Language of document : ECLI:EU:T:2005:417

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)
24 novembre 2005


Affaire T-236/02


Luigi Marcuccio

contre

Commission des Communautés européennes

« Fonctionnaires – Réaffectation dans l’intérêt du service – Recours en annulation – Motivation – Devoir de sollicitude – Droits de la défense – Détournement de pouvoir – Articles 25 et 26 du statut – Erreur manifeste d’appréciation – Recours en indemnité »

Objet : Recours ayant pour objet, d’une part, une demande en annulation de la décision de la Commission du 18 mars 2002 qui a réaffecté le requérant de la direction générale « Développement », délégation de la Commission de Luanda (Angola), à cette même direction générale à Bruxelles, de tout acte préalable, connexe et/ou consécutif, en particulier ceux qui touchent à l’éventuel recrutement d’un autre fonctionnaire pour occuper son poste, ainsi que des notes de la Commission des 13 et 14 novembre 2001 et de l’avis ou des avis du comité de direction du service extérieur, et, d’autre part, une demande tendant à l’octroi des indemnités liées à ses fonctions en Angola ainsi qu’une indemnité en réparation du préjudice subi.

Décision : Le recours est rejeté. Chacune des parties supportera ses propres dépens, y compris ceux afférents à la procédure en référé devant le Tribunal.


Sommaire


1.      Procédure – Mémoire en défense dans le cadre des litiges entre les Communautés et leurs agents – Obligation de produire la réclamation et la décision de rejet – Non‑respect – Irrecevabilité en cas de gêne occasionnée aux autres parties

(Règlement de procédure du Tribunal, art. 46, § 2)

2.      Fonctionnaires – Décision faisant grief – Réaffectation – Obligation de motivation – Portée

(Statut des fonctionnaires, art. 25)

3.      Fonctionnaires – Mutation – Réaffectation – Critère de distinction

(Statut des fonctionnaires, art. 4 et 29)

4.      Fonctionnaires – Devoir de sollicitude incombant à l’administration – Portée – Contrôle juridictionnel – Limites

5.      Fonctionnaires – Organisation des services – Affectation du personnel – Réaffectation dans l’intérêt du service – Conditions

(Statut des fonctionnaires, art. 7)

6.      Fonctionnaires – Organisation des services – Affectation du personnel – Modification du lieu d’affectation

(Statut des fonctionnaires, art. 7)

7.      Fonctionnaires – Principes – Droits de la défense – Obligation d’entendre l’intéressé avant l’adoption de l’acte faisant grief – Portée

8.      Fonctionnaires – Recours – Moyens – Détournement de pouvoir – Notion


1.      Bien que l’article 46, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal dispose que, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, le mémoire en défense doit être accompagné de la réclamation au sens de l’article 90, paragraphe 2, du statut et de la décision de rejet, avec indication des dates d’introduction et de notification, aucune disposition du règlement de procédure ne prescrit l’irrecevabilité de ce mémoire comme sanction de l’inobservation de cette obligation qui ne saurait entraîner l’irrecevabilité du mémoire en défense que quand elle est de nature à gêner les autres parties dans la préparation de leurs arguments.

(voir points 55, 58 et 59)

Référence à : Cour 24 octobre 2002, Aéroports de Paris/Commission, C‑82/01 P, Rec. p. I‑9297, points 10 et 11 ; Tribunal 5 mars 2003, Ineichen/Commission, T‑293/01, RecFP p. I‑A‑83 et II‑441, point 32


2.      Une décision de réaffectation, impliquant un déplacement d’un fonctionnaire contre sa volonté, est un acte faisant grief au sens de l’article 25 du statut et doit, dès lors, être motivée. L’étendue de cette obligation doit, dans chaque cas, être appréciée en fonction des circonstances concrètes. En particulier, une décision est suffisamment motivée dès lors qu’elle est intervenue dans un contexte connu du fonctionnaire concerné, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard. Tel est le cas lorsque les circonstances dans lesquelles l’acte en cause a été arrêté, ainsi que les notes de services et les autres communications l’accompagnant, permettent de connaître les éléments essentiels qui ont guidé l’administration dans sa décision. À cet égard, des entretiens avec l’administration permettent également au fonctionnaire intéressé de connaître le contexte dans lequel une décision de réaffectation a été prise.

(voir points 75 à 77)

Référence à : Cour 27 juin 1973, Kley/Commission, 35/72, Rec. p. 679, points 4 et 8 ; Cour 14 juillet 1977, Geist/Commission, 61/76, Rec. p. 1419, points 23 et 28 ; Cour 29 octobre 1981, Arning/Commission, 125/80, Rec. p. 2539, point 13 ; Cour 13 décembre 1989, Prelle/Commission, C‑169/88, Rec. p. 4335, point 9 ; Cour 7 mars 1990, Hecq/Commission, C‑116/88 et C‑149/88, Rec. p. I‑599, point 26 ; Cour 12 novembre 1996, Ojha/Commission, C‑294/95 P, Rec. p. I‑5863, points 35 à 37 ; Tribunal 6 juillet 1995, Ojha/Commission, T‑36/93, RecFP p. I‑A‑161 et II‑497, points 42, 60 et 61 ; Tribunal 23 novembre 1999, Sabbioni/Commission, T‑129/98, RecFP p. I‑A‑223 et II‑1139, points 28 et 30 ; Tribunal 1er avril 2004, N/Commission, T‑198/02, non encore publié au Recueil, point 70


3.      Il résulte du système du statut qu’il n’y a mutation, au sens propre du terme, qu’en cas de transfert d’un fonctionnaire à un emploi vacant. Il en découle que toute mutation proprement dite est soumise aux formalités prévues aux articles 4 et 29 du statut. En revanche, ces formalités ne sont pas applicables en cas de réaffectation du fonctionnaire, en raison du fait qu’un tel transfert ne donne pas lieu à une vacance d’emploi.

(voir point 80)

Référence à : Cour 24 février 1981, Carbognani et Coda Zabetta/Commission, 161/80 et 162/80, Rec. p. 543, point 19 ; Cour 9 août 1994, Rasmussen/Commission, C‑398/93 P, Rec. p. I‑4043, point 11 ; Tribunal 8 juin 1993, Fiorani/Parlement, T‑50/92, Rec. p. II‑555, point 27 ; Tribunal 6 mars 2001, Campoli/Commission, T‑100/00, RecFP p. I‑A‑71 et II‑347, point 29


4.      Le devoir de sollicitude de l’administration à l’égard de ses agents reflète l’équilibre des droits et obligations réciproques que le statut a créés dans les relations entre l’autorité publique et les agents du service public, mais les exigences de ce devoir ne sauraient empêcher l’autorité investie du pouvoir de nomination d’adopter les mesures qu’elle estime nécessaires dans l’intérêt du service, puisque le pourvoi de chaque emploi doit se fonder, en premier lieu, sur l’intérêt du service. Compte tenu de l’étendue du pouvoir d’appréciation dont disposent les institutions pour évaluer l’intérêt du service, le Tribunal doit se limiter à vérifier si l’autorité investie du pouvoir de nomination s’est tenue dans des limites non critiquables et n’a pas usé de son pouvoir d’appréciation de manière manifestement erronée.

(voir point 129)

Référence à : Cour 25 novembre 976, Küster/Parlement, 123/75, Rec. p. 1701, point 10 ; Tribunal 13 décembre 1990, Moritz/Commission, T‑20/89, Rec. p. II‑769, point 39 ; Tribunal 26 novembre 2002, Cwik/Commission, T‑103/01, RecFP p. I‑A‑229 et II‑1137, point 52


5.      Une décision de réaffectation d’un fonctionnaire, qui entraîne son déménagement dans un autre lieu d’affectation, contre sa volonté, doit être adoptée avec la diligence nécessaire et un soin particulier, notamment en prenant en considération l’intérêt personnel du fonctionnaire concerné. Toutefois, cette prise en considération ne saurait aller jusqu’à interdire à l’autorité investie du pouvoir de nomination de réaffecter un fonctionnaire en l’absence de consentement de ce dernier.

En particulier, lorsqu’elles causent des tensions préjudiciables au bon fonctionnement du service, des difficultés relationnelles internes peuvent justifier la mutation d’un fonctionnaire dans l’intérêt du service. Une telle mesure peut même être prise indépendamment de la question de la responsabilité des incidents en cause.

Il en va ainsi à plus forte raison dans le domaine des relations extérieures. Le propre des fonctions diplomatiques est, en effet, de prévenir toute tension et d’apaiser celles qui pourraient néanmoins survenir. Elles requièrent impérativement la confiance des interlocuteurs. Dès que celle‑ci est ébranlée, pour quelque raison que ce soit, le fonctionnaire impliqué n’est plus en mesure de les assurer, de sorte qu’il est de bonne administration que l’institution prenne, à son égard, dans les meilleurs délais, une mesure d’éloignement.

(voir points 130 à 133)

Référence à : Cour 12 juillet 1979, List/Commission, 124/78, Rec. p. 2499, point 13 ; Carbognani et Coda Zabetta/Commission, précité, point 28 ; Hecq/Commission, précité, point 23 ; Cour 12 novembre 1996, Ojha/Commission, précité, points 41, 42 et 47 ; Tribunal 6 juillet 1995, Ojha/Commission, précité, point 83 ; Tribunal 28 mai 1998, W/Commission, T‑78/96 et T‑170/96, RecFP p. I‑A‑239 et II‑745, point 88 ; Tribunal 21 mai 2001, Schaefer/Commission, T‑52/01 R, RecFP p. I‑A‑115 et II‑543, point 42 


6.      La modification du lieu d’affectation, même si elle peut présenter, pour l’intéressé, des inconvénients familiaux et économiques, ne constitue pas un événement anormal et imprévisible dans la carrière d’un fonctionnaire, dès lors que les lieux de travail auxquels il peut être affecté sont répartis entre différents États membres et que l’autorité investie du pouvoir de nomination peut être appelée à faire face à des exigences de service la mettant dans l’obligation de décider de ce transfert.

À cet égard, s’il est vrai que l’administration a tout intérêt à affecter les fonctionnaires en fonction de leurs aptitudes spécifiques et de leurs préférences personnelles, on ne saurait reconnaître pour autant à un fonctionnaire le droit de conserver des fonctions spécifiques.

(voir points 137 et 138)

Référence à : Geist/Commission, précité, point 34 ; Cour 14 juillet 1988, Aldinger et Virgili/Parlement, 23/87 et 24/87, Rec. p. 4395, point 17 ; W/Commission, précité, point 105


7.      Le respect des droits de la défense dans toute procédure ouverte à l’encontre d’une personne et susceptible d’aboutir à un acte faisant grief à celle‑ci constitue un principe fondamental du droit communautaire et doit être assuré même en l’absence d’une disposition expresse prévue à cette fin par la réglementation concernant la procédure en cause. Ce principe, qui répond aux exigences d’une bonne administration, veut que toute personne à l’encontre de laquelle une décision faisant grief peut être prise soit mise en mesure de faire connaître utilement son point de vue au sujet des éléments retenus à sa charge pour fonder ladite décision. Exigeant normalement que l’intéressé soit entendu par l’autorité compétente avant l’adoption de l’acte faisant grief, ce principe s’applique tant en matière disciplinaire que dans les autres matières relevant de la fonction publique communautaire.

(voir points 156 à 158)

Référence à : Cour 23 octobre 1974, Transocean Marine Paint/Commission, 17/74, Rec. p. 1063, point 15 ; Cour 10 juillet 1986, Belgique/Commission, 234/84, Rec. p. 2263, point 27 ; Tribunal 6 mai 1997, Quijano/Commission, T‑169/95, RecFP p. I‑A‑91 et II‑273, point 44 ; Tribunal 15 juin 2000, F/Commission, T‑211/98, RecFP p. I‑A‑107 et II‑471, points 28 et 29, et la jurisprudence citée ; Tribunal 23 avril 2003, Campolargo/Commission, T‑372/00, RecFP p. I‑A‑49 et II‑223, point 31, et la jurisprudence citée


8.      La notion de détournement de pouvoir a une portée bien précise qui se réfère à l’usage de ses pouvoirs par une autorité administrative dans un but autre que celui en vue duquel ils ont été conférés. Une décision n’est entachée de détournement de pouvoir que si elle apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été prise pour atteindre des fins autres que celles excipées.

Dès lors qu’une décision n’a pas été jugée contraire à l’intérêt du service, il ne saurait être question de détournement de pouvoir.

(voir points 181 et 182)

Référence à : Cour 14 juillet 1983, Nebe/Commission, 176/82, Rec. p. 2475, point 25 ; Cour 5 juin 2003, O’Hannrachain/Parlement, C‑121/01 P, Rec. p. I‑5539, point 46 ; Tribunal 10 juillet 1992, Eppe/Commission, T‑59/91 et T‑79/91, Rec. p. II‑2061, point 57 ; Tribunal 11 juin 1996, Anacoreta Correia/Commission, T‑118/95, RecFP p. I‑A‑283 et II‑835, point 25 ; Tribunal 17 novembre 1998, Gómez de Enterría y Sanchez/Parlement, T‑131/97, RecFP p. I‑A‑613 et II‑1855, point 62 ; Tribunal 6 juillet 1999, Séché/Commission, T‑112/96 et T‑115/96, RecFP p. I‑A‑115 et II‑623, point 139 ; Campoli/Commission, précité, points 62 et 63 ; Tribunal 14 octobre 2004, Sandini/Cour de justice, T‑389/02, non encore publié au Recueil, point 123