CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. DÁMASO Ruiz-Jarabo Colomer
présentées le 16 mars 2006 (1)
Affaires jointes C-392/04 et C-422/04
i-21 Germany GmbH
et
ISIS Multimedia Net GmbH & Co. KG
contre
Bundesrepublik Deutschland
[demandes de décision préjudicielle formées par le Bundesverwaltungsgericht (Allemagne)]
«Services de télécommunications – Autorisations générales et licences individuelles – Directive 97/13/CE – Taxes et redevances applicables aux licences individuelles – Interprétation de l’article 11, paragraphe 1 – Il s’oppose à une taxe calculée sur la prévision des frais administratifs généraux de l’autorité réglementaire nationale sur une période de 30 ans – Primauté du droit communautaire contre sécurité juridique – Décisions administratives définitives contraires au droit communautaire – Réexamen»
I – Introduction
1. Le Bundesverwaltungsgericht (Allemagne) demande l’interprétation des articles 10 CE et 11, paragraphe 1, de la directive 97/13/CE du Parlement européen et du Conseil, du 10 avril 1997, relative à un cadre commun pour les autorisations générales et les licences individuelles dans le secteur des services de télécommunications (2).
2. Cette juridiction a besoin de l’interprétation préjudicielle afin de statuer sur deux litiges portant sur la question de savoir s’il y a lieu de réexaminer deux avis de taxation imposant le paiement d’une redevance pour l’octroi de licences dans ledit secteur des télécommunications, qui sont devenus définitifs au motif qu’ils n’ont pas été attaqués dans le délai imparti.
3. Les deux décisions de renvoi comportent chacune deux questions identiques. La première question permet d’approfondir la jurisprudence relative à la directive 97/13, en particulier celle des arrêts Connect Austria (3), Albacom et Infostrada (4), et ISIS Multimedia et Firma O2 (5), affaires dans lesquelles, s’agissant des deux dernières, j’ai rédigé les conclusions (6). La seconde question revêt une importance particulière, dans la mesure où elle offre à la Cour l’occasion de trouver un point d’équilibre entre la primauté du droit communautaire et la sécurité juridique (7), et de redresser ainsi la barre pour s’éloigner du sillage de l’arrêt Kühne & Heitz (8), dont la jurisprudence conduit à une impasse.
4. La Cour se voit offrir une nouvelle occasion de changer de cap puisqu’elle doit se prononcer prochainement sur l’extension de cette jurisprudence aux décisions juridictionnelles coulées en force de chose jugée (9).
II – Le cadre normatif
A – Le droit communautaire
1. Le «principe de loyauté»
5. Conformément à l’article 10 CE, «[l]es États membres prennent toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution des obligations découlant du présent traité ou résultant des actes des institutions de la Communauté», en facilitant «à celle-ci l’accomplissement de sa mission». De même, «[i]ls s’abstiennent de toutes mesures susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts» communautaires.
2. La directive 97/13
6. Cette disposition s’inscrit dans le cadre des efforts déployés par la Communauté en vue de libéraliser le marché des communications électroniques, auxquels je me suis récemment référé dans les conclusions présentées dans l’affaire Nuova società di telecomunicazioni, lues le 27 octobre 2005 (10).
7. La libre prestation des services de télécommunications et l’ouverture de l’exploitation de leurs réseaux président à la réglementation, qui vise à ce que ces services soient distribués et utilisés sans entraves, ou en vertu d’«autorisations générales» (11), et que les «licences individuelles» (12) ne soient attribuées qu’exceptionnellement ou en vue de compléter les permissions générales (septième et treizième considérants; articles 3, paragraphe 3, et 7). Ces deux concepts relèvent du genre «autorisation» (13).
8. Cette solution harmonisée se fonde sur les principes de proportionnalité, de transparence et de non-discrimination, dans le but de créer un ensemble compatible avec la liberté d’établissement et la libre prestation des services (premier, deuxième, quatrième et onzième considérants; article 3, paragraphe 2).
9. Dans cette perspective, la directive ne limite pas la quantité de licences individuelles que les États membres sont habilités à délivrer, sauf si cela s’avère essentiel pour garantir l’utilisation efficace des radiofréquences ou l’existence de numéros en nombre suffisant. Par conséquent, d’emblée, toute organisation remplissant les conditions édictées publiquement par le droit national de chaque État membre a le droit d’obtenir une autorisation de ce genre (articles 10, paragraphe 1, et 9, paragraphe 3).
10. Les articles 6 et 11 de la directive, qui sont de nature fiscale, s’inscrivent dans l’idée de favoriser la concurrence sur le marché des télécommunications et de ne pas imposer aux opérateurs plus de restrictions ou de charges que nécessaire (14), en respectant ainsi les principes susvisés de proportionnalité, de non‑discrimination et de transparence (douzième considérant).
11. La première de ces deux dispositions est intitulée «Taxes et redevances applicables aux procédures d’autorisations générales», la seconde ayant pour titre «Taxes et redevances applicables aux licences individuelles».
12. Conformément à l’article 6, «[s]ans préjudice des contributions financières à la fourniture du service universel conformément à l’annexe, les États membres veillent à ce que les taxes imposées aux entreprises au titre des procédures d’autorisation aient uniquement pour objet de couvrir les frais administratifs afférents à la délivrance, à la gestion, au contrôle et à la mise en œuvre du régime d’autorisations générales applicable. Ces taxes sont publiées d’une manière appropriée et suffisamment détaillée pour que les informations soient facilement accessibles.»
13. De son côté, l’article 11 stipule que:
«1. Les États membres veillent à ce que les taxes imposées aux entreprises au titre des procédures d’autorisation aient uniquement pour objet de couvrir les frais administratifs afférents à la délivrance, à la gestion, au contrôle et à l’application des licences individuelles applicables. Les taxes applicables à une licence individuelle sont proportionnelles au volume de travail requis et sont publiées d’une manière appropriée et suffisamment détaillée pour que les informations soient facilement accessibles.
2. Nonobstant le paragraphe 1, dans le cas de ressources rares, les États membres peuvent autoriser leurs autorités réglementaires nationales à imposer des redevances afin de tenir compte de la nécessité d’assurer une utilisation optimale de cette ressource. Ces redevances sont non discriminatoires et tiennent compte notamment de la nécessité de promouvoir le développement de services innovateurs et de la concurrence.»
14. En vertu de l’article 25, les États membres devaient adapter leur législation à la directive au plus tard le 31 décembre 1997.
B – L’ordre juridique allemand
1. Les taxes applicables au secteur des télécommunications
15. La loi sur les télécommunications (Telekommunikationsgesetz, ci-après le «TKG»), du 25 juillet 1996 (15), transpose en Allemagne la directive 97/13. Conformément à son article 16, paragraphe 1, les licences individuelles sont accordées moyennant le paiement d’une taxe, dont l’établissement était renvoyé à un règlement postérieur.
16. Sur la base de cette législation, le Bundesministerium für Post und Telekommunikation (ministère fédéral des Postes et Télécommunications) a adopté, le 28 juillet 1997, le règlement relatif aux taxes sur les licences de télécommunication (Telekommunikations-Lizenzgebührenverordnung, ci-après la «TKLGebV 1997») (16), qui est entré en vigueur, avec effet rétroactif, le 1er août 1996.
17. Conformément à cette disposition, le prélèvement incluait, outre les frais administratifs liés à l’octroi de la licence, ceux afférents à la gestion des droits et au contrôle des obligations découlant de celle-ci (article 1er, paragraphe 1).
18. Les licences de classe 3 (17) étaient payées selon le territoire couvert et, partant, le nombre d’utilisateurs potentiels des services fournis, le montant de la taxe allant de 2 000 DEM (1 022,58 euros) à 10 600 000 DEM (5 419 693,94 euros) (18).
19. Le Bundesverwaltungsgericht explique dans les décisions de renvoi que les montants susvisés se sont fondés sur un calcul prévisionnel des frais généraux de gestion de l’autorité réglementaire nationale des postes et des télécommunications (ci-après l’«autorité réglementaire») durant trois décennies (19).
20. Dans son arrêt du 19 septembre 2001, le Bundesverwaltungsgericht a jugé que les prélèvements afférents à l’octroi de licences de classe 3, calculés conformément à la TKLGebV 1997, n’étaient pas couverts par l’article 16, paragraphe 1, du TKG, car ils comportaient des tâches étrangères à l’autorisation et portaient en outre atteinte au principe d’égalité énoncé à l’article 3, paragraphe 1, de la loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne (20).
21. À la suite de cet arrêt, la TKLGebV 1997 est resté inappliqué et a été remplacé par le règlement relatif aux taxes sur les licences de télécommunication du 9 septembre 2002 (Telekommunikations-Lizenzgebührenverordnung, ci-après la «TKLGebV 2002») (21), qui prévoit, pour lesdites licences de classe 3, une taxe de 4 260 euros, pouvant être réduite à un minimum de 1 000 euros (article 2, paragraphe 3).
22. Le gouvernement allemand informe (22) que les avis de taxation qui, à la date du prononcé de l’arrêt, pouvaient encore faire l’objet d’un recours, ont été annulés d’office et que certaines entreprises ont convenu avec l’autorité réglementaire de renoncer à toute action, les droits qu’elles avaient acquittés leur étant remboursés (23).
23. Ainsi, la TKLGebV 2002 a des effets rétroactifs à l’égard des taxes qui n’étaient pas devenues définitives. Son article 4 exprime cette idée, en soulignant que, dans l’hypothèse où la taxation pouvait encore être contestée au moment de la publication de la nouvelle réglementation, c’est cette dernière qui s’applique aux titulaires de licences à compter du 1er août 1996.
2. Le réexamen des actes administratifs
24. Ce titre général regroupe trois mécanismes distincts, quoique apparentés, instaurés par la loi allemande sur la procédure administrative (Verwaltungsverfahrensgesetz, ci-après le «VwVfG») du 25 mai 1976 (24). Le premier, la «réouverture de la procédure» («Wiederaufgreifen des Verfahrens»), prévu à l’article 51, a pour objet, à la demande de la partie intéressée, l’annulation ou la modification d’un acte en cas de survenance de certaines circonstances; il s’agit d’une révision stricto sensu.
25. Les deux autres instruments se distinguent de par la nature licite ou illicite de la décision examinée. Le deuxième, instauré à l’article 49, concerne la «révocation» («Widerruf eines rechtmäßigen Verwaltungsaktes»), tandis que le troisième, réglementé à l’article 48, envisage le «retrait» («Rücknahme eines rechtswidrigen Verwaltungsaktes»), et dispose à cet égard qu’«un acte administratif illégal peut, alors même qu’il est devenu définitif (25), être retiré, en tout ou en partie, pour le futur ou à titre rétroactif».
26. Tel que cela ressort des décisions de renvoi, la jurisprudence allemande interprète le pouvoir conféré à l’administration par l’article 48 comme une faculté, dont la nature discrétionnaire diminue dans certaines circonstances jusqu’à disparaître complètement. Ainsi, cette disposition consacre le droit au «retrait» d’un acte administratif lorsque son maintien est «tout simplement insupportable», circonstance qui a lieu lorsque ledit acte viole le principe général d’égalité, porte atteinte à l’ordre public ou à la bonne foi, est entaché d’illégalité manifeste ou lorsque la situation juridique spécifique du destinataire requiert une telle révocation.
III – Les faits et les questions préjudicielles
27. ISIS Multimedia Net GmbH & Co. KG et i-21 Germany GmbH (ci-après «ISIS» et «i-21») sont chacune titulaires en Allemagne de deux licences de télécommunications de classe 3, pour lesquelles elles s’étaient acquittées de taxes d’un montant de 131 660 DEM (67 316,69 euros) et de 10 600 000 DEM (5 419 693,94 euros), respectivement, sur la base de l’article 16, paragraphe 1, du TKG et de la TKLGebV 1997.
28. Les deux sociétés se sont conformées aux avis de la taxation qui les concernaient et se sont acquittées des taxes correspondantes, lesdits avis devenant dès lors définitifs.
29. Cependant, d’autres sociétés titulaires de licences de télécommunications ont contesté les avis de taxation qui leur avaient été adressés et sont parvenues à ce que le Bundesverwaltungsgericht rende l’arrêt du 19 septembre 2001 (26), que j’ai déjà évoqué, qui a annulé lesdits avis en ce qu’ils étaient fondés sur une disposition réglementaire – la TKLGebV 1997 – contraire à des normes de rang supérieur, et qui a ordonné le remboursement aux sociétés requérantes des montants qu’elles avaient versés au Trésor public.
30. Après notification de la décision susvisée, ISIS et i-21 se sont adressées à l’autorité réglementaire afin de récupérer les montants versés. Leur demande ayant été refusée, elles ont, chacune, formé un recours juridictionnel devant le Verwaltungsgericht, juridiction de première instance en matière de contentieux administratif, qui a rejeté leur réclamation en jugeant qu’il n’y avait pas lieu d’ordonner le remboursement au motif que les avis de taxation étaient définitifs, et qu’un réexamen n’était pas requis ni en vertu de l’article 51, paragraphe 1, du VwVfG ni au regard de l’article 48, paragraphe 1, de cette même disposition.
31. Elles se sont ensuite directement pourvues en cassation devant le Bundesverwaltungsgericht. Cette juridiction a considéré que, conformément au droit allemand, ces recours n’aboutiraient pas, mais a éprouvé des doutes quant à l’incidence à cet égard du droit communautaire et a donc suspendu les procédures en soumettant, dans les deux cas, les questions préjudicielles suivantes:
«1) L’article 11, paragraphe 1, de la directive 97/13/CE […] s’oppose-t-il au prélèvement d’une taxe fixée sur la base d’un calcul prévisionnel des frais administratifs généraux d’une autorité réglementaire nationale pour une période de 30 ans?»
En cas de réponse positive,
«2) Les articles 10 CE et 11 de la directive sur l’octroi de licences doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils imposent l’annulation d’un avis de taxation fixant une taxe au sens de la première question et qui n’a pas été contesté alors que le droit national le permet, si le droit national l’autorise mais ne l’exige pas?»
IV – La procédure devant la Cour
32. Par ordonnance du 6 décembre 2004, le président de la Cour a ordonné la jonction des deux affaires eu égard à leur connexité objective.
33. La Commission des Communautés européennes, les gouvernements allemand et néerlandais, ainsi que les deux entreprises requérantes aux litiges au principal ont présenté des observations dans le délai fixé à l’article 23 du statut de la Cour de justice.
34. Lors de l’audience qui s’est tenue le 1er février 2006, les représentants des parties qui ont participé à la phase écrite ont comparu et ont été entendus en leurs plaidoiries.
V – Examen des questions préjudicielles
A – Exposé du problème
35. Le Bundesverwaltungsgericht confirme que, selon le droit allemand, les taxes afférentes à l’octroi de licences de classes 3 et 4 dans le secteur des télécommunications sont susceptibles d’annulation dans la mesure où la TKLGebV 1997, sur laquelle elles étaient fondées, était entachée d’illégalité. C’est dans ce sens que cette juridiction s’est prononcée dans l’arrêt du 19 septembre 2001.
36. Il croit cependant, avec la même conviction, que l’ordre juridique allemand ne fournit aucune marge de manœuvre permettant le réexamen des avis de taxation définitifs, les destinataires de tels actes n’ayant donc pas le droit d’obtenir le remboursement des montants indûment versés.
37. Mais il souhaite savoir si le droit communautaire offre la même solution ou si, au contraire, il impose la révocation des prélèvements illicites, avec toutes les conséquences qui en découlent, même s’ils ne sont pas susceptibles de recours (seconde question). Cette interrogation suppose que de telles contributions enfreignent également le droit de la Communauté, l’examen de leur éventuelle «illégalité communautaire» s’érigeant donc en prémisse de l’examen préjudiciel (27).
38. Le champ d’application communautaire du dialogue juridictionnel est ainsi parfaitement délimité, celui-ci étant étranger à ce qu’énonce la réglementation nationale qui, cependant, sert de contrepoint au litige et encadre celui-ci. Ce n’est pas en vain que, s’agissant de la première question, le TKG, dont on impute la violation à la TKLGebV 1997, transpose la directive 97/13 en droit allemand et, en ce qui concerne la seconde question, en l’absence d’une disposition ad hoc, la défense des droits conférés par le système européen doit s’articuler conformément aux règles procédurales allemandes (28).
B – La première question préjudicielle
39. La juridiction de renvoi cherche à savoir si l’article 11, paragraphe 1, de la directive 97/13 ne s’oppose pas à une taxe pour le calcul de laquelle on s’est basé sur une prévision des frais administratifs généraux de l’autorité réglementaire nationale pour une période de 30 ans.
40. La solution requiert un examen de la nature des impositions évoquées dans la directive concernée.
1. Les articles 6 et 11 de la directive 97/13
41. Bien qu’ils aient un contenu apparemment similaire, comme je l’ai déclaré dans les conclusions dans l’affaire Albacom et Infostrada (29), les articles 6 et 11 ont une portée différente, parce qu’ils s’appliquent à des régimes distincts.
42. Les autorisations générales sont des permissions prédéfinies de caractère générique (30) qui permettent aux entreprises d’opérer sur le marché des télécommunications sans devoir obtenir une décision expresse de l’organe compétent, mais moyennant un éventuel contrôle ultérieur, comme l’énonce l’article 5.
43. En revanche, les licences individuelles sont des autorisations spécifiques qui permettent aux titulaires d’opérer et qui sont soumises à une décision de l’administration au terme d’une procédure ad hoc [les articles 2, paragraphe 1, sous a), deuxième tiret, et 9 de ladite directive cautionnent cette façon de caractériser ce type de licence].
44. Ces différences sont la justification du fait que, alors que l’article 6 parle de «couvrir les frais administratifs afférents à la délivrance, à la gestion, au contrôle et à la mise en œuvre du régime d’autorisations générales applicable», l’article 11, paragraphe 1, se réfère aux frais de même nature relatifs «à la délivrance, à la gestion, au contrôle et à l’application des licences individuelles» (31). C’est la raison pour laquelle l’article 11 exige que la taxe versée au titre d’une licence individuelle soit proportionnelle au volume de travail requis, précision qui n’apparaît pas dans le régime du prélèvement institué en matière d’autorisations générales.
45. Les articles 6 et 11, paragraphe 1, de la directive 97/13 visent donc les deux règles fiscales qui, indépendamment de la qualification qu’on leur attribue (32), ont un caractère rémunératoire et parafiscal, puisqu’elles visent à accorder une compensation pour l’acte ou le service administratif accompli en faveur de l’assujetti. Toutefois, compte tenu de la nature différente de la prestation, le montant de la taxe auquel se réfère la première des deux dispositions précitées est destiné de façon indéterminée à couvrir le coût du fonctionnement du «régime d’autorisations générales applicable» (33), tandis que le prélèvement prévu dans le cadre des licences individuelles tend exclusivement à financer les coûts supportés par l’administration à l’occasion de la délivrance, de la gestion, du contrôle et de l’exécution de chacune des licences en particulier.
46. De son côté, l’article 11, paragraphe 2, se réfère à une redevance qui est dépourvue de toute idée de contre-prestation et qui a la nature d’un impôt, même si elle a une affectation particulière (34).
2. La taxe applicable aux licences individuelles, visée à l’article 11, paragraphe 1, de la directive 97/13
47. Le fait imposable réside dans l’accomplissement d’une procédure pour l’octroi de la licence ou pour la gestion, le contrôle ou la mise en œuvre du titre d’autorisation.
48. La taxe a pour but de couvrir les frais générés par l’accomplissement de ces démarches administratives, le produit du prélèvement ne pouvant donc servir à financer d’autres activités de l’autorité réglementaire.
49. La proportionnalité de la taxe par rapport au travail effectué est un aspect impératif du système et elle doit donc correspondre aux frais impliqués sans que, dans aucun cas, elle ne puisse leur être supérieure, sa nature rémunératoire exigeant une telle proportion: si elle était supérieure aux frais engendrés, elle deviendrait un prélèvement de nature fiscale.
50. Les principes de neutralité, de non-discrimination, de transparence et de publicité s’appliquent également au système de ce prélèvement.
51. Les considérations antérieures traduisent les règles permettant de trouver une solution à la question initiale soumise par le Bundesverwaltungsgericht, qui a besoin de savoir si l’on peut calculer le montant de la taxe sur la base d’une analyse prospective des frais de l’autorité réglementaire, ainsi que la période durant laquelle peut être projeté ce calcul.
3. Les modalités du calcul et du paiement de la taxe relative aux licences individuelles
52. La redevance réglementée à l’article 11, paragraphe 1, de la directive 97/13 se limite donc à compenser les coûts de la délivrance, de la gestion, du contrôle et de la mise en œuvre des licences individuelles, ces coûts devant être ajustés aux efforts qu’impliquent ces tâches.
53. Les États membres sont libres, dans le respect des prémisses susvisées, de choisir les modalités et les procédures de paiement de cette taxe, ainsi que d’en fixer le montant.
54. La finalité de cette taxe requiert que son paiement n’intervienne que lorsque le fait imposable a lieu, c’est-à-dire postérieurement à la délivrance de l’autorisation et après le déploiement de l’action administrative de gestion, de contrôle ou de mise en œuvre. Cette solution permet d’affiner au maximum le calcul car, étant donné que la taxation intervient a posteriori, on connaît tous les composants des tâches accomplies, ladite taxation résultant d’une évaluation globale du nombre et de la qualification des fonctionnaires mobilisés, du temps consacré et des frais inévitables, nécessaires pour mener l’opération (35). Cependant, cette formule souffre de l’inconvénient qu’elle impose à l’assujetti des paiements réitérés, l’administration fiscale devant, de son côté, faire face à une activité incessante, ce qui augmente les coûts et diminue l’efficacité.
55. Dans la mesure où l’on entend compenser le Trésor public pour les dépenses engendrées par une gestion publique prolongée, au bénéfice du titulaire de la licence, rien ne s’oppose à ce que la contribution soit exigée de manière anticipée et soit fixée sur la base d’un calcul prudent de son montant. Lorsqu’une telle solution est choisie, il est indifférent que la taxe soit payée en une seule fois ou par des versements fractionnés.
56. L’arrêt Fantask e.a. (point 32), que je viens de mentionner à la note 35, a admis, en se référant aux impôts indirects applicables aux opérations de concentration de capitaux, que l’on pouvait fixer le montant à l’avance, sur la base d’un pronostic, et en réclamer le paiement à intervalles réguliers. Il n’existe aucune raison déconseillant d’étendre cette appréciation à la taxe applicable aux licences individuelles dans le secteur des télécommunications, pour autant, comme cela est indiqué dans l’arrêt lui-même (points 32 à 34), que les États membres veillent régulièrement à ce que le montant ne dépasse pas les frais encourus, en garantissant, le cas échéant, les éventuels remboursements.
4. La période couverte par le prélèvement: ses limitations
57. Dès lors que l’on allonge le délai sur lequel se projette l’estimation, le risque d’erreur augmente, l’exploration devenant plus complexe à mesure que l’analyse s’éloigne dans le temps. L’objectivité diminue au même rythme qu’augmente l’incertitude, le risque de disproportion s’envolant lorsque la fiabilité des données traitées décroît.
58. La situation empire si la durée de la période influe non seulement sur la fixation du montant de la taxe, mais également sur son paiement, celui-ci étant requis dans un seul acte, afin que ladite taxe sorte ses effets pendant toute la durée de la période estimée. Dans ces circonstances, les principes de proportionnalité et de neutralité, énoncés dans la directive 97/13, se voient nettement affaiblis dans la mesure où l’on rétribue maintenant des services que l’on ne perçoit qu’à l’expiration d’une longue période. Ces principes, même s’ils ne l’exigent pas, recommandent une plus grande concomitance entre la prestation de l’administration, l’établissement du montant de la taxe et son paiement.
59. Par ailleurs, les caractéristiques du secteur, son évolution et son degré d’ouverture revêtent de l’importance. Les possibilités de procéder à une analyse prospective ne sont pas les mêmes dans le cas d’un marché stable, où la libre concurrence est assurée depuis longtemps et dans lequel, logiquement, il ne faut pas s’attendre à de grandes surprises, que dans l’hypothèse d’un marché en ébullition, dont la libéralisation est récente et dans lequel on augure des changements imprévisibles.
60. Par conséquent, la directive 97/13 ne s’oppose pas à la fixation du montant ni au paiement anticipé d’une contribution telle que celle incriminée en l’espèce, pour autant que ces opérations ne portent pas atteinte aux garanties susvisées de neutralité et de proportionnalité dont la directive elle-même exige le respect.
61. Cet effet indésirable se retrouve précisément en cas d’exigence de paiement en une seule fois d’une taxe conçue selon un calcul prévisionnel des coûts pour les 30 prochaines années, à une époque où le marché des télécommunications abordait un processus de flexibilisation.
62. Dans les conclusions que j’ai présentées dans l’affaire Nuova società di telecommunicazioni, précitées, j’ai indiqué que, dans les années 90 du siècle passé, a débuté le processus tendant à l’ouverture dudit marché et à l’harmonisation des législations nationales, par l’élaboration d’un cadre réglementaire en constante évolution (36), qui à l’heure actuelle n’est pas encore totalement profilé. Or, l’établissement en 1997, alors que ce processus se trouvait en plein remous, d’un apport pécuniaire calculé sur la base d’une prévision sur les frais ordinaires de l’autorité réglementaire jusqu’à l’année 2027 va au-delà de ce qui est raisonnable et méconnaît, pour les motifs déjà exposés, l’esprit de la directive 97/13 (37). En guise de preuve, il suffit de rappeler que cette disposition, adoptée en 1997, a été remplacée cinq années plus tard par la directive 2002/20, qui substitue les «droits d’utilisation» aux licences individuelles, s’occupe avec davantage de précisions de la fixation du montant de l’imposition (38) et laisse en dehors du système des prélèvements tels que celui visé dans les procédures au principal.
63. L’examen exposé coïncide avec celui effectué par le Bundesverwaltungsgericht dans son arrêt précité du 19 septembre 2001, puisque ce n’est pas en vain que le TKG, dont la mise en œuvre était assurée par la TKLGebV 1997, transpose la directive 97/13 (39). La doctrine allemande se rallie à ce point de vue (40).
64. Eu égard aux considérations que je viens d’exposer, je suggère à la Cour de répondre à la première question préjudicielle en ce sens que l’article 11, paragraphe 1, de la directive 97/13 et, notamment, les principes de neutralité et de proportionnalité s’opposent au prélèvement d’une taxe afférente à la délivrance, à la gestion, au contrôle et à la mise en œuvre des licences individuelles, calculée sur la base d’une prévision des frais administratifs généraux de l’autorité réglementaire nationale pour une période de 30 ans.
C – La seconde question préjudicielle
1. Réflexions préliminaires: l’approche correcte
65. Étant entendu que non seulement le droit allemand, comme l’a déclaré le Bundesverwaltungsgericht, s’oppose aux impositions incriminées, mais également le droit communautaire, il reste à vérifier si ce dernier exige de contrôler leur validité, même si elles n’ont pas été contestées au moment voulu.
66. La matière est régie au niveau fédéral par le VwVfG qui, comme cela ressort des points 24 à 26 des présentes conclusions et des décisions de renvoi, ne permet pas d’annuler les actes administratifs en cause ni de faire droit aux prétentions d’ISIS et d’i-21.
67. Cette précision délimite exactement le débat et montre l’erreur entachant la jurisprudence Kühne & Heitz, précitée, qui, dans la mesure où elle subordonne le nouvel examen d’une décision définitive à la stipulation expresse d’une disposition en ce sens dans l’ordre juridique national, laisse perplexe le Bundesverwaltungsgericht, qui, pour aboutir à une solution si inappropriée, n’aurait pas eu besoin de recourir au renvoi préjudiciel. L’attachement au droit national, fomenté en cette matière par la Cour, suscite, de surcroît, des problèmes sérieux, parmi lesquels il convient de souligner la disparité des systèmes de protection juridictionnelle des droits fondés sur l’ordre juridique communautaire (41).
68. Dans les affaires visées en l’espèce, la question qui se pose n’est pas celle de savoir si, en droit allemand, il est possible de réexaminer et, le cas échéant, d’annuler les impositions, qui sont déjà devenues inattaquables, adressées aux entreprises susvisées, les juridictions ayant statué négativement à cet égard, mais bien de décider si, en dépit de cet empêchement, le droit communautaire impose leur contrôle et dans quelles conditions.
69. Dans l’affaire Kühne & Heitz, ce dilemme a inspiré la question préjudicielle soumise par le College van Beroep von het bedrijfsleven (Pays-Bas) et l’avocat général Léger a choisi la bonne voix pour le trancher dans ses conclusions du 17 juillet 2003, dans lesquelles il a proposé de l’aborder sous l’angle de la primauté du droit européen et de son applicabilité directe.
70. La Cour doit répondre à cette invitation, en mettant en balance les exigences de sécurité juridique et celles de légalité communautaire, pour discerner si les premières constituent toujours une barrière infranchissable ou si, dans certaines circonstances, elles doivent céder face aux secondes.
2. Le principe de sécurité juridique: ses limites
71. L’importance de ce principe pour le bon fonctionnement de toute entité politique est évidente. Dans les conclusions que j’ai présentées le 28 janvier 1999 dans l’affaire ayant abouti à l’arrêt Commission/AssiDomän Kraft Products e.a. (42), j’ai souligné que le droit a horreur du désordre, raison pour laquelle il s’est doté d’armes pour lutter contre sa cause principale: l’instabilité (point 55).
72. Parmi ces armes, la sécurité juridique revêt une importance particulière, au service de laquelle s’orchestre l’idée de «caractère définitif»; les décisions administratives deviennent inattaquables à l’expiration des délais pour les contester ou une fois qu’elles ont été confirmées, après avoir fait usage de toutes les voies de recours.
73. Par conséquent, après écoulement du délai de recours, une décision, même entachée d’un vice, ne peut être contestée, son erreur s’intégrant définitivement dans l’ordre juridique.
74. L’invulnérabilité des actes définitifs, même irréguliers, s’érige donc, au rang de règle générale (43), étant donné qu’aucun système ne tolère que la validité des situations juridiques soit indéfiniment remise en cause.
75. La Cour s’est montrée sensible à cette règle structurelle et, dès ses premières décisions, elle l’a prise en considération (44), en affirmant dans l’arrêt Kühne & Heitz lui-même son statut de principe général de droit communautaire (point 24), appréciation qu’elle a réitérée dans l’arrêt Gerekens et Procola (point 22) (45). Dans l’arrêt Commission/AssiDomän Kraft Products e.a., elle s’est opposée à ce qu’une institution communautaire soit tenue de réexaminer des décisions non attaquées, alors que d’autres, au contenu identique, ayant fait opportunément l’objet d’un recours, ont été annulées par la voie juridictionnelle (point 63).
76. Cependant, le principe précité est susceptible de devenir un obstacle pour l’application uniforme et appropriée du droit communautaire (46), raison pour laquelle la jurisprudence refuse de lui conférer un caractère absolu (47) et une primauté en toutes circonstances. Dans l’arrêt SNUPAT/Haute Autorité (48), la Cour a exigé qu’il soit concilié avec d’autres valeurs méritant une protection.
77. La première de ces valeurs qui délimitent la sécurité juridique est l’équité (49), dont j’ai suggéré, dans les conclusions dans l’affaire Commission/AssiDöman Kraft Products e.a., qu’elle devait être prise en compte non pas pour trouver une solution au litige qui était soulevé dans cette affaire, mais bien en vue de préciser, à titre général, la portée de la sécurité juridique dans le domaine communautaire. Tout en suivant le sens de mes conclusions, la Cour s’est abstenue de traiter la question de la limite de l’équité. Le caractère définitif d’une décision ne saurait constituer un obstacle empêchant que son contenu puisse à nouveau être examiné, si son maintien crée une situation d’injustice intolérable. La majorité des États membres, pour ne pas dire tous, envisagent, pour des motifs de ce genre, que la nature inattaquable des actes administratif, après expiration des délais de recours, est susceptible d’être rompue. Le régime allemand en fournit un bon exemple. Comme cela est relaté dans les décisions de renvoi, la jurisprudence a restreint le pouvoir d’appréciation que l’article 48 du VwVfG confère à l’administration, en reconnaissant au citoyen le droit de demander la révocation de la décision, lorsque son maintien s’avère «simplement insupportable» (50).
78. Ce frein à la sécurité juridique se colore ainsi d’une teinte nettement subjective. On vise à éliminer les perturbations qui s’opposent au sens de la justice le plus élémentaire, en répudiant les discriminations et autres atteintes à l’équité (51).
79. L’autre limite que je tiens à souligner, de nature plus objective, se projette dans la «supralégalité» et englobe non seulement les fondements sur lesquels repose l’ordre juridique et qui fournissent aux autres dispositions l’oxygène qu’elles respirent, mais aussi l’orientation souhaitée (52). Dès lors que le maintien d’un acte définitif porte atteinte à la substance du système ou le mène à une impasse, sa suppression devient inévitable.
80. En réalité, ces deux frontières sont en partie «coextensives», dans la mesure où, parmi les valeurs sur lesquelles repose l’équité, nombreuses sont celles qui représentent des principes généraux communs aux ordres juridiques des États membres, dont certaines sont consacrées au plus haut niveau en tant que droits fondamentaux de la personne. En définitive, il y a lieu de rejeter les dénouements qui créent plus de désarroi que celui que l’on entend éviter, car il n’existe pas de plus grande insécurité que celle qui provient de l’injustice ou de l’illégalité manifeste.
81. Par conséquent, dans l’ordre juridique communautaire, à titre dérogatoire, la sécurité juridique serait laissée inappliquée pour sauvegarder ses fondements, en permettant le réexamen de décisions non attaquables (53). Mais il y a lieu de préciser quand s’applique cette dérogation. À cet effet, il semble conseillé de poser un regard sur le passé pour corroborer que les lignes structurelles de ce droit, qui est, dans une grande mesure, de création prétorienne, visent à garantir son effet utile et à réaliser les objectifs des traités.
82. Cependant, il convient de mettre en exergue une limite qui est toujours infranchissable: les droits des tiers (54). Dès lors qu’il y est porté atteinte, la stabilité, même injuste, doit prévaloir, la victime devant être indemnisée par d’autres voies légèrement plus sinueuses, telles que la responsabilité de l’État pour manquement au droit communautaire.
3. Un effort constant pour la défense du droit communautaire
83. L’arrêt Van Gend & Loos (55) a conféré au droit communautaire le statut d’ordre juridique indépendant, en faveur duquel les États membres ont restreint leur souveraineté, et a proclamé l’effet direct de l’article 12 du traité CEE (l’actuel article 25 CE, à la suite de sa modification) et sa capacité de créer, dans le chef des justiciables, des droits individuels susceptibles de faire l’objet d’une protection par les juridictions nationales. L’arrêt avait pour cadre un conflit entre la disposition précitée du traité CEE, qui prohibait tout accroissement des droits de douane, et une nouvelle taxe instituée par le gouvernement néerlandais en 1960, qui élevait de 3 à 8 % le taux d’imposition applicable à certains produits.
84. Attribuer cette force immédiate aux dispositions communautaires impliquait la reconnaissance de leur primauté par rapport aux systèmes nationaux, annoncée dans l’arrêt du 27 février 1962, Commission/Italie (56), et formulée de façon explicite dans l’arrêt Costa (57). Cette décision, en reprenant les arguments de l’arrêt Van Gend & Loos au sujet de la cession de souveraineté et de la spécificité du droit de la Communauté, a constaté l’impossibilité pour les États membres de faire prévaloir, contre un ordre juridique accepté sur la base de la réciprocité, une mesure unilatérale postérieure et a ajouté que la réalisation des buts de ce droit serait mise en péril si sa force exécutive variait d’un État à l’autre à la faveur des législations internes ultérieures. Elle était également fondée sur l’article 189 du traité CE (devenu article 249 CE), qui, en conférant un caractère obligatoire aux règlements, empêche que les dispositions nationales entravent ceux-ci, car, autrement, les fondements de la Communauté seraient remis en cause.
85. L’effet direct et la primauté ne sont pas simplement des instruments techniques permettant d’articuler les rapports entre des ordres juridiques différents, mais ils constituent l’expression de la Communauté en tant qu’association d’États, de peuples et de citoyens (58); cependant, eu égard au contexte dans lequel ont été rendus les arrêts Van Gend & Loos et Costa, précités, il demeurait un doute quant au fait de savoir si ces principes étaient également valables dans le cas des directives. Or, l’arrêt Ratti (59) leur a reconnu la même primauté, en considérant que, à l’expiration du délai requis pour leur transposition, celui qui se conforme à ses dispositions ne saurait se voir soumis au droit national non encore adapté.
86. Mme Becker, ressortissante allemande qui refusait de payer la taxe sur la valeur ajoutée grevant certaines opérations de crédit, nonobstant le fait que celles‑ci étaient assujetties conformément à la législation allemande, a fourni l’occasion de se prononcer sur l’autre propriété. Elle se prévalait de l’article 13, B, sous d), point 1, de la sixième directive (60), relative à cette taxe, que les États membres s’étaient engagés à transposer avant le 1er janvier 1979, pour faire valoir que ces opérations étaient exemptées. Dans l’arrêt Becker (61), la Cour a dit pour droit que les dispositions inconditionnelles et suffisamment précises de la sixième directive pouvaient directement être invoquées en Allemagne, puisque ce type de dispositions, même si elles sont dépourvues d’incidence directe, produisent un tel effet lorsque les États membres ne les transposent pas ou le font d’une manière incorrecte. Dans ces hypothèses, il n’y a pas lieu de leur ôter le caractère contraignant que leur confère l’article 189 du traité.
87. Cette propriété se conçoit donc comme une «sanction» automatique qui s’applique, dès lors les États membres échappent à leurs devoirs, cela ayant suscité un doute quant à la question de savoir si elle opère également lorsque les directives régissent des rapports horizontaux, desquels les pouvoirs publics sont absents. La réponse, négative, a été fournie par l’arrêt Marshall (62), qui est à la tête d’une longue liste, dont l’arrêt Pfeiffer e.a. (63) représente l’un des derniers maillons.
88. Cependant, les qualités susvisées du droit communautaire déconseillent de se résigner à laisser inappliquées les exigences liées à celles-ci, car cela porterait atteinte aux objectifs du traité. La Cour a souligné que le principe de loyauté consacré à l’article 5 du traité CE (devenu article 10 CE) impose aux États membres d’adopter des mesures générales et particulières en vue de réaliser les objectifs fixés dans les directives, tâche qui incombe à toutes les autorités nationales, y compris aux organes juridictionnels. Cette idée, concrétisée dans l’arrêt Von Colson et Kamann (64), a pallié le refus de reconnaître un effet direct aux directives dans un litige opposant des particuliers, en promouvant la jurisprudence dite de l’«interprétation conforme», en vertu de laquelle le juge national, lorsqu’il applique son droit, doit donner un sens à la disposition communautaire, en se conformant ainsi à l’article 189, troisième alinéa, du traité.
89. L’arrêt Marleasing (65) a approfondi cette tendance et a précisé la solution concrète à appliquer pour doter de puissance l’ordre juridique communautaire. L’objet du litige portait sur la nullité d’un contrat de société pour absence de cause, motif qui n’est pas retenu à l’article 11 de la directive 68/151/CEE (66), qui n’a pas été transposée en droit espagnol, et que le code civil de cet État prévoit en ses articles 1261 et 1275. La Cour s’est décantée pour l’interprétation du droit interne à la lumière du libellé et des objectifs de la directive, en s’opposant à ce que soit constatée la nullité d’une société pour une raison autre que celles qui sont énoncées dans ledit article 11. Le juge de renvoi (67) a tranché le litige en substituant la disposition communautaire à l’application des articles du code civil espagnol.
90. Cette conséquence avait déjà été reconnue par la jurisprudence. L’arrêt Simmenthal (68) a fait peser sur les juges nationaux la charge d’assurer la pleine efficacité du droit communautaire, en écartant, si nécessaire, les dispositions contraires à la législation nationale, même postérieures, sans attendre leur abrogation ou leur exclusion du monde juridique par n’importe quelle procédure constitutionnelle. L’arrêt Fratelli Costanzo (69) fournit le revers de la médaille, en imposant l’application, même d’office, d’une directive, en dépit de l’existence de dispositions nationales qui s’y opposent.
91. Le dessein est le même: garantir l’effet utile du droit communautaire. La jurisprudence de l’interprétation conforme et la possibilité d’écarter le droit national constituent des déviations résultant de la non-reconnaissance de l’effet direct horizontal des directives. L’arrêt Arcaro (70) constitue un bon exemple à cet égard; la Cour y dénonçait les lacunes d’un mécanisme servant à éliminer les dispositions d’un État qui s’opposent à une directive et a admis que l’engagement du juge consistant à interpréter ces dispositions à la lumière du texte de l’acte communautaire trébuche face à des obstacles insurmontables, lorsqu’elles soumettent un particulier à une obligation non encore incorporée. Même l’arrêt Pfeiffer e.a., précité, n’a pas apporté une solution définitive au problème puisque la Cour, en suivant ce que j’avais suggéré dans mes conclusions du 27 avril 2004, les deuxièmes présentées dans cette affaire, a proposé que, dans cet effort herméneutique, les juges nationaux ne se limitent pas à examiner le droit spécifiquement adopté pour transposer les directives, mais qu’ils observent également les autres dispositions de l’ordre interne, en vue de favoriser un résultat qui n’enfreint pas le droit communautaire.
92. La Cour, toujours soucieuse de défendre l’efficacité de ce droit, a voulu fermer le cercle pour éviter que la difficulté de l’articuler avec les systèmes nationaux n’aboutisse à une impasse. L’arrêt Francovich e.a. (71) a consacré le principe selon lequel, lorsqu’on ne parvient pas, par la voie de l’interprétation, à atteindre la finalité d’une directive, l’État membre est tenu de réparer les dommages causés aux citoyens du fait de l’absence de transposition dans les délais requis ou s’il l’a fait de manière incorrecte. La plénitude des dispositions communautaires serait mise en péril et la protection des droits qu’elles confèrent serait affaiblie si l’on refusait à leurs titulaires une indemnisation en cas de violation de ceux-ci par la faute d’un État membre, exigence qui se voit renforcée lorsque la mise en œuvre de ces droits est subordonnée à une action de l’État et que, partant, les citoyens ne sont pas en mesure, à défaut d’une telle action, de les invoquer devant leurs juridictions nationales. La Cour a également justifié cette idée par la voie de l’article 5 du traité, qui impose d’effacer les séquelles illicites causées par un manquement au droit communautaire.
93. Ce dernier arrêt a ébauché les conditions de la naissance de l’obligation de réparation. Des décisions postérieures les ont affinées en précisant quelles sont les autorités publiques auxquelles la responsabilité peut être imputée. L’arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame (72) a reconnu cette responsabilité de l’État, même dans le cas où l’infraction provient du pouvoir législatif, tandis que l’arrêt Köbler (73) a fait de même s’agissant du pouvoir judiciaire. Dans l’arrêt du 9 décembre 2003, Commission/Italie (74), la Cour a également dit pour droit que l’État législateur encourt une responsabilité du fait de ne pas avoir modifié une loi que les tribunaux italiens interprétaient dans un sens contraire à celui permettant l’effectivité du droit communautaire (75).
4. Les conditions permettant le réexamen des actes administratifs
94. Il ressort de ce qui a été exposé aux points antérieurs des présentes conclusions que les critères régissant l’existence de dispositions, leur abrogation ou leur interprétation, ainsi que ceux relatifs à leur hiérarchie, ou celui concernant la soumission stricte des juges à la loi, qui ont, dans les régimes constitutionnels, la même importance que la sécurité juridique, ont cédé lorsqu’il a fallu assurer l’applicabilité du droit communautaire, sans que cela ait ébranlé les fondements des droits nationaux.
95. Dans la mesure où, comme je l’ai déjà indiqué, l’équité et les principes généraux du droit tempèrent quelquefois l’impact de la sécurité juridique, on peut préconiser que cela ait également lieu lorsque l’application stricte de celle-ci affecte l’entité du droit communautaire, en se focalisant sur des situations qui amenuisent ces principes. En transposant cette idée aux spécificités d’ISIS et d’i‑21, il en résulte qu’il faudrait procéder à un nouvel examen des impositions définitives si leur maintien perturbait les buts du droit communautaire et créait des injustices contraires aux fondements de celui-ci, notamment à l’exigence de proportionnalité (76).
a) Un dénouement qui entrave l’ouverture du secteur des télécommunications
96. Le premier pas consisterait donc à chercher à savoir si le maintien, dans le chef d’ISIS et d’i-21, des redevances élevées qu’elles ont payées sans réclamer, tandis que ces impositions ont été remboursées à d’autres opérateurs moyennant recours ou négociation, censure les objectifs de la directive 97/13 et, en général, du cadre réglementaire tendant à la libéralisation du marché des télécommunications.
97. La solution proposée pour la première question préjudicielle fournit un indice puisque, comme je l’ai déjà examiné, l’article 11, paragraphe 1, s’oppose à un prélèvement tel que celui prévu par la TKLGebV 1997. Cependant, cette constatation abstraite n’est pas significative, car le seul fait de la non-conformité ne fait apparaître aucun obstacle que la volonté du législateur ne pourrait surmonter.
98. Le jugement se révèle plus clair si l’on examine plus en profondeur les dispositions fiscales de la directive 97/13 et la manière dont se sont déroulés les événements.
99. Les articles 11 et 6 favorisent la concurrence dans le secteur des télécommunications, en interdisant que les entreprises ne supportent plus de charges que celles visées par ces dispositions, afin de faciliter l’entrée de nouveaux opérateurs; ainsi, ils participent à la création d’un marché commun dans ce secteur, en veillant à la réalisation des libertés de circulation, sans imposer d’autres restrictions que celles dictées par l’intérêt général (77).
100. Par conséquent, si l’on impose des contributions autres que celles visées dans la directive 97/13 (affaire Albacom et Infostrada) ou si, tout en respectant ses prescriptions, elles sont réclamées de manière inégale (affaire ISIS Multimedia et Firma 02), les objectifs de la Communauté se voient frustrés. C’est face à un tel cas de figure que se rebellent précisément ISIS et i-21.
101. Aux dates auxquelles ont été adoptés les actes incriminés en l’espèce (le 18 mai 2001 s’agissant du premier et le 14 juin 2000 pour le deuxième), 305 entreprises titulaires de licences de classes 3 et 4 opéraient sur le marché allemand. Parmi celles-ci, 9 ont bénéficié du remboursement après avoir obtenu gain de cause dans les recours qu’elles avaient formés; cependant, 149 sont arrivées à bon port par la voie de la négociation. Un autre groupe, formé de 5 entreprises, a obtenu le même résultat, car, alors que les impositions n’étaient pas définitives au moment où le Bundesverwaltungsgericht a prononcé l’arrêt du 19 septembre 2001, celles-ci ont été révoquées d’office. Huit sociétés se trouvent dans la même situation qu’ISIS et i-21.
102. Ainsi, un groupe parmi les titulaires de licences de classes 3 et 4 s’est acquitté des taxes prévues par la TKLGebV 1997, entre-temps abrogée, sans aucun doute élevées (en particulier, dans le cas d’ISIS, 67 316, 69 euros et d’i-21, 5 419 693, 94 euros), tandis que les autres opèrent sur le marché moyennant le paiement des taxes instaurées par la TKLGebV 2002, qui varient de 1 000 à 4 260 euros. Les différences sont énormes et échappent à toute logique, celles-ci étant certainement reflétées dans les bilans financiers des sociétés.
103. Pendant une phase de transition entre une étape fermée, où règnent les droits exclusifs et spécifiques en faveur de certaines sociétés, et une autre qui aspire à un marché concurrentiel et ouvert à tous, tout frein à l’entrée de nouveaux opérateurs consolide le statu quo et restreint la concurrence, principalement s’il comporte des aspects discriminatoires. L’arrêt Connect Austria, précité, est très explicite à cet égard, lorsque la Cour y répète qu’un système de concurrence non faussée ne peut être garanti que si l’égalité des chances entre les différents opérateurs économiques est assurée (point 83), affirmation qui lui a permis de juger, dans l’arrêt ISIS Multimedia et Firma O2, également précité, que la directive 97/13 s’oppose à ce qu’un traitement favorable soit réservé à l’ancien monopole qui, actuellement, occupe une position dominante. Par conséquent, les autorités réglementaires doivent agir avec neutralité et s’abstenir d’introduire des disparités arbitraires.
104. En somme, la permanence des actes illicites discutés dans les questions préjudicielles (dont l’impact, ne l’oublions pas, se prolongera durant une période de 30 ans) consolide une situation que répugne le droit communautaire, en rendant plus difficile la réalisation du processus graduel d’ouverture initié par les directives 90/387/CEE (78) et 90/388/CEE (79).
105. Il faudrait chercher à savoir, de surcroît, si ce préjudice est foncièrement injuste et contraire aux principes dont s’inspire le droit communautaire.
b) Une conséquence inacceptable
106. D’emblée, ce dénouement consacre un traitement asymétrique pour des opérateurs qui, en apparence, occupent une position identique, en étant tous titulaires de licences de classes 3 et 4 leur permettant d’être présents sur le marché allemand (80); la méconnaissance manifeste d’une règle centrale du droit communautaire (81), à moins qu’elle ne soit raisonnablement et objectivement justifiée, exigerait le réexamen des impositions litigieuses, nonobstant le caractère définitif qu’elles ont acquis, mais, en cas de justification satisfaisante, la sécurité juridique ferait obstacle à ce qu’il soit procédé à un nouvel examen.
107. On pourrait faire valoir que la trajectoire d’ISIS et d’i-21 ne coïncide pas avec celle des autres organismes, car elles n’ont pas attaqué les avis d’imposition qui leur avaient été adressés, motif qui justifierait le régime différent. Mais cette affirmation n’est pas tout à fait correcte, puisque au moins certaines autres sociétés qui ont obtenu le remboursement se sont également abstenues, concrètement celles qui ont souscrit avec l’autorité réglementaire des conventions d’«égalité de traitement», et qui, selon ce que renseigne le gouvernement allemand, ont renoncé à former des recours, à la suite du remboursement des droits payés. D’autres entreprises n’ont même pas intenté d’action, car les taxes qui leur avaient été imposées ont été annulées d’office.
108. Peu importent les raisons pour lesquelles ISIS et i-21 sont restées en marge de la négociation (82), car le fait de ne pas avoir réagi ne justifie pas le régime divergent, défavorable et disproportionné, qui rend inattaquables les prélèvements illicites qui leur ont été imposés. Plusieurs considérations appuient cette appréciation.
109. En premier lieu, sous un angle purement instrumental, la passivité de ces entreprises ne s’assimile pas à un manque de diligence, puisque, au moment où le paiement leur fut réclamé, l’irrégularité de la TKLGebV 1997 et des actes administratifs adoptés en exécution de celle-ci n’avait pas été prononcée (83). Autrement dit, à cette époque, on ne pouvait pas exiger d’elles d’agir à titre conservatoire, puisque l’erreur qui a été constatée par la suite n’était pas manifeste.
110. En deuxième lieu, dans une perspective plus ample, on ne saurait admettre que, dans le cadre normatif applicable à ces affaires, l’ancrage dans l’ordre juridique d’une irrégularité incompatible avec ses objectifs dépende d’un fait aléatoire comme la date d’une décision, en l’occurrence celle du 19 septembre 2001. Cette discrimination entre opérateurs, qui perturbe tant l’égalité des chances dans l’accès au marché des télécommunications que l’ouverture de celui-ci, fondée sur la date à laquelle le Bundesverwaltungsgericht a annulé la TKLGebV 1997, ne saurait engendrer le refus d’examiner à nouveau des taxes qui, alors, n’étaient déjà plus attaquables, ni la révocation d’office des autres, en les remplaçant par d’autres impositions, moins lourdes, à savoir celles prévues par la TKLGebV 2002. Les entreprises qui ont eu la chance de se voir réclamer la taxe plus tard ont reçu un cadeau inespéré, sans avoir fait preuve d’aucun mérite à cet égard.
111. Enfin, sous un point de vue touchant plus au fond, le maintien d’un acte illicite, indépendamment de sa portée et de ses effets sur le système juridique, au motif que son destinataire y a «consenti», outre le fait qu’il élève au plus haut rang une technique qui est au service du droit, correspond à une logique propre au droit privé, qui élude le rattachement fondamental de l’administration à l’intérêt public et à la légalité. C’est ce que j’ai précisé dans les conclusions que j’ai présentées dans l’affaire Commission/AssiDomän Kraft Products e.a., précitée (point 49).
112. Il convient de relever, aux fins d’une rigueur conceptuelle, certains cas d’actes «définitifs» qui diffèrent en ce qui concerne leur légitimité, leur nature ou la possibilité qu’ils fassent l’objet d’un contrôle. Les exigences liées à la sécurité juridique augmentent si la décision administrative a franchi l’étape du contrôle juridictionnel, qui ajoute à ce caractère «définitif» la force découlant de l’«autorité de la chose jugée». Dans le tiraillement entre stabilité et légalité, cette dernière améliore sa position lorsque la première revêt, comme c’est le cas dans les procédures principales (84), une nature purement administrative.
113. Cependant, d’aucuns pourraient considérer que l’antagonisme des hypothèses serait tout de même susceptible de justifier un régime légèrement distinct, car, tout en débouchant dans la même mer, les entreprises auraient emprunté des voies fluviales différentes. Celles qui ont combattu la taxe correspondante ou qui ont négocié, en traçant un sillon direct: l’annulation après réexamen d’office. Celles qui ont adopté un comportement passif et ont laissé le temps s’écouler, en suivant un canal beaucoup plus tortueux: la réparation fondée sur la responsabilité patrimoniale de l’État. Mais ce panorama ignore l’option prise par les entreprises qui, tout en ayant souhaité rester inactives, se sont vues favorisées par un événement étranger à leur volonté (le prononcé de l’arrêt du Bundesverwaltungsgericht à une date à laquelle les prélèvements respectifs n’étaient pas encore devenus définitifs) et ont récolté un fruit qu’elles n’avaient pas non plus semé, ledit panorama correspondant à une optique purement subjective, en faisant abstraction de la dimension objective, qui est celle de l’intérêt public, qui exige un traitement égalitaire afin d’écarter tout obstacle empêchant l’ouverture du marché des télécommunications.
114. En somme, dans les circonstances présidant les deux renvois préjudiciels, il a été commis une infraction au droit communautaire, qui crée une situation contraire à l’équité et aux principes généraux dont il s’inspire, situation qu’il convient donc de réformer.
5. L’autonomie procédurale des États membres dans sa juste dimension
115. La réponse jaillit naturellement: lorsque cela s’avère pertinent, les juges nationaux sont tenus de procéder à un réexamen des actes administratifs, en suivant les procédures prévues par leur droit respectif (85). Rappelons que, en l’absence de mesures d’harmonisation (86), il appartient aux États membres de prévoir les procédures tendant à la protection des droits conférés par l’ordre juridique communautaire, ce pouvoir étant toutefois circonscrit par deux limites: en premier lieu, la réglementation qu’ils instaurent ne doit pas être moins favorable que celle régissant des recours similaires de nature interne (principe d’équivalence); en second lieu, elle doit être conçue de telle façon à ne pas rendre impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice de ces actions (principe d’effectivité) (87).
116. Les systèmes juridiques des États membres prévoient, sous l’une ou l’autre dénomination, la possibilité d’effectuer un nouvel examen des actes administratifs inattaquables, s’ils sont entachés de certaines irrégularités. En droit allemand, l’article 48 du VwVfG confère à l’administration la possibilité de procéder au retrait d’une décision irrégulière, même définitive. Si son maintien s’avère «simplement insupportable», la jurisprudence a bridé cette faculté jusqu’à lui ôter sa nature discrétionnaire, en créant une obligation d’annulation.
117. Il incombe donc au juge de renvoi d’interpréter et d’appliquer cette disposition de manière à permettre à l’article 11, paragraphe 1, de la directive 97/13 d’opérer pleinement, en respectant les principes susvisés, en garantissant les droits des tiers et en évitant des dénouements contra legem.
118. Il convient de garder à l’esprit que ce paragraphe, à l’instar du paragraphe 2 de ce même article, est, du point de vue de son contenu, inconditionnel et suffisamment précis, raison pour laquelle il est doté d’un effet direct (88), circonstance qui impose au juge national de veiller à ce que les règles procédurales de son droit permettent une solution cohérente avec la nature spécifique de la disposition communautaire. Le devoir d’interprétation dans un sens conforme aux exigences du droit communautaire, configuré dans l’arrêt Marleasing, précité, et revêtu de la portée indiquée par l’arrêt Pfeiffer e.a., précité, révèle ici toute sa splendeur.
119. Mieux, en allant au-delà des spécificités du système allemand, qui fournit au juge une disposition sur laquelle il peut s’appuyer pour accomplir son devoir consistant à assurer l’applicabilité du droit communautaire, la difficulté pourrait être surmontée en recourant à la voie herméneutique (89). Dans l’arrêt Ciola (90), la Cour a dit pour droit qu’un acte administratif définitif incompatible avec le droit communautaire ne peut pas amoindrir la protection juridique des justiciables. Dans le troisième pilier de l’Union européenne, où les décisions-cadres sont dénuées d’effet direct [article 34, paragraphe 2, sous b), UE], la Cour, dans le récent arrêt Pupino (91), a autorisé le juge de renvoi à appliquer une règle procédurale dérogatoire (un témoignage obtenu en dehors de la phase juridictionnelle dans le cadre d’un procès pénal) dans une situation non prévue par le droit national, afin que soient réalisés les objectifs de la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil, du 15 mars 2001, relative au statut des victimes dans le cadre de procédures pénales (92).
120. Soucieuse de poursuivre dans cette voie, la Cour a approuvé, même dans le cadre de procédures judiciaires, quoique à titre exceptionnel, des interprétations contraires au libellé de la loi nationale, puisque la jurisprudence Simmenthal, précitée, et Factorame e.a. (93) impose aux juges d’écarter toute disposition qui suppose une entrave à la pleine efficacité du droit communautaire. En ce sens, dans l’arrêt Peterbroeck (94), elle a jugé que cet ordre juridique s’oppose à une règle procédurale nationale qui, dans le contexte du litige au principal (95), empêchait le juge national d’apprécier d’office la compatibilité d’un acte de droit national avec une disposition communautaire, lorsque cette dernière n’avait pas été invoquée dans un certain délai par le justiciable. Ensuite, dans l’arrêt Océano Grupo Editorial et Salvat Editores (96), elle a dit pour droit que l’interprétation conforme impose au juge de privilégier l’exégèse assurant l’applicabilité de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993 (97), relative à la protection des consommateurs et lui permettant de refuser d’office d’assumer une compétence qui lui est attribuée en vertu d’une clause abusive. Dans le droit fil de cette jurisprudence, elle a précisé dans l’arrêt Cofidis (98) que cette directive s’oppose à une réglementation nationale qui, dans une action intentée par un professionnel à l’encontre d’un consommateur et fondée sur un contrat conclu entre eux, interdit au juge national à l’expiration d’un délai de forclusion de relever, d’office ou à la suite d’une exception soulevée par le consommateur, le caractère abusif d’une clause insérée dans ledit contrat. Dans l’arrêt Larsy (99), elle a jugé que doivent être exclues les normes nationales (dans cette affaire, le principe de l’autorité de la chose jugée), dès lors qu’elles entravent la protection réelle des droits découlant de l’effet direct du droit communautaire.
121. Par conséquent, au titre de l’engagement de loyauté énoncé à l’article 10 CE, l’article 11 de la directive 97/13 prévoit le contrôle des impositions qui s’opposent à cette disposition et qui ont acquis un caractère définitif en n’ayant pas été attaquées dans le délai requis, si leur maintien contrevient à l’esprit de cette disposition, en créant des situations injustes, contraires à l’équité et aux autres principes qui inspirent l’ordre juridique communautaire. Les juges nationaux sont tenus d’interpréter leur droit national de telle manière que, lorsque de telles circonstances sont présentes, il permette le réexamen desdits actes, sous réserve du respect des droits des tiers.
VI – Conclusion
122. Eu égard aux réflexions qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre au Bundesverwaltungsgericht en ce sens que:
«1) L’article 11, paragraphe 1, de la directive 97/13/CE du Parlement européen et du Conseil, du 10 avril 1997, relative à un cadre commun pour les autorisations générales et les licences individuelles dans le secteur des services de télécommunications, s’oppose au prélèvement d’une taxe portant sur la délivrance, la gestion, le contrôle et la mise en œuvre des licences individuelles, fixée sur la base d’un calcul prévisionnel des frais administratifs généraux de l’autorité réglementaire nationale durant une période de 30 ans.
2) Compte tenu du devoir de coopération loyale, énoncé à l’article 10 CE, l’article 11, paragraphe 1, de la directive 97/13 exige que les avis de taxation portant sur les licences individuelles qui enfreignent cette disposition et qui ont acquis un caractère définitif au motif qu’ils n’ont pas été attaqués dans les délais requis puissent faire l’objet d’un réexamen, dès lors que, tout en empêchant la réalisation des objectifs de ladite disposition, ils cimentent des situations contraires à l’équité ou aux principes qui inspirent l’ordre communautaire. Il appartient aux juges nationaux d’interpréter leur droit national de manière à permettre ce réexamen, sans préjudice des droits des tiers.»