Language of document : ECLI:EU:T:2018:210

Affaire T‑561/14

European Citizens’ Initiative One of Us e.a.

contre

Commission européenne

« Droit institutionnel – Initiative citoyenne européenne – Politique de recherche – Santé publique – Coopération au développement – Financement par l’Union des activités impliquant la destruction d’embryons humains – Communication de la Commission en vertu de l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement (UE) no 211/2011 – Recours en annulation – Capacité d’ester en justice – Acte attaquable – Irrecevabilité partielle – Contrôle juridictionnel – Obligation de motivation – Erreur manifeste d’appréciation »

Sommaire – Arrêt du Tribunal (deuxième chambre élargie) du 23 avril 2018

1.      Procédure juridictionnelle – Fins de non-recevoir d’ordre public – Examen d’office par le juge

(Règlement de procédure du Tribunal, art. 129)

2.      Recours en annulation – Personnes physiques ou morales – Qualité pour agir – Recours d’une entité dénommée « initiative citoyenne européenne » et dépourvue de personnalité juridique – Irrecevabilité

(Art. 263, al. 4, TFUE ; règlement du Parlement européen et du Conseil no 211/2011)

3.      Recours en annulation – Actes susceptibles de recours – Notion – Actes produisant des effets juridiques obligatoires – Communication de la Commission renfermant sa décision de ne pas présenter de proposition d’acte juridique en réponse à une initiative citoyenne européenne – Inclusion

[Art. 11, § 4, TUE ; art. 263 TFUE ; règlement du Parlement européen et du Conseil no 211/2011, art. 10, § 1, c)]

4.      Recours en annulation – Actes susceptibles de recours – Notion – Actes produisant des effets juridiques obligatoires – Décision de refus – Inclusion – Condition

(Art. 263 TFUE)

5.      Citoyenneté de l’Union – Droits du citoyen – Présentation d’une initiative citoyenne – Règlement no 211/2011 – Obligation pour la Commission d’entreprendre l’action spécifique visée par une initiative citoyenne – Absence

[Art. 11, § 4, TUE et 17, § 1 à 3, TUE ; art. 225 TFUE, 241 TFUE et 289 TFUE ; règlement du Parlement européen et du Conseil no 211/2011, 1er considérant et art. 4 et 10, § 1, c)]

6.      Actes des institutions – Préambule – Valeur juridique contraignante – Absence

7.      Citoyenneté de l’Union – Droits du citoyen – Présentation d’une initiative citoyenne – Règlement no 211/2011 – Examen par la Commission – Obligation de présenter séparément les conclusions juridiques et politiques – Absence

[Règlement du Parlement européen et du Conseil no 211/2011, 20e considérant et art. 10, § 1, c)]

8.      Actes des institutions – Motivation – Obligation – Portée – Appréciation de l’obligation de motivation en fonction des circonstances de l’espèce

(Art. 296, al. 2, TFUE)

9.      Actes des institutions – Motivation – Obligation – Portée – Communication de la Commission renfermant sa décision de ne pas présenter de proposition d’acte juridique en réponse à une initiative citoyenne européenne

[Art. 296 TFUE ; règlement du Parlement européen et du Conseil no 211/2011, art. 10, § 1, c)]

10.    Recours en annulation – Moyens – Défaut ou insuffisance de motivation – Moyen distinct de celui portant sur la légalité au fond

(Art. 263 TFUE et 296 TFUE)

11.    Citoyenneté de l’Union – Droits du citoyen – Présentation d’une initiative citoyenne – Règlement no 211/2011 – Examen par la Commission – Communication renfermant sa décision de ne pas soumettre de proposition d’acte juridique au législateur de l’Union – Contrôle juridictionnel – Limites

[Art. 17, § 1, TUE ; règlement du Parlement européen et du Conseil no 211/2011, art. 10, § 1, c)]

1.      Voir le texte de la décision.

(voir point 53)

2.      Il ressort du libellé même de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE que seules les personnes physiques et les entités dotées de la personnalité juridique peuvent former un recours en annulation en vertu de cette disposition. Cependant, dans certains cas particuliers, une entité qui ne dispose pas de la personnalité juridique selon le droit d’un État membre ou d’un État tiers peut néanmoins être considérée comme une personne morale, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, et être admise à former un recours en annulation sur le fondement de cette disposition. Tel est notamment le cas lorsque, dans leurs actes ou agissements, l’Union et ses institutions traitent l’entité en question comme étant un sujet distinct, qui peut posséder des droits qui lui sont propres ou être soumis à des obligations ou à des restrictions.

Doit, dès lors, être déclaré irrecevable un recours introduit par une entité dénommée « initiative citoyenne européenne », qui ne dispose pas de la personnalité juridique en vertu du droit d’un État membre ou d’un État tiers et qui n’a pas été traitée comme étant un sujet distinct. À cet égard, il ne ressort pas du règlement no 211/2011, relatif à l’initiative citoyenne, que celui-ci confère la personnalité juridique à une initiative citoyenne européenne en la traitant comme un sujet distinct. Une telle entité ne dispose pas de la capacité d’ester en justice devant le juge de l’Union.

(voir points 58-63)

3.      Le recours en annulation fondé sur l’article 263 TFUE est ouvert à l’encontre de tous les actes pris par les institutions de l’Union, quelles qu’en soient la nature ou la forme, qui visent à produire des effets de droit obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique.

Tel est le cas s’agissant d’une communication adoptée en vertu de l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement no 211/2011, relatif à l’initiative citoyenne, par le biais de laquelle la Commission prend la position définitive de ne pas présenter de proposition d’acte juridique en réponse à une initiative citoyenne européenne. En effet, cette communication présente la position définitive de la Commission, cette dernière ayant décidé de ne pas présenter de proposition d’acte juridique en réponse à l’initiative citoyenne européenne en cause et, à titre plus général, de n’entreprendre aucune action en réponse à celle-ci. En plus, cette communication constitue l’aboutissement de la procédure spécifique engagée et menée par les organisateurs de l’initiative sur le fondement du règlement no 211/2011 et son adoption constitue une obligation pour la Commission. Compte tenu de ces éléments, la communication produit des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts des organisateurs, en modifiant de façon caractérisée leur situation juridique.

Par ailleurs, le droit des citoyens, tiré de l’article 11, paragraphe 4, TUE, est censé renforcer la citoyenneté européenne et améliorer le fonctionnement démocratique de l’Union, l’objectif ultime étant d’encourager la participation des citoyens à la vie démocratique et de rendre l’Union plus accessible. Le défaut de soumission du refus de la Commission de soumettre au législateur de l’Union une proposition d’acte juridique, formulé dans la communication prévue par l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement no 211/2011, à un contrôle juridictionnel compromettrait la réalisation de cet objectif, dans la mesure où le risque d’arbitraire de la part de la Commission dissuaderait tout recours au mécanisme de l’initiative citoyenne européenne, eu égard, également, aux procédures et conditions exigeantes auxquelles ce mécanisme est soumis.

(voir points 68, 71, 77, 93)

4.      S’agissant de déterminer l’existence d’un acte pouvant faire l’objet d’un recours en annulation, lorsqu’un acte de la Commission revêt un caractère négatif, il doit être apprécié en fonction de la nature de la demande à laquelle il constitue une réponse. En particulier, un refus est un acte susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation au sens de l’article 263 TFUE, dès lors que l’acte que l’institution refuse de prendre aurait pu être attaqué en vertu de cette disposition. Toutefois, il en va différemment lorsque la décision de la Commission intervient dans une procédure précisément définie par un règlement de l’Union, dans le cadre de laquelle la Commission est tenue de statuer sur une demande introduite par un particulier en vertu de ce règlement.

(voir points 85, 86)

5.      La Commission n’est pas tenue d’entreprendre l’action spécifique proposée par une initiative citoyenne européenne. En effet, le pouvoir d’initiative législative reconnu à la Commission par l’article 17, paragraphe 2, TUE et l’article 289 TFUE implique qu’il revient, en principe, à la Commission de décider de présenter, ou non, une proposition d’acte législatif et, le cas échéant, d’en déterminer l’objet, la finalité et le contenu. Ce quasi-monopole de l’initiative législative conféré par les traités à la Commission s’explique par la fonction de celle-ci, en vertu de l’article 17, paragraphe 1, TUE, qui est de promouvoir l’intérêt général de l’Union, ainsi que par l’indépendance dont elle jouit, en vertu de l’article 17, paragraphe 3, troisième alinéa, TUE, dans l’exercice de ses responsabilités.

Ce quasi-monopole n’est pas affecté par le droit à l’initiative citoyenne européenne prévu à l’article 11, paragraphe 4, TUE. À cet égard, l’intention du pouvoir constituant de l’Union de ne pas conférer un pouvoir d’initiative législative au mécanisme de l’initiative citoyenne européenne trouve confirmation dans le considérant 1 du règlement no 211/2011, relatif à l’initiative citoyenne, qui assimile, en substance, le droit conféré à l’initiative citoyenne européenne à celui conféré au Parlement, en vertu de l’article 225 TFUE, et au Conseil, en vertu de l’article 241 TFUE. Or, une demande émanant du Parlement ou du Conseil ne contraint pas la Commission à soumettre une proposition d’acte juridique. Cette intention du pouvoir constituant trouve également confirmation dans le libellé même de l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement no 211/2011. Une telle conclusion n’est pas, par ailleurs, remise en cause par l’existence de la procédure d’enregistrement d’une proposition d’initiative citoyenne européenne, prévue à l’article 4 dudit règlement.

Le mécanisme de l’initiative citoyenne européenne ayant pour objectif d’inviter la Commission, dans le cadre de ses attributions, à soumettre une proposition d’acte, le fait de permettre à celle-ci de disposer d’un important pouvoir d’appréciation dans l’exercice de son pouvoir d’initiative législative ne porte pas atteinte audit objectif.

(voir points 109-111, 113, 114, 116, 124)

6.      Voir le texte de la décision.

(voir point 128)

7.      Dans la mesure où l’obligation de présentation séparée des conclusions juridiques et politiques de la Commission sur une initiative citoyenne européenne, mentionnée dans le considérant 20 du règlement no 211/2011, relatif à l’initiative citoyenne, n’est pas reprise dans le corps de l’article 10, paragraphe 1, sous c), dudit règlement, c’est le contenu de celui-ci qui doit primer. Il s’ensuit que la Commission n’est pas assujettie à une telle obligation lors de la rédaction de la communication prévue par cette disposition. En tout état de cause, à supposer que la Commission soit tenue juridiquement à une telle obligation, cette dernière étant de pure forme, sa violation ne saurait conduire à l’annulation de la communication prévue par l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement no 211/2011.

(voir points 130, 131)

8.      Voir le texte de la décision.

(voir points 141, 142, 144, 145)

9.      Dans la mesure où une communication adoptée en vertu de l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement no 211/2011, relatif à l’initiative citoyenne, constitue un acte susceptible d’un recours en annulation, elle est soumise à l’obligation de motivation prévue par l’article 296 TFUE et doit, dès lors, permettre aux organisateurs d’une initiative citoyenne européenne de déterminer si elle est entachée de vices et au juge de l’Union d’exercer son contrôle. La Commission doit, notamment, exposer les raisons juridiques, politiques ou autres qui l’avaient amenée à décider de ne pas donner suite aux propositions d’actes juridiques soumises par l’initiative citoyenne européenne en cause. L’obligation pour la Commission d’exposer, dans la communication adoptée en vertu de l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement no 211/2011, les raisons qu’elle a d’entreprendre ou de ne pas entreprendre d’action à la suite d’une initiative citoyenne européenne constitue l’expression spécifique de l’obligation de motivation impartie dans le cadre de ladite disposition.

(voir points 143, 147)

10.    Voir le texte de la décision.

(voir point 146)

11.    Une communication adoptée en vertu de l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement no 211/2011, relatif à l’initiative citoyenne, qui renferme la décision définitive de la Commission de ne pas soumettre de proposition d’acte juridique au législateur de l’Union, doit faire l’objet d’un contrôle restreint de la part du juge de l’Union, visant à vérifier, outre la suffisance de sa motivation, l’existence, notamment, d’erreurs manifestes d’appréciation viciant ladite décision. En effet, dans le cadre de l’exercice de son pouvoir d’initiative législative, la Commission doit bénéficier d’un large pouvoir d’appréciation, dans la mesure où, par le biais de cet exercice, elle est appelée, en vertu de l’article 17, paragraphe 1, TUE, à promouvoir l’intérêt général de l’Union en effectuant, éventuellement, des arbitrages difficiles entre des intérêts divergents. Il s’ensuit que la Commission doit bénéficier d’un large pouvoir d’appréciation aux fins de décider d’entreprendre ou pas une action à la suite d’une initiative citoyenne européenne.

(voir points 169, 170)