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ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

4 septembre 2024 (*) (1)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de la Syrie – Gel des fonds et des ressources économiques – Liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Inscription du nom du requérant sur la liste – Critère de l’appartenance familiale – Exception d’illégalité – Exigence selon laquelle toute limitation doit être prévue par la loi – Erreur d’appréciation – Droit de propriété »

Dans l’affaire T‑370/23,

Samer Kamal Al-Assad, demeurant à Lattaquié (Syrie), représenté par Me W. Woll, avocat,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme T. Haas, en qualité d’agent, assistée de Me E. Raoult, avocate,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de MM. L. Truchot, président, H. Kanninen et Mme R. Frendo (rapporteure), juges,

greffier : M. V. Di Bucci,

vu la phase écrite de la procédure,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le requérant, M. Samer Kamal Al‑Assad, demande l’annulation, d’une part, de la décision d’exécution (PESC) 2023/847 du Conseil, du 24 avril 2023, mettant en œuvre la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2023, L 109 I, p. 26), et, d’autre part, du règlement d’exécution (UE) 2023/844 du Conseil, du 24 avril 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2023, L 109 I, p. 1), en tant que ces actes (ci‑après, pris ensemble, les « actes attaqués ») le concernent.

 Antécédents du litige et faits postérieurs à l’introduction du recours

2        Le requérant est un homme d’affaires de nationalité syrienne.

3        La présente affaire s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives adoptées, à compter de l’année 2011, par le Conseil de l’Union européenne à l’encontre de la Syrie et des personnes responsables de la répression violente exercée contre la population civile syrienne.

4        Le 9 mai 2011, le Conseil a adopté la décision 2011/273/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2011, L 121, p. 11), « condamn[ant] fermement la répression violente […] des manifestations pacifiques en divers endroits dans toute la Syrie ». Il a institué, notamment, des restrictions à l’entrée sur le territoire de l’Union européenne ainsi qu’un gel des fonds et des ressources économiques de certaines personnes et entités « responsables de la répression violente exercée contre la population civile syrienne ». Considérant qu’une action réglementaire au niveau de l’Union était nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la décision 2011/273, le Conseil a également adopté le même jour le règlement (UE) no 442/2011, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2011, L 121, p. 1).

5        Les noms des personnes « responsables de la répression violente exercée contre la population civile en Syrie » ainsi que ceux des personnes, physiques ou morales, et des entités qui leur sont liées ont été mentionnés à l’annexe de la décision 2011/273 et à l’annexe II du règlement no 442/2011.

6        Le 18 janvier 2012, le Conseil a adopté le règlement (UE) no 36/2012, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie et abrogeant le règlement no 442/2011 (JO 2012, L 16, p 1), et, le 31 mai 2013, la décision 2013/255/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2013, L 147, p. 14) (ci‑après, pris ensemble, la « réglementation de base »), notamment pour imposer des mesures restrictives aux personnes bénéficiant des politiques menées par le régime syrien ou soutenant celui-ci et les personnes qui leur sont liées. Les noms de celles-ci figurent désormais à l’annexe II du règlement no 36/2012 et à l’annexe I de la décision 2013/255 (ci‑après les « listes litigieuses »).

7        Compte tenu de la gravité de la situation en Syrie, ainsi qu’il ressort de son considérant 5, le Conseil a adopté, le 12 octobre 2015, la décision (PESC) 2015/1836, modifiant la décision 2013/255 (JO 2015, L 266, p. 75), et le règlement (UE) 2015/1828, modifiant le règlement no 36/2012 (JO 2015, L 266, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de 2015 »).

8        À cet égard, estimant que les mesures restrictives adoptées initialement par la décision 2011/273 n’avaient pas permis de mettre fin à la répression violente exercée par le régime syrien contre la population civile, le Conseil a décidé, ainsi qu’il ressort du considérant 5 de la décision 2015/1836, « qu’il [était] nécessaire de maintenir les mesures restrictives en vigueur et d’assurer leur efficacité, en les développant tout en maintenant l’approche ciblée et différenciée qui [était] la sienne et en gardant à l’esprit la situation humanitaire de la population syrienne [et] que certaines catégories de personnes et d’entités [revêtaient] une importance particulière pour l’efficacité de ces mesures restrictives, étant donné la situation spécifique qui [régnait] en Syrie ».

9        Par voie de conséquence, la rédaction des articles 27 et 28 de la décision 2013/255 a été modifiée par la décision 2015/1836. Ces articles prévoient désormais des restrictions à l’entrée ou au passage en transit sur le territoire des États membres ainsi que le gel des fonds et des ressources économiques des personnes relevant des catégories de personnes mentionnées au paragraphe 2, sous a) à g), de ces articles, dont la liste figure à l’annexe I, excepté, conformément à leur paragraphe 3, s’il existe des « informations suffisantes indiquant [que ces personnes] ne sont pas, ou ne sont plus, lié[e]s au régime ou qu’[elles] n’exercent aucune influence sur celui-ci ou qu’[elles] ne sont pas associé[e]s à un risque réel de contournement ».

10      En particulier, dans la mesure où, ainsi qu’il ressort du considérant 7 de la décision 2015/1836, « le pouvoir en Syrie s’exerce traditionnellement sur une base familiale [et] le pouvoir du régime syrien actuel est essentiellement entre les mains des membres influents des familles Assad et Makhlouf », il convenait de prévoir des mesures restrictives à l’encontre de certains membres de ces familles, tant pour influencer directement le régime syrien par le biais des membres de ces familles pour que celui-ci modifie sa politique de répression que pour éviter le risque de contournement des mesures restrictives par des membres desdites familles.

11      Ainsi, d’une part, à la suite de l’adoption des actes de 2015, l’article 27, paragraphe 2, sous b), et l’article 28, paragraphe 2, sous b), de la décision 2013/255 soumettent désormais également aux mesures restrictives les « membres des familles Assad ou Makhlouf » (ci-après le « critère de l’appartenance familiale »). Parallèlement, l’article 15 du règlement no 36/2012 a été complété par un paragraphe 1 bis, sous b), qui prévoit le gel des avoirs des membres de ces familles.

12      D’autre part, le critère général d’inscription se rattachant au bénéfice tiré des politiques menées par le régime syrien ou au soutien à celui-ci figure à l’article 27, paragraphe 1, et à l’article 28, paragraphe 1, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, et à l’article 15, paragraphe 1, sous a), du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828 (ci-après le « critère général d’association avec le régime syrien »).

13      Le 24 avril 2023, le Conseil a adopté les actes attaqués. Aux termes des considérants 2, 3 et 5 de ceux-ci, il a été prévu ce qui suit :

« (2)      Le Conseil reste vivement préoccupé par la situation en Syrie. Après plus de dix ans, le conflit en Syrie est loin d’être terminé et demeure une source de souffrance et d’instabilité.

(3)      Le Conseil constate que le régime syrien poursuit sa politique de répression. Compte tenu de la gravité persistante de la situation, le Conseil considère qu’il est nécessaire de maintenir les mesures restrictives en vigueur et d’en assurer l’efficacité en les développant tout en maintenant l’approche ciblée et différenciée qui les caractérise, et en gardant à l’esprit la situation humanitaire de la population syrienne. Le Conseil estime que certaines catégories de personnes et d’entités revêtent une importance particulière pour l’efficacité de ces mesures restrictives, étant donné la situation spécifique que connaît la Syrie.

[…]

(5)      Le Conseil est profondément préoccupé par l’accroissement du commerce de stupéfiants en provenance de Syrie. En particulier, le Conseil a estimé que le commerce d’amphétamines est devenu un modèle économique dirigé par le régime, enrichissant le cercle interne du régime et lui procurant des recettes qui contribuent à sa capacité à poursuivre ses politiques de répression. Le Conseil estime qu’il devrait prévoir des mesures restrictives destinées à geler tous les fonds et ressources économiques appartenant à certaines personnes et entités impliquées dans la production ou le trafic de stupéfiants en provenance de Syrie telles qu’elles ont été identifiées par le Conseil et dont la liste figure [en ce qui concerne la décision d’exécution 2023/847, à l’annexe I de la décision 2013/255/PESC et en ce qui concerne le règlement d’exécution 2023/844, à l’annexe II du règlement no 36/2012], de même que tous les fonds et ressources économiques qu’elles possèdent, détiennent ou contrôlent, et à instituer des restrictions en matière d’admission contre ces personnes, afin de les empêcher d’apporter un soutien au régime et d’accroître la pression exercée sur celui-ci afin qu’il modifie ses politiques de répression. Ces mesures visent également à réduire le risque de voir l’efficacité des mesures restrictives compromise, en ciblant la capacité du régime à recourir aux produits du commerce de stupéfiants pour poursuivre sa politique de répression. »

14      Le Conseil a justifié l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses par la mention des motifs suivants :

« […] membre de la famille Assad.

Il mène des activités dans le cadre du commerce de stupéfiants, en particulier pour ce qui a trait à la production. Le commerce de captagon est devenu un modèle économique dirigé par le régime, enrichissant le cercle interne du régime et lui permettant d’assurer sa survie. Il tire donc avantage du régime et le soutient. »

15      Le 21 juillet 2023, le requérant a adressé au Conseil une lettre dans laquelle il a demandé des précisions concernant les raisons justifiant l’inscription de son nom sur les listes litigieuses.

16      Le 7 août 2023, le Conseil a communiqué au requérant les informations figurant dans les dossiers portant les références WK 4451/23 DCL 1 et WK 4953/23 DCL 1 (ci-après les « dossiers de preuves »), sur lesquels il avait fondé les actes attaqués.

 Conclusions des parties

17      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués en tant qu’ils le concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

18      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner le requérant aux dépens ;

–        à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où le Tribunal annulerait les actes attaqués en tant qu’ils concernent le requérant, ordonner que les effets de la décision d’exécution 2023/847 soient maintenus en ce qui le concerne jusqu’à ce que l’annulation partielle du règlement d’exécution 2023/844 du Conseil prenne effet.

 En droit

19      Le requérant soulève, en substance, quatre moyens à l’appui de son recours, tirés, le premier, d’une erreur d’appréciation, le deuxième, de l’incompétence du Conseil en matière pénale et de l’atteinte au droit à la présomption d’innocence, le troisième, de la violation du droit à la réputation et, le quatrième, de la violation du droit de propriété.

20      À titre liminaire, il convient de relever que, ainsi qu’il ressort du point 14 ci-dessus, le Conseil a inscrit le nom du requérant sur les listes litigieuses sur le fondement de deux motifs, dont le premier repose sur le critère de l’appartenance familiale (ci‑après le « premier motif d’inscription ») et le second sur le critère général d’association avec le régime syrien (ci‑après le « second motif d’inscription »).

21      Le premier moyen s’articule autour de deux branches. La première branche concerne, en substance, le caractère erroné des appréciations effectuées par le Conseil fondées sur le critère de l’appartenance familiale. À ce titre, le requérant soulève également, par la voie de l’exception, l’illégalité dudit critère.

22      Par la seconde branche du premier moyen, le requérant reproche au Conseil d’avoir commis une erreur d’appréciation quant à sa prétendue implication dans le commerce de stupéfiants, qui a fondé l’inscription de son nom sur les listes litigieuses au titre du second motif d’inscription.

23      Les arguments avancés par le requérant dans le cadre des deuxième et troisième moyens se rattachent également au second motif d’inscription.

24      Dans le cadre du quatrième moyen, le requérant soutient que les actes attaqués portent une atteinte disproportionnée à son droit de propriété. Les critiques du requérant visent les deux motifs d’inscription.

25      Dans ces circonstances, il y a lieu d’examiner, d’abord, l’exception d’illégalité soulevée à l’encontre du critère de l’appartenance familiale et la première branche du premier moyen. Ensuite, le Tribunal estime opportun d’examiner le quatrième moyen, tiré de la violation du droit de propriété.

 Sur l’exception d’illégalité soulevée à l’encontre du critère de l’appartenance familiale

26      Le requérant soulève, sur le fondement de l’article 277 TFUE, une exception d’illégalité à l’encontre du critère de l’appartenance familiale tel qu’il figure à l’article 27, paragraphe 2, sous b), et à l’article 28, paragraphe 2, sous b), de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836. Il demande que ledit critère soit déclaré inapplicable à son égard et que, par voie de conséquence, l’inscription de son nom sur les listes litigieuses résultant de l’application de ces dispositions soit annulée.

27      Le Conseil conteste tant la recevabilité de l’exception d’illégalité soulevée par le requérant que le bien-fondé de celle-ci.

 Sur la recevabilité de l’exception d’illégalité

28      Sans soulever formellement une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, le Conseil oppose une fin de non-recevoir à l’exception d’illégalité soulevée par le requérant.

29      Selon le Conseil, le requérant n’expliquerait pas les conséquences de l’exception d’illégalité invoquée sur les actes attaqués et à son égard. Cette absence de clarté, se heurtant aux exigences de l’article 76, sous d), du règlement de procédure, ne lui aurait pas permis de préparer sa défense et devrait, par voie de conséquence, conduire à l’irrecevabilité de ladite exception.

30      Le requérant conteste cette argumentation.

31      À cet égard, il importe de rappeler que, en vertu de l’article 76, sous d), du règlement de procédure, la requête doit notamment contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. En outre, indépendamment de toute question de terminologie, cet exposé doit être suffisamment clair et précis pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans avoir à solliciter d’autres informations. Il faut, en effet, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même, et ce afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice (voir arrêt du 14 avril 2021, Al-Tarazi/Conseil, T‑260/19, non publié, EU:T:2021:187, point 166 et jurisprudence citée).

32      En l’espèce, le requérant, par une argumentation certes sommaire, soutient que le critère de l’appartenance familiale manque de clarté et de précision, ce qui rendrait impossible l’identification des personnes susceptibles d’être visées par ledit critère. En outre, selon lui, son application engendrerait une discrimination entachant les actes attaqués d’une illégalité.

33      À cet égard, il ressort du dossier que le Conseil a pu préparer sa défense, ce dont témoigne le fait qu’il a répondu au fond aux arguments du requérant tant dans le cadre du mémoire en défense que de la duplique.

34      En outre, le Tribunal estime que l’exception d’illégalité est assortie de précisions suffisantes lui permettant d’exercer son contrôle juridictionnel et ainsi de statuer sur celle-ci, sans avoir à solliciter d’autres informations.

35      Par conséquent, il y a lieu de rejeter la fin de non-recevoir soulevée par le Conseil et de déclarer recevable l’exception d’illégalité à l’encontre du critère de l’appartenance familiale.

 Sur le bien-fondé de l’exception d’illégalité

36      À l’appui de l’exception d’illégalité, le requérant invoque, en substance, deux griefs, tirés :

–        le premier, d’une méconnaissance du principe de légalité selon lequel toute limitation de l’exercice des droits doit être prévue par la loi, et, par voie de conséquence, d’une atteinte aux droits de propriété et au respect de la vie privée et familiale garantis, respectivement, par l’article 17, paragraphe 1, et par l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et par l’article 8, paragraphe 1, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), et par l’article 1er du premier protocole additionnel à la CEDH ;

–        le second, d’une violation du principe de non-discrimination consacré à l’article 21, paragraphe 1, de la Charte et à l’article 14 de la CEDH.

37      À titre liminaire, il convient de rappeler que, si, comme le confirme l’article 6, paragraphe 3, TUE, les droits fondamentaux consacrés par la CEDH font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux et si l’article 52, paragraphe 3, de la Charte dispose que les droits contenus dans celle-ci correspondant à des droits garantis par la CEDH ont le même sens et la même portée que ceux que leur confère ladite convention, cette dernière ne constitue pas, tant que l’Union n’y a pas adhéré, un instrument juridique formellement intégré à l’ordre juridique de l’Union (voir arrêt du 3 septembre 2015, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Commission, C‑398/13 P, EU:C:2015:535, point 45 et jurisprudence citée).

38      Partant, l’examen de la présente exception d’illégalité doit être opéré uniquement au regard des dispositions de la Charte invoquées par le requérant.

39      À cet égard, il importe de rappeler que, en application de l’article 277 TFUE, toute partie peut, à l’occasion d’un litige mettant en cause un acte de portée générale adopté par une institution, un organe ou un organisme de l’Union, se prévaloir des moyens prévus à l’article 263, deuxième alinéa, TFUE pour invoquer devant la Cour de justice de l’Union européenne l’inapplicabilité de cet acte.

40      En effet, l’article 277 TFUE constitue l’expression d’un principe général assurant à toute partie le droit de contester, par voie incidente, en vue d’obtenir l’annulation d’une décision qui lui est adressée, la validité des actes de portée générale qui forment la base d’une telle décision si cette partie ne disposait pas du droit d’introduire, en vertu de l’article 263 TFUE, un recours direct contre ces actes, dont elle subit ainsi les conséquences sans avoir été en mesure d’en demander l’annulation. L’acte général dont l’illégalité est soulevée doit être applicable, directement ou indirectement, à l’espèce qui fait l’objet du recours et il doit exister un lien juridique direct entre la décision individuelle attaquée et l’acte général en question (voir arrêts du 8 septembre 2020, Commission et Conseil/Carreras Sequeros e.a., C‑119/19 P et C‑126/19 P, EU:C:2020:676, points 67 et 68 et jurisprudence citée, et du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 33 et jurisprudence citée).

41      Or, le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation en ce qui concerne la définition générale et abstraite des critères juridiques et des modalités d’adoption des mesures restrictives (voir arrêt du 28 avril 2021, Sharif/Conseil, T‑540/19, non publié, EU:T:2021:220, point 167 et jurisprudence citée).

42      Ainsi, les règles de portée générale définissant ces critères et ces modalités font l’objet d’un contrôle juridictionnel restreint, se limitant à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence d’erreur de droit ainsi que de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation des faits et de détournement de pouvoir (voir arrêt du 28 septembre 2022, LAICO/Conseil, T‑627/20, non publié, EU:T:2022:590, point 59 et jurisprudence citée).

43      De plus, selon une jurisprudence constante, les juridictions de l’Union doivent, conformément aux compétences dont elles sont investies en vertu du traité FUE, assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union (voir arrêt du 9 septembre 2016, Farahat/Conseil, T‑830/14, non publié, EU:T:2016:462, point 27 et jurisprudence citée).

44      C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner le bien-fondé de l’exception d’illégalité.

–       Sur le premier grief, tiré de la méconnaissance, par le critère de l’appartenance familiale, du principe de légalité et, par voie de conséquence, d’une atteinte aux droits de propriété et au respect de la vie privée et familiale

45      Le requérant fait valoir que, si les droits fondamentaux peuvent, conformément à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, faire l’objet d’ingérences de la part des autorités publiques, toute limitation à cet égard doit être prévue par la loi et respecter les exigences de clarté, de précision et de prévisibilité.

46      Or, selon le requérant, le critère de l’appartenance familiale méconnaît l’article 52, paragraphe 1, de la Charte en ce qu’il « manqu[e] singulièrement de précision ». Ainsi, ce manque de précision rendrait impossible l’identification des personnes susceptibles d’être visées, en substance, par la réglementation de base.

47      Il s’ensuit que le critère de l’appartenance familiale porterait atteinte, d’une part, au droit de propriété garanti par l’article 17, paragraphe 1, de la Charte et, d’autre part, au droit au respect de la réputation, faisant partie du droit au respect de la vie privée et familiale, au sens de l’article 7 de celle-ci.

48      Le Conseil conteste cette argumentation.

49      À cet égard, il convient de rappeler que le droit de propriété tout comme le droit au respect de la vie privée, dont fait partie le droit au respect de la réputation, ne constituent pas des prérogatives absolues et que leur exercice peut faire l’objet de restrictions dans les conditions énoncées à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, aux termes duquel, d’une part, « [t]oute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la [C]harte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés » et, d’autre part, « [d]ans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui ».

50      Il en découle que, pour être conforme au droit de l’Union, une atteinte à un droit ou à une liberté consacrés par la Charte doit répondre à quatre conditions. Premièrement, la limitation en cause doit être « prévue par la loi », en ce sens que l’institution de l’Union adoptant des mesures susceptibles de restreindre le droit ou la liberté d’une personne, physique ou morale, doit disposer d’une base légale à cette fin. Deuxièmement, la limitation en cause doit respecter le contenu essentiel du droit ou de la liberté en cause. Troisièmement, elle doit répondre effectivement à un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union. Quatrièmement, la limitation en cause doit être proportionnée (voir arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 145 et jurisprudence citée).

51      Or, ainsi qu’il ressort du point 46 ci-dessus, le requérant se limite à faire valoir que le critère de l’appartenance familiale n’est pas suffisamment précis pour répondre à la première condition posée par l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, selon laquelle toute limitation aux droits fondamentaux doit être prévue par la loi. En revanche, le requérant ne formule aucun argument en ce qui concerne les trois autres conditions visées au point 50 ci-dessus.

52      À cet égard, il convient de rappeler que la Cour a considéré que le principe de légalité, érigé par les termes « prévue par la loi » figurant à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, implique que toute limitation des droits et libertés consacrés par cette dernière doit avoir une base légale qui définit, elle-même, de manière claire et précise, la portée de la limitation de leur exercice [avis 1/15 (Accord PNR UE-Canada), du 26 juillet 2017, EU:C:2017:592, point 139 ; arrêts du 16 juillet 2020, Facebook Ireland et Schrems, C‑311/18, EU:C:2020:559, point 175, et du 8 septembre 2020, Recorded Artists Actors Performers, C‑265/19, EU:C:2020:677, point 86].

53      Il convient d’ajouter que, si le principe de légalité exige que l’acte permettant l’ingérence dans les droits fondamentaux définisse lui-même la portée de la limitation de l’exercice du droit concerné, cette exigence n’exclut pas que, d’une part, la limitation en cause soit formulée dans des termes suffisamment ouverts pour pouvoir s’adapter à des cas de figure différents ainsi qu’aux changements de situations et que, d’autre part, la Cour de justice de l’Union européenne puisse, le cas échéant, préciser, par voie d’interprétation, la portée concrète de la limitation au regard tant des termes mêmes de la réglementation de l’Union en cause que de son économie générale et des objectifs qu’elle poursuit, tels qu’interprétés à la lumière des droits fondamentaux garantis par la Charte (voir arrêt du 21 juin 2022, Ligue des droits humains, C‑817/19, EU:C:2022:491, point 114 et jurisprudence citée).

54      Dans ce contexte, le principe de sécurité juridique, qui constitue un principe général du droit de l’Union, exige notamment que les règles de droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, en particulier lorsqu’elles peuvent avoir sur les individus et les entreprises des conséquences défavorables (voir arrêt du 15 septembre 2021, Ilunga Luyoyo/Conseil, T‑101/20, non publié, EU:T:2021:575, point 201 et jurisprudence citée). Un tel principe est applicable aux mesures restrictives, telles que celles en cause en l’espèce, qui affectent les droits et les libertés des personnes concernées (voir arrêt du 15 septembre 2021, Mutondo/Conseil, T‑103/20, non publié, EU:T:2021:578, point 205 et jurisprudence citée).

55      En l’espèce, contrairement à ce que soutient le requérant, le critère de l’appartenance familiale ne permet pas au Conseil de soumettre à des mesures restrictives l’ensemble des personnes portant le nom de famille Assad, qu’elles soient liées à ladite famille, étant actuellement au pouvoir en Syrie, ou non.

56      En effet, d’une part, conformément à l’article 27, paragraphe 4, et à l’article 28, paragraphe 4, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, toutes les décisions d’inscription sur les listes litigieuses sont prises sur une base individuelle et au cas par cas, en tenant compte de la proportionnalité de la mesure.

57      D’autre part, le critère de l’appartenance familiale s’inscrit dans un cadre juridique clairement délimité par les objectifs poursuivis, notamment, par la réglementation de base.

58      Ainsi, conformément à la jurisprudence citée au point 53 ci-dessus, le critère de l’appartenance familiale doit notamment être interprété au regard des objectifs des mesures restrictives adoptées en raison de la situation en Syrie. En l’occurrence, il ressort du considérant 7 de la décision 2015/1836 que le pouvoir du régime syrien se trouve essentiellement entre « les mains des membres influents des familles Assad et Makhlouf » et que le Conseil a donc prévu des mesures restrictives à l’encontre de certains membres desdites familles « tant pour influencer directement le régime par le biais de membres de ces familles afin que celui-ci modifie sa politique de répression, que pour éviter le risque de contournement des mesures restrictives par des membres de ces familles » (voir point 8 ci-dessus).

59      En l’espèce, le requérant fait valoir, en premier lieu, que le critère de l’appartenance familiale vise, d’une part, des personnes portant le nom Assad, très commun en Syrie, mais qui ne seraient pas liées à la famille Assad qui est au pouvoir dans ce pays. D’autre part, ce critère exclurait de son champ d’application les personnes qui ont perdu ce nom de famille par alliance.

60      À cet égard, il convient de relever que la portée du critère de l’appartenance familiale, bien qu’il soit formulé en des termes ouverts, est circonscrite par le considérant 7 de la décision 2015/1836 (voir point 58 ci-dessus) et dès lors ne peut cibler qu’un cercle de personnes bien identifiables, à savoir celles qui sont liées à la famille Assad actuellement au pouvoir en Syrie.

61      Il s’ensuit, d’une part, que les personnes portant le nom de famille Assad, quelle que soit sa récurrence en Syrie, ne relèvent du champ d’application du critère de l’appartenance familiale que si elles ont un lien de parenté avec la famille Assad gouvernant actuellement la Syrie.

62      D’autre part, ainsi que le fait valoir le Conseil, les personnes ayant un lien de parenté avec la famille Assad au pouvoir en Syrie peuvent voir leurs noms inscrits sur les listes litigieuses sur le fondement du critère de l’appartenance familiale, même si elles ne portent pas le nom de famille Assad.

63      En deuxième lieu, le requérant soutient que le critère de l’appartenance familiale est imprécis, dans la mesure où il vise tous les membres de la famille Assad, sans pour autant distinguer ceux qui sont influents de ceux qui ne le seraient pas.

64      À cet égard, il convient de relever que le critère de l’appartenance familiale ne prévoit pas de condition liée à l’influence des membres de la famille Assad. En revanche, cette condition figure explicitement dans le libellé de l’article 27, paragraphe 2, sous a), et de l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, et de l’article 15, paragraphe 1 bis, sous a), du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828, qui vise les « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie ».

65      Il s’ensuit que le critère de l’appartenance familiale ne vise pas seulement les membres « influents » de la famille Assad qui sont au pouvoir en Syrie. En effet, le Conseil vise, par le biais des mesures restrictives adoptées sur le fondement de ce critère, à inciter certains membres de ladite famille à faire pression sur le régime syrien pour qu’il mette un terme à la répression de la population civile et à éviter le risque de contournement des mesures restrictives par des membres de cette famille (voir point 58 ci-dessus).

66      En troisième lieu, le requérant fait valoir que le principe de responsabilité personnelle, consacré par les traditions constitutionnelles des États membres, s’oppose à toute inscription systématique qui « sanction[nerait] » une personne pour le simple fait d’appartenir à la famille Assad, dans la mesure où nul ne peut être tenu pour responsable des comportements de ses parents.

67      À cet égard, il convient de relever que, certes, il ressort de la jurisprudence que, en vertu du principe d’individualité des peines et des sanctions, une personne, physique ou morale, ne doit être sanctionnée que pour les faits qui lui sont individuellement reprochés (voir arrêt du 7 juin 2023, Skryba/Conseil, T‑581/21, non publié, EU:T:2023:321, point 27 et jurisprudence citée).

68      Toutefois, les mesures restrictives constituent des mesures préventives ciblées, qui s’inscrivent dans le cadre strict des conditions légales définies par une décision adoptée sur la base de l’article 29 TUE et par un règlement fondé sur l’article 215, paragraphe 2, TFUE mettant en œuvre cette décision dans le champ d’application du traité FUE. Elles visent notamment à lutter contre les menaces pour la paix et la sécurité internationale, conformément aux dispositions relatives à la politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Dès lors, par leur nature conservatoire ainsi que par leur finalité préventive, les mesures restrictives se distinguent des sanctions pénales ou administratives (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 2023, Skryba/Conseil, T‑581/21, non publié, EU:T:2023:321, point 28 et jurisprudence citée).

69      Plus particulièrement, ainsi qu’il ressort du point 58 ci-dessus, l’objectif poursuivi par les mesures restrictives adoptées en raison de la situation en Syrie n’est pas de sanctionner les personnes ou les entités qu’elles ciblent, mais d’exercer, par leur biais, une pression sur le régime syrien afin qu’il mette un terme à la politique de répression violente exercée contre la population civile syrienne.

70      Au demeurant, ainsi qu’il a été mentionné au point 56 ci-dessus, toute décision d’inscription sur les listes litigieuses est prise sur une base individuelle et au cas par cas en tenant compte de la proportionnalité de la mesure concernée, de sorte qu’aucune inscription systématique sur le fondement du critère de l’appartenance familiale ne peut être instaurée.

71      Partant, le requérant ne saurait se prévaloir du principe de responsabilité personnelle pour contester la légalité du critère de l’appartenance familiale.

72      Il résulte de ce qui précède que le critère de l’appartenance familiale, lu conjointement avec l’objectif consistant à faire pression sur le régime syrien afin de le contraindre à mettre fin à sa politique de répression, définit, de manière objective et suffisamment précise, une catégorie circonscrite de personnes susceptibles de faire l’objet de mesures restrictives.

73      Par conséquent, le Tribunal estime que le critère de l’appartenance familiale instaure une disposition claire et précise, laquelle répond aux exigences posées par le principe de légalité au sens de la jurisprudence citée au point 52 ci-dessus.

74      Dans ces circonstances, eu égard au fait que le critère de l’appartenance familiale satisfait au principe de légalité, il convient également de rejeter l’argumentation du requérant tirée de l’atteinte aux droits de propriété et au respect de la réputation.

75      Partant, le premier grief doit être rejeté.

–       Sur le second grief, tiré d’une violation du principe de non-discrimination

76      Dans le cadre du second grief, le requérant fait valoir que « sanctionner » un individu au seul motif de son appartenance à une famille, quel que soit le sens que recouvre ladite notion, constitue une discrimination au sens de l’article 21, paragraphe 1, de la Charte. Selon lui, l’application du critère de l’appartenance familiale aboutit à un résultat disproportionné par rapport au but poursuivi en ce que, en tant que petit-cousin du président syrien Bachar Al-Assad (ci-après le « président syrien »), il ne sera jamais en mesure de remettre en cause le bien-fondé du premier motif d’inscription.

77      Le Conseil conteste cette argumentation.

78      À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 21, paragraphe 1, de la Charte, est interdite « toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle ».

79      Selon la jurisprudence, le principe d’égalité de traitement, qui constitue un principe général du droit de l’Union, et dont le principe de non-discrimination est une expression particulière, interdit que des situations comparables soient traitées de manière différente ou que des situations différentes soient traitées de manière égale, à moins que de tels traitements ne soient objectivement justifiés (arrêts du 31 mai 2018, Kaddour/Conseil, T‑461/16, EU:T:2018:316, point 152 et jurisprudence citée, et du 23 novembre 2022, Bowden et Young/Europol, T‑72/21, non publié, EU:T:2022:720, point 151 et jurisprudence citée).

80      Une différence de traitement est justifiée dès lors qu’elle est fondée sur un critère objectif et raisonnable, c’est-à-dire lorsqu’elle est en rapport avec un but légalement admissible poursuivi par la réglementation concernée, et que cette différence est proportionnée au but poursuivi par le traitement concerné (voir arrêt du 16 juin 2021, Krajowa Izba Gospodarcza Chłodnictwa i Klimatyzacji/Commission, T‑126/19, EU:T:2021:360, point 86 et jurisprudence citée).

81      En outre, le principe de proportionnalité, qui est repris à l’article 5, paragraphe 4, TUE, exige que les moyens mis en œuvre par une disposition du droit de l’Union soient de nature à permettre que soient atteints les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation concernée et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre lesdits objectifs (voir arrêt du 16 décembre 2020, Haswani/Conseil, T‑521/19, non publié, EU:T:2020:608, point 171 et jurisprudence citée).

82      Or, en matière de mesures restrictives, ainsi qu’il ressort du point 41 ci-dessus, le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation en ce qui concerne la définition et l’adoption des critères d’inscription. Dès lors, la légalité des mesures restrictives n’est pas subordonnée à la constatation des effets immédiats de celles-ci, mais requiert uniquement qu’elles ne soient pas manifestement inappropriées au regard de l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre (voir, en ce sens, arrêt du 17 septembre 2020, Rosneft e.a./Conseil, C‑732/18 P, non publié, EU:C:2020:727, point 97).

83      En l’espèce, le requérant fait valoir que le critère de l’appartenance familiale est discriminatoire, car il autorise l’imposition de « sanctions » contre une « multitude d’individus qui n’ont rien à voir avec le président syrien », de sorte qu’il aboutit à un résultat disproportionné par rapport au but poursuivi.

84      En premier lieu, il convient de relever que, selon une jurisprudence constante, les mesures restrictives adoptées par l’Union n’entraînent pas une confiscation des avoirs des intéressés en tant que produits du crime, mais un gel à titre conservatoire, de telle sorte qu’elles ne constituent pas une sanction pénale. Elles n’impliquent, par ailleurs, aucune accusation de cette nature [voir arrêts du 21 juillet 2016, Hassan/Conseil, T‑790/14, EU:T:2016:429, point 77 (non publié) et jurisprudence citée, et du 12 décembre 2018, Makhlouf/Conseil, T‑409/16, non publié, EU:T:2018:901, point 129 et jurisprudence citée].

85      S’agissant des mesures restrictives adoptées en raison de la situation en Syrie, l’objectif poursuivi n’est pas de sanctionner le régime syrien, ni les personnes dont le nom figure sur les listes litigieuses, mais d’exercer une pression sur celui-ci afin qu’il mette un terme à la politique de répression violente exercée contre la population civile (voir point 58 ci-dessus).

86      Il s’agit donc d’un objectif qui s’inscrit dans le cadre plus général des efforts liés au maintien de la paix et de la sécurité internationales, prévus à l’article 21 TUE, qui vise les dispositions de l’action extérieure de l’Union, et est, par conséquent, légitime [voir, en ce sens, arrêt du 23 septembre 2020, Kaddour/Conseil, T‑510/18, EU:T:2020:436, point 176 (non publié)].

87      En effet, ainsi que le fait valoir le Conseil, l’adoption de mesures restrictives à l’encontre du requérant revêt un caractère adéquat, dans la mesure où elle s’inscrit dans un objectif d’intérêt général aussi fondamental pour la communauté internationale que la protection des populations civiles. Dès lors, le gel des fonds et d’autres ressources économiques ainsi que l’interdiction d’entrer sur le territoire de l’Union à l’égard des personnes identifiées comme étant impliquées dans le soutien du régime syrien ne sauraient, en tant que tels, passer pour inadéquats (voir arrêt du 16 janvier 2019, Haswani/Conseil, T‑477/17, non publié, EU:T:2019:7, point 75 et jurisprudence citée).

88      Il s’ensuit que les mesures restrictives adoptées sur le fondement du critère de l’appartenance familiale, d’une part, ne peuvent en aucun cas être assimilées à des sanctions et que, d’autre part, celles-ci poursuivent un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union.

89      En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient le requérant, le critère de l’appartenance familiale vise une catégorie précise de personnes, à savoir les personnes ayant un lien de parenté avec la famille Assad au pouvoir en Syrie, et qui sont ainsi membres de celle-ci (voir points 60, 61 et 72 ci-dessus).

90      En troisième lieu, le requérant ne précise pas en quoi ou par rapport à quelles personnes la mise en œuvre du critère de l’appartenance familiale serait discriminatoire. Il ne fournit pas non plus d’exemples concrets d’autres personnes qui se trouveraient dans une situation comparable à la sienne et qui seraient traitées de manière différente au sens de la jurisprudence citée au point 79 ci-dessus (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 30 novembre 2016, Export Development Bank of Iran/Conseil, T‑89/14, non publié, EU:T:2016:693, point 120). Dans ces circonstances, le Tribunal n’est pas en mesure de vérifier si ses allégations sont fondées en fait.

91      En quatrième lieu, doit également être rejeté l’argument du requérant selon lequel le critère de l’appartenance familiale aboutirait à un résultat disproportionné par rapport à l’objectif poursuivi par les mesures restrictives en cause, dans la mesure où, en tant que petit-cousin du président syrien, il lui serait impossible de renverser la présomption de lien avec le régime syrien.

92      En effet, il suffit de constater à cet égard que, en vertu de l’article 27, paragraphe 3, et de l’article 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, et de l’article 15, paragraphe 1 ter, du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828, les noms des personnes visées par les différents critères d’inscription, y compris, notamment, des membres de la famille Assad, ne sont pas inscrits ou maintenus sur les listes litigieuses s’il existe des informations suffisantes indiquant que ces personnes ne sont pas, ou ne sont plus, liées au régime ou qu’elles n’exercent aucune influence sur celui-ci ou qu’elles ne sont pas associées à un risque réel de contournement des mesures restrictives.

93      Dès lors, toute personne, nonobstant la qualité ou le statut en vertu duquel son nom a été inscrit sur les listes litigieuses, peut apporter des preuves visant à remettre en cause l’inscription ou le maintien de son nom sur celles-ci. Cela vaut également, en l’espèce, pour le requérant en sa qualité de petit-cousin du président syrien.

94      Au vu de l’ensemble de ces éléments, il convient de rejeter le second grief et, partant, l’exception d’illégalité dans son ensemble.

 Sur le premier moyen, tiré d’une erreur d’appréciation

95      Dans le cadre du présent moyen, qui s’articule autour de deux branches se rattachant aux deux motifs distincts d’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses, celui-ci soutient que le Conseil a commis une erreur d’appréciation en procédant à une telle inscription. Premièrement, l’application du critère de l’appartenance familiale serait inopérante à son égard, dans la mesure où il n’aurait jamais occupé de fonction officielle au sein du gouvernement ou de l’administration syrienne. Deuxièmement, c’est à tort que le Conseil aurait considéré que le requérant menait des activités liées à la production et au commerce de stupéfiants.

96      Le Conseil conteste cette argumentation.

 Observations liminaires

97      Il convient de rappeler que l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119).

98      Il incombe au juge de l’Union de procéder à cet examen en demandant, le cas échéant, à l’autorité compétente de l’Union de produire des informations ou des éléments de preuve, confidentiels ou non, pertinents aux fins d’un tel examen (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 120).

99      C’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 121).

100    À cette fin, il n’est pas requis que ladite autorité produise devant le juge de l’Union l’ensemble des informations et des éléments de preuve inhérents aux motifs allégués dans l’acte dont il est demandé l’annulation. Il importe toutefois que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité concernée (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 122).

101    Si l’autorité compétente de l’Union fournit des informations ou des éléments de preuve pertinents, le juge de l’Union doit vérifier l’exactitude matérielle des faits allégués au regard de ces informations ou éléments et apprécier la force probante de ces derniers en fonction des circonstances de l’espèce et à la lumière des éventuelles observations présentées, notamment, par la personne ou l’entité concernée à leur sujet (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 124).

102    L’appréciation du bien-fondé d’une inscription doit être effectuée en examinant les éléments de preuve non pas de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent (voir arrêt du 16 mars 2022, Sabra/Conseil, T‑249/20, EU:T:2022:140, point 41 et jurisprudence citée).

103    En effet, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre la personne sujette à une mesure de gel de ses fonds et le régime combattu (voir arrêt du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑630/13 P, EU:C:2015:247, points 51 et 53 et jurisprudence citée).

104    Enfin, dans le cadre de l’appréciation de la gravité de l’enjeu, qui fait partie du contrôle de la proportionnalité des mesures restrictives en cause, il peut être tenu compte du contexte dans lequel s’inscrivent ces mesures, du fait qu’il était urgent d’adopter de telles mesures ayant pour objet de faire pression sur le régime syrien afin qu’il arrête la répression violente dirigée contre la population et de la difficulté d’obtenir des preuves plus précises dans un État en situation de guerre civile doté d’un régime de nature autoritaire (voir arrêt du 16 mars 2022, Sabra/Conseil, T‑249/20, EU:T:2022:140, point 42 et jurisprudence citée).

105    Ainsi, la jurisprudence a déjà reconnu que, en l’absence de pouvoirs d’enquête dans des pays tiers, l’appréciation des autorités de l’Union doit, de fait, se fonder sur des sources d’information accessibles au public, des rapports, des articles de presse ou d’autres sources d’information similaires (voir arrêt du 16 décembre 2020, Haswani/Conseil, T‑521/19, non publié, EU:T:2020:608, point 142 et jurisprudence citée).

106    C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner le premier moyen.

 Sur le bien-fondé de l’inscription du requérant sur les listes litigieuses

107    Le nom du requérant a été inscrit sur les listes litigieuses aux motifs suivants (voir point 14 ci-dessus), à savoir :

« […] membre de la famille Assad. Il mène des activités dans le cadre du commerce de stupéfiants, en particulier pour ce qui a trait à la production. Le commerce de captagon est devenu un modèle économique dirigé par le régime, enrichissant le cercle interne du régime et lui permettant d’assurer sa survie. Il tire donc avantage du régime et le soutient. »

108    En l’espèce, pour justifier l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses, le Conseil a produit les dossiers de preuves visés au point 16 ci-dessus, comportant plusieurs documents. Il s’agit d’éléments d’information publiquement accessibles, à savoir des liens qui renvoient vers des articles de presse, des rapports ainsi que des publications sur des réseaux sociaux.

109    Ces éléments de preuves identifient le requérant comme étant un cousin paternel ou un oncle du président syrien, impliqué dans des activités liées à la production et au commerce de stupéfiants, en particulier pour ce qui a trait à la production de captagon.

110    À cet égard, il convient de relever d’emblée que le requérant ne conteste nullement son lien de parenté avec le président syrien et, partant, son appartenance à la famille Assad. En effet, dans ses écritures, le requérant admet explicitement être un petit-cousin du président syrien.

111    Le requérant remet cependant en cause le bien-fondé du premier motif de son inscription sur les listes litigieuses, en soutenant qu’il n’a jamais occupé de fonction officielle au sein du gouvernement ou de l’administration syrienne.

112    À cet égard, il convient de rappeler tout d’abord que le critère général d’association avec le régime syrien énoncé à l’article 27, paragraphe 1, et à l’article 28, paragraphe 1, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, correspondant, en ce qui concerne le gel des fonds, à l’article 15, paragraphe 1, sous a), du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828, permet d’inscrire sur les listes litigieuses une personne ou une entité bénéficiant des politiques menées par le régime syrien ou soutenant celui-ci ainsi que les personnes qui lui sont liées.

113    Ensuite, par les actes de 2015, des critères d’inscription spécifiques sont venus compléter le critère général d’association avec le régime syrien. Ils figurent désormais à l’article 27, paragraphe 2, et à l’article 28, paragraphe 2, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, et à l’article 15, paragraphe 1 bis, sous b), du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828. Selon la jurisprudence, ces dispositions instaurent à l’égard de sept catégories de personnes qui appartiennent à des groupes déterminés une présomption réfragable de lien avec le régime syrien. Parmi ces catégories figurent, notamment, les « membres des familles Assad ou Makhlouf » (voir, en ce sens, arrêt du 1er octobre 2020, Makhlouf/Conseil, C‑157/19 P, non publié, EU:C:2020:777, point 98).

114    Enfin, il a été jugé que les critères d’inscription spécifiques à l’égard des sept catégories de personnes visées au point 113 ci-dessus sont autonomes par rapport au critère général d’association avec le régime syrien, de sorte que le simple fait d’appartenir à l’une de ces sept catégories de personnes suffit pour permettre de prendre les mesures restrictives prévues par les dispositions susmentionnées, sans qu’il soit nécessaire de rapporter la preuve du soutien que les personnes concernées apporteraient au régime syrien en place ou du bénéfice qu’elles en tireraient (voir, en ce sens, arrêt du 1er octobre 2020, Makhlouf/Conseil, C‑157/19 P, non publié, EU:C:2020:777, point 83).

115    Il convient d’en déduire que le critère de l’appartenance familiale, introduit par les actes de 2015, constitue un critère objectif, autonome et suffisant pour justifier l’adoption de mesures restrictives à l’encontre des « membres de [la] famille […] Assad » permettant de les inscrire sur les listes litigieuses au seul motif que ces derniers appartiennent à ladite famille.

116    Il n’en demeure pas moins que, ainsi qu’il a été rappelé au point 92 ci-dessus, l’article 27, paragraphe 3, et l’article 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, et l’article 15, paragraphe 1 ter, du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828, disposent, en substance, que les personnes visées par les dispositions érigeant les critères d’inscription ne sont pas inscrites sur les listes litigieuses s’il existe des informations suffisantes indiquant qu’elles ne sont pas, ou ne sont plus, associées au régime syrien, qu’elles n’exercent aucune influence sur celui-ci ou qu’elles ne sont pas liées à un risque réel de contournement des mesures restrictives.

117    Ainsi, au vu des considérations figurant aux points 108 à 110 ci-dessus, le Conseil pouvait, en se fondant sur les éléments figurant dans les dossiers de preuves, inscrire le nom du requérant sur les listes litigieuses sur le seul fondement de la présomption réfragable d’un lien avec le régime syrien découlant du critère de l’appartenance familiale.

118    Il incombait par la suite au requérant, dans le cadre d’une contestation des actes attaqués, d’apporter des preuves afin de renverser ladite présomption.

119    À cet égard, la jurisprudence a retenu, ainsi qu’il a été rappelé au point 99 ci-dessus, que, dans la mesure où la charge de la preuve quant au bien-fondé des motifs soutenant les mesures restrictives incombe, en principe, au Conseil, il ne saurait être imposé à une partie requérante un niveau de preuve excessif aux fins de renverser la présomption de lien avec le régime syrien (voir, en ce sens, arrêt du 16 mars 2022, Sabra/Conseil, T‑249/20, EU:T:2022:140, points 132 et 133 et jurisprudence citée).

120    Ainsi, une partie requérante doit être considérée comme ayant réussi à renverser la présomption de lien avec ce régime, si elle fait valoir des arguments ou des éléments susceptibles de remettre sérieusement en cause la fiabilité des éléments de preuve soumis par le Conseil ou leur appréciation, ou si elle produit devant le juge de l’Union un faisceau d’indices concrets, précis et concordants de l’inexistence ou la disparition du lien avec le régime syrien, ou de l’absence d’influence sur ledit régime, ou de l’absence d’association avec un risque réel de contournement des mesures restrictives, conformément à l’article 27, paragraphe 3, et à l’article 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, et à l’article 15, paragraphe 1 ter, du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828 (voir arrêt du 16 mars 2022, Sabra/Conseil, T‑249/20, EU:T:2022:140, point 133 et jurisprudence citée).

121    En l’espèce, le requérant se borne à faire valoir, sans preuves à l’appui, qu’il n’a jamais fait de politique et qu’il se tient à l’écart du monde politique.

122    Or, il convient de relever que cette affirmation, même à la supposer avérée, n’est pas de nature à exclure l’existence de liens avec le régime syrien. En effet, d’une part, selon le considérant 7 de la décision 2015/1836, le pouvoir en Syrie s’exerce traditionnellement sur une base familiale et, d’autre part, le pouvoir du régime syrien actuel est essentiellement entre les mains, notamment, de la famille Assad (voir point 8 ci‑dessus).

123    Ainsi, en raison de la tradition de gestion familiale du pouvoir en Syrie, le seul fait que le requérant n’a jamais occupé de fonction officielle au sein du gouvernement ou de l’administration ne constitue pas, en soi, une circonstance suffisante permettant d’affirmer ne pas être lié au régime syrien.

124    En outre, ainsi qu’il a été indiqué au point 65 ci-dessus, le critère de l’appartenance familiale ne vise pas seulement les membres influents de la famille Assad ou ceux qui sont impliqués dans la vie politique syrienne. En effet, l’objectif des mesures restrictives en cause est, ainsi qu’il ressort du considérant 7 de la décision 2015/1836, d’« influencer directement le régime par le biais de membres [des familles Assad et Makhlouf] afin que celui-ci modifie sa politique de répression » et d’« éviter le risque de contournement des mesures restrictives par des membres de ces familles ».

125    Il s’ensuit que le seul argument du requérant avancé pour renverser la présomption de lien avec le régime syrien, par ailleurs aucunement étayé, ne permet pas de conclure, en l’espèce, à l’inexistence ou à la disparition du lien avec ce régime au sens de la jurisprudence citée au point 120 ci-dessus.

126    Compte tenu de ce qui précède, il convient de considérer que le requérant n’a pas valablement renversé la présomption de lien avec le régime syrien, de sorte que, au regard du critère de l’appartenance familiale, l’inscription de son nom sur les listes litigieuses est fondée.

127    Dès lors, la première branche du premier moyen doit être rejetée comme non fondée.

128    Selon la jurisprudence, eu égard à la nature préventive des mesures restrictives en cause, si, dans le cadre de son contrôle de la légalité de la décision attaquée, le juge de l’Union considère que, à tout le moins, l’un des motifs d’inscription est suffisamment précis et concret, qu’il est étayé et qu’il constitue en soi un fondement suffisant pour soutenir cette décision, la circonstance que d’autres de ces motifs ne le seraient pas ne saurait justifier l’annulation de ladite décision (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 130).

129    Par conséquent, il convient de rejeter le premier moyen dans son ensemble, sans qu’il soit besoin d’examiner le bien-fondé des arguments du requérant dirigés contre le second motif d’inscription, puisque la circonstance que celui-ci ne serait pas étayé ne saurait emporter l’annulation des actes attaqués.

 Sur le quatrième moyen, tiré de la violation du droit de propriété

130    Le requérant fait valoir que les actes attaqués portent une atteinte disproportionnée à son droit de propriété tel qu’il est garanti par l’article 17 de la Charte, en ce qu’ils gèlent l’ensemble de ses fonds et de ses ressources économiques.

131    Or, selon le requérant, toute limitation au droit de propriété doit être prévue par la loi et poursuivre un objectif d’intérêt général. En l’absence d’un intérêt général licite, le gel de ses fonds et de ses ressources serait contraire à l’article 17 de la Charte.

132    Le Conseil conteste cette argumentation.

133    À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 17, paragraphe 1, de la Charte, il est prévu ce qui suit :

« Toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte. L’usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l’intérêt général. »

134    En l’espèce, par les actes attaqués, le Conseil a procédé à un gel des fonds et des ressources économiques du requérant, mesure qui comporte incontestablement une restriction à l’usage du droit de propriété visé à l’article 17, paragraphe 1, de la Charte (voir, en ce sens, arrêts du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, C‑402/05 P et C‑415/05 P, EU:C:2008:461, point 358, et du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 99 et jurisprudence citée).

135    Toutefois, ainsi qu’il a été rappelé au point 49 ci-dessus, le droit de propriété, tel que protégé par l’article 17, paragraphe 1, de la Charte, ne constitue pas une prérogative absolue et peut, en conséquence, faire l’objet de limitations, dans les conditions énoncées à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte [voir, en ce sens, arrêts du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 195, et du 22 septembre 2021, Al-Imam/Conseil, T‑203/20, EU:T:2021:605, point 254 (non publié) et jurisprudence citée].

136    À titre liminaire, il convient de relever que, ainsi qu’il ressort du point 131 ci-dessus, le requérant limite son argumentation aux seules première et troisième conditions consacrées par l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, à savoir le principe de légalité et la poursuite d’un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union (voir point 50 ci-dessus).

137    S’agissant, tout d’abord, du principe de légalité, qui a déjà fait l’objet d’une analyse dans le cadre de l’exception d’illégalité examinée aux points 49 à 75 ci-dessus, il suffit de rappeler que, selon la jurisprudence, les mesures restrictives sont prévues par la loi dans la mesure où elles se trouvent énoncées dans des actes de base ayant une portée générale et disposant d’une base juridique claire en droit de l’Union, ainsi que du fait qu’elles sont formulées dans des termes suffisamment précis en ce qui concerne tant leur portée que les raisons justifiant leur application à la partie requérante (voir arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 176 et jurisprudence citée).

138    Or, premièrement, les actes attaqués sont prévus par la loi dans la mesure où ils ont été adoptés, notamment, sur la base des dispositions érigeant le critère de l’appartenance familiale visées au point 11 ci-dessus, figurant dans la réglementation de base. Ces derniers ont été adoptés sur le fondement des dispositions relatives à la PESC, notamment, l’article 29 TUE et l’article 215 TFUE.

139    Deuxièmement, ainsi qu’il ressort du point 72 ci-dessus, le critère de l’appartenance familiale définit de manière objective et suffisamment précise une catégorie circonscrite de personnes susceptibles de faire l’objet de mesures restrictives.

140    Dès lors, la première condition prévue à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte justifiant une limitation à un droit fondamental est remplie.

141    Ensuite, l’argument du requérant selon lequel les actes attaqués ne poursuivent pas un objectif d’intérêt général légitime, dès lors que les mesures restrictives en cause viseraient à « modifier, à terme, le régime existant en Syrie » doit être rejeté.

142    À cet égard, il convient de relever que, pour être légitime, la limitation d’un droit protégé par la Charte doit poursuivre un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union. Au nombre de ces objectifs figure celui, fondamental pour la communauté internationale, de la protection des populations civiles contre une répression violente et de maintien de la paix et de la sécurité internationale [voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 2021, Al-Imam/Conseil, T‑203/20, EU:T:2021:605, point 258 (non publié) et jurisprudence citée].

143    Ainsi qu’il ressort des points 84 à 88 ci-dessus et contrairement à ce que soutient le requérant, l’objectif poursuivi par les mesures restrictives en cause n’est aucunement de sanctionner, voire de modifier ou de remplacer le régime syrien, mais d’exercer une pression sur celui-ci afin qu’il mette un terme à la politique de répression violente exercée contre la population civile.

144    Il s’ensuit que, dans la mesure où les actes attaqués ont pour objectif la protection des populations civiles contre la répression violente ainsi que le maintien de la paix et de la sécurité internationale, qui sont des objectifs d’intérêt général reconnus comme tels par l’Union, la troisième condition requise par l’article 52, paragraphe 1, de la Charte est remplie en l’espèce.

145    Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le quatrième moyen, tiré de la violation du droit de propriété et, par conséquent, le recours dans son ensemble, sans qu’il soit besoin d’examiner le bien-fondé des autres moyens se rattachant au second motif d’inscription.

 Sur les dépens

146    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Samer Kamal Al-Assad est condamné aux dépens.

Truchot

Kanninen

Frendo

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 4 septembre 2024.

Le greffier

 

Le président

V. Di Bucci

 

S. Papasavvas


*      Langue de procédure : le français.


1      Le présent arrêt fait l’objet d’une publication par extraits.