Language of document : ECLI:EU:C:2022:331

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN RICHARD DE LA TOUR

présentées le 28 avril 2022 (1)

Affaire C604/20

ROI Land Investments Ltd.

contre

FD

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions – Règlement (UE) no 1215/2012 – Articles 17 et 21 – Règlement (CE) no 593/2008 – Loi applicable – Article 6 – Contrat individuel de travail conclu entre un employeur et un salarié – Accord de garantie conclu entre ce salarié et une société tierce assurant l’exécution des obligations incombant à cet employeur envers ledit salarié – Action fondée sur cet accord de garantie – Action en matière de contrat de travail – Notion d’“employeur” – Notion d’“activité professionnelle” – Notion de “consommateur” – Conditions d’application des règles de compétence nationales »






I.      Introduction

1.        La demande de décision préjudicielle du Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail, Allemagne) porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, de l’article 17, paragraphe 1, de l’article 21, paragraphe 1, sous b), i), ainsi que de l’article 21, paragraphe 2, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (2) ainsi que de l’article 6, paragraphe 1, du règlement (CE) no 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) (3).

2.        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant FD, domicilié et travaillant en Allemagne, à la société ROI Land Investments Ltd, établie au Canada, au sujet du refus de cette dernière de payer, au titre d’un accord de garantie conclu entre ces deux parties lors du transfert du contrat de travail de FD à une filiale, la société R Swiss AG, les créances salariales de celui-ci à l’égard de cette société en faillite.

3.        Le caractère inédit de ces circonstances, par comparaison avec celles qui ont servi de base à la jurisprudence de la Cour relative à la compétence des juridictions dans des litiges transfrontaliers en matière de contrats de travail, a conduit la juridiction de renvoi à s’interroger, en substance, au regard des règles de compétence protectrices des travailleurs et des consommateurs, sur l’interprétation de la notion d’« employeur » en matière de contrat individuel de travail et de la notion d’« activité professionnelle » en matière de contrat conclu par un consommateur, dont l’une de ces notions pourrait fonder la compétence d’une juridiction allemande.

4.        Dans ce qui suit, j’exposerai donc les raisons qui me conduisent à considérer, pour l’essentiel :

–        qu’une société qui a conclu avec un travailleur, en raison d’un intérêt direct à la bonne exécution du contrat de travail de celui-ci avec une autre société du même groupe, un accord qui fait partie intégrante de ce contrat, en vertu duquel elle garantit notamment la rémunération de ce travailleur, est également un « employeur » au sens de la section 5 du chapitre II du règlement no 1215/2012 ;

–        que les règles de compétence du droit national ne sont pas applicables lorsque les conditions d’application de l’article 21, paragraphe 2, de ce règlement sont réunies, et

–        que, dans l’hypothèse où le litige ne relèverait pas du champ d’application de cette section, un travailleur, dans la situation de celle du salarié en l’espèce, n’est pas un consommateur au sens du règlement Rome I et du règlement no 1215/2012.

II.    Le cadre juridique

A.      Le règlement no 1215/2012

5.        Dans le cadre des présentes conclusions, je ferai référence aux considérants 14, 15 et 18 du règlement no 1215/2012.

6.        L’article 6, paragraphe 1, de ce règlement prévoit :

« Si le défendeur n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État membre, sous réserve de l’application de l’article 18, paragraphe 1, de l’article 21, paragraphe 2, et des articles 24 et 25. »

7.        L’article 17, paragraphe 1, dudit règlement, qui se trouve dans la section 4 du chapitre II de celui-ci, relative à la « Compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs », dispose :

« En matière de contrat conclu par une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice de l’article 6 [...] :

[...]

c)      lorsque [...] le contrat a été conclu avec une personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l’État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet État membre ou vers plusieurs États, dont cet État membre, et que le contrat entre dans le cadre de ces activités. »

8.        L’article 18 du même règlement, qui se trouve également dans cette section, énonce, à son paragraphe 1 :

« L’action intentée par un consommateur contre l’autre partie au contrat peut être portée soit devant les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est domiciliée cette partie, soit, quel que soit le domicile de l’autre partie, devant la juridiction du lieu où le consommateur est domicilié. »

9.        La section 5 du chapitre II du règlement no 1215/2012, relative à la « Compétence en matière de contrats individuels de travail », comprend, notamment, les articles 20 et 21. L’article 20, paragraphe 1, dispose :

« En matière de contrats individuels de travail, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice de l’article 6 [...] »

10.      L’article 21 de ce règlement énonce :

« 1.      Un employeur domicilié sur le territoire d’un État membre peut être attrait :

[...]

b)      dans un autre État membre :

i)      devant la juridiction du lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant la juridiction du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail ; ou

[...]

2.      Un employeur qui n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre peut être attrait devant les juridictions d’un État membre conformément au paragraphe 1, point b). »

B.      Le règlement Rome I

11.      Dans le cadre des présentes conclusions, je ferai référence au considérant 7 du règlement Rome I.

12.      Le règlement Rome I contient un article 6, relatif aux « Contrats de consommation », qui dispose à son paragraphe 1 :

« Sans préjudice des articles 5 et 7, un contrat conclu par une personne physique (ci-après le “consommateur”), pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, avec une autre personne (ci-après le “professionnel”), agissant dans l’exercice de son activité professionnelle, est régi par la loi du pays où le consommateur a sa résidence habituelle, à condition que le professionnel :

a)      exerce son activité professionnelle dans le pays dans lequel le consommateur a sa résidence habituelle, ou

b)      par tout moyen, dirige cette activité vers ce pays ou vers plusieurs pays, dont celui-ci,

et que le contrat rentre dans le cadre de cette activité. »

III. Les faits du litige au principal et les questions préjudicielles

13.      ROI Land Investments est une société immobilière domiciliée au Canada. FD, résidant en Allemagne, a travaillé à partir du mois de septembre 2015 pour ROI Land Investments en tant que « deputy vice president investors relations » (vice-président délégué des relations avec les investisseurs) sur la base d’un « service agreement » (contrat de louage de services).

14.      En raison d’une incertitude existant quant à la nature de leurs relations contractuelles, ces deux parties ont décidé de « transférer » leur relation contractuelle à une nouvelle société suisse qui devait être créée pour la distribution en Europe (4). Elles sont convenues, au cours du mois de novembre 2015, de résilier ce contrat de louage de services avec effet rétroactif. Dans une lettre accompagnant cet accord, il est indiqué que FD l’a signé à la condition qu’un accord équivalent soit conclu au sujet d’un contrat portant sur la direction de la société suisse à créer.

15.      Le 15 janvier 2016, les actions de R Swiss créée la veille, conformément au droit suisse, ont été cédées au président de ROI Land Investments et futur président du conseil d’administration de R Swiss. En avril 2016, celui-ci les a transférées à R D Canada Inc., une filiale à 100 % de ROI Land Investments.

16.      Le 12 février 2016, FD a conclu un contrat de travail écrit avec R Swiss concernant son activité de directeur et fixant le montant de sa prime d’entrée ainsi que de sa rémunération. Le même jour, FD et ROI Land Investments ont signé un document intitulé « patron agreement », qui est, selon la dénomination retenue par les parties, une expression équivalente à celle d’« accord de garantie » (ci-après l’« accord de garantie »), dont le contenu est le suivant :

« Article 1er

La société R (5) a créé pour la distribution en Europe une filiale, la société R Swiss AG. Le directeur est le cadre dirigeant de cette entreprise. Conformément à cette prémisse, la société R déclare ce qui suit :

Article 2

La société R a la responsabilité pleine et entière de l’exécution des obligations en ce qui concerne les contrats de la société R Swiss AG sur la base de la collaboration de son directeur avec la société R Swiss AG. »

17.      Cet accord de garantie ne contient pas de clause d’élection de for ni de clause de choix de la loi applicable. Le lieu habituel du travail de FD pour R Swiss était à Stuttgart (Allemagne).

18.      Le 11 juillet 2016, R Swiss a licencié FD. Par jugement du 2 novembre 2016, l’Arbeitsgericht Stuttgart (tribunal du travail de Stuttgart, Allemagne), saisi par FD, a constaté de manière définitive la nullité de ce licenciement. Il a, en outre, condamné R Swiss à verser à FD, comme convenu dans le contrat de travail, 255 000 dollars des États-Unis (USD) (environ 230 000 euros) de prime d’embauche et 212 500 USD (environ 192 000 euros) au titre de la rémunération pour les mois d’avril à août 2016. R Swiss n’a pas payé ces sommes à FD. Au début du mois de mars 2017, une procédure de faillite de R Swiss a été ouverte conformément au droit suisse. En mai 2017, cette procédure a été suspendue du fait de l’absence d’actifs (6).

19.      FD a alors assigné ROI Land Investments au titre de l’accord de garantie, aux fins de paiement de l’ensemble de ses créances salariales à l’égard de R Swiss, devant l’Arbeitsgericht Stuttgart (tribunal du travail de Stuttgart) qu’il estime compétent – à tout le moins – en application des règles de compétence du règlement no 1215/2012 en matière de contrats de consommation.

20.      Le jugement de l’Arbeitsgericht Stuttgart (tribunal du travail de Stuttgart) déclinant sa compétence internationale a été réformé par le Landesarbeitsgericht (tribunal supérieur du travail) qui s’est fondé sur la qualité de consommateur de FD.

21.      Dans le cadre du recours en « Revision » de ROI Land Investments devant le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail), celui-ci se demande si les juridictions allemandes sont internationalement compétentes pour connaître de l’action de FD, conformément au règlement no 1215/2012, en vertu des règles particulières de compétence en matière soit de contrats de travail, soit de contrats conclus par les consommateurs et, dans cette dernière hypothèse, si FD doit être considéré comme un « consommateur » au sens du règlement Rome I, afin de déterminer si le droit matériel allemand est applicable à l’accord de garantie.

22.      À cet égard, la juridiction de renvoi indique, d’abord, que cet accord de garantie, en tant que promesse unilatérale, est comparable, selon le droit allemand, à une caution et qu’il est constant, indépendamment du droit applicable, que la responsabilité de ROI Land Investments pour l’exécution des obligations de R Swiss n’est pas limitée à la défaillance de celle-ci.

23.      Ensuite, cette juridiction relève que, par l’effet de cette garantie, ROI Land Investments n’est pas subrogée dans la position juridique de R Swiss en tant qu’employeur et que le droit de donner des instructions à FD pour son activité était exercé par le directeur exécutif de R Swiss.

24.      Enfin, ladite juridiction souligne la particularité du litige, à savoir que, sans l’accord de garantie, aucun contrat de travail n’aurait été conclu entre FD et R Swiss et que les fonctions précédemment exercées par FD au sein de ROI Land Investments, société mère, n’ont pas changé après son transfert dans sa filiale, R Swiss, créée pour son activité de distribution en Europe.

25.      En outre, la même juridiction souhaite que soit clarifiée la relation entre les dispositions du règlement no 1215/2012 et le droit national en raison de la réserve formulée à l’article 6, paragraphe 1, de ce règlement concernant l’application de l’article 21, paragraphe 2, du même règlement.

26.      Par ailleurs, s’agissant de l’interprétation de l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012, applicable en matière de contrats conclus par les consommateurs, le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail) cherche à savoir si l’accord de garantie peut être qualifié de contrat conclu par le requérant aux fins de son activité professionnelle en tant que salarié. Plus précisément, la juridiction de renvoi se demande si la notion d’« activité professionnelle » recouvre seulement les activités indépendantes.

27.      C’est dans ces conditions que le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Les dispositions combinées de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 21, paragraphe 1, sous b), i), et paragraphe 2, du [règlement no 1215/2012] doivent-elles être interprétées en ce sens qu’un travailleur peut poursuivre une personne morale qui n’est pas son employeur et qui n’est pas domiciliée au sens de l’article 63, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012, sur le territoire d’un État membre, mais qui, en vertu d’un accord de garantie, est directement responsable vis-à-vis du travailleur en ce qui concerne les droits découlant d’un contrat individuel de travail conclu avec un tiers, devant la juridiction du lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement ou a accompli dernièrement son travail dans le cadre de la relation de travail avec le tiers si en l’absence d’accord de garantie le contrat de travail avec le tiers n’aurait pas été conclu ?

2)      L’article 6, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 doit-il être interprété en ce sens que la réserve relative à l’article 21, paragraphe 2, du règlement no 1215/2012 exclut l’application d’une règle de compétence au titre du droit national de l’État membre qui permet au travailleur de poursuivre une personne morale qui est directement responsable à son égard dans les circonstances décrites dans la première question en ce qui concerne des droits découlant d’un contrat individuel de travail avec un tiers, et ce en tant que “successeur en droit” de l’employeur, devant la juridiction compétente du lieu d’accomplissement habituel du travail, lorsqu’une telle compétence n’existe pas en vertu de l’article 21, paragraphe 2 et paragraphe 1, sous b), i), du règlement no 1215/2012 ?

3)      En cas de réponse négative à la première question et de réponse positive à la deuxième question :

a)      L’article 17, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 doit-il être interprété en ce sens que la notion d’“activité professionnelle” recouvre l’activité salariée dans le cadre d’une relation de travail ?

b)      En cas de réponse positive, l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 doit-il être interprété en ce sens qu’un accord de garantie sur la base duquel une personne morale est directement responsable en ce qui concerne les droits d’un travailleur découlant d’un contrat individuel de travail conclu avec un tiers, constitue un contrat conclu à une fin qui peut être imputée à son activité professionnelle ?

4)      Si, en conséquence des réponses aux questions qui précèdent, la juridiction de renvoi devait être internationalement compétente pour trancher le litige :

a)      L’article 6, paragraphe 1, du [règlement Rome I] doit-il être interprété en ce sens que la notion d’“activité professionnelle” recouvre l’activité salariée dans le cadre d’une relation de travail ?

b)      En cas de réponse positive, l’article 6, paragraphe 1, du règlement Rome I doit-il être interprété en ce sens qu’un accord de garantie, sur la base duquel une personne morale est directement responsable vis-à-vis d’un travailleur en ce qui concerne les droits découlant d’un contrat individuel de travail conclu avec un tiers, constitue un contrat que le travailleur a conclu à une fin qui peut être imputée à son activité professionnelle ? »

28.      Des observations écrites ont été soumises à la Cour par FD ainsi que par la Commission européenne.

IV.    Analyse

29.      Le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail) a adressé à la Cour une demande de décision préjudicielle dans le cadre d’une action engagée par FD contre ROI Land Investments, une société qui n’est pas domiciliée sur le territoire d’un État membre. La compétence des juridictions allemandes ne serait pas réglée par le droit national si l’une des conditions prévues à l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 est remplie. Dès lors que FD a fondé son action sur un accord garantissant le paiement de ses créances salariales conclu dans le cadre d’une relation de travail et que la précédente juridiction saisie s’est estimée compétente, en considérant que FD avait la qualité de consommateur, les doutes exprimés par la juridiction de renvoi sont centrés, à juste titre, sur le champ d’application des dispositions de l’article 18, paragraphe 1, et de l’article 21, paragraphe 2, de ce règlement, auxquelles renvoie cet article 6.

30.      Ainsi, dans la présente affaire, cette juridiction souhaite principalement savoir si les tribunaux allemands peuvent être compétents au titre des dispositions protectrices du chapitre II, section 5, du règlement no 1215/2012, relatives aux contrats individuels de travail, ou de la section 4 de ce chapitre, portant sur les contrats conclus par les consommateurs. Dans l’hypothèse où l’une des dispositions de cette section serait applicable, ladite juridiction se demande quelle est la portée de la notion de « consommateur » dans le cadre du règlement Rome I, afin de déterminer si le droit matériel allemand est applicable à l’accord de garantie.

31.      Ces interrogations, qui portent sur deux règlements, l’un sur la compétence juridictionnelle et l’autre sur la loi applicable aux obligations contractuelles, justifient d’exposer plusieurs règles générales rappelées, pour certaines d’entre elles, dans la jurisprudence de la Cour.

32.      Premièrement, dans la mesure où le règlement no 1215/2012 a abrogé et remplacé le règlement (CE) no 44/2001 (7), l’interprétation fournie par la Cour en ce qui concerne les dispositions de ce dernier règlement vaut également pour le règlement no 1215/2012, lorsque les dispositions de ces deux instruments de droit de l’Union européenne peuvent être qualifiées d’équivalentes (8).

33.      Il en est de même s’agissant des règles de compétence en matière de contrat de travail qui, bien qu’elles n’ont pas pour source des dispositions de la convention de Bruxelles de 1968 dans sa version d’origine (9), ont été introduites en 1989, puis reprises (10) et complétées pour constituer une section particulière des règlements remplaçant la convention de Bruxelles de 1968. Cependant, c’est le règlement no 1215/2012 qui a introduit l’internationalisation des règles de compétence tant pour les contrats de consommation que pour les contrats de travail. La présente demande de décision préjudicielle s’inscrit donc dans ce cadre qui a étendu l’application des règles de compétence de l’article 18, paragraphe 1, et de l’article 21, paragraphe 1, sous b), de ce règlement à un défendeur domicilié dans un État tiers (11).

34.      De plus, les dispositions de la convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée à Lugano le 30 octobre 2007 (12), qui sont, en substance, identiques à celles du règlement no 1215/2012, du règlement no 44/2001 ainsi que de la convention de Bruxelles de 1968 sont interprétées en cohérence avec les dispositions de ces derniers (13).

35.      Enfin, ainsi qu’il est précisé dans le considérant 7 du règlement Rome I, le champ d’application matériel et les dispositions de celui-ci devraient être cohérents par rapport au règlement no 44/2001 et, dans la mesure où ce dernier a été abrogé et remplacé par le règlement no 1215/2012, cet objectif de cohérence vaut également pour celui-ci (14).

36.      Deuxièmement, la détermination de la signification et de la portée des termes pour lesquels le droit de l’Union ne fournit aucune définition doit être établie conformément au sens habituel de ceux-ci dans le langage courant, tout en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utilisés et des objectifs poursuivis par la réglementation dont ils font partie (15). En cas de disparité entre les diverses versions linguistiques d’un texte du droit de l’Union, la disposition en cause doit être interprétée en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément (16).

37.      Troisièmement, les règles de compétence applicables en l’occurrence, celles désormais énoncées au chapitre II, sections 4 et 5, du règlement no 1215/2012, constituent des dérogations à la règle de compétence générale des juridictions de l’État membre dans lequel est domicilié le défendeur, énoncée à l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement. Elles sont, par conséquent, d’une interprétation stricte qui ne peut pas aller au-delà des hypothèses envisagées de manière explicite par ledit règlement (17), sous réserve du caractère impératif de plusieurs objectifs fixés par le législateur (18).

38.      Cela étant posé, j’en viens à un examen détaillé des conditions d’application de l’article 17, paragraphe 1, ainsi que de l’article 21, paragraphe 1, sous b), i), du règlement no 1215/2012, dans l’ordre des questions posées par la juridiction de renvoi au regard des circonstances particulières de l’affaire au principal.

A.      Sur la compétence en matière de contrats individuels de travail

39.      Par sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 21, paragraphe 1, sous b), i), et paragraphe 2, du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu’un travailleur peut attraire devant la juridiction du dernier lieu à partir duquel il a accompli habituellement son travail une personne qui n’est pas domiciliée sur le territoire d’un État membre, avec laquelle il n’est pas lié par un contrat de travail, mais qui est, en vertu d’un accord de garantie dont dépendait la conclusion de ce contrat, directement responsable de l’exécution des obligations de l’employeur envers ce travailleur.

40.      L’article 21, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1215/2012 est la disposition à laquelle renvoie l’article 21, paragraphe 2, de ce règlement, qui est applicable, conformément à l’article 6, paragraphe 1, dudit règlement, lorsque l’employeur n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre. Il s’agit donc d’une disposition particulière du chapitre II, section 5, du même règlement, qui fixe les règles de compétence des juridictions saisies de litiges « en matière de contrats individuels de travail », lorsque l’employeur est attrait par le travailleur.

41.      La notion d’« employeur » au sens du règlement no 1215/2012 n’a pas encore été définie par la Cour (19). Seules les caractéristiques de la relation du travailleur avec celui-ci ont été fixées par sa jurisprudence.

42.      Il en ressort que la notion de « contrat individuel de travail », visée à l’article 20 du règlement no 1215/2012, doit recevoir une interprétation autonome afin de garantir l’application uniforme des règles de compétence établies par ce règlement dans tous les États membres (20).

43.      La Cour retient que la notion de « contrat individuel de travail » suppose un lien de subordination du travailleur à l’égard de l’employeur (21), la caractéristique essentielle de la relation de travail étant la circonstance qu’une personne est obligée d’accomplir, pendant un certain temps, en faveur d’une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle perçoit une rémunération (22).

44.      S’agissant de l’existence d’un tel lien de subordination, la Cour a précisé qu’elle doit être appréciée dans chaque cas particulier, en fonction de tous les éléments et de toutes les circonstances caractérisant les relations entre les parties, afin de déterminer si, au-delà des liens formels et contractuels, la situation réelle justifierait de qualifier d’« employeur » la partie assignée par le travailleur (23).

45.      Ces exigences servent donc en général à délimiter l’activité indépendante et la qualité de travailleur (24). Elles n’ont pas été retenues pour fixer les limites de la notion d’« employeur » (25).

46.      La Cour a également jugé que les contrats de travail présentent certaines particularités en ce qu’ils créent un lien durable qui insère le travailleur dans le cadre d’une certaine organisation des affaires de l’entreprise ou de l’employeur, et en ce qu’ils se localisent au lieu de l’exercice des activités, lequel détermine l’application de dispositions de droit impératif et des conventions collectives (26).

47.      Dans l’affaire au principal, il est constant, selon la juridiction de renvoi, que FD et ROI Land Investments n’étaient pas liés formellement par un contrat individuel de travail lorsque l’action en justice a été engagée et qu’aucun lien de subordination n’existait entre eux, considérant même que l’« éventuelle possibilité pour ROI Land Investments d’exercer une influence sur la direction de la société R Swiss n’y change[rait] rien ».

48.      Pour autant, il ne me paraît pas exclu, sur la base des explications de cette juridiction relatives à la situation réelle de FD par rapport à ROI Land Investments, que cette société mère puisse être considérée comme un employeur au sens de l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012.

49.      En effet, les circonstances particulières de l’affaire au principal démontrent à nouveau la singularité de la notion d’« employeur » au sein d’un groupe de sociétés (27) et du risque de considérer, à la lumière des critères habituels, qu’en toutes circonstances doit être établi un lien unique entre un travailleur et un employeur, ce dernier étant celui pour le compte duquel ce travailleur accomplit ses missions, celui qui exerce un pouvoir de direction et celui qui verse audit travailleur une rémunération ou toute autre contrepartie.

50.      Il doit, à mon sens, être tenu compte de l’imbrication des relations contractuelles ou d’une répartition des éléments essentiels du contrat de travail qui peut exister au sein d’un groupe de sociétés et des arrangements qu’une telle organisation peut favoriser (28).

51.      En l’occurrence, l’action de FD introduite contre ROI Land Investments est fondée sur l’engagement de cette société d’exécuter les obligations de son employeur, R Swiss, sans lequel FD n’aurait pas conclu le même jour un nouveau contrat avec ce dernier (29). Cet engagement a été pris sans condition de défaillance de cet employeur. En outre, dans le cadre de cette relation de travail, FD était tenu de fournir concrètement la même prestation de travail que celle qu’il accomplissait antérieurement pour le compte de ROI Land Investments. Le lien économique entre l’employeur contractuel et ce tiers a également été relevé par la juridiction de renvoi (30).

52.      Selon moi, il en résulte que les droits dont se prévaut FD en assignant ROI Land Investments découlent du contrat individuel de travail conclu entre FD et R Swiss. Dès lors que l’engagement concomitant, et sans condition de ROI Land Investments, porte sur un élément essentiel de la relation de travail, à savoir la rémunération de FD, il fait partie intégrante du contrat individuel de travail (31). En cela, ROI Land Investments n’est pas un simple garant, mais est susceptible, par une application combinée des articles 20 et 21 du règlement no 1215/2012, d’être qualifié d’employeur.

53.      Il reste néanmoins à examiner ce qui, dans l’affaire au principal, permettrait de constater l’existence de l’autre caractéristique essentielle d’une relation de travail, à savoir l’obligation pour le travailleur d’accomplir pour l’employeur des prestations en contrepartie desquelles il perçoit une rémunération (32).

54.      En se fondant sur cette stricte réciprocité des obligations nées de la relation de travail, il pourrait suffire de considérer que, par l’accord de garantie en cause qui fait partie intégrante du contrat de travail, le tiers concerné est placé dans la situation d’un employeur de fait. En d’autres termes, en garantissant ainsi la rémunération du travailleur, ce tiers agit comme étant celui pour le compte duquel la prestation est exécutée.

55.      Cependant, eu égard à sa portée, cette solution tirée du seul lien formel existant entre les engagements des parties dans le cadre de la relation de travail ne me paraît pas totalement satisfaisante. Il y a lieu, à mon sens, de tenir compte également du contexte dans lequel ces engagements ont été pris.

56.      Par conséquent, je propose à la Cour de relever que l’accord de garantie conclu avec le tiers au contrat de travail, dans le cadre d’une interdépendance économique entre l’employeur et celui-ci (33), traduit l’intérêt de ce tiers à l’exécution de ce contrat. Un tel critère a déjà été retenu par la Cour dans l’arrêt du 10 avril 2003, Pugliese (34).

57.      Comme en l’espèce, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la relation de travail avait évolué au sein d’un groupe de sociétés et des engagements coexistaient. Le litige avait pour objet le paiement au salarié de frais de voyage et de logement auquel s’était engagé, après la signature du contrat de travail, un premier employeur (35) sous les ordres duquel ce salarié ne travaillait plus (36).

58.      Dans l’arrêt Pugliese, la Cour a estimé que « le litige port[ait] sur un contrat individuel de travail » (37). Elle a jugé, après avoir précisé qu’il devait être recherché dans quelle mesure un lien entre les deux contrats de travail en cause existait (38), que le salarié lié à deux employeurs différents peut attraire le premier employeur devant le tribunal du lieu où il exerce son activité pour le second employeur lorsque le premier employeur a lui‑même, « au moment de la conclusion du second contrat, un intérêt à l’exécution de la prestation que le salarié fournira au second employeur dans un lieu décidé par ce dernier » (39).

59.      La Cour a dégagé ce critère afin de satisfaire à l’objectif de protection adéquate du travailleur, guidant le choix d’un lien de rattachement étroit entre la contestation et la juridiction appelée à en connaître (40). La Cour a, en outre, décidé qu’un tel critère est satisfaisant au regard des exigences de sécurité juridique, de prévisibilité et d’une bonne administration de la justice (41).

60.      Ce critère de l’intérêt à l’exécution de la prestation que le salarié fournira manifesté par la partie qui s’est engagée vis-à-vis de celui-ci me paraît pouvoir être appliqué largement (42), sans être limité aux cas dans lesquels plusieurs contrats de travail ont été conclus. Je suis d’avis que son application peut être étendue au cas dans lequel, comme en l’espèce, l’accord de garantie fait partie intégrante du contrat de travail (43). Une telle interprétation me paraît satisfaisante au regard des principes qui avaient été énoncés dans l’arrêt Pugliese et qui ont été réaffirmés dans le règlement no 1215/2012 (44).

61.      Toutefois, compte tenu du fait que chaque entreprise au sein d’un groupe a un certain intérêt général et indirect à la bonne exécution des prestations de tout salarié du même groupe, je propose de fixer une limite à ce critère d’« intérêt à l’exécution de la prestation que le salarié fournira » servant à définir la notion d’« employeur ». À mon sens, cet intérêt de la tierce personne devrait être direct.

62.      En l’occurrence, j’observe que ROI Land Investments avait, selon les termes de la décision de renvoi, « un intérêt direct à l’exécution des obligations du requérant vis-à-vis de la société R Swiss ».

63.      Ainsi, comme dans l’arrêt Pugliese, la Cour pourrait définir certains critères généraux d’appréciation de cet intérêt.

64.      Dans cette décision, la Cour a précisé que « l’existence de [l’]intérêt [à l’exécution de la prestation que le travailleur fournira] ne doit pas être vérifiée strictement, au vu de critères formels et exclusifs, mais doit être appréciée de manière globale, en prenant en considération l’ensemble des circonstances de l’espèce » (45). La Cour a énuméré de manière non exhaustive différents éléments d’appréciation (46) qui me paraissent pouvoir être transposés s’agissant de l’intérêt d’un tiers à la relation avec l’employeur contractuel. Ces principaux éléments sont les suivants :

–        le fait qu’il existe un lien organique ou économique entre les deux sociétés contractantes avec le travailleur (47) ;

–        le fait que la conclusion d’un nouveau contrat de travail ait été envisagée lors de l’annulation ou de la fin du contrat conclu antérieurement avec la tierce personne (48) ;

–        le fait qu’un contrat antérieur ait été annulé en considération de la conclusion du nouveau contrat (49) ;

–        le fait qu’il existe un accord entre l’employeur contractuel et la tierce personne prévoyant un cadre pour la coexistence des contrats conclus avec le travailleur ;

–        le fait que la tierce personne conserve indirectement un pouvoir de direction sur l’employé (50),

–        le fait que la tierce personne puisse décider de la durée de l’activité du salarié auprès de l’employeur contractuel.

65.      D’autres éléments, qui m’ont été inspirés par les constatations de la juridiction de renvoi, me paraissent également pertinents :

–        le fait que la tierce personne est contractuellement responsable de l’exécution des obligations de l’employeur contractuel, spécialement à la demande du travailleur, sans aucune limitation (51) ;

–        le fait que la nature des tâches du travailleur, qu’il avait effectuées durant un contrat antérieur sous la direction de la tierce personne, reste inchangée après la conclusion du nouveau contrat (52),

–        le fait que ledit travailleur, malgré l’annulation de l’ancien contrat, reste obligé d’exercer ses activités pour ladite tierce personne (53).

66.      S’agissant de l’ensemble de ces critères, j’ajoute que, à mon sens, il n’y a aucune raison de les limiter aux personnes morales. Les personnes physiques peuvent également être employeurs contractuels ou employeurs intéressés dans le cadre d’un groupe ou d’un réseau d’entreprises individuelles.

67.      Par conséquent, il appartiendra à la juridiction de renvoi d’apprécier, au vu de ces critères ou d’autres plus pertinents, si les circonstances de l’affaire au principal permettent de constater l’existence d’un intérêt direct du tiers à la bonne exécution de la prestation du travailleur dans le cadre d’un contrat de travail conclu avec une autre personne du même groupe dont il pourra être déduit que ce tiers peut être qualifié d’employeur au sens de l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012.

68.      Je propose, dès lors, à la Cour de répondre à la première question préjudicielle de la juridiction de renvoi que peut être considérée comme un « employeur », au sens de l’article 21, paragraphes 1 et 2, du règlement no 1215/2012, une personne physique ou morale, domiciliée ou non sur le territoire d’un État membre, avec laquelle le travailleur a conclu non pas son contrat de travail, mais un accord faisant partie intégrante de ce contrat, en vertu duquel cette personne est responsable de l’exécution des obligations de l’employeur envers ce travailleur, si celle-ci a un intérêt direct à la bonne exécution dudit contrat.

B.      Sur l’exclusivité de certaines règles de compétence lorsque le défendeur n’est pas domicilié dans un État membre

69.      Par sa deuxième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, dans l’hypothèse où la Cour considérerait que le litige ne relève pas du champ d’application du chapitre II, section 5, du règlement no 1215/2012, si l’article 6, paragraphe 1, de ce règlement doit être interprété en ce sens que la réserve relative à l’article 21, paragraphe 2, dudit règlement exclut l’application des règles de compétence du droit national.

70.      Je note, à cet égard, que cette juridiction n’a pas exprimé la même interrogation concernant l’application des règles de compétence énoncées au chapitre II, section 4, du même règlement, qui font l’objet des troisième et quatrième questions préjudicielles, alors que la problématique est identique.

71.      Si la Cour devait répondre par la négative à la première question préjudicielle, au motif qu’un tiers au contrat de travail, comme dans l’affaire au principal, ne peut pas être considéré comme un employeur, le litige ne relèverait donc pas du champ d’application du chapitre II, section 5, du règlement no 1215/2012. Par conséquent, les règles de compétence nationales devraient être appliquées pour les raisons exposées ci-après.

72.      Premièrement, ces règles de compétence sont, par principe, applicables vis-à-vis des défendeurs non domiciliés dans un État membre, conformément au libellé de l’article 6, paragraphe 1, de ce règlement, lu à la lumière de son considérant 14.

73.      Deuxièmement, il ne serait pas concevable que des règles de compétence de l’Union puissent avoir en dehors de leur champ d’application un effet de blocage sur des dispositions nationales. En outre, toute autre analyse aurait pour effet de rendre les règles de compétence nationales inapplicables dans tous les cas.

74.      Dès lors, il pourrait être répondu à la deuxième question de la juridiction de renvoi que, dans l’hypothèse où l’article 21, paragraphe 2, du règlement no 1215/2012 n’est pas applicable, l’article 6, paragraphe 1, de ce règlement doit être interprété en ce sens que les règles de compétence du droit national sont applicables.

75.      Cependant, je propose à la Cour de porter son attention sur l’interprétation a contrario qui pourrait être tirée d’une telle réponse formulée en termes généraux. Cette vigilance me paraît justifiée par la référence faite par la juridiction de renvoi à des commentaires de la doctrine allemande dont résulte un questionnement sur l’articulation des dispositions de l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 avec celles des sections consacrées aux litiges en matière de contrats de consommation et de travail (54).

76.      En effet, l’article 6, paragraphe 1, de ce règlement prévoit que, lorsque le défendeur n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre, la loi nationale règle la compétence de la juridiction saisie « sous réserve » (55) de l’article 18, paragraphe 1, et de l’article 21, paragraphe 2, dudit règlement. Or, ces articles figurent dans chacune des sections concernées, respectivement après l’article 17, paragraphe 1, et l’article 20, paragraphe 1, du même règlement, selon lesquels « la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice de l’article 6 [...] » du règlement no 1215/2012 (56).

77.      Dans la convention de Bruxelles de 1968, comme dans le règlement no 44/2001, les mêmes termes étaient utilisés : « sous réserve de » à l’article 4 pour ces deux instruments et « sans préjudice de », respectivement à l’article 13 de cette convention et aux articles 15 et 18 de ce règlement. Les règles de compétence exclusives, puis, dans ledit règlement, celles relatives à la prorogation de compétence devaient conduire à écarter l’application de la loi nationale (57).

78.      La question se pose donc de savoir si, dans le règlement no 1215/2012, l’ajout de règles de compétence protectrices d’une partie faible doit avoir la même portée. Plusieurs approches sont possibles.

79.      Il pourrait être déduit du libellé de l’article 5 de ce règlement, selon lequel les défendeurs domiciliés dans les États membres ne peuvent être attraits devant les juridictions d’un autre État membre qu’en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du chapitre II dudit règlement, qui est différent de celui de l’article 6, paragraphe 1, du même règlement, applicable pour les défendeurs domiciliés dans des pays tiers, que les règles de compétence nationales peuvent continuer à s’appliquer en plus de celles prévues par le règlement no 1215/2012 (58).

80.      Il pourrait aussi être tiré argument de ce que l’article 21, paragraphe 2, de ce règlement dispose que l’employeur « peut être attrait devant les juridictions d’un État membre conformément au paragraphe 1, point b) » (59). Le travailleur disposerait ainsi de la faculté de choisir entre la compétence fondée sur ledit règlement et celle issue du droit national (60).

81.      Toutefois, il pourrait aussi être soutenu, à la lumière de la seconde phrase du considérant 14 du règlement no 1215/2012, qui traite des règles de compétence à privilégier eu égard aux objectifs poursuivis par ce règlement (61), que les règles énoncées au chapitre II, sections 4 et 5, dudit règlement excluent, sans les distinguer, l’application de lois nationales, quand bien même elles pourraient être plus favorables au demandeur (62).

82.      Je suis enclin à partager cette analyse qui s’appuie sur la cohérence du règlement no 1215/2012, sa concordance avec les dispositions antérieures et leurs finalités, permettant ainsi de lever les doutes résultant des disparités des versions linguistiques.

83.      Je rappelle, en premier lieu, qu’à l’article 6 du règlement no 1215/2012, au titre des dispositions générales relatives au cas dans lequel le défendeur n’est pas domicilié dans un État membre, l’exclusion du droit national, précédemment prévue pour les règles de compétence exclusives (63), a été étendue spécifiquement en faveur des consommateurs et des travailleurs, tout en maintenant le principe de l’application des règles de compétence nationales (64). Il s’agit donc, selon moi, d’exceptions à ce principe.

84.      En second lieu, je relève que dans les sections du règlement no 1215/2012 qui concernent les consommateurs et les travailleurs, qualifiés de « partie la plus faible » (65), la réserve (66) de l’application de certaines dispositions générales a été maintenue, dont l’article 6 de ce règlement. Je déduis de la combinaison de ces textes que l’article 6 dudit règlement traite du cas général de tout défendeur domicilié dans un État tiers, et que le renvoi dans cette disposition à l’article 21, paragraphe 2, du même règlement définit les règles applicables pour le cas particulier de l’employeur attrait par le travailleur. Ainsi, le législateur a fait le choix que les règles nationales s’appliquent lorsque le défendeur est un travailleur.

85.      Par conséquent, il ne peut être dérogé au principe retenu par la Cour selon lequel, lorsque des règles de compétence figurant au chapitre II, section 5, du règlement no 1215/2012 sont applicables, elles doivent prévaloir sur les règles nationales de compétence, quand bien même celles-ci seraient plus favorables pour le travailleur, en raison de leur caractère non seulement spécifique, mais encore exhaustif (67).

86.      Dans ces conditions, je suis d’avis qu’il est satisfait à l’objectif des règlements applicables en matière de coopération civile d’unifier les règles de conflit de juridictions ainsi qu’à l’exigence de prévisibilité des règles de compétence et de limitation des fors compétents dans des conditions protectrices des parties faibles concernées, dès lors que, par hypothèse, ces règles de compétence leur sont applicables (68).

87.      Pour l’ensemble de ces considérations, je propose à la Cour de répondre à la deuxième question préjudicielle que l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens que l’application des règles de compétence du droit national est exclue lorsque les conditions d’application de l’article 21, paragraphe 2, de ce règlement sont réunies.

C.      Sur la compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs

88.      Par ses troisième et quatrième questions préjudicielles, la juridiction de renvoi s’interroge sur la possibilité pour le travailleur se trouvant dans une situation telle que celle en l’espèce de bénéficier des dispositions protectrices des consommateurs afin de fonder sa compétence.

89.      La troisième question vise les dispositions de l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012. La quatrième question vise celles de l’article 6, paragraphe 1, du règlement Rome I. Elles ont pour objet commun les contrats conclus par une personne physique « pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle ».

90.      Il s’agit, selon la juridiction de renvoi (69), de déterminer si une « activité professionnelle », au sens de ces dispositions, recouvre non seulement des activités indépendantes, mais aussi une activité salariée.

91.      Le champ d’application matériel et les dispositions du règlement Rome I devant être cohérents par rapport notamment aux règlements relatifs à la compétence judiciaire (70), je vais examiner conjointement la troisième et la quatrième questions préjudicielles, prises dans leur première partie puis dans leur seconde partie. En ce qui concerne le règlement no 1215/2012, la juridiction de renvoi a posé sa troisième question préjudicielle sous réserve d’une réponse négative à la première question préjudicielle. Dès lors que je propose à la Cour d’y répondre par l’affirmative, l’analyse qui suit est présentée à titre subsidiaire.

1.      Sur la notion d’« activité professionnelle » au sens du règlement no 1215/2012 et du règlement Rome I

92.      Par la première partie de ses troisième et quatrième questions préjudicielles, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 et l’article 6, paragraphe 1, du règlement Rome I doivent être interprétés en ce sens que la notion d’« activité professionnelle » recouvre une activité salariée dans le cadre d’une relation de travail.

93.      Je rappelle qu’il s’agit de l’une des conditions d’application des règles de compétence protectrices des consommateurs (71). L’interprétation de la notion d’« activité professionnelle » s’avère délicate du fait que les différentes versions linguistiques de l’article 17 du règlement no 1215/2012 (72) ne sont concordantes ni au sein de ce règlement ni avec celles de l’article 6 du règlement Rome I.

94.      En effet, dans la version en langue française et dans d’autres versions linguistiques, le consommateur est défini à l’article 17, paragraphe 1, première phrase, du règlement no 1215/2012 comme une personne qui a conclu un contrat « pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle », tandis que dans le même paragraphe, sous c), l’autre partie contractante est celle « qui exerce des activités commerciales ou professionnelles » (73). En revanche, dans la version en langue allemande (74) et dans d’autres versions linguistiques (75), ce sont les mêmes termes qui sont utilisés pour les activités du consommateur et de son cocontractant. Dans d’autres versions linguistiques, on trouve des expressions différentes, sans termes communs pour définir le consommateur et l’activité du défendeur (76).

95.      Par ailleurs, les termes utilisés à l’article 6, paragraphe 1, du règlement Rome I pour définir le consommateur et le professionnel ne correspondent pas toujours à ceux utilisés à l’article 17 du règlement no 1215/2012. Ainsi, par exemple, dans la version en langue française le « professionnel » est défini par référence à une « activité professionnelle », et non à une « activité commerciale et professionnelle », comme à l’article 17, paragraphe 1, sous c), de ce règlement.

96.      Dans ces conditions, l’interprétation des dispositions en cause me paraît devoir s’appuyer sur la définition de la notion de « consommateur » (77). La Cour a récemment rappelé, s’agissant du règlement no 1215/2012, que « seuls les contrats conclus en dehors et indépendamment de toute activité ou finalité d’ordre professionnel, dans l’unique but de satisfaire aux propres besoins de consommation privée d’un individu (78), relèvent du régime particulier prévu par ledit règlement en matière de protection du consommateur en tant que partie réputée faible » (79).

97.      Ainsi, la Cour n’a clairement pas opéré de distinction selon que l’activité professionnelle est indépendante ou non dans sa jurisprudence constante, basée sur l’historique de l’évolution des dispositions protectrices du consommateur figurant à l’origine dans la convention de Bruxelles de 1968 (80).

98.      FD soutient que la juridiction allemande serait compétente au motif que l’accord de garantie, qui fonde son action, a été conclu pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle. Il fait valoir, pour considérer que les activités salariées sont incluses dans la notion de « consommateur », que les salariés utilisent leur rémunération pour « couvrir leurs propres besoins ».

99.      Or, en suivant une telle logique, il faudrait également inclure les autres professionnels, non salariés, tels que les artisans, les industriels, les agriculteurs ou les commerçants indépendants, qui bénéficient pour la vie courante de leurs profits tout autant que les travailleurs de leurs salaires. En outre, si le consommateur use, ou bien consomme, des biens ou des services, et utilise à cette fin son salaire, celui-ci ne peut être considéré comme un objet de consommation, au sens du chapitre II, section 4, du règlement no 1215/2012.

100. Par ailleurs, un argument systématique pourrait être retenu. En effet, le législateur de l’Union a prévu des fors différents pour les consommateurs et pour les travailleurs. Une interprétation extensive du champ d’application des règles de compétence en faveur des consommateurs dans une telle situation (81) conduirait à contourner le choix du législateur de définir des règles spécifiques concernant les travailleurs qui ne leur permettent pas de saisir la juridiction de leur domicile, comme les consommateurs, afin de privilégier la proximité avec leur lieu de travail de la juridiction saisie.

101. J’ajoute, en dernier lieu, à l’instar de la Commission, qu’une telle interprétation ne saurait être justifiée par l’absence de disposition applicable à une situation qui n’a pas été envisagée dans le règlement no 1215/2012 (82).

102. Par conséquent, je propose à la Cour de répondre à la première partie des troisième et quatrième questions préjudicielles de la juridiction de renvoi que la notion d’« activité professionnelle », au sens de l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 et de l’article 6, paragraphe 1, du règlement Rome I, recouvre une activité salariée dans le cadre d’une relation de travail.

2.      Sur la qualification d’un accord garantissant au travailleur l’exécution des obligations de l’employeur

103. Par la seconde partie des troisième et quatrième questions préjudicielles, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour, si l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 et l’article 6, paragraphe 1, du règlement Rome I doivent être interprétés en ce sens que relève de la notion d’« activité professionnelle » un accord de garantie en vertu duquel un tiers est directement responsable à l’égard d’un travailleur de l’exécution des obligations découlant d’un contrat individuel de travail conclu avec son employeur.

104. Cette question n’est posée que dans l’hypothèse où la notion d’« activité professionnelle » ne recouvre pas celle d’un salarié, ce qui pourrait justifier que la juridiction de renvoi soit internationalement compétente.

105. Ayant précédemment écarté une telle solution, je propose donc à la Cour, à titre subsidiaire, de répondre à la juridiction de renvoi qu’un engagement, quoique unilatéral (83), conclu avec un travailleur, qui vise à faire respecter les obligations de son employeur, et non à satisfaire des besoins privés, est directement lié au contrat de travail. Partant, il n’est pas conclu « en dehors et indépendamment de toute activité ou finalité d’ordre professionnel » (84).

106. En l’occurrence, dès lors que les circonstances dans lesquelles l’accord de garantie a été conclu et son contenu doivent conduire à considérer qu’il fait partie intégrante du contrat de travail (85), il devrait en être déduit qu’il est dépendant de l’activité professionnelle de FD. À cet égard, la décision de la Cour portant sur l’exclusion des contrats de travail du champ d’application de la directive 93/13/CEE (86) pourrait être transposée (87).

107. Par conséquent, je propose à la Cour, à titre subsidiaire, de répondre à la seconde partie des troisième et quatrième questions préjudicielles de la juridiction de renvoi qu’un accord de garantie faisant partie intégrante d’un contrat de travail en vertu duquel une personne est responsable de l’exécution des obligations de l’employeur envers le travailleur, relève de la notion d’« activité professionnelle », au sens de l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 et de l’article 6, paragraphe 1, du règlement Rome I.

V.      Conclusion

108. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail, Allemagne) de la manière suivante :

À titre principal :

1)      L’article 21, paragraphes 1 et 2, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale doit être interprété en ce sens qu’une personne physique ou morale, domiciliée ou non sur le territoire d’un État membre, avec laquelle le travailleur a conclu non pas son contrat de travail, mais un accord faisant partie intégrante de ce contrat, en vertu duquel cette personne est responsable de l’exécution des obligations de l’employeur envers ce travailleur, peut être considérée comme un « employeur », si celle-ci a un intérêt direct à la bonne exécution dudit contrat. L’existence d’un tel intérêt direct doit être appréciée par la juridiction de renvoi de manière globale, en prenant en considération l’ensemble des circonstances de l’espèce.

2)      L’article 6, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens que l’application des règles de compétence du droit national est exclue lorsque les conditions d’application de l’article 21, paragraphe 2, de ce règlement sont réunies.

À titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la Cour considérerait que le litige ne relève pas du champ d’application de l’article 21, paragraphe 2, du règlement no 1215/2012 :

3)      L’article 17, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 et l’article 6, paragraphe 1, du règlement (CE) no 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) doivent être interprétés en ce sens que la notion d’« activité professionnelle » recouvre une activité salariée dans le cadre d’une relation de travail.

4)      L’article 17, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 et l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 593/2008 doivent être interprétés en ce sens qu’un accord de garantie, faisant partie intégrante d’un contrat de travail en vertu duquel une personne est responsable de l’exécution des obligations de l’employeur envers le travailleur, relève de la notion d’« activité professionnelle ».


1      Langue originale : le français.


2      JO 2012, L 351, p. 1.


3      JO 2008, L 177, p. 6. Ci-après le « règlement Rome I ».


4      Selon les termes de la décision de renvoi, d’après les constatations du Landesarbeitsgericht (tribunal supérieur du travail, Allemagne), non contestées par ROI Land Investments, « la relation de service » a été « déplacée » vers R Swiss, uniquement pour des raisons d’« optimisation fiscale », sans que l’activité de FD consistant à rechercher sur le marché européen, y compris l’Allemagne, des investisseurs pour ses projets immobiliers ait changé.


5      Selon les constatations de la juridiction de renvoi, il s’agit de ROI Land Investments.


6      Il n’est pas précisé si FD remplit les conditions pour bénéficier du système de garantie institué en Allemagne en vertu de la directive 2008/94/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, relative à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur (JO 2008, L 283, p. 36).


7      Règlement du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1).


8      Voir, notamment, arrêt du 16 novembre 2016, Schmidt (C‑417/15, EU:C:2016:881, point 26 et jurisprudence citée) et, en matière de contrat conclu par un consommateur, arrêt du 3 octobre 2019, Petruchová (C‑208/18, EU:C:2019:825, point 38). Ce principe est rappelé au considérant 34 du règlement no 1215/2012 pour les règlements qui remplacent la convention de Bruxelles, du 27 septembre 1968, concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 (JO 1978, L 304, p. 1), par la convention du 25 octobre 1982 (JO 1982, L 388, p. 1) et par la convention du 26 mai 1989 (JO 1989, L 285, p. 1), ci- après la « convention de Bruxelles de 1968 ».


9      Voir, pour un rappel détaillé de l’historique jurisprudentiel et législatif de ces dispositions, Gaudemet-Tallon, H., et Ancel, M.-É., Compétence et exécution des jugements en Europe – Règlements 44/2001 et 1215/2012, Conventions de Bruxelles (1968) et de Lugano (1998 et 2007), L.G.D.J., Paris, 2018 (6e éd.), p. 457 et suiv., ainsi que Grušić, U., The European Private International Law of Employment, Cambridge University Press, Cambridge, 2015, p. 58 à 62.


10      Voir concordance entre l’article 5, paragraphe 1, de la convention de Bruxelles de 1968, l’article 19 du règlement no 44/2001 et l’article 21 du règlement no 1215/2012. Un tableau panoramique de ces dispositions est disponible à l’adresse Internet suivante : http://www.lynxlex.com/sites/default/files/files/Tableau%20panoramique%20de%20Bruxelles%20%C3%A0%20Lugano.pdf.


11      Ainsi, un travailleur peut, en vertu des dispositions de l’article 21, paragraphe 1, sous b), dudit règlement, attraire son employeur dans un État membre devant la juridiction du lieu d’exécution habituelle de son travail ou, sous certaines conditions, du lieu de l’établissement qui l’a embauché.


12      Cette convention a été approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 2009/430/CE du Conseil, du 27 novembre 2008 (JO 2009, L 147, p. 1), dite « convention de Lugano II ».


13      Voir, en ce sens, arrêt du 30 septembre 2021, Commerzbank (C‑296/20, EU:C:2021:784, point 33 et jurisprudence citée).


14      Voir arrêts du 14 septembre 2017, Nogueira e.a. (C‑168/16 et C‑169/16, EU:C:2017:688, point 55), et du 8 mai 2019, Kerr (C‑25/18, EU:C:2019:376, point 36).


15      Voir arrêt du 22 avril 2021, Austrian Airlines (C‑826/19, EU:C:2021:318, point 22).


16      Voir, notamment, arrêt du 10 décembre 2020, Personal Exchange International (C‑774/19, ci-après l’« arrêt Personal Exchange International », EU:C:2020:1015, point 27).


17      Voir, plus particulièrement, s’agissant des contrats de consommation, arrêt du 19 janvier 1993, Shearson Lehman Hutton (C‑89/91, EU:C:1993:15, point 16 et jurisprudence citée), ainsi que arrêt Personal Exchange International (point 24). S’agissant des contrats de travail, voir arrêt du 22 mai 2008, Glaxosmithkline et Laboratoires Glaxosmithkline (C‑462/06, EU:C:2008:299, point 28 et jurisprudence citée).


18      Voir, à titre d’illustration, arrêt du 21 janvier 2016, SOVAG (C‑521/14, EU:C:2016:41, point 37).


19      Voir, également, pour un rappel récent des différents critères tirés de la jurisprudence de la Cour en matière de sécurité sociale, de relations de travail et de droit international privé, conclusions de l’avocat général Pikamäe dans l’affaire AFMB e.a. (C‑610/18, EU:C:2019:1010, points 41 à 55).


20      Voir, à ce titre, arrêt du 25 février 2021, Markt24 (C‑804/19, EU:C:2021:134, point 24 et jurisprudence citée).


21      En l’absence de lien de subordination, les relations entre les parties peuvent être qualifiées de contrat de fournitures de services relevant de l’article 7, paragraphe 1, sous b), second tiret, du règlement no 1215/2012. Voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2015, Holterman Ferho Exploitatie e.a. (C-47/14, ci-après l’« arrêt Holterman Ferho Exploitatie e.a. », EU:C:2015:574, points 51 et 58). Cependant, cette disposition n’est applicable qu’au défendeur domicilié sur le territoire d’un État membre.


22      Voir, notamment, arrêts du 11 avril 2019, Bosworth et Hurley (C‑603/17, EU:C:2019:310, point 25 et jurisprudence citée), ainsi que du 25 février 2021, Markt24 (C‑804/19, EU:C:2021:134, point 25 et jurisprudence citée).


23      Voir arrêt du 11 avril 2019, Bosworth et Hurley (C‑603/17, EU:C:2019:310, points 26 et 27, ainsi que jurisprudence citée). Voir aussi, par analogie, arrêt du 15 décembre 2011, Voogsgeerd (C‑384/10, ci-après l’« arrêt Voogsgeerd », EU:C:2011:842, point 62).


24      Voir arrêt Holterman Ferho Exploitatie e.a. (point 41). Voir, en outre, pour un rappel de la notion de « travailleur » au sens de l’article 45 TFUE, conclusions de l’avocate générale Trstenjak dans l’affaire Voogsgeerd (C‑384/10, EU:C:2011:564, point 88) et arrêt Holterman Ferho Exploitatie e.a. (point 41).


25      Voir, à titre de comparaison, arrêt Voogsgeerd (point 65), dans lequel la Cour a, pour la convention de Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles, ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980 (JO 1980, L 266, p. 1), estimé que « l’établissement d’une entreprise autre que celle qui figure formellement comme employeur, avec laquelle celle-ci a des liens, peut être qualifié d’“établissement” si des éléments objectifs permettent d’établir l’existence d’une situation réelle qui différerait de celle qui ressort des termes du contrat, et cela alors même que le pouvoir de direction n’a pas été formellement transféré à cette autre entreprise ».


26      Voir arrêt Holterman Ferho Exploitatie e.a. (point 39 et jurisprudence citée).


27      Voir, s’agissant de la recherche d’un lien durable qui insérait le salarié dans le cadre d’une certaine organisation des affaires de cette société, arrêt Holterman Ferho Exploitatie e.a. (point 45). Voir, également, à titre d’illustration, conclusions de l’avocat général Saugmandsgaard Øe dans l’affaire Bosworth et Hurley (C‑603/17, EU:C:2019:65, points 104 et 105).


28      Voir, à cet égard, conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Pugliese (C‑437/00, EU:C:2002:511, point 38). Voir également conclusions de l’avocat général Saugmandsgaard Øe dans l’affaire Bosworth et Hurley (C‑603/17, EU:C:2019:65, point 109).


29      Voir points 16 et 24, ainsi que note en bas de page 4 des présentes conclusions.


30      Voir points 14 et 15 des présentes conclusions.


31      En ce sens, la cohérence avec le règlement Rome I dont l’article 8 désigne la loi applicable au contrat de travail est assurée. Voir, par analogie, s’agissant des conditions d’application des critères définis par le législateur, arrêt Voogsgeerd (points 44 à 51).


32      Voir point 43 des présentes conclusions.


33      Voir points 50 et 52 des présentes conclusions.


34      C-437/00, ci-après l’« arrêt Pugliese », EU:C:2003:219.


35      Voir arrêt Pugliese (points 6 et 10).


36      Le salarié avait conclu successivement deux contrats de travail avec deux employeurs. Le premier employeur était pleinement informé de la conclusion du second contrat et avait consenti à la suspension du premier contrat (point 13 de cet arrêt), en raison du transfert de ce salarié à un poste au sein d’une autre société dans laquelle cet employeur détenait une participation de l’ordre de 21 % (point 5 dudit arrêt).


37      Arrêt Pugliese (point 15). Dans ses conclusions dans l’affaire Pugliese (C‑437/00, EU:C:2002:511), au point 44, l’avocat général Jacobs avait examiné la question suivante : « Le litige a-t-il trait à “une matière concernant un contrat individuel de travail” ? ». Aux points 45 et suiv., il a estimé que le lien existant entre le travailleur et le défendeur ne devait pas être distingué d’un contrat de travail, au sens de l’article 5, point 1, de la convention de Bruxelles de 1968, malgré la suspension de l’obligation de travailler pour ce dernier et le fait que le litige avait pour objet l’exécution d’un accord différent du contrat de travail initial. Il a considéré notamment que les arrangements en cause constituaient « un ensemble qui avait et qui n’a jamais perdu la nature d’un contrat de travail », en relevant que les effets de ce contrat qui ont été maintenus, tels que le paiement des contributions d’assurance et la reconnaissance de l’ancienneté, constituent des obligations caractéristiques de l’employeur vis-à-vis de son employé (.


38      Voir arrêt Pugliese (point 21).


39      Point 23 de cet arrêt. Italique ajouté par mes soins.


40      Voir arrêt Pugliese (points 17 et 18). Voir, dans le même sens, arrêt du 21 juin 2018, Petronas Lubricants Italy (C‑1/17, EU:C:2018:478, points 23 et 24, ainsi que jurisprudence citée).


41      Voir arrêt Pugliese (point 16).


42      Voir, dans le même sens, conclusions de l’avocat général Saugmandsgaard Øe dans l’affaire Bosworth et Hurley (C‑603/17, EU:C:2019:65, point 109).


43      Voir point 52 des présentes conclusions.


44      Voir considérants 15, 16, 18 et 21 de ce règlement. Voir, par analogie, arrêt du 4 octobre 2018, Feniks (C‑337/17, EU:C:2018:805, points 34 et 36).


45      Arrêt Pugliese (point 24).


46      Arrêt Pugliese (point 24).


47      Voir, en l’espèce, points 14 et 15 des présentes conclusions.


48      Voir, en l’occurrence, point 14 de ces conclusions.


49      Voir, à ce titre, point 14 des présentes conclusions.


50      Ce qui, selon les constatations de la juridiction de renvoi, manquerait en l’espèce. Voir point 47 des présentes conclusions, à rapprocher du point 49 de celles-ci.


51      Voir en l’espèce, points 16 et 24 des présentes conclusions.


52      Voir, en l’occurrence, point 24 de ces conclusions.


53      Voir considérations rappelées en note en bas de page 4 des présentes conclusions.


54      Voir, dans le même sens, Gaudemet-Tallon, H., et Ancel, M.-É., Compétence et exécution des jugements en Europe – Règlements 44/2001 et 1215/2012, Conventions de Bruxelles (1968) et de Lugano (1998 et 2007), L.G.D.J., Paris, 2018 (6e éd.), p. 464, ainsi que note en bas de page 167.


55      Il s’agit du même terme que celui utilisé à l’article 4 du règlement no 1215/2012.


56      Italique ajouté par mes soins. Voir, également, la même différence de libellé dans les versions en langues allemande, anglaise et polonaise.


57      J’observe, toutefois, que dans le règlement no 44/2001, comme dans le règlement no 1215/2012, les mêmes termes figurent dans ces articles dans leur version en langues espagnole (« sin perjuicio »), danoise (« jf. dog »), italienne (« salva/fatto salvo »), néerlandaise (« onverminderd »), portugaise (« sem prejuízo ») et suédoise (« om inte annat »).


58      Voir, en ce sens, Garcimartín Álferez, F. J., et Sánchez Fernández, S., « El nuevo Reglamento Bruselas I: qué ha cambiado en el ámbito de la competencia judicial », Revista española de derecho europeo, Marcial Pons Ediciones Jurídicas y Sociales, Madrid, no 48, 2013, p. 3 à 6, ainsi que Pohl, M., « Die Neufassung der EuGVVO – im Spannungsfeld zwischen Vertrauen und Kontrolle », Praxis des Internationalen Privat- und Verfahrensrechts (IPRax), Verlag Ernst und Werner Gieseking GmbH, Köln, vol. 2, 2013, p. 109 à 111.


59      Italique ajouté par mes soins.


60      Voir Nord, N., « Refonte du règlement “Bruxelles I” et protection du travailleur », La Semaine Juridique Social, LexisNexis, Paris, no 52, 2014, p. 3, point 19.


61      « [...] pour assurer la protection des consommateurs et des travailleurs, pour préserver la compétence des juridictions des États membres dans les cas où elles ont une compétence exclusive et pour respecter l’autonomie des parties, certaines règles de compétence inscrites dans le présent règlement devraient s’appliquer sans considération de domicile du défendeur. »


62      Voir, à cet égard, Nord, N., « Refonte du règlement “Bruxelles I” et protection du travailleur », La Semaine Juridique Social, LexisNexis, Paris, no 52, 2014, p. 3 et 4, point 20. S’agissant des règles en matière de contrat de travail, voir Cuniberti, G., « La réforme du Règlement Bruxelles I », Droit et procédures –-- EJT, Dalloz, Paris, no 2, 2013, point 37.


63      Voir, en ce sens, rapport de M. P. Jenard sur la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1979, C 59, p. 1), en particulier p. 21.


64      Voir, s’agissant de l’historique de cette disposition, notamment Gaudemet-Tallon, H., et Ancel, M.-É., Compétence et exécution des jugements en Europe – Règlements 44/2001 et 1215/2012, Conventions de Bruxelles (1968) et de Lugano (1998 et 2007), L.G.D.J., Paris, 2018 (6e éd.), p. 137.


65      Considérant 18 de ce règlement.


66      Ce terme est tiré du rapport de M. P. Jenard, op. cit., p. 33.


67      Voir, en ce sens, arrêts du 22 mai 2008, Glaxosmithkline et Laboratoires Glaxosmithkline (C‑462/06, EU:C:2008:299, point 18), et du 25 février 2021, Markt24 (C‑804/19, EU:C:2021:134, points 33 et 34, ainsi que jurisprudence citée).


68      Voir, dans le même sens, Nord, N., « Refonte du règlement “Bruxelles I” et protection du travailleur », La Semaine Juridique Social, LexisNexis, Paris, no 52, 2014, p. 3 et 4, point 20, ainsi que Cuniberti, G., « La réforme du Règlement Bruxelles I », Droit et procédures - EJT, Dalloz, Paris, no 2, 2013, point 37. Voir, également, Temming, F., et Glatz, P., « Vorlagen an den EuGH, Arbeitsrecht, Haftung aus Arbeitsvertrag/Rechtsnachfolger », Zeitschrift für europäisches Sozial- und Arbeitsrecht (ZESAR), Erich Schmidt Verlag, Berlin, no 5/6, 2021, p. 230, en particulier p. 232.


69      Voir point 26 et note en bas de page 74 des présentes conclusions.


70      Voir point 35 des présentes conclusions.


71      Voir arrêt du 26 mars 2020, Primera Air Scandinavia (C‑215/18, EU:C:2020:235, point 56 et jurisprudence citée), ainsi que arrêt Personal Exchange International (point 27).


72      L’article 15 du précédent règlement no 44/2001 était rédigé en termes identiques. Voir, à cet égard, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Personal Exchange International, les doutes nourris par la juridiction de renvoi, sur la base de la version en langue slovène (point 21 de cet arrêt).


73      Italique ajouté par mes soins. La même dichotomie existe dans les versions en langues espagnole et italienne.


74      L’expression « berufliche oder gewerbliche Tätigkeit » figure dans ces deux paragraphes. Selon les précisions de la juridiction de renvoi, la difficulté d’interprétation de cette expression résulte de l’adjonction du terme « gewerblich » au terme « beruflich », qui a un sens très large. Il pourrait en être déduit que seules les activités indépendantes ou libérales sont visées.


75      Voir, par exemple, dans la version en langue polonaise (« zawodową lub gospodarczą »), ou en langue portugaise (« atividade comercial ou profissional »). Dans la version en langue danoise, un seul terme est utilisé (« erhvervsmæssige virksomhed »), mais également deux fois de manière uniforme.


76      Voir, par exemple, en langue anglaise (« trade or profession »/« commercial or professional activities »), en langue néerlandaise (« bedrijfs of beroepsmatig »/« commerciële of beroepsactiviteiten »), ou en langue suédoise (« affärsverksamhet eller yrkesverksamhet »/« kommersiell verksamhet eller yrkesverksamhet »).


77      Dans les versions linguistiques que j’ai examinées, j’observe que le terme « consommateur » désigne une personne qui ne fait qu’utiliser un bien ou un service. Ainsi, le consommateur se trouve dans une situation inverse de celle d’un travailleur qui produit des biens ou offre des services pour le compte de son employeur. Voir, en ce sens, arrêt Personal Exchange International (point 38).


78      Italique ajouté par mes soins.


79      Arrêt du 3 octobre 2019, Petruchová (C‑208/18, EU:C:2019:825, point 42 et jurisprudence citée). Voir, également, pour un rappel, pour partie en termes généraux, des mêmes critères, s’agissant des articles 15 à 17 du règlement no 44/2001, arrêt Personal Exchange International (points 29 à 31 et jurisprudence citée).


80      Voir rapport de M. P. Schlosser sur la convention relative à l’adhésion du Royaume de Danemark, de l’Irlande et du Royaume-Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord à la convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, ainsi qu’au protocole concernant son interprétation par la Cour de justice (JO 1979, C 59, p. 71) (en particulier p. 118, point 153), et arrêt du 14 mars 2013, Česká spořitelna (C‑419/11, EU:C:2013:165, point 32 et jurisprudence citée).


81      Voir, à titre de comparaison, arrêt Personal Exchange International, relatif à un contrat de jeu de poker conclu en ligne par une personne percevant régulièrement des gains importants.


82      À cet égard, la juridiction de renvoi a souligné que, en l’état du droit positif, l’objectif de protection de la partie faible, énoncé aux considérants 14 et 18 du règlement no 1215/2012, ne serait pas satisfait s’il devait être admis qu’un salarié au sein d’un groupe de sociétés se voit opposer sa relation de travail pour l’exclure du bénéfice des règles de compétence applicables aux consommateurs, ou, à l’inverse, l’absence d’une telle relation de travail pour justifier l’inapplicabilité des règles également énoncées par ce règlement dans l’intérêt des travailleurs.


83      Voir, par analogie, arrêt du 14 mai 2009, Ilsinger (C‑180/06, EU:C:2009:303, point 51).


84      Voir point 96 des présentes conclusions.


85      Voir point 52 des présentes conclusions.


86      Directive du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).


87      Voir arrêt du 21 mars 2019, Pouvin et Dijoux (C‑590/17, EU:C:2019:232, point 32).