Language of document : ECLI:EU:C:2006:177

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

16 mars 2006 (*)

«Politique sociale – Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs – Directive 93/104/CE – Droit au congé annuel payé – Inclusion du paiement du congé annuel dans le salaire horaire ou journalier (‘rolled-up holiday pay’)»

Dans les affaires jointes C-131/04 et C-257/04,

ayant pour objet deux demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduites par l’Employment Tribunal, Leeds (Royaume-Uni) (C-131/04), et par la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) (Royaume-Uni) (C‑257/04), par décisions des 9 mars et 15 juin 2004, parvenues à la Cour respectivement les 11 mars et 16 juin 2004, dans les procédures

C. D. Robinson-Steele (C-131/04)

contre

R. D. Retail Services Ltd,


Michael Jason Clarke (C-257/04)

contre

Frank Staddon Ltd,

et

J. C. Caulfield,

C. F. Caulfield,

K. V. Barnes

contre

Hanson Clay Products Ltd, anciennement Marshalls Clay Products Ltd,

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann, président de chambre, M. K. Schiemann, Mme N. Colneric (rapporteur), MM. K. Lenaerts et E. Juhász, juges,

avocat général: Mme C. Stix-Hackl,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 15 septembre 2005,

considérant les observations présentées:

–       pour R. D. Retail Services Ltd, par Mme J. Eady, solicitor,

–       pour MM. Clarke, J. C. Caulfield, C. F. Caulfield et Barnes, par M. A. Hogarth, QC,

–       pour Hanson Clay Products Ltd, anciennement Marshalls Clay Products Ltd, par Mme J. Eady, solicitor,

–       pour le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, par Mmes R. Caudwell et C. White, en qualité d’agents, assistées de M. T. Linden, barrister,

–       pour l’Irlande, par M. D. J. O’Hagan, en qualité d’agent, assisté de Mme N. Hyland et de M. N. Travers, BL,

–       pour le Royaume des Pays-Bas, par Mme H. G. Sevenster, en qualité d’agent,

–       pour la Commission des Communautés européennes, par Mmes M.‑J. Jonczy et N. Yerrell, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 27 octobre 2005,

rend le présent

Arrêt

1       Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 7 de la directive 93/104/CE du Conseil, du 23 novembre 1993, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (JO L 307, p. 18, ci-après la «directive»).

2       Ces demandes ont été présentées dans le cadre de recours relatifs au paiement du congé annuel sous la forme d’une inclusion de la rémunération de celui-ci dans le salaire horaire ou journalier, régime dit «rolled-up holiday pay».

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

3       La directive a été adoptée sur le fondement de l’article 118 A du traité CE (les articles 117 à 120 du traité CE ont été remplacés par les articles 136 CE à 143 CE). Conformément à son article 1er, paragraphe 1, elle fixe des prescriptions minimales de sécurité et de santé en matière d’aménagement du temps de travail.

4       La section II de la directive prévoit les mesures que les États membres sont tenus de prendre pour que tout travailleur bénéficie de périodes minimales de repos journalier, de repos hebdomadaire ainsi que de congé annuel payé. Elle réglemente également le temps de pause et la durée maximale hebdomadaire de travail.

5       En ce qui concerne le congé annuel, l’article 7 de la directive dispose:

«1.      Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales.

2.      La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail.»

6       Aux termes de l’article 15 de la directive:

«La présente directive ne porte pas atteinte à la faculté des États membres d’appliquer ou d’introduire des dispositions législatives, réglementaires ou administratives plus favorables à la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs ou de favoriser ou de permettre l’application de conventions collectives ou d’accords conclus entre partenaires sociaux plus favorables à la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs.»

7       L’article 17 de la directive prévoit la faculté de déroger, sous certaines conditions, à plusieurs de ses dispositions sans toutefois viser l’article 7 de cette même directive.

8       L’article 18, paragraphe 3, de la directive dispose:

«Sans préjudice du droit des États membres de développer, eu égard à l’évolution de la situation, des dispositions législatives, réglementaires et contractuelles différentes dans le domaine du temps de travail, pour autant que les exigences minimales prévues dans la présente directive soient respectées, la mise en œuvre de la présente directive ne constitue pas une justification valable pour la régression du niveau général de protection des travailleurs.»

 La réglementation nationale

9       Le règlement de 1998 relatif au temps de travail (Working Time Regulations 1998, S.I. 1998, n° 1833, ci-après le «règlement de 1998»), adopté afin de transposer la directive dans l’ordre juridique interne du Royaume-Uni est entré en vigueur le 1er octobre 1998.

10     L’article 13 du règlement de 1998 intitulé «Droit au congé annuel» dispose:

«1.      […] un travailleur a droit à quatre semaines de congé annuel au cours de chaque année de référence.

[…]

9.      Le congé auquel le travailleur a droit en vertu du présent article peut être fractionné, mais:

a)      il ne peut être pris que pendant l’année au titre de laquelle il est accordé, et

b)      il ne peut être remplacé par une indemnité financière, sauf s’il est mis fin à la relation de travail.

[…]»

11     L’article 16 dudit règlement, intitulé «Paiement au titre des périodes de congé», prévoit:

«1.      Un travailleur a droit au paiement de toute période de congé annuel dont il peut se prévaloir en application de l’article 13, au taux correspondant à une semaine de salaire pour chaque semaine de congé.

[...]

4.      Un droit au paiement en vertu du paragraphe 1 n’affecte aucun droit du travailleur à la rémunération prévue dans son contrat (‘rémunération contractuelle’).

5.      Toute rémunération contractuelle versée à un travailleur au titre d’une période de congé libère l’employeur de l’obligation qui lui incombe de rémunérer le travailleur en application du présent article au titre de cette période; et, inversement, toute rémunération versée en application du présent article au titre d’une période de congé libère l’employeur de l’obligation qui lui incombe de verser la rémunération contractuelle au titre de cette période.»

12     L’article 30 du règlement de 1998, intitulé «Voies de recours», dispose qu’un travailleur peut saisir un Employment Tribunal d’un recours, lorsque son employeur a refusé, entre autres, de lui permettre d’exercer son droit à prendre un congé en vertu de l’article 13 [l’article 30, paragraphe l, sous a)] ou ne lui a pas payé tout ou une partie d’une somme qui lui est due en vertu de l’article 16, paragraphe 1 [l’article 30, paragraphe l, sous b)]. À cet égard, l’article 30, paragraphes 3 à 5, du règlement de 1998 prévoit:

«3.      Si un Employment Tribunal juge qu’un recours en vertu du paragraphe 1, sous a), est fondé,

a)      il fait une constatation en ce sens, et

b)      il peut ordonner le paiement d’une compensation par l’employeur au travailleur.

4.      Le tribunal fixe le montant de la compensation à un niveau qu’il juge juste et équitable au regard de l’ensemble des circonstances, et notamment:

a)      de la faute commise par l’employeur en refusant de permettre au travailleur d’exercer son droit, et

b)      de tout préjudice subi par le travailleur, qui est imputable aux faits incriminés.

5.      Lorsqu’un Employment Tribunal saisi d’un recours introduit en vertu du paragraphe 1, sous b), constate qu’un employeur a omis de payer un travailleur conformément à l’article 16, paragraphe 1, […], il ordonne à l’employeur de verser au travailleur le montant qu’il estime lui être dû.»

 Les litiges au principal et les questions préjudicielles

 L’affaire C-131/04

13     M. Robinson-Steele a travaillé pour R. D. Retail Services Ltd (ci-après «Retail Services») entre le 19 avril 2002 et le 19 décembre 2003. Retail Services fournit les services de son personnel à de grandes entreprises du secteur de la vente au détail. Les travailleurs effectuent des prestations d’installation de magasins et de remplissage des rayons.

14     M. Robinson-Steele travaillait soit en postes de jour de douze heures chacun sur une période de cinq jours, soit en postes de nuit, de douze heures également, sur quatre jours, de manière continue au cours de ladite période d’emploi, à l’exception d’une semaine de congé à Noël en 2002, qui n’a pas été rémunérée séparément.

15     Les clauses de son contrat de travail ont varié au cours de sa période d’emploi. À compter du 29 juin 2003, son emploi était régi par un contrat intitulé «Conditions applicables au recrutement des travailleurs temporaires». La clause pertinente de ce contrat dispose: «Le droit au paiement du congé s’acquiert en proportion du temps travaillé de manière continue par le travailleur temporaire en mission au cours de l’année de congé. Le travailleur temporaire accepte que le paiement correspondant au droit au congé payé se fasse en même temps que son salaire horaire, auquel il s’ajoute, au taux de 8,33 % du salaire horaire.»

16     La juridiction de renvoi explique que, sur le plan mathématique, un pourcentage de congé payé de 8,33 % permet d’obtenir le montant exact correspondant à une semaine de rémunération après une période d’emploi continue de 3 mois, selon l’organisation alternant les postes de jour et ceux de nuit en cause.

17     M. Robinson-Steele recevait son salaire sur une base hebdomadaire. Sa rémunération était fixée à 6,25 GBP de l’heure en poste de jour et à 7,75 GBP de l’heure en poste de nuit. Sur ses relevés de salaire figurait la mention suivante: «Le taux de rémunération intègre la compensation correspondant aux jours de vacances et de maladie.»

18     Le 14 janvier 2004, M. Robinson-Steele a saisi l’Employment Tribunal, Leeds, d’un recours dans lequel il affirmait qu’il avait travaillé pendant 20 mois pour Retail Services et que, s’agissant du congé annuel payé, celle-ci ne lui avait payé que le «rolled-up holiday pay». Cela signifierait dans la majorité des cas qu’aucun congé n’était pris puisqu’il n’était pas payé immédiatement avant ou après ou encore pendant le congé.

19     L’Employment Tribunal explique que si M. Robinson-Steele invoque à juste titre l’illégalité de la clause de «rolled-up holiday pay», le contenu de sa décision dépendra de la réponse à la question de savoir si cette violation équivaut à un refus de l’employeur d’autoriser M. Robinson-Steele à exercer son droit au congé annuel ou si elle signifie que l’employeur n’a pas versé tout ou partie de la somme due au titre de la rémunération du congé annuel.

20     Cette juridiction observe que les dispositions nationales adoptées pour la mise en œuvre des obligations issues de la directive ont été interprétées différemment par les juridictions nationales. L’Employment Appeal Tribunal aurait jugé qu’une disposition contractuelle de «rolled-up leave pay» qui fixait expressément un montant ou un pourcentage s’ajoutant à la rémunération de base n’était pas illicite au regard de la directive et de la réglementation nationale, décision par laquelle elle serait liée. L’Inner House of the Court of Session (Scotland) aurait, dans l’affaire MPS Structure LTD/Munro [(2003), IRLR 350], été de l’avis contraire. Selon l’Employment Tribunal, il est essentiel que non seulement le congé annuel soit payé, mais également qu’il le soit en relation avec la prise de congé. Le système du «rolled-up holiday pay» aurait tendance, en violation des objectifs de la directive, à dissuader les salariés de prendre les congés qu’ils auraient autrement pris.

21     C’est dans ces circonstances que l’Employment Tribunal, Leeds, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’article 7 de la directive [...] est-il compatible avec des dispositions de droit national qui permettent que le paiement du congé annuel soit compris dans le salaire horaire d’un travailleur et soit versé en tant que partie de la rémunération du temps de travail mais ne soit pas versé au titre d’une période de congé effectivement pris par le travailleur?

2)      L’article 7, paragraphe 2, de la directive [...] s’oppose-t-il à ce que de tels paiements soient portés au crédit de l’employeur par la juridiction nationale, lorsque celle-ci s’efforce d’accorder au demandeur un remède effectif, conformément aux pouvoirs que lui confère la réglementation nationale?»

 L’affaire C-257/04

22     La société Frank Staddon Ltd (ci-après «Frank Staddon») exerce son activité dans l’industrie de la construction. M. Clarke a travaillé pour cette entreprise en tant qu’aide maçon/coupeur de briques.

23     Selon la juridiction de renvoi, il semble que M. Clarke ait travaillé pour Frank Staddon du 2 avril au 23 juin 2001. Il a ensuite été en congé jusqu’au 24 juillet 2001 lorsqu'il a repris le travail auprès de ladite société. Il n’a pas été rémunéré entre le 23 juin 2001 et le 24 juillet 2001.

24     Le contrat de M. Clarke dispose: «Tous les montants dus au titre des congés payés et des jours fériés payés sont intégrés au salaire journalier.» Le même document contient une annotation manuscrite en face de la mention «Rémunération»: «Base 8,689 Congés 0,756 = 85 GBP par jour». Un bulletin de salaire apparemment daté d’août 2001 indique le même calcul.

25     Le taux de 85 GBP par jour ne concerne que la période débutant le 24 juillet 2001. Le salaire journalier en vigueur au 2 avril 2001 était de 80 GBP et s’élevait à 82,50 GBP en juin. Il semble que Frank Staddon n’ait pas présenté une ventilation du montant de la rémunération de congé intégré au salaire journalier avant le mois d’août 2001.

26     Par requête présentée devant l’Employment Tribunal le 20 novembre 2001, M. Clarke a demandé la condamnation de Frank Staddon à lui payer les congés annuels accumulés pendant la période du 2 avril au 16 novembre 2001.

27     Par une décision du 19 avril 2002, l’Employment Tribunal a rejeté ce recours. M. Clarke a fait appel de cette décision devant l’Employment Appeal Tribunal qui a, le 25 juillet 2003, en substance rejeté cet appel. Il a alors saisi la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) contre la décision de ce dernier.

28     Selon la Court of Appeal, l’Employment Tribunal a estimé qu’il y avait eu rupture dans la continuité du contrat de l’appelant en raison de la période pendant laquelle il avait été en congé, à savoir du 23 juin au 24 juillet 2001. Les parties auraient conclu un nouveau contrat le 24 juillet de la même année. Ces circonstances affecteraient le montant de tout remboursement que M. Clarke pourrait obtenir s’il établissait une violation de la directive et du règlement de 1998, mais ne concerneraient pas la question de principe relative au «rolled-up holiday pay».

29     D’après la Court of Appeal, l’Employment Appeal Tribunal avait ordonné le renvoi de l’affaire devant l’Employment Tribunal afin de déterminer si, avant le mois d’août 2001, il y avait eu affectation contractuelle d’un pourcentage ou d’une part du salaire journalier à la rémunération du congé et s’il y avait eu interruption dans la période d’emploi de M. Clarke.

30     La société Marshalls Clay Products Ltd (ci-après «Marshalls Clay») exerçait son activité dans le domaine de la fabrication de matériaux en terre cuite pour l’industrie du bâtiment. MM. J. C. Caulfield, C. F. Caulfield et Barnes (ci-après «MM. Caulfield e.a.») étaient employés par cette entreprise en tant qu’opérateurs généraux.

31     En 1984, Marshalls Clay a adopté un système de travail posté, dit «continental», ce qui signifiait que chaque employé travaillait quatre jours, suivis de quatre jours de repos. Au cours de la période considérée, l’usine à laquelle MM. Caulfield e.a. étaient affectés, située à Accrington, fonctionnait sept jours par semaine à l’exception du jour de Noël et du lendemain de Noël.

32     Les employés étaient rémunérés uniquement pendant les quatre jours où ils travaillaient et ne l’étaient donc pas pendant les quatre jours où ils ne travaillaient pas.

33     Un accord collectif local, signé le 9 juillet 1984, à la suite d’une réunion entre Marshalls Clay et le syndicat GMB, et incorporé au contrat de travail de chaque employé, dispose:

«3.      CONGÉS

Les indemnités de congés payés sont intégrées au salaire horaire et ne s’accumulent donc pas. Les congés sont pris pendant les périodes de repos prévues par le système de rotation. Afin de pouvoir aménager des périodes de congé prolongées, chaque salarié a droit à:

deux périodes de congé de huit jours consécutifs

et à une période de congé de seize jours consécutifs.

Ces périodes font l’objet d’accords locaux. (Cela signifie que, lorsqu’une équipe est en congé pour une période de huit ou de seize jours consécutifs, l’autre équipe travaille.)»

34     Cet accord collectif énonce en outre:

«Actuellement, les ouvriers d’Accrington bénéficient de 31 jours de congés payés par an (pour 29 jours de congés). Cela représente 13,36 % des autres jours ouvrés (232). Le salaire horaire intègre, à hauteur de 13,36 %, la rémunération du congé.»

35     Le salaire horaire s’applique également aux heures supplémentaires, de sorte que, lorsque les employés effectuent des heures supplémentaires, ils reçoivent en fonction de celles-ci, ce qui fait aussi l’objet dudit accord collectif, une majoration de 30, de 50 ou de 100 % du salaire de base et de la rémunération du congé.

36     D’après l’Employment Appeal Tribunal, en vertu de ce régime contractuel, les employés peuvent prendre, sans être tenus de le faire, deux périodes de congé de huit jours consécutifs ou une période de congé de seize jours consécutifs, mais uniquement en regroupant ou en rassemblant leurs jours de repos et, dans le cadre d’une série d’échanges consentis entre les intéressés, en travaillant pour remplacer d’autres salariés.

37     Chacun des requérants au principal dans l’affaire Caulfield e.a. a pris des vacances en juin 2001. La durée des congés était variable, allant jusqu’à seize jours. Ces requérants ont également pris des jours de récupération. En vertu des accords de travail posté en vigueur chez Marshalls Clay, MM. Caulfield e.a. étaient inscrits au tableau de service pour 182 jours de travail par an. Aux termes des dispositions de l’accord collectif relatives à la rémunération du congé, 13,36 % du salaire des appelants correspondaient aux congés payés. Autrement dit, pour 182 jours de travail par an, chaque appelant percevait une rémunération pour 24,32 jours de congé: sur les 7,515 GBP payés par heure de travail, 6,629 GBP correspondaient au temps de travail effectif et 88,6 pence à la majoration au titre du paiement du congé.

38     Par requêtes datées du 3 septembre 2001, MM. Caulfield e.a. ont saisi l’Employment Tribunal, Manchester, afin d’obtenir la condamnation de Marshalls Clay à leur payer individuellement le congé annuel relatif à la période du 1er octobre 1998 au 3 septembre 2001.

39     Par décision du 12 décembre 2002, ce tribunal a fait droit aux demandes de MM. Caulfield e.a. et a ordonné que le montant de la compensation en leur faveur soit déterminé à une date ultérieure.

40     Marshalls Clay a interjeté appel devant l’Employment Appeal Tribunal. Celui-ci a fait droit à cet appel. MM Caulfield e.a. ont alors saisi la Court of Appeal.

41     Devant cette juridiction, MM. Caulfield e.a. ont invoqué que les accords contractuels conclus dans cette affaire constituent une violation manifeste de la directive parce qu’ils ne permettent de prendre aucun congé annuel. Un travailleur qui, au cours d’une année, ferait usage de la disposition du contrat prévoyant une période de congé prolongée de huit ou de seize jours travaillerait tout autant – pas un jour de moins – que son collègue qui ne prendrait pas un tel congé et qui s’en tiendrait, tout au long de l’année, au régime des quatre jours de travail/quatre jours de repos. Un jour ne pourrait être considéré comme un jour de congé que s’il s’agissait d’un jour pendant lequel l’intéressé travaillerait s’il n’en bénéficiait pas.

42     La Court of Appeal estime que les dispositions de «rolled-up holiday pay» sont, d’une part, loin d’avoir l’effet d’une règle qui découragerait totalement les travailleurs de prendre des congés. D’autre part, il n’y aurait aucune raison pour que les travailleurs ne parviennent pas, en règle générale, à gérer tout à fait judicieusement la rémunération intégrée à leur salaire au titre du congé annuel. On ne saurait supposer ou conclure à juste titre que les travailleurs ne sont pas vraiment en mesure de planifier leurs vacances comme ils l’entendent dans le cadre de mécanismes de paie tels que ceux de l’espèce.

43     De plus, cette juridiction observe que les accords de «rolled-up holiday pay» en question ont fait l’objet de négociations complètes et correctes entre les partenaires sociaux concernés, ayant abouti à un accord collectif. Cette circonstance ferait pencher fortement la balance en faveur de leur légitimité.

44     La Court of Appeal est d’avis que les contrats en cause dans les affaires pendantes devant elle (sous réserve du renvoi de l’affaire Clarke devant l’Employment Tribunal) ne sont pas incompatibles, ni avec la directive, ni avec le règlement de 1998.

45     C’est dans ces circonstances que la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Un accord contractuel liant un employeur et un travailleur et prévoyant qu’une partie déterminée du salaire versé au travailleur représente la rémunération du congé de ce dernier (accord couramment désigné par l’expression ‘rolled-up holiday pay’) implique-t-il une violation du droit du travailleur à être rémunéré au titre de son congé annuel, tel que prévu à l’article 7 de la directive [...] concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail?

2)      La réponse à la première question serait-elle différente si le niveau de rémunération du travailleur était identique avant et après l’entrée en vigueur de l’accord contraignant en question et si, par conséquent, l’accord n’avait pas pour effet de prévoir une rémunération supplémentaire, mais plutôt d’affecter une partie du salaire versé au travailleur à la rémunération du congé?

3)      Si la première question appelle une réponse affirmative, y a-t-il violation du droit au congé annuel payé tel que prévu à l’article 7 [de la directive] si ce paiement est pris en considération afin d’être imputé sur le droit conféré par la directive?

4)      Le respect de l’obligation découlant de l’article 7 de la directive [...] de faire en sorte que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines implique-t-il que le paiement en faveur du travailleur soit effectué au titre de la période de paie au cours de laquelle il prend son congé annuel, ou suffit-il, pour assurer le respect de l’article 7, que ledit paiement soit effectué tout au long de l’année sous la forme de versements réguliers?»

46     Par ordonnance du président de la Cour du 7 septembre 2004, les présentes affaires ont été jointes.

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la deuxième question dans l’affaire C-257/04

47     Par sa deuxième question, qu’il convient d’examiner en premier lieu, la Court of Appeal demande, en substance, si l’article 7 de la directive s’oppose à ce qu’une partie du salaire versé au travailleur au titre du travail effectué soit affectée au paiement du congé annuel sans que le travailleur perçoive, à ce titre, un paiement en sus de celui versé au titre du travail effectué.

48     À cet égard, il y a lieu de rappeler que le droit au congé annuel payé de chaque travailleur doit être considéré comme un principe du droit social communautaire revêtant une importance particulière, auquel il ne saurait être dérogé et dont la mise en œuvre par les autorités nationales compétentes ne peut être effectuée que dans les limites expressément énoncées par la directive elle-même (voir arrêt du 26 juin 2001, BECTU, C‑173/99, Rec. p. I‑4881, point 43).

49     Le paiement du congé prescrit à l’article 7, paragraphe 1, de la directive vise à permettre au travailleur de prendre effectivement le congé auquel il a droit.

50     Le terme «congé annuel payé» figurant dans cette disposition signifie que, pour la durée du congé annuel au sens de la directive, la rémunération doit être maintenue. En d’autres termes, le travailleur doit percevoir la rémunération ordinaire pour cette période de repos.

51     Dans ces conditions, il y a lieu de considérer qu’un accord en vertu duquel le montant versé au travailleur au titre de la rémunération du travail effectué, d’une part, et du paiement partiel du congé annuel minimal, d’autre part, serait identique au montant versé, antérieurement à l’entrée en vigueur de cet accord, comme seule rémunération versée au titre du travail effectué revient à vider de sa substance, par le biais d’une réduction du montant de cette rémunération, le droit du travailleur au congé annuel payé prévu à l’article 7 de la directive. Un tel résultat irait à l’encontre de ce qui est prescrit à l’article 18, paragraphe 3, de la directive.

52     Par conséquent, il convient de répondre à la deuxième question posée dans l’affaire C-257/04 que l’article 7, paragraphe 1, de la directive s’oppose à ce qu’une partie du salaire versé au travailleur au titre du travail effectué soit affectée au paiement du congé annuel sans que le travailleur perçoive, à ce titre, un paiement en sus de celui versé au titre du travail effectué. Il ne saurait être dérogé à ce droit par un accord contractuel.

 Sur la première question dans chacune des affaires C-131/04 et C‑257/04 ainsi que sur la quatrième question dans l’affaire C-257/04

53     Par ces questions, les juridictions de renvoi demandent, en substance, si l’article 7 de la directive s’oppose à ce que le paiement du congé annuel minimal au sens de cette disposition fasse l’objet de versements partiels étalés sur la période annuelle de travail correspondante et payés ensemble avec la rémunération au titre du travail effectué, et non d’un versement au titre d’une période déterminée au cours de laquelle le travailleur prend effectivement congé.

54     À cet égard, il y a lieu de constater qu’aucune disposition de la directive ne fixe expressément le moment où le paiement du congé annuel doit être effectué.

55     Conformément à l’article 7, paragraphe 1, de la directive, les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales.

56     La fixation du moment où le paiement du congé annuel doit être effectué relève de ces conditions.

57     À cet égard, les États membres doivent veiller à ce que les modalités d’application nationales tiennent compte des limites découlant de la directive même.

58     Celle-ci traite le droit au congé annuel et celui à l’obtention d’un paiement à ce titre comme constituant les deux volets d’un droit unique. L’objectif de l’exigence de payer ce congé est de placer le travailleur, lors dudit congé, dans une situation qui est, s’agissant du salaire, comparable aux périodes de travail.

59     Par conséquent, sans préjudice de dispositions plus favorables en vertu de l’article 15 de la directive, le moment où le paiement du congé annuel est effectué doit être fixé de sorte que, lors de ce congé, le travailleur est, quant au salaire, placé dans une situation comparable aux périodes de travail.

60     En outre, il convient de tenir compte de ce que, en vertu de l’article 7, paragraphe 2, de la directive, la période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail. Cette interdiction vise à assurer que le travailleur peut normalement bénéficier d’un repos effectif, dans un souci de protection efficace de sa sécurité et de sa santé (voir, en ce sens, arrêts BECTU, précité, point 44, et du 18 mars 2004, Merino Gómez, C‑342/01, Rec. p. I-2605, point 30).

61     Or, un régime tel que celui visé par les questions en cause risque de conduire à des situations où, sans que les conditions prévues à l’article 7, paragraphe 2, de la directive soient réunies, la période minimale de congé annuel payé est, en effet, remplacée par une indemnité financière.

62     Il convient d’ajouter que l’article 7 de la directive ne figure pas parmi les dispositions auxquelles celle-ci permet expressément de déroger (voir arrêt BECTU, précité, point 41). Dès lors, il n’importe pas qu’un tel régime de paiement du congé annuel repose ou non sur un accord contractuel.

63     Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il convient de répondre à la première question posée dans chacune des affaires C‑131/04 et C‑257/04 ainsi qu’à la quatrième question posée dans l’affaire C-257/04 que l’article 7 de la directive s’oppose à ce que le paiement du congé annuel minimal au sens de cette disposition fasse l’objet de versements partiels étalés sur la période annuelle de travail correspondante et payés ensemble avec la rémunération au titre du travail effectué, et non d’un versement au titre d’une période déterminée au cours de laquelle le travailleur prend effectivement congé.

 Sur la seconde question dans l’affaire C-131/04 et sur la troisième question dans l’affaire C-257/04

64     Par ces questions, les juridictions de renvoi demandent, en substance, si l’article 7 de la directive s’oppose à ce que des montants payés au travailleur au titre des congés sous un régime tel que celui décrit au point précédent du présent arrêt soient imputés au droit au paiement d’un congé annuel prévu à cet article.

65     Il s’agit donc de la question de savoir si des paiements au titre du congé annuel minimal au sens de cette disposition déjà effectués dans le cadre d’un tel régime contraire à la directive peuvent être imputés au droit au paiement d’une période déterminée au cours de laquelle le travailleur prend effectivement congé.

66     Dans cette hypothèse, l’article 7 de la directive ne s’oppose pas, en principe, à ce que des sommes s’ajoutant au salaire versé au titre du travail effectué qui ont été payées, de manière transparente et compréhensible, au titre du paiement du congé soient imputées sur le paiement d’un congé déterminé.

67     Toutefois, les États membres sont tenus de prendre des mesures appropriées afin d’assurer que des pratiques incompatibles avec l’article 7 de la directive ne soient pas maintenues.

68     En tout état de cause, à la lumière du caractère impératif du droit au congé annuel et afin d’assurer l’effet utile de l’article 7 de la directive, une telle imputation est exclue en cas de manque de transparence ou de compréhensibilité. La charge de la preuve à cet égard incombe à l’employeur.

69     Il convient dès lors de répondre à la seconde question posée dans l’affaire C‑131/04 et à la troisième question posée dans l’affaire C‑257/04 que l’article 7 de la directive ne s’oppose pas, en principe, à ce que des sommes qui ont été payées, de manière transparente et compréhensible, au titre du congé annuel minimal au sens de cette disposition sous la forme de versements partiels étalés sur la période annuelle de travail correspondante et payés ensemble avec la rémunération au titre du travail effectué soient imputées sur le paiement d’un congé déterminé qui est effectivement pris par le travailleur.

 Sur les dépens

70     La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

1)      L’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/104/CE du Conseil, du 23 novembre 1993, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, s’oppose à ce qu’une partie du salaire versé au travailleur au titre du travail effectué soit affectée au paiement du congé annuel sans que le travailleur perçoive, à ce titre, un paiement en sus de celui versé au titre du travail effectué. Il ne saurait être dérogé à ce droit par un accord contractuel.

2)      L’article 7 de la directive 93/104 s’oppose à ce que le paiement du congé annuel minimal au sens de cette disposition fasse l’objet de versements partiels étalés sur la période annuelle de travail correspondante et payés ensemble avec la rémunération au titre du travail effectué, et non d’un versement au titre d’une période déterminée au cours de laquelle le travailleur prend effectivement congé.

3)      L’article 7 de la directive 93/104 ne s’oppose pas, en principe, à ce que des sommes qui ont été payées, de manière transparente et compréhensible, au titre du congé annuel minimal au sens de cette disposition sous la forme de versements partiels étalés sur la période annuelle de travail correspondante et payés ensemble avec la rémunération au titre du travail effectué soient imputées sur le paiement d’un congé déterminé qui est effectivement pris par le travailleur.

Signatures


* Langue de procédure: l'anglais.