Language of document : ECLI:EU:T:2009:345

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

23 septembre 2009 (*)

« Union douanière – Opérations de transit communautaire externe – Cargaisons de tabac et d’alcool éthylique destinées à des pays tiers – Fraude – Demande de remise de droits à l’importation – Article 239 du règlement (CEE) n° 2913/92 − Article 905 du règlement (CEE) n° 2454/93 − Clause d’équité − Existence d’une situation particulière – Garantie globale »

Dans l’affaire T‑385/05,

Transnáutica – Transportes e Navegação, SA, établie à Matosinhos (Portugal), représentée par Mes C. Fernández Vicién, I. Moreno-Tapia Rivas, D. Ortigão Ramos et B. Aniceto Silva, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. X. Lewis et Mme  J. Hottiaux, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision REM 05/2004 de la Commission, du 6 juillet 2005, refusant le remboursement et la remise de certains droits de douane,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (septième chambre),

composé de MM. N. J. Forwood, président, D. Šváby et E. Moavero Milanesi (rapporteur), juges,

greffier : Mme K. Pocheć, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 12 février 2009,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

 Régime du transit communautaire externe

1        En vertu des articles 37, 91 et 92 du règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire (JO L 302, p. 1, ci‑après le « code des douanes »), des marchandises non communautaires introduites dans la Communauté européenne qui, au lieu d’être immédiatement soumises aux droits à l’importation, sont placées sous le régime du transit communautaire externe, peuvent circuler sous surveillance douanière sur le territoire douanier communautaire, et ne seront mises en libre pratique qu’au poste de douane de leur lieu de destination.

2        Le titulaire du régime de transit communautaire externe est défini par le code des douanes comme étant le « principal obligé ». À ce titre, il doit présenter les marchandises intactes au bureau de douane de destination, dans le délai prescrit et respecter les dispositions dudit régime (article 96 du code des douanes). Ces obligations prennent fin au moment de la présentation en douane des marchandises et du document correspondant au bureau de destination (article 92 du code des douanes).

3        Selon les articles 341, 346, 348, 350, 356 et 358 du règlement (CEE) n° 2454/93 de la Commission, du 2 juillet 1993, fixant certaines dispositions d’application du code des douanes (JO L 253, p. 1, ci‑après le « règlement d’application »), les marchandises en cause doivent, tout d’abord, être présentées au bureau de douane de départ accompagnées d’une déclaration T1. Le bureau de départ prescrit le délai dans lequel les marchandises doivent être présentées au bureau de destination, annote le document T1 en conséquence, conserve l’exemplaire qui lui est destiné et remet les autres exemplaires du document T1 au principal obligé. Le transport des marchandises s’effectue sous le couvert du document T1. Après la présentation des marchandises, le bureau de destination annote les exemplaires du document T1 qu’il reçoit, en fonction du contrôle effectué, et renvoie sans tarder un récépissé. Les articles 361 et suivants du règlement d’application, dans leur version applicable en l’espèce, indiquent qu’un récépissé, qui est délivré par le bureau de destination à la demande de la personne qui présente les exemplaires de la déclaration de transit, appelés « exemplaires 4 et 5 », doit rentrer au bureau de départ par l’intermédiaire d’un organisme central.

4        La surveillance douanière à laquelle les marchandises transportées sous le régime du transit communautaire externe sont soumises prend fin lorsque les marchandises sont mises en libre pratique, notamment par le paiement des droits à l’importation (article 37, paragraphe 2, et article 79 du code des douanes). Si les marchandises sont soustraites à cette surveillance, cela fait naître immédiatement la dette douanière à l’importation (article 203, paragraphes 1 et 2, du code des douanes). En est débiteur, outre la personne qui a soustrait la marchandise à la surveillance douanière, notamment, la personne qui devait exécuter les obligations découlant de l’utilisation du régime douanier sous lequel cette marchandise a été placée (article 203, paragraphe 3, et article 213 du code des douanes), c’est-à-dire le principal obligé.

5        Aux termes de l’article 379, paragraphe 1, du règlement d’application, lorsqu’un envoi n’a pas été présenté au bureau de destination et que le lieu de l’infraction ou de l’irrégularité ne peut être établi, le bureau de départ en donne notification au principal obligé dans les meilleurs délais et, au plus tard, avant l’expiration du onzième mois suivant la date de l’enregistrement de la déclaration de transit communautaire.

 Garantie globale du montant de la dette douanière

6        Conformément à l’article 94 du code des douanes, le principal obligé est tenu de fournir une garantie en vue d’assurer le paiement de la dette douanière et des autres impositions susceptibles de naître à l’égard de la marchandise. L’article 191 du code des douanes précise, à cet égard, que, à la demande de l’intéressé, les autorités douanières permettent qu’une garantie globale soit constituée pour couvrir plusieurs opérations donnant lieu ou susceptibles de donner lieu à la naissance d’une dette douanière. Aux termes de l’article 198 du code des douanes, lorsque les autorités douanières constatent que la garantie fournie n’assure pas ou n’assure plus d’une manière certaine ou complète le paiement de la dette douanière dans les délais prévus, elles exigent de l’obligé, au choix de celui-ci, soit la fourniture d’une garantie complémentaire, soit le remplacement de la garantie initiale par une nouvelle garantie.

7        Ainsi qu’il est établi par l’article 361 du règlement d’application, le montant de la garantie globale est fixé à un minimum de 30 % des droits et des autres impositions exigibles, ou à un montant égal à l’intégralité des droits et des autres impositions exigibles, quand ladite garantie est destinée à couvrir des opérations de transit communautaire externe concernant, notamment, des marchandises relevant de la liste figurant à l’annexe 53, parmi lesquelles figurent les cigarettes et l’alcool. Dans cette hypothèse, cet article prévoit que les autorités douanières ont la faculté de fixer la garantie globale à un montant égal à 50 % des droits et des autres impositions exigibles.

8        La garantie globale est constituée dans un bureau de garantie, qui détermine le montant du cautionnement, accepte l’engagement de la caution et donne un accord préalable qui permet au principal obligé, dans la limite du cautionnement, d’effectuer toute opération de transit communautaire, quel que soit le bureau de départ. À cette fin, il est délivré, à chaque personne ayant obtenu un accord préalable, un certificat de cautionnement (article 362 du règlement d’application). Au verso de ce certificat, le principal obligé désigne sous sa responsabilité, au moment de la délivrance du certificat ou à tout autre moment pendant la durée de validité dudit certificat, les personnes habilitées à signer en son nom les déclarations de transit communautaire ; il peut à tout moment annuler l’inscription du nom d’une personne habilitée (article 363 du règlement d’application). Conformément à l’article 364 du règlement d’application, toute personne indiquée au verso d’un certificat de cautionnement présenté à un bureau de départ est réputée être le représentant habilité du principal obligé.

 Remise des droits à l’importation

9        La demande de remise de droits à l’importation ayant été introduite le 27 septembre 2004, le chapitre 3 du titre IV de la partie IV du règlement d’application, contenant les dispositions spécifiques relatives à l’application de l’article 239 du code des douanes, est le droit applicable, dans la version en vigueur à cette époque.

10      L’article 239 du code des douanes se lit comme suit :

« 1. Il peut être procédé au remboursement ou à la remise des droits à l’importation ou des droits à l’exportation dans des situations autres que celles visées aux articles 236, 237 et 238 :

–        à déterminer selon la procédure du comité,

–        qui résultent de circonstances n’impliquant ni manœuvre ni négligence manifeste de la part de l’intéressé. Les situations dans lesquelles il peut être fait application de cette disposition ainsi que les modalités de procédure à suivre à cette fin sont définies selon la procédure du comité. Le remboursement ou la remise peuvent être subordonnées à des conditions particulières.

2. Le remboursement ou la remise des droits pour les motifs indiqués au paragraphe 1 est accordé sur demande déposée auprès du bureau de douane concerné […] »

11      L’article 905 du règlement d’application prévoit notamment :

« 1. Lorsque la demande de remboursement ou de remise visée à l’article 239, paragraphe 2, du code [des douanes] est assortie de justifications susceptibles de constituer une situation particulière qui résulte de circonstances n’impliquant ni manœuvre ni négligence manifeste de la part de l’intéressé, l’État membre dont relève l’autorité douanière de décision transmet le cas à la Commission pour qu’il soit réglé conformément à la procédure prévue aux articles 906 à 909 :

[…]

Le terme ‘intéressé’ doit être entendu dans le même sens qu’à l’article 899.

[…]

3. Le dossier adressé à la Commission doit comporter tous les éléments nécessaires à un examen complet du cas présenté […]

4. La Commission accuse immédiatement réception de ce dossier à l’État membre concerné.

[…] »

12      L’article 906 du règlement d’application dispose :

« La Commission communique aux États membres une copie du dossier visé à l’article 905, paragraphe 3, dans les quinze jours suivant la date de réception dudit dossier.

L’examen de ce dossier est inscrit dès que possible à l’ordre du jour d’une réunion du groupe d’experts, visé à l’article 907. »

13      L’article 907 du règlement d’application dispose :

« Après consultation d’un groupe d’experts composé de représentants de tous les États membres réunis dans le cadre du comité afin d’examiner le cas d’espèce, la Commission prend une décision établissant soit que la situation particulière examinée justifie l’octroi du remboursement ou de la remise, soit qu’elle ne le justifie pas […] »

 Faits à l’origine du litige

14      La requérante, Transnáutica – Transportes e Navegação, SA, est une société portugaise de transport routier possédant le statut de destinataire agréé pour la période au cours de laquelle les opérations litigieuses, soumises aux droits de douane, ont été réalisées dans le cadre du régime de transit communautaire externe.

15      Entre le 14 avril et le 12 octobre 1994, 68 déclarations de transit T1 concernant 64 envois de tabac et 4 envois d’alcool éthylique ont été émises par l’autorité douanière de Xabregas (Portugal), autorité douanière de départ. Ces marchandises, en provenance des Pays‑Bas, devaient être acheminées en Allemagne en vue de leur réexportation vers des pays d’Europe de l’Est. Certains des « exemplaires 5 » des 68 déclarations de transit T1 n’ont jamais été retournés au bureau de douane de départ, alors que d’autres y sont arrivés avec des cachets et des signatures dont la falsification a été découverte ultérieurement.

16      À partir du mois d’août 1994, les autorités portugaises ont reçu l’ordre de surveiller certains camions ainsi que le mouvement des marchandises qu’ils transportaient afin de découvrir la source des faux cachets sur certains des « exemplaires 5 » des déclarations T1.

17      Entre janvier 1995 et janvier 1996, les autorités portugaises ont transmis à la requérante des copies des déclarations T1, en lui demandant de fournir la preuve du fait qu’elle avait agi régulièrement et légalement au cours de la procédure de transit communautaire externe et de payer les dettes douanières correspondantes, dans la mesure où elle était désignée comme principal obligé pour les déclarations de transit externe litigieuses. En outre, c’est en son nom qu’avait été émis le certificat de cautionnement.

18      Dès sa lettre du 23 mars 1995, la requérante a répondu qu’elle n’avait pas connaissance de ces opérations de transit de cigarettes et d’alcool éthylique réalisées pour son compte. Ce n’est ainsi qu’à la suite d’une enquête interne qu’elle a découvert qu’un de ses employés avait agi frauduleusement en signant, à son insu, des déclarations T1 pour des opérations de contrebande.

19      L’employé en cause a été licencié et, par la suite, déclaré coupable d’abus de confiance continu par le Tribunal Criminal de Lisboa (tribunal pénal de Lisbonne, Portugal) en décembre 1999. Quant à la requérante, l’enquête pénale ouverte contre elle a été close, en septembre 2005, au motif qu’elle ignorait les agissements de son employé et que ses représentants n’étaient pas impliqués dans la fraude en cause. Cette même enquête a révélé une négligence de la part des autorités douanières dès lors qu’elles ont accepté une garantie trop faible au regard des opérations en cause, et lorsqu’elles ont contrôlé les marchandises litigieuses.

20      Le 17 novembre 2003, la requérante a demandé aux autorités portugaises le remboursement et la remise de la dette douanière. Conformément aux articles 906 et suivants du règlement d’application, le gouvernement portugais a transmis, par lettre du 27 septembre 2004, la demande de la requérante à la Commission des Communautés européennes, laquelle, par lettre du 23 décembre 2004, l’a informée de son intention de rejeter sa demande à la suite d’un examen préliminaire du dossier. La requérante a pu consulter le dossier auprès de la Commission le 19 janvier 2005 et, par lettre du même jour, lui a fait connaître sa position sur ladite intention.

21      Le 6 juillet 2005, conformément à l’article 907 du règlement d’application, la Commission a adopté la décision REM 05/2004, notifiée à la requérante le 12 août suivant par lettre du ministère des Finances et de l’Administration publique portugais, par laquelle elle rejetait sa demande et déclarait que la remise et le remboursement de la dette douanière n’étaient pas justifiés, au motif que la requérante ne se trouvait pas dans une situation particulière au sens de l’article 239 du code des douanes (ci‑après la « décision attaquée »). Le 19 septembre 2005, la requérante a eu accès au dossier sur lequel la Commission avait fondé la décision attaquée.

 Procédure et conclusions des parties

22      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 octobre 2005, la requérante a introduit le présent recours. La procédure écrite a été close le 12 avril 2006.

23      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler dans son intégralité la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

24      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

25      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la septième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

26      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (septième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et a posé des questions aux parties, au titre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 de son règlement de procédure. Les parties ont répondu à ces questions.

27      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 12 février 2009. À cette occasion, et sous réserve de leur recevabilité, la requérante a demandé un délai, après l’audience, pour le dépôt de certains documents. Ces documents sont parvenus au greffe du Tribunal le 12 février 2009 et ont été notifiés à la Commission, qui n’a pas soulevé d’objections.

 En droit

28      À l’appui de son recours, la requérante invoque cinq moyens, tirés, premièrement, de la violation des formes substantielles, deuxièmement, de l’erreur manifeste d’appréciation dans l’application de l’article 239 du code des douanes, troisièmement, de l’insuffisance de motivation en violation de l’article 253 CE, quatrièmement, de la violation des principes de bonne administration et de respect des droits de la défense ainsi que, cinquièmement, de la violation du principe de proportionnalité.

29      Il convient d’examiner tout d’abord le deuxième moyen, tiré de l’erreur manifeste d’appréciation.

 Considérations liminaires

30      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que l’article 905 du règlement d’application subordonne le remboursement des droits à l’importation à la réunion de deux conditions cumulatives, à savoir, premièrement, l’existence d’une situation particulière et, deuxièmement, l’absence de négligence manifeste et de manœuvre de la part de l’intéressé (arrêts du Tribunal du 12 février 2004, Aslantrans/Commission, T‑282/01, Rec. p. II‑693, point 53, et du 27 septembre 2005, Geologistics/Commission, T‑26/03, Rec. p. II‑3885, point 35). De plus, l’application de l’article 239 du code des douanes impose à la Commission d’effectuer une mise en balance, d’une part, de l’intérêt de la Communauté à s’assurer du respect des dispositions douanières et, d’autre part, de l’intérêt de l’importateur à ne pas supporter un préjudice dépassant le risque commercial ordinaire (arrêt du Tribunal du 19 février 1998, Eyckeler & Malt/Commission, T‑42/96, Rec. p. II‑401, point 133).

31      Il ressort des points 14 et 37 de la décision attaquée que la Commission et les autorités portugaises se sont accordées pour exclure en l’espèce l’existence d’une négligence manifeste et de manœuvres de la part de la requérante.

32      S’agissant de l’existence d’une situation particulière, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, des circonstances de nature à constituer une situation particulière au sens de l’article 905 du règlement d’application existent lorsque, à la lumière de la finalité d’équité qui sous-tend l’article 239 du code des douanes, sont constatés des éléments susceptibles de mettre le demandeur dans une situation exceptionnelle par rapport aux autres opérateurs économiques exerçant la même activité (arrêts de la Cour du 25 février 1999, Trans-Ex-Import, C‑86/97, Rec. p. I‑1041, points 21 et 22 ; du 7 septembre 1999, De Haan, C‑61/98, Rec. p. I‑5003, points 52 et 53, et du 27 septembre 2001, Bacardi, C‑253/99, Rec. p. I‑6493, point 56 ; arrêt Aslantrans/Commission, point 30 supra, point 56). En effet, la clause d’équité prévue par la réglementation douanière communautaire est destinée à être appliquée lorsque les circonstances qui caractérisent le rapport entre l’opérateur économique et l’administration sont telles qu’il ne serait pas équitable d’imposer à cet opérateur un préjudice que, normalement, il n’aurait pas subi (voir, par analogie, arrêts de la Cour du 26 mars 1987, Coopérative agricole d’approvisionnement des Avirons, 58/86, Rec. p. 1525, point 22, et du 29 avril 2004, British American Tobacco, C‑222/01, Rec. p. I‑4683, point 63).

33      Afin de déterminer si, en l’espèce, les circonstances sont constitutives d’une situation particulière, la Commission doit apprécier l’ensemble des données de fait pertinentes (voir par analogie, arrêts du Tribunal du 9 novembre 1995, France-aviation/Commission, T‑346/94, Rec. p. II‑2841, point 34, et du 11 juillet 2002, Hyper/Commission, T‑205/99, Rec. p. II‑3141, point 93). La Commission jouit d’une marge d’appréciation en ce qui concerne l’application d’une clause d’équité, mais elle est tenue de l’exercer en effectuant une réelle mise en balance des intérêts, ainsi qu’il a été rappelé au point 30 ci-dessus.

34      C’est au vu de ce qui précède qu’il y a lieu d’examiner si la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant, dans la décision attaquée, que les circonstances invoquées par la requérante n’étaient pas constitutives d’une situation particulière.

35      Le présent moyen, tiré de l’erreur manifeste d’appréciation, s’articule en cinq branches, correspondant aux cinq éléments de fait que, selon la requérante, la Commission n’a pas pris en compte afin de qualifier sa situation de « situation particulière ». Premièrement, la requérante n’aurait pas eu connaissance des activités frauduleuses exercées par l’un de ses employés. Deuxièmement, les autorités douanières portugaises n’auraient pas informé la requérante du fait qu’une enquête était en cours en raison de soupçons de fraude. Troisièmement, les autorités douanières portugaises auraient violé les dispositions relatives à la garantie globale. Quatrièmement, les autorités douanières portugaises auraient manqué à leur obligation de diligence dans la mise en œuvre du régime de transit communautaire externe. Cinquièmement, la requérante pourrait tomber en faillite si elle devait payer la dette douanière en cause.

36      Il convient de traiter en premier lieu la troisième branche du deuxième moyen.

 Sur la troisième branche du deuxième moyen, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation en ce que les autorités douanières portugaises auraient violé les dispositions relatives à la garantie globale

 Arguments des parties

37      La requérante reproche à la Commission de ne pas avoir pris en considération le fait que les autorités douanières portugaises avaient violé la législation applicable en matière de garantie globale, en acceptant une garantie trop faible au regard des opérations portant sur des marchandises sensibles telles que le tabac et l’alcool éthylique, ce qui ferait naître une situation particulière pour la requérante. Elle fait valoir que, selon l’article 361 du règlement d’application, lorsqu’une garantie globale est fournie, son montant doit couvrir au moins 30 % des droits de douanes et des autres impositions exigibles. De plus, lorsque les opérations concernent notamment des marchandises sensibles telles que les cigarettes et l’alcool éthylique, la garantie doit être fixée à un montant égal à l’intégralité des droits et des autres impositions exigibles. Or, les autorités douanières portugaises auraient accepté le certificat de garantie globale pour les opérations en cause, même s’il ne couvrait que 7,29 % des dettes douanières et des autres impositions afférentes à un seul chargement. Si chacune des déclarations T1 était prise en considération, la garantie ne couvrirait la totalité des droits que dans trois desdites déclarations. Cependant, dès lors que d’autres déclarations T1 avaient été délivrées aux mêmes dates, la garantie globale aurait été insuffisante.

38      À l’argument de la Commission, selon lequel il n’existerait pas de lien de causalité entre le fait de ne pas fixer ladite garantie correctement et la naissance de la dette, la requérante rétorque que, selon l’article 94, paragraphe 1, du code des douanes, pour toute opération de transit communautaire, une garantie globale doit être fournie en vue d’assurer le paiement de la dette douanière et des autres impositions susceptibles de naître à l’égard de la marchandise. La garantie ne serait pas destinée à couvrir la valeur des marchandises, mais précisément le montant de la dette douanière. Si les autorités douanières portugaises, dès la première opération, avaient refusé la garantie fournie par l’employé de la requérante, en raison de son insuffisance, les opérations frauduleuses n’auraient jamais été réalisées. En effet, la requérante fait valoir que ledit employé n’aurait jamais pu fournir une garantie globale juridiquement valable, puisque, selon ses statuts, la constitution d’une garantie adéquate pour les marchandises litigieuses aurait requis la signature de deux de ses administrateurs et l’employé à lui seul n’aurait pas pu obtenir une garantie bancaire couvrant la valeur totale des opérations à réaliser.

39      Selon la requérante, la question n’est pas de savoir quand les marchandises ont été soustraites à la surveillance douanière, mais s’il existe un lien de causalité entre, d’une part, le fait que les autorités douanières ont accepté pour les opérations en cause un certificat de cautionnement dont le montant était trop faible et, d’autre part, l’exécution des opérations de transit qui ont fait naître la dette douanière réclamée par la Commission. Par ailleurs, la requérante relève qu’il est encore plus surprenant que lesdites autorités aient continué à accepter cette garantie globale après avoir ouvert l’enquête au mois d’août 1994. S’il est vrai que cette garantie a pu être acceptée comme moyen de démantèlement d’une organisation criminelle, il conviendrait toutefois, compte tenu du fait notamment que les autorités douanières n’ont pas recherché les marchandises au-delà de la frontière nationale, de qualifier la situation de « particulière » pour la requérante.

40      La Commission fait valoir que la dette douanière est née parce que les marchandises en cause ont été soustraites à la surveillance douanière, les documents ne sont pas parvenus au bureau de destination et les « exemplaires 5 » des déclarations de transit T1 n’ont jamais été renvoyés au bureau de départ. Dans ces circonstances, la violation a eu lieu au cours du transit, la question relative à la garantie globale ne pourrait donc pas être utilisée comme justifiant l’existence d’une situation particulière pour la requérante. La Commission a, en outre, soutenu, au cours de l’audience, d’une part, que la requérante était considérée par les autorités douanières comme un opérateur de confiance et, d’autre part, qu’il n’était pas possible que les autorités douanières vérifient la nature adéquate de la garantie globale pour chacune des opérations de transit, puisque la garantie globale permet de couvrir des opérations qui peuvent commencer dans plusieurs bureaux de départ différents.

41      Selon la Commission, à supposer même que la fraude ait pu être évitée si les autorités portugaises n’avaient pas accepté la garantie globale, il faudrait alors considérer que la fraude aurait pu être également évitée si la requérante avait correctement surveillé les activités de ses propres employés.

42      La Commission rappelle en outre que, conformément à l’article 362 du règlement d’application, la requérante avait été autorisée par les autorités portugaises à constituer une garantie globale et que, aux termes de l’article 363 du même règlement, le principal obligé était tenu de désigner, sous sa responsabilité, au verso du certificat de cautionnement, les personnes habilitées à signer en son nom les déclarations de transit communautaire, ce qui a été fait en l’espèce, car les deux employés, dont le nom figurait sur le certificat de garantie, parmi lesquels l’employé qui a été licencié par la suite, sont ceux qui ont signé les déclarations T1.

 Appréciation du Tribunal

43      L’article 94 du code des douanes impose au principal obligé de fournir une garantie en vue d’assurer le paiement de la dette douanière et des autres impositions susceptibles de naître à l’égard de la marchandise. La garantie n’est pas destinée à couvrir la valeur des marchandises faisant l’objet de l’opération de transit, mais à couvrir le montant de la dette douanière. En effet, si les marchandises étaient soustraites au régime de surveillance douanière, cela ferait naître immédiatement la dette douanière.

44      Ainsi qu’il ressort des articles 191 et 198 du code des douanes, lorsque les autorités douanières permettent qu’une garantie globale soit constituée par le principal obligé, pour couvrir plusieurs opérations susceptibles de faire naître une dette douanière, ces mêmes autorités, lorsqu’elles constatent que la garantie fournie n’assure pas ou n’assure plus d’une manière certaine et complète le paiement de la dette, exigent du principal obligé, soit la fourniture d’une garantie complémentaire, soit le remplacement de la garantie initiale par une nouvelle.

45      L’action et le contrôle des autorités douanières nationales compétentes sont essentiels, non seulement au moment de la constitution du certificat de garantie, mais également chaque fois qu’une garantie globale, destinée à couvrir plusieurs opérations de transit, est utilisée pour effectuer et couvrir celles-ci.

46      Or, le certificat de cautionnement de la requérante, signé le 9 décembre 1993 et intitulé « Garantie globale n° 068‑1064/993 », avait été constitué pour un crédit maximal de 8 millions d’escudos portugais, c’est-à-dire environ 40 000 euros. Sur le verso du certificat apparaissent les noms et signatures des personnes habilitées à signer les déclarations de transit communautaire externe, parmi lesquelles figurent celles qui ont signé les 68 déclarations T1 en cause.

47      Il s’agissait donc d’une garantie globale, pouvant couvrir plusieurs opérations de transit communautaire externe. En l’espèce, les 68 déclarations T1 concernaient des marchandises sensibles, telles que les cigarettes et l’alcool éthylique. Ainsi que la requérante l’a fait valoir sans être contredite par la Commission, s’agissant de marchandises sensibles, le montant de la garantie devait couvrir l’intégralité des droits et des autres impositions exigibles, ou dans des cas exceptionnels, non mentionnés en l’espèce, 50 % desdits droits. La requérante a soutenu que les droits et impositions exigibles pour un camion de tabac s’élevaient à environ 1 million d’euros, ce qui rendrait la garantie globale de la requérante à l’évidence insuffisante pour couvrir les droits et impositions exigibles pour une cargaison de tabac. Lors de l’audience, interrogée sur la valeur des droits exigibles pour un camion de tabac, la Commission n’a pas contredit la requérante et a précisé que l’estimation du montant de ces droits de douane relevait de la responsabilité des autorités douanières nationales.

48      Force est de constater que les autorités douanières portugaises ont accepté, pour les 68 déclarations T1 en cause, une garantie insuffisante. Ainsi que la requérante l’a fait valoir lors de l’audience, sans être contredite par la Commission, prenant en considération la totalité des déclarations T1 délivrées le même jour, la garantie globale n’a jamais couvert plus de 7,29 % des droits et des impositions. En revanche, si chacune des déclarations est analysée séparément, le certificat de cautionnement ne couvrait la totalité des droits exigibles que dans trois des déclarations en cause. Dans cette hypothèse, toutefois, il faut considérer que d’autres déclarations T1 avaient été émises à la même date, sans couverture adéquate de garantie.

49      Si les autorités douanières portugaises avaient vérifié, au moment de l’émission des déclarations T1, que le montant des droits et des autres impositions susceptibles de naître pour chaque cargaison était couvert par la garantie globale fournie par la requérante, les 68 déclarations T1 n’auraient pas pu être émises.

50      L’argument de la Commission, selon lequel il n’existe aucun lien de causalité entre la naissance de la dette douanière et l’acceptation d’un certificat de garantie globale, invalide en raison de son faible montant, ne saurait prospérer. Certes, la dette douanière naît au moment où les marchandises sont soustraites à la surveillance douanière, mais, l’acceptation, au moment de l’émission des déclarations T1, d’une garantie trop faible et dont le montant ne pouvait à l’évidence pas couvrir l’intégralité des droits et des autres impositions exigibles, constitue un vice dans la procédure d’émission des déclarations T1.

51      Ainsi qu’il a été rappelé au point 43 ci-dessus, la garantie vise à assurer le paiement de la dette douanière qui pourrait naître si les marchandises étaient soustraites à la surveillance douanière pendant le transit et avant d’être mises en libre pratique par le paiement des droits à l’importation au poste de douane du lieu de destination. Or, il convient de relever que, pour que ce régime fonctionne, il est essentiel que la garantie fournie soit d’un montant adéquat pour couvrir le montant de la dette douanière susceptible de naître, selon un pourcentage de 30, 50 ou 100 % établi en fonction de la nature des marchandises transportées. Une erreur dans le contrôle de la garantie, au moment de l’émission de la déclaration T1, aura un impact certain sur la capacité du principal obligé à assurer le paiement de la dette douanière susceptible de naître. En effet, l’intervention des autorités douanières nationales compétentes, lors de l’émission des déclarations T1, constitue une étape fondamentale de la procédure pouvant permettre de déceler d’éventuelles irrégularités.

52      En l’espèce, les autorités douanières portugaises auraient dû exiger de la requérante, en sa qualité de principal obligé, une garantie supplémentaire, nécessaire en raison de la valeur élevée de la dette douanière susceptible de naître, ou bien interrompre la procédure d’émission des déclarations T1. Si les autorités douanières portugaises avaient refusé la garantie en raison de son montant insuffisant et demandé la fourniture d’une garantie supplémentaire, non seulement les déclarations T1 en cause n’auraient pas été émises, mais la requérante affirme, à juste titre, qu’elle aurait pu s’apercevoir des agissements frauduleux de son employé.

53      À cet égard, la règle contenue dans les statuts de la requérante et imposant une double signature pour fournir une garantie suffisante, destinée à couvrir l’intégralité des droits et des autres impositions susceptibles de naître en l’espèce, constitue un mécanisme de contrôle interne visant à vérifier davantage les opérations susceptibles de faire naître une dette douanière plus élevée.

54      Il convient de rappeler que, d’une part, le certificat de cautionnement permettait aux personnes habilitées à signer les déclarations de transit d’engager la responsabilité de la requérante pour de faibles montants, étant donné que la garantie avait été constituée pour un crédit maximal de 40 000 euros, ce qui correspondait aux activités habituelles de l’entreprise, et que, d’autre part, l’employé de la requérante, ayant frauduleusement signé les 68 déclarations T1 litigieuses, ne disposait pas d’un mandat spécial pour délivrer une garantie suffisante ou pour augmenter le montant de celle existante. L’ensemble de ces éléments permet de considérer que la requérante avait pris des précautions suffisantes pour éviter que des opérations de transit d’une valeur importante puissent se réaliser en utilisant la garantie globale, dont il est question en l’espèce.

55      Force est de constater que l’absence de contrôle des autorités douanières à un stade initial et fondamental de la procédure de transit communautaire externe a permis l’émission de 68 déclarations T1, non couvertes par le certificat de cautionnement, et la réalisation d’actions frauduleuses à l’insu de la requérante, qui avait, ainsi qu’il a été exposé au point 53 ci-dessus, mis en place tous les mécanismes pour prévenir les abus dans l’utilisation de la garantie.

56      En outre, le fait que, ainsi que la Commission l’a soutenu lors de l’audience, la requérante était un opérateur économique connu par les autorités douanières portugaises et considéré comme fiable n’assouplit en rien le devoir de contrôle des autorités douanières sur le montant de la garantie par rapport aux marchandises qui leur sont soumises. Au contraire, la connaissance de l’opérateur économique et le fait que la requérante n’avait jamais commercialisé de marchandises sensibles auparavant, telles que le tabac ou l’alcool éthylique, sont des circonstances qui auraient dû attirer davantage l’attention des autorités douanières.

57      À cet égard, puisque l’émission de déclarations T1 est soumise à la présentation d’une garantie d’un montant qui doit couvrir la dette susceptible de naître, le non-respect de ce montant, voire le dépassement des limites du crédit maximal de la garantie, devait interrompre l’opération d’émission de déclarations T1, à moins que des garanties supplémentaires ne fussent fournies, et ce sans qu’il fût nécessaire que lesdites autorités aient eu conscience d’une éventuelle manœuvre frauduleuse perpétrée par un employé de la requérante.

58      En tout état de cause, à supposer même que, pour les besoins d’une enquête, les autorités douanières portugaises aient délibérément omis d’informer la requérante, en sa qualité de principal obligé, des irrégularités constatées dans la procédure d’émission des déclarations T1, ce qui n’est pas établi en l’espèce, la mise à la charge de la requérante d’une dette douanière découlant des choix desdites autorités, liés le cas échéant à la poursuite des infractions, serait de nature à heurter la finalité de la clause d’équité qui sous-tend l’article 905 du règlement d’application, en ce que la requérante se trouverait ainsi placée dans une situation particulière, qui dépasserait le risque commercial ordinaire afférent à son activité économique (voir, en ce sens, arrêts de la Cour De Haan, point 32 supra, point 53, et du 18 octobre 2007, Nordspedizionieri di Danielis Livio e.a./Commission, C‑62/05 P, Rec. p. I‑8647, point 51, ainsi que arrêt Hyper/Commission, point 33 supra, point 95).

59      Il convient donc de conclure que le manque de diligence des autorités douanières portugaises, au moment de l’exercice de leur mission de contrôle, qui précède l’émission des déclarations T1, notamment en ce qui concerne la fixation et le contrôle du montant de la garantie globale, a perturbé le système de vérification prévu, pour le régime de transit communautaire externe, par le code des douanes et par le règlement d’application et, partant, a privé la requérante d’une occasion concrète de détecter la fraude avant qu’elle ne soit commise.

60      Or, ce manque de diligence relève de la responsabilité des autorités douanières portugaises et place la requérante dans une situation particulière qui dépasse le risque commercial ordinaire afférent à son activité économique.

61      Il ressort de ce qui précède que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en concluant à l’inexistence d’une situation particulière pour la requérante, en ce qui concerne la violation du devoir de contrôle sur la validité et le montant de la garantie globale par les autorités douanières portugaises.

62      Par conséquent, la troisième branche du deuxième moyen étant fondée, la décision attaquée doit être annulée, sans qu’il soit besoin d’analyser les autres branches de ce moyen, ni les autres moyens.

 Sur les dépens

63      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision REM 05/2004 de la Commission, du 6 juillet 2005, est annulée.

2)      La Commission des Communautés européennes est condamnée aux dépens.

Forwood

Šváby

Moavero Milanesi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 23 septembre 2009.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.