Language of document : ECLI:EU:T:2012:72

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

14 février 2012 (*)

« Recours en annulation – Règlement (CE) n° 530/2008 – Reconstitution des stocks de thon rouge – Fixation des TAC pour 2008 – Acte de portée générale – Défaut d’affectation individuelle – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑329/08,

AJD Tuna Ltd, établie à Saint Paul’s Bay (Malte), représentée par Mes J. Refalo, R. Mastroianni et M. Annoni, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mme K. Banks et M. D. Nardi, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation du règlement (CE) n° 530/2008 de la Commission, du 12 juin 2008, établissant des mesures d’urgence en ce qui concerne les senneurs à senne coulissante pêchant le thon rouge dans l’océan Atlantique, à l’est de la longitude 45° O, et dans la Méditerranée (JO L 155, p. 9),

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. S. Papasavvas, président, V. Vadapalas (rapporteur) et K. O’Higgins, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Cadre juridique

1        La Communauté européenne est devenue partie contractante en 1997 à la Convention internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique (CICTA) qui a institué la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique.

2        Par une étude du comité permanent pour la recherche et les statistiques de la CICTA, il a été mis en évidence un possible effondrement des stocks de thon rouge si des mesures adéquates de gestion n’étaient pas effectivement appliquées par les parties contractantes. Ce risque imminent a conduit la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique à adopter, en 2007, une recommandation visant à établir un plan de reconstitution sur quinze ans pour les stocks de thon rouge de l’Atlantique Est et de la Méditerranée.

3        Pour la Communauté, le plan de reconstitution ainsi recommandé a été adopté, tout d’abord, à titre provisoire par le règlement (CE) n° 643/2007 du Conseil, du 11 juin 2007, modifiant le règlement (CE) n° 41/2007 en ce qui concerne le plan de reconstitution des stocks de thon rouge recommandé par la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique (JO L 151, p. 1), puis, de manière définitive, par le règlement (CE) n° 1559/2007 du Conseil, du 17 décembre 2007, établissant un plan pluriannuel de reconstitution des stocks de thon rouge dans l’Atlantique Est et la Méditerranée et modifiant le règlement (CE) n° 520/2007 (JO L 340, p. 8).

4        Le plan mis en œuvre par le règlement n° 1559/2007 est, selon le considérant 5 de celui-ci, un plan de reconstitution au titre de l’article 5 du règlement (CE) n° 2371/2002 du Conseil, du 20 décembre 2002, relatif à la conservation et à l’exploitation durable des ressources halieutiques dans le cadre de la politique commune de la pêche (JO L 358, p. 59).

5        La principale mesure prévue dans le plan de la CICTA, afin de reconstituer les stocks de thon rouge, est le contingentement de la pêche de cette espèce par la détermination d’un total admissible des captures (TAC). Selon le plan, le TAC diminuera progressivement sur la période s’étendant de 2007 à 2010, passant de 29 500 tonnes en 2007 à 25 500 tonnes en 2010.

6        Le plan de reconstitution prévu par le règlement n° 1559/2007 attribue à la Communauté un quota, ou une quote-part du TAC, tel qu’il est déterminé par la CICTA. Pour l’année 2008, le TAC spécifique pour le thon rouge et le quota communautaire ont été directement pris en compte dans le règlement (CE) n° 40/2008 du Conseil, du 16 janvier 2008, établissant, pour 2008, les possibilités de pêche et les conditions associées pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques, applicables dans les eaux communautaires et, pour les navires communautaires, dans les eaux soumises à des limitations de capture (JO L 19, p. 1).

7        Ce règlement divise le quota communautaire en quotas nationaux alloués aux différents États membres pratiquant traditionnellement la pêche du thon rouge, en plus d’un volume résiduel de captures accessoires attribué à l’ensemble des autres États membres.

8        L’article 4, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 1559/2007 prévoit que chaque État membre prend les mesures nécessaires pour que l’effort de pêche de ses navires soit proportionné aux possibilités de pêche du thon rouge dont il dispose dans l’Atlantique Est et la Méditerranée. À cet effet, chaque État membre établit un plan de pêche annuel.

9        L’article 12, paragraphe 4, du règlement n° 1559/2007 dispose que les règles en matière de permis de pêche énoncées à l’article 8 bis, paragraphes 2, 4, 6 à 8, du règlement (CE) n° 1936/2001 du Conseil, du 27 septembre 2001, établissant certaines mesures de contrôle applicables aux activités de pêche de certains stocks de poissons grands migrateurs (JO L 263, p. 1), modifié par le règlement (CE) n° 869/2004 du Conseil, du 26 avril 2004 (JO L 162, p. 8), s’appliquent mutatis mutandis.

10      L’article 8 bis du règlement n° 1936/2001, tel que modifié, prévoit que chaque État membre communique à la Commission des Communautés européennes, par voie informatique, la liste des navires battant son pavillon et immatriculés sur son territoire, de plus de 24 mètres de longueur hors tout, qu’il autorise à pêcher des thonidés et des espèces voisines dans la zone de la CICTA par l’émission d’un permis de pêche spécial. L’État membre doit inclure dans la liste certaines informations relatives, notamment, au numéro interne du navire, ainsi que le nom et l’adresse de l’armateur et de l’opérateur.

11      L’article 5, paragraphe 2, du règlement n° 1559/2007 interdit la pêche du thon rouge à la senne coulissante dans l’Atlantique Est et la Méditerranée au cours de la période comprise entre le 1er juillet et le 31 décembre.

12      L’article 7, paragraphes 1 et 3, du règlement n° 2371/2002 dispose, en ce qui concerne les mesures d’urgence adoptées par la Commission, ce qui suit :

« 1. S’il existe des preuves qu’il existe une menace grave pour la conservation des ressources aquatiques vivantes ou pour l’écosystème marin résultant des activités de la pêche et nécessitant une intervention immédiate, la Commission peut, sur demande dûment justifiée d’un État membre ou d’office, arrêter les mesures d’urgence pour une période maximale de six mois […]

3. Les mesures d’urgence prennent effet immédiatement. Elles sont notifiées aux États membres concernés et publiées au Journal officiel. »

 Faits à l’origine du litige

13      La requérante, AJD Tuna Ltd, est propriétaire de deux exploitations piscicoles, destinées à l’élevage et à l’engraissement du thon rouge, qui ont été autorisées selon les procédures définies par la CICTA.

14      En application de l’article 7 du règlement n° 2371/2002, la Commission a, le 12 juin 2008, adopté le règlement (CE) n° 530/2008, établissant des mesures d’urgence en ce qui concerne les senneurs à senne coulissante pêchant le thon rouge dans l’océan Atlantique, à l’est de la longitude 45° O, et dans la Méditerranée (JO L 155, p. 9) (ci-après le « règlement attaqué »).

15      L’article 1er de ce règlement énonce :

« La pêche du thon rouge dans l’océan Atlantique, à l’est de la longitude 45° O, et dans la Méditerranée, par des senneurs à senne coulissante battant pavillon de la Grèce, de la France, de l’Italie, de Chypre et de Malte, ou enregistrés dans ces États membres, est interdite à compter du 16 juin 2008.

Il est également interdit de conserver à bord, de mettre en cage aux fins de l’engraissement ou de l’élevage, de transborder, de transférer ou de débarquer des poissons de ce stock capturés par ces navires à compter [de] cette date. »

16      L’article 3 du règlement attaqué se lit comme suit :

« 1.      Sans préjudice des dispositions du paragraphe 2, à compter du 16 juin 2008, les opérateurs communautaires refusent les débarquements, les mises en cage à des fins d’engraissement ou d’élevage ainsi que les transbordements dans les eaux ou dans les ports communautaires de thon rouge capturé par des senneurs à senne coulissante dans l’océan Atlantique, à l’est de la longitude 45° O, et dans la Méditerranée.

[…] »

 Procédure et conclusions des parties

17      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 août 2008, la requérante a introduit le présent recours.

18      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 25 novembre 2008, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité en vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

19      La requérante a présenté ses observations sur l’exception d’irrecevabilité le 8 janvier 2009.

20      Par ordonnance du 25 mars 2010, le président de la sixième chambre du Tribunal, les parties entendues, a ordonné la suspension de la procédure dans la présente affaire jusqu’au prononcé de la décision de la Cour mettant fin à l’instance dans l’affaire C‑221/09, AJD Tuna, et de la décision du Tribunal statuant sur la recevabilité dans les affaires T‑532/08, Norilsk Nickel Harjavalta et Umicore/Commission, et T‑539/08, Etimine et Etiproducts/Commission.

21      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la cinquième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

22      Les décisions, dans l’attente desquelles la procédure dans la présente affaire a été suspendue, étant intervenues par ordonnances du Tribunal du 7 septembre 2010, Norilsk Nickel Harjavalta et Umicore/Commission (T‑532/08, non encore publiée au Recueil) et Etimine et Etiproducts/Commission (T‑539/08, non encore publiée au Recueil), et par arrêt de la Cour du 17 mars 2011, AJD Tuna (C‑221/09, non encore publié au Recueil), les parties ont été invitées à se prononcer sur les conséquences qu’elles tiraient de ces décisions pour la présente affaire. La Commission a soumis ses observations le 5 mai 2011.

23      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal : 

–        annuler le règlement attaqué ;

–        condamner la Commission aux dépens.

24      Dans l’exception d’irrecevabilité, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        condamner la requérante aux dépens.

25      Dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter l’exception d’irrecevabilité ou, à titre subsidiaire, la joindre au fond ;

–        condamner la Commission aux dépens, y compris ceux afférents à l’exception d’irrecevabilité.

 En droit

26      En vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l’exception d’irrecevabilité sans engager le débat au fond. Conformément au paragraphe 3 du même article, la suite de la procédure est orale, sauf décision contraire du Tribunal. En l’espèce, le Tribunal estime qu’il est suffisamment éclairé par les pièces du dossier et qu’il n’y a pas lieu d’ouvrir la procédure orale.

27      La Commission considère que le recours est irrecevable au motif que la requérante n’est pas individuellement concernée au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE, par le règlement attaqué. La requérante, quant à elle, fait valoir, tant dans la requête introductive d’instance que dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, qu’elle est directement et individuellement concernée par le règlement attaqué.

28      À titre liminaire, s’agissant de la question de savoir s’il convient d’examiner la recevabilité du présent recours au regard de l’article 230 CE ou au regard de l’article 263 TFUE, il convient de rappeler que la question de la recevabilité d’un recours doit être tranchée sur la base des règles en vigueur à la date à laquelle il a été introduit et que les conditions de recevabilité d’un recours s’apprécient au moment de l’introduction du recours, à savoir au moment du dépôt de la requête. Dès lors, la recevabilité d’un recours introduit avant la date d’entrée en vigueur du traité FUE, le 1er décembre 2009, doit être appréciée sur le fondement de l’article 230 CE (voir ordonnances Norilsk Nickel Harjavalta et Umicore/Commission, précitée, points 70 et 72, et Etimine et Etiproducts/Commission, précitée, point 76, et la jurisprudence citée, et ordonnance du Tribunal du 15 décembre 2010, Albertini e.a./Parlement, T‑219/09 et T‑326/09, non encore publiée au Recueil, point 39).

29      En l’espèce, le recours ayant été introduit le 12 août 2008, il convient donc d’examiner sa recevabilité sur le fondement de l’article 230 CE.

30      Conformément à l’article 230, quatrième alinéa, CE, toute personne physique ou morale peut former, dans les mêmes conditions, un recours contre les décisions dont elle est le destinataire et contre les décisions qui, bien que prises sous l’apparence d’un règlement ou d’une décision adressée à une autre personne, la concernent directement et individuellement.

31      Selon une jurisprudence constante, cette disposition confère aux particuliers le droit d’attaquer, notamment, toute décision qui, bien qu’elle soit prise sous l’apparence d’un règlement, les concerne directement et individuellement. L’objectif de cette disposition est, notamment, d’éviter que, par le simple choix de la forme d’un règlement, les institutions de l’Union européenne puissent exclure le recours d’un particulier contre une décision qui le concerne directement et individuellement et de préciser ainsi que le choix de la forme ne peut changer la nature d’un acte (arrêt de la Cour du 17 juin 1980, Calpak et Società Emiliana Lavorazione Frutta/Commission, 789/79 et 790/79, Rec. p. 1949, point 7 ; ordonnances du Tribunal du 8 juillet 1999, Area Cova e.a./Conseil et Commission, T‑12/96, Rec. p. II‑2301, point 24 ; du 8 septembre 2005, Lorte e.a./Conseil, T‑287/04, Rec. p. II‑3125, point 36, et du 12 janvier 2007, SPM/Commission, T‑447/05, Rec. p. II‑1, point 61).

32      Le critère de distinction entre un règlement et une décision doit être recherché dans la portée générale ou non de l’acte en question (ordonnance de la Cour du 12 juillet 1993, Gibraltar et Gibraltar Development/Conseil, C‑168/93, Rec. p. I‑4009, point 11 ; voir ordonnance du Tribunal du 11 septembre 2007, Honig-Verband/Commission, T‑35/06, Rec. p. II‑2865, point 39, et la jurisprudence citée). Un acte a une portée générale s’il s’applique à des situations déterminées objectivement et s’il produit des effets juridiques à l’égard de catégories de personnes envisagées de manière générale et abstraite (arrêts du Tribunal du 11 septembre 2002, Pfizer Animal Health/Conseil, T‑13/99, Rec. p. II‑3305, point 82, et Alpharma/Conseil, T‑70/99, Rec. p. II‑3495, point 74 ; voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 6 octobre 1982, Alusuisse Italia/Conseil et Commission, 307/81, Rec. p. 3463, point 9).

33      Toutefois, il n’est pas exclu que, dans certaines circonstances, les dispositions d’un acte normatif s’appliquant à la généralité des opérateurs économiques intéressés puissent concerner individuellement certains d’entre eux (arrêt de la Cour du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, C‑50/00 P, Rec. p. I‑6677, point 36 ; voir également, en ce sens, arrêts de la Cour du 16 mai 1991, Extramet Industrie/Conseil, C‑358/89, Rec. p. I‑2501, point 13, et du 18 mai 1994, Codorníu/Conseil, C‑309/89, Rec. p. I‑1853, point 19). Dans une telle hypothèse, un acte de l’Union pourrait alors à la fois revêtir un caractère normatif et, à l’égard de certains opérateurs économiques intéressés, un caractère décisionnel (arrêts du Tribunal du 13 novembre 1995, Exporteurs in Levende Varkens e.a./Commission, T‑481/93 et T‑484/93, Rec. p. II‑2941, point 50 ; du 12 juillet 2001, Comafrica et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, T‑198/95, T‑171/96, T‑230/97, T‑174/98 et T‑225/99, Rec. p. II‑1975, point 101 ; du 3 février 2005, Comafrica et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, T‑139/01, Rec. p. II‑409, point 107, et ordonnance SPM/Commission, précitée, point 66).

34      Selon une jurisprudence constante, une personne physique ou morale autre que le destinataire d’un acte ne saurait prétendre être concernée individuellement, au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE, que si elle est atteinte, par l’acte en cause, en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, l’individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire le serait (arrêts de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, Rec. p. 197, 223 ; Codorníu/Conseil, précité, point 20, et Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, précité, point 36). À défaut de remplir cette condition, aucune personne physique ou morale n’est, en tout état de cause, recevable à introduire un recours en annulation contre un règlement (arrêt Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, précité, point 37, et ordonnance SPM/Commission, précitée, point 67).

35      En outre, s’agissant de la question de savoir si un requérant est individuellement concerné, il y a lieu de rappeler qu’il est de jurisprudence constante que la possibilité de déterminer, avec plus ou moins de précision, le nombre ou même l’identité des sujets de droit auxquels s’applique une mesure n’implique nullement que ces sujets doivent être considérés comme étant concernés individuellement par cette mesure, tant qu’il est constant que cette application s’effectue en vertu d’une situation objective de droit ou de fait définie par l’acte en cause (ordonnance de la Cour du 24 mai 1993, Arnaud e.a./Conseil, C‑131/92, Rec. p. I‑2573, point 13, et arrêt de la Cour du 23 avril 2009, Sahlstedt e.a./Commission, C‑362/06 P, Rec. p. I‑2903, point 31).

36      Le présent recours ayant pour objet l’annulation d’un règlement de la Commission, il convient de déterminer si le règlement attaqué revêt une portée générale et si la requérante est concernée individuellement par celui-ci.

37      À cet égard, la requérante soutient, en substance, qu’elle est concernée en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne. Selon elle, le règlement attaqué porte atteinte à sa situation juridique non pas en raison de circonstances objectives, mais précisément en raison de ses qualités personnelles. Le règlement attaqué ne s’adresserait pas à un ensemble indifférencié de destinataires, mais aux seuls opérateurs qui exercent les activités visées à l’article 3 du règlement attaqué, à savoir, notamment, la mise en cage aux fins de l’engraissement ou de l’élevage de thon rouge capturé vivant. Or, ces activités ne seraient pas ouvertes à n’importe quel opérateur, mais seraient formellement réservées, par le biais de mesures d’autorisation, à des sujets bien définis. Elle précise que l’identité des opérateurs est transmise par les États membres à la Commission et inscrite, en vue de l’autorisation, au registre des établissements d’engraissement du thon rouge, géré par la CICTA. Elle ajoute que la Commission était informée, au moment où elle a adopté le règlement attaqué, de l’identité des entreprises d’élevage et d’engraissement du thon rouge ainsi que de la quantité de thon rouge qui leur était destinée, si bien que, en adoptant le règlement attaqué, la Commission a agi directement à leur égard en prenant en considération leur situation. Ledit règlement ne serait donc pas un acte ayant une portée générale, mais devrait être considéré comme une série de décisions individuelles s’adressant à chacun des opérateurs autorisés, en vertu d’un permis, à exercer les activités de mise en cage, d’engraissement et d’élevage du thon rouge dans les zones et durant les périodes indiquées.

38      En l’espèce, il y a lieu de relever que le règlement attaqué a interdit, à compter du 16 juin 2008, la pêche du thon rouge dans l’océan Atlantique, à l’est de la longitude 45° O, et dans la Méditerranée, par des senneurs à senne coulissante battant pavillon de la Grèce, de la France, de l’Italie, de Chypre et de Malte, ou enregistrés dans ces États membres. Il a également interdit, à compter de cette date, de conserver à bord, de mettre en cage aux fins de l’engraissement ou de l’élevage, de transborder, de transférer ou de débarquer des poissons de ce stock capturés par ces navires. Par ailleurs, le règlement attaqué a enjoint aux opérateurs communautaires de refuser, à compter du 16 juin 2008, les débarquements, les mises en cage à des fins d’engraissement ou d’élevage, ainsi que les transbordements desdits poissons dans les eaux ou dans les ports communautaires. Selon le considérant 6 du règlement attaqué, les mesures d’urgence sont prises sur la base des informations dont dispose la Commission, ainsi que sur la base de celles qui lui sont communiquées par ses inspecteurs au cours de leurs missions dans les États membres concernés.

39      De plus, ainsi qu’il ressort du cadre juridique exposé ci-dessus, le règlement attaqué prévoit une mesure conservatoire d’urgence destinée à permettre la reconstitution des stocks de thon rouge.

40      Dans cette perspective, le règlement attaqué n’a pas été arrêté au vu de la situation particulière de la requérante. Il s’applique, au contraire, à des situations déterminées objectivement et comporte des effets juridiques à l’égard de catégories de personnes envisagées de manière générale et abstraite. Le règlement attaqué revêt dès lors un caractère général (voir, en ce sens, ordonnance du Tribunal du 30 novembre 2009, Veromar di Tudisco Alfio & Salvatore e.a./Commission, T‑313/08 à T‑318/08 et T‑320/08 à T‑328/08, non publiée au Recueil, point 45).

41      S’agissant de la question de savoir si la requérante est concernée individuellement par le règlement attaqué, il convient de relever que la circonstance que les États membres sont obligés, en vertu de l’article 4 quater du règlement n° 1936/2001, tel que modifié, de communiquer la liste des établissements d’engraissement qu’ils autorisent à réaliser des opérations d’engraissement, ne signifie pas que, au-delà de sa qualité générale d’éleveur de thon rouge, la requérante est individualisée par le règlement attaqué en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne et, notamment, par rapport à tout autre opérateur pouvant pratiquer l’activité d’engraissement de thon rouge. En outre, force est de constater qu’il n’existe aucune disposition obligeant la Commission à prendre en considération la situation spécifique de la requérante. Contrairement à ce que soutient cette dernière, le règlement attaqué ne contient aucun élément concret permettant de considérer qu’il aurait été adopté compte tenu de sa situation particulière individuelle (voir, par analogie, ordonnance Veromar di Tudisco Alfio & Salvatore e.a./Commission, précitée, point 47).

42      Il en résulte que le règlement attaqué ne concerne la requérante qu’en sa qualité objective d’éleveur de thon rouge, au même titre que tout autre opérateur économique se trouvant dans une situation identique (voir, par analogie, ordonnance Veromar di Tudisco Alfio & Salvatore e.a./Commission, précitée, point 48).

43      En tout état de cause, le fait invoqué par la requérante, selon lequel l’activité de mise en cage aux fins de l’engraissement ou de l’élevage de thon rouge est formellement réservée à un nombre restreint d’opérateurs dont elle fait partie, ne suffit pas à démontrer que cette dernière est individuellement concernée par le règlement attaqué. En effet, il suffit de rappeler, à cet égard, que la possibilité de déterminer, avec plus ou moins de précision, le nombre ou même l’identité des sujets de droit auxquels s’applique une mesure n’implique nullement que ces sujets doivent être considérés comme étant concernés individuellement par cette mesure, tant qu’il est constant que cette application s’effectue, comme en l’espèce, en vertu d’une situation objective de droit ou de fait définie par l’acte en cause (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 22 novembre 2001, Antillean Rice Mills/Conseil, C‑451/98, Rec. p. I‑8949, point 52 ; ordonnance de la Cour du 25 avril 2002, Galileo et Galileo International/Conseil, C‑96/01 P, Rec. p. I‑4025, point 38 ; arrêt Sahlstedt e.a./Commission, précité, point 31, et ordonnance du Tribunal du 7 juillet 2011, Acetificio Marcello de Nigris/Commission, T‑351/09, non encore publiée au Recueil, point 66).

44      Il résulte de tout ce qui précède que la requérante n’est pas individuellement concernée par le règlement attaqué.

45      Cette conclusion ne saurait être infirmée par l’argument de la requérante selon lequel, s’il ne lui était pas permis de soumettre à un juge la question de la légalité du règlement attaqué, cela serait contraire au droit à une protection juridictionnelle effective.

46      Certes, les particuliers doivent pouvoir bénéficier d’une protection juridictionnelle effective des droits qu’ils tirent de l’ordre juridique de l’Union (arrêts de la Cour Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, précité, point 39, et du 1er avril 2004, Commission/Jégo-Quéré, C‑263/02 P, Rec. p. I‑3425, point 29). En effet, le droit à une telle protection constitue un principe général de droit qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres et qui a, d’ailleurs, été consacré par les articles 6 et 13 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, puis réaffirmé par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (JO 2007, C 303, p. 1), à laquelle l’article 6, paragraphe 1, TUE a reconnu une valeur identique à celle des traités (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 13 mars 2007, Unibet, C‑432/05, Rec. p. I‑2271, point 37). Toutefois, l’invocation du droit à une protection juridictionnelle effective ne saurait conduire à remettre en cause les conditions posées à l’article 230 CE, sauf à ce que le juge de l’Union outrepasse les compétences qui lui sont dévolues par les traités (arrêts de la Cour Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, précité, point 44, et du 10 septembre 2009, Commission/Ente per le Ville vesuviane et Ente per le Ville vesuviane/Commission, C‑445/07 P et C‑455/07 P, Rec. p. I‑7993, point 65, et voir, en ce sens, ordonnance Veromar di Tudisco Alfio & Salvatore e.a./Commission, précitée, point 49).

47      Il s’ensuit que le recours doit être rejeté comme irrecevable, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les arguments de la requérante relatifs à son affectation directe par le règlement attaqué.

 Sur les dépens

48      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)      AJD Tuna Ltd supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

Fait à Luxembourg, le 14 février 2012.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       S. Papasavvas


* Langue de procédure : l’italien.