Language of document : ECLI:EU:T:2017:267

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

6 avril 2017 (1)

« Aides d’État – Transport maritime – Compensation de service public – Augmentation de capital – Décision déclarant les aides incompatibles avec le marché intérieur et ordonnant leur recouvrement – Mise en liquidation de la requérante – Capacité d’ester en justice – Maintien de l’intérêt à agir – Absence de non-lieu à statuer – Notion d’aide – Service d’intérêt économique général – Critère de l’investisseur privé – Erreur manifeste d’appréciation – Erreur de droit – Exception d’illégalité – Obligation de motivation – Droits de la défense – Décision 2011/21/UE – Lignes directrices concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration d’entreprises en difficulté – Encadrement de l’Union applicable aux aides d’État sous forme de compensation de service public – Arrêt Altmark »

Dans l’affaire T‑220/14,

Saremar – Sardegna Regionale Marittima SpA, établie à Cagliari (Italie), représentée par Mes G. M. Roberti, G. Bellitti et I. Perego, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. G. Conte, D. Grespan, et A. Bouchagiar, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Compagnia Italiana di Navigazione SpA, établie à Naples (Italie), représentée initialement par Mes F. Sciaudone, R. Sciaudone, D. Fioretti et A. Neri, puis par Mes M. Merola, B. Carnevale et M. Toniolo, avocats,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision C(2013) 9101 final de la Commission, du 22 janvier 2014, concernant les mesures d’aide SA.32014 (2011/C), SA.32015 (2011/C) et SA.32016 (2011/C), mises à exécution par la Région autonome de Sardaigne en faveur de Saremar, en tant que cette décision a qualifié d’aides d’État une mesure de compensation de service public et une augmentation de capital, a déclaré ces mesures incompatibles avec le marché intérieur et en a ordonné le recouvrement,

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé de M. D. Gratsias (rapporteur), président, Mmes M. Kancheva et N. Półtorak, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 20 juillet 2016,

rend le présent

Arrêt(2)

[omissis]

 En droit

1.     Sur la capacité d’ester en justice de Saremar

43      À titre liminaire, il ressort des explications et des documents fournis au Tribunal par les parties les 11 et 29 juillet 2016 que, dans l’impossibilité de restituer la partie des aides litigieuses déjà versée, Saremar a demandé à être admise à la procédure de concordat préventif en vue de sa liquidation, laquelle demande a été homologuée par le Tribunale di Cagliari (tribunal de Cagliari, Italie) le 22 juillet 2015. Saremar a cessé toute activité depuis le 31 mars 2016 et se trouve à un stade avancé de la phase de liquidation, dans la mesure où tous les créanciers privilégiés ont été satisfaits et que, selon la société elle-même, il est prévu de procéder, dans les mois à venir, à une première répartition substantielle entre les créanciers chirographaires.

44      Or, en fonction du droit national et de la procédure applicables, une société placée en liquidation peut perdre la capacité à ester en justice, du moins en son nom propre. Au demeurant, la requérante indique elle-même que tel peut être le cas en droit italien. Certes, à l’audience et dans le cadre de son courrier en date du 29 juillet 2016, la Commission a soutenu seulement que la mise en liquidation de la requérante remet en cause son intérêt à agir, mais non que cette mise en liquidation remet en cause sa capacité d’ester en justice. Toutefois, dans la mesure où une éventuelle perte de la capacité d’ester en justice de la requérante rendrait sans objet la question de son intérêt à agir, il convient de vérifier si elle a conservé ladite capacité en cours d’instance.

45      À cet égard, si, comme la Cour l’a jugé, la notion de « personne morale », qui figure à l’article 263, paragraphe 4, TFUE, ne coïncide pas nécessairement avec celles propres aux différents ordres juridiques des États membres, il résulte néanmoins de la jurisprudence que cette notion implique, en principe, l’existence d’une personnalité juridique constituée en vertu du droit d’un État membre ou d’un pays tiers et d’une capacité à ester en justice reconnue par ce droit (voir, en ce sens, arrêts du 20 mars 1959, Nold/Haute Autorité, 18/57, EU:C:1959:6 ; du 28 octobre 1982, Groupement des Agences de voyages/Commission, 135/81, EU:C:1982:371, point 10 ; du 18 janvier 2007, PKK et KNK/Conseil, C‑229/05 P, EU:C:2007:32, point 114, et ordonnance du 24 novembre 2009, Landtag Schleswig-Holstein/Commission, C‑281/08 P, non publiée, EU:C:2009:728, point 22). Ainsi, ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles, notamment lorsque les exigences d’assurer une protection juridictionnelle effective l’imposent, que la recevabilité d’un recours d’une entité qui ne dispose pas, en vertu d’un droit national particulier, de la capacité à ester en justice peut être admise (voir, en ce sens, arrêt du 18 janvier 2007, PKK et KNK/Conseil, C‑229/05 P, EU:C:2007:32, points 109 à 114). Par ailleurs, cette capacité d’ester en justice doit être conservée en cours d’instance (voir, en ce sens, arrêts du 20 septembre 2007, Salvat père & fils e.a./Commission, T‑136/05, EU:T:2007:295, points 25 à 27, et du 21 mars 2012, Marine Harvest Norway et Alsaker Fjordbruk/Conseil, T‑113/06, non publié, EU:T:2012:135, points 27 à 29). L’existence d’une personnalité juridique et la capacité à ester en justice doivent être examinées au regard du droit national pertinent (arrêt du 27 novembre 1984, Bensider e.a./Commission, 50/84, EU:C:1984:365, point 7, et ordonnance du 3 avril 2008, Landtag Schleswig-Holstein/Commission, T‑236/06, EU:T:2008:91, point 22).

46      En l’espèce, il ressort du courrier de Saremar du 29 juillet 2016 que, conformément à la jurisprudence de la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie), une société qui fait l’objet d’une procédure de concordat préventif conserve le droit d’exercer en son nom propre des actions en justice et de prendre part à des litiges en vue de protéger son patrimoine. Au demeurant, la requérante a joint à ce courrier une lettre de ses liquidateurs judiciaires en date du 26 juillet 2016 attestant que le mandat de ses conseils dans le cadre du présent recours est toujours valide. Par conséquent, il y a lieu de considérer que, en dépit de sa mise en liquidation, Saremar n’a pas perdu en cours d’instance sa capacité à ester en justice.

2.     Sur l’exception de non-lieu à statuer soulevée par la Commission

47      La Commission soutient que, du fait de la liquidation en cours de Saremar, l’intérêt à agir de cette dernière a disparu en cours d’instance. À cet égard, elle fait valoir que la mise en liquidation de Saremar se trouve à un stade avancé et pourrait arriver à son terme avant le prononcé du présent arrêt. Par ailleurs, comme la requérante l’aurait elle-même reconnu, elle ne pourrait plus reprendre une activité économique, quand bien même la décision attaquée serait annulée et elle-même exemptée, de ce fait, de l’obligation de restituer les aides. Enfin, l’intérêt des créanciers de Saremar à ce que le montant des aides litigieuses soit exclu du passif de cette société serait distinct de l’intérêt à poursuivre son activité économique. La Commission indique, en conclusion, qu’un tel défaut d’intérêt à agir devrait conduire le Tribunal à prononcer un non-lieu à statuer en l’espèce.

48      Pour sa part, en réponse à ces arguments, Saremar fait valoir que l’annulation de la décision attaquée produirait des effets juridiques à son égard, en ce qu’elle aurait pour conséquence la réduction du passif concordataire d’un montant de plus de 11 millions d’euros, ce qui permettrait la satisfaction intégrale de tous ses créanciers.

49      Selon une jurisprudence constante, l’intérêt à agir constitue la condition essentielle et première de tout recours en justice (voir arrêt du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, point 58 et jurisprudence citée).

50      À cet égard, il résulte de l’article 263 TFUE qu’il existe une distinction nette entre le droit de recours en annulation des institutions de l’Union et des États membres, visé au deuxième alinéa de cet article, et celui des personnes physiques et morales, visé à son quatrième alinéa. Ainsi, selon une jurisprudence constante, l’exercice de ce droit de recours, en ce qui concerne les institutions de l’Union et les États membres, n’est pas conditionné ni à la justification de leur qualité pour agir ni à celle de leur intérêt à agir (voir, en ce sens, arrêt du 24 mars 2011, Freistaat Sachsen et Land Sachsen-Anhalt/Commission, T‑443/08 et T‑455/08, EU:T:2011:117, point 64, et ordonnance du 19 février 2013, Provincie Groningen e.a./Commission, T‑15/12 et T‑16/12, non publiée, EU:T:2013:74, points 42 et 44 et jurisprudence citée).

51      En revanche, le droit de recours des personnes physiques et morales visé à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE est subordonné, d’une part, à la condition que leur soit reconnue la qualité pour agir, c’est-à-dire, conformément au libellé de cette disposition, à la condition que leur recours vise un acte dont elles sont destinataires ou un acte qui les concerne directement et individuellement ou encore qu’il vise un acte réglementaire les concernant directement et ne comportant pas de mesure d’exécution. D’autre part, ce droit de recours est subordonné à l’existence d’un intérêt à agir au stade de l’introduction du recours, qui constitue une condition de recevabilité distincte de la qualité pour agir. Tout comme l’objet du recours, cet intérêt à agir doit perdurer jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle, sous peine de non-lieu à statuer (voir arrêt du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, points 57 et 59 à 62 et jurisprudence citée).

52      L’existence d’un intérêt à agir constitue donc une question d’ordre public qu’il appartient au Tribunal d’examiner d’office soit au stade de l’introduction du recours pour vérifier la recevabilité de ce dernier, soit en cours d’instance pour vérifier s’il y a encore lieu ou non de statuer sur ce recours (voir, en ce sens, ordonnance du 24 mars 2011, Internationaler Hilfsfonds/Commission, T‑36/10, EU:T:2011:124, point 46 et jurisprudence citée).

53      Un tel intérêt à agir suppose que l’annulation de l’acte attaqué soit susceptible, par elle-même, d’avoir des conséquences juridiques et que le recours puisse ainsi, par son résultat procurer un bénéfice à la personne qui l’a intenté (arrêts du 7 juin 2007, Wunenburger/Commission, C‑362/05 P, EU:C:2007:322, point 42, et du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, point 55). Par ailleurs, l’intérêt à agir d’un requérant doit être né et actuel et ne peut pas concerner une situation future et hypothétique (voir arrêt du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, point 56 et jurisprudence citée).

54      À titre liminaire, il convient de constater que le présent recours réunit les conditions de recevabilité rappelées aux points 51 à 53 ci-dessus tant sur le plan de la qualité pour agir de la requérante que de l’existence de son intérêt à agir au stade de l’introduction du recours, ce que la Commission, au demeurant, ne conteste pas.

55      S’agissant, en particulier, de l’intérêt à agir, il y a lieu de relever que, à la date de l’introduction du recours, la décision attaquée faisait grief à la requérante, en ce que la Commission a déclaré incompatibles et illégales des aides dont la requérante bénéficiait et a ordonné leur récupération. En effet, de ce seul fait, la décision attaquée a modifié la situation juridique de cette société, qui, dès l’adoption de cette décision n’était plus en droit de bénéficier de ces aides et devait s’attendre à devoir, en principe, les restituer (voir arrêt du 21 décembre 2011, ACEA/Commission, C‑319/09 P, non publié, EU:C:2011:857, points 68 et 69 et jurisprudence citée).

56      Force est de constater que la mise en liquidation de Saremar n’a pas eu pour effet de remettre en cause, en cours d’instance, son intérêt à agir tel qu’il est défini au point 55 ci-dessus.

57      En effet, tout d’abord, il convient de relever que la décision attaquée n’a pas été abrogée ou retirée de sorte que le présent recours conserve son objet (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 2007, Wunenburger/Commission, C‑362/05 P, EU:C:2007:322, point 48).

58      Ensuite, les effets juridiques de la décision attaquée ne sont pas devenus caducs du seul fait de la mise en liquidation de Saremar.

59      En effet, en premier lieu, du fait de la décision attaquée, la RAS n’est toujours pas en droit de verser à Saremar la partie de l’augmentation de capital litigieuse à laquelle, ainsi qu’il résulte du procès‑verbal de l’assemblée des actionnaires de Saremar du 11 juillet 2012 annexé à la requête, cette autorité publique n’avait pas procédé du fait de la notification de cette opération à la Commission. Or, aucun élément du dossier ne permet d’exclure la possibilité que, en cas d’annulation de la décision attaquée, cette partie de l’augmentation de capital litigieuse, dont Saremar aurait alors le droit de bénéficier, soit intégrée à son patrimoine.

60      En deuxième lieu, s’agissant de la partie des aides litigieuses qui a été déjà versée par la RAS à Saremar, il résulte d’une jurisprudence constante que la seule circonstance que l’entreprise fasse l’objet d’une procédure de faillite, notamment lorsque cette procédure conduit à la liquidation de l’entreprise, ne remet pas en cause le principe de la récupération de l’aide. En effet, dans un tel cas de figure, le rétablissement de la situation antérieure et l’élimination de la distorsion de concurrence résultant des aides illégalement versées peuvent, en principe, être accomplis par l’inscription au passif de l’entreprise en liquidation d’une obligation relative à la restitution des aides concernées (voir arrêt du 1er juillet 2009, KG Holding e.a./Commission, T‑81/07 à T‑83/07, EU:T:2009:237, points 192 et 193 et jurisprudence citée). Par conséquent, du fait de la décision attaquée, les aides litigieuses doivent, au minimum, rester au passif de Saremar, de sorte que, même à supposer qu’elles ne puissent pas être restituées à la RAS, elles ne font plus partie du patrimoine de la requérante.

61      Par conséquent, il y a lieu de relever que la mise en liquidation de Saremar ne remet pas en cause le constat opéré au point 55 ci-dessus selon lequel l’annulation de la décision attaquée serait susceptible de procurer un bénéfice à la requérante, dès lors que la situation juridique de cette dernière à l’égard des aides litigieuses en serait nécessairement modifiée. En outre, cette annulation aurait également pour effet d’améliorer sa situation économique de manière significative, dès lors que les aides litigieuses pourraient être intégrées de nouveau à son patrimoine. Au demeurant, il y a lieu de relever que cette analyse est confirmée par l’arrêt du 13 septembre 2010, Grèce e.a./Commission (T‑415/05, T‑416/05 et T‑423/05, EU:T:2010:386), dans lequel le Tribunal a jugé que des sociétés en liquidation, qui avaient remboursé les aides en cause dans ces affaires, conservaient un intérêt à agir dès lors que, en cas d’annulation, la République hellénique serait tenue de leur restituer les montants remboursés, lesquels seraient inscrits à l’actif de leurs bilans de liquidation respectifs (arrêt du 13 septembre 2010, Grèce e.a./Commission, T‑415/05, T‑416/05 et T‑423/05, EU:T:2010:386, point 62).

62      Il convient d’ajouter que le Tribunal n’a pas été informé, à ce jour, que la procédure de liquidation de Saremar était arrivée à son terme.

63      Il résulte de tout ce qui précède que Saremar conserve un intérêt à agir dans le cadre du présent recours et que, par conséquent, il y a lieu de statuer.

[omissis]

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Saremar – Sardegna Regionale Marittima SpA est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne et Compagnia Italiana di Navigazione SpA.

Gratsias

Kancheva

Półtorak

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 avril 2017.

Signatures


1 Langue de procédure : l’italien.


2      Ne sont reproduits que les points du présent arrêt dont le Tribunal estime la publication utile.