Language of document : ECLI:EU:T:2009:333

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

16 septembre 2009 (*)

« Responsabilité non contractuelle – Union douanière – Preuve du caractère communautaire des produits de la pêche maritime – Impossibilité de produire certains documents au titre de preuve – Violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit conférant des droits aux particuliers – Responsabilité de la Communauté en l’absence de comportement illicite de ses organes »

Dans l’affaire T‑162/07,

Pigasos Alieftiki Naftiki Etaireia, établie à Moschato (Grèce), représentée par Mes N. Skandamis et E. Perakis, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté initialement par M. F. Florindo Gijón et Mme M.‑M. Joséphidès, puis par M. Florindo Gijón et Mme M. Balta, en qualité d’agents,

et

Commission des Communautés européennes, représentée initialement par Mme E. Cujo, MM. S. Schønberg et M. Konstantinidis, puis par M. Schønberg et Mme M. Patakia, en qualité d’agents,

parties défenderesses,

ayant pour objet un recours en indemnité visant à obtenir réparation du préjudice prétendument subi par la requérante en raison du fait que le Conseil et la Commission n’ont pas adopté de dispositions permettant aux autorités douanières d’un État membre d’accepter comme preuve du caractère communautaire de produits de la pêche maritime des documents autres que le formulaire T2M prévu par le règlement (CEE) n° 2454/93 de la Commission, du 2 juillet 1993, fixant certaines dispositions d’application du règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil, établissant le code des douanes communautaire (JO L 253, p. 1),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (septième chambre),

composé de MM. N. J. Forwood, président, D. Šváby et E. Moavero Milanesi (rapporteur), juges,

greffier : Mme K. Kantza, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 5 juin 2009,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

1        Selon l’article 4, point 6, du règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire (JO L 302, p. 1, ci‑après le « code des douanes »), entré en vigueur le 1er janvier 1994, le statut douanier est le « statut d’une marchandise comme marchandise communautaire ou non communautaire ». Au point 7 du même article les marchandises communautaires sont définies comme étant :

–        les marchandises « entièrement obtenues dans le territoire douanier de la Communauté dans les conditions visées à l’article 23, sans apport de marchandises importées de pays ou territoires ne faisant pas partie du territoire douanier de la Communauté. Les marchandises obtenues à partir de marchandises placées sous un régime suspensif ne sont pas considérées comme ayant le caractère communautaire dans les cas d’importance économique particulière déterminés selon la procédure du comité » ;

–        les marchandises « importées de pays ou territoires ne faisant pas partie du territoire douanier de la Communauté et mises en libre pratique » ;

–        les marchandises « obtenues, dans le territoire douanier de la Communauté, soit à partir de marchandises visées au deuxième tiret exclusivement, soit à partir de marchandises visées aux premier et deuxième tirets ».

2        Il ressort de l’article 4, point 8, du code des douanes que « les marchandises non communautaires sont les marchandises autres que celles visées au point 7 » et que, « sans préjudice des articles 163 et 164, les marchandises communautaires perdent ce statut douanier lorsqu’elles sont effectivement sorties du territoire douanier de la Communauté ».

3        L’article 23 du code des douanes contient la définition de la notion de « marchandises entièrement obtenues dans un pays » et mentionne spécialement les produits de la pêche. Il est rédigé comme suit :

« 1. Sont originaires d’un pays les marchandises entièrement obtenues dans ce pays.

2. On entend par marchandises entièrement obtenues dans un pays :

[…]

f)      les produits de la pêche maritime et les autres produits extraits de la mer en dehors de la mer territoriale d’un pays par des bateaux immatriculés ou enregistrés dans ledit pays et battant pavillon de ce même pays ;

g)      les marchandises obtenues à bord de navires-usines à partir de produits visés [sous] f) originaires de ce pays, pour autant que ces navires-usines soient immatriculés ou enregistrés dans ledit pays et qu’ils battent pavillon de celui-ci ;

[…]

3. Pour l’application du paragraphe 2, la notion de pays couvre également la mer territoriale de ce pays. »

4        En ce qui concerne les marchandises soumises à la surveillance douanière jusqu’à l’établissement de leur statut douanier, l’article 37 du code des douanes prévoit ce qui suit :

« 1. Les marchandises qui sont introduites dans le territoire douanier de la Communauté sont, dès cette introduction, soumises à la surveillance douanière. Elles peuvent faire l’objet de contrôles de la part des autorités douanières conformément aux dispositions en vigueur.

2. Elles restent sous cette surveillance aussi longtemps qu’il est nécessaire pour déterminer leur statut douanier et, s’agissant de marchandises non communautaires et sans préjudice de l’article 82, paragraphe 1, jusqu’à ce qu’elles soit changent de statut douanier, soit [soient] introduites dans une zone franche ou un entrepôt franc, soit [soient] réexportées ou détruites conformément à l’article 182. »

5        Ainsi qu’il est établi par l’article 313 du règlement (CEE) n° 2454/93 de la Commission, du 2 juillet 1993, fixant certaines dispositions d’application du règlement n° 2913/92 (JO L 253, p. 1, ci‑après le « règlement d’application »), tel qu’applicable à l’époque des faits, sous certaines réserves, toutes les marchandises qui se trouvent sur le territoire douanier de la Communauté sont réputées marchandises communautaires, sauf s’il est établi qu’elles ne possèdent pas le statut communautaire. Le paragraphe 2 de ce même article est rédigé comme suit :

« Ne sont pas réputées marchandises communautaires à moins que leur caractère communautaire soit dûment établi conformément aux articles 314 à 323 :

a)      les marchandises introduites sur le territoire douanier de la Communauté conformément à l’article 37 du code ;

toutefois, conformément à l’article 38, paragraphe 5, du code, les marchandises introduites sur le territoire douanier de la Communauté sont réputées marchandises communautaires, sauf s’il est établi qu’elles ne possèdent pas le statut communautaire :

–        lorsque, s’agissant du transport aérien, elles ont été embarquées ou transbordées dans un aéroport de la Communauté à destination d’un aéroport situé dans le territoire douanier de la Communauté, pour autant que le transport s’effectue sous le couvert d’un titre de transport unique établi dans un État membre, ou

–        lorsque, s’agissant du transport maritime, elles sont transportées entre des ports situés sur le territoire douanier de la Communauté sur une ligne régulière autorisée conformément aux articles 313 bis et 313 ter ;

b)      les marchandises qui se trouvent en dépôt temporaire ou dans une zone franche soumise aux modalités de contrôle du type I au sens de l’article 799 ou dans un entrepôt franc ;

c)       les marchandises placées sous un régime suspensif ou dans une zone franche soumise aux modalités de contrôle du type II au sens de l’article 799. »

6        Aux termes de l’article 314 du règlement d’application :

« 1. Au cas où les marchandises ne sont pas réputées communautaires au sens de l’article 313, leur statut communautaire ne peut être établi conformément à l’article 314 quater, paragraphe 1, que lorsque :

a)       elles sont transportées à partir d’un autre État membre sans emprunt du territoire d’un pays tiers

ou

b)       elles sont transportées à partir d’un autre État membre avec emprunt du territoire d’un pays tiers, le transport étant effectué sous le couvert d’un titre de transport unique, établi dans un État membre

ou

c)       elles sont transbordées dans un pays tiers sur un moyen de transport autre que celui à bord duquel elles ont été initialement chargées et qu’un nouveau document de transport a été établi, à condition que le nouveau document de transport soit accompagné d’une copie du document de transport original délivré pour le transport des marchandises depuis l’État membre de départ jusqu’à l’État membre de destination. Les autorités douanières du bureau de destination, dans le cadre de la coopération administrative entre les États membres, effectuent des contrôles a posteriori afin de s’assurer de l’exactitude des mentions qui sont portées sur la copie du titre de transport original.

3. Les documents ou les modalités visés à l’article 314 quater, paragraphe 1, ne peuvent pas être utilisés pour les marchandises pour lesquelles les formalités d’exportation ont été accomplies ou qui sont placées sous le régime du perfectionnement actif, système du rembours. »

7        En ce qui concerne la preuve du caractère communautaire des marchandises, l’article 314 quater, paragraphe 1, prévoit notamment :

« 1. Sans préjudice des marchandises placées sous le régime du transit communautaire interne, la preuve du statut communautaire des marchandises ne peut être établie que par l’un des moyens suivants :

[…]

d)      par le document prévu à l’article 325 ;

[…] »

8        L’article 325, paragraphe 1, du règlement d’application définit le « navire de pêche communautaire » comme le navire immatriculé et enregistré dans une partie du territoire d’un État membre qui appartient au territoire douanier de la Communauté, qui bat pavillon d’un État membre, qui effectue la capture des produits de la pêche maritime et, le cas échéant, leur traitement à bord. Le « navire-usine communautaire » se distingue du navire de pêche communautaire en raison du fait qu’il n’effectue pas la capture des produits de la pêche maritime, mais les traite à bord. Aux termes des paragraphes 2 et 3 de ce même article :

« 2. Un formulaire T2M, établi conformément aux dispositions des articles 327 à 337, doit être produit afin de justifier le caractère communautaire :

a)       des produits de la pêche maritime capturés en dehors de la mer territoriale d’un pays ou territoire qui n’appartient pas au territoire douanier de la Communauté par un navire de pêche communautaire

et

b)       des marchandises obtenues à partir desdits produits, à bord dudit navire ou d’un navire-usine communautaire, dans la fabrication desquelles, le cas échéant, sont entrés d’autres produits possédant le caractère communautaire,

qui sont pourvus, le cas échéant, d’emballages qui ont ledit caractère et qui sont destinés à être introduits dans le territoire douanier de la Communauté dans les circonstances visées à l’article 326.

3. La justification du caractère communautaire des produits de la pêche maritime et des autres produits qui sont capturés ou extraits de la mer, en dehors de la mer territoriale d’un pays ou territoire qui n’appartient pas au territoire douanier de la Communauté, par des navires battant pavillon d’un État membre et immatriculés ou enregistrés dans une partie du territoire d’un État membre qui appartient au territoire douanier de la Communauté, ou desdits produits extraits ou capturés dans des eaux du territoire douanier de la Communauté par des navires d’un pays tiers, doit être produite par le livre de bord ou par tout moyen établissant ledit caractère. »

9        Aux termes de l’article 326 du règlement d’application :

« 1. Le formulaire T2M doit être présenté pour les produits et marchandises visés à l’article 325, paragraphe 2, qui sont transportés directement à destination du territoire douanier de la Communauté :

a)      par le navire de pêche communautaire qui a effectué la capture et, le cas échéant, le traitement desdits produits

ou

b)       par un autre navire de pêche communautaire ou par le navire-usine communautaire qui a effectué le traitement desdits produits transbordés à partir du navire visé [sous] a)

ou

c)       par tout autre navire sur lequel ont été transbordés lesdits produits et marchandises à partir des navires visés [sous] a) et b) sans procéder à aucune modification

ou

d)       par un moyen de transport couvert par un titre de transport unique, établi dans le pays ou territoire qui n’appartient pas au territoire douanier de la Communauté où lesdits produits et marchandises ont été débarqués des navires visés [sous] a), b) et c).

Après la présentation du formulaire T2M, celui-ci ne peut plus être utilisé pour justifier le caractère communautaire des produits et marchandises qu’il couvre.

2. Les autorités douanières responsables du port où les produits et/ou marchandises sont déchargés à partir du navire visé [sous] a) du paragraphe 1 peuvent renoncer à l’application du paragraphe 1 dès lors qu’il n’existe aucun doute sur l’origine desdits produits et/ou marchandises, ou dans le cas où la déclaration visée à l’article 8 paragraphe 1 du règlement (CEE) n° 2847/93 du Conseil, du 12 octobre 1993, instituant un régime de contrôle applicable à la politique commune de la pêche (JO L 261, p. 1), est applicable. »

10      L’article 332, paragraphe 1, du règlement d’application précise :

« 1. Lorsque les produits et marchandises auxquels se rapporte le formulaire T2M ont été transportés dans un pays ou territoire qui n’appartient pas au territoire douanier de la Communauté, ledit formulaire n’est valable que dans la mesure où l’attestation de la case n° 13 dudit formulaire est remplie et visée par les autorités douanières de ce pays ou territoire. »

 Faits à l’origine du litige

11      La requérante, Pigasos Alieftiki Naftiki Etaireia, est une société maritime de pêche régie par le droit grec, qui opère en dehors des eaux territoriales grecques et qui écoule ses produits sur le marché hellénique. Elle est propriétaire du bateau de pêche Kapetan Giannos III, immatriculé au registre du Pirée (Grèce).

12      Ayant eu connaissance de la décision 98/238/CE, CECA, du Conseil et de la Commission, du 26 janvier 1998, relative à la conclusion de l’accord euro‑méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et la République tunisienne, d’autre part (JO L 97, p. 1, ci‑après l’« accord d’association »), la requérante a, après avoir reçu toutes les autorisations pertinentes prévues par la législation hellénique, demandé aux autorités tunisiennes compétentes l’autorisation de pratiquer la pêche au chalut de fond dans les eaux internationales de la mer Méditerranée et d’écouler ensuite les produits sur le marché communautaire. Le 30 juin 2005, les autorités tunisiennes ont accepté la demande de pêche en haute mer dans une zone où la République tunisienne exerce des droits de souveraineté et autorisé la requérante à utiliser les installations du port de Sousse (Tunisie). Après l’achèvement de toutes les mesures requises par la législation tunisienne, le navire de la requérante a entamé la pêche.

13      Du 19 novembre au 12 décembre 2005, la requérante a pêché dans les eaux internationales de la République tunisienne, et plus précisément dans la zone contiguë. Les produits de la pêche ont été transférés au port de Sousse en trois lots successifs, en vue de leur envoi en Grèce, où ils devaient être mis sur le marché. Ces produits, pêchés en dehors de la mer territoriale de la République hellénique, par un bateau battant pavillon grec, avaient un caractère communautaire, en vertu de l’article 23, paragraphe 2, sous f), du code des douanes.

14      Depuis le port de Sousse, les produits en question ont été transportés par camion vers l’aérodrome de Carthagène (Tunisie), à partir duquel ils ont été envoyés en Grèce. Pendant leur séjour sur le sol tunisien, les produits ont été placés sous le régime de surveillance douanière par les autorités douanières tunisiennes, qui ont indiqué, dans la déclaration douanière, l’origine hellénique des produits, leur mise en régime de transit, leur lieu d’origine, la date et les moyens d’expédition, leur quantité et leur qualité ainsi que l’établissement d’une lettre de garantie pour les accompagner du bateau jusqu’à l’aérodrome de Carthagène.

15      Lors de leur introduction sur le territoire douanier de la Communauté européenne, les produits en question étaient accompagnés du formulaire T2M, relatif aux produits de la pêche d’origine communautaire, mais les autorités douanières tunisiennes avaient refusé de remplir et de viser la case n° 13 dudit formulaire, qui concerne la surveillance douanière exercée sur les produits, au motif que l’accord d’association ne prévoyait pas une telle obligation. Elles avaient néanmoins délivré à la requérante d’autres documents dont le contenu était analogue à celui de la case n° 13 du formulaire T2M.

16      S’agissant des premier et deuxième lots des produits en question qui sont arrivés sur le territoire douanier de la Communauté respectivement le 25 novembre et le 10 décembre 2005, les autorités grecques ont formulé des objections contre leur importation en Grèce dans la mesure où la case n° 13 du formulaire T2M n’avait pas été remplie, ni visée par les autorités douanières tunisiennes, mais ont finalement décidé d’autoriser leur écoulement sur le marché grec après versement d’une caution. Quant au troisième lot des produits en question qui est arrivé sur le territoire douanier de la Communauté le 13 décembre 2005, les autorités grecques ont effectué des contrôles supplémentaires en ce qui les concerne avant de les détruire le 22 décembre 2005 sans que ceux-ci aient pu être écoulés sur le marché grec.

17      Nonobstant les démarches entreprises par la requérante à la suite du refus, d’une part, des autorités douanières tunisiennes de remplir et de viser la case n° 13 du formulaires T2M et, d’autre part, des autorités douanières grecques de considérer les certificats établis par les autorités douanières tunisiennes comme équivalant à un visa apposé sur la case n° 13 du formulaire T2M, aucune solution n’a pu être trouvée au problème auquel elle était confrontée dans le cadre de l’importation des produits en question en Grèce, à savoir l’impossibilité de prouver le caractère communautaire des produits en question.

18      La requérante a encore pêché du 26 avril au 4 mai 2006 et essayé d’importer ses produits sous le couvert du document communautaire dénommé « Attestation de l’annexe 110 bis du règlement nº 2454/93 », concernant les produits capturés par les navires de pêche communautaire dans les eaux territoriales d’un pays tiers. Toutefois, cette tentative, n’étant pas une réponse adéquate au problème mentionné au point précédent, a également échoué. Du 12 décembre 2005 au 31 décembre 2006, le navire est resté immobilisé au port de Sousse.

19      La Commission des Communautés européennes, informée du problème par les autorités grecques par courrier électronique du 22 mars 2006, s’est adressée aux autorités tunisiennes par lettre du 8 mai 2006, les priant de coopérer et de résoudre ledit problème, après avoir souligné que l’accord d’association n’interdisait pas de remplir et de viser la case n° 13 du formulaire T2M.

20      Par courrier du 24 novembre 2006, la requérante a informé la Commission qu’aucune solution n’avait pu être trouvée au problème rencontré dans le cadre de l’importation des produits en question en Grèce et a demandé l’intervention de celle-ci auprès des autorités douanières grecques. Le 25 janvier 2007, le secrétariat général de la Commission a fait savoir à la requérante que la Commission avait introduit une plainte à l’encontre des autorités grecques et menait une enquête par l’intermédiaire de ses services afin de constater l’existence éventuelle d’une violation du droit communautaire. L’examen de la plainte était encore pendant à la date du dépôt par la Commission de son mémoire en défense dans la présente affaire.

 Procédure et conclusions des parties

21      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 8 mai 2007, la requérante a introduit le présent recours.

22      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le présent recours recevable ;

–        constater que, par une série d’actions et d’omissions illégales, le Conseil de l’Union européenne et la Commission ont violé les principes fondamentaux de libre circulation des marchandises, de liberté d’entreprise, de proportionnalité, de protection de la confiance légitime et de protection juridictionnelle effective en ce qui concerne l’exercice de la pêche dans une zone contiguë d’un pays tiers, en l’espèce la Tunisie, en ce qui concerne l’expédition des produits capturés vers le territoire douanier de la Communauté en transitant sous surveillance douanière par le territoire de ce pays tiers ;

–        condamner le Conseil et la Commission à l’indemniser, au titre des articles 235 CE et 288, deuxième alinéa, CE, en lui versant la somme de 23 608,551 dinars tunisiens et la somme de 11 994 906,62 euros au titre des dommages et intérêts ;

–        condamner le Conseil et la Commission aux dépens.

23      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme étant non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

24      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

25      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la septième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée. Sur rapport du juge rapporteur, la chambre a décidé d’ouvrir la procédure orale. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 5 juin 2009.

 En droit

26      La requérante invoque, à l’appui de son recours en indemnité, l’illégalité de différents actes ou comportements, sous forme d’omission, du Conseil et de la Commission, aboutissant à la violation du droit communautaire. Elle allègue également l’existence d’un préjudice et la réalité du dommage, ainsi que l’existence d’un lien de causalité entre le comportement illégal allégué et le préjudice invoqué. À titre subsidiaire, elle invoque la responsabilité sans faute de la Communauté.

 Sur l’existence d’un acte illégal ou d’un comportement illégal sous forme de carence ou d’omission

 Arguments des parties

27      La requérante fait valoir que la Commission a violé les principes supérieurs de l’ordre juridique communautaire, d’une part, en imposant à l’article 325, paragraphe 2, sous a), et aux articles 326 et 334 du règlement d’application la production du formulaire T2M, dûment rempli et visé, comme seul moyen de preuve notamment de l’origine des produits capturés par un navire communautaire en dehors des eaux territoriales d’un pays tiers et, d’autre part, en exigeant à l’article 332 du règlement d’application que les autorités douanières du pays tiers, par lequel les produits transitent, remplissent et visent la case n° 13 de ce formulaire, à l’exclusion de tout autre moyen de preuve, ce qui aurait permis aux autorités douanières grecques de ne pas accepter une attestation de la provenance des produits en question autre que le visa apposé sur la case n° 13 du formulaire T2M.

28      La requérante ajoute que le comportement illégal du Conseil et de la Commission réside dans le fait que tant la Commission, en qualité de partie aux négociations, que le Conseil, en qualité de signataire, ont négligé de veiller à ce que les ressortissants communautaires puissent profiter de l’ouverture du marché tunisien et bénéficier de la libre circulation des marchandises dans la Communauté.

29      Bien que l’accord d’association prévoie la possibilité de pêcher tant dans les eaux territoriales de la République tunisienne que dans les eaux internationales, l’obligation d’utiliser le formulaire T2M pour la mise en libre pratique de produits de la pêche ne tiendrait pas compte des pêcheurs communautaires qui, opérant en dehors des eaux territoriales du pays associé, et dont les produits sont réputés être d’origine communautaire, voudraient écouler leurs produits non pas dans le pays associé, mais sur le marché communautaire, au moyen du formulaire T2M et en les faisant transiter par le pays associé sous le régime de surveillance douanière.

30      Le Conseil et la Commission auraient ainsi fait preuve de carence dans la mesure où ils n’auraient pas respecté le principe de libre circulation des pêcheurs communautaires en omettant d’introduire dans l’accord une obligation de coopération incombant aux autorités douanières tunisiennes en ce qui concerne les captures ayant un caractère communautaire qui étaient destinées au territoire douanier de la Communauté et couvertes par le formulaire T2M. En effet, l’accord d’association ne prévoirait pas l’obligation de remplir et de viser la case n° 13 dudit formulaire, ni une coopération plus étroite en ce qui concerne les justificatifs de l’origine des marchandises.

31      La requérante reproche également un comportement illégal au Conseil et à la Commission en raison du fait que, nonobstant la notification du problème en cause, ceux-ci ont modifié certaines dispositions de l’accord sans inclure le chapitre relatif à la preuve de l’origine des marchandises, en ce qui concerne le formulaire T2M.

32      La requérante reproche enfin au Conseil et à la Commission l’absence de supervision des autorités nationales chargées d’appliquer la réglementation douanière de la Communauté, en ce que ceux-ci auraient illégalement omis d’orienter la République hellénique vers une interprétation conforme au droit communautaire et aux principes généraux, et n’auraient pas accepté l’admission de tout moyen de preuve adéquat de l’origine des produits de la pêche.

33      S’agissant du principe de libre circulation des marchandises, la requérante fait valoir que l’exigence consistant à remplir et à viser la case n° 13 du formulaire T2M constitue un obstacle à la mise en libre pratique des marchandises en cause, qui ne pouvait être levé en recourant à d’autres documents, comme le certificat EUR.1, car, dans une telle hypothèse, le caractère communautaire des marchandises et leur finalité économique seraient modifiés. Elle explique que les autorités douanières tunisiennes ne pouvaient délivrer de certificat EUR.1, puisque ce dernier est délivré par le pays d’exportation, alors que, en l’espèce, les produits en question gardaient leur caractère communautaire. La seule solution aurait été que les autorités helléniques délivrent un certificat EUR.1 en raison de l’importation des produits en question de Tunisie, à condition que lesdits produits « deviennent tunisiens ». En vertu du régime du certificat EUR.1, ces produits pourraient être mis en libre pratique sur le territoire douanier de la Communauté, en exemption de droits de douane. Toutefois, cette solution complexe aboutirait à vider de son contenu le principe de libre circulation des produits de la pêche. Avec cette interprétation, les produits de la pêche, même communautaires, seraient privés du droit d’entrée sur le territoire douanier de la Communauté et placés dans une situation moins favorable que celle des produits tunisiens, dont l’importation est exonérée de droits de douane, à la fois en vertu du code des douanes et de l’accord d’association.

34      Enfin, la mise en oeuvre de la solution envisagée ci-dessus lui imposerait de cesser d’être une société de pêche pour devenir une société ayant pour objet l’importation et la commercialisation de produits de la pêche sur le territoire hellénique.

35      La requérante rappelle que la libre circulation des marchandises est une liberté fondamentale, qui ne peut être limitée par une disposition du droit communautaire dérivé ou du droit national. En l’espèce, une formalité administrative, tel que le visa à apposer sur la case n° 13 du formulaire T2M, destiné à constater l’identité du produit, doit toujours être considérée non pas comme constitutive du droit, mais comme un simple moyen de constater celui-ci. Par conséquent, exiger qu’une preuve soit faite exclusivement au moyen d’une formalité administrative déterminée, lorsqu’il y a également d’autres moyens d’atteindre le même but, irait au-delà des objectifs du traité (arrêts de la Cour du 25 juillet 2002, MRAX, C‑459/99, Rec. p. I‑6591, point 62, et du 17 février 2005, Oulane, C‑215/03, Rec. p. I‑1215, points 23 à 26).

36      Quant à l’argument du Conseil selon lequel elle aurait voulu introduire sur le territoire douanier de la Communauté, à partir de la Tunisie, une quantité de poisson équivalente à celle pêchée, mais non exactement la même, il serait dépourvu de tout fondement : les autorités douanières tunisiennes auraient refusé de remplir et de viser la case n° 13 du formulaire T2M, parce qu’elles n’y étaient pas obligées, mais celles-ci auraient délivré d’autres certificats nationaux attestant que les produits en question étaient sous surveillance douanière. Le Conseil n’établirait pas la raison pour laquelle le formulaire T2M procurerait davantage de garanties contre l’altération des captures que d’autres moyens de preuves. Une fraude éventuelle pourrait être mise en oeuvre au moyen tant du formulaire T2M que d’un autre certificat.

37      En ce qui concerne l’argument du Conseil selon lequel l’obligation de présenter le formulaire T2M dûment rempli et visé serait imposée pour des raisons d’ordre sanitaire, la requérante souligne que le respect des conditions sanitaires était déjà imposé par le droit hellénique qui soumet les produits de la pêche, lors de leur entrée sur le territoire grec, à un contrôle obligatoire des services vétérinaires, qui en certifient le bon état.

38      S’agissant du principe de liberté d’entreprise, la requérante fait valoir que, puisque la pêche en haute mer et la commercialisation des captures sur le marché communautaire constituent le seul objet de son activité, l’impossibilité de prouver le caractère communautaire des produits en question porterait directement atteinte à l’exercice d’une activité économique. Ayant procédé à des investissements coûteux, en vue de la commercialisation de ses captures en tant que produits communautaires sur le marché communautaire, elle soutient que le maintien du caractère communautaire des produits en question était essentiel pour atteindre son objectif économique.

39      Pour contester l’argument de la Commission selon lequel elle avait librement choisi de ne pas procéder au transfert direct des produits en question par le navire qui les a pêchés ou par un autre navire, la requérante souligne qu’elle commercialise des produits frais, devant être consommés dans les 24 heures. Par conséquent, le facteur temps serait décisif dans le choix du système de transport, le poisson ne pouvant être transporté vers un marché communautaire par le navire lui-même ou par un autre navire sur lequel il serait transbordé, dans le délai de 24 heures à partir de la capture, y compris vers un marché d’un État membre de l’Union européenne proche comme celui de l’Italie ou celui de la Grèce, car la vitesse de ces bateaux ne dépasse pas les dix milles par heure. La seule solution était de débarquer les produits en question au port tunisien le plus proche afin de l’envoyer par avion vers son marché de destination.

40      Même si la preuve de l’origine des produits de la pêche peut, pour des raisons de protection du consommateur, mais également de simplification et d’accélération des procédures de dédouanement, justifier des restrictions à la liberté d’entreprise, l’exclusion de tout moyen de preuve autre que le visa apposé sur le formulaire T2M constituerait un moyen disproportionné par rapport à l’objectif poursuivi et irait au-delà de l’exigence de protection du consommateur.

41      La requérante souligne que l’exclusion de tout moyen de preuve autre que le visa à apposer sur le formulaire T2M violerait le principe de proportionnalité, car elle ne constituerait pas le moyen le moins contraignant ou le moins excessif par rapport à l’objectif poursuivi (arrêt du Tribunal du 13 décembre 1995, Exporteurs in Levende Varkens e.a./Commission, T‑481/93 et T‑484/93, Rec. p. II‑2941, point 119). La requérante ajoute que, même si l’apposition du visa sur la case n° 13 du formulaire T2M représente une preuve appropriée, l’exclusion de tout autre moyen de preuve adéquat pour certifier l’origine serait disproportionnée, compte tenu en particulier du refus probable des autorités de l’État tiers d’apposer le visa en question. Elle rappelle que la possibilité de fournir une autre preuve existe pour les pays bénéficiant d’un régime préférentiel, qui est plus incertain que celui appliqué aux pays associés, comme la Tunisie. En conséquence, la législation devrait pouvoir prendre en considération des situations exceptionnelles.

42      Selon la requérante, le Conseil et la Commission ont également violé le principe de protection de la confiance légitime. En l’occurrence, elle soutient avoir pêché dans la zone contiguë de la République tunisienne parce qu’elle considérait y être incitée tant par l’accord d’association que par la législation communautaire. Elle affirme s’être comportée comme un observateur expérimenté du marché et fait valoir que le préjudice subi dérive non pas des risques inhérents aux activités économiques, mais du non-respect des possibilités qui lui étaient offertes par le droit communautaire.

43      La requérante reproche, en outre, au Conseil et à la Commission d’avoir violé le principe de protection juridictionnelle effective dans la mesure où aucune solution n’est offerte à celui confronté aux refus de coopération qui peuvent lui être opposés par les autorités publiques. Elle soutient s’être trouvée confrontée à une impasse à la suite du refus, d’une part, des autorités douanières tunisiennes de remplir et de viser le formulaire T2M et, d’autre part, des autorités douanières grecques de considérer les certificats établis par les autorités tunisiennes comme équivalant au visa de la case n° 13 du formulaire T2M. Dans ces circonstances, elle estime n’avoir aucune autre possibilité que celle de demander a posteriori une réparation sous forme d’indemnisation, eu égard à l’impossibilité de saisir le juge communautaire ou national d’un recours visant à obtenir une réparation effective et de parvenir à réaliser la libre circulation des marchandises et la liberté d’entreprise. Puisque son préjudice dériverait d’un règlement communautaire, que les États membres sont tenus d’appliquer, sans pouvoir s’en écarter, la responsabilité des autorités douanières grecques devrait être transférée à la Communauté ; la seule autorité juridictionnelle compétente pour en connaître serait alors le Tribunal.

44      Le Conseil et la Commission contestent les arguments de la requérante.

 Appréciation du Tribunal

45      Selon une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté au sens de l’article 288, deuxième alinéa, CE est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le dommage invoqué (arrêt de la Cour du 2 juillet 1974, Holtz & Willemsen/Conseil et Commission, 153/73, Rec. p. 675, point 7, et arrêt du Tribunal du 3 février 2005, Chiquita Brands e.a./Commission, T‑19/01, Rec. p. II‑315, point 76).

46      Dans la mesure où ces trois conditions d’engagement de la responsabilité sont cumulatives, le fait que l’une d’entre elles fait défaut suffit pour rejeter un recours en indemnité, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions de cette responsabilité, à savoir la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre les comportements des institutions et le préjudice invoqué (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission, C‑257/98 P, Rec. p. I‑5251, point 14, et arrêt du Tribunal du 8 octobre 2008, Sogelma/AER, T‑411/06, non encore publié au Recueil, points 146 et 147).

47      S’agissant de la première condition, il est exigé que soit établie une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. À cet égard, il est notamment tenu compte de la complexité des situations à régler, des difficultés d’application ou d’interprétation des textes et, plus particulièrement, de la marge d’appréciation dont dispose l’auteur de l’acte mis en cause. Le critère décisif pour considérer une violation du droit communautaire comme suffisamment caractérisée réside dans la méconnaissance manifeste et grave, par l’institution communautaire concernée, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation. Lorsque cette institution ne dispose que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit communautaire peut suffire à établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée [arrêt du Tribunal du 21 avril 2005, Holcim (Deutschland)/Commission, T‑28/03, Rec. p. II‑1357, point 86].

48      À titre liminaire, il convient de rappeler que le principe de l’union douanière, tel qu’il découle de l’article 23 CE, exige que soit assurée de manière générale la libre circulation des marchandises, non seulement dans le cadre du commerce interétatique, mais plus largement sur l’ensemble du territoire de l’union douanière. En outre, cet article ne détermine ni le moment auquel les produits sont considérés comme provenant des États membres, ni comment donner la preuve de leur origine communautaire. L’article 27 CE précise enfin que, dans l’exercice des missions qui lui sont confiées dans le domaine de la libre circulation des marchandises, la Commission s’inspire, notamment, de la nécessité de promouvoir les échanges commerciaux entre les États membres et les pays tiers.

49      Il y a donc lieu de constater que le traité CE ne fixe pas lui-même des règles de contrôle douanier permettant de distinguer les marchandises communautaires des marchandises non communautaires, règles que la Commission a dû adopter dans le cadre de la mise en œuvre du principe de libre circulation des marchandises, en exécution de la mission que le traité CE lui avait confiée.

50      Or, les captures effectuées dans les eaux internationales constituent une catégorie spécifique de produits, puisqu’elles ne proviennent pas du territoire douanier de la Communauté mais sont destinées, comme en l’espèce, à être écoulées sur le marché communautaire. Leur statut de « marchandises communautaires » découle notamment de l’origine des navires, battant pavillon des États membres, qui les pêchent dans des eaux situées en dehors du territoire douanier de la Communauté. Tel est le cas en l’espèce, car le navire de la requérante, battant pavillon grec, pêchait dans les eaux internationales d’un pays tiers, à savoir celles de la République tunisienne.

51      Le règlement d’application subordonne toutefois la preuve du statut de « marchandise communautaire » pour les captures transbordées via un pays tiers, à certaines conditions. Parmi celles-ci figure l’obligation, pour l’entreprise de pêche, d’obtenir des autorités du pays tiers, par lequel les marchandises ont transité ou ont été transbordées, le formulaire T2M, dûment visé à la case n° 13. En effet, ainsi qu’il ressort du formulaire T2M, reproduit en annexe 43 du règlement d’application, en visant la case n° 13 dudit formulaire, l’autorité douanière du pays ou du territoire qui n’appartient pas au territoire douanier de la Communauté certifie que les produits de la pêche maritime, dont le nom, la nature et la masse brute sont indiqués aux cases nos 4 et 5 du même formulaire, sont restés sous la surveillance douanière pendant toute la durée de leur séjour et qu’ils n’ont pas subi d’autres manipulations que celles destinées à leur conservation, lors du transbordement ou du transit dans son pays. Sont également indiqués la date d’arrivée des marchandises, leur date de sortie, le moyen de transport utilisé pour leur réexpédition vers le territoire douanier de la Communauté ainsi que la signature de l’autorité douanière de ce pays tiers.

52      Selon la requérante, le Conseil et la Commission ont violé plusieurs principes supérieurs de l’ordre juridique communautaire en imposant la production du formulaire T2M, dûment rempli et visé, notamment en sa case n° 13, comme seul moyen de preuve du caractère communautaire des produits en question, en négligeant d’inclure dans l’accord d’association des dispositions relatives audit formulaire ou à une coopération élargie en matière douanière et en ne supervisant pas les autorités douanières grecques de manière adéquate.

53      Il convient d’abord de souligner que le formulaire T2M a été prévu par l’article 325, paragraphe 2, du règlement d’application afin de certifier notamment le caractère communautaire des produits de la pêche maritime, capturés en dehors des eaux territoriales d’un pays qui n’appartient pas au territoire douanier de la Communauté, par un navire de pêche battant pavillon d’un État membre. Pour ces marchandises, les opérateurs économiques savent que la preuve de leur caractère communautaire doit être fournie par la présentation du formulaire T2M dûment rempli.

54      Conformément au formulaire T2M, les autorités douanières du pays tiers concerné doivent certifier que les produits sont restés sous surveillance douanière pendant toute la durée de leur séjour et qu’ils n’ont pas subi d’autres manipulations que celles destinées à leur conservation. Le visa à apposer sur la case n° 13 dudit formulaire ne dépend donc pas de l’existence d’un accord international avec un pays tiers, mais se justifie, conformément au principe de libre circulation des marchandises au sein de la Communauté, comme le moyen pour prouver le caractère communautaire des marchandises. Il n’a pas de lien avec des accords préférentiels internationaux ou des accords de coopération et d’association avec des pays tiers. Dans ce contexte, si des marchandises communautaires transitaient ou étaient transbordées via un pays tiers, le visa à apposer sur la case n° 13 du formulaire T2M pourrait être demandé à ce pays tiers, indépendamment de l’existence d’un accord d’association avec celui‑ci.

55      Il convient de rappeler, par ailleurs, que l’accord d’association, dans un esprit de réciprocité, de solidarité et de codéveloppement, a pour objectif d’établir notamment une coopération politique, économique et sociale, la libéralisation progressive des échanges de biens, de services et de capitaux, une coopération pour la lutte antifraude. Vu la nature de l’accord d’association, il n’y a pas lieu de supposer que le Conseil et la Commission étaient tenus de prévoir l’obligation pour les autorités douanières tunisiennes de remplir et de viser la case n° 13 du formulaire T2M.

56      Il ressort ainsi de ce qui précède que le Conseil et la Commission n’ont violé aucune règle de droit, en concluant avec la République tunisienne un accord d’association qui ne contient pas d’obligation spécifique en ce qui concerne le visa à apposer sur la case n° 13 du formulaire T2M.

57      Il convient également de préciser que la requérante, au moment où elle effectuait les démarches administratives en vue d’exercer son activité de pêche dans les eaux extraterritoriales de la République tunisienne, était en mesure de connaître le régime douanier communautaire ainsi que les règles spécifiques à satisfaire pour écouler les produits de la pêche dans le territoire douanier de la Communauté en provenance des eaux extraterritoriales d’un pays tiers. Ainsi que le Conseil l’a fait observer, la requérante aurait pu, d’une part, s’informer au préalable des différentes possibilités existantes pour envoyer le produit de la pêche vers la Grèce et, d’autre part, vérifier que les autorités douanières du pays tiers de transit étaient disposées à coopérer et à viser la case n° 13 du formulaire T2M.

58      En effet, d’une part, le Conseil et la Commission ne sont pas tenus d’exiger la collaboration des autorités douanières d’un pays tiers, en ce qui concerne le visa à apposer sur la case n° 13 du formulaire T2M. D’autre part, l’article 326 du règlement d’application prévoit, ainsi que la Commission l’a rappelé, la possibilité pour les pêcheurs communautaires d’acheminer leurs captures vers la Communauté en les transbordant vers des navires battant pavillon d’un État membre.

59      En outre, il ne ressort pas du dossier que la requérante a entrepris des démarches visant à obtenir des renseignements circonstanciés à ce sujet auprès des autorités douanières tunisiennes avant d’exercer son activité économique. Interrogée à ce sujet par le Tribunal lors de l’audience, la requérante a admis ne pas avoir vérifié si les autorités douanières de la Tunisie coopéreraient à l’établissement du formulaire T2M ou si, en revanche, elles ne rempliraient pas la case n° 13 dudit formulaire. En l’absence de toute preuve en ce sens, la requérante ne peut pas se prévaloir d’une quelconque confiance légitime et ne peut pas invoquer l’absence de sécurité juridique, vu la clarté des dispositions du code des douanes et du règlement d’application en vigueur à l’époque des faits.

60      Force est donc de constater que, en n’imposant aux autorités douanières tunisienne aucune obligation de remplir et de viser la case n° 13 du formulaire T2M, le Conseil et la Commission n’ont commis aucune omission illégale et n’ont pas dépassé les limites de leur marge d’appréciation lors des négociations et de la signature de l’accord d’association.

61      Quant à l’argument de la requérante visant à faire constater la négligence du Conseil et de la Commission, qui n’auraient pas supervisé les autorités douanières grecques lors de la mise en œuvre du règlement d’application, notamment afin de s’assurer que ces dernières acceptent un moyen de preuve de l’origine des produits de la pêche autre que le formulaire T2M, il ne saurait prospérer.

62      Par ce grief, la requérante reproche en substance à la Commission de ne pas être intervenue en demandant à la République hellénique de ne pas appliquer de manière rigoureuse le règlement d’application, ce qui est contraire à la mission de la Commission et au but poursuivi par une réglementation communautaire uniforme sur tout le territoire communautaire. En tout état de cause, il convient de rappeler que, informée par les autorités douanières grecques du problème créé du fait de l’absence de visa de la case n° 13 du formulaire T2M, la Commission s’est adressée aux autorités douanières tunisiennes en les priant de coopérer et de viser la case n° 13 du formulaire T2M. Il convient dès lors de constater que la Commission, conformément à son devoir de sollicitude et au principe de bonne administration, a effectué les démarches utiles en vue de résoudre le problème auquel la requérante était confrontée, ne pouvant certainement pas demander aux autorités douanières grecques de ne pas appliquer le règlement d’application.

63      S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la Commission aurait dû prévoir un moyen de preuve du caractère communautaire des produits de la pêche autre que le formulaire T2M, il convient de préciser, ainsi qu’il a été rappelé au point 58 ci‑dessus, que l’article 326 du règlement d’application prévoit à cet effet le transport direct des captures vers leur destination dans le territoire douanier communautaire sans transit par un pays tiers, ce qui aurait évité le problème auquel la requérante était confrontée en l’espèce.

64      En outre, la finalité du formulaire T2M est d’établir une « chaîne de responsabilité » à partir du moment où le poisson a été capturé et jusqu’à ce qu’il soit débarqué ou autrement introduit dans le territoire douanier communautaire. La Commission explique, à ce sujet, que la standardisation de la case n° 13 du formulaire T2M est indispensable au maintien de la valeur de ce formulaire en tant que titre permettant aux marchandises de circuler librement dans le territoire douanier de la Communauté ; en revanche, l’acceptation d’autres documents de pays tiers serait problématique du point de vue de la sécurité juridique, en raison des différences entre les régimes douaniers, des problèmes linguistiques ou d’autres problèmes de formulation dans les documents.

65      À cet égard, la requérante affirme que les documents produits aux annexes 11 et 13 de la requête auraient une valeur et un contenu équivalents à ceux de la formule figurant à la case n° 13 du formulaire T2M.

66      Il y a lieu de noter, ainsi que le Conseil l’a indiqué à juste titre lors de l’audience, que l’attestation contenue dans l’annexe 11 de la requête ne provient pas des autorités douanières tunisiennes, mais du chef du port de pêche de Sousse. Cette attestation a été établie le 19 décembre 2005, à savoir après l’envoi en Grèce des trois cargaisons, et indique uniquement, de manière approximative, la quantité des captures, sans indications de la nature de ces dernières et sans que la formule de la case n° 13 du formulaire T2M soit reproduite. S’agissant des documents produits à l’annexe 13 de la requête, ceux-ci sont établis par la requérante à l’attention du bureau de dédouanement de Sousse et concernent la liquidation des droits et taxes afférents aux poissons en cause. Par conséquent, force est de constater que ces documents ne présentent pas un contenu et une valeur équivalents à ceux du formulaire T2M, tels que décrits au point 51 du présent arrêt.

67      Il convient de relever que, en vertu des avantages liés au statut de marchandises communautaires et notamment du fait que celles-ci se trouvent en libre circulation dans le territoire douanier de la Communauté, l’absence de moyen de preuve du caractère communautaire des marchandises autre que le formulaire T2M ne viole nullement le traité CE ou les principes de l’ordre juridique communautaire. L’obligation de produire ledit formulaire dûment rempli et visé représente une règle proportionnée au but poursuivi, qui est celui de permettre la libre circulation des marchandises en ce qui concerne les produits de la pêche au sein de la Communauté. Par l’adoption de cette règle, le Conseil et la Commission n’ont donc pas dépassé les limites qui s’imposent à leur pouvoir d’appréciation.

68      S’agissant du grief tiré de la violation de la liberté d’entreprise, il suffit de rappeler que la requérante devait savoir que le formulaire T2M doit être dûment rempli et visé pour qu’elle puisse écouler les produits de la pêche capturés dans des eaux internationales, au moment où elle a décidé d’exercer sa liberté d’entreprise dans les eaux extraterritoriales de la République tunisienne. Ainsi, le fait que la requérante était tenue d’observer les réglementations douanière et sanitaire communautaires pour commercialiser le produit de sa pêche dans le territoire communautaire n’affecte pas son droit à l’exercice d’une activité économique. Ce grief doit donc être écarté.

69      Quant à la prétendue violation du principe de protection de la confiance légitime, la requérante n’a apporté aucun indice de nature à établir que le Conseil ou la Commission, par leurs actions ou leurs informations, l’aurait poussée à croire que les dispositions relatives au formulaire T2M ne lui seraient pas applicables. Par conséquent, ce grief ne saurait être accueilli.

70      Le grief tiré de la violation du principe de protection juridictionnelle effective doit également être écarté. En effet, la requérante a pu valablement saisir la juridiction communautaire pour demander la réparation du préjudice qu’elle affirme avoir subi et rien ne l’empêchait de saisir également la juridiction nationale compétente pour remettre en cause le comportement des autorités douanières grecques.

71      La requérante n’ayant pas établi l’existence d’une violation suffisamment caractérisée par le Conseil et la Commission d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, son argument tiré de l’existence d’un acte illégal ou d’un comportement illégal sous forme de carence ou d’omission ne saurait donc prospérer.

 Sur l’existence d’une responsabilité de la Communauté en l’absence de faute de ses organes

 Arguments des parties

72      La requérante invoque, à titre subsidiaire, la « responsabilité sans faute » de la Communauté en raison du caractère anormal et spécial du préjudice subi. Elle soutient que, à supposer même que le Conseil et la Commission aient pu à bon droit omettre de prévoir des moyens de preuve du caractère communautaire des marchandises autres que le formulaire T2M, négliger d’inclure dans l’accord d’association des dispositions relatives audit formulaire ou à une coopération élargie en matière douanière et manquer de superviser les autorités douanières grecques de façon adéquate, il n’y aurait pas de doute quant au préjudice qu’elle a subi.

73      Le Conseil et la Commission contestent les arguments de la requérante.

 Appréciation du Tribunal

74      Il y a tout d’abord lieu d’observer que, si la jurisprudence consacrant, au titre de l’article 288, deuxième alinéa, CE, l’existence du régime de responsabilité non contractuelle de la Communauté, du fait du comportement illégal de ses institutions, et les conditions d’application de ce régime est fermement établie, il n’en va pas de même en ce qui concerne le régime de responsabilité non contractuelle de la Communauté en l’absence de comportement illégal. La Cour, tout en rappelant que c’est aux principes généraux communs aux droits des États membres que l’article 288, deuxième alinéa, CE renvoie, en matière de responsabilité non contractuelle de la Communauté du fait des dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions, a considéré que le principe de responsabilité non contractuelle de la Communauté n’est qu’une expression du principe général connu dans les ordres juridiques des États membres, selon lequel une action ou une omission illégale entraîne l’obligation de réparer le préjudice causé (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame, C‑46/93 et C‑48/93, Rec. p. I‑1029, points 28 et 29).

75      La Cour a indiqué, par ailleurs, que la conception restrictive de la responsabilité de la Communauté du fait de l’exercice de ses activités normatives s’explique par la considération que, d’une part, l’exercice de la fonction législative, même là où il existe un contrôle juridictionnel de la légalité des actes, ne doit pas être entravé par la perspective d’actions en dommages et intérêts chaque fois que l’intérêt général de la Communauté exige de prendre des mesures normatives susceptibles de porter atteinte aux intérêts des particuliers et que, d’autre part, dans un contexte normatif caractérisé par l’existence d’un large pouvoir d’appréciation, indispensable à la mise en œuvre d’une politique communautaire, la responsabilité de la Communauté ne peut être engagée que si l’institution concernée a méconnu de manière manifeste et grave les limites qui s’imposent à l’exercice de ses pouvoirs (arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, point 45).

76      Ainsi, si l’examen comparatif des ordres juridiques des États membres a permis à la Cour de constater très tôt une convergence de ces ordres juridiques dans la consécration d’un principe de responsabilité en présence d’une action ou d’une omission illégale de l’autorité, y compris d’ordre normatif, il n’en va nullement de même en ce qui concerne l’existence éventuelle d’un principe de responsabilité en présence d’un acte ou d’une omission licites de l’autorité publique, en particulier lorsque ceux‑ci sont d’ordre normatif.

77      L’argument de la requérante tiré de l’existence d’une responsabilité de la Communauté en l’absence de faute de ses organes dans une situation où leurs actes et omissions d’ordre normatif étaient licites ne saurait donc être retenu.

78      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, le recours indemnitaire doit être rejeté dans son intégralité.

 Sur les dépens

79      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission et du Conseil.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Pigasos Alieftiki Naftiki Etaireia est condamnée aux dépens.


Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 16 septembre 2009.

Signatures


* Langue de procédure : le grec.