Language of document : ECLI:EU:T:2021:292

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

26 mai 2021 (*)

« Référé – Marchés publics de travaux, de fournitures et de services – Fourniture de satellites de transition Galileo – Rejet de l’offre d’un candidat – Demande de mesures provisoires – Fumus boni juris – Urgence – Mise en balance des intérêts »

Dans l’affaire T‑54/21 R,

OHB System AG, établie à Brême (Allemagne), représentée par Mes W. Würfel et F. Hausmann, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. G. Wilms, J. Estrada de Solà, L. Mantl et Mme L. André, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 278 TFUE et tendant, d’une part, au sursis à l’exécution des décisions de l’Agence spatiale européenne (ESA) des 19 et 22 janvier 2021, agissant au nom et pour le compte de la Commission, de ne pas retenir l’offre de la requérante pour le marché public 2018/S 091‑206089 et d’attribuer ce marché public à deux autres soumissionnaires, ainsi que, d’autre part, à ce qu’il soit ordonné à la Commission de donner accès aux documents de l’appel d’offres,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige, procédure et conclusions des parties

1        La requérante, OHB System AG, est une société de droit allemand qui a pour objet le développement et la mise en œuvre de systèmes et de projets spatiaux innovants ainsi que la commercialisation de produits aéronautiques, spatiaux et télématiques spécifiques.

2        Le 15 mai 2018, l’Agence spatiale européenne (ESA), agissant au nom et pour le compte de la Commission européenne, a publié une invitation à introduire une demande de participation dans le supplément du Journal officiel de l’Union européenne (2018/S 091‑206089) et sur le site Internet emits.esa.int.

3        La procédure de passation de marché a été lancée sous la forme d’un dialogue compétitif, dès lors que la Commission avait déjà identifié et défini ses besoins, mais pas encore les moyens précis les plus appropriés pour y répondre, et s’est déroulée conformément aux dispositions du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) n °283/2014 et la décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement (UE, Euratom) no 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1, ci‑après le « règlement financier »), et du règlement (UE) no 1285/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2013, relatif à la mise en place et à l’exploitation des systèmes européens de radionavigation par satellite et abrogeant le règlement (CE) no 876/2002 du Conseil et le règlement (CE) no 683/2008 du Parlement européen et du Conseil (JO 2013, L 347, p. 1).

4        L’objectif de ce marché était d’acquérir des satellites de transition Galileo ayant des caractéristiques évoluées pour assurer la continuité de la constellation Galileo en 2025‑2026 et initier le passage de la première génération à la seconde génération de satellites Galileo.

5        Le 25 juillet 2018, après le dépôt par la requérante d’une demande de participation audit marché, l’ESA lui a communiqué que celle-ci remplissait toutes les conditions.

6        Le 11 octobre 2020, après avoir participé aux deux premières étapes de la procédure, la requérante a soumis sa meilleure offre définitive.

7        Par lettre du 23 décembre 2020, la requérante a demandé à la Commission la suspension de la procédure de passation du marché, au motif que, dans le courant du mois de décembre 2019, l’un des soumissionnaires aurait engagé un membre de son personnel dirigeant (ci‑après l’« ancien employé ») qui avait participé de manière décisive à l’établissement de son offre et qu’elle soupçonnait que cet ancien employé ait illégalement obtenu des informations sensibles de la requérante susceptibles d’apporter à ce soumissionnaire des avantages indus dans le cadre de la procédure d’attribution, ce qui constituerait un motif d’exclusion, conformément à l’article 136, paragraphe 1, sous c), v), paragraphe 4 et paragraphe 5, et à l’article 167 du règlement financier.

8        Par lettre du 19 janvier 2021, l’ESA, agissant au nom et pour le compte de la Commission, a informé la requérante de la décision de ne pas retenir son offre, car elle n’était pas l’offre économiquement la plus avantageuse (ci‑après la « décision du 19 janvier 2021 »).

9        Par lettre du 20 janvier 2021, la Commission, se référant à la lettre de la requérante du 23 décembre 2020, a informé cette dernière notamment que, après avoir apprécié les faits limités mentionnés dans ses allégations relatives à son ancien employé, elle considérait qu’il n’y avait pas de motif suffisant pour justifier une suspension de la procédure de passation du marché et, en ce qui concerne la demande d’enquête présentée par la requérante, qu’elle s’en remettait à la procédure juridictionnelle nationale en cours et qu’elle prendrait ultérieurement, le cas échéant, des mesures complémentaires.

10      Par lettre du 22 janvier 2021, l’ESA a fourni à la requérante les résultats détaillés de l’évaluation de sa meilleure offre définitive et des informations concernant le classement des deux soumissionnaires retenus (ci‑après la « décision du 22 janvier 2021 »).

11      Par lettre du 28 janvier 2021, la requérante a contesté la décision d’attribution du marché et a notamment demandé à la Commission et à l’ESA d’exclure le soumissionnaire en cause de la procédure de passation de marché.

12      Par lettre du 29 janvier 2021, l’ESA a adressé une demande de renseignements audit soumissionnaire.

13      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 janvier 2021, la requérante a introduit un recours tendant, notamment, à l’annulation des décisions des 19 et 22 janvier 2021 (ci‑après, prises ensemble, les « décisions attaquées »).

14      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        surseoir à l’exécution des décisions attaquées avant même que l’autre partie à la procédure n’ait présenté ses observations, jusqu’au prononcé de l’ordonnance mettant fin à la procédure de référé, en application de l’article 157, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal ;

–        surseoir à l’exécution des décisions attaquées jusqu’à l’arrêt du Tribunal dans l’affaire au principal ;

–        prendre toute mesure provisoire nécessaire au maintien du statu quo ;

–        ordonner à la Commission de fournir l’accès au dossier de l’appel d’offres ;

–        réserver la décision sur les dépens.

15      Par ordonnance du 31 janvier 2021, OHB System/Commission (T‑54/21 R, non publiée), adoptée sur le fondement de l’article 157, paragraphe 2, du règlement de procédure, le président du Tribunal a ordonné le sursis à l’exécution de la décision du 19 janvier 2021 jusqu’à la date de l’ordonnance mettant fin à la présente procédure de référé.

16      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 5 février 2021, la Commission a introduit une demande de modification de l’ordonnance du 31 janvier 2021, OHB System/Commission (T‑54/21 R, non publiée), sur le fondement de l’article 159 du règlement de procédure, dans laquelle elle conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rapporter l’ordonnance en cause ;

–        à titre subsidiaire, préciser la portée ratione personae de ladite ordonnance ;

–        réserver la décision sur les dépens.

17      Le 12 février 2021, la requérante a déposé ses observations sur la demande mentionnée au point 16 ci-dessus.

18      Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 16 février 2021, la Commission conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande de mesures provisoires et la demande de sursis à exécution comme dénuées de fondement ;

–        rapporter l’ordonnance du 31 janvier 2021, OHB System/Commission (T‑54/21 R, non publiée) ;

–        à titre subsidiaire, préciser la portée ratione personae de ladite ordonnance ;

–        rejeter la demande d’accès immédiat au dossier d’appel d’offres ;

–        réserver la décision sur les dépens.

19      Le 19 février 2021, la requérante a déposé ses observations sur les observations de la Commission.

20      Par ordonnance du 26 février 2021, OHB System/Commission (T‑54/21 R, non publiée), adoptée sur le fondement de l’article 157, paragraphe 2, du règlement de procédure, le président du Tribunal a précisé la portée ratione personae de l’ordonnance du 31 janvier 2021, OHB System/Commission (T‑54/21 R, non publiée).

21      Le 5 mars 2021, la Commission a déposé ses observations sur le mémoire de la requérante du 19 février 2021.

22      Le 12 mars 2021, la requérante a déposé une demande de mesure d’organisation de la procédure en vertu de l’article 88, paragraphe 1, du règlement de procédure, visant à ce que le Tribunal ordonne à la Commission de produire les documents relatifs à l’analyse approfondie qu’elle a effectuée concernant les doutes soulevés par la requérante quant à une prétendue violation de la concurrence par un des soumissionnaires.

23      Le 22 mars 2021, la Commission a déposé ses observations sur ladite demande de mesure d’organisation de la procédure.

24      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 mai 2021, la société Airbus Defence and Space GmbH (ci‑après « Airbus ») a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

25      Le 19 mai 2021, les parties principales ont déposé leurs observations sur cette demande.

 En droit

26      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires, et ce en application de l’article 156 du règlement de procédure. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (ordonnance du 19 juillet 2016, Belgique/Commission, T‑131/16 R, EU:T:2016:427, point 12).

27      L’article 156, paragraphe 4, première phrase, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier « l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent ».

28      Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets avant la décision dans l’affaire principale. Ces conditions sont cumulatives, de telle sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 21 et jurisprudence citée).

29      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [voir ordonnance du 19 juillet 2012, Akhras/Conseil, C‑110/12 P(R), non publiée, EU:C:2012:507, point 23 et jurisprudence citée].

30      Compte tenu des éléments du dossier, le président du Tribunal estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

31      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner si la requérante apporte, tout d’abord, des éléments de preuve suffisants pour établir le fumus boni juris de ses allégations, en ce sens que, compte tenu des observations de la Commission, elles créent l’impression prima facie que les décisions attaquées sont entachées d’illégalité. Si cette condition est remplie, ce fait pourra également être pris en compte dans le cadre des conclusions à tirer à l’issue de l’analyse relative à l’urgence (voir, en ce sens, ordonnance du 23 février 2001, Autriche/Conseil, C‑445/00 R, EU:C:2001:123, points 100 et 110).

 Sur le fumus boni juris

32      S’agissant de la condition relative à l’existence d’un fumus boni juris, il y a lieu de rappeler qu’elle est remplie dès lors qu’il existe, au stade de la procédure de référé, une controverse juridique importante dont la solution ne s’impose pas d’emblée, de sorte que, à première vue, le recours n’est pas dépourvu de fondement sérieux. En effet, la finalité de la procédure de référé étant de garantir la pleine efficacité de la décision définitive à intervenir, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par les juridictions de l’Union, le juge des référés doit se borner à apprécier à première vue le bien‑fondé des moyens invoqués dans le cadre du litige au fond afin d’établir s’il existe une probabilité de succès du recours suffisamment grande [voir ordonnance du 19 décembre 2013, Commission/Allemagne, C 426/13 P(R), EU:C:2013:848, point 41, et du 8 avril 2014, Commission/ANKO, C‑78/14 P‑R, EU:C:2014:239, point 15].

33      En l’espèce, à l’appui de sa demande, la requérante invoque en substance quatre moyens.

 Sur le premier moyen

34      Le premier moyen est tiré d’une violation de l’article 136, paragraphe 1, sous c), paragraphe 2 et paragraphe 4, sous a), du règlement financier ainsi que du principe d’égalité de traitement, tel que garanti par l’article 160, paragraphe 1, du règlement financier. Ce moyen se subdivise en deux branches.

35      Dans le cadre de la première branche, la requérante fait, en substance, valoir que l’un des soumissionnaires devrait nécessairement être exclu de la participation à la procédure d’attribution. Selon elle, il y a une présomption d’accord, ou à tout le moins d’entente tacite, entre ledit soumissionnaire et l’ancien employé de la requérante, engagé par ce soumissionnaire dans le courant du mois de décembre 2019 et dans l’entreprise duquel il occuperait une fonction de direction, sur le fait que le premier apporterait au second ses connaissances relatives au contenu et aux bases de l’offre de la requérante. Selon celle-ci, il n’est pas nécessaire, aux fins de l’exclusion du soumissionnaire concerné, d’avoir un jugement définitif ou une décision administrative définitive à l’encontre de l’ancien employé au sens de l’article 136, paragraphe 1, sous c), du règlement financier. En l’absence de jugement définitif ou de décision administrative définitive, il faudrait se baser sur une qualification juridique préliminaire aux fins de l’exclusion, conformément à l’article 136, paragraphe 2, du règlement financier. De plus, ledit soumissionnaire devrait être exclu également en application de l’article 136, paragraphe 4, sous a), du règlement financier, puisque l’ancien employé de la requérante occuperait chez ledit soumissionnaire une fonction de direction.

36      Dans le cadre de la seconde branche de ce moyen, la requérante soutient que, indépendamment des motifs d’exclusion prévus à l’article 136 du règlement financier, le soumissionnaire en cause devait être exclu de la procédure de passation de marché, parce que l’utilisation présumée des connaissances de l’ancien employé de la requérante, relatives au contenu et aux bases de l’offre de celle-ci constituerait une violation du principe d’égalité de traitement, concrètement du principe d’une concurrence secrète, au sens de la jurisprudence. En outre, elle relève que, selon la jurisprudence, le pouvoir adjudicateur, lorsqu’il dispose d’éléments mettant en doute le caractère autonome et indépendant des offres présentées par certains soumissionnaires, est tenu de vérifier, le cas échéant en exigeant des informations supplémentaires de ces soumissionnaires, si leurs offres sont effectivement autonomes et indépendantes. La Commission aurait ainsi violé le principe d’égalité de traitement garanti par l’article 160 du règlement financier en ce qu’elle n’aurait pas satisfait à son obligation de clarifier le comportement collusif et anticoncurrentiel dudit soumissionnaire et de l’ancien employé de la requérante.

37      La Commission conteste ces arguments. Selon elle, l’article 136, paragraphe 1, du règlement financier prévoit, pour tous les critères d’exclusion pertinents dans le cas d’espèce, qu’ils doivent être établis par un jugement définitif ou une décision administrative définitive. Or, elle relève que, à la suite de la plainte déposée au pénal par la requérante contre son ancien employé pour violation de secrets d’affaires, le parquet compétent a classé l’affaire sans suite le 18 décembre 2020. En outre, la Commission allègue que l’ancien employé de la requérante engagé par l’un des soumissionnaires n’appartient pas à l’une des catégories de personnes visées à l’article 136, paragraphe 4, du règlement financier. De plus, la Commission relève que, à la suite des modifications du calendrier et des conditions pour l’activation des options du marché qui ont eu lieu durant l’été 2020, tous les candidats ont dû adapter substantiellement leur stratégie de prix. Ainsi, il serait très improbable que l’ancien employé de la requérante ait pu détenir, à ce stade, des informations pertinentes sur l’offre de la requérante. Enfin, la Commission allègue que la jurisprudence citée par la requérante relative à la nécessité du secret de la concurrence comme principe fondamental du droit des marchés publics porte sur des faits qui se distinguent très considérablement de ceux de la présente espèce.

38      En ce qui concerne la première branche du premier moyen, il convient de rappeler, tout d’abord, que, aux termes de l’article 136, paragraphe 1, sous c), ii) et v), du règlement financier, « [l]’ordonnateur compétent exclut une personne ou une entité visée à l’article 135, paragraphe 2, de la participation aux procédures d’attribution régies par le présent règlement [s]’il a été établi par un jugement définitif ou une décision administrative définitive que la personne ou l’entité a commis une faute professionnelle grave […], y compris en particulier [,] ii) [la] conclusion d’un accord avec d’autres personnes ou d’autres entités en vue de fausser la concurrence [ou] v) [la] tentative d’obtenir des informations confidentielles susceptibles de lui donner un avantage indu lors de la procédure d’attribution ».

39      En l’espèce, il est constant que, lorsqu’était pendante la procédure de passation du marché en cause, il n’existait aucun jugement définitif ou aucune décision administrative définitive, au sens de l’article 136, paragraphe 1, sous c), du règlement financier, concernant le soumissionnaire ayant engagé l’ancien employé de la requérante.

40      Toutefois, l’article 136, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement financier précise que, « [e]n l’absence de jugement définitif ou, le cas échéant, de décision administrative définitive dans les cas visés au paragraphe 1, [sous] c), [...], l’ordonnateur compétent exclut une personne ou une entité visée à l’article 135, paragraphe 2, sur la base d’une qualification juridique préliminaire de la conduite visée dans [ce point], compte tenu des faits établis ou d’autres constatations figurant dans la recommandation émise par l’instance visée à l’article 143 ».

41      En effet, l’article 135, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement financier, dispose que, « [a]fin de protéger les intérêts financiers de l’Union, la Commission met en place et exploite un système de détection rapide et d’exclusion ». Selon l’article 135, paragraphe 1, second alinéa, du règlement financier, l’objectif de ce système est de faciliter, notamment, « a) la détection rapide des personnes ou entités visées au paragraphe 2, qui constituent un risque pour les intérêts financiers de l’Union » et « b) l’exclusion des personnes ou entités visées au paragraphe 2, qui se trouvent dans l’une des situations d’exclusion visées à l’article 136, paragraphe 1 ».

42      Quant à la saisine de l’instance visée à l’article 143 du règlement financier, il ressort du paragraphe 2, sous b) et c), de l’article 142 de ce règlement, que « [l]e système de détection rapide et d’exclusion se fonde sur les faits et constatations visés à l’article 136, paragraphe 2, quatrième alinéa, ainsi que sur la transmission d’informations à la Commission par, en particulier [, notamment,] un ordonnateur de la Commission, d’un office européen mis sur pied par la Commission ou d’une agence exécutive [ou par] une institution de l’Union, un office européen ou une agence ».

43      En l’espèce, la requérante a informé la Commission, par sa lettre du 23 décembre 2020, « qu’il y avait des indications » selon lesquelles son ancien employé aurait illégalement obtenu des informations sensibles de la requérante, susceptibles d’apporter au soumissionnaire en cause des avantages indus lors de la procédure d’attribution.

44      Par conséquent, comme le souligne la Commission, cette lettre ne lui ayant fourni que des allégations non étayées, les informations transmises par la requérante ne suffisaient pas à établir que le comportement du soumissionnaire en cause était susceptible de constituer un risque pour les intérêts financiers de l’Union ni à exclure ce soumissionnaire de la procédure d’attribution, sur la base d’une qualification juridique préliminaire de sa conduite.

45      Par conséquent, il apparaît, à première vue, que, dans les circonstances propres de la présente affaire, la Commission n’était pas tenue de saisir l’instance visée à l’article 143 du règlement financier, de sorte qu’aucune violation de l’article 136, paragraphe 2, premier alinéa, de ce règlement ne peut lui être reprochée.

46      Enfin, en vertu de l’article 136, paragraphe 4, sous a), du règlement financier, l’ordonnateur compétent exclut une personne ou une entité visée à l’article 135, paragraphe 2, dans le cas où « une personne physique ou morale qui est membre de l’organe d’administration, de direction ou de surveillance de la personne ou de l’entité visée à l’article 135, paragraphe 2, ou qui possède des pouvoirs de représentation, de décision ou de contrôle à l’égard de ladite personne ou entité, se trouve dans une ou plusieurs des situations visées au paragraphe 1, [sous] c) à h), » dudit article 136.

47      À cet égard, il convient de relever que, à supposer même que l’ancien employé de la requérante puisse être considéré comme un membre de l’organe de direction du soumissionnaire en cause, cet employé ne se trouve pas dans une des situations visées à l’article 136, paragraphe 1, sous c) à h), du règlement financier, en particulier dans la situation visée au paragraphe 1, sous c), v), de cet article, dans la mesure où il n’a pas été établi par un jugement définitif ou par une décision administrative définitive qu’il aurait illégalement obtenu des informations sensibles de la requérante susceptibles d’apporter audit soumissionnaire des avantages indus lors de la procédure d’attribution.

48      S’agissant de la seconde branche du premier moyen, tirée d’une violation du principe d’égalité de traitement, en particulier du principe d’une concurrence secrète, il importe de relever, à titre liminaire, que le principe d’égalité de traitement entre les soumissionnaires, qui a pour objectif de favoriser le développement d’une concurrence saine et effective entre les entreprises participant à une procédure de marché public, impose que tous les soumissionnaires disposent des mêmes chances dans la formulation des termes de leurs offres et implique donc que celles-ci soient soumises aux mêmes conditions pour tous les compétiteurs (voir arrêt du 9 septembre 2009, Brink’s Security Luxembourg/Commission, T‑437/05, EU:T:2009:318, point 114 et jurisprudence citée).

49      Le principe d’égalité de traitement signifie que les soumissionnaires doivent se trouver sur un pied d’égalité aussi bien au moment où ils préparent leurs offres qu’au moment où celles-ci sont évaluées par le pouvoir adjudicateur (arrêt du 17 février 2011, Commission/Chypre, C‑251/09, non publié, EU:C:2011:84, point 39).

50      À cet effet, la Commission est notamment tenue de veiller, à chaque phase de la procédure, au respect de l’égalité de traitement et, par voie de conséquence, à l’égalité des chances de tous les soumissionnaires (arrêt du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, C‑496/99 P, EU:C:2004:236, point 108 ; voir, également, arrêt du 11 juin 2014, Communicaid Group/Commission, T‑4/13, non publié, EU:T:2014:437, point 51 et jurisprudence citée).

51      Or, si une personne peut, sans en avoir même l’intention, alors qu’elle est elle-même soumissionnaire pour le marché public en cause, influencer les conditions de celui-ci dans un sens qui lui est favorable, cette personne peut se trouver dans une situation susceptible d’aboutir à un conflit d’intérêts. Une telle situation est de nature à fausser la concurrence entre les soumissionnaires et se caractérise par la rupture de l’égalité entre les soumissionnaires (voir arrêt du 28 février 2018, Vakakis kai Synergates/Commission, T‑292/15, EU:T:2018:103, point 97 et jurisprudence citée).

52      Il appartient au pouvoir adjudicateur d’apprécier et de vérifier l’existence d’un risque réel de survenance de pratiques susceptibles de menacer la transparence et de fausser la concurrence entre les soumissionnaires et de laisser au soumissionnaire risquant d’être exclu de la procédure la possibilité de démontrer que, dans son cas, il n’existe pas de risque réel de survenance d’un tel conflit d’intérêts (voir arrêt du 28 février 2018, Vakakis kai Synergates/Commission, T‑292/15, EU:T:2018:103, point 100 et jurisprudence citée).

53      Dès lors que le pouvoir adjudicateur doit traiter les opérateurs économiques sur un pied d’égalité de manière non discriminatoire et agir avec transparence, il lui est dévolu un rôle actif dans l’application et le respect desdits principes. En particulier, le pouvoir adjudicateur est, en toute hypothèse, tenu de vérifier l’existence d’éventuels conflits d’intérêts et de prendre les mesures appropriées afin de les prévenir, de les détecter et d’y remédier (voir arrêt du 28 février 2018, Vakakis kai Synergates/Commission, T‑292/15, EU:T:2018:103, point 102 et jurisprudence citée), y compris, le cas échéant, en demandant aux parties de fournir certaines informations et éléments de preuve (voir arrêt du 17 mai 2018, Specializuotas transportas, C‑531/16, EU:C:2018:324, point 33 et jurisprudence citée).

54      En effet, lorsqu’une administration est appelée à mener une enquête, il lui incombe de mener celle-ci avec tous les soins possibles en vue de dissiper les doutes qui existent et de clarifier la situation (voir arrêt du 28 février 2018, Vakakis kai Synergates/Commission, T‑292/15, EU:T:2018:103, point 107 et jurisprudence citée).

55      C’est à la lumière de l’ensemble de ces éléments qu’il convient d’apprécier l’allégation de violation du principe d’égalité de traitement garanti par l’article 160 du règlement financier.

56      S’agissant de l’argument par lequel la requérante soutient que la Commission n’aurait pas satisfait à son obligation de clarifier le comportement collusif et anticoncurrentiel du soumissionnaire en cause et de l’ancien employé de la requérante, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence mentionnée aux points 50 et 54 ci-dessus, il incombait en l’espèce au pouvoir adjudicateur, en vertu de l’obligation de diligence qui pesait sur lui, d’examiner avec soin, prudence et impartialité tous les éléments pertinents afin de confirmer ou, au contraire, d’écarter le risque de rupture de l’égalité entre les soumissionnaires.

57      À cet égard, il ressort du dossier, comme mentionné au point 9 ci‑dessus, que, à la suite des allégations figurant dans la lettre de la requérante du 23 décembre 2020, la Commission a estimé, dans sa lettre du 20 janvier 2021, après avoir apprécié les faits invoqués par la requérante relativement au comportement de son ancien employé et d’un soumissionnaire, qu’il n’y avait pas de motif suffisant pour justifier la suspension de la procédure de passation du marché. En ce qui concerne la demande d’enquête présentée par la requérante, la Commission a considéré notamment qu’elle s’appuierait sur le résultat de la procédure juridictionnelle nationale en cours et qu’elle prendrait ultérieurement, le cas échéant, des mesures complémentaires.

58      Il ressort toutefois des écritures de la Commission que l’ESA a, par lettre du 29 janvier 2021, à savoir le jour de l’introduction du recours contre les décisions attaquées, envoyé une demande de renseignements au soumissionnaire concerné. Dans sa réponse du 1er février 2021, ce dernier a reconnu que, dans le cadre de la préparation de sa meilleure offre définitive pour la procédure d’attribution en cause et bien que l’ancien employé de la requérante ne fît pas partie de l’équipe responsable pour la préparation de cette offre et la stratégie de prix dans cette procédure, cet employé avait été chargé de veiller à ce que l’unité « Équipement du vaisseau spatial » (Spacecraft Equipment) dudit soumissionnaire, dont il était responsable, offre la meilleure contribution possible à l’ensemble du programme. Ce soumissionnaire a également reconnu que la contribution de cette unité à l’ensemble du programme avait représenté environ 20 % de celui-ci.

59      Ainsi, il apparaît que, lorsque la requérante a, sur la base des allégations figurant dans sa lettre du 23 décembre 2020, invité la Commission à mener une enquête permettant d’établir avec certitude si son ancien employé avait illégalement partagé avec le soumissionnaire concerné des informations confidentielles provenant de la requérante et susceptibles d’apporter à ce soumissionnaire un avantage indu dans le cadre de la procédure d’attribution, la Commission s’est limitée à considérer, dans un premier temps, qu’elle s’appuierait sur le résultat de la procédure juridictionnelle nationale en cours et s’est abstenue d’enquêter ex officio sur l’existence d’une éventuelle irrégularité.

60      Toutefois, dans un second temps, l’ESA a pris l’initiative d’adresser une demande de renseignements audit soumissionnaire le 29 janvier 2021, demande à laquelle le soumissionnaire concerné a apporté une réponse succincte et vague. Il ne saurait être exclu que cette mesure de vérification tardive et incomplète ait été insuffisante pour apprécier l’étendue de la participation de l’ancien employé de la requérante à la préparation de la procédure d’attribution dans le cadre de ses nouvelles fonctions au service dudit soumissionnaire et, partant, pour satisfaire à l’exigence de diligence qui s’impose au pouvoir adjudicateur concernant le respect du principe d’égalité de traitement.

61      Il résulte de ce qui précède que, sans préjuger de la décision du Tribunal sur le recours au principal, il y a lieu de conclure que la seconde branche du premier moyen invoqué par la requérante apparaît, à première vue, non dépourvue de fondement sérieux. Elle mérite donc un examen approfondi qui ne saurait être effectué par le juge des référés, mais doit l’être dans le cadre de la procédure au fond.

 Sur le deuxième moyen

62      Le deuxième moyen est tiré d’une violation des dispositions relatives aux offres anormalement basses figurant aux points 23.1 et 23.2 de l’annexe I du règlement financier, la requérante alléguant que le prix proposé dans l’offre soumise par l’un des soumissionnaires était considérablement inférieur à celui des autres offres soumises.

63      La Commission répond qu’un examen approfondi de la question de savoir si une offre est anormalement basse n’est prévu par le droit de l’Union que si les prix proposés sont inférieurs aux prix du marché. La différence de prix ne serait cependant pas, en soi, un facteur déterminant. Le facteur clé pour déterminer si une offre apparaît comme anormalement basse serait lié à la question de savoir si le prix proposé par un soumissionnaire lui permet d’exécuter le marché conformément au cahier des charges. Le comité d’évaluation n’ayant décelé aucun indice de nature à susciter, à première vue, des doutes sérieux quant à l’existence d’une offre anormalement basse, il n’aurait pas été nécessaire, en application des dispositions pertinentes du règlement financier, d’effectuer une analyse plus approfondie. Enfin, la Commission allègue que, mis à part les écarts de prix, qui ne sont pas inhabituels dans ce segment de marché spécifique, la requérante ne produit aucun élément de preuve objectif qui attesterait que le prix du soumissionnaire en cause est anormalement bas.

64      S’agissant de l’interprétation des dispositions relatives aux offres anormalement basses figurant aux points 23.1 et 23.2 de l’annexe I du règlement financier, il y a lieu de rappeler qu’un pouvoir adjudicateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation quant aux éléments à prendre en considération en vue de prendre la décision de passer un marché sur appel d’offres. Par ailleurs, il est inhérent au système de passation de marchés sur la base de l’offre économiquement la plus avantageuse que les soumissionnaires s’efforcent de proposer les prix les plus compétitifs possibles, à condition qu’ils ne soient pas anormalement bas. Ainsi, précisément, un des objectifs du système de passation de marchés publics est d’obtenir les meilleures conditions aux meilleurs prix possibles (arrêt du 26 mars 2019, Clestra Hauserman/Parlement, T‑725/17, non publié, EU:T:2019:190, points 58 et 59). Ce n’est, partant, que lorsque la Commission est face à une anomalie que sont mis en œuvre les mécanismes prévus par le règlement financier à l’égard des offres anormalement basses (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 15 septembre 2016, European Dynamics Luxembourg et Evropaïki Dynamiki/Commission, T‑698/14, non publié, EU:T:2016:476, point 66).

65      Aux termes du point 23.1 de l’annexe I du règlement financier, si, pour un marché donné, le prix ou les coûts proposés dans l’offre apparaissent anormalement bas, le pouvoir adjudicateur demande, par écrit, les précisions qu’il juge opportunes sur la composition du prix ou des coûts et donne au soumissionnaire la possibilité de présenter ses observations.

66      Il ressort de ce qui précède que l’appréciation, par le pouvoir adjudicateur, de l’existence d’offres anormalement basses s’opère en deux temps (voir, par analogie, arrêt du 4 juillet 2017, European Dynamics Luxembourg e.a./Agence de l’Union européenne pour les chemins de fer, T‑392/15, EU:T:2017:462, point 87).

67      Dans un premier temps, le pouvoir adjudicateur doit apprécier si les offres soumises « apparaissent » anormalement basses (voir point 23.1 de l’annexe I du règlement financier). L’usage du verbe « apparaître » dans le règlement financier implique que le pouvoir adjudicateur procède à une appréciation prima facie du caractère anormalement bas d’une offre. Le règlement financier n’impose dès lors pas au pouvoir adjudicateur de procéder d’office à une analyse détaillée de la composition de chaque offre afin d’établir qu’elle ne constitue pas une offre anormalement basse. Ainsi, dans un premier temps, le pouvoir adjudicateur doit uniquement déterminer si les offres soumises contiennent un indice de nature à éveiller le soupçon qu’elles pourraient être anormalement basses. Tel est notamment le cas lorsque le prix proposé dans une offre soumise est considérablement inférieur à celui des autres offres soumises ou au prix habituel du marché. Si les offres soumises ne contiennent pas un tel indice et n’apparaissent donc pas anormalement basses, le pouvoir adjudicateur peut continuer l’évaluation de cette offre et la procédure d’attribution du marché (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 4 juillet 2017, European Dynamics Luxembourg e.a./Agence de l’Union européenne pour les chemins de fer, T‑392/15, EU:T:2017:462, point 88).

68      Dans ce cadre, l’examen des prix proposés par les soumissionnaires afin de déterminer s’ils sont constitutifs d’une offre anormalement basse doit donc être effectué lorsque, au préalable, des doutes quant à la fiabilité de l’offre apparaissent à cet égard. En revanche, un tel examen spécifique n’est pas requis si de tels doutes ne ressortent pas d’un premier examen préalable des offres (voir, par analogie, arrêt du 15 septembre 2016, European Dynamics Luxembourg et Evropaïki Dynamiki/Commission, T‑698/14, non publié, EU:T:2016:476, point 62).

69      En revanche, s’il existe des indices de nature à éveiller le soupçon qu’une offre pourrait être anormalement basse, le pouvoir adjudicateur doit procéder, dans un second temps, à la vérification de la composition de l’offre afin de s’assurer que celle-ci n’est pas anormalement basse (voir, par analogie, arrêt du 4 juillet 2017, European Dynamics Luxembourg e.a./Agence de l’Union européenne pour les chemins de fer, T‑392/15, EU:T:2017:462, point 89).

70      En l’espèce, il ressort du dossier dont dispose le Tribunal que le comité d’évaluation a effectué une analyse prima facie des éléments du prix de l’offre du soumissionnaire concerné et a constaté que le prix indiqué par ce dernier correspondait au cahier des charges. Sur la base de toutes les informations dont il disposait, le comité d’évaluation n’a décelé aucun indice de nature à susciter, à première vue, des doutes sérieux quant à l’existence d’une offre anormalement basse.

71      En ce qui concerne spécifiquement l’allégation de la requérante selon laquelle le prix proposé dans l’offre dudit soumissionnaire est considérablement inférieur à celui des autres offres soumises, le comité d’évaluation a considéré que la différence de prix en cause pourrait s’expliquer par divers facteurs, tels que les différents degrés de maturité des projets.

72      Il découle de ce qui précède que le comité d’évaluation a procédé à une appréciation prima facie du caractère anormalement bas de l’offre du soumissionnaire concerné et que, dans le cadre de son examen préliminaire, il n’a décelé aucun indice de nature à susciter, à première vue, des doutes sérieux quant au caractère anormalement bas de cette offre.

73      Dans la présente procédure en référé, la requérante se limite à se prévaloir de l’écart, présenté comme important, entre les prix des offres soumises, sans identifier d’autres éléments que le comité d’évaluation aurait dû examiner ou qui indiqueraient que celui-ci ne se serait pas acquitté correctement de sa tâche.

74      Il résulte de ce qui précède que le deuxième moyen est, à première vue, dépourvu de fondement sérieux.

 Sur le troisième moyen

75      Par son troisième moyen, tiré d’une violation des principes de transparence, de proportionnalité, d’égalité de traitement et de non‑discrimination en matière de marchés publics, prévus à l’article 160, paragraphe 1, du règlement financier, la requérante soutient que la Commission s’est appuyée, dans l’évaluation des critères 1 à 5 de son offre, sur des prémisses factuelles erronées ainsi que sur des considérations erronées et arbitraires relativement à de prétendus points faibles dans son offre.

76      La Commission fait valoir, d’une part, que les principes d’égalité, de transparence et de non‑discrimination en matière de marchés publics ont été strictement respectés lors de l’évaluation des offres et, d’autre part, que la requérante n’a pas établi l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation dans cette évaluation qui justifierait d’annuler l’attribution du marché.

77      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le pouvoir adjudicateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation tout au long de la procédure de passation du marché, y compris en ce qui concerne le choix et l’évaluation des critères de sélection (voir, en ce sens, arrêt du 10 février 2021, Sophia Group/Parlement, T‑578/19, non publié, EU:T:2021:77, point 58 et jurisprudence citée). En particulier, afin d’établir que, dans l’appréciation des faits, le pouvoir adjudicateur a commis une erreur à ce point manifeste qu’elle est de nature à justifier l’annulation de la décision de rejet d’une offre, les éléments de preuve apportés par la partie requérante doivent être suffisants pour priver de plausibilité les appréciations retenues dans la décision en cause. En d’autres termes, le moyen tiré de l’erreur manifeste doit être rejeté si, en dépit des éléments avancés par la partie requérante, l’appréciation mise en cause peut être admise comme vraie ou valable (voir arrêt du 7 juin 2017, Blaž Jamnik et Blaž/Parlement, T‑726/15, EU:T:2017:376, point 38 et jurisprudence citée).

78      En l’espèce, pour remettre en cause l’appréciation du comité d’évaluation, communiquée par l’ESA dans sa lettre du 22 janvier 2021, la requérante se limite à contester plusieurs des points faibles identifiés dans son offre par ce comité en ce qui concerne l’expérience des personnes impliquées dans le projet ou certains aspects techniques. Quand bien même ces arguments de nature factuelle seraient exacts, ce que le juge des référés ne saurait déterminer dans le cadre de la présente procédure, la requérante reste en défaut d’établir la mesure dans laquelle les erreurs alléguées seraient d’une ampleur et d’une importance telles qu’elles priveraient de plausibilité l’appréciation du comité d’évaluation. En effet, il ne saurait être exigé du juge de l’Union, notamment lorsqu’il statue dans le cadre d’une procédure d’urgence, de substituer son analyse des offres à celle effectuée par ledit comité.

79      Il résulte de ce qui précède que le troisième moyen est, à première vue, dépourvu de fondement sérieux.

 Sur le quatrième moyen

80      Par son quatrième moyen, tiré d’une violation de l’article 12, paragraphe 1, du règlement (UE) no 1285/2013, la requérante allègue que la Commission a manqué à son obligation de procéder à son propre examen des offres et d’adopter une décision de sélection autonome en vue de l’attribution du marché, dans la mesure où la convention de délégation conclue avec l’ESA en application de l’article 15 de ce règlement ne permet pas de transférer la compétence de la Commission quant à la décision finale à cet égard à une commission d’évaluation des offres, qui n’a qu’une fonction purement préparatoire.

81      La Commission conteste cette argumentation, en soutenant que les offres ont été évaluées par un comité d’évaluation composé de collaborateurs expérimentés de l’ESA, de l’Agence du système global de navigation par satellite européen et de la Commission. Ledit comité aurait désigné en outre, vu la complexité de la tâche, un groupe d’environ 70 experts, dont des représentants de la Commission, en vue de le conseiller, selon leurs compétences, sur des aspects précis de l’appel d’offres. La Commission aurait donc été étroitement impliquée dès ce stade, purement préparatoire, de la procédure. La Commission ajoute que, bien que le résultat de l’évaluation des offres ne soit pas l’attribution du marché elle‑même, mais seulement une proposition faite à l’ordonnateur de prendre une décision d’attribution, ce dernier n’est tenu, ni en vertu des règles générales de l’Union sur les marchés publics ni en vertu de la convention de délégation conclue avec l’ESA, de procéder à un examen propre des offres, contrairement à ce que suggèrerait la requérante. Selon la Commission, un tel examen constituerait une duplication inutile du travail du comité d’évaluation et la tâche serait disproportionnée et difficile à organiser en pratique. Avant l’attribution du marché en cause, la Commission aurait néanmoins examiné en détail, outre le rapport d’évaluation, l’intégralité du dossier présenté par l’ESA. Enfin, la Commission fait valoir que la requérante ne fournit aucun élément de preuve étayant son point de vue selon lequel le rapport d’évaluation n’a pas fait l’objet d’un examen suffisant.

82      À cet égard, il suffit de constater que l’allégation de la requérante selon laquelle la Commission aurait omis de procéder à son propre examen de l’offre et du rapport d’évaluation du comité d’évaluation n’est étayée par aucun élément de preuve. Elle se limite à renvoyer à la lettre du 19 janvier 2021 par laquelle l’ESA l’a informée, au nom et pour le compte de la Commission, que son offre n’avait pas été retenue. Le fait que l’ESA y ait ajouté un extrait de l’appréciation préparatoire du comité d’évaluation ne démontre aucunement, à première vue, que la Commission aurait omis de procéder à son propre examen des offres et du rapport d’évaluation du comité d’évaluation.

83      Il résulte de ce qui précède que le quatrième moyen est, à première vue, dépourvu de fondement sérieux.

84      Il y a donc lieu d’admettre l’existence d’un fumus boni juris, dans la mesure où la seconde branche du premier moyen apparaît, à première vue, non dépourvue de fondement sérieux.

 Sur l’urgence

85      S’agissant de l’appréciation du caractère urgent des mesures provisoires demandées, il convient de rappeler que la finalité de la procédure de référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par le juge de l’Union (ordonnance du 14 janvier 2016, AGC Glass Europe e.a./Commission, C‑517/15 P‑R, EU:C:2016:21, point 27).

86      Pour atteindre cet objectif, l’urgence doit, de manière générale, s’apprécier au regard de la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours au fond sans subir un préjudice grave et irréparable (voir ordonnance du 14 janvier 2016, AGC Glass Europe e.a./Commission, C‑517/15 P‑R, EU:C:2016:21, point 27 et jurisprudence citée).

87      S’agissant, toutefois, du contentieux relatif à la passation des marchés publics, il convient de tenir compte des particularités de ce contentieux aux fins de l’appréciation de l’urgence.

88      En effet, il ressort de la jurisprudence que, compte tenu des impératifs découlant de la protection effective qui doit être garantie en matière de marchés publics, lorsque le soumissionnaire évincé parvient à démontrer l’existence d’un fumus boni juris particulièrement sérieux, il ne saurait être exigé de sa part qu’il établisse que le rejet de sa demande en référé risquerait de lui causer un préjudice irréparable, sous peine qu’il soit porté une atteinte excessive et injustifiée à la protection juridictionnelle effective dont il bénéficie au titre de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne [ordonnance du 23 avril 2015, Commission/Vanbreda Risk & Benefits, C‑35/15 P(R), EU:C:2015:275, point 41].

89      Toutefois, cet assouplissement des conditions applicables pour apprécier l’existence de l’urgence, justifié par le droit à un recours juridictionnel effectif, ne s’applique que pendant la phase précontractuelle, pour autant que le délai d’attente résultant de l’article 175 du règlement financier soit respecté. Dès lors que le contrat a été conclu avec l’attributaire après l’écoulement de ce délai et avant l’introduction de la demande en référé, l’assouplissement susmentionné ne se justifie plus [voir, en ce sens, ordonnance du 23 avril 2015, Commission/Vanbreda Risk & Benefits, C‑35/15 P(R), EU:C:2015:275, points 38 et 42].

90      Par ailleurs, cet assouplissement ne dispense aucunement la partie requérante d’établir la gravité du préjudice qui serait causé par le rejet de sa demande en référé [voir, en ce sens, ordonnance du 22 mars 2018, Wall Street Systems UK/BCE, C‑576/17 P(R), non publiée, EU:C:2018:208, point 26].

91      En effet, il y a lieu de rappeler que l’assouplissement des conditions applicables pour apprécier l’existence de l’urgence en matière de marchés publics résulte du fait que l’exigence de démonstration de la survenance d’un préjudice irréparable rend pratiquement impossible pour un soumissionnaire évincé d’obtenir un sursis à l’exécution d’une décision d’attribution d’un marché, au motif que le préjudice qu’il est susceptible de subir, étant d’ordre financier, n’est pas irréparable [voir, en ce sens, ordonnance du 23 avril 2015, Commission/Vanbreda Risk & Benefits, C‑35/15 P(R), EU:C:2015:275, point 30]. Il a donc été jugé nécessaire, afin de respecter les impératifs découlant de la protection provisoire effective qui doit être garantie en matière de marchés publics, de permettre au soumissionnaire évincé d’établir l’urgence autrement que par la démonstration, en toutes circonstances, d’un risque imminent de survenance d’un préjudice irréparable. Dans un tel cas, et pour autant qu’il existe un fumus boni juris suffisamment sérieux, la seule preuve de la gravité du préjudice qui serait causé par l’absence de sursis à l’exécution de la décision attaquée peut être considérée comme suffisante pour remplir la condition relative à l’urgence (voir ordonnance du 21 avril 2017, Post Telecom/BEI, T‑158/17 R, non publiée, EU:T:2017:281, point 21 et jurisprudence citée).

92      Par ailleurs, il convient de souligner que la perte d’une chance de se voir attribuer et d’exécuter un marché public est inhérente au rejet d’une offre soumise dans le cadre d’une procédure d’attribution et ne saurait être regardée comme constitutive, en soi, d’un préjudice grave, indépendamment d’une appréciation concrète de la gravité de l’atteinte spécifique alléguée dans chaque cas d’espèce. En conséquence, c’est à la condition que la partie requérante ait démontré à suffisance de droit qu’elle aurait pu retirer des bénéfices suffisamment significatifs de l’attribution et de l’exécution du marché dans le cadre de la procédure d’appel d’offres que le fait, pour elle, d’avoir perdu une chance de se voir attribuer et d’exécuter ledit marché constituerait un préjudice grave (voir ordonnance du 21 avril 2017, Post Telecom/BEI, T‑158/17 R, non publiée, EU:T:2017:281, point 22 et jurisprudence citée).

93      En l’espèce, les décisions attaquées ont été communiquées à la requérante les 19 et le 22 janvier 2021 et la demande en référé a été introduite le 29 janvier 2021, de sorte que la requérante a introduit sa demande en référé avant l’écoulement du délai d’attente prévu à l’article 175, paragraphe 3, du règlement financier et au point 35.1 de l’annexe I de ce règlement, c’est‑à‑dire pendant la phase précontractuelle.

94      Par conséquent, il convient de conclure que la première condition de l’assouplissement des exigences relatives à l’urgence en matière de marchés publics est remplie en l’espèce.

95      Partant, il convient d’examiner si la requérante a établi à suffisance de droit que l’exécution des décisions attaquées engendrerait pour elle un préjudice grave.

96      À cet égard, la requérante soutient, en premier lieu, que l’exécution des décisions attaquées la priverait d’une chance réelle de réaliser un chiffre d’affaires d’environ 819 millions d’euros, engendrant un manque à gagner de 21 925 876 euros. En deuxième lieu, la requérante allègue qu’elle subirait un préjudice d’environ 7,2 millions d’euros en raison d’indemnités à verser à la moitié de ses collaborateurs, qui devraient être licenciés. En troisième lieu, la requérante fait valoir que ses parts de marché sur le marché des satellites de navigation seraient gravement et irréversiblement affectées par l’exécution de la décision d’attribution du marché en cause. En effet, alors que la part de marché de la requérante dans les satellites Galileo de première génération, et donc dans l’ensemble du marché accessible des satellites de navigation de ces dix dernières années, est actuellement de 100 %, en cas d’exécution des décisions attaquées, cette part de marché serait réduite à néant au moins pour les dix prochaines années. En quatrième lieu, la requérante allègue que les décisions attaquées ont également un impact négatif sur sa réputation, dans la mesure où elle risque de perdre une compétence en matière de satellites de navigation. La requérante étant actuellement le principal attributaire du marché de la première génération de satellites Galileo, elle risquerait de subir un net désavantage dans le cadre de la fourniture d’autres satellites Galileo de seconde génération, étant donné que les autres soumissionnaires ne devront plus supporter les coûts uniques de développement, de tests et de production. De ce fait, la soumission par la requérante d’une offre serait probablement vaine du point de vue économique.

97      La Commission considère que la requérante n’a pas démontré que la condition relative à l’urgence est remplie en l’espèce. La Commission allègue, tout d’abord, que les considérations de la requérante relatives à son préjudice financier sont en contradiction avec les propos tenus par le président de son conseil d’administration dans une interview datée du 21 janvier 2021, selon lesquels le programme Galileo ne représente qu’environ 10 % du chiffre d’affaires annuel de la requérante, qui est d’un milliard d’euros. Ensuite, la Commission soutient que l’argument de la requérante selon lequel il serait difficile pour un fabricant de satellites de remplacer un fabricant existant est inexact. Selon elle, des écarts de prix assez importants entre les différentes offres ne sont pas inhabituels dans ce segment spécifique, la requérante en étant elle‑même un contre‑exemple convaincant dans le cadre du programme Galileo, pour lequel elle a présenté en 2009, pour la fabrication de satellites Galileo de la première génération, une offre nettement plus basse que celle de son concurrent.

98      S’agissant de la gravité du préjudice financier invoqué, il y a lieu de relever qu’il a été jugé qu’un préjudice financier objectivement considérable ou même non négligeable peut être considéré comme grave, sans qu’il soit nécessaire de le rapporter systématiquement au chiffre d’affaires de l’entreprise qui craint de le subir [voir, en ce sens, ordonnance du 7 mars 2013, EDF/Commission, C‑551/12 P(R), EU:C:2013:157, points 32 et 33].

99      Dans les circonstances de l’espèce, eu égard aux chiffres avancés par la requérante, il est patent que la valeur du marché litigieux est considérable tant pour ce qui concerne le secteur en cause que pour ce qui concerne le pouvoir adjudicateur et la requérante.

100    En outre, sans qu’il soit nécessaire de rapporter le préjudice invoqué par la requérante à son chiffre d’affaires, il ne saurait être affirmé qu’un préjudice d’une envergure telle que celle du préjudice invoqué par la requérante, résultant d’un manque à gagner de 21 925 876 euros et d’indemnités pour un montant de 7,2 millions d’euros à verser aux collaborateurs qui devraient être licenciés, ne soit pas objectivement considérable.

101    Dès lors qu’au moins ce préjudice invoqué par la requérante peut être considéré comme étant grave, il y a lieu de conclure que la condition relative à l’urgence est remplie en l’espèce.

 Sur la mise en balance des intérêts

102    Selon la jurisprudence, les risques liés à chacune des solutions possibles doivent être mis en balance dans le cadre de la procédure de référé. Concrètement, cela implique notamment d’examiner si l’intérêt de la partie qui sollicite les mesures provisoires à obtenir le sursis à l’exécution de l’acte attaqué prévaut ou non sur l’intérêt que présente l’application immédiate de celui-ci. Lors de cet examen, il convient de déterminer si l’annulation éventuelle de cet acte par le juge du fond permettrait le renversement de la situation qui serait provoquée par son exécution immédiate et, inversement, dans quelle mesure le sursis serait de nature à faire obstacle aux objectifs poursuivis par l’acte attaqué au cas où le recours principal serait rejeté [voir ordonnance du 1er mars 2017, EMA/MSD Animal Health Innovation et Intervet international, C‑512/16 P(R), non publiée, EU:C:2017:149, point 127 et jurisprudence citée].

103    En l’espèce, s’agissant de l’intérêt de la requérante, celle-ci soutient tout d’abord que la perte définitive de la chance d’obtenir le marché en cause en raison de son attribution imminente et de l’exécution du contrat qui s’ensuivrait l’emporte sur l’intérêt de la Commission à attribuer ce marché avant la clôture de la procédure juridictionnelle. En effet, selon la requérante, si l’attribution du marché n’était pas suspendue, l’annulation rétroactive d’une décision d’attribution n’apporterait plus aucun avantage au soumissionnaire évincé, de sorte que la perte de chance de l’obtenir serait irrémédiable. Dans un tel cas, ce soumissionnaire n’aurait droit qu’à une indemnité au titre de la perte d’une chance, dès lors que la décision de rejet de son offre, même en cas d’annulation avec effet rétroactif de celle-ci, aurait, en pratique, définitivement anéanti la possibilité pour lui de se voir attribuer le marché concerné.

104    Ensuite, la requérante fait valoir que, si elle n’obtient pas le marché en cause, elle subira un manque à gagner d’environ 22 millions d’euros, elle aura d’importants problèmes de capacité et devra se séparer d’un grand nombre de collaborateurs en leur versant des indemnités d’un montant total de l’ordre de 7,2 millions d’euros.

105    Enfin, elle affirme qu’il existe un intérêt général à mettre fin sans retard à une violation du droit de l’Union en raison de son caractère manifeste et grave.

106    En ce qui concerne l’intérêt de la Commission, celle‑ci avance qu’il convient de prendre en considération dans la mise en balance non seulement les intérêts des parties à la procédure en référé, mais aussi tous les intérêts qui seraient affectés par les mesures provisoires sollicitées. En effet, il faudrait tenir compte du fait qu’une suspension de la procédure de passation de marché litigieuse aurait des conséquences techniques et financières considérables pour le programme spatial de l’Union.

107    Tout d’abord, selon la Commission, il n’existe aucune marge quant aux délais de livraison prévus et tout retard dans la signature des contrats, et, partant, pour le début du développement des satellites de seconde génération, aurait des répercussions sur le délai envisageable pour le lancement des satellites.

108    Ensuite, les conséquences financières d’un retard dans la signature des contrats pour les candidats retenus et/ou pour la Commission seraient estimées à un montant approximatif de 3 à 5 millions d’euros par mois et par contrat non signé. En outre, dans l’hypothèse où les satellites achetés dans le cadre de la procédure litigieuse ne pourraient être mis à disposition en temps utile, la Commission serait contrainte d’acquérir au moins deux nouveaux satellites de première génération auprès de la requérante, ce qui représenterait un volume de transaction estimé à 100 millions d’euros. Il en découlerait une utilisation inefficace de fonds de l’Union et des retards dans l’évolution du système qui porteraient atteinte à la compétitivité de l’Union. De plus, si la requérante obtenait gain de cause, la Commission fait valoir qu’elle devrait débourser une somme supplémentaire de 115 millions d’euros pour l’acquisition des satellites de seconde génération, correspondant à la différence entre l’offre du dernier candidat retenu et celle de la requérante.

109    Enfin, la Commission allègue que le retard d’un projet aussi important porterait gravement atteinte à la réputation de l’Union en tant que pouvoir adjudicateur.

110    Ainsi, selon la Commission, il est manifeste que les risques techniques, financiers et politiques pour le programme Galileo et le risque en matière de réputation de l’Union pèsent davantage que l’intérêt de la requérante à éviter un préjudice d’ordre purement financier. Si les pertes de bénéfices attendues par la requérante s’élèveraient à environ 22 millions d’euros, l’Union aurait investi, pendant la seule période allant de 2014 à 2020, plus de 7 milliards d’euros dans les programmes européens de navigation par satellite et la valeur globale des satellites sur lesquels porte la procédure de passation de marché litigeuse représenterait environ 1,47 milliard d’euros.

111    En premier lieu, s’agissant du risque lié à la perte définitive de la chance d’obtenir le marché en cause, il importe de signaler que, dans l’hypothèse où la requérante obtiendrait gain de cause dans la procédure au fond, le préjudice lié à la perte de cette chance pourrait être évalué, ce qui permettrait de réparer intégralement le dommage individuel effectivement subi à ce titre.

112    En revanche, dans l’hypothèse où les mesures provisoires demandées par la requérante seraient ordonnées, la Commission serait dans l’impossibilité de conclure un contrat avec l’un des adjudicataires, ce qui aurait des conséquences techniques et financières considérables pour le programme spatial de l’Union. La conclusion rapide de ce contrat relève donc d’un intérêt général important.

113    En deuxième lieu, quant à l’intérêt financier de la requérante, force est de constater, à l’instar de la Commission, que, si la perte de bénéfices attendue par la requérante et les indemnités à verser à ses collaborateurs s’élèveraient à environ 30 millions d’euros, ce montant doit être mis en rapport avec la valeur des programmes européens de navigation par satellite, qui est considérable, puisque l’Union a investi, pendant la seule période allant de 2014 à 2020, plus de 7 milliards d’euros dans ceux‑ci et que la valeur globale des satellites sur lesquels porte la procédure de passation de marché litigeuse représente environ 1,47 milliard d’euros.

114    En troisième lieu, s’agissant de l’intérêt général qui consiste en la nécessité de mettre fin immédiatement à une violation du droit de l’Union en raison de son caractère suffisamment manifeste et grave, dans la mesure où il est constant que les conditions requises pour l’octroi d’une mesure provisoire sont non seulement cumulatives mais également interdépendantes, l’intervention du juge des référés dans les circonstances de l’espèce ne se justifierait, au regard de l’analyse de la balance des intérêts, qu’en présence d’un fumus boni juris très fort conduisant à la constatation d’une violation suffisamment manifeste et grave du droit de l’Union. Une telle constatation ferait pencher la balance des intérêts en faveur de la partie subissant les effets d’une telle violation [ordonnance du 4 décembre 2014, Vanbreda Risk & Benefits/Commission, T‑199/14 R, EU:T:2014:1024, point 194 (non publié)].

115    Il ressort de l’examen de la condition relative au fumus boni juris que celui-ci concerne le doute quant à la question de savoir si le pouvoir adjudicateur s’est suffisamment acquitté de son obligation de vérifier si les soumissionnaires avaient pu présenter leurs offres dans des conditions d’égalité. Or, il convient d’observer à cet égard non seulement que la plainte déposée par la requérante auprès du parquet allemand a été classée sans suite, mais également que l’ESA, agissant au nom et pour le compte de la Commission, a pris l’initiative d’adresser une demande de renseignements au soumissionnaire concerné afin d’examiner le risque d’illégalités. Il ne saurait dès lors être considéré que le fumus boni iuris constaté dans le cas d’espèce est particulièrement fort et de nature à faire pencher la balance des intérêts en faveur de l’octroi de mesures provisoires.

116    Force est, dès lors, de conclure que, au regard de ces éléments, la balance des intérêts en présence penche en faveur de l’absence d’octroi des mesures provisoires demandées.

117    En conséquence, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la demande de la requérante visant à ordonner à la Commission de donner accès au dossier de l’appel d’offres ni sur la demande de mesure d’organisation de la procédure, la demande en référé doit être rejetée.

118    La présente ordonnance clôturant la procédure de référé, il y a lieu de rapporter l’ordonnance du 31 janvier 2021, OHB System/Commission (T‑54/21 R, non publiée), adoptée sur le fondement de l’article 157, paragraphe 2, du règlement de procédure, par laquelle le président du Tribunal a ordonné le sursis à l’exécution de la décision du 19 janvier 2021 jusqu’à la date de l’ordonnance mettant fin à la présente procédure de référé, ainsi que l’ordonnance du 26 février 2021, OHB System/Commission (T‑54/21 R, non publiée), également adoptée sur le fondement de l’article 157, paragraphe 2, du règlement de procédure, par laquelle la portée ratione personae de l’ordonnance du 31 janvier 2021, OHB System/Commission (T‑54/21 R, non publiée), a été limitée.

119    En vertu de l’article 158, paragraphe 5, du règlement de procédure, il convient de réserver les dépens.

 Sur la demande d’intervention

120    Dans la mesure où la présente ordonnance rejette la demande de mesures provisoires introduite par la requérante, il n’est pas nécessaire, dans l’intérêt de l’efficacité de la procédure, de statuer sur la demande d’intervention d’Airbus au soutien des conclusions de la Commission.

121    Dans les circonstances de la présente affaire, Airbus supportera ses propres dépens.


Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les ordonnances du 31 janvier 2021, OHB System/Commission (T54/21 R), et du 26 février 2021, OHB System/Commission (T54/21 R), sont rapportées.

3)      Les dépens sont réservés, à l’exception de ceux exposés par Airbus Defence and Space GmbH. Cette dernière supportera les dépens dans le cadre de sa demande d’intervention.

Fait à Luxembourg, le 26 mai 2021.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

M. van der Woude


*      Langue de procédure : l’allemand.