Language of document : ECLI:EU:T:2009:312

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

8 septembre 2009 (*)

« Aides d’État – Secteur de l’énergie – Aide à l’investissement pour la construction d’un réseau de chauffage urbain – Décision déclarant l’aide compatible avec le marché commun – Obligation pour l’entreprise bénéficiaire de rembourser au préalable des aides antérieures déclarées illégales et incompatibles – Notion d’unité économique »

Dans l’affaire T‑303/05,

AceaElectrabel Produzione SpA, établie à Rome (Italie), représentée par Mes L. Radicati di Brozolo, M. Merola, C. Bazoli et F. D’Alessandri, avocats,

partie requérante,

soutenue par

Electrabel, établie à Bruxelles (Belgique), représentée par Mes L. Radicati di Brozolo, M. Merola et C. Bazoli, avocats,

partie intervenante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. V. Di Bucci et Mme E. Righini, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 2006/598/CE de la Commission, du 16 mars 2005, concernant l’aide d’État que l’Italie – région du Latium – entend mettre en œuvre en faveur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre (JO 2006, L 244, p. 8),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre),

composé de Mme V. Tiili, président, M. F. Dehousse (rapporteur) et Mme I. Wiszniewska-Białecka, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 2 décembre 2008,

rend le présent

Arrêt

 Faits à l’origine du litige

1        La requérante, AceaElectrabel Produzione SpA, est une société de génération d’énergie électrique, contrôlée par AceaElectrabel Holding SpA (ci-après « AceaElectrabel »), une joint‑venture créée par ACEA SpA et Electrabel SA pour opérer dans les secteurs de l’énergie électrique et du gaz. Les accords de constitution d’AceaElectrabel prévoyaient qu’ACEA transférerait à la requérante deux installations de production thermoélectriques et cinq centrales hydroélectriques, tandis qu’Electrabel apporterait une série de projets pour la construction d’installations.

2        Le 28 janvier 2002, la République italienne a notifié à la Commission, conformément à l’article 88, paragraphe 3, CE, deux projets d’aide à l’investissement, visant, pour le premier, la construction d’un réseau de chauffage urbain sur le territoire de Torrino-Mezzocammino (Italie) (ci-après la « mesure en cause ») et, pour le second, la construction d’une nouvelle centrale éolienne.

3        Par lettre du 13 mai 2003, la Commission a notifié à la République italienne sa décision de considérer l’aide compatible, en ce qui concerne le second projet, et d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, en ce qui concerne la mesure en cause. La Commission a invité les parties intéressées à présenter leurs observations à cet égard (JO 2003, C 188, p. 8).

4        ACEA, bénéficiaire de la mesure en cause, a présenté des observations le 8 septembre 2003. La République italienne a présenté des observations le 23 juillet 2003, les 18 mars et 29 avril 2004.

5        Le 16 mars 2005, la Commission a adopté la décision 2006/598/CE, concernant l’aide d’État que l’Italie – région du Latium – entend mettre en œuvre en faveur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre (JO 2006, L 244, p. 8, ci-après la « décision attaquée »).

 Décision attaquée

6        La mesure en cause concerne un réseau de chauffage urbain situé dans le périmètre de Torrino-Mezzocammino, à proximité de Rome (Italie), qui sera alimenté en énergie par une centrale de cogénération, partiellement modernisée et convertie, et qui fournira du chauffage à un nouveau quartier. Les coûts d’investissement du projet s’élèvent à 9 500 000 euros et l’aide à 3 800 000 euros (considérants 5 et 6 de la décision attaquée).

7        Selon le considérant 8 de la décision attaquée, le bénéficiaire de la mesure en cause était ACEA, l’ancienne entreprise municipalisée de Rome. Après une série de réorganisations ayant impliqué de nombreuses sociétés, dont Electrabel, la requérante en est désormais devenue la bénéficiaire. La requérante est contrôlée par Electrabel Italia SpA et par AceaElectrabel, à raison de 50 % chacune. La première est contrôlée à 100 % par Electrabel (Belgique). Quant au capital de la seconde, Electrabel Italia en détient 40,59 % et ACEA 59,41 %.

8        La Commission a estimé que la mesure en cause était conforme aux dispositions réglementaires en matière de protection de l’environnement. Elle a toutefois ouvert la procédure de l’article 88, paragraphe 2, CE, au motif que les principes énoncés par la Cour dans son arrêt du 15 mai 1997, TWD/Commission (C‑355/95 P, Rec. p. I‑2549), ayant confirmé l’arrêt du Tribunal du 13 septembre 1995, TWD/Commission (T‑244/93 et T‑486/93, Rec. p. II‑2265) (ci-après la « jurisprudence Deggendorf »), devaient s’appliquer (considérant 9 de la décision attaquée).

9        La Commission a en effet constaté que la bénéficiaire, ACEA, était l’une des entreprises municipalisées du secteur énergétique à avoir bénéficié des régimes d’aides examinés dans sa décision 2003/193/CE, du 5 juin 2002, relative à une aide d’État aux exonérations fiscales et prêts à des conditions préférentielles consentis par l’Italie à des entreprises de services publics dont l’actionnariat est majoritairement public (JO 2003, L 77, p. 21) (considérant 10 de la décision attaquée).

10      Dans la décision 2003/193, la Commission a déclaré que les régimes litigieux étaient incompatibles et illégaux et elle a imposé, à l’article 3, à la République italienne de récupérer les montants éventuellement versés dans le cadre de ces régimes. ACEA a introduit un recours contre cette décision devant le Tribunal (affaire T‑297/02) (considérant 11 de la décision attaquée).

11      Malgré deux rappels envoyés par la Commission aux autorités italiennes, celles-ci n’ont pas indiqué avoir recouvré les sommes dont ACEA avait bénéficié (considérant 12 de la décision attaquée).

12      La Commission a par conséquent estimé ne pas être en mesure de déterminer le montant de l’aide qu’ACEA avait déjà reçue, ni d’évaluer l’effet cumulé de celle-ci et de la mesure en cause pas plus que leur incidence probable sur le marché commun (considérants 13 et 14 de la décision attaquée).

13      Concernant l’existence d’une aide d’État, la Commission considère que la mesure en cause est financée par des fonds provenant du budget du gouvernement régional. Par ailleurs, selon la Commission, la mesure en cause est sélective parce qu’elle n’avantage qu’une seule entreprise, ACEA, puis la requérante. S’agissant de l’incidence sur les échanges, la Commission souligne que cette condition est également remplie, car, d’une part, la chaleur fournie par le générateur de chauffage urbain remplace celle des petites chaudières alimentées par d’autres sources d’énergie qui font l’objet d’échanges entre les États membres et, d’autre part, ACEA et Electrabel sont des entreprises actives dans de nombreux secteurs de l’énergie pour lesquels un commerce intracommunautaire existe. Enfin, la Commission estime que la mesure en cause fausse la concurrence en ce qu’elle favorise une entreprise dont la position peut s’en trouver renforcée sur le marché mondial de l’énergie, générant ainsi une modification des conditions de marché. Elle en conclut que les quatre conditions permettant de considérer que la mesure en cause constitue une aide d’État sont remplies (considérants 34 à 41 de la décision attaquée).

14      Compte tenu de l’analyse qu’elle effectue aux considérants 42 à 47 de la décision attaquée, la Commission estime pouvoir déclarer la mesure en cause compatible avec le marché commun. La Commission reconnaît notamment que la mesure en cause est destinée à poursuivre des objectifs environnementaux.

15      La Commission consacre ensuite les considérants 50 à 60 de la décision attaquée à l’identité du bénéficiaire. Elle affirme d’abord ne pas avoir été informée du fait que le bénéficiaire de la mesure en cause était devenu la requérante avant sa décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE. Puis, tout en admettant qu’il s’agit d’entreprises formellement distinctes, elle déduit de différents éléments qu’ACEA et la requérante doivent être considérées comme une seule unité économique et que, malgré la réorganisation interne, ce même groupe, ACEA incluse, doit être réputé comme étant le bénéficiaire de la mesure en cause.

16      Aux considérants 61 à 78 de la décision attaquée, la Commission analyse la jurisprudence Deggendorf, point 8 supra, et son application au cas d’espèce. Selon elle, cette jurisprudence permet de suspendre le versement de l’aide compatible tant que l’aide antérieure illégale et incompatible n’a pas été restituée. Or, d’une part, l’aide versée à ACEA dont la récupération a été ordonnée par la décision 2003/193 n’a pas été récupérée. D’autre part, la requérante faisant partie du groupe ACEA, le bénéficiaire de la mesure en cause est fondamentalement le même.

17      En conclusion, la Commission déclare la mesure en cause compatible avec le marché commun, mais suspend le versement de l’aide à la requérante jusqu’à ce que la République italienne produise la preuve que l’aide déclarée illégale et incompatible dans la décision 2003/193 a été restituée par ACEA, en application de la jurisprudence Deggendorf, point 8 supra (considérants 82 et 83 et article 1er, paragraphe 2, du dispositif de la décision attaquée).

 Procédure et conclusions des parties

18      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 3 août 2005, la requérante a introduit le présent recours.

19      Le 6 décembre 2005, Electrabel a demandé à intervenir à l’appui des conclusions de la requérante. Par ordonnance du 7 avril 2006, le président de la cinquième chambre a admis cette intervention.

20      Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, la requérante a été invitée par le Tribunal à produire un document, à répondre à différentes questions et à donner son avis sur une éventuelle suspension de la procédure dans l’attente d’une décision mettant fin à l’instance dans l’affaire T‑297/02. La requérante a répondu au Tribunal par courrier du 7 juin 2007, auquel elle a joint le document demandé. Dans cette lettre, tout en admettant les liens entre cette affaire et la présente procédure et en s’en remettant à la sagesse du Tribunal, la requérante a avancé que la décision attaquée devait être annulée indépendamment de l’issue de l’affaire T‑297/02 et que la suspension n’était pas opportune. La requérante a aussi signalé au Tribunal que, à sa connaissance, ACEA avait récemment restitué l’aide ayant fait l’objet de la décision 2003/193.

21      Également invitée par le Tribunal à présenter ses observations sur une éventuelle suspension de la présente procédure, la Commission a, dans son courrier du 8 juin 2007, fait valoir que le premier moyen en l’espèce était totalement étranger à l’objet du litige dans l’affaire T‑297/02 et que les questions examinées en l’espèce revêtaient une importance de principe. La Commission s’en est remise à l’appréciation du Tribunal quant à l’opportunité de suspendre la présente procédure.

22      À la suite de cet échange, le Tribunal a, le 24 juillet 2007, demandé aux parties et à la République italienne de lui fournir, si elles en disposaient, une preuve matérielle d’une éventuelle restitution de l’aide par ACEA et, dans l’affirmative, de présenter leurs observations sur les conclusions qu’il convenait d’en tirer pour la présente procédure.

23      Par courrier du 21 août 2007, la Commission a répondu que, à sa connaissance, ACEA avait récemment remboursé certains montants, mais qu’elle ne pouvait pas confirmer que ce remboursement correspondait à une exécution correcte de la décision 2003/193. Elle se réservait donc le droit de poursuivre l’examen des informations fournies par les autorités italiennes et de demander un complément d’informations.

24      Par courrier du 7 septembre 2007, la République italienne a confirmé qu’ACEA avait remboursé un montant de 1 511 135,88 euros au titre de l’année 1998 et un montant de 1 534 938,78 euros au titre de l’année 1999.

25      La requérante a, pour sa part, confirmé, par courrier du 10 septembre 2007, qu’elle ne disposait d’aucune preuve écrite attestant la restitution par ACEA de l’aide visée par la décision 2003/193.

26      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée à compter de la nouvelle année judiciaire, le juge rapporteur a été affecté à la première chambre, à laquelle la présente affaire a par conséquent été attribuée.

27       Le 11 décembre 2007, la requérante a envoyé au Tribunal une copie d’une lettre qu’elle avait adressée le même jour à la Commission. Dans cette lettre, qui a été versée au dossier par décision du président de la première chambre, la requérante se fondait sur la réponse des autorités italiennes pour affirmer qu’ACEA avait intégralement remboursé l’aide visée par la décision 2003/193. Elle estimait donc que la condition suspensive prévue par la décision attaquée s’était réalisée et invitait la Commission à le confirmer aux autorités italiennes de façon à permettre le versement rapide de l’aide visée par la décision attaquée.

28      Invitée par le Tribunal à formuler ses observations sur ce document déposé par la requérante, la Commission a, par courrier du 14 février 2008, indiqué une nouvelle fois que les montants remboursés par ACEA représentaient un pourcentage très réduit des montants à restituer au titre de la décision 2003/193 tels que calculés par ACEA dans son bilan pour l’année 2004. La Commission soulignait que la condition suspensive dont dépend le versement de l’aide en l’espèce ne pouvait donc pas être considérée comme réalisée.

29      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l’audience du 2 décembre 2008.

30      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée en ce que la Commission qualifie d’aide d’État la mesure en cause et suspend le versement de l’aide jusqu’à ce que la République italienne ait fourni la preuve de la restitution par ACEA de l’aide déclarée illégale et incompatible par la décision 2003/193 ;

–        condamner la Commission aux dépens.

31      L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de faire droit aux conclusions de la requérante et de condamner la Commission aux dépens, y compris ceux liés à son intervention.

32      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante et l’intervenante aux dépens.

 En droit

33      La requérante soulève trois moyens à l’appui de son recours. Le premier est tiré en substance d’une violation de l’article 87, paragraphe 1, CE ainsi que de différents vices dans la motivation et l’instruction quant à la qualification d’aide d’État. Le deuxième moyen est pris d’une violation de l’article 88 CE et du règlement (CE) nº 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88] CE (JO L 83, p. 1), ainsi que d’erreurs de droit et du caractère insuffisant et contradictoire de la motivation quant à l’identité du destinataire de l’aide. Le troisième moyen est tiré de l’illégalité de la suspension du versement de l’aide et de l’absence de pertinence du renvoi à la jurisprudence Deggendorf, point 8 supra.

1.     Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 87, paragraphe 1, CE, de l’absence, de l’insuffisance et du caractère contradictoire de la motivation de la décision attaquée ainsi que de l’insuffisance de l’instruction relative à la qualification de la mesure en cause d’aide d’État

 Arguments des parties

34      Selon la requérante, soutenue par Electrabel bien que celle-ci n’ait pas avancé d’argumentation spécifique à cet égard, la Commission a qualifié à tort la mesure en cause d’aide d’État. En effet, la mesure en cause ne serait pas susceptible de fausser la concurrence et n’affecterait pas les échanges intracommunautaires.

35      Le produit visé, à savoir la chaleur générée par la production combinée de chaleur et d’électricité et distribuée à travers un réseau centralisé pour l’ensemble du quartier, ne serait pas concurrentiel. Il s’agirait d’un produit unique dont il n’existerait aucun produit de substitution, contrairement à ce qu’aurait retenu la Commission dans la décision attaquée.

36      De plus, la requérante souligne que la chaleur produite par le réseau de chauffage urbain ne peut pas, de par sa nature, faire l’objet d’échanges intracommunautaires. Dans la mesure où la chaleur ne serait produite et livrée que dans un certain périmètre déterminé du territoire italien, il ne saurait y avoir d’autres clients ni d’autre fournisseur du produit que ceux de la zone desservie par l’installation en cause. Dès lors que la mesure en cause ne dépasserait pas le niveau local, elle ne saurait avoir d’impact sur le commerce intracommunautaire. Au reste, le marché des réseaux de chauffage urbain aurait toujours été considéré comme un marché à part par l’autorité italienne de la concurrence. Dans des cas semblables, la Commission aurait toujours considéré que les mesures concernées ne sont pas susceptibles d’affecter les échanges intracommunautaires et ne peuvent, partant, être qualifiées d’aides d’État.

37      Enfin, selon la requérante, les sommes destinées au financement du réseau de chauffage urbain sont liées à ce projet et ne peuvent être affectées à des activités exercées sur d’autres marchés. La Commission n’ayant pas démontré le contraire, elle ne saurait affirmer que l’incidence sur les échanges découle en tout état de cause du fait que la requérante serait active sur d’autres marchés de portée supranationale, comme la génération d’énergie électrique. La requérante ajoute que le financement du réseau de chauffage urbain ne saurait en aucune façon constituer une réduction des coûts pouvant être répercutée sur d’autres marchés, car, à défaut d’un tel financement, le projet ne serait plus économiquement viable.

38      Dans son mémoire en réplique, la requérante précise qu’elle n’a jamais prétendu que la mesure en cause ne produirait pas d’effets sur les échanges parce que le bénéficiaire n’effectue pas d’exportations. Elle ajoute que, s’il est vrai que, pour qu’il y ait une incidence sur les échanges, il n’est pas nécessaire qu’une entreprise exporte ses produits vers d’autres pays de la Communauté, il est également vrai que l’entreprise concernée doit néanmoins être en concurrence avec des entreprises opérant dans d’autres États membres et dont les produits font ou peuvent faire l’objet d’exportations vers le territoire de l’État membre qui verse les aides.

39      Par ailleurs, la requérante affirme qu’il est de jurisprudence constante que la Commission est tenue d’établir les circonstances sur lesquelles elle se fonde pour considérer qu’une mesure est susceptible d’affecter les échanges communautaires et la concurrence. Or, elle n’aurait pas fourni le moindre élément en ce sens.

40      La Commission conteste les arguments de la requérante.

 Appréciation du Tribunal

 Sur les vices de la motivation de la décision attaquée et de l’instruction

41      La requérante invoque l’absence, l’insuffisance et le caractère contradictoire de la motivation de la décision attaquée ainsi que l’insuffisance de l’instruction relative à la qualification de la mesure en cause d’aide d’État.

42      En premier lieu, s’agissant du grief tiré de l’absence et de l’insuffisance de la motivation de la décision attaquée, il y a lieu de relever tout d’abord que l’obligation de motivation constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celle-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux. La motivation exigée par l’article 253 CE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (arrêts de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, points 63 et 67, et du 7 mars 2002, Italie/Commission, C‑310/99, Rec. p. I‑2289, point 48).

43      Appliquée à la qualification d’une mesure d’aide, l’exigence de motivation suppose que soient indiquées les raisons pour lesquelles la Commission considère que la mesure d’aide en cause entre dans le champ d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE (arrêts du Tribunal du 30 avril 1998, Vlaams Gewest/Commission, T‑214/95, Rec. p. II‑717, point 64, et Cityflyer Express/Commission, T‑16/96, Rec. p. II‑757, point 66).

44      Ainsi, même s’il peut ressortir, dans certains cas, des circonstances mêmes dans lesquelles l’aide a été accordée qu’elle est de nature à affecter les échanges entre États membres et à fausser ou à menacer de fausser la concurrence, il incombe, à tout le moins, à la Commission d’évoquer ces circonstances dans les motifs de sa décision (voir arrêt de la Cour du 24 octobre 1996, Allemagne e.a./Commission, C‑329/93, C‑62/95 et C‑63/95, Rec. p. I‑5151, point 52).

45      Une motivation générale, fondée sur le rappel des principes issus de la jurisprudence et sur le fait que des effets sur les échanges ou sur la concurrence ne sauraient être exclus, ne peut, à elle seule, être considérée comme répondant aux exigences de l’article 253 CE. La décision de la Commission doit contenir des éléments, concrets et spécifiques aux circonstances de l’espèce, permettant de comprendre en quoi les aides litigieuses sont susceptibles d’avoir de tels effets (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 21 mars 1990, Belgique/Commission, C‑142/87, Rec. p. I‑959, points 36 à 40).

46      À la lumière de la jurisprudence précitée, il ne saurait être considéré que la décision attaquée est dépourvue de motivation. En effet, ainsi qu’il a été exposé au point 13 ci-dessus, la Commission a, dans la décision attaquée, qualifié la mesure en cause d’aide d’État après avoir vérifié que les quatre conditions permettant de conclure à l’existence d’une aide étaient toutes remplies.

47      S’agissant plus précisément de l’incidence sur les échanges, la Commission y consacre les considérants 37 à 39 de la décision attaquée. Le considérant 39 est ainsi libellé :

« Le chauffage urbain a pour objectif de remplacer le chauffage individuel des habitations d’un quartier entier. En d’autres termes, la chaleur fournie par le générateur de chauffage urbain remplace celle des petites chaudières, lesquelles sont alimentées par d’autres sources d’énergie, telles que le pétrole, le gaz ou l’électricité, qui font l’objet d’échanges entre les États membres. Il y a là un effet de substitution qui établit l’influence du projet examiné sur les échanges. En tous les cas, tant ACEA qu’Electrabel sont des entreprises actives dans de nombreux secteurs, en particulier ceux de l’énergie et de la production d’électricité, pour lesquels un commerce intracommunautaire existe. La troisième condition à l’existence d’une aide est observée. »

48      Concernant l’effet sur la concurrence, le considérant 40 de la décision attaquée expose :

« Enfin, la mesure fausse la concurrence, en ce qu’elle favorise une entreprise, dont la position peut s’en trouver renforcée sur le marché mondial de l’énergie, générant ainsi une modification des conditions de marché. L’incidence sur les échanges et les distorsions de la concurrence engendrées par cette mesure s’en trouvent dès lors confirmées et compatibles avec les conclusions de la Commission dans d’autres cas. »

49      Force est dès lors de constater que, conformément à la jurisprudence évoquée ci-dessus, la Commission a exposé dans la décision attaquée des éléments concrets et spécifiques aux circonstances de l’espèce qui établissent, selon elle, les effets de la mesure en cause sur les échanges et sur la concurrence. Elle invoque notamment l’effet de substitution de la chaleur fournie dans le réseau de chauffage urbain par rapport aux autres sources d’énergie ainsi que la présence de la requérante sur le marché mondial de l’énergie à travers ACEA et Electrabel, les deux groupes dont elle dépend.

50      Au reste, il ressort de la requête que la requérante a bien compris la motivation figurant dans la décision attaquée et qu’elle a été en mesure d’assurer sa défense. Voir à cet égard les points 35 et 37 ci-dessus.

51      Or, s’agissant de l’obligation de motivation en la matière, il convient de préciser qu’il suffit que la Commission établisse que les aides litigieuses sont de nature à affecter les échanges entre les États membres et menacent de fausser la concurrence, sans qu’il soit nécessaire de délimiter le marché en cause (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 15 juin 2000, Alzetta e.a./Commission, T‑298/97, T‑312/97, T‑313/97, T‑315/97, T‑600/97 à T‑607/97, T‑1/98, T‑3/98 à T‑6/98 et T‑23/98, Rec. p. II‑2319, point 95). De même, si la Commission a correctement exposé en quoi les aides litigieuses étaient susceptibles d’avoir de tels effets, il ne lui incombe pas de procéder à une analyse économique de la situation réelle du marché concerné, de la part de marché des entreprises bénéficiaires des aides, de la position des entreprises concurrentes et des courants d’échanges en cause entre États membres (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 29 septembre 2000, CETM/Commission, T‑55/99, Rec. p. II‑3207, point 102).

52       Enfin, il convient de souligner que, dans son appréciation tant des aides existantes que des aides nouvelles devant être notifiées ou des aides qu’elle estime illégalement accordées, en violation de l’obligation de notification de l’article 88, paragraphe 3, CE, la Commission n’est pas tenue de démontrer leur effet réel (arrêt CETM/Commission, point 51 supra, point 103).

53      Il suffit donc que la Commission ait correctement exposé en quoi la mesure en cause est susceptible d’affecter les échanges entre les États membres. Or, il ressort des points 47 à 49 ci-dessus que la Commission a fourni dans la décision de tels éléments concrets et spécifiques aux circonstances de l’espèce. Compte tenu du fait qu’elle n’est pas uniquement générale mais permet de comprendre en l’espèce en quoi la mesure en cause est susceptible d’avoir des effets sur les échanges et sur la concurrence, la motivation de la décision attaquée doit être jugée suffisante. Contrairement à ce qu’affirme la requérante, la Commission n’est pas tenue de fournir des données précises prouvant l’incidence de la mesure en cause sur la concurrence.

54      Partant, il y a lieu de constater que les indications relatives à l’affectation du commerce et à une distorsion de concurrence dans la décision attaquée permettent à la requérante et au juge de connaître les raisons pour lesquelles la Commission a considéré que la mesure en cause constituait une aide d’État.

55      En second lieu, concernant les griefs invoqués dans l’intitulé de ce premier moyen selon lesquels la motivation de la décision attaquée serait contradictoire et l’instruction aurait été insuffisante, force est de constater que la requête ne contient aucune argumentation à cet égard. Or, la seule mention de ces griefs dans l’intitulé de ce moyen ne saurait permettre au Tribunal de se prononcer.

56      En effet, il y a lieu de rappeler que, selon l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal, la requête introductive d’instance doit contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. Cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans autre information à l’appui. La requête doit, de ce fait, expliciter en quoi consiste le moyen sur lequel le recours est fondé, de sorte que sa seule énonciation abstraite ne répond pas aux exigences du règlement de procédure (arrêt du Tribunal du 12 janvier 1995, Viho/Commission, T‑102/92, Rec. p. II‑17, point 68). Des exigences analogues sont requises lorsqu’un grief est invoqué au soutien d’un moyen (arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Mo och Domsjö/Commission, T‑352/94, Rec. p. II‑1989, point 333).

57      Il y a, dès lors, lieu de déclarer en partie irrecevable et en partie non fondé le premier moyen en ce qu’il est tiré de l’absence, de l’insuffisance et du caractère contradictoire de la motivation de la décision attaquée ainsi que de l’insuffisance de l’instruction.

 Sur la violation de l’article 87, paragraphe 1, CE

58      La requérante conteste la qualification de la mesure en cause d’aide d’État en ce que, selon elle, ladite mesure n’est pas susceptible d’affecter la concurrence et, en tout état de cause, ne porte aucun préjudice au commerce intracommunautaire.

59      À cet égard, il y a lieu de relever qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour que, lorsqu’une aide accordée par l’État renforce la position d’une entreprise par rapport à d’autres entreprises concurrentes dans les échanges communautaires, ces derniers doivent être considérés comme influencés par l’aide. À cet effet, il n’est pas nécessaire que l’entreprise bénéficiaire participe elle-même aux exportations. En effet, lorsqu’un État membre octroie une aide à une entreprise, la production intérieure peut s’en trouver maintenue ou augmentée, avec cette conséquence que les chances des entreprises établies dans d’autres États membres d’exporter leurs produits vers le marché de cet État membre en sont diminuées (arrêt de la Cour du 14 septembre 1994, Espagne/Commission, C‑278/92 à C‑280/92, Rec. p. I‑4103, point 40).

60      De même, lorsqu’un État membre octroie des aides à des entreprises opérant dans les secteurs des services et de la distribution, il n’est pas nécessaire que les entreprises bénéficiaires exercent elles-mêmes leurs activités en dehors dudit État membre pour que les aides influent sur les échanges communautaires, spécialement lorsqu’il s’agit d’entreprises implantées près des frontières entre deux États membres (arrêt du 7 mars 2002, Italie/Commission, point 42 supra, point 85).

61      La condition selon laquelle l’aide doit être de nature à affecter les échanges entre les États membres ne dépend pas de la nature locale ou régionale des services fournis ou de l’importance du domaine d’activité (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, C‑280/00, Rec. p. I‑7747, point 82).

62      Dès lors, comme la requérante l’admet au reste elle-même dans son mémoire en réplique, le fait qu’elle n’effectue pas d’exportations ne saurait impliquer en soi que la mesure en cause ne produit pas d’effets sur les échanges. Le caractère local du réseau de chauffage urbain concerné n’exclut pas davantage en soi une éventuelle affectation des échanges entre les États membres.

63      Cependant, la requérante fait valoir que, pour que cette condition soit remplie, l’entreprise bénéficiaire doit être en concurrence avec des entreprises opérant dans d’autres États membres et dont les produits peuvent faire l’objet d’exportations. Or, selon elle, la chaleur produite par le réseau de chauffage urbain ne peut pas, de par sa nature, faire l’objet d’importations ou d’exportations.

64      À cet égard, il ressort du considérant 5 de la décision attaquée que le projet consiste en un réseau de chauffage urbain qui sera alimenté en énergie par une centrale de cogénération, partiellement modernisée et convertie, et qui fournira du chauffage à un nouveau quartier. Par ailleurs, le considérant 39 de la décision attaquée (voir point 47 ci-dessus) précise que le chauffage urbain a pour objectif de remplacer le chauffage individuel des habitations d’un quartier produit par d’autres sources d’énergie, qui font l’objet d’échanges entre les États membres.

65      D’une part, force est de constater que ce réseau de chauffage urbain n’est, en lui-même, pas producteur de chaleur, mais qu’il est alimenté en énergie par une centrale de cogénération. Quand bien même cette chaleur serait, comme le prétend la requérante, récupérée lors du refroidissement de la centrale et produite à coût zéro, elle n’en constitue pas moins un sous-produit de la centrale, laquelle est elle-même alimentée par une source d’énergie qui fait l’objet d’échanges entre les États membres.

66      D’autre part, contrairement à ce qu’affirme la requérante, la chaleur ainsi produite et qui circule dans le réseau de chauffage urbain constitue pour l’utilisateur final un mode de chauffage au même titre que celle produite par d’autres sources d’énergie primaires ou secondaires et utilisant d’autres types d’installations.

67      C’est, dès lors, à tort que la requérante affirme que la mesure en cause est destinée à la réalisation d’un produit qui n’est aucunement concurrentiel avec d’autres produits. Comme l’expose la Commission au considérant 39 de la décision attaquée, il existe un effet de substitution qui établit l’influence de la mesure en cause sur les échanges. La production de chaleur à partir de centrales de cogénération s’inscrit dans le marché de l’énergie sur lequel la concurrence est vive.

68      Or, la requérante se présente comme exerçant l’activité de génération d’énergie électrique. Dans cette activité de production d’énergie – en particulier électrique – qui est la sienne, la requérante ne saurait prétendre qu’elle n’est pas en concurrence avec des entreprises d’autres États membres et qu’il n’y pas d’échanges entre les États membres.

69      Il convient de rappeler en effet notamment que le marché intérieur de l’électricité [directive 2003/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2003, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 96/92/CE (JO L 176, p. 37)] et celui du gaz [directive 2003/55/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2003, concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 98/30/CE (JO L 176, p. 57)] sont en cours de réalisation. L’ouverture du marché intérieur dans ces secteurs devait être réalisée le 1er juillet 2004 pour les entreprises et devait être totalement achevée le 1er juillet 2007.

70      À cet égard, la circonstance qu’un secteur économique a fait l’objet d’une libéralisation au niveau communautaire est de nature à caractériser une incidence réelle ou potentielle des aides sur la concurrence ainsi que leur effet sur les échanges entre États membres (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 13 février 2003, Espagne/Commission, C‑409/00, Rec. p. I‑1487, point 75, et du 15 décembre 2005, Italie/Commission, C‑66/02, Rec. p. I‑10901, point 116).

71      Certes, la mesure en cause ne concerne in fine que le réseau de chauffage urbain local. Toutefois, le secteur concerné est celui de l’énergie, à l’intérieur duquel la mesure en cause renforce la position de la requérante par rapport aux autres entreprises concurrentes dans les échanges intracommunautaires d’énergie.

72      La Commission n’a dès lors pas violé l’article 87, paragraphe 1, CE en qualifiant la mesure en cause d’aide d’État.

73      Sur la base de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a donc lieu de rejeter le premier moyen.

2.     Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 88 CE et du règlement n° 659/1999 ainsi que d’erreurs de droit et du caractère insuffisant et contradictoire de la motivation quant à l’identité du destinataire de l’aide

 Arguments des parties

74      La requérante, soutenue par Electrabel, invoque le caractère erroné, insuffisant et contradictoire de la motivation de la décision attaquée relative à l’identité du bénéficiaire de l’aide.

75      L’affirmation de la Commission selon laquelle elle n’aurait pas été informée du fait que le bénéficiaire de l’aide était devenu la requérante serait manifestement dénuée de pertinence. La Commission aurait en réalité eu connaissance de cette circonstance à un moment où elle aurait pu en tenir compte et modifier ses appréciations en conséquence.

76      La conception de la Commission consistant à considérer les deux entreprises, la requérante et ACEA, comme une seule entité économique serait uniquement fondée sur le fait qu’ACEA aurait admis détenir le contrôle de la requérante, laquelle serait consolidée avec ACEA dans le bilan de cette dernière. La requérante ne conteste pas qu’elle est contrôlée par le groupe ACEA, mais qu’elle appartient à ce groupe, ce qui est, selon elle, très différent.

77      La requérante souligne, à cet égard, le caractère inexplicable de l’affirmation de la Commission niant toute importance au fait qu’ACEA exerce le contrôle sur la requérante conjointement avec Electrabel, entité totalement distincte d’ACEA.

78      Le raisonnement de la Commission serait erroné dès sa prémisse. En effet, ACEA ne pourrait influer sur la gestion de la requérante qu’en vertu d’un accord entre actionnaires de la joint‑venture lui permettant d’exercer un contrôle conjoint. En revanche, Electrabel détiendrait, directement ou indirectement, pas moins de 70 % du capital de la requérante. Cette participation serait consolidée dans son bilan. Dès lors, en appliquant le critère de la consolidation, auquel recourt la Commission, la requérante devrait être considérée comme appartenant au groupe Electrabel et non au groupe ACEA. ACEA affirmerait d’ailleurs expressément exercer le contrôle sur la requérante conjointement avec Electrabel.

79      Par ailleurs, la requérante ajoute que la conclusion de la Commission selon laquelle elle ferait partie du groupe ACEA est incohérente par rapport aux critères d’application des règles de concurrence.

80      Selon la notion de groupe généralement employée en droit de la concurrence, les entreprises soumises au contrôle conjoint de deux entreprises distinctes ne seraient en principe pas réputées appartenir à la même entité économique que les sociétés mères.

81      La requérante fait valoir que, en vertu des règles en matière de concentration, elle n’est pas contrôlée par ACEA, pas plus que par Electrabel d’ailleurs.

82      D’une manière analogue, dans le cadre des rapports entre la société mère et la joint‑venture contrôlée par elle, l’interdiction des accords anticoncurrentiels ne s’appliquerait pas seulement si le contrôle conjoint est exercé avec d’autres sociétés du groupe, la joint‑venture n’ayant dans ce cas aucun pouvoir décisionnel propre. Dans sa décision 91/335/CEE, du 15 mai 1991, relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CEE (IV/32.186 – Gosme/Martell-DMP) (JO L 185, p. 23, point 30), la Commission aurait expressément affirmé qu’une société contrôlée à 50 % ne constituait pas une entité économique unique avec l’une des sociétés mères dans la mesure où elle était soumise au contrôle de plus d’une entreprise.

83      La requérante ajoute que, dans le cadre des règlements d’exemption par catégorie, seules les entreprises contrôlées par des sociétés déjà liées entre elles par des rapports de contrôle interne sont considérées comme appartenant au même groupe.

84      En application de ces principes, la requérante affirme qu’elle ne serait pas considérée comme faisant partie du groupe ACEA si elle était partie à une concentration revêtant une dimension communautaire et ne serait pas exonérée de l’interdiction prévue par l’article 81 CE si elle concluait un accord anticoncurrentiel avec ACEA.

85      En tout état de cause, la requérante fait valoir que son activité concrète est déterminée principalement par Electrabel, qui joue un rôle décisif dans la gestion quotidienne de son activité même si elle ne peut pas déterminer seule son orientation stratégique.

86      Selon la requérante, les précédents cités par la Commission dans la décision attaquée n’apportent aucun soutien à sa thèse, car ils concernent des entreprises contrôlées par une seule personne.

87      Enfin, la requérante, soutenue par Electrabel, allègue que l’insinuation selon laquelle elle a été constituée par ACEA en vue de contourner l’obligation de restitution d’aides antérieures est peu respectueuse pour les entreprises concernées et tout à fait invraisemblable. Une telle hypothèse supposerait en effet la connivence d’un groupe de la taille d’Electrabel, ce qui serait manifestement absurde.

88      La joint‑venture entre ACEA et Electrabel serait un projet économique de grande envergure constituant le moyen pour Electrabel de s’affirmer en tant qu’opérateur majeur sur le marché de l’électricité en Italie tout en nécessitant de sa part l’investissement de ressources très importantes. De même, ACEA aurait renoncé à un statut d’opérateur indépendant sur le marché de l’énergie au profit d’un projet commun avec un opérateur européen majeur. Face à un projet global d’une telle envergure et aussi ambitieux, il ne saurait être soutenu qu’il s’agit d’une simple réorganisation interne. De plus, la création de la joint‑venture aurait été décidée bien avant l’ouverture par la Commission de la procédure en cause et cette opération ne permettrait pas d’éviter la récupération auprès d’ACEA de l’aide déclarée illégale par la décision 2003/193.

89      La requérante souligne également que, du point de vue économique, les conséquences négatives de la décision attaquée affectent principalement Electrabel en tant qu’actionnaire majoritaire, alors que cette dernière n’est pas concernée par la procédure précédente et n’a bénéficié en aucune manière des prétendues aides visées par la décision 2003/193.

90      La Commission n’expliquerait pas pourquoi la requérante aurait conservé l’avantage concurrentiel provenant des prétendues aides d’État en faveur d’ACEA ni pourquoi l’apport de la branche d’entreprise à la requérante n’aurait pas été animé par une logique commerciale ou de marché.

91      Selon Electrabel, la Commission conclut que la requérante et ACEA sont une entité économique unique exclusivement à partir de l’idée que la création de la requérante par Electrabel et ACEA est destinée à contourner les conséquences de la décision 2003/193. La Commission ne motiverait pas ses soupçons par une série d’éléments précis et concordants. Elle présupposerait simplement que la requérante appartient au groupe ACEA. Or, le poids d’Electrabel serait supérieur à celui d’ACEA, puisqu’elle détiendrait 70 % des actifs de la requérante. La décision attaquée ne contiendrait aucune évaluation de la nature des rapports entre la requérante et Electrabel.

92      Par ailleurs, Electrabel fait valoir que la Commission ne respecte pas les règles qui doivent conduire à l’identification exacte du bénéficiaire effectif d’une aide et de la personne tenue de rembourser une aide illégale. L’appartenance à un groupe ne serait jamais la circonstance déterminante pour identifier le destinataire de l’ordre de récupération. Ce serait, selon la jurisprudence, la jouissance effective des aides concernées, dont la Commission devrait apporter la preuve. Le groupe ne pourrait être considéré comme le bénéficiaire de l’aide que dans des cas particuliers, justifiés par l’existence d’une série de circonstances spécifiques, dont la poursuite d’activités économiques identiques ou parallèles, la présence sur le même marché, le contrôle par la même personne et l’absence d’autonomie des différentes sociétés du groupe.

93      La Commission conclut d’abord à l’irrecevabilité de ce moyen en ce qu’il vise la violation de l’article 88 CE et du règlement n° 659/1999. Elle fait valoir que, la requête ne contenant aucun argument à cet égard, elle est dans l’impossibilité de se défendre et que le Tribunal ne peut pas se prononcer à cet égard.

94      La Commission conteste ensuite le bien-fondé de l’argumentation de la requérante et d’Electrabel.

 Appréciation du Tribunal

 Sur le deuxième moyen en ce qu’il est tiré de la violation de l’article 88 CE et du règlement n° 659/1999

95      Force est de constater que, comme l’affirme la Commission, la requête ne contient aucun argument ayant trait à la violation de l’article 88 CE ou du règlement n° 659/1999.

96      Or, il y a lieu de rappeler que, selon l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, la requête doit contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. Cela signifie que la requête doit expliciter en quoi consiste le moyen sur lequel le recours est fondé, de sorte que sa seule énonciation abstraite ne répond pas aux exigences du règlement de procédure (arrêt Mo och Domsjö/Commission, point 56 supra, point 333).

97      Dès lors, la seule référence à une violation de l’article 88 CE et du règlement n° 659/1999, telle qu’elle se trouve dans la requête, en l’absence d’allégations précises à cet égard, ne saurait être considérée comme suffisante.

98      En tout état de cause, même en voulant tenir compte des précisions apportées par la requérante à cet égard dans son mémoire en réplique, celles-ci ne permettent pas de comprendre le grief soulevé.

99      En effet, la requérante y expose qu’il est « incontestable que l’acte attaqué n’est pas conforme aux principes constants en matière de recouvrement des aides d’État ». Or, d’une part, ni la présente affaire ni le présent moyen ne portent en tant que tels sur la récupération des aides d’État. D’autre part, cette affirmation n’est nullement étayée. La requérante se contente de considérations très générales et en partie relatives au troisième moyen.

100    Il convient donc de déclarer irrecevable ce moyen en ce qu’il est tiré de la violation de l’article 88 CE et du règlement n° 659/1999.

 Sur le deuxième moyen en ce qu’il est tiré d’erreurs de droit, de l’insuffisance et du caractère contradictoire de la motivation quant à l’identité du destinataire de l’aide

101    À titre liminaire, il convient de rappeler que, lorsque des personnes physiques ou morales juridiquement distinctes constituent une unité économique, il y a lieu de les traiter comme une seule entreprise au regard de l’application des règles de concurrence communautaires. Dans le domaine des aides d’État, la question de savoir s’il existe une unité économique se pose notamment lorsqu’il s’agit d’identifier le bénéficiaire d’une aide (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 14 novembre 1984, Intermills/Commission, 323/82, Rec. p. 3809, points 11 et 12). À cet égard, il a été jugé que la Commission dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour déterminer si des sociétés faisant partie d’un groupe doivent être considérées comme une unité économique ou bien comme juridiquement et financièrement autonomes aux fins de l’application du régime des aides d’État (arrêt du Tribunal du 29 juin 2000, DSG/Commission, T‑234/95, Rec. p. II‑2603, point 124 ; voir également, en ce sens, arrêt du Tribunal du 25 juin 1998, British Airways e.a./Commission, T‑371/94 et T‑394/94, Rec. p. II‑2405, points 313 et 314).

102    Ce pouvoir d’appréciation de la Commission implique la prise en considération et l’appréciation de faits et de circonstances économiques complexes. Le juge communautaire ne pouvant substituer son appréciation des faits, notamment sur le plan économique, à celle de l’auteur de la décision, le contrôle du Tribunal doit, à cet égard, se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits ainsi que de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation et de détournement de pouvoir (arrêt du Tribunal du 14 octobre 2004, Pollmeier Malchow/Commission, T‑137/02, Rec. p. II‑3541, point 52).

103    Concernant le bénéficiaire de la mesure en cause, il ressort du considérant 8 de la décision attaquée (voir point 7 ci-dessus) qu’il s’agissait à l’origine d’ACEA. Cependant, à la suite d’une série de réorganisations, la requérante en est désormais devenue la bénéficiaire.

104    Il en résulte que la Commission a pris acte du changement de bénéficiaire de la mesure en cause, dont elle a été informée par courrier du 23 juillet 2003 de la République italienne lui transmettant une lettre de la région du Latium du 21 juillet 2003. Ce changement de bénéficiaire oblige la Commission à faire de longs développements sur l’identité du bénéficiaire (considérants 50 à 60 de la décision attaquée) et sur l’application de la jurisprudence Deggendorf, point 8 supra (considérants 61 à 78 de la décision attaquée), en raison de l’appartenance de la requérante au groupe ACEA. À cet égard, il y a lieu de remarquer que, même si le schéma figurant sous le considérant 8 de la décision attaquée est focalisé sur ACEA, la Commission n’occulte pas le fait que la requérante est détenue conjointement par Electrabel et par ACEA, mais expose que cette circonstance n’a aucune incidence (considérant 56 de la décision attaquée). Il ne saurait donc être considéré que la décision attaquée n’est pas motivée sur ce point.

105    La requérante conteste qu’elle forme avec ACEA une unité économique et que le groupe ACEA doit être réputé bénéficiaire de la mesure en cause ainsi que la motivation sur laquelle cette conclusion s’appuie.

106    La Commission fonde son raisonnement en substance sur les rapports entre ACEA et la requérante ainsi que sur le transfert de la branche d’activité en cause de l’une à l’autre. Elle évoque, par ailleurs, le risque de contournement de l’obligation des entreprises de rembourser les aides illégales.

107    En premier lieu, s’agissant des rapports entre ACEA et la requérante, il est constant que celle-ci est contrôlée à 50 % par Electrabel Italia et à 50 % par AceaElectrabel. La première est contrôlée à 100 % par Electrabel (Belgique) et la seconde à 40,59 % par Electrabel Italia et à 59,41 % par ACEA.

108    De ce schéma de participations, les parties tirent cependant des conclusions différentes. Selon la Commission, la requérante fait partie du groupe ACEA, tandis que la requérante insiste, pour sa part, sur le rôle central d’Electrabel, qui détiendrait directement ou indirectement 70 % de son capital.

109    Force est de constater que la requérante est liée à la fois au groupe Electrabel et au groupe ACEA. Certes, s’il est tenu compte des participations directes et indirectes dans la requérante, la participation d’Electrabel est plus importante. Il n’en reste pas moins qu’ACEA détient la majorité du capital d’AceaElectrabel, qui elle-même détient 50 % du capital de la requérante. Contrairement à ce qu’affirme cette dernière, ACEA n’est pas, par rapport à elle, un « simple associé minoritaire », voire un « tiers ».

110    Il convient de relever à cet égard que, dans son arrêt du 29 avril 2004, Italie/Commission (C‑91/01, Rec. p. I‑4355, points 51 à 53), la Cour a jugé qu’une entreprise pouvait être considérée comme faisant partie d’un groupe même si celui-ci ne détenait que 24 % de celle-ci. Il en résulte que l’appartenance d’une entreprise à un groupe n’est pas automatiquement liée à une participation majoritaire du groupe dans celle-ci.

111    Il ressort du considérant 56 de la décision attaquée, d’une part, qu’ACEA a explicitement affirmé avoir le contrôle de la requérante, conjointement avec Electrabel, et, d’autre part, que la requérante est citée, dans le rapport financier d’ACEA, parmi les sociétés du domaine de consolidation. Au considérant 57 de la décision attaquée, la Commission indique que le rapport financier d’ACEA du premier semestre de l’année 2004 comprend la requérante dans la liste des sociétés « sur lesquelles la société dominante exerce le contrôle conjointement avec d’autres associés et sur la base d’accords avec ceux-ci », sociétés qui sont incluses dans le domaine de consolidation d’ACEA.

112    La requérante ne conteste pas ces éléments, mais leur nie toute force probante. Elle fait valoir qu’Electrabel pourrait aussi, et à plus forte raison, affirmer la contrôler et qu’Electrabel consolide sa participation dans son capital à hauteur de 70 %.

113    À cet égard, le contrôle conjoint de la requérante par ACEA et Electrabel signifie qu’elles ont l’une et l’autre un pouvoir de contrôle sur la requérante. Même si la participation consolidée d’Electrabel est supérieure, ACEA n’en a pas moins un pouvoir de contrôle sur la requérante.

114    Il ressort de ces considérations que la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en prenant en compte le fait qu’ACEA contrôle la requérante, conjointement avec Electrabel. De plus, contrairement à ce qu’affirme la requérante, la décision attaquée est à cet égard suffisamment motivée et ne comporte aucune contradiction. Le raisonnement de la Commission et les éléments sur lesquels il repose ressortent en effet clairement des considérants 53 à 60 de la décision attaquée.

115    Cette conclusion n’est pas infirmée par les arguments avancés par la requérante.

116    Premièrement, le fait que la Commission se soit concentrée, dans son examen, davantage sur les liens d’ACEA et de la requérante s’explique par le fait que la première avait déjà reçu une aide d’État, de sorte que la Commission pouvait craindre les effets sur la concurrence d’un cumul d’aides d’État au sein du même groupe. La Commission n’avait pas les mêmes raisons d’examiner les liens entre la requérante et Electrabel. Elle n’a pas pour autant nié le contrôle exercé par cette dernière, conjointement avec ACEA, sur la requérante.

117    À cet égard, il convient de souligner que, contrairement à ce qu’affirme la requérante, l’objet du litige n’est pas de déterminer si « l’existence d’un contrôle conjoint est suffisante pour imputer à la société commune la responsabilité d’une aide accordée à l’une des personnes morales qui la contrôlent ». La Commission n’impute pas à la requérante la responsabilité de l’aide accordée à ACEA. Elle ne demande pas la restitution de l’aide illégale à la requérante. À l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée, elle décide de suspendre le versement de l’aide déclarée compatible jusqu’au remboursement de la première aide par ACEA.

118    Deuxièmement, le fait que la requérante soit consolidée pour une part plus importante dans le bilan d’Electrabel, parce que cette dernière ajoute à sa participation directe de 50 % dans la requérante une participation indirecte de 20,3 % par l’intermédiaire d’AceaElectrabel, ne fait pas obstacle à ce que la requérante figure aussi dans le domaine de consolidation d’ACEA, ainsi que la Commission l’affirme aux considérants 56 et 57 de la décision attaquée sans être contredite par la requérante.

119    Troisièmement, s’agissant du rôle décisif joué par Electrabel dans la gestion quotidienne de l’activité de la requérante, il convient de souligner que le fait qu’Electrabel soit représentée par huit membres sur douze au conseil d’administration de la requérante et par quatre membres sur six à son comité exécutif résulte d’accords entre associés qui ne répondent pas forcément à une stricte logique participative mais peuvent obéir à d’autres contingences. Par ailleurs, la requérante affirme elle-même que, pour les matières plus importantes, l’accord d’un des membres représentant ACEA est nécessaire. Celle-ci a donc un pouvoir de blocage. Enfin, à supposer même que le rôle joué par Electrabel dans la gestion de la requérante soit décisif à certains égards, il n’en demeure pas moins que cette dernière fait aussi partie du groupe ACEA.

120    En deuxième lieu, au considérant 58 de la décision attaquée, la Commission se réfère au transfert de la branche d’entreprise concernée, et donc du projet en cause, d’ACEA à la requérante. La Commission en déduit l’existence d’une continuité économique entre les activités exercées présentement par la requérante et précédemment par ACEA.

121    À cet égard, la requérante ne conteste pas que certaines activités d’ACEA lui ont été transférées. Elle donne certains détails de ce transfert dans sa requête. Elle conteste en revanche qu’elle puisse être considérée comme la bénéficiaire des aides visées par la décision 2003/193. Elle nie en outre que ledit transfert d’activités ait eu pour objectif de contourner les effets de l’ordre de récupération lié à la décision 2003/193.

122    Dans sa lettre du 21 juillet 2003, la région du Latium informe la Commission du fait que, à compter du 1er décembre 2002, ACEA a cédé à la requérante le secteur de production de chaleur et de vapeur, de sorte que c’est à la requérante que doit être versée l’aide notifiée par la République italienne.

123    Ce transfert de la branche d’entreprise concernée, y compris le projet en cause, suffit à établir que la requérante poursuit à cet égard l’activité précédemment exercée par ACEA et est devenue la bénéficiaire de la mesure en cause.

124    Il n’est pas pertinent à cet égard de savoir si l’apport de la branche d’entreprise en cause à la requérante a ou non été animé par une logique commerciale de marché. La constatation du transfert et l’exposé des risques qu’il comportait au regard des règles en matière d’aides d’État suffisent au raisonnement de la Commission à cet égard. Aucun défaut de motivation de la décision attaquée sur ce point ne saurait donc être constaté.

125    En troisième lieu, la Commission ajoute, au considérant 59 de la décision attaquée, un dernier élément plaidant, selon elle, pour la reconnaissance d’une unité économique entre ACEA et la requérante, à savoir le risque de contournement de la décision 2003/193. Pour conclure que, en l’espèce, il est impossible d’exclure une intention de contourner cette décision, la Commission part de deux indices. Le premier consiste dans la présence, dans l’accord d’attribution, d’une clause excluant tout litige éventuel concernant la branche transférée à la requérante (considérant 58 de la décision attaquée). Le second réside en ce que, au moment du transfert par ledit accord de la branche concernée à la requérante, la décision 2003/193 déclarant les aides fiscales incompatibles et ordonnant leur remboursement avait déjà été adoptée et ACEA l’avait contestée (considérant 59 de la décision attaquée).

126    La requérante, appuyée par Electrabel, conteste toutefois que le pacte d’actionnariat entre ACEA et Electrabel ait eu un objectif de contournement. Aucun des arguments invoqués par celles-ci ne sauraient cependant remettre en cause le raisonnement ni les conclusions de la Commission à cet égard.

127    Premièrement, le fait que la création de la requérante puisse s’inscrire dans une opération stratégique et économique de grande ampleur ne saurait en soi exclure la volonté de se prémunir contre les conséquences même indirectes d’événements antérieurs, telles l’obligation de remboursement incombant à ACEA et l’interdiction de bénéficier d’une autre aide avant celui-ci.

128    Deuxièmement, même à supposer que la clause en cause figure généralement dans ce type d’accord, elle ne vise pas moins à protéger le bénéficiaire de la branche d’entreprise contre les risques patrimoniaux pouvant résulter de faits antérieurs à la conclusion du contrat, comme l’expose au reste la requérante dans son mémoire en réplique. Cette clause pourrait donc avoir pour résultat d’écarter toute obligation pour la requérante de restituer l’aide perçue par ACEA.

129    Troisièmement, certes, la création de la requérante avait été décidée avant l’ouverture de la présente procédure. Elle est toutefois postérieure à la décision 2003/193 déclarant les aides litigieuses illégales et incompatibles et ordonnant leur remboursement. L’obligation de remboursement incombant à ACEA était donc déjà connue.

130    En conséquence, la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en concluant à l’impossibilité d’exclure une intention de contourner la décision 2003/193. Il convient de souligner à cet égard que la Commission affirme simplement que l’intention de contourner cette décision n’est pas exclue et non pas que le pacte d’actionnariat créant la requérante visait à un tel contournement. La Commission ayant, dans la décision attaquée, établi en l’espèce le risque de contournement de la décision 2003/193, il ne lui incombait pas de prouver l’objectif de contournement de ladite décision. L’existence d’indices de nature à établir un risque de contournement de la décision 2003/193 suffisait à étayer son raisonnement.

131    Il reste à vérifier si les différents éléments examinés ci-dessus autorisaient la Commission à conclure, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, qu’ACEA et la requérante devaient être considérées comme une seule unité économique.

132    Les parties sont en désaccord sur le contenu de cette notion et invoquent chacune différents arrêts et articles de la réglementation communautaire à l’appui de leur thèse.

133    Force est de constater, tout d’abord, que leur argumentation fait, dans ce cadre, référence à différentes reprises au domaine des ententes et des concentrations.

134    La requérante insiste notamment sur le fait qu’ACEA n’est pas en mesure de déterminer à elle seule sa conduite commerciale. La requérante constituerait donc un centre de direction économique autonome. Elle estime par conséquent que, en application de la jurisprudence, elle ne serait pas considérée comme formant une unité économique avec ACEA et qu’un accord anticoncurrentiel conclu avec celle-ci relèverait de l’article 81 CE.

135    Toutefois, l’article 81 CE n’est pas en cause en l’espèce et il ne saurait être recouru à la notion d’unité économique développée dans ce cadre par la jurisprudence pour écarter l’application de l’article 81, paragraphe 1, CE portant interdiction des ententes. Il n’est pas pertinent aux fins de l’espèce de savoir si l’article 81 CE pourrait ou non s’appliquer.

136    À titre surabondant, les pouvoirs exercés par Electrabel et ACEA dans les matières les plus importantes, concernant l’orientation stratégique de la requérante, n’appuient pas la thèse d’une réelle autonomie fonctionnelle de cette dernière. Même dans le cadre non pertinent de l’application de la jurisprudence en matière d’ententes, l’argumentation de la requérante n’emporte donc pas la conviction.

137    Le débat entre les parties sur l’application de différents articles du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO L 24, p. 1), n’est pas davantage pertinent. Il ne s’agit pas en l’espèce d’appliquer les critères ainsi définis par le Conseil pour déterminer les opérations soumises à ce contrôle.

138    La présente affaire ne se situant ni dans le domaine des ententes ni dans celui des concentrations, mais dans celui des aides d’État, il convient de se référer à la notion d’unité économique développée par la jurisprudence dans ce domaine.

139    À cet égard, comme cela a déjà été rappelé (voir point 101 ci-dessus), la jurisprudence a reconnu à la Commission un large pouvoir d’appréciation pour déterminer si des sociétés faisant partie d’un groupe doivent être considérées comme une unité économique.

140    Parmi les éléments pris en compte par la jurisprudence pour déterminer la présence d’une unité économique, il y a lieu de citer la participation de l’entreprise concernée à un groupe de sociétés dont le contrôle est exercé directement ou indirectement par l’une d’entre elles, la poursuite d’activités économiques identiques ou parallèles et l’absence d’autonomie économique des sociétés concernées (voir, en ce sens, arrêt Pollmeier Malchow/Commission, point 102 supra, points 68 à 70) ainsi que la formation d’un groupe unique contrôlé par une entité, malgré la constitution de trois nouvelles sociétés possédant chacune une personnalité juridique distincte (voir, en ce sens, arrêt Intermills/Commission, point 101 supra, point 11).

141    En l’espèce, d’une part, il est constant que la requérante fait notamment partie du groupe ACEA. Elle est détenue à 50 % par AceaElectrabel qui elle-même est détenue à 59,41 % par ACEA, laquelle a un pouvoir de blocage dans les matières importantes concernant l’orientation stratégique de la requérante. D’autre part, il y a eu transfert d’une branche d’entreprise d’ACEA à la requérante, qui a poursuivi cette activité.

142    Par ailleurs, l’autonomie fonctionnelle, invoquée par la requérante, n’est pas établie. En effet, d’une part, Electrabel et ACEA exercent sur la requérante un pouvoir de contrôle conjoint, ACEA pouvant bloquer les décisions importantes concernant l’orientation stratégique de cette dernière. D’autre part, la commercialisation de l’énergie produite par la requérante relève de la société AceaElectrabel Trading, détenue à 84,17 % par AceaElectrabel, laquelle dépend à 59,41 % d’ACEA.

143    Compte tenu de ces différents éléments, dont certains suffisent en eux-mêmes à étayer sa conclusion, la Commission n’a donc pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en considérant que, aux fins de l’examen de la mesure en cause, ACEA et la requérante devaient être considérées comme une seule unité économique et que le groupe ACEA devait être réputé comme étant le bénéficiaire de cette mesure.

144    De plus, contrairement à ce qu’affirme la requérante, la décision attaquée est à cet égard suffisamment motivée et ne comporte aucune contradiction. Comme le montre l’analyse effectuée ci-dessus, le raisonnement de la Commission et les éléments sur lesquels il repose ressortent en effet clairement des considérants 53 à 60 de la décision attaquée.

145    Sur la base de l’ensemble de ces considérations, le deuxième moyen doit être rejeté.

3.     Sur le troisième moyen, tiré de l’illégalité de la suspension du versement de l’aide et de l’absence de pertinence du renvoi à la jurisprudence Deggendorf

 Arguments des parties

146    La requérante, appuyée par Electrabel, conteste l’application de la jurisprudence Deggendorf, point 8 supra, en l’espèce. Les circonstances seraient en effet différentes.

147    La décision 2003/193 n’aurait pas les qualités requises pour faire naître une obligation individuelle de remboursement d’une aide d’État illégale. Elle ne viserait pas une aide individuelle mais un régime général d’aides. La Commission se bornerait donc à contester de façon abstraite le système d’exonération introduit par la République italienne au profit des entreprises de services publics à participation majoritairement publique, sans procéder à un examen au cas par cas des aides dont a bénéficié chaque entreprise. Dans la décision 2003/193, la Commission aurait reconnu que certaines situations pouvaient ne pas avoir donné lieu à une aide illégale. Elle aurait chargé la République italienne de déterminer, au moment du recouvrement, dans chaque cas précis, l’existence d’une aide, compatible ou non et dans quelle mesure.

148    Pour cette raison, le fait qu’ACEA ait bénéficié des aides litigieuses ne démontrerait nullement que, dans son cas, celles-ci constituent des aides illégales ni, le cas échéant, dans quelle mesure. La requérante affirme ne pas comprendre comment la Commission peut en même temps déclarer ne pas pouvoir déterminer le montant exact de l’aide dont ACEA a bénéficié avant la mesure en cause et en apprécier les effets sur le marché au considérant 62 de la décision attaquée. La Commission n’ayant effectué aucun examen individuel des aides, la requérante estime non fondé son constat selon lequel ni ACEA ni le gouvernement italien n’ont fourni d’éléments démontrant que les avantages perçus par ACEA dans le cadre du régime en cause ne constituaient pas une aide ou constituaient une aide existante ou compatible.

149    Enfin, la requérante allègue que le fait que le rapport financier d’ACEA fasse référence à la décision 2003/193 et aux risques financiers qui pourraient en découler ne constitue pas la preuve de l’illégalité de l’avantage perçu par ACEA, mais répond seulement à une exigence de bonne administration.

150    Selon la requérante, l’impossibilité de procéder au recouvrement résulterait de l’absence de constatation, à l’égard des bénéficiaires pris individuellement, du caractère illégal des mesures visées par la décision 2003/193. Le défaut de restitution ne serait en tout état de cause pas imputable à ACEA, qui n’aurait pas reçu d’ordre de restitution. La bonne volonté d’ACEA ne saurait être mise en cause et il ne lui incomberait pas de la démontrer. La constitution d’une réserve sur un compte bancaire bloqué serait aussi inutile qu’impossible à réaliser concrètement.

151    L’absence de restitution ne saurait pas davantage être reprochée au gouvernement italien, qui a engagé la procédure de recouvrement conformément aux dispositions légales applicables. Le retard dans le recouvrement ne serait donc imputable qu’à la Commission elle-même, étant donné son choix de se limiter à une appréciation générale du régime.

152    Selon la requérante, il découle de ce qui précède que la jurisprudence Deggendorf, point 8 supra, n’est pas pertinente en l’espèce. La Commission en aurait également fait une interprétation erronée. Cette jurisprudence n’énoncerait pas le principe selon lequel, en cas de non-restitution d’une aide, la Commission pourrait, toujours et sans autres conditions, interdire l’octroi d’une autre aide jusqu’à ce que le bénéficiaire rembourse l’aide déclarée illégale et incompatible. La suspension ne pourrait être ordonnée que dans le but d’éviter l’effet de distorsion de la concurrence qu’entraînerait le cumul de la nouvelle aide avec celle non remboursée. Il ne s’agirait pas de punir l’entreprise pour la violation d’une décision antérieure ni d’exercer des pressions sur l’État membre pour l’obliger à exiger la restitution de l’aide, ce qui nécessiterait l’introduction d’un recours en manquement.

153    Il en résulte, selon la requérante, toujours soutenue par Electrabel, qu’il incombe à la Commission de prouver l’effet cumulé des deux mesures en cause. Dans l’affaire ayant donné lieu à la jurisprudence Deggendorf, point 8 supra, la Commission aurait au reste prouvé un double effet de distorsion. Or, en l’espèce, elle n’aurait pas abordé le problème des effets concrets de la mesure en cause sur la concurrence.

154    La requérante avance qu’il n’y a en l’espèce pas le moindre effet de cumul. Elle serait une entreprise différente d’ACEA, de sorte qu’il serait impossible que la mesure en cause s’ajoute aux avantages fiscaux perçus par ACEA. Ensuite, le cumul de ces aides ne saurait conduire à des distorsions de concurrence sur quelque marché que ce soit, et notamment sur le marché du chauffage urbain. La difficulté à évaluer l’effet de cumul ne suffirait pas à justifier la suspension de la mesure en cause et serait en outre la conséquence d’un choix de méthode par la Commission. Le prétendu effet de cumul ne serait au reste pas éliminé par la restitution des premières aides par ACEA.

155    En outre, la Commission affirmerait sans le moindre fondement qu’une partie de l’aide non récupérée peut être attribuée à la requérante. En effet, quand bien même la branche d’entreprise transférée à la requérante aurait bénéficié de l’aide – ce qui ne serait pas démontré –, l’aide aurait été prise en compte dans la valeur de l’apport d’ACEA à la joint‑venture pour le seul bénéfice d’ACEA. Cet élément exclurait non seulement le fait que la requérante puisse être tenue au remboursement, mais également a fortiori l’effet de cumul. La Commission n’aurait pas expliqué comment la requérante pourrait bénéficier des aides octroyées à ACEA.

156    La Commission conteste l’argumentation de la requérante.

 Appréciation du Tribunal

157    Dans la section 1.4 de la décision attaquée, intitulée « La jurisprudence Deggendorf », la Commission expose que, deux ans après l’adoption de la décision 2003/193, la République italienne non seulement n’a pas encore récupéré l’aide déclarée illégale et incompatible mais n’a pas encore quantifié les montants à restituer par les entreprises en cause, de sorte qu’elle n’est pas en mesure de déterminer le montant exact de l’aide dont a bénéficié ACEA avant la mesure en cause. Elle poursuit, aux considérants 62 et 63 de la décision attaquée :

« […] Ni le gouvernement italien, ni ACEA n’ont fourni d’éléments montrant que, dans le cas d’ACEA, les avantages dérivant du régime jugé incompatible doivent être considérés comme ne constituant pas une aide ou constituant une aide existante ou compatible en raison des caractéristiques spécifiques du bénéficiaire. Au contraire, du fait de leur montant et de la nature des activités exercées par ACEA sur différents marchés à l’époque de l’octroi de l’aide, dont la production et la distribution d’énergie électrique, les avantages conférés à ACEA doivent être considérés comme ayant un effet sur les échanges communautaires et faussant la concurrence. En outre, ces avantages sont considérables, parce qu’ils correspondent au montant dû en matière d’impôt sur les revenus des personnes morales (IRPEG) pour trois années. Le groupe ACEA, [la requérante] incluse, demeure dès lors en position de bénéficiaire d’aides illégales et incompatibles devant encore être restituées et les distorsions de la concurrence subsistent.

Dans ces circonstances, même si le montant exact de la première aide n’est pas déterminé, l’effet cumulé des deux aides d’ACEA et leur impact sur le marché commun en termes de distorsions de la concurrence rendent l’aide notifiée incompatible avec le marché commun. »

158    Dans la section 1.5 de la décision attaquée, intitulée « Application de la jurisprudence Deggendorf au cas d’espèce », la Commission commence par rappeler cette jurisprudence. Puis, elle confirme ses précédentes constatations, selon lesquelles la requérante fait partie du groupe ACEA, le bénéficiaire étant fondamentalement le même. Après avoir rejeté l’argument tiré du caractère régional de la mesure en cause et du caractère national de l’aide visée dans la décision 2003/193, la Commission expose, au considérant 68 de la décision attaquée, ce qui suit :

« La jurisprudence Deggendorf s’applique à tous les cas où le bénéficiaire d’une aide n’a pas restitué le montant décidé par la Commission, qu’il s’agisse d’une aide individuelle ou d’un régime d’aides. La Commission estime qu’ACEA faisait partie des bénéficiaires de l’aide aux entreprises municipalisées, parce qu’au moins une partie de cette aide a été concédée à toutes les entreprises entrant dans cette catégorie, et donc également à ACEA. »

159    Dans le cadre de ce moyen, la requérante invoque des arguments liés, premièrement, à l’absence d’identité entre elle et ACEA, entraînant l’absence d’effet de cumul des deux aides en cause, deuxièmement, à la décision 2003/193 et, troisièmement, à l’interprétation erronée de la jurisprudence Deggendorf, point 8 supra.

 Sur l’absence d’identité entre ACEA et la requérante et d’effet de cumul entre les deux aides en cause

160    Il ressort de l’analyse effectuée aux points 101 à 143 ci-dessus que la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en considérant qu’ACEA et la requérante formaient une seule unité économique et que le groupe ACEA devait être réputé comme étant le bénéficiaire de la mesure en cause. En conséquence, les arguments que la requérante tire de son absence d’identité avec ACEA ne sauraient prospérer.

161    Il est constant qu’ACEA, qui comprenait encore à l’époque la branche d’entreprise transférée à la requérante, faisait partie des entreprises municipalisées du secteur énergétique visées par les mesures déclarées illégales et incompatibles par la Commission dans la décision 2003/193. Lors de l’adoption de la décision attaquée, les autorités italiennes n’avaient pas recouvré les sommes dont ACEA avait bénéficié. Cette dernière demeurait donc la bénéficiaire d’une aide illégale et incompatible non restituée, sans par ailleurs que sa bonne volonté puisse modifier ce constat.

162    Or, la mesure en cause ayant pour bénéficiaire le groupe ACEA dont font partie ACEA et la requérante, l’effet de cumul de la première aide et de cette mesure au sein de ce même groupe ne saurait donc être contesté.

163    À cet égard, la Commission n’était pas tenue de démontrer que la requérante a bénéficié ou pourrait bénéficier de l’aide illégale et incompatible perçue à l’époque par ACEA, l’effet de cumul devant être apprécié, dans le cadre de l’examen de la mesure en cause, au niveau du groupe ACEA et non uniquement au regard de la requérante. Le fait que la première aide ait ou non été prise en compte dans la valeur de l’apport d’ACEA à la joint‑venture n’est, pour les mêmes raisons, pas davantage pertinent. De même, le marché concerné par la distorsion de concurrence est, dans le cas de la première aide et de la mesure en cause, celui où évolue le groupe ACEA.

 Sur les arguments liés à la décision 2003/193

164    La requérante fait valoir que, la décision 2003/193 visant un régime général d’aides et ne comportant pas d’ordre de récupération individuel, la jurisprudence Deggendorf, point 8 supra, ne peut pas s’appliquer.

165    En premier lieu, il y a lieu de rappeler, tout d’abord, que l’article 88, paragraphe 2, premier alinéa, CE confère à la Commission la responsabilité de mettre en œuvre, sous le contrôle du juge communautaire, une procédure spéciale organisant l’examen permanent et le contrôle des aides que les États membres ont l’intention d’instituer (arrêts de la Cour du 14 février 1990, France/Commission, C‑301/87, Rec. p. I‑307, point 16, et du 4 février 1992, British Aerospace et Rover/Commission, C‑294/90, Rec. p. I‑493, point 10). En particulier, dans le domaine de l’appréciation de la compatibilité avec le marché commun des aides selon l’article 87, paragraphe 3, CE, la Commission jouit d’un large pouvoir d’appréciation, dont l’exercice implique des évaluations d’ordre économique et social qui doivent être effectuées dans un contexte communautaire (arrêt France/Commission, précité, point 49). Lorsque la Commission examine la compatibilité d’une aide d’État avec le marché commun, elle doit prendre en considération tous les éléments pertinents, y compris, le cas échéant, le contexte déjà apprécié dans une décision antérieure, ainsi que les obligations que cette décision antérieure a pu imposer à un État membre (arrêt de la Cour du 3 octobre 1991, Italie/Commission, C‑261/89, Rec. p. I‑4437, point 20).

166    Dans la jurisprudence Deggendorf, point 8 supra, la Cour en a déduit que la Commission n’outrepassait pas le pouvoir d’appréciation dont elle dispose lorsque, saisie d’un projet d’aide qu’un État membre se propose d’octroyer à une entreprise, elle prend une décision déclarant cette aide compatible avec le marché commun, mais sous la réserve du remboursement préalable par l’entreprise d’une ancienne aide illégale, et ce en raison de l’effet cumulé des aides en question (voir, en ce sens, arrêt du 15 mai 1997, TWD/Commission, point 8 supra, points 25 à 27).

167    Cette jurisprudence répond à la nécessité d’éviter l’effet cumulé des aides non remboursées et des aides envisagées, qui conférerait à l’entreprise un avantage concurrentiel illicite qui fausserait la concurrence dans une mesure contraire à l’intérêt communautaire (arrêt du 13 septembre 1995, TWD/Commission, point 8 supra, point 83). Or cette nécessité est la même, qu’il s’agisse d’une aide individuelle ou d’une aide octroyée en vertu d’un régime d’aides.

168    En second lieu, force est de constater qu’il ressort des considérants 43 à 45 de la décision 2003/193 que, dans le cadre de la procédure formelle d’examen, la Commission a procédé à l’examen général du régime d’aides en cause et non des aides individuelles octroyées aux différentes entreprises. Les autorités italiennes ne lui ont d’ailleurs pas demandé d’apprécier des cas d’exécution de ce régime et ne lui ont pas fourni tous les renseignements nécessaires à cet effet.

169    Par ailleurs, quant à l’ordre de récupération des aides en cause, les considérants 124 et 125 de la décision 2003/193 sont ainsi libellés :

« (124) La Commission constate en outre que l[a] [République italienne], en infraction aux dispositions de l’article 88, paragraphe 3, du traité, a donné illégalement exécution aux régimes d’aides d’État institués par l’article 3, paragraphe 70, et par l’article 9 bis du décret-loi 318/1986. La Commission conclut en outre que ces aides d’État sont incompatibles avec le marché commun.

(125) En vertu d’une jurisprudence bien établie et de l’article 14 du règlement (CE) n° 659/1999, la Commission dispose que l’État membre intéressé doit prendre toutes les mesures nécessaires pour récupérer l’aide auprès des bénéficiaires. Dans la présente espèce, les autorités italiennes n’ont pas affirmé que la récupération de l’aide serait contraire à un principe général du droit communautaire, pas plus que la Commission ne considère qu’un tel principe empêche la récupération de l’aide. »

170    Conformément à l’article 88, paragraphe 2, CE, c’est à l’État intéressé que la Commission a ordonné de prendre les mesures de recouvrement.

171    S’agissant de l’examen ayant abouti à l’adoption de la décision 2003/193, il ressort de la jurisprudence que, dans le cas d’un programme d’aides, la Commission peut se borner à étudier les caractéristiques du programme en cause pour apprécier dans les motifs de sa décision si, en raison des modalités que ce programme prévoit, celui-ci assure un avantage sensible aux bénéficiaires par rapport à leurs concurrents et est de nature à profiter essentiellement à des entreprises qui participent aux échanges entre États membres (arrêt de la Cour du 14 octobre 1987, Allemagne/Commission, 248/84, Rec. p. 4013, point 18).

172    La décision 2003/193 ne devait pas contenir une analyse des aides octroyées dans des cas individuels sur le fondement du régime en cause. Ce n’est qu’au niveau de la récupération des aides qu’il est nécessaire de vérifier la situation individuelle de chaque entreprise concernée (voir, en ce sens, arrêt du 7 mars 2002, Italie/Commission, point 42 supra, point 91).

173    La Cour a également rappelé que, en ce qui concerne l’argument selon lequel le remboursement serait complexe et difficilement vérifiable ainsi que celui relatif à la vaste diffusion du régime des aides dans le tissu productif national, il suffit de relever, conformément à la jurisprudence de la Cour, que la crainte de difficultés internes, même insurmontables, ne saurait justifier qu’un État membre ne respecte pas les obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire (arrêt de la Cour du 27 juin 2000, Commission/Portugal, C‑404/97, Rec. p. I‑4897, point 52).

174    Le fait que l’État membre en cause éprouve la nécessité de vérifier la situation individuelle de chaque entreprise concernée au regard de la récupération des aides illégales, ainsi d’ailleurs que l’a admis la Cour dans l’arrêt du 7 mars 2002, Italie/Commission, point 42 supra (point 91), n’est pas non plus de nature à justifier la non-exécution de la décision ordonnant la récupération desdites aides (arrêt de la Cour du 1er avril 2004, Commission/Italie, C‑99/02, Rec. p. I‑3353, point 23, et la jurisprudence citée).

175    La Cour a au reste jugé, par arrêt du 1er juin 2006, Commission/Italie (C‑207/05, non publié au Recueil), que la République italienne avait manqué à ses obligations en ne prenant pas dans les délais prescrits les mesures nécessaires pour récupérer auprès des bénéficiaires les aides déclarées illégales par la décision 2003/193.

176    Il résulte de ce qui précède que, s’il est vrai que la décision 2003/193 portait sur un régime général d’aides, elle n’en comportait pas moins l’obligation pour les autorités italiennes de récupérer les aides illégales auprès des bénéficiaires, obligation à laquelle elles manquaient encore lors de l’adoption de la décision attaquée, de sorte qu’aucune aide n’avait été restituée. La requérante ne saurait se prévaloir de cette violation du droit communautaire en invoquant l’absence d’ordre de récupération à l’endroit d’ACEA.

177    Quant au fait qu’ACEA est concernée par la décision 2003/193, dans la décision attaquée, la Commission invoque, aux considérants 69 et 70, deux éléments précis, à savoir le recours introduit par ACEA contre la décision 2003/193 devant le Tribunal (affaire T‑297/02) et la référence faite, dans le rapport financier d’ACEA, à cette décision et aux risques financiers pouvant en découler.

178    S’agissant du recours introduit par ACEA contre la décision 2003/193, sa recevabilité suppose que celle-ci est directement et individuellement concernée par cette décision, en tant que bénéficiaire effectif de l’aide litigieuse dont la restitution est demandée. Il convient cependant de souligner que, en application de l’article 242 CE, ce recours n’a pas d’effet suspensif. La décision 2003/193 est présumée valide et s’applique. Par arrêt du Tribunal du 11 juin 2009, ACEA/Commission (T-297/02, non encore publié au Recueil), le recours d’ACEA contre la décision 2003/193 a du reste été rejeté.

179    Certes, comme l’affirme la requérante, la référence faite à la décision 2003/193 dans le rapport financier d’ACEA (voir considérant 70 de la décision attaquée) ne prouve pas qu’ACEA a bénéficié d’un avantage en violation des règles du traité. Cette référence et la quantification des risques financiers en découlant peuvent parfaitement répondre à une exigence de bonne administration. Il n’en reste pas moins que, dans son bilan consolidé, ACEA fait référence aux importants effets négatifs sur son activité et sur ses résultats que pourrait avoir la procédure de récupération et elle les évalue, selon la décision attaquée, à 28 millions d’euros pour 1998 et à 290 millions d’euros pour 1999. ACEA évalue donc l’avantage qu’elle pense avoir perçu et estime qu’il existe un risque d’avoir à le rembourser.

180    Cette constatation suffit au raisonnement de la Commission, car celle-ci a également considéré, dans la décision 2003/193, que cet avantage avait été octroyé à ACEA en violation des règles du traité. Or cette décision est présumée valide et produit tous ses effets tant que le Tribunal ne l’annule pas.

181    Aucun des arguments avancés par la requérante en rapport avec la décision 2003/193 n’est donc de nature à remettre en cause l’application de la jurisprudence Deggendorf, point 8 supra.

 Sur les arguments tirés d’une interprétation erronée de la jurisprudence Deggendorf

182    Selon la requérante, la jurisprudence Deggendorf, point 8 supra, exige que la Commission prouve les effets de distorsion de la concurrence qu’aurait le cumul de la mesure en cause avec la précédente aide non remboursée. Or, la Commission n’aurait pas abordé ce sujet. Il n’y aurait en l’espèce pas de cumul et, en tout état de cause, le prétendu cumul ne saurait conduire à des distorsions de concurrence sur un marché, quel qu’il soit.

183    À cet égard, le Tribunal a jugé dans l’arrêt du 13 septembre 1995, TWD/Commission, point 8 supra (point 51) :

« Le Tribunal considère que, dans ces circonstances, les décisions TWD II et TWD III, chacune lue dans son ensemble, doivent être interprétées en ce sens que la Commission a conclu à l’incompatibilité avec le marché commun des nouvelles aides TWD II et TWD III, aussi longtemps que les anciennes aides TWD I n’étaient pas restituées. En effet, dans les motifs des décisions contestées, la Commission a estimé que l’effet cumulé des anciennes aides TWD I et des nouvelles aides TWD II et TWD III, respectivement, serait d’altérer les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun. Le sens des décisions en cause est donc que les nouvelles aides TWD II et TWD III, considérées en elles-mêmes, peuvent être compatibles avec le marché commun, mais qu’elles ne peuvent pas être autorisées au titre de l’article 92, paragraphe 3, sous c), du traité, sans que l’effet cumulé des anciennes aides TWD I et des nouvelles aides TWD II et TWD III soit éliminé. »

184    Il a ajouté dans le même arrêt, point 8 supra (point 59) :

« Le Tribunal relève également que la finalité des procédures en manquement prévues par le traité et celle de l’article 2 des dispositifs des décisions en cause ne coïncident pas. En effet, dans le cas d’espèce, le but d’une procédure en manquement serait de constater une infraction au traité, liée au non-respect de la décision TWD I. Toutefois, comme la Commission l’a fait valoir à juste titre, les décisions TWD II et TWD III ont trait aux conditions dans lesquelles de nouvelles aides, que TWD n’était nullement obligée de demander, pouvaient lui être accordées. Dans ce contexte, le but de l’article 2 des dispositifs en cause n’est pas de constater la violation de la décision TWD I, mais d’empêcher le versement de nouvelles aides faussant la concurrence dans une mesure contraire à l’intérêt commun. »

185    La Cour a confirmé l’interprétation du Tribunal et a rejeté le pourvoi.

186    À cet égard, il ne ressort pas de la jurisprudence Deggendorf, point 8 supra, que la Commission a établi que l’effet cumulé des deux aides serait d’altérer les conditions des échanges.

187    Au contraire, il résulte de cette jurisprudence Deggendorf, point 8 supra, que l’obligation pesant sur l’État membre et sur l’entreprise potentiellement bénéficiaire d’aides nouvelles d’apporter à la Commission les éléments de nature à démontrer que ces aides sont compatibles avec le marché commun s’étend également à la nécessité d’établir l’absence d’effet cumulé de l’aide nouvelle avec des aides antérieures illégales et incompatibles avec le marché commun et non remboursées.

188    À titre surabondant, dans la mesure où la première aide altérait les conditions des échanges et où la mesure en cause les altère aussi (voir points 59 à 72 ci-dessus), le cumul des deux aides par le groupe ACEA peut difficilement être considéré comme sans effets sur ces mêmes conditions.

189    La requérante allègue par ailleurs que, ne connaissant pas le montant de la première aide, la Commission ne peut pas en apprécier les effets.

190    À cet égard, en premier lieu, il convient de renvoyer aux considérations exposées ci-dessus (points 168 à 176), dont il ressort que la détermination du montant de l’aide illégale perçue incombait aux autorités italiennes, qui ont au reste été condamnées par la Cour pour manquement à leurs obligations. Admettre que la jurisprudence Deggendorf, point 8 supra, n’est pas applicable tant que les autorités des États membres n’ont pas chiffré le montant de l’aide illégale à rembourser les inciterait à manquer à leurs obligations pour permettre aux bénéficiaires d’aides d’État d’échapper aux principes dégagés par cette jurisprudence.

191    En second lieu, le fait de ne pas connaître les montants concernés ne saurait empêcher la Commission de constater que la mesure en cause va venir s’ajouter à une précédente aide non remboursée, ce cumul au sein d’un même groupe provoquant en lui-même une distorsion de concurrence.

192    La Commission n’a donc pas davantage fait une interprétation erronée de la jurisprudence Deggendorf, point 8 supra, de sorte que l’ensemble de ce troisième moyen doit aussi être rejeté.

193    Aucun des trois moyens invoqués par la requérante n’étant fondé, il y a lieu de rejeter le recours.

 Sur les dépens

194    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission. Electrabel supportera ses propres dépens et ceux de la Commission liés à son intervention.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      AceaElectrabel Produzione SpA est condamnée aux dépens, exception faite de ceux visés au point 3 ci-après.

3)      Electrabel supportera ses propres dépens ainsi que les dépens exposés par la Commission en raison de son intervention.

Tiili

Dehousse

Wiszniewska-Białecka

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 septembre 2009.

Signatures


* Langue de procédure : l’italien.