante devant les juridictions de l’Union en qualité de tiers indépendant.

17      Par conséquent, la requête introductive d’instance ayant été signée par Me Kiss, le présent recours n’a pas été introduit conformément à l’article 19, troisième et quatrième alinéas, à l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour et à l’article 43, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement de procédure du Tribunal.

18      Il résulte de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté comme manifestement irrecevable, sans qu’il soit nécessaire de signifier la requête à la Commission.

 Sur les dépens

19      La présente ordonnance étant adoptée avant la notification de la requête à la Commission et avant que celle-ci ait pu exposer des dépens, il suffit de décider que la requérante supportera ses propres dépens, conformément à l’article 87, paragraphe 1, du règlement de procédure.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Association/Vereniging Justice & Environment supportera ses propres dépens.

Fait à Luxembourg, le 18 novembre 2014.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       D. Gratsias


* Langue de procédure : l’anglais.