CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. JEAN RICHARD DE LA TOUR
présentées le 29 juin 2023 (1)
Affaire C‑497/22
EM
contre
Roompot Service BV
[demande de décision préjudicielle formée par le Landgericht Düsseldorf (tribunal régional de Düsseldorf, Allemagne)]
« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Compétence judiciaire et exécution des décisions en matière civile et commerciale – Règlement (UE) no 1215/2012 – Compétences exclusives – Article 24, point 1, premier alinéa – Litiges en matière de baux d’immeubles – Réservation d’un bungalow situé dans un parc de vacances – Cession d’usage ou mise à disposition de courte durée conclue entre un particulier et un professionnel du tourisme exploitant de ce parc – Autres prestations »
I. Introduction
1. La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 24, point 1, premier alinéa, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (2).
2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant EM, domiciliée en Allemagne, à Roompot Service BV, dont le siège est fixé aux Pays-Bas, qui exploite un parc de vacances comprenant des logements de tourisme, situé dans cet État membre, au sujet du remboursement du montant du prix payé pour l’usage de courte durée d’un des bungalows de ce parc, assorti d’intérêts et de frais.
3. Je vais exposer les raisons pour lesquelles je considère, à titre principal, que le litige porte sur un contrat complexe qui, par conséquent, ne relève pas de la compétence exclusive prévue par le règlement no 1215/2012 en matière de baux d’immeubles. À titre subsidiaire, si la Cour estimait que le contrat en cause entre dans le champ d’application de l’article 24, point 1, premier alinéa, de ce règlement, je considérerais que la demande présentée dans l’affaire au principal se rattache à ce contrat et entre également dans le champ d’application de cette disposition.
II. Le cadre juridique
4. Le chapitre II, section 6, du règlement no 1215/2012, intitulée « Compétences exclusives », prévoit, à l’article 24, point 1 :
« Sont seules compétentes les juridictions ci-après d’un État membre, sans considération de domicile des parties :
1) en matière de droits réels immobiliers et de baux d’immeubles, les juridictions de l’État membre où l’immeuble est situé.
Toutefois, en matière de baux d’immeubles conclus en vue d’un usage personnel temporaire pour une période maximale de six mois consécutifs, sont également compétentes les juridictions de l’État membre dans lequel le défendeur est domicilié, à condition que le locataire soit une personne physique et que le propriétaire et le locataire soient domiciliés dans le même État membre. »
III. Les faits du litige au principal et la question préjudicielle
5. EM, domiciliée en Allemagne, a réservé, le 23 juin 2020, par Internet sur le site de Roompot Service (3), dont le siège est fixé aux Pays-Bas, un bungalow dans le parc de vacances « Waterpark Zwartkruis » (4), situé dans cet État membre à Noardburgum, pour la période allant du 31 décembre 2020 au 4 janvier 2021 et pour un groupe de neuf personnes provenant de plus de deux ménages différents.
6. La réservation, moyennant le prix de 1 902,80 euros qu’EM a intégralement payé, incluait la mise à disposition du linge de lit et le nettoyage en fin de séjour.
7. Le Waterpark Zwartkruis est un parc aquatique comprenant des bungalows situés directement au bord d’un lac, chaque logement ayant son propre ponton. Moyennant un supplément de prix, il était possible de louer des bateaux et des canoës.
8. Roompot Service a informé EM par courrier électronique, avant son arrivée et à sa demande, que le Waterpark Zwartkruis était ouvert pendant la période de réservation, malgré la pandémie de COVID-19, mais que, conformément aux réglementations néerlandaises, il était uniquement possible d’y résider avec sa famille et avec au maximum deux personnes d’un autre ménage dans un bungalow. En outre, il lui a été proposé de modifier sa réservation pour un séjour à une date ultérieure.
9. EM n’a pas effectué le séjour et n’a pas modifié sa réservation. Elle a été remboursée par Roompot Service à hauteur de 300 euros.
10. EM a saisi l’Amtsgericht Neuss (tribunal de district de Neuss, Allemagne) d’une demande contre Roompot Service tendant au remboursement du solde du prix d’un montant de 1 602,80 euros, assorti d’intérêts et de frais. Cette dernière a contesté la compétence internationale des juridictions allemandes. Par décision du 1er octobre 2021, cette demande a été rejetée comme étant non fondée.
11. EM a interjeté appel devant le Landgericht Düsseldorf (tribunal régional de Düsseldorf, Allemagne), qui s’interroge sur la compétence internationale exclusive des juridictions des Pays-Bas pour connaître de l’affaire au principal, conformément à l’article 24, point 1, premier alinéa, du règlement no 1215/2012.
12. Cette juridiction expose qu’il ressort des trois décisions pertinentes de la Cour relatives à la location de maisons de vacances à l’étranger, interprétant l’article 16, point 1, de la convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (5), dont le contenu est demeuré en substance identique dans le règlement no 1215/2012, à savoir les arrêts du 15 janvier 1985, Rösler (6), du 26 février 1992, Hacker (7), et du 27 janvier 2000, Dansommer (8), que ces contrats relèvent, en principe, de la compétence exclusive des juridictions du lieu où l’immeuble est situé. Une exception n’existerait, selon la Cour, que lorsque le contrat serait de nature complexe en ce qu’il comporterait un ensemble de prestations en contrepartie d’un prix global payé par le client (9).
13. Ladite juridiction relève, d’une part, que, en l’occurrence, les prestations supplémentaires sont l’offre sur la page Internet de Roompot Service, sous la rubrique « renseignements et conseils », de divers bungalows équipés de manière différente, la réservation effectuée pour EM, l’accueil sur place et la remise des clés, la fourniture de linge de lit et la réalisation d’un nettoyage en fin de séjour. Selon sa compréhension de la jurisprudence de la Cour, ces prestations, prises dans leur ensemble, doivent avoir une importance significative pour conférer au contrat un caractère complexe.
14. D’autre part, selon une partie de la doctrine allemande, des prestations accessoires mineures, telles que l’entretien du bien ou son nettoyage, le changement du linge de lit ou l’accueil sur place, revêtiraient une importance moindre, de sorte que les prestations supplémentaires en cause dans l’affaire au principal ne suffiraient pas pour pouvoir retenir l’existence d’un contrat complexe.
15. La juridiction de renvoi précise également qu’une lecture différente des arrêts de la Cour a été faite par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) (10). En se fondant sur l’arrêt Hackerainsi que sur l’arrêt Dansommer, cette juridiction considère que la détermination de la compétence sur le fondement de l’article 24, point 1, premier alinéa, du règlement no 1215/2012 dépend uniquement de la question de savoir si l’organisateur professionnel de voyages est tenu de mettre à disposition l’usage d’une maison de vacances appartenant à un tiers. Dans une telle situation, cette disposition ne serait pas applicable. En revanche, si l’organisateur professionnel de voyage ne sert que d’intermédiaire d’un bail conclu avec le propriétaire, ladite disposition serait applicable.
16. La juridiction de renvoi doute de la compatibilité de cette interprétation avec la jurisprudence de la Cour.
17. Dans ces conditions, le Landgericht Düsseldorf (tribunal régional de Düsseldorf) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« L’article 24, point 1, [premier alinéa], du règlement [no 1215/2012] doit-il être interprété en ce sens que la compétence exclusive des juridictions du lieu de situation de la chose louée s’applique à un contrat, conclu entre une personne privée et un bailleur professionnel de logements de vacances, portant sur la cession d’usage de courte durée d’un bungalow dans un parc de vacances exploité par le bailleur et prévoyant comme autres prestations, en sus de la pure cession d’usage, un nettoyage à la fin du séjour et la mise à disposition de linge de lit, indépendamment de la circonstance que le bungalow de vacances soit la propriété du bailleur ou celle d’un tiers ? »
18. EM et la Commission européenne ont déposé des observations écrites.
IV. Analyse
19. En substance, la juridiction de renvoi s’interroge sur les critères pertinents à prendre en considération afin de qualifier un contrat relatif à l’usage de courte durée d’un bungalow dans un parc de vacances en tant que contrat de bail d’immeuble, au sens de l’article 24, point 1, premier alinéa, du règlement no 1215/2012, ou en tant que contrat complexe portant sur un ensemble de prestations de services.
20. Les dispositions de l’article 24, point 1, premier alinéa, de ce règlement sont équivalentes à celles de l’article 16, paragraphe 1, devenu, paragraphe 1, sous a) (11), de la convention de Bruxelles et de l’article 22, point 1, premier alinéa, du règlement (CE) no 44/2001 (12), de sorte que l’interprétation fournie par la Cour en ce qui concerne ces dernières dispositions vaut également pour l’interprétation des premières (13).
21. Il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence constante de la Cour :
– s’agissant de l’objectif poursuivi par ces dispositions, le motif essentiel de la compétence exclusive des juridictions de l’État membre sur le territoire duquel l’immeuble est situé est la circonstance que le tribunal du lieu de situation est le mieux à même, compte tenu de la proximité, d’avoir une bonne connaissance des situations de fait et d’appliquer les règles et usages qui sont, en général, ceux de l’État de situation, et
– la compétence exclusive en matière des baux immobiliers est justifiée par la complexité du rapport propriétaire-locataire, qui comporte une série de droits et d’obligations, outre celle afférente au loyer. Ce rapport est régi par des législations particulières, dont certaines à caractère impératif, de l’État où l’immeuble qui fait l’objet du bail est situé, telles que celles qui déterminent le responsable de l’entretien de l’immeuble et du paiement des impôts fonciers, celles qui régissent les devoirs de l’occupant de l’immeuble vis-à-vis des voisins, ainsi que celles qui contrôlent ou limitent le droit du propriétaire de reprendre possession de l’immeuble au terme du bail (14).
22. Conformément à l’article 25, paragraphe 4, du règlement no 1215/2012, il ne peut être dérogé par convention à cette compétence exclusive.
23. La détermination de la compétence des juridictions nationales en matière de location de logement de vacances a fait l’objet de trois arrêts de la Cour, à savoir les arrêts Rösler, Hacker et Dansommer (15), et de deux modifications législatives (16). Celles-ci ont créé une dérogation à la compétence exclusive prévue à l’article 24, point 1, premier alinéa, de ce règlement lorsque les deux parties du litige sont domiciliées dans le même État membre (17). On notera toutefois que la modification législative qui a introduit un second alinéa à l’article 24, point 1, dudit règlement ne cadre pas tout à fait, en ce qui concerne des baux portant sur les logements, avec la justification de la règle de principe que la Cour a recherchée et qui a été rappelée au point 21 des présentes conclusions (18).
24. Il s’agit donc du régime applicable, depuis près de vingt ans, aux locations touristiques de courte durée, sans que, jusqu’à présent, de nouvelles difficultés d’interprétation aient été portées à la connaissance de la Cour par les juridictions nationales.
25. Il résulte de cette jurisprudence de la Cour que l’application de l’article 24, point 1, premier alinéa, du règlement no 1215/2012 suppose que deux conditions soient remplies. Il faut, en premier lieu, que le litige porte sur un contrat de location d’un bien immobilier, au sens de cette disposition. En second lieu, si tel est le cas, il faut que le litige ait pour objet les droits et obligations découlant de ce contrat. Si la première condition n’est pas remplie, il n’y a pas lieu d’examiner la seconde.
A. Sur la qualification du contrat
26. I l ressort des deux derniers arrêts de la Cour, les arrêts Hacker et Dansommer, que la qualification de contrat de bail requiert l’absence de prestations accessoires à l’obligation principale portant sur l’usage d’un logement de vacances (19).
27. Les interrogations de la juridiction de renvoi naissent de l’appréciation des engagements contractuels dans l’affaire au principal en comparaison avec ceux relevés dans l’arrêt Hacker. Ils sont rappelés au point 31 de l’arrêt Dansommeren ces termes : « Le contrat en cause dans [l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Hacker] avait été conclu entre un organisateur professionnel de voyages et son client au lieu où ils avaient respectivement leur siège et domicile et, même s’il prévoyait une prestation portant sur l’usage d’un logement de vacances pour une courte durée, il comportait également d’autres prestations, tels les informations et conseils par lesquels l’organisateur de voyages propose au client un éventail de choix pour les vacances, la réservation d’un logement pour la période choisie par le client, la réservation de places pour le transport, l’accueil sur place et, éventuellement, une assurance pour annulation du voyage (arrêt Hacker [...], point 14). »
28. De mon point de vue, il résulte de ces deux arrêts que, aux fins de statuer sur sa compétence, le juge doit apprécier la relation contractuelle en cause dans son ensemble et son contexte, afin de déterminer si elle a pour seul objet l’usage d’un logement ou l’engagement de le mettre à disposition de la personne avec des prestations propres à un séjour de vacances (20). Les services, tels que le ménage, la fourniture de linge, ou autres, qui peuvent être fournis dans n’importe quel bien loué par un particulier ou par un professionnel, n’ont, de mon point de vue, aucune incidence sur la qualification du contrat, dès lors qu’ils sont accessoires à son occupation.
29. Il en est de même de la question de savoir si le logement de vacances a été loué par le propriétaire directement ou au nom de celui-ci. À mon sens, dans l’arrêt Dansommer, la Cour n’a pas entendu modifier les critères à retenir aux fins de détermination de la compétence internationale (21). L’engagement contractuel qui a pour objet l’usage du bien est suffisant (22). En effet, il est présumé que le bailleur est habilité à cette fin. Il ne doit pas incomber au locataire d’un logement de vacances de vérifier qui en est le propriétaire, spécialement s’il décide d’agir en justice.
30. En revanche , comme dans le cadre d’un séjour organisé (23), la mise à disposition d’un hébergement dans des lieux aménagés spécifiquement pour les vacances, tel que le Waterpark Zwartkruis exploité par RoompotService (24), présente des caractéristiques particulières justifiant, selon moi, si elles sont relevées par la juridiction de renvoi, de qualifier le contrat en cause de « contrat complexe ».
31. En effet, premièrement, il conviendrait de vérifier sur quelles bases la relation contractuelle a été établie. En l’occurrence, la juridiction de renvoi n’a fait état ni de l’existence d’un contrat de bail, comme il en est conclu par écrit en cas d’hébergement dans une maison individuelle (25), ni de son contenu, notamment quant aux conditions de versement de la totalité du prix. Plus particulièrement, il n’est pas précisé si la réservation avait pour objet un bungalow déterminé à l’avance (26). Or, au sein d’un parc immobilier, qui comprend des structures d’hébergement standardisées formant un ensemble homogène et, le cas échéant, des bâtiments à usage collectif, les engagements d’usage d’un des logements meublés semblent pris, comme dans un complexe hôtelier, sous la propre responsabilité de l’exploitant du parc, qui se présente habituellement comme l’interlocuteur pour les réclamations.
32. Deuxièmement, il y a lieu de relever que ce type de formule d’hébergement de vacances est conçu en considération de l’offre d’organisation du séjour dans son ensemble. En l’espèce, la juridiction de renvoi a constaté que le logement loué se situe dans un parc aquatique dont l’aménagement vise précisément à procurer aux personnes hébergées sur place des prestations liées aux loisirs (27). Par conséquent, il peut en être déduit qu’un certain niveau de confort et de conseil est également attendu par le vacancier et est promu lors de la réservation d’un tel hébergement. Dans ce contexte, la qualité de professionnel de l’organisateur du séjour dans un parc de vacances est, à mon sens, déterminante (28) ainsi que l’éventuel constat que l’offre de logement est disponible pendant toute l’année, sans limitation de durée, ces critères permettant de la distinguer de celle de locations saisonnières.
33. Troisièmement, le prix global du séjour (29)est également un élément d’appréciation à retenir. En effet, il me paraît nécessaire de savoir s’il inclut le coût de plusieurs prestations ou l’offre de services prévues dans un tel parc de vacances, en considération de leur qualité ou de leur importance, ce qui justifierait que ce prix soit sans relation directe avec celui de la location d’un seul logement dans le marché locatif local de maisons de vacances appartenant à des particuliers (30), mais plutôt fixé en fonction du niveau de confort standardisé comme dans un hôtel. Ainsi, il ne serait pas soumis à une réglementation impérative comparable à celle qui peut encadrer les baux d’habitation.
34. Par conséquent, j e suis d’avis qu’il appartient au juge national de vérifier l’ensemble des conditions contractuelles et les particularités de l’offre de logement en vue d’un séjour de courte durée dans un parc de vacances, tel que, en l’espèce, le WaterparkZwartkruis. La recherche d’un faisceau d’éléments relatifs aux prestations de l’exploitant d’un parc de vacances, qualifié de « bailleur professionnel de logement de vacances » par la juridiction de renvoi, permet de dépasser les limites imposées par une analyse casuistique telle que celle soumise à l’appréciation de la Cour ou discutée en doctrine (31). En outre, elle assure une prévisibilité suffisante.
35. U ne telle approche est également adaptée à la diversité de l’offre d’hébergement touristique qui s’est développée dans de nombreux États membres (32). J’observe, à cet égard, qu’elle se manifeste au travers de la terminologie de la langue française dans ce domaine. Ainsi, l’on distingue les parcs résidentiels de loisirs des résidences de tourisme et des villages de vacances, selon le type d’hébergement ou location meublée touristique, tels que maison, appartement, bungalow, résidence mobile de loisirs, habitation légère de loisirs, ainsi que le type de prestations fournies associées aux loisirs.
36. En outre, l’accès à cette multiplicité d’offres a pris désormais des proportions importantes sous l’effet de l’utilisation croissante des réservations sur les sites Internet (33). Enfin, il y a lieu de prendre en considération le fait que, depuis les décisions de la Cour dans les arrêts Rösler, Hacker et Dansommer, le contexte législatif et jurisprudentiel en droit de l’Union a profondément évolué en matière de protection des consommateurs (34) et dans le domaine des vacances spécialement (35). En droit national, également, des régimes juridiques spécifiques aux hébergements de tourisme ont pu être adoptés (36).
37. Ainsi, dans le cadre particulier des locations de logement s situés dans des parcs de vacances, la justification de la compétence exclusive des juridictions des États membres du lieu de situation de l’immeuble dont l’usage est cédé pour une courte durée (37) ne me paraît pas pertinente, ce qui milite en faveur d’une réponse à la juridiction de renvoi conforme au principe de l’interprétation stricte de l’article 24, point 1, premier alinéa, du règlement no 1215/2012 (38).
38. Je propose donc à la Cour de décider, comme dans l’arrêt Hacker, que ne relève pas de l’article 24, point 1, premier alinéa, de ce règlement la mise à disposition, par un professionnel du tourisme, d’un logement dans un parc de vacances pour un usage personnel de courte durée, la relation contractuelle devant être qualifiée de « contrat complexe » au sens de cette jurisprudence.
39. Si toutefois la Cour devait considérer que le contrat en cause porte exclusivement sur la location d’un logement de vacances, comme dans l’arrêt Dansommer, il conviendrait alors d’analyser la demande d’EM dont la juridiction de renvoi est saisie.
B. Sur l’objet de la demande
40. La demande d’EM a pour origine le fait qu’elle a réservé au mois de juin 2020 un logement pour plus de deux ménages comprenant au total neuf personnes, mais qu’elle n’a été autorisée par Roompot Service à y séjourner à partir du 31 décembre 2020 qu’avec sa famille et deux personnes d’un autre ménage (39). Il est exposé dans la décision de renvoi qu’EM sollicite le remboursement « du reste du loyer » après que Roompot Service a remboursé une partie du montant du « loyer » (40).
41. En l’occurrence, le terme « loyer » renvoie au prix du séjour qui avait été intégralement payé. Il n’est pas précisé si ce prix recouvrait des coûts particuliers sans relation directe avec l’usage du logement, comme des frais de réservation par exemple, ce que pourrait laisser supposer le remboursement partiel consenti à EM (41).
42. En cas de demande ayant pour objet le paiement de loyers, au sens de contrepartie du droit de jouissance d’un immeuble, la Cour a jugé que la compétence exclusive en matière de baux d’immeubles s’applique, dès lors que l’objet du litige se rattache directement à l’usage de la propriété louée (42).
43. Dans le cadre de ce régime juridique, deux circonstances en l’espèce méritent une attention particulière. Premièrement, l’absence de jouissance du bien loué ne me paraît pas être de nature à modifier la qualification de la demande d’EM. Cette circonstance ne l’exonère pas en principe de ses obligations vis-à-vis de Roompot Service. Deuxièmement, la modification des conditions de la location du bien devrait être analysée comme un défaut de respect par Roompot Service de ses engagements contractuels, quand bien même elle serait justifiée par les restrictions imposées par la lutte contre la pandémie de COVID-19 (43).
44. Dans ces conditions, je suis d’avis que l’objet du litige dans l’affaire au principal relève de la compétence exclusive des juridictions de l’État membre dans lequel le bien loué est situé. Il ne pourrait en être autrement que si EM avait sollicité, à hauteur de la somme réclamée, la réparation d’un préjudice se rapportant indirectement à l’usage de la propriété louée (44).
45. Par conséquent, à titre subsidiaire, si la Cour devait juger que le contrat liant EM à Roompot Service porte sur la cession d’usage d’un logement de vacances, j’estime que la règle de compétence exclusive prévue à l’ article 24, point 1, premier alinéa, du règlement no 1215/2012 serait également applicable au motif que le litige a pour objet les droits et les obligations découlant d’un tel contrat.
V. Conclusion
46. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la question préjudicielle posée par le Landgericht Düsseldorf (tribunal régional de Düsseldorf, Allemagne) de la manière suivante :
L’article 24, point 1, premier alinéa, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale,
doit être interprété en ce sens :
à titre principal, que ne relève pas de son champ d’application le contrat par lequel est mis à disposition, par un professionnel du tourisme, un logement de vacances dans un parc de vacances pour un usage personnel de courte durée ;
à titre subsidiaire, que relève de son champ d’application la demande de remboursement d’une partie du prix payé à la suite d’une modification par l’une des parties des conditions d’un contrat portant sur la location d’un logement de vacances.