Language of document : ECLI:EU:C:2022:128

ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)

24 février 2022 (*)

« Renvoi préjudiciel – Directive 92/13/CEE – Procédures de passation des marchés des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des télécommunications – Article 1er, paragraphes 1 et 3 – Accès aux procédures de recours – Article 2 quater – Délais d’introduction d’un recours – Calcul – Recours contre une décision d’admission d’un soumissionnaire »

Dans l’affaire C‑532/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Curtea de Apel Bucureşti (cour d’appel de Bucarest, Roumanie), par décision du 12 juin 2020, parvenue à la Cour le 20 octobre 2020, dans la procédure

Alstom Transport SA

contre

Compania Naţională de Căi Ferate CFR SA,

Strabag AG – Sucursala Bucureşti,

Swietelsky AG Linz – Sucursala Bucureşti,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de Mme K. Jürimäe, présidente de la troisième chambre, faisant fonction de président de la neuvième chambre, MM. S. Rodin (rapporteur) et N. Piçarra, juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour Alstom Transport SA, par Mes O. Gavrilă, C. Ciolan et I. Nedelcu, avocați,

–        pour Compania Naţională de Căi Ferate CFR SA, par M. I. Pintea,

–        pour Strabag AG – Sucursala Bucureşti, par Mes S. Neagu, A. Viespe, Ş. Dinu et L. Savin, avocați,

–        pour la Commission européenne, par MM. G. Wils et P. Ondrůšek ainsi que par Mme L. Nicolae, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphes 1 et 3, ainsi que de l’article 2 quater, de la directive 92/13/CEE du Conseil, du 25 février 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des règles communautaires sur les procédures de passation des marchés des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des télécommunications (JO 1992, L 76, p. 14), telle que modifiée par la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur l’attribution de contrats de concession (JO 2014, L 94, p. 1) (ci-après la « directive 92/13 »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Alstom Transport SA à Compania Națională de Căi Ferate CFR SA (ci-après la « CFR »), ainsi qu’à Strabag AG – Sucursala Bucureşti (ci-après « Strabag ») et à Swietelsky AG Linz – Sucursala București au sujet du calcul du délai d’introduction d’un recours contre une décision adoptée dans le cadre d’une procédure de passation de marché relative à un marché public de travaux.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 1er, paragraphe 1, quatrième alinéa, et paragraphe 3, de la directive 92/13 prévoit :

« 1.      [...]

Les États membres prennent, en ce qui concerne les contrats relevant du champ d’application de la directive 2014/25/UE [du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, relative à la passation de marchés par des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux et abrogeant la directive 2004/17/CE (JO 2014, L 94, p. 243)] ou de la directive 2014/23/UE [du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur l’attribution de contrats de concession], les mesures nécessaires pour garantir que les décisions prises par les entités adjudicatrices peuvent faire l’objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible, dans les conditions énoncées aux articles 2 à 2 septies de la présente directive, au motif que ces décisions ont violé le droit de l’Union en matière de marchés ou les règles nationales transposant ce droit.

[...]

3.      Les États membres s’assurent que les procédures de recours sont accessibles, selon des modalités que les États membres peuvent déterminer, au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée. »

4        Aux termes de l’article 2 bis, paragraphe 2, de la directive 92/13 :

« [...]

La décision d’attribution est communiquée à chaque soumissionnaire et candidat concerné, accompagnée :

–        d’un exposé synthétique des motifs pertinents visés à l’article 75, paragraphe 2, de la directive 2014/25/UE, sous réserve de l’article 75, paragraphe 3, de ladite directive, ou à l’article 40, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2014/23/UE, sous réserve des dispositions de l’article 40, paragraphe 2, de ladite directive,

[...] »

5        L’article 2 quater de la directive 92/13 dispose :

« Lorsqu’un État membre prévoit que tout recours contre une décision d’une entité adjudicatrice prise dans le cadre d’une procédure de passation de marché relevant du champ d’application de la directive 2014/25/UE ou la directive 2014/23/UE ou en liaison avec une telle procédure doit être formé avant l’expiration d’un délai déterminé, ce délai est égal à dix jours calendaires au moins à compter du jour suivant la date à laquelle la décision de l’entité adjudicatrice est envoyée au soumissionnaire ou au candidat si un télécopieur ou un moyen électronique est utilisé ou, si d’autres moyens de communication sont utilisés, soit à quinze jours calendaires au moins à compter du lendemain du jour où la décision de l’entité adjudicatrice est envoyée au soumissionnaire ou au candidat, soit à dix jours calendaires au moins à compter du lendemain du jour de réception de la décision de l’entité adjudicatrice. La décision de l’entité adjudicatrice est communiquée à chaque soumissionnaire ou candidat, accompagnée d’un exposé synthétique des motifs pertinents. En cas d’introduction d’un recours concernant des décisions visées à l’article 2, paragraphe 1, point b), de la présente directive, qui ne font pas l’objet d’une notification spécifique, le délai est de dix jours calendaires au moins à compter de la date de publication de la décision concernée. »

 Le droit roumain

6        L’article 2, paragraphe 1, de la Legea nr. 101/2016 privind remediile și căile de atac în materie de atribuire a contractelor de achiziție publică, a contractelor sectoriale și a contractelor de concesiune de lucrări și concesiune de servicii, precum și pentru organizarea și funcționarea Consiliului Național de Soluționare a Contestațiilor (loi no 101/2016 sur les voies de recours en matière d’attribution de marchés publics, de marchés sectoriels et de concessions de travaux et de services ainsi que sur l’organisation et le fonctionnement du conseil national de règlement des litiges) est libellé comme suit :

« Toute personne qui estime qu’un de ses droits ou intérêts légitimes a été lésé par l’acte d’un pouvoir adjudicateur ou par un défaut de statuer sur une demande dans le délai prévu par la loi peut demander l’annulation de l’acte, l’obligation du pouvoir adjudicateur d’émettre un acte ou de prendre des mesures correctives ou encore la reconnaissance du droit allégué ou de l’intérêt légitime, [devant le Consiliu Național de Soluționare a Contestațiilor (conseil national de règlement des litiges) ou un organe juridictionnel,] conformément aux dispositions de la présente loi. »

7        L’article 3 de cette loi dispose :

« 1.      Au sens de la présente loi, on entend par :

[...]

f)      personne qui s’estime lésée : tout opérateur économique qui remplit les conditions suivantes cumulatives :

i)      a ou a eu un intérêt lié à une procédure de passation de marché ; et

ii)      a subi, subit ou risque de subir un préjudice à la suite d’un acte du pouvoir adjudicateur susceptible de produire des effets juridiques ou d’un défaut de réponse à une demande relative à une procédure de passation de marché dans le délai prévu par la loi.

[...]

3.      Aux fins du paragraphe 1, sous f), i), une personne est réputée avoir ou avoir eu un intérêt lié à une procédure de passation de marché si elle n’a pas encore été définitivement exclue de cette procédure. Une exclusion est définitive si elle a été notifiée au candidat/soumissionnaire intéressé et soit a été considérée comme licite par le Consiliu [Național de Soluționare a Contestațiilor (conseil national de règlement des litiges)] ou par une juridiction, soit ne peut plus faire l’objet d’un recours. »

8        Aux termes de l’article 8 de ladite loi :

« 1.      La personne qui s’estime lésée par un acte du pouvoir adjudicateur peut saisir le Consiliu [Național de Soluționare a Contestațiilor (conseil national chargé de se prononcer sur les contestations)] en vue de l’annulation de cet acte, de l’imposition au pouvoir adjudicateur de l’obligation d’adopter un acte ou des mesures correctrices ainsi que de la reconnaissance du droit allégué ou de l’intérêt légitime, dans les délais suivants :

a)      dix jours, à compter du jour suivant la prise de connaissance de l’acte du pouvoir adjudicateur considéré illégal, lorsque la valeur estimée du marché public/sectoriel ou de concession est égale ou supérieure aux seuils de valeur au-delà desquels la transmission en vue de la publication au Journal officiel de l’Union européenne des avis de marchés publics est obligatoire, conformément à la législation en matière de marchés publics, à la législation en matière de marchés sectoriels ou à la législation en matière de concessions de travaux et de services ; [...] »

9        L’article 49, paragraphe 1, de la même loi prévoit :

« Pour obtenir une résolution judiciaire de son recours, la personne qui s’estime lésée peut s’adresser au tribunal compétent, conformément aux dispositions de la présente loi. »

 Le litige au principal et la question préjudicielle

10      La CFR a publié un appel d’offres dans le cadre d’une procédure de passation de marché sectoriel relative à un marché public de travaux portant sur la réhabilitation d’une ligne ferroviaire.

11      Le 13 mars 2018, l’offre présentée par le consortium RailWorks, dont le leader est Alstom Transport, a été déclarée recevable, mais le 5 juillet 2018 elle a été exclue par la CFR en raison de considérations liées à la capacité de réalisation de l’objet du marché par RailWorks.

12      Par un jugement du 19 octobre 2018, le Tribunalul Bucureşti (tribunal de grande instance de Bucarest, Roumanie) a rejeté le recours d’Alstom Transport contre la décision de la CFR excluant l’offre de RailWorks et désignant comme adjudicataire du marché le consortium BraSig. Par un arrêt du 20 décembre 2018, la Curtea de Apel București (cour d’appel de Bucarest, Roumanie), a fait droit au pourvoi formé par Alstom Transport contre ce jugement et a annulé cette décision. Elle a également constaté que l’offre de RailWorks était recevable et que la CFR était tenue de réévaluer l’offre de BraSig en tenant compte des critiques formulées à son égard par RailWorks.

13      Le 12 février 2019, à la suite de la réévaluation ordonnée par la Curtea de Apel București (cour d’appel de Bucarest), l’offre de RailWorks a été déclarée recevable et, par un courrier du 19 juin 2019, Alstom Transport a été désignée comme étant adjudicataire du marché en cause.

14      Le 5 juillet 2019, Alstom Transport a introduit un nouveau recours devant le Tribunalul București (tribunal de grande instance de Bucarest) tendant, notamment, à l’annulation de la décision de la CFR déclarant l’offre de BraSig comme étant recevable et conforme, ainsi qu’à celle du rapport de la procédure de passation de marché et de tous les actes relatifs aux modalités d’évaluation de cette offre. De plus, Alstom Transport a demandé à cette juridiction d’obliger la CFR à exclure ladite offre, au motif que BraSig aurait essayé d’influencer, de manière répétée, les membres du comité d’évaluation de la CFR afin de défavoriser l’offre de RailWorks.

15      Par un jugement du 8 août 2019, le Tribunalul București (tribunal de grande instance de Bucarest) a rejeté ce recours comme étant tardif. À cet égard, cette juridiction a considéré que le délai de dix jours prévu à l’article 8, paragraphe 1, sous a), de la loi no 101/2016 commençait à courir non pas à compter de la date à laquelle Alstom Transport avait pris connaissance du rapport de la procédure de passation de marché, mais à compter de celle à laquelle l’issue de cette procédure lui avait été communiquée.

16      Alstom Transport a saisi la Curtea de Apel București (cour d’appel de Bucarest), la juridiction de renvoi, d’un pourvoi contre ce jugement. À l’appui de son pourvoi, elle a indiqué que, par le courrier du 19 juin 2019 relatif à l’issue de la procédure de passation de marché, mentionné au point 13 du présent arrêt, elle avait uniquement été informée de l’évaluation de sa propre offre et qu’aucune information relative aux modalités d’évaluation de l’offre présentée par BraSig n’en ressortait. Alstom Transport a fait valoir que ce n’est que le 25 juin 2019, date à laquelle elle a eu accès au dossier de passation du marché après en avoir fait la demande le 20 juin 2019, qu’elle a pris connaissance du rapport de la procédure de passation de marché, et, implicitement, de ces modalités d’évaluation. Par conséquent, selon elle, c’était à partir du 25 juin 2019 que le délai de dix jours visé au point précédent du présent arrêt commençait à courir.

17      Dans ces circonstances, la Curtea de Apel București (cour d’appel de Bucarest) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 1er, paragraphe 1, troisième alinéa, et paragraphe 3, ainsi que l’article 2 quater de la directive [92/13] doivent-ils être interprétés en ce sens que le délai dans lequel l’adjudicataire peut introduire un recours, dans le cadre de la procédure de passation de marché, contre la décision du pouvoir adjudicateur déclarant recevable l’offre du soumissionnaire occupant une place inférieure dans le classement de la procédure doit être calculé en prenant comme point de référence la date à laquelle l’intérêt de l’adjudicataire naît, à la suite de l’introduction par le soumissionnaire évincé d’un recours contre l’issue de la procédure de passation de marché ? »

 Sur la question préjudicielle

18      À titre liminaire, force est de relever qu’il ressort du dossier dont dispose la Cour que la juridiction de renvoi interroge la Cour non pas sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 1, troisième alinéa, de la directive 92/13, mais sur celle de l’article 1er, paragraphe 1, quatrième alinéa, de cette directive.

19      Ainsi, il convient de considérer que, par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 1, quatrième alinéa, et paragraphe 3, ainsi que l’article 2 quater de la directive 92/13 doivent être interprétés en ce sens que le délai dans lequel l’adjudicataire d’un marché peut introduire un recours contre une décision de l’entité adjudicatrice déclarant recevable l’offre d’un soumissionnaire évincé peut être calculé en prenant comme point de référence la date de la réception de cette décision par cet adjudicataire, même si, à cette date, d’une part, ce soumissionnaire n’avait pas ou n’avait pas encore introduit de recours contre l’issue de la procédure de passation de ce marché et, d’autre part, l’adjudicataire du marché n’avait pas reçu les informations pertinentes relatives aux modalités d’évaluation de l’offre dudit soumissionnaire.

20      L’article 1er, paragraphe 1, quatrième alinéa, et paragraphe 3, ainsi que l’article 2 quater, de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO 1989, L 395, p. 33), telle que modifiée par la directive 2014/23, étant analogues, respectivement, à l’article 1er, paragraphe 1, quatrième alinéa, et paragraphe 3, ainsi qu’à l’article 2 quater de la directive 92/13, la jurisprudence relative à ces dispositions de la directive 89/665, telle que modifiée par la directive 2014/23, est également pertinente pour l’interprétation des dispositions en cause de la directive 92/13.

21      L’article 1er, paragraphe 1, quatrième alinéa, de la directive 92/13 impose aux États membres, en ce qui concerne les contrats relevant du champ d’application de la directive 2014/25 ou de la directive 2014/23, l’obligation de garantir que les décisions prises par les entités adjudicatrices puissent faire l’objet de recours efficaces et aussi rapides que possibles. Or, la fixation de délais de recours à peine de forclusion permet de réaliser l’objectif de célérité poursuivi par cette directive, en obligeant les opérateurs à contester dans de brefs délais les mesures préparatoires ou les décisions intermédiaires prises dans le cadre de la procédure de passation d’un marché (voir, par analogie, ordonnance du 14 février 2019, Cooperativa Animazione Valdocco, C‑54/18, EU:C:2019:118, point 27 et jurisprudence citée).

22      La fixation de délais de recours raisonnables à peine de forclusion satisfait, en principe, à l’exigence d’effectivité découlant de la directive 92/13, dans la mesure où elle constitue une application du principe fondamental de sécurité juridique et qu’elle est compatible avec le droit fondamental à une protection juridictionnelle effective (voir, par analogie, ordonnance du 14 février 2019, Cooperativa Animazione Valdocco, C‑54/18, EU:C:2019:118, point 28 et jurisprudence citée).

23      Dès lors, conformément à l’article 2 quater de la directive 92/13, lorsqu’un État membre prévoit des délais d’introduction d’un recours contre une décision d’une entité adjudicatrice prise dans le cadre d’une procédure de passation d’un marché relevant du champ d’application de la directive 2014/25 ou de la directive 2014/23, ou en liaison avec une telle procédure, les délais de recours contre ladite décision sont déterminés en fonction des modalités de communication de la décision de l’entité adjudicatrice aux soumissionnaires.

24      Ainsi, le délai doit être égal à dix jours calendaires au moins à compter du jour suivant la date à laquelle cette décision est envoyée au soumissionnaire ou au candidat si un télécopieur ou un moyen électronique est utilisé. Dans le cas où d’autres moyens de communication sont utilisés, ce délai est soit égal à quinze jours calendaires au moins à compter du lendemain du jour où ladite décision est envoyée au soumissionnaire ou au candidat, soit à dix jours calendaires au moins à compter du lendemain du jour de réception de la même décision. En cas d’introduction d’un recours concernant des décisions visées à l’article 2, paragraphe 1, sous b), de la directive 92/13, qui ne font pas l’objet d’une notification spécifique, le délai est de dix jours calendaires au moins à compter de la date de publication de la décision concernée.

25      En l’occurrence, le droit roumain prévoit que le délai de dix jours commence à courir, pour tous les soumissionnaires, y compris l’adjudicataire, à compter du lendemain de la prise de connaissance de l’acte de l’entité adjudicatrice. Ainsi, l’adjudicataire qui a l’intention de contester une décision déclarant recevable l’offre d’un soumissionnaire évincé, doit introduire son recours dans ce délai, indépendamment, d’une part, de la question de savoir si ou, le cas échéant, quand ce soumissionnaire a introduit un recours contre cette décision et, d’autre part, du fait que cet adjudicataire n’ait aucune information relative aux modalités d’évaluation de l’offre dudit soumissionnaire.

26      Si tant la juridiction de renvoi, dans sa demande de décision préjudicielle, que les parties au principal et la Commission européenne, dans leurs observations écrites respectives, abordent la condition de l’intérêt à agir, force est de constater que cette juridiction a choisi de limiter sa question au seul problème du point de départ du délai de recours.

27      À cet égard, il y a lieu de relever que l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 92/13 impose aux États membres de s’assurer que les procédures de recours sont accessibles, selon des modalités que les États membres peuvent déterminer, au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée.

28      Cette disposition a vocation à s’appliquer, notamment, à la situation de tout soumissionnaire qui estime qu’une décision d’admission d’un concurrent à une procédure de passation d’un marché public est illégale et risque de lui causer un préjudice, ce risque étant suffisant pour fonder un intérêt immédiat à l’introduction d’un recours contre cette décision, abstraction faite du préjudice pouvant, par ailleurs, découler de l’attribution de ce marché à un autre candidat (voir, par analogie, ordonnance du 14 février 2019, Cooperativa Animazione Valdocco, C‑54/18, EU:C:2019:118, point 36).

29      Ainsi, la directive 92/13 ne s’oppose pas, en principe, à une réglementation nationale qui prévoit que tout recours contre une décision du pouvoir adjudicateur doit être formé dans un délai prévu à cet effet et que toute irrégularité de la procédure d’adjudication invoquée à l’appui de ce recours doit être soulevée dans le même délai, sous peine de forclusion, de telle sorte que, passé ce délai, il n’est plus possible de contester une telle décision ou de soulever une telle irrégularité, pour autant que le délai en question soit raisonnable (voir, par analogie, ordonnance du 14 février 2019, Cooperativa Animazione Valdocco, C‑54/18, EU:C:2019:118, point 40 et jurisprudence citée).

30      Il s’ensuit qu’un adjudicataire peut être tenu de respecter un délai aux fins de l’introduction d’un recours contre une décision de l’entité adjudicatrice portant admission de la participation à une procédure de passation de marché public d’un soumissionnaire évincé, même dans l’hypothèse où cette décision fait partie de la décision désignant l’adjudicataire comme tel et même si, à cette date, ce soumissionnaire n’a pas ou n’a pas encore introduit de recours contre cette dernière décision.

31      Il ne saurait néanmoins être exclu que, dans le cadre de circonstances particulières ou eu égard à certaines de leurs modalités, l’application des règles nationales de forclusion puisse porter atteinte aux droits conférés aux particuliers par le droit de l’Union, en particulier au droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial, consacré à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (voir, par analogie, ordonnance du 14 février 2019, Cooperativa Animazione Valdocco, C‑54/18, EU:C:2019:118, point 43 et jurisprudence citée).

32      À cet égard, il convient de rappeler que des recours efficaces contre les violations des dispositions applicables en matière de passation des marchés publics ne peuvent être assurés que si les délais prévus pour former ces recours ne commencent à courir qu’à compter de la date à laquelle le requérant a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance de la violation alléguée de ces dispositions (voir, par analogie, ordonnance du 14 février 2019, Cooperativa Animazione Valdocco, C‑54/18, EU:C:2019:118, point 45 et jurisprudence citée).

33      À cet effet, la décision de l’entité adjudicatrice communiquée aux soumissionnaires doit, conformément à l’article 2 quater de la directive 92/13, être accompagnée d’un exposé synthétique des motifs pertinents.

34      Cet exposé synthétique des motifs pertinents, qui doit accompagner tant les décisions des entités adjudicatrices notifiées spécifiquement aux soumissionnaires que celles publiées ne faisant pas l’objet d’une notification spécifique, vise à assurer que les soumissionnaires concernés aient ou puissent avoir connaissance d’une éventuelle violation des règles applicables aux procédures de passation de marchés.

35      En l’occurrence, sous réserve d’une vérification par la juridiction de renvoi, les motifs pertinents de la décision de l’entité adjudicatrice portant admission de la participation de BraSig à la procédure de passation de marché en cause au principal ont pu être déduits du rapport de la procédure de passation de marché visé aux points 14 à 16 du présent arrêt, qui doit, en vertu du droit roumain, être rendu accessible aux soumissionnaires concernés au moyen d’une consultation présentielle.

36      Toutefois, une telle garantie juridique d’accès aux motifs des décisions d’entités adjudicatrices n’équivaut pas à une communication, lors de la publication ou de la notification de ces décisions, des motifs pertinents de celles-ci aux soumissionnaires.

37      Ainsi, dans de telles circonstances où les motifs pertinents d’une décision du pouvoir adjudicateur n’ont été portés à la connaissance des soumissionnaires ni au moyen d’une publication ni lors de la notification de cette décision, le délai dans lequel l’adjudicataire peut introduire un recours contre une décision du pouvoir adjudicateur déclarant recevable l’offre d’un soumissionnaire évincé commence à courir à compter non pas de la date de la réception de cette décision, mais de celle de la communication, à cet adjudicataire, des motifs pertinents de ladite décision, garantissant que ledit adjudicataire a eu ou a pu avoir connaissance d’éventuelles violations du droit de l’Union entachant une telle décision.

38      Au regard des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 1er, paragraphe 1, quatrième alinéa, et paragraphe 3, ainsi que l’article 2 quater de la directive 92/13, doivent être interprétés en ce sens que le délai dans lequel l’adjudicataire d’un marché peut introduire un recours contre une décision de l’entité adjudicatrice déclarant recevable, dans le cadre de la décision d’adjudication de ce marché, l’offre d’un soumissionnaire évincé peut être calculé en prenant comme point de référence la date de la réception de cette décision d’adjudication par cet adjudicataire, même si, à cette date, ce soumissionnaire n’avait pas ou n’avait pas encore introduit un recours contre celle-ci. En revanche, si, lors de la notification ou de la publication de ladite décision, un exposé synthétique des motifs pertinents de celle-ci, tels que les informations relatives aux modalités d’évaluation de ladite offre, n’a pas, conformément à cet article 2 quater, été porté à la connaissance dudit adjudicataire, ce délai doit être calculé en prenant comme point de référence la communication d’un tel exposé au même adjudicataire.

 Sur les dépens

39      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :

L’article 1er, paragraphe 1, quatrième alinéa, et paragraphe 3, ainsi que l’article 2 quater de la directive 92/13/CEE du Conseil, du 25 février 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des règles communautaires sur les procédures de passation des marchés des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des télécommunications, telle que modifiée par la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, doivent être interprétés en ce sens que le délai dans lequel l’adjudicataire d’un marché peut introduire un recours contre une décision de l’entité adjudicatrice déclarant recevable, dans le cadre de la décision d’adjudication de ce marché, l’offre d’un soumissionnaire évincé peut être calculé en prenant comme point de référence la date de la réception de cette décision d’adjudication par cet adjudicataire, même si, à cette date, ce soumissionnaire n’avait pas ou n’avait pas encore introduit un recours contre celle-ci. En revanche, si, lors de la notification ou de la publication de ladite décision, un exposé synthétique des motifs pertinents de celle-ci, tels que les informations relatives aux modalités d’évaluation de ladite offre, n’a pas, conformément à cet article 2 quater, été porté à la connaissance dudit adjudicataire, ce délai doit être calculé en prenant comme point de référence la communication d’un tel exposé au même adjudicataire.

Signatures


*      Langue de procédure : le roumain.