Language of document : ECLI:EU:C:2024:220

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. ATHANASIOS RANTOS

présentées le 7 mars 2024 (1)

Affaire C701/22

SC AA SRL

contre

MFE

[demande de décision préjudicielle formée par la Curtea de Apel Cluj (cour d’appel de Cluj, Roumanie)]

« Renvoi préjudiciel – Cohésion économique, sociale et territoriale – Fonds structurels – Fonds européen de développement régional (FEDER) – Règlement (CE) no 1083/2006 – Article 60 – Fonction de l’autorité de gestion –Principe de bonne gestion financière – Obligation de remboursement des dépenses éligibles – Résiliation d’un contrat de financement au titre du FEDER pour cause d’irrégularités dans son exécution – Annulation de la résiliation – Retard de paiement – Intérêts de retard – Principes d’équivalence et d’effectivité –Irrégularités dans l’exécution du contrat de financement – Conséquences »






 Introduction

1.        La demande de décision préjudicielle a été présentée dans le cadre d’un litige opposant SC AA SRL, une société à responsabilité limitée de droit roumain (ci‑après « AA »), au Ministerul Fondurilor Europene (ministère des Fonds européens, Roumanie, ci‑après le « MFE ») au sujet du versement d’intérêts de retard pour le remboursement tardif, par le MFE, de dépenses éligibles au titre d’un contrat de financement conclu par celui-ci avec AA en exécution d’un programme cofinancé par le Fonds européen de développement régional (FEDER).

2.        Les présentes conclusions sont ciblées, en substance, sur deux questions. D’une part, se pose la question de savoir si le principe de bonne gestion financière, visé à l’article 60 du règlement (CE) no 1083/2006 (2), lu en combinaison avec le principe d’équivalence, requiert ou exclut qu’une personne morale puisse obtenir de l’autorité nationale compétente des intérêts de retard pour le remboursement tardif de dépenses éligibles au titre de fonds européens pour la période au cours de laquelle était en vigueur un acte administratif ayant résilié le contrat de financement, acte qui a été annulé par la suite par la juridiction nationale compétente. D’autre part, si la possibilité d’obtenir des tels intérêts est admise, se pose la question de savoir si la juridiction de renvoi peut limiter le montant de ces intérêts en raison d’irrégularités commises par le bénéficiaire dans l’exécution du contrat de financement, en l’absence de corrections financières appliquées par l’autorité nationale compétente.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 Le règlement (CE) no 1080/2006

3.        L’article 7 du règlement no 1080/2006 (3), intitulé « Éligibilité des dépenses », est libellé comme suit, à son paragraphe 1, sous a) :

« Les dépenses suivantes ne sont pas éligibles à une contribution du FEDER :

a)      les intérêts débiteurs. »

 Le règlement no 1083/2006

4.        L’article 14 du règlement no 1083/2006, intitulé « Gestion partagée », énonce, à son paragraphe 1 :

« Le budget de l’Union européenne alloué aux Fonds est exécuté dans le cadre de la gestion partagée entre les États membres et la Commission, au sens de l’article 53, [sous] b), du [règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 (4)], à l’exception de l’instrument visé à l’article 36 bis du présent règlement, et de l’assistance technique visée à l’article 45 du présent règlement.

Le principe de la bonne gestion financière s’applique conformément à l’article 48, paragraphe 2, du [règlement no 1605/2002]. »

5.        L’article 60 de ce règlement, intitulé « Fonctions de l’autorité de gestion », prévoit :

« L’autorité de gestion est chargée de la gestion et de la mise en œuvre du programme opérationnel conformément au principe de bonne gestion financière, et en particulier :

a)      de veiller à ce que les opérations soient sélectionnées en vue d’un financement selon les critères applicables au programme opérationnel et qu’elles soient conformes, pendant toute la durée de leur exécution, aux règles communautaires et nationales applicables ;

b)      de vérifier la fourniture des produits et services cofinancés et de contrôler que les dépenses déclarées par les bénéficiaires pour les opérations ont été effectivement encourues et qu’elles sont conformes aux règles communautaires et nationales ; les vérifications sur place des opérations peuvent être effectuées par sondage conformément aux modalités qu’adoptera la Commission selon la procédure visée à l’article 103, paragraphe 3 ;

[...] »

6.        L’article 70 dudit règlement, intitulé « Gestion et contrôle », dispose :

« 1.      Les États membres assument la responsabilité de la gestion et du contrôle des programmes opérationnels, en particulier au travers des mesures suivantes :

a)      ils s’assurent que les systèmes de gestion et de contrôle des programmes opérationnels sont établis conformément aux dispositions des articles 58 à 62 et qu’ils fonctionnent efficacement ;

b)      ils préviennent, détectent et corrigent les irrégularités et recouvrent les sommes indûment payées, le cas échéant augmentées d’intérêts de retard. Ils les notifient à la Commission et tiennent celle-ci informée de l’évolution des procédures administratives et judiciaires.

2.      Lorsque des montants indûment payés à un bénéficiaire ne peuvent pas être recouvrés, l’État membre est responsable du remboursement des montants perdus au budget général de l’Union européenne, lorsqu’il est établi que la perte résulte de sa propre faute ou négligence.

3.      Les modalités d’application des paragraphes 1 et 2 sont adoptées par la Commission conformément à la procédure visée à l’article 103, paragraphe 3. »

7.        L’article 80 du même règlement, intitulé « Intégralité des paiements aux bénéficiaires », est libellé comme suit :

« Les États membres veillent à ce que les organismes chargés d’effectuer les paiements s’assurent que les bénéficiaires reçoivent le montant total de la participation publique dans les plus brefs délais et dans leur intégralité. Il n’est procédé à aucune déduction ou retenue, ni à aucun autre prélèvement spécifique ou autre à effet équivalent qui réduirait ces montants pour les bénéficiaires. »

8.        L’article 98 du règlement no 1083/2006, intitulé « Corrections financières par les États membre », énonce à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.      Il incombe en premier lieu aux États membres de rechercher les irrégularités, d'agir lorsque est constaté un changement important affectant la nature ou les conditions de mise en œuvre ou de contrôle des opérations ou des programmes opérationnels, et de procéder aux corrections financières nécessaires.

2.      Les États membres procèdent aux corrections financières requises en rapport avec les irrégularités individuelles ou systémiques détectées dans les opérations ou les programmes opérationnels. Les corrections auxquelles procèdent les États membres consistent à annuler tout ou partie de la participation publique pour le programme opérationnel. Les États membres tiennent compte de la nature et de la gravité des irrégularités et de la perte financière qui en résulte pour le Fonds.

[...] »

 Le droit roumain

 La loi no 554/2004

9.        L’article 28, paragraphe 1, de la legea nr. 554/2004 (5), prévoit :

« Les dispositions de la présente loi sont complétées par les dispositions du code de procédure civile, dans la mesure où elles ne sont pas incompatibles avec la spécificité des rapports d’autorité entre les autorités publiques, d’une part, et les personnes dont les droits ou intérêts légitimes ont été lésés, d’autre part, ainsi qu’avec la procédure régie par la présente loi. La compatibilité de l’application des règles du code de procédure civile doit être déterminée par la juridiction lorsqu’elle statue sur les exceptions. »

 Le code civil

10.      L’article 1535 du code civil (6), intitulé « Les intérêts moratoires applicables aux obligations pécuniaires », dispose :

« (1)      Lorsqu’une somme d’argent n’est pas payée à l’échéance, le créancier a droit à des intérêts de retard à compter de la date d’échéance jusqu’à la date de paiement, au taux convenu par les parties ou, à défaut, au taux légal, sans avoir à prouver un quelconque préjudice. Dans ce cas, le débiteur n’est pas en droit de prouver que le préjudice subi par le créancier du fait du retard de paiement serait moindre.

(2)      Si, avant l’échéance, le débiteur devait des intérêts à un taux supérieur au taux légal, les intérêts de retard sont dus au taux applicable avant l’échéance.

(3)      Si le taux des intérêts de retard dus n’est pas supérieur au taux légal, le créancier a droit, en plus des intérêts au taux légal, à des dommages et intérêts pour la réparation intégrale du préjudice subi ».

 L’OG no 13/2011

11.      L’article 1er de l’OG no 13/2011 (7) est libellé comme suit :

« (1)      Les parties sont libres d’établir, par convention, un taux d’intérêt tant pour la restitution d’un crédit d’une somme d’argent que pour un retard de paiement d’une obligation pécuniaire.

(2)      L’intérêt dû par le débiteur de l’obligation de donner une somme d’argent à terme déterminé, calculé pour la période antérieure à l’échéance de l’obligation, est dénommé intérêt rémunératoire.

(3)      L’intérêt dû par le débiteur de l’obligation pécuniaire pour non‑respect de l’obligation en cause à l’échéance est dénommé intérêt de pénalité.

[...] »

12.      L’article 3 de cette ordonnance, tel que modifié, se lit comme suit :

« (1)      Le taux de l’intérêt légal rémunératoire est fixé au niveau du taux d’intérêt de référence de la Banque nationale de Roumanie, qui est le taux directeur établi par décision du conseil d’administration de la Banque nationale de Roumanie.

(2)      Le taux de l’intérêt légal de pénalité est fixé au taux d’intérêt de référence majoré de quatre points de pourcentage.

(2 bis)      Dans les rapports entre professionnels et entre professionnels et pouvoirs adjudicateurs, l’intérêt légal de pénalité est fixé au taux d’intérêt de référence majoré de huit points de pourcentage.

(3)      Dans les rapports juridiques qui ne découlent pas de l’exploitation d’une entreprise à but lucratif au sens de l’article 3, paragraphe 3, [du code civil] [...] le taux d’intérêt légal est déterminé conformément aux dispositions du paragraphe 1 et du paragraphe 2 respectivement, réduit de 20 %.

[...] »

13.      Aux termes de l’article 10 de ladite ordonnance, « [l]es dispositions de l’article 1535 et des articles 1538 à 1543 [du code civil] [...] sont applicables à l’intérêt de pénalité ».

 L’OUG no 66/2011

14.      L’article 42, paragraphes 1 et 2, de l’OUG no 66/2011 (8), dans sa version applicable au litige au principal, énonçait :

« (1)      Les créances budgétaires résultant d’irrégularités sont exigibles à l’expiration du délai de paiement fixé dans le titre de créance ou dans les 30 jours suivant la date de communication dudit titre.

(2)      Le débiteur doit, lorsqu’il ne s’acquitte pas dans le délai des obligations prévues par le titre de créance, des intérêts qui sont calculés en appliquant le taux d’intérêt dû au solde restant à payer du montant exprimé en [lei roumains (RON)] de la créance budgétaire, à compter du premier jour suivant l’expiration du délai de paiement fixé conformément au paragraphe 1 jusqu’à la date de l’extinction de la créance, à moins que les règles de l’Union européenne ou du donateur public international n’en disposent autrement. »

 Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

15.      Le 22 avril 2015, le MFE, l’autorité de gestion du programme opérationnel sectoriel du FEDER « Stimuler la compétitivité économique 2007‑2013 », et AA, une société à responsabilité limitée de droit roumain, ont conclu, dans le cadre de ce programme, un contrat de financement (ci‑après le « contrat de financement ») pour la mise en œuvre du projet intitulé « Achat d’équipements visant à renforcer les capacités de production de la société AA » (ci-après le « projet en cause »). En vertu de ce contrat, MFE s’est engagé à accorder à AA un financement non remboursable d’un montant s’élevant à 3 334 257,20 lei roumains (RON) (environ 753 000 euros) pour la réalisation du projet en cause (9).

16.      Pour entamer les procédures d’achat d’équipements dans le cadre dudit projet, AA a contracté, auprès d’un établissement bancaire, un prêt équivalant au montant du financement, visant à couvrir les dépenses éligibles au remboursement.

17.      L’exécution du contrat de financement a fait l’objet de deux recours, dont le premier a amené au renvoi préjudiciel qui fait l’objet de la présente affaire.

18.      Le premier recours résulte de ce que, après l’achèvement du projet en cause, AA a introduit une demande de remboursement de dépenses éligibles, qui est restée sans suite (10), ce qui a entraîné des dépenses supplémentaires liées à la prolongation du prêt (11). Par conséquent, le 18 avril 2016, AA a saisi la Curtea de Apel Cluj (cour d’appel de Cluj, Roumanie), la juridiction de renvoi, d’un recours visant à faire condamner le MFE, premièrement, à adopter une décision acceptant la demande de remboursement, deuxièmement, à rembourser les dépenses éligibles à concurrence d’un montant équivalent à l’aide financière non remboursable au titre du contrat de financement, troisièmement, à verser des intérêts légaux sur ce montant à compter de la date d’introduction du recours, et, quatrièmement, à titre subsidiaire, à payer des dommages et intérêts pour le préjudice matériel subi.

19.      Le second recours résulte de ce que, dans cet intervalle, le 29 août 2016, le MFE a résilié le contrat de financement en raison de certaines irrégularités (12). Par conséquent, le 27 avril 2017, AA a saisi la Curtea de Apel Cluj (cour d’appel de Cluj) d’un recours contre le MFE, tendant, cette fois, à l’annulation de la résiliation du contrat de financement. Par un arrêt devenu définitif le 10 mars 2021 (13), cette juridiction a fait droit au recours au motif que, nonobstant certaines irrégularités commises par AA en exécution du contrat de financement, la résiliation de ce dernier était disproportionnée compte tenu de l’importance mineure des irrégularités. En effet, ladite juridiction estime que le MFE aurait pu appliquer des mesures moins sévères, à savoir des corrections financières (14).

20.      À la suite de cet arrêt et du paiement subséquent, par le MFE, du montant des dépenses éligibles (15), la juridiction de renvoi est restée saisie, dans le cadre du premier recours, exclusivement des chefs de demande relatifs, d’une part, au paiement des intérêts de retard sur le montant versé par le MFE en exécution dudit arrêt et, d’autre part, au paiement des dommages et intérêts au titre du préjudice matériel (16).

21.      À cet égard, cette juridiction se demande, plus précisément, si le droit de l’Union et, en particulier, le principe de bonne gestion financière et la protection des intérêts financiers de l’Union, s’opposent à ce que le droit national prévoie le paiement, au bénéficiaire d’un contrat de financement, d’intérêts de retard sur des dépenses éligibles à charge du FEDER, remboursées tardivement par l’autorité de gestion à la suite de l’annulation de la résiliation du contrat de financement en cause, pour la période au cours de laquelle cette résiliation, ultérieurement annulée en justice, était en vigueur.

22.      En l’absence de dispositions spécifiques dans le droit de l’Union ainsi que dans le droit national et face à une jurisprudence nationale contradictoire en la matière, la juridiction de renvoi a considéré qu’il appartient au droit national de prévoir les modalités et les conditions applicables aux intérêts, conformément au principe de l’autonomie procédurale (17). Cependant, elle se demande si, dans une telle hypothèse, le paiement d’intérêts de retard en application des règles nationales, selon le principe d’équivalence, est compatible avec la protection des intérêts financiers de l’Union et, notamment, avec le principe de bonne gestion financière ou si, au contraire, ce principe ne lui impose pas plutôt d’appliquer, par analogie, les dispositions de droit national qui régissent le retrait de l’avantage financier en cas d’irrégularités et qui ne prévoient pas le paiement d’intérêts (18). En outre, cette juridiction s’interroge sur le point de savoir si une juridiction nationale peut limiter le montant des intérêts de retard éventuellement dus pour tenir compte des irrégularités commises par le bénéficiaire dans l’exécution du contrat de financement, lorsque, comme en l’espèce, cette autorité n’a appliqué aucune correction financière à cet égard.

23.      Dans ce contexte, la Curtea de Apel Cluj (cour d’appel de Cluj) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour quatre questions préjudicielles, dont les trois suivantes font l’objet des présentes conclusions ciblées :

« 1) Le principe de bonne gestion financière doit‑il être interprété en ce sens que, en combinaison avec le principe d’équivalence, il s’oppose à ce qu’une personne morale qui exploite une entreprise dans un but lucratif, bénéficiaire d’un financement non remboursable du FEDER, puisse obtenir de l’autorité publique d’un État membre des intérêts de retard (intérêts de pénalité) pour le paiement tardif de dépenses éligibles pour une période pendant laquelle un acte administratif excluant le remboursement était en vigueur, acte qui a ultérieurement été annulé par une décision de justice ?

2)      En cas de réponse négative à la première question, la faute commise par le bénéficiaire du financement, constatée par cette décision de justice, est‑elle pertinente en ce qui concerne le montant des intérêts de retard, dans les conditions où cette autorité publique compétente pour gérer les fonds européens a finalement déclaré, après le prononcé de ladite décision, que toutes les dépenses étaient éligibles ?

3)      Une règle de droit national qui prévoit que la seule conséquence en cas de constatation d’une irrégularité est la non obtention de l’avantage financier en cause ou, selon le cas, son retrait (la restitution des montants indus) au niveau auquel [il a] été accordé, sans perception d’intérêts, même si le bénéficiaire a profité de cet avantage jusqu’au moment de la restitution, et [que] ce n’est que dans le cas où cette restitution n’intervient pas dans le délai prévu par la loi, de 30 jours à compter de la notification du titre de créance, que l’article 42, paragraphes 1 et 2, de l’[OUG no 66/2011] permet de percevoir des intérêts, après l’expiration de ce délai, est‑elle pertinente aux fins de l’interprétation du principe d’équivalence en ce qui concerne le moment de l’octroi des intérêts de retard au bénéficiaire du financement non remboursable du FEDER ? » (19)

24.      Des observations écrites ont été présentées à la Cour par le MFE, les gouvernements roumain et portugais, ainsi que par la Commission européenne.

 Analyse

25.      Par ses première à troisième questions préjudicielles, qui font l’objet des présentes conclusions ciblées, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, dans le cas d’espèce, AA a droit au paiement d’intérêts de retard (première et troisième questions) et si le montant de ces intérêts peut être limité en raison des irrégularités commises par cette société (deuxième question).

26.      J’examinerai donc, dans un premier temps, les première et troisième questions préjudicielles conjointement et, dans un second temps, la deuxième question préjudicielle.

 Sur les première et troisième questions

27.      S’agissant des première et troisième questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, conformément aux principes de l’Union, et plus particulièrement aux principes de bonne gestion financière et d’équivalence, une personne morale a droit au versement des intérêts de retard pour le paiement tardif de dépenses éligibles au titre des fonds de l’Union, pour la période au cours de laquelle était en vigueur un acte de retrait de cet avantage qui, par la suite, a été annulé par la juridiction nationale compétente.

28.      En l’absence de dispositions expresses dans le droit de l’Union et dans le droit national, cette juridiction envisage deux solutions possibles :

–        d’une part (première question préjudicielle), le paiement d’intérêts de retard pourrait se justifier en application des règles de droit commun (20), pourvu que ces règles soient compatibles avec les principes de la protection des intérêts financiers de l’Union et de bonne gestion financière ;

–        d’autre part (troisième question préjudicielle), le paiement de ces intérêts pourrait être exclu par l’application, par analogie, des dispositions particulières de droit national qui régissent le retrait de l’avantage financier en cas d’irrégularités (21) et qui ne prévoient le paiement d’intérêts de retard qu’à compter de l’expiration du délai de restitution des montants indûment payés (22).

29.      À cet égard, le MFE souligne que le principe d’équivalence ne saurait fonder, en l’espèce, l’obligation de verser des intérêts de retard, en raison, en substance, de la situation caractérisée par une inégalité entre les parties (23), d’autant plus que AA avait manqué à ses obligations (24), et que le principe de bonne gestion financière ne saurait pas davantage justifier une telle obligation, qui occasionnerait d’importants préjudices pour le budget de l’État membre concerné au profit des bénéficiaires des fonds, sans aucune base contractuelle ou légale. Le MFE plaide donc en faveur de l’application de la disposition de droit national qui régit le retrait de l’avantage financier en cas d’irrégularités (25). De façon similaire, les gouvernements roumain et portugais excluent l’octroi d’intérêts de retard, en l’espèce, en application du principe de bonne gestion financière (26) ainsi que du principe d’équivalence, faute de dispositions nationales régissant des situations similaires (27), et soulignent l’existence d’une importante marge d’appréciation accordée aux États membres dans une telle situation.

30.      La Commission considère que, en l’absence de dispositions spécifiques (28), il appartient à l’ordre juridique de l’État membre concerné de régler la question en vertu du principe de l’autonomie procédurale, dans le respect des principes d’équivalence et d’effectivité, étant entendu que le paiement de ces intérêts ne violerait pas le principe de bonne gestion financière (29). En ce qui concerne, plus particulièrement, l’application du principe d’équivalence, la Commission estime qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’identifier les procédures comparables en droit national, tout en précisant que la disposition de droit national qui règle le retrait de l’avantage financier en cas d’irrégularités (30) n’est pas pertinente à cet égard, s’agissant d’une catégorie de recours qui est également fondée sur le droit de l’Union.

31.      Je relève, à titre liminaire, que l’exécution du budget de l’Union au titre du règlement no 1083/2006 (31) fait l’objet d’une gestion partagée, dans le cadre de laquelle, d’une part, la Commission est responsable, notamment, de la planification et de l’approbation des programmes et, d’autre part, les États membres, à travers leurs autorités de gestion, sont responsables de la gestion et de la mise en œuvre des programmes opérationnels (32), notamment à l’égard des bénéficiaires, lesquels ont le droit de recevoir le montant total de la participation publique dans les plus brefs délais et dans leur intégralité (33). L’État membre concerné est donc responsable de la gestion et du contrôle du programme opérationnel et, en particulier, de la prévention, de la détection et de la correction des irrégularités ainsi que du recouvrement des sommes indûment payées, le cas échéant augmentées d’intérêts de retard (34).

32.      Plus particulièrement, l’autorité de gestion est chargée de la gestion et de la mise en œuvre du programme opérationnel conformément au principe de bonne gestion financière (35). En vertu de ce principe, l’exécution du budget doit être mise en œuvre conformément aux principes d’économie, d’efficience et d’efficacité (36), ce qui implique que les fonds structurels et d’investissement européens soient utilisés par les États membres en conformité avec les principes et les exigences légaux sous-tendant la réglementation sectorielle de l’Union (37).

33.      Or, les règlements sectoriels de l’Union, interprétés à la lumière du principe de bonne gestion financière, ne contiennent aucun principe prévoyant que les intérêts de retard sur les remboursements ou les recouvrements tardifs impliquant les États membres et les bénéficiaires doivent ou ne doivent pas être versés en sus du remboursement ou du recouvrement de l’indu (38). Ces règlements et le principe de bonne gestion financière se limitent à conférer aux États membres la faculté de réclamer des intérêts sur les sommes récupérées conformément au droit national, sans définir la nature ni les modalités d’obtention de ces intérêts (39).

34.      Dans ces circonstances, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits des justiciables, en vertu du principe de l’autonomie procédurale, à condition, toutefois, qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union (principe d’effectivité) (40).

35.      En l’espèce, s’agissant, en premier lieu, du principe d’équivalence, rien dans le droit de l’Union ne s’oppose, à mon sens, à ce que la juridiction de renvoi adopte l’une des deux solutions envisagées au point 28 des présentes conclusions, étant entendu qu’il incombe à cette dernière de vérifier quelle serait la disposition applicable, en droit national, à une situation similaire. Plus particulièrement, c’est dans ce contexte qu’incombe à cette juridiction d’apprécier la pertinence de la règle de droit national, évoquée par celle-ci dans sa troisième question préjudicielle (41), selon laquelle ce n’est que dans le cas où la restitution d’un avantage financier indu n’intervient pas dans le délai prévu par la loi que des intérêts sont dus.

36.      Cela étant précisé, et sans préjudice des vérifications qui incombent à la juridiction de renvoi, je relève que, dans le droit des États membres, les intérêts de retard visent normalement à réparer un retard dans l’exécution d’une obligation, sans revêtir une fonction stricto sensu « compensatoire » (42) et suivent normalement une mise en demeure du débiteur de la part du créancier (43). Il y a toutefois des cas de figure dans lesquels des intérêts de retard s’appliquent même en l’absence d’un véritable retard dans le paiement et tendent, en substance, à compenser la simple privation de jouissance du montant illégalement payé (44).

37.      En ce qui concerne, en second lieu, le principe d’effectivité, en l’absence d’une approche commune dans la législation de l’Union ainsi que dans la jurisprudence de l’Union et des États membres, j’estime que, en principe, le paiement d’intérêts de retard par l’autorité de gestion, dans le cas de retard dans le remboursement de dépenses éligibles au titre des fonds de l’Union, bien que non explicitement prévu par la législation de l’Union, ne ferait pas obstacle aux objectifs de la réglementation applicable et n’irait pas à l’encontre des principes et des exigences juridiques qui sous-tendent les règlements sectoriels de l’Union et, notamment, le principe de bonne gestion financière (45).

38.      Par ailleurs, l’octroi d’intérêts de retard dans le cas d’espèce ne serait pas en mesure d’affecter les intérêts financiers de l’Union, étant donné que de telles dépenses ne sont pas éligibles au remboursement à l’État membre par la Commission (46).

39.      Au vu de ce qui précède, je propose de répondre aux première et troisième questions préjudicielles que le principe de bonne gestion financière, lu en combinaison avec le principe d’équivalence, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle le bénéficiaire d’un financement non remboursable du FEDER peut obtenir de l’autorité de gestion d’un État membre des intérêts de retard pour le paiement tardif de dépenses éligibles pour une période pendant laquelle un acte administratif excluant le remboursement de ces dépenses, qui a ultérieurement été annulé par une décision de justice, était en vigueur et que, à cet égard, il incombe à la juridiction de renvoi d’apprécier, conformément au principe d’équivalence, la pertinence d’une règle de droit national telle que celle selon laquelle ce n’est que dans le cas où la restitution d’un avantage financier indu n’intervient pas dans le délai prévu par la loi que des intérêts sont dus.

 Sur la deuxième question

40.      S’agissant de la deuxième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le montant des intérêts de retard peut être limité en raison d’irrégularités commises par le bénéficiaire dans l’exécution du contrat de financement, alors que l’autorité compétente n’a appliqué aucune correction financière à cet égard.

41.      Le MFE et le gouvernement roumain font valoir, pour l’essentiel, que, dès lors que la décision de justice ayant annulé la résiliation du contrat de financement a également constaté des irrégularités dans le chef de AA dans l’exécution du contrat de financement, ces irrégularités feraient obstacle au paiement des intérêts de retard, à tout le moins en partie. Selon la Commission, il appartient à la juridiction nationale de déterminer si ces irrégularités peuvent être prises en considération dans le calcul du montant des intérêts de retard, en vertu du droit national applicable à des litiges nationaux similaires, dans le respect des principes généraux du droit de l’Union et notamment du principe de proportionnalité.

42.      À mon avis, en l’absence de règles de droit de l’Union applicables en l’espèce, il appartient là encore à l’ordre juridique interne de chaque État membre de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits conférés aux justiciables, en vertu du principe de l’autonomie procédurale, dans le respect des principes d’équivalence et d’effectivité (47). En outre, dans la mesure où la procédure en cause au principal, concernant l’octroi de financements provenant du budget de l’Union, est une mesure de mise en œuvre du droit de l’Union, elle est soumise aux principes généraux du droit de l’Union, parmi lesquels figurent, notamment, le principe de proportionnalité (48).

43.      Partant, tout d’abord, il appartient à la juridiction de renvoi, conformément au principe d’équivalence, d’apprécier si des irrégularités commises par le bénéficiaire doivent être prises en considération dans le cadre de litiges nationaux similaires et si les modalités prévues par le droit national sont conformes au droit de l’Union.

44.      À cet égard, sans vouloir empiéter sur les appréciations qui incombent à la juridiction de renvoi, j’estime qu’il conviendrait de distinguer, d’une part, la question de l’éventuelle imposition de corrections financières au vu des violations des obligations contractuelles par le bénéficiaire, appréciée à l’aune des règles de l’Union et nationales relatives à l’octroi des fonds de l’Union et, d’autre part, celle du paiement d’intérêts de retard pour le retard dans l’octroi des fonds, appréciée à l’aune des dispositions nationales qui règlent le paiement d’intérêts de retard dans des situations similaires. Cette juridiction sera donc tenue de vérifier dans quelle mesure le droit national lui permet de tenir compte des irrégularités commises dans l’exécution du projet afin de justifier le refus ou la réduction des seuls intérêts de retard (49).

45.      Concernant, ensuite, le principe d’effectivité, il convient de rappeler qu’il relève de la responsabilité de l’État membre concerné de tenir compte du respect des règles de l’Union et donc de déceler et de corriger des éventuelles irrégularités en annulant tout ou partie de la participation publique pour le programme opérationnel, en tenant compte de la nature et de la gravité des irrégularités et de la perte financière qui en résulte pour le Fonds (50).

46.      En l’espèce, le MFE a procédé au remboursement intégral des dépenses éligibles, sans effectuer de corrections (51). Dans ces circonstances particulières, il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier si et dans quelle mesure le droit national lui permet de tenir compte, dans le cadre de l’affaire au principal concernant la demande d’intérêts de retard, éventuellement d’office (52), des irrégularités relevées lors de l’arrêt rendu dans le cadre du second recours, compte tenu également de ce que le remboursement a été effectué par le MFE en exécution de l’arrêt définitif rendu dans le cadre du second recours (53). En effet, il n’apparaît pas clairement si, et dans quelle mesure, l’autorité nationale avait la possibilité d’imposer des corrections financières lors du remboursement du montant des dépenses éligibles, dès lors qu’elle avait initialement imposé, sans succès, une mesure plus rigide, telle que la résiliation du contrat de financement (54). Partant, le droit de l’Union ne s’oppose pas à ce que la juridiction de renvoi remette en question, dans la mesure où la législation nationale le permet, le montant des intérêts de retard éventuellement dus, en raison des irrégularités constatées. Dans le cas contraire, ces irrégularités resteraient sans conséquences, au profit du bénéficiaire.

47.      En ce qui concerne, enfin, le principe de proportionnalité, en l’absence d’éléments dans le dossier soumis à la Cour quant aux irrégularités éventuellement imputables à AA dans l’exécution du contrat de financement, force est de constater qu’il appartient à la juridiction de renvoi, une fois reconnue sa compétence à la lumière des considérations qui précèdent, d’apprécier si, en l’occurrence, au cas où ces irrégularités existent, celles-ci justifient la suppression ou la réduction des éventuels intérêts, compte tenu de ce que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures toutes aussi appropriées, il convient, en vertu du principe de proportionnalité, de recourir à la moins contraignante (55).

48.      Dans ces circonstances, je propose de répondre à la deuxième question préjudicielle que, lorsque le bénéficiaire d’un financement non remboursable du FEDER doit obtenir de l’autorité publique d’un État membre des intérêts de retard au titre du paiement tardif de dépenses éligibles pour une période au cours de laquelle un acte administratif excluant le remboursement était en vigueur et a ensuite été annulé par une décision de justice, il appartient à la juridiction nationale de déterminer, conformément au principe de l’autonomie procédurale, si des irrégularités commises par le bénéficiaire du financement peuvent être prises en compte dans le calcul du montant des intérêts de retard en vertu du droit national applicable à des litiges nationaux similaires, sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité, ainsi que des principes généraux du droit de l’Union et notamment du principe de proportionnalité.

 Conclusion

49.      Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux première à troisième questions préjudicielles posées par la Curtea de Apel Cluj (cour d’appel de Cluj, Roumaine) de la manière suivante :

1)      Le principe de bonne gestion financière, lu en combinaison avec le principe d’équivalence, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle le bénéficiaire d’un financement non remboursable du Fonds européen de développement régional (FEDER) peut obtenir de l’autorité de gestion d’un État membre des intérêts de retard au titre du paiement tardif de dépenses éligibles pour une période pendant laquelle un acte administratif excluant le remboursement de ces dépenses, qui a ultérieurement été annulé par une décision de justice, était en vigueur et que, à cet égard, il incombe à la juridiction de renvoi d’apprécier, conformément au principe d’équivalence, la pertinence d’une règle de droit national telle que celle selon laquelle ce n’est que dans le cas où la restitution d’un avantage financier indu n’intervient pas dans le délai prévu par la loi que des intérêts sont dus.

2)      Lorsque le bénéficiaire d’un financement non remboursable du FEDER doit obtenir de l’autorité publique d’un État membre des intérêts de retard au titre du paiement tardif de dépenses éligibles pour une période au cours de laquelle un acte administratif excluant le remboursement était en vigueur, qui a ensuite été annulé par une décision de justice, il appartient à la juridiction nationale de déterminer, conformément au principe de l’autonomie procédurale, si des irrégularités commises par le bénéficiaire du financement peuvent être prises en compte dans le calcul du montant des intérêts de retard en vertu du droit national applicable à des litiges nationaux similaires, sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité, ainsi que des principes généraux du droit de l’Union et notamment du principe de proportionnalité.


1      Langue originale : le français.


2      Règlement du Conseil du 11 juillet 2006 portant dispositions générales sur le Fonds européen de développement régional, le Fonds social européen et le Fonds de cohésion, et abrogeant le règlement (CE) no 1260/1999 (JO 2006, L 210, p. 25), tel que modifié par le règlement (UE) nº 423/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012 (JO 2012, L 133, p. 1) (ci-après le « règlement nº 1083/2006).


3      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relatif au Fonds européen de développement régional et abrogeant le règlement (CE) no 1783/1999 (JO 2006, L 210, p. 1).


4      Règlement du Conseil du 25 juin 2002 portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO 2002, L 248, p. 1).


5      Legea nr. 554/2004 a contenciosului administrativ (loi no 554/2004 sur le contentieux administratif), du 2 décembre 2004 (Monitorul Oficial al României, no 1154 du 7 décembre 2004, ci-après la « loi nº 554/2004 »).


6      Legea nr. 287/2009 privind Codul civil al României (loi no 287/2009 portant code civil roumain), du 17 juillet 2009 (republiée dans Monitorul Oficial al României, partie I, no 505 du 15 juillet 2011, ci‑après le « code civil »).


7      Ordonanța Guvernului nr. 13 privind dobânda legală remuneratorie și penalizatoare pentru obligații bănești, precum și pentru reglementarea unor măsuri financiar fiscale în domeniul bancar (ordonnance du gouvernement no 13 concernant l’intérêt légal rémunératoire et de pénalité pour les obligations pécuniaires, ainsi que pour réglementer des mesures financières et fiscales dans le domaine bancaire), du 24 août 2011(Monitorul Oficial al României, partie I, no 607 du 29 août 2011, ci‑après l’« OG no 13/2011 »).


8      Ordonanța de urgență a Guvernului nr. 66/2011 privind prevenirea, constatarea și sancționarea neregulilor apărute în obținerea și utilizarea fondurilor europene și/sau a fondurilor publice naționale aferente acestora (ordonnance d’urgence du gouvernement no 66/2011 concernant la prévention, la constatation et la sanction des irrégularités apparues dans l’obtention et l’utilisation des Fonds européens et/ou de Fonds publics nationaux afférents), du 29 juin 2011 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 461 du 30 juin 2011, ci‑après l’« OUG no 66/2011 »).


9      En outre, AA s’est engagée à cofinancer ce projet par une contribution aux dépenses éligibles et par des dépenses non éligibles.


10      Sur la base des dispositions contractuelles et légales applicables, l’obligation de remboursement incombant au MFE est arrivée à échéance 20 jours après la date de dépôt de la demande de remboursement. Par lettre du 22 septembre 2015, AA a sollicité le remboursement des dépenses éligibles. Cette demande de remboursement a été complétée par lettres des 2 et 22 octobre 2015, compte tenu du fait que, au moment de ladite demande, le paiement de certains équipements achetés n’avait pas été intégralement effectué.


11      Ce prêt aurait dû être remboursé au moyen du financement octroyé par le MFE.


12      En particulier du fait du non‑respect, par AA, de l’obligation de publier l’appel d’offres ou l’avis de marché et d’autres irrégularités dans la mise en œuvre du contrat de financement.


13      Plus précisément, il s’agit de la date du rejet du pourvoi par l’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice, Roumanie).


14      La juridiction nationale a notamment relevé que, même si AA n’avait pas respecté les dispositions du contrat de financement relatives à la publication de l’appel d’offres ou l’avis de marché pour les équipements, les achats avaient néanmoins été effectués conformément à la procédure prévue par un arrêté adopté par le MFE, des notes relatives à la détermination des montants estimés avaient été établies et les critères déterminant le choix de la procédure avaient été définis.


15      Dans ce cadre, le MFE a procédé au paiement intégral sans qu’aucune correction financière soit appliquée, et ce nonobstant les irrégularités constatées par l’arrêt de la Curtea de Apel Cluj (cour d’appel de Cluj).


16      En l’occurrence, le préjudice consisterait en des coûts supplémentaires d’un montant de 28 983,65 RON (environs 6 500 euros) au titre des intérêts et des commissions résultant du prolongement du contrat de crédit.


17      La juridiction de renvoi précise également que les États membres disposent d’une marge d’appréciation pour réglementer les modalités de contrôle visant à assurer la protection des intérêts financiers de l’Union.


18      En l’occurrence, il s’agirait de l’article 42 de l’OUG n° 66/2011, selon lequel, lorsque le débiteur ne s’acquitte pas, dans le délai de 30 jours fixé par la loi, des obligations de restitution des montants qui lui ont été indûment payés, il ne doit payer des intérêts de retard qu’à compter du premier jour suivant l’expiration de ce délai.


19      La juridiction de renvoi se demande également, par une quatrième question préjudicielle, si un contrat de financement comme celui en cause au principal relève du champ d’application de la directive 2011/7/UE du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 2011, concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales (JO 2011, L 48, p. 1), aux fins de la fixation du taux d’intérêt applicable pour le retard de paiement.


20      Il s’agit, selon la juridiction de renvoi, de l’article 1535 du code civil et des articles 1 et 3 de l’OG no 13/2011, étant donné que l’article 28 de la loi no 554/2004 permet de compléter les dispositions de cette loi par celles du droit commun prévues par le code civil. Je remarque, toutefois, que cette dernière disposition, telle que reproduite dans la décision de renvoi préjudiciel, fait référence au code de procédure civile.


21      Il s’agit, selon la juridiction de renvoi, de l’article 42 de l’OUG no 66/2011.


22      La juridiction de renvoi souligne également que la jurisprudence nationale est divisée à cet égard. En effet, certaines juridictions ont accordé des intérêts de retard en application des principes de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime et d’équivalence, alors que d’autres ont refusé l’octroi de ces intérêts au motif que la législation nationale ne les prévoyait pas expressément.


23      Selon le MFE, le bénéficiaire des fonds profiterait de l’octroi à titre gratuit de montants provenant du budget de l’Union, sans aucune obligation de remboursement mais seulement une obligation d’exécuter le projet conformément au contrat de financement, tandis que l’autorité de gestion ne tirerait aucun avantage patrimonial de l’aide accordée.


24      En revanche, le MFE excipe de sa bonne foi en faisant valoir qu’il a donné suite à la demande de remboursement immédiatement après le prononcé de la décision de justice définitive qui a annulé la résiliation du contrat de financement.


25      À savoir, l’article 42 de l’OUG no 66/2011. Plus particulièrement, selon le MFE, le respect du principe d’équivalence ne pourrait être assuré que par l’application, à l’encontre du pouvoir adjudicateur, de la même règle relative aux intérêts de pénalité que celle relative aux intérêts de pénalité à la charge du bénéficiaire du financement.


26      Le gouvernement roumain souligne qu’un tel cas de figure ne relève pas du droit de l’Union, l’éventuel paiement d’intérêts étant financé par le budget de l’État membre.


27      Le gouvernement roumain évoque également l’article 42 de l’OUG no 66/2011, tandis que le gouvernement portugais souligne l’impact négatif de l’éventuelle application d’intérêts de retard sur la délicate tâche de contrôle dont sont investies les autorités nationales.


28      Elle précise notamment que l’article 70, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 1083/2006 se limite à offrir aux États membres la faculté de réclamer des intérêts sur les sommes récupérées conformément au droit national, sans définir la nature et les modalités d’obtention de ces intérêts.


29      La Commission précise que, dans une telle hypothèse, les intérêts financiers de l’Union ne seraient pas affectés, étant donné que, conformément à l’article 7 du règlement no 1080/2006 et à l’article 56, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1083/2006, de telles dépenses ne sont pas éligibles au remboursement à l’État membre par la Commission.


30      À savoir, l’article 42 de l’OUG no 66/2011.


31      Dans un souci de clarté, je rappelle que, bien que le règlement no 1083/2006 ait été abrogé, avec effet au 1er janvier 2014, par l’article 153 du règlement (UE) n° 1303/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, portant dispositions communes relatives au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen, au Fonds de cohésion, au Fonds européen agricole pour le développement rural et au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, portant dispositions générales applicables au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen, au Fonds de cohésion et au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, et abrogeant le règlement (CE) no 1083/2006 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 320), conformément à l’article 152 du règlement n° 1303/2013, ce dernier n’affecte pas la poursuite ou la modification d’une intervention approuvée par la Commission sur la base du règlement no 1083/2006.


32      Voir article 14 du règlement no 1083/2006.


33      Voir article 80 du règlement no 1083/2006.


34      Voir article 70, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1083/2006.


35      Voir article 60 du règlement no 1083/2006. Ce principe est également mentionné, de façon plus générale, à l’article 317 TFUE, qui prévoit que, en ce qui concerne l’exécution du budget de l’Union, « [l]es États membre coopèrent avec la Commission pour faire en sorte que les crédits soient utilisés conformément aux principes de la bonne gestion financière ».


36      Voir, notamment, la définition figurant à l’article 30 du règlement (UE, Euratom) no 966/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union et abrogeant le règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil (JO 2012, L 298, p. 1), ainsi qu’à l’article 2, paragraphe 59, du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement (UE, Euratom) no 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1).


37      Arrêt du 14 avril 2021, Roumanie/Commission (T‑543/19, EU:T:2021:193, point 50), confirmé, sur pourvoi, par arrêt du 14 juillet 2022, Roumanie/Commission (C‑401/21 P, EU:C:2022:564).


38      Cela n’est pas le cas dans d’autres domaines du droit de l’Union. Par exemple, l’article 232, paragraphe 1, sous b), du règlement (CEE) no 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire (JO 1992, L 302, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 1791/2006 du Conseil, du 20 novembre 2006 (JO 2006, L 363, p. 1), prévoit des intérêts de retard sur les dettes douanières, qui visent à pallier les conséquences découlant du dépassement du délai de paiement et, notamment, à éviter que le débiteur de la dette douanière ne tire indûment avantage du fait que les montants dus au titre de cette dette demeurent à sa disposition au-delà du délai fixé pour l’acquittement de celle-ci (voir arrêt du 31 mars 2011, Aurubis Balgaria, C‑546/09, EU:C:2011:199, point 29). En outre, en matière de TVA, la Cour a jugé que, lorsque le remboursement à l’assujetti de l’excédent de TVA intervient au-delà d’un délai raisonnable, le principe de neutralité du système fiscal de la TVA exige que les pertes financières ainsi générées, au préjudice de l’assujetti, par l’indisponibilité des sommes d’argent en cause soient compensées par le paiement d’intérêts de retard (voir arrêt du 24 octobre 2013, Rafinăria Steaua Română, C‑431/12, EU:C:2013:686, point 23). Ces considérations pourraient amener à conclure que, lorsque le législateur de l’Union a souhaité imposer l’octroi des intérêts, il l’a explicitement fait, alors que, en l’espèce, il semble avoir laissé une pleine marge de manœuvre aux États membres.


39      Voir, notamment, article 70, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1083/2006. Dans un contexte analogue, relatif au Fonds européen agricole de garantie (FEAGA), la Cour a jugé que, dans une situation où le droit de l’Union ne prévoit pas la perception d’intérêts dans un État membre, il est compatible avec le droit de l’Union qu’un État membre perçoive des intérêts conformément au droit national lorsqu’il récupère un avantage indûment reçu du budget de l’Union, même lorsque ces intérêts sont portés au crédit du budget de l’État membre (voir arrêt du 29 mars 2012, Pfeifer & Langen, C‑564/10, EU:C:2012:190, point 46 et jurisprudence citée). Il en va de même lorsque les intérêts, dont la perception n’est pas exigée par le droit de l’Union, sont restitués, dans le cadre des mesures financées par le FEAGA, au budget de l’Union (voir arrêt du 29 mars 2012, Pfeifer & Langen, C‑564/10, EU:C:2012:190, point 47).


40      Voir, en ce sens, arrêt du 15 mars 2017, Aquino (C‑3/16, EU:C:2017:209, point 48 et jurisprudence citée).


41      À savoir, l’article 42 de l’OUG no 66/2011.


42      Je relève, par ailleurs, que, en l’espèce, il devrait être toujours possible pour AA de démontrer, selon les règles procédurales nationales applicables, l’existence d’une perte économique causée par le retard dans le remboursement, ce qui exigerait notamment la preuve de ce préjudice (il s’agit probablement du volet du recours au principal portant sur les dommages et intérêts).


43      Voir, par exemple, en droit hellénique, articles 340 et 355 de l’αστικός κώδικας/astikós kódikas (code civil), en droit français, article 1344-1 du code civil, et en droit italien, article 1224 du codice civile (code civil). C’est, par ailleurs, dans cette même perspective que, notamment, l’article 99 du règlement 2018/1046, intitulé « Intérêts de retard », dispose, en substance, que, sans préjudice des dispositions spécifiques découlant de l’application de la réglementation spécifique, toute créance non remboursée dans le délai indiqué dans la note de débit porte intérêts de retard (cette disposition, mentionnée à titre explicatif, n’est toutefois pas applicable ratione temporis au litige au principal).


44      Il s’agit, par exemple, des cas de remboursement d’une sanction illégale. Voir, notamment, en droit hellénique, article 21 du διάταγμα της 26.6/10.7.1944 « περί κώδικος των νόμων περί δικών του Δημοσίου » [décret du 26 juin/10 juillet 1944 portant codification des lois sur les procès de l’État) (FEK A’ 139)] et, en droit italien, article 44, paragraphe 1, du decreto del Presidente della Repubblica n. 602 del 1973 [décret no 602 du président de la République, du 29 septembre 1973, portant dispositions relatives à la perception de l’impôt sur le revenu du 29 septembre 1973 (GURI no 268, du 16 octobre 1973)]. Une solution analogue semble être adoptée, en droit français, par l’article L. 208 du livre des procédures fiscales.


45      Au contraire, l’obligation de paiement d’intérêts de retard dans cette situation pourrait éventuellement faciliter l’exercice du droit des bénéficiaires à recevoir la contribution publique « dans les plus brefs délais » et dans son intégralité, pour autant que les critères d’éligibilité soient remplis (voir article 80 du règlement no 1083/2006).


46      En effet, conformément à l’article 7 du règlement no 1080/2006 et à l’article 56, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1083/2006, les intérêts ne sont pas éligibles à une contribution du FEDER et ne sont pas considérés comme des dépenses encourues pour des opérations décidées par l’autorité de gestion. En outre, en l’espèce, les intérêts ne relèveraient même pas du champ d’application temporel de l’éligibilité visée à l’article 56, paragraphe 1, du règlement nº 1083/2006, qui prévoit que de telles dépenses ne sont éligibles que si elles ont effectivement été payées avant le 31 décembre 2015.


47      Voir point 34 des présentes conclusions.


48      Voir, en ce sens, arrêt du 27 janvier 2022, Zinātnes parks (C‑347/20, EU:C:2022:59, point 61 et jurisprudence citée).


49      En effet, la juridiction de renvoi a précisé, dans la décision de renvoi, que, à la suite de l’arrêt rendu dans le cadre du second recours et au remboursement subséquent de l’intégralité des dépenses éligibles, la demande de remboursement des dépenses éligibles dans l’affaire au principal était devenue sans objet.


50      Voir, notamment, article 98, paragraphes 1 et 2, du règlement no 1083/2006.


51      Voir note en bas de page 15 des présentes conclusions.


52      La décision de renvoi ne fait pas apparaître si la juridiction de renvoi envisage de soulever d’office la question de la « compensation » entre les éventuels intérêts de retard et les corrections financières ou si le MFE a soulevé ce moyen. Dans la présente procédure préjudicielle, ce dernier a fait valoir que, s’il a déclaré éligibles toutes les dépenses litigieuses, cela ne reviendrait pas à reconnaître les prétentions de AA avec effet rétroactif, mais attesterait simplement de la bonne foi de cette société.


53      À savoir, l’arrêt ayant annulé la résiliation du contrat de financement (voir points 19 et 20 des présentes conclusions). Par conséquent, l’application des éventuelles corrections financières ne saurait remettre en cause le remboursement de la totalité des dépenses éligibles effectué par le MFE, au risque de soulever la question ultérieure et délicate d’une éventuelle violation du principe de l’autorité de la chose jugée. Or, bien que cette question ne fasse pas l’objet des questions préjudicielles soulevées par la juridiction de renvoi, je rappelle que, au vu de l’importance que revêt, tant dans l’ordre juridique de l’Union que dans les ordres juridiques nationaux, le principe de l’autorité de la chose jugée, le droit de l’Union n’impose pas au juge national d’écarter l’application des règles de procédure internes conférant l’autorité de la chose jugée à une décision, même si cela permettrait de remédier à une situation nationale incompatible avec ce droit, à moins que les règles de procédure internes applicables comportent, sous certaines conditions, la possibilité pour le juge national de revenir sur une décision revêtue de l’autorité de la chose jugée pour rendre la situation compatible avec le droit national, auquel cas cette possibilité doit, conformément aux principes d’équivalence et d’effectivité, prévaloir, si ces conditions sont réunies, afin que soit restaurée la conformité de la situation en cause au principal avec le droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 23 novembre 2023, Right to Know, C‑84/22, EU:C:2023:910, points 62, 63 et 78, ainsi que jurisprudence citée).


54      En procédant ainsi, elle n’a pas eu l’occasion d’exercer sa compétence en ce qui concerne l’éventuelle réduction du montant principal en raison des irrégularités constatées.


55      Voir, en ce sens, arrêt du 24 février 2022, Agenzia delle dogane e dei monopoli et Ministero dell'Economia e delle Finanze (C‑452/20, EU:C:2022:111, point 38 et jurisprudence citée).