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ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

21 septembre 2023 (*)

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Système de Dublin – Règlement (UE) no 604/2013 – Critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale – Responsabilité de l’État membre ayant délivré un titre de séjour au demandeur – Article 2, sous l) – Notion de “titre de séjour” – Carte diplomatique délivrée par un État membre – Convention de Vienne sur les relations diplomatiques »

Dans l’affaire C‑568/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Raad van State (Conseil d’État, Pays-Bas), par décision du 25 août 2021, parvenue à la Cour le 16 septembre 2021, dans la procédure

Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid

contre

E.,

S.,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Arabadjiev, président de chambre, MM. P. G. Xuereb, T. von Danwitz, A. Kumin (rapporteur) et Mme I. Ziemele, juges,

avocat général : M. A. M. Collins,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour E. et S., par Me M. F. Wijngaarden, advocaat,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman et A. Hanje, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement autrichien, par Mmes J. Schmoll et V. Strasser, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, représentée initialement par Mme L. Grønfeldt et M. W. Wils, puis par M. W. Wils, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 9 mars 2023,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, sous l), du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (JO 2013, L 180, p. 31, ci‑après le « règlement Dublin III »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (secrétaire d’État à la Justice et à la Sécurité, Pays-Bas) (ci‑après le « secrétaire d’État ») à E. et à S., agissant en leurs noms propres ainsi qu’au nom de leurs enfants mineurs, au sujet du rejet de leurs demandes de protection internationale.

 Le cadre juridique

 Le droit international

3        Aux termes de l’article 2 de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques, conclue à Vienne le 18 avril 1961 et entrée en vigueur le 24 avril 1964 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 500, p. 95, ci‑après la « convention de Vienne ») :

« L’établissement de relations diplomatiques entre États et l’envoi de missions diplomatiques permanentes se font par consentement mutuel. »

4        L’article 4 de cette convention stipule :

« 1.      L’État accréditant doit s’assurer que la personne qu’il envisage d’accréditer comme chef de la mission auprès de l’État accréditaire a reçu l’agrément de cet État.

2.      L’État accréditaire n’est pas tenu de donner à l’État accréditant les raisons d’un refus d’agrément. »

5        L’article 5, paragraphe 1, de ladite convention est libellé comme suit :

« L’État accréditant, après due notification aux États accréditaires intéressés, peut accréditer un chef de mission ou affecter un membre du personnel diplomatique, suivant le cas, auprès de plusieurs États, à moins que l’un des États accréditaires ne s’y oppose expressément. »

6        L’article 9 de la même convention prévoit :

« 1.      L’État accréditaire peut, à tout moment et sans avoir à motiver sa décision, informer l’État accréditant que le chef ou tout autre membre du personnel diplomatique de la mission est persona non grata ou que tout autre membre du personnel de la mission n’est pas acceptable. L’État accréditant rappellera alors la personne en cause ou mettra fin à ses fonctions auprès de la mission, selon le cas. Une personne peut être déclarée non grata ou non acceptable avant d’arriver sur le territoire de l’État accréditaire.

2.      Si l’État accréditant refuse d’exécuter, ou n’exécute pas dans un délai raisonnable, les obligations qui lui incombent aux termes du paragraphe 1 du présent article, l’État accréditaire peut refuser de reconnaître à la personne en cause la qualité de membre de la mission. »

7        L’article 10, paragraphe 1, de la convention de Vienne est ainsi libellé :

« Sont notifiés au Ministère des affaires étrangères de l’État accréditaire ou à tel autre ministère dont il aura été convenu :

a)      La nomination des membres de la mission, leur arrivée et leur départ définitif ou la cessation de leurs fonctions dans la mission ;

b)      L’arrivée et le départ définitif d’une personne appartenant à la famille d’un membre de la mission, et, s’il y a lieu, le fait qu’une personne devient ou cesse d’être membre de la famille d’un membre de la mission ;

[...] »

 Le droit de l’Union

8        Aux termes des considérants 4 et 5 du règlement Dublin III :

« (4)      Les conclusions de Tampere ont également précisé que le [régime d’asile européen commun] devrait comporter à court terme une méthode claire et opérationnelle pour déterminer l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile.

(5)      Une telle méthode devrait être fondée sur des critères objectifs et équitables tant pour les États membres que pour les personnes concernées. Elle devrait, en particulier, permettre une détermination rapide de l’État membre responsable afin de garantir un accès effectif aux procédures d’octroi d’une protection internationale et ne pas compromettre l’objectif de célérité dans le traitement des demandes de protection internationale. »

9        L’article 2 de ce règlement, intitulé « Définitions », énonce :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

[...]

c)      “demandeur”, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride ayant présenté une demande de protection internationale sur laquelle il n’a pas encore été statué définitivement ;

[...]

l)      “titre de séjour”, toute autorisation délivrée par les autorités d’un État membre autorisant le séjour d’un ressortissant de pays tiers ou d’un apatride sur son territoire, y compris les documents matérialisant l’autorisation de se maintenir sur le territoire dans le cadre d’un régime de protection temporaire ou en attendant que prennent fin les circonstances qui font obstacle à l’exécution d’une mesure d’éloignement, à l’exception des visas et des autorisations de séjour délivrés pendant la période nécessaire pour déterminer l’État membre responsable en vertu du présent règlement ou pendant l’examen d’une demande de protection internationale ou d’une demande d’autorisation de séjour ;

[...] »

10      Les articles 7 à 15 dudit règlement figurent sous le chapitre III de celui‑ci, intitulé « Critères de détermination de l’État membre responsable ». L’article 7 du même règlement, intitulé « Hiérarchie des critères », dispose, à son paragraphe 1 :

« Les critères de détermination de l’État membre responsable s’appliquent dans l’ordre dans lequel ils sont présentés dans le présent chapitre. »

11      L’article 12 du règlement Dublin III, intitulé « Délivrance de titres de séjour ou de visas », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Si le demandeur est titulaire d’un titre de séjour en cours de validité, l’État membre qui l’a délivré est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. »

12      L’article 21 de ce règlement, intitulé « Présentation d’une requête aux fins de prise en charge », énonce, à son paragraphe 1, premier alinéa :

« L’État membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu’un autre État membre est responsable de l’examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date de l’introduction de la demande au sens de l’article 20, paragraphe 2, requérir cet autre État membre aux fins de prise en charge du demandeur. »

13      L’article 29 dudit règlement, intitulé « Modalités et délais », dispose, à son paragraphe 1, premier alinéa :

« Le transfert du demandeur ou d’une autre personne visée à l’article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l’État membre requérant vers l’État membre responsable s’effectue conformément au droit national de l’État membre requérant, après concertation entre les États membres concernés, dès qu’il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l’acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l’effet suspensif est accordé conformément à l’article 27, paragraphe 3. »

 Le litige au principal et la question préjudicielle

14      E. et S. ainsi que leurs enfants mineurs sont des ressortissants d’un pays tiers. Le père a été membre de la mission diplomatique de son pays auprès de l’État membre X et a habité sur le territoire de ce dernier avec son épouse et leurs enfants. Lors de ce séjour, ils se sont vu délivrer des cartes diplomatiques par le ministère des Affaires étrangères de cet État membre.

15      Après avoir quitté l’État membre X, E. et S. ont introduit, aux Pays Bas, des demandes de protection internationale.

16      Le 31 juillet 2019, le secrétaire d’État a considéré que l’État membre X était, en vertu de l’article 12, paragraphe 1, du règlement Dublin III, responsable de l’examen de ces demandes dès lors que les cartes diplomatiques délivrées par les autorités de cet État membre constituaient des titres de séjour. Ledit État membre a, le 25 septembre 2019, accepté les requêtes aux fins de prise en charge.

17      Par décisions du 29 janvier 2020, le secrétaire d’État a refusé d’examiner les demandes de protection internationale formées par E. et S. au motif que l’État membre X était responsable de l’examen de celles-ci.

18      E. et S. ont formé des recours contre ces décisions devant le rechtbank Den Haag (tribunal de La Haye, Pays-Bas). Au soutien de ces recours, ils ont fait valoir que l’État membre X n’était pas responsable de l’examen de leurs demandes, parce que les autorités de cet État membre ne leur avaient jamais délivré un titre de séjour. C’est au titre de leur statut diplomatique qu’ils auraient bénéficié d’un droit de séjour, celui‑ci étant tiré directement de la convention de Vienne.

19      Par jugement du 20 mars 2020, le rechtbank Den Haag (tribunal de La Haye) a accueilli les recours en considérant que c’est à tort que le secrétaire d’État avait tenu l’État membre X pour responsable de l’examen des demandes de protection internationale. Cette juridiction a souligné que les cartes diplomatiques délivrées par les autorités de cet État membre ne pouvaient être considérées comme une autorisation de séjour, parce que E. et S. disposaient déjà d’un droit de séjour dans ledit État membre au titre de la convention de Vienne.

20      Le secrétaire d’État a interjeté appel de ce jugement devant le Raad van State (Conseil d’État, Pays-Bas), la juridiction de renvoi, en faisant valoir que les cartes diplomatiques délivrées à E. et à S. par l’État membre X relèvent de la notion de « titre de séjour », au sens de l’article 2, sous l), du règlement Dublin III.

21      Le Raad van State (Conseil d’État) précise qu’il n’est pas contesté que les autorités de l’État membre X ont délivré des cartes diplomatiques à E. et à S. et que ces cartes étaient encore valides au moment où ces derniers ont déposé leurs demandes de protection internationale aux Pays-Bas. En outre, l’État membre X a délivré ces cartes diplomatiques conformément à la convention de Vienne, le Royaume des Pays-Bas et l’État membre X étant parties à cette convention.

22      Selon cette juridiction, la détermination de l’État membre responsable de l’examen des demandes de protection internationale introduites par E. et S. suppose de répondre à la question de savoir si une carte diplomatique délivrée par un État membre au titre de la convention de Vienne constitue un titre de séjour, au sens de l’article 2, sous l), du règlement Dublin III.

23      Or, la réponse à cette question ne pourrait être déduite directement ni de cette disposition, ni du système établi par ce règlement, ni des règles pertinentes du droit international public. En outre, la jurisprudence de la Cour concernant ledit règlement n’offrirait pas davantage d’éclaircissement à cet égard et il semblerait que les pratiques des États membres divergent sur ce point.

24      Dans ces conditions, le Raad van State (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 2, initio et sous l), du règlement [Dublin III] doit-il être interprété en ce sens qu’une carte diplomatique délivrée par un État membre au titre de la [convention de Vienne] constitue un titre de séjour au sens de cette disposition ? »

 Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

25      Le gouvernement autrichien met en doute la recevabilité de la présente demande de décision préjudicielle au motif que l’interprétation sollicitée du règlement Dublin III serait dépourvue d’utilité réelle pour la solution du litige au principal. En effet, en l’occurrence, le Royaume des Pays-Bas serait devenu responsable de l’examen des demandes de protection internationale en cause dès lors que, si l’État membre X a accepté les requêtes aux fins de prise en charge des défendeurs au principal, le transfert des demandeurs vers ce dernier État membre n’aurait pas eu lieu dans le délai de six mois prévu à l’article 29, paragraphe 1, de ce règlement.

26      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation d’une règle de droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 12 janvier 2023, DOBELES HES, C‑702/20 et C‑17/21, EU:C:2023:1, point 46 ainsi que jurisprudence citée).

27      Il s’ensuit que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation d’une règle de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 12 janvier 2023, DOBELES HES, C‑702/20 et C‑17/21, EU:C:2023:1, point 47 ainsi que jurisprudence citée).

28      Il convient également de rappeler que, conformément à l’article 29, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement Dublin III, le transfert du demandeur de l’État membre requérant vers l’État membre responsable s’effectue conformément au droit national de l’État membre requérant, après concertation entre les États membres concernés, dès qu’il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l’acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l’effet suspensif est accordé conformément à l’article 27, paragraphe 3, de ce règlement.

29      En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que, lorsqu’il a interjeté appel du jugement de première instance devant la juridiction de renvoi, le secrétaire d’État a, compte tenu de l’expiration à venir du délai de transfert, demandé l’octroi de mesures provisoires et que cette demande a été accueillie.

30      Dans ces conditions, il apparaît que l’appel formé par le secrétaire d’État s’est vu reconnaître un effet suspensif au sens de l’article 29, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement Dublin III, de sorte que le délai de six mois visé à cette disposition ne commencera à courir qu’après que la juridiction de renvoi aura rendu sa décision définitive sur cet appel.

31      Par conséquent, il n’apparaît pas de manière manifeste que l’interprétation du droit de l’Union sollicitée par la juridiction de renvoi ne serait pas nécessaire à cette dernière pour résoudre le litige dont elle est saisie. La présente demande de décision préjudicielle est, partant, recevable.

 Sur la question préjudicielle

32      Afin de répondre à la question posée, il convient de rappeler, à titre liminaire, que l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union requiert de tenir compte non seulement de ses termes, mais également du contexte dans lequel elle s’inscrit ainsi que des objectifs et de la finalité que poursuit l’acte dont elle fait partie (arrêt du 22 juin 2023, Pankki S, C‑579/21, EU:C:2023:501, point 38 et jurisprudence citée).

33      S’agissant du libellé de l’article 2, sous l), du règlement Dublin III, la notion de « titre de séjour » est définie comme étant « toute autorisation délivrée par les autorités d’un État membre autorisant le séjour d’un ressortissant de pays tiers ou d’un apatride sur son territoire ». En outre, selon cette disposition, si ladite notion comprend « les documents matérialisant l’autorisation de se maintenir sur le territoire dans le cadre d’un régime de protection temporaire ou en attendant que prennent fin les circonstances qui font obstacle à l’exécution d’une mesure d’éloignement », elle exclut en revanche les « visas et [l]es autorisations de séjour délivrés pendant la période nécessaire pour déterminer l’État membre responsable en vertu [de ce] règlement ou pendant l’examen d’une demande de protection internationale ou d’une demande d’autorisation de séjour ».

34      Les défendeurs au principal et le gouvernement autrichien déduisent, en substance, des termes employés par le législateur de l’Union que la notion de « titre de séjour » ne comprend que les actes adoptés formellement par une administration nationale et qui permettent, de façon constitutive, à un ressortissant de pays tiers ou à un apatride de se maintenir sur le territoire de l’État membre concerné. En revanche, quoique constituant des documents formellement délivrés par une administration nationale, des cartes diplomatiques, telles que celles en cause au principal, ne feraient en principe que refléter les droits et les privilèges dont bénéficient leurs titulaires en vertu de la convention de Vienne. Elles revêtiraient ainsi un caractère purement déclaratoire et ne sauraient être couvertes par la notion de « titre de séjour », au sens de l’article 2, sous l), du règlement Dublin III.

35      À cet égard, il convient de souligner que, ainsi qu’il découle de l’emploi des termes « toute autorisation » à l’article 2, sous l), du règlement Dublin III, la notion de « titre de séjour », au sens de cette disposition, revêt une conception large. En particulier, comme M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 46 de ses conclusions, la définition que cette disposition donne de cette notion ne fait pas référence au caractère constitutif ou déclaratoire de l’autorisation, ni n’exclut de manière expresse les cartes diplomatiques délivrées au titre de la convention de Vienne.

36      Pour ce qui est du contexte dans lequel s’insère ladite disposition, il y a lieu de relever que la notion de « titre de séjour » est déterminante pour l’application de l’article 12 du règlement Dublin III, lequel prévoit, à son paragraphe 1, que, si le demandeur est titulaire d’un titre de séjour en cours de validité, l’État membre qui l’a délivré est responsable de l’examen de la demande de protection internationale.

37      Cet article 12 fait partie du chapitre III du règlement Dublin III, portant sur les critères de détermination de l’État membre responsable. À cet égard, il ressort de la jurisprudence que l’application des différents critères énoncés aux articles 12 à 14 de ce règlement doit, en règle générale, permettre d’attribuer à l’État membre qui est à l’origine de l’entrée ou du séjour d’un ressortissant d’un pays tiers sur le territoire des États membres la responsabilité d’examiner la demande de protection internationale introduite par ce ressortissant, et ce en tenant compte du rôle joué par cet État membre dans la présence de ce ressortissant sur le territoire des États membres (voir, en ce sens, arrêt du 26 juillet 2017, Jafari, C‑646/16, EU:C:2017:586, points 87 et 91).

38      En l’occurrence, les défendeurs au principal font valoir que le rôle joué par l’État membre X dans leur présence sur le territoire des États membres serait négligeable dès lors que, conformément à la convention de Vienne, un État accréditaire ne serait pas libre, abstraction faite de certains cas particuliers, de refuser l’entrée et le séjour sur son territoire aux membres d’une mission diplomatique désignés par l’État accréditant.

39      À cet égard, s’il est vrai que, en vertu de l’article 2 de la convention de Vienne, l’envoi de missions diplomatiques permanentes se fait par consentement mutuel, l’État accréditaire se voit néanmoins reconnaître certaines prérogatives quant à l’admission sur son territoire de personnes en tant que membres du personnel diplomatique d’une mission.

40      En particulier, l’article 9 de la convention de Vienne prévoit, à son paragraphe 1, que l’État accréditaire peut, à tout moment et sans avoir à motiver sa décision, informer l’État accréditant que le chef ou tout autre membre du personnel diplomatique de la mission est persona non grata ou que tout autre membre du personnel de la mission n’est pas acceptable, une personne pouvant être déclarée non grata ou non acceptable même avant d’arriver sur le territoire de l’État accréditaire. Cet article 9 ajoute, à son paragraphe 2, que, si l’État accréditant refuse d’exécuter, ou n’exécute pas dans un délai raisonnable, les obligations qui lui incombent aux termes du paragraphe 1, l’État accréditaire peut refuser de reconnaître à la personne en cause la qualité de membre de la mission.

41      En outre, il ressort de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la convention de Vienne que l’État accréditant doit s’assurer que la personne qu’il envisage d’accréditer comme chef de la mission auprès de l’État accréditaire a reçu l’agrément de cet État, l’État accréditaire n’étant pas tenu de donner à l’État accréditant les raisons d’un refus d’agrément.

42      Par ailleurs, en vertu de l’article 5, paragraphe 1, de la convention de Vienne, si l’État accréditant, après due notification aux États accréditaires intéressés, peut accréditer un chef de mission ou affecter un membre du personnel diplomatique, suivant le cas, auprès de plusieurs États, un des États accréditaires peut s’y opposer expressément.

43      Enfin, l’article 10, paragraphe 1, de la convention de Vienne prévoit, notamment, que la nomination des membres de la mission, leur arrivée et leur départ définitif ou la cessation de leurs fonctions dans la mission ainsi que l’arrivée et le départ définitif d’une personne appartenant à la famille d’un membre de la mission sont notifiés au ministère compétent de l’État accréditaire.

44      Dans ces conditions, la délivrance d’une carte diplomatique à une personne par un État membre traduit l’acceptation par ce dernier du séjour de cette personne sur son territoire en tant que membre du personnel diplomatique d’une mission, et démontre ainsi le rôle joué par cet État membre dans la présence de ladite personne sur le territoire des États membres.

45      L’interprétation de la notion de « titre de séjour » en ce sens qu’elle couvre une carte diplomatique délivrée au titre de la convention de Vienne correspond également à l’économie générale des critères énoncés aux articles 12 à 14 du règlement Dublin III, dès lors que, en vertu de l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement, cet article 12 s’applique en priorité.

46      En ce qui concerne la finalité poursuivie par le règlement Dublin III, les considérants 4 et 5 de celui-ci soulignent l’importance d’une méthode claire et opérationnelle pour déterminer l’État membre responsable, fondée sur des critères objectifs et équitables tant pour les États membres que pour les personnes concernées et permettant que cet État membre soit déterminé rapidement.

47      Or, le fait de prendre en considération, aux fins de la détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale, la délivrance d’une carte diplomatique contribue à l’objectif de célérité dans le traitement d’une telle demande.

48      En outre, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 50 de ses conclusions, la finalité du règlement Dublin III rappelée au point 46 du présent arrêt serait remise en cause si des ressortissants de pays tiers bénéficiant des privilèges et des immunités prévus par la convention de Vienne pouvaient choisir l’État membre dans lequel ils introduisent une demande de protection internationale.

49      En tout état de cause, le fait qu’une carte diplomatique soit qualifiée de « titre de séjour », au sens de l’article 2, sous l), du règlement Dublin III, ne concerne que la détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale et reste sans incidence sur le droit de séjour diplomatique. En outre, une telle qualification ne préjuge pas de la décision ultérieure sur l’octroi ou non de la protection internationale par cet État membre.

50      Enfin, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 51 de ses conclusions, est dénuée de pertinence la référence faite par les défendeurs au principal à l’exclusion des personnes ayant un statut juridique régi par la convention de Vienne du champ d’application de la directive 2003/109/CE du Conseil, du 25 novembre 2003, relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée (JO 2004, L 16, p. 44).

51      En effet, d’une part, le règlement Dublin III ne prévoit pas une telle exclusion de son champ d’application ni ne contient de règles dérogatoires concernant les effets à attacher à la délivrance d’une carte diplomatique pour la détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale.

52      D’autre part, si la directive 2003/109 ne concerne pas les personnes qui n’ont pas vocation à s’installer durablement sur le territoire des États membres, cette circonstance n’empêche pas ceux-ci de leur délivrer des titres de séjour, au sens de l’article 2, sous l), du règlement Dublin III.

53      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question préjudicielle que l’article 2, sous l), du règlement Dublin III doit être interprété en ce sens qu’une carte diplomatique délivrée par un État membre au titre de la convention de Vienne constitue un « titre de séjour », au sens de cette disposition.

 Sur les dépens

54      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

L’article 2, sous l), du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride,

doit être interprété en ce sens que :

une carte diplomatique délivrée par un État membre au titre de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques, conclue à Vienne le 18 avril 1961 et entrée en vigueur le 24 avril 1964, constitue un « titre de séjour », au sens de cette disposition.

Signatures


*      Langue de procédure : le néerlandais.