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ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

11 juillet 2024 (*)

« Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Sixième directive 77/388/CEE – Article 2, point 1 – Article 4, paragraphe 4, second alinéa – Assujettis – Faculté pour les États membres de considérer comme un seul assujetti, dénommé “groupement TVA”, des personnes indépendantes du point de vue juridique mais étroitement liées entre elles sur les plans financier, économique et de l’organisation – Prestations internes au groupement TVA – Imposition de telles prestations – Bénéficiaire des prestations non autorisé à déduire la TVA – Risque de pertes fiscales »

Dans l’affaire C‑184/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne), par décision du 26 janvier 2023, parvenue à la Cour le 22 mars 2023, dans la procédure

Finanzamt T

contre

S,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. C. Lycourgos, président de chambre, Mme O. Spineanu‑Matei, MM. J.‑C. Bonichot (rapporteur), S. Rodin et Mme L. S. Rossi, juges,

avocat général : M. A. Rantos,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour S, par Mes R. J. Schwerin et D. Sommerfeld, Rechtsanwälte,

–        pour le gouvernement allemand, par M. J. Möller et Mme A. Hoesch, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mme B. Eggers et M. M. Herold, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 mai 2024,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, point 1, et de l’article 4, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO 1977, L 145, p. 1, ci-après la « sixième directive »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Finanzamt T (administration fiscale, Allemagne) à S, une fondation allemande de droit public, au sujet de l’imposition de cette fondation à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), pour l’exercice fiscal 2005.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        La sixième directive a été abrogée et remplacée, à compter du 1er janvier 2007, par la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1). Toutefois, compte tenu de la date des faits en cause dans le litige au principal, celui-ci demeure régi par la sixième directive.

4        L’article 2 de la sixième directive disposait :

« Sont soumises à la [TVA] :

1.      Les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel ;

[...] »

5        L’article 4 de cette directive prévoyait :

« 1.      Est considéré comme assujetti quiconque accomplit, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.

[...]

4.      Le terme “d’une façon indépendante” utilisé au paragraphe 1 exclut de la taxation les salariés et autres personnes dans la mesure où ils sont liés à leur employeur par un contrat de louage de travail ou par tout autre rapport juridique créant des liens de subordination en ce qui concerne les conditions de travail et de rémunération et la responsabilité de l’employeur.

Sous réserve de la consultation prévue à l’article 29, chaque État membre a la faculté de considérer comme un seul assujetti les personnes établies à l’intérieur du pays qui sont indépendantes du point de vue juridique, mais qui sont étroitement liées entre elles sur les plans financier, économique et de l’organisation.

5.      Les États, les régions, les départements, les communes et les autres organismes de droit public ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations qu’ils accomplissent en tant qu’autorités publiques, même lorsque, à l’occasion de ces activités ou opérations, ils perçoivent des droits, redevances, cotisations ou rétributions.

[...] »

6        Aux termes de l’article 6, paragraphe 2, de ladite directive :

« Sont assimilées à des prestations de services effectuées à titre onéreux :

[...]

b)      les prestations de services à titre gratuit effectuées par l’assujetti pour ses besoins privés ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise.

Les États membres ont la faculté de déroger aux dispositions de ce paragraphe à condition que cette dérogation ne conduise pas à des distorsions de concurrence. »

7        L’article 13, A, paragraphe 1, sous b), de la même directive disposait :

« Sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels :

[...]

b)      l’hospitalisation et les soins médicaux ainsi que les opérations qui leur sont étroitement liées, assurés par des organismes de droit public ou, dans des conditions sociales comparables à celles qui valent pour ces derniers, par des établissements hospitaliers, des centres de soins médicaux et de diagnostic et d’autres établissements de même nature dûment reconnus ».

8        L’article 17, paragraphe 2, de la sixième directive prévoyait :

« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable :

a)      la [TVA] due ou acquittée pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti ; 

[...] »

9        L’article 11 de la directive 2006/112 prévoit :

« Après consultation du comité consultatif de la [TVA] (ci-après dénommé “comité de la TVA”), chaque État membre peut considérer comme un seul assujetti les personnes établies sur le territoire de ce même État membre qui sont indépendantes du point de vue juridique mais qui sont étroitement liées entre elles sur les plans financier, économique et de l’organisation.

Un État membre qui fait usage de la faculté prévue au premier alinéa peut prendre toutes mesures utiles pour éviter que l’application de cette disposition rende la fraude ou l’évasion fiscales possibles. »

 Le droit allemand

10      L’article 2, paragraphe 2, de l’Umsatzsteuergesetz (loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après l’« UStG »), est libellé comme suit :

« L’activité industrielle, commerciale, artisanale ou professionnelle n’est pas exercée d’une façon indépendante :

[...]

2.      lorsque l’architecture globale des liens effectifs montre qu’une personne morale est intégrée sur les plans financier, économique et de l’organisation à l’entreprise de l’entité faîtière (unité fiscale). Les effets de l’unité fiscale se limitent aux prestations internes entre les branches de l’entreprise sises dans le pays. Ces branches doivent être traitées comme une seule entreprise. [...] »

11      L’article 3, paragraphe 9a, point 2, de l’UStG dispose :

« Sont assimilées à une autre prestation à titre onéreux :

[…]

2.      la fourniture à titre gratuit par l’entrepreneur d’une autre prestation pour des fins étrangères à l’entreprise ou pour les besoins privés de son personnel, pour autant qu’il ne s’agisse pas de petites attentions [à l’égard de celui‑ci]. »

 Les faits de l’affaire au principal et les questions préjudicielles

12      Il ressort de la décision de renvoi que S est une fondation allemande de droit public, qui constitue l’organe faîtier d’une université, qui gère également un département de médecine universitaire, et de la société U-GmbH.

13      Au cours de l’année 2005, la société U-GmbH a fourni à S  des services de nettoyage, d’hygiène et de blanchisserie, ainsi que de transport de patients. Les services de nettoyage auraient été fournis pour l’ensemble du complexe immobilier que constitue le département de médecine universitaire, dont font partie les chambres des patients, les couloirs, les salles d’opérations, les salles de cours et les laboratoires.

14      Dans le complexe immobilier, S exerce des activités économiques pour laquelle elle est assujettie à la TVA, mais elle utilise des salles de cours et d’autres parties de ce complexe pour des activités de formation des étudiants, qu’elle exerce en tant qu’autorité publique et pour lesquelles elle n’est pas considérée comme étant un assujetti aux fins de la TVA. La proportion de la surface dudit complexe dédiée à ces dernières activités s’élèverait à 7,6 % de la surface totale du même complexe.

15      Le 3 novembre 2005, à la suite d’un contrôle, l’administration fiscale a rectifié l’avis de taxation à la TVA de S pour l’année 2005.

16      En premier lieu, considérant que les établissements de S formaient une entreprise unique, dont S était l’organe faîtier, l’administration fiscale a estimé qu’une seule déclaration de TVA devait être établie et, par conséquent, qu’un seul avis de taxation devait être émis.

17      En second lieu, l’administration fiscale a estimé que, conformément à l’article 2, paragraphe 2, point 2, de l’UStG, les services de nettoyage fournis par U-GmbH à S constituaient des prestations effectuées au sein de l’unité fiscale (Organschaft) formée par S et U-GmbH et que, par conséquent, ces prestations n’étaient pas soumises à la TVA.

18      Cependant, l’administration fiscale a également considéré que, pour autant que ces prestations avaient été effectuées pour les activités de S pour lesquelles elle n’était pas considérée comme étant assujettie à la TVA, elles avaient été fournies « à des fins étrangères à l’entreprise » et avaient donné lieu, en faveur de S, à une « prestation de service à titre gratuit, assimilée à une prestation de services à titre onéreux », conformément à l’article 3, paragraphe 9a, point 2, de l’UStG, qui transposait l’article 6, paragraphe 2, sous b), de la sixième directive.

19      Sur ce fondement, l’administration fiscale a majoré le montant de TVA due par S.

20      S a formé une réclamation administrative contre cette décision, qui a été rejetée.

21      Le Finanzgericht (tribunal des finances, Allemagne) a accueilli le recours formé par S au sujet de la majoration de TVA. À cet égard, il a considéré que l’unité fiscale (Organschaft) réunissant, en une seule entreprise, l’organe faîtier S et U-GmbH s’étendait aux activités de S relevant de l’exercice de la puissance publique et que les conditions prévues à l’article 3, paragraphe 9a, point 2, de l’UStG, n’étaient pas remplies.

22      L’administration fiscale a formé un recours en Revision contre ce jugement devant le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne), qui est la juridiction de renvoi. Celle-ci a saisi la Cour, à titre préjudiciel, afin de déterminer si la réglementation allemande relative à l’unité fiscale était conforme au droit de l’Union et si l’article 6, paragraphe 2, sous b), de la sixième directive était applicable.

23      Cette demande préjudicielle a donné lieu à l’arrêt du 1er décembre 2022, Finanzamt T (Prestations internes d’un groupement TVA) (C‑269/20, EU:C:2022:944). Dans cet arrêt, la Cour a considéré que l’article 4, paragraphe 4, second alinéa, de la sixième directive ne s’opposait pas à ce qu’un État membre désigne, en tant qu’assujetti unique d’un groupement TVA, l’organe faîtier de celui-ci, lorsque cet organe est en mesure d’imposer sa volonté aux autres entités faisant partie de ce groupement et à condition que cette désignation n’entraîne pas un risque de pertes fiscales. La Cour a également jugé que le droit de l’Union doit être interprété en ce sens que, dans le cas où un tel organe effectue des activités économiques pour lesquelles il est assujetti à la TVA et des activités qu’il accomplit dans le cadre de l’exercice de prérogatives de puissance publique, pour lesquelles il n’est pas considéré comme assujetti à la TVA en vertu de l’article 4, paragraphe 5, de cette directive, la fourniture, par une entité faisant partie de ce groupement, d’une prestation de services en lien avec ledit exercice ne doit pas être taxée au titre de l’article 6, paragraphe 2, sous b), de ladite directive.

24      La juridiction de renvoi estime nécessaire de saisir de nouveau la Cour, dans le cadre du même litige, sur la question de savoir si les prestations fournies à titre onéreux entre des personnes faisant partie d’un même groupement TVA relèvent du champ d’application de la TVA, conformément à l’article 2, paragraphe 1, et à l’article 4, paragraphe 4, second alinéa, de la sixième directive. Elle considère qu’il existe une incertitude à cet égard, compte tenu de ce que la Cour a indiqué aux points 77 à 80 de l’arrêt du 1er décembre 2022, Norddeutsche Gesellschaft für Diakonie, (C‑141/20, EU:C:2022:943).

25      Cette juridiction se demande également s’il n’y a pas lieu, en tout état de cause, de soumettre de telles prestations à la TVA, dans le cas où le bénéficiaire de ces prestations n’est pas ou n’est que partiellement autorisé à déduire la taxe due ou payée en amont, afin d’éviter un « risque de pertes fiscales », compte tenu des principes issus des arrêts du 1er décembre 2022, Norddeutsche Gesellschaft für Diakonie (C‑141/20, EU:C:2022:943), et du 1er décembre 2022, Finanzamt T (Prestations internes d’un groupement TVA) (C‑269/20, EU:C:2022:944).

26      Dans ces conditions, le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Le regroupement de plusieurs personnes en un seul assujetti, conformément à l’article 4, paragraphe 4, [second] alinéa, de la [sixième directive] a-t-il pour effet que les prestations de services effectuées à titre onéreux entre ces personnes ne relèvent pas du champ d’application de la [TVA] conformément à l’article 2, point 1, de cette directive ?

2)      Les prestations fournies à titre onéreux entre ces personnes relèvent-elles en tout état de cause du champ d’application de la TVA lorsque le bénéficiaire de la prestation n’est pas (ou n’est que partiellement) autorisé à déduire la taxe en amont, à défaut de quoi il existe un risque de pertes fiscales ? »

 Sur les questions préjudicielles

27      Par ses deux questions, qu’il y a lieu d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, point 1, et l’article 4, paragraphe 4, second alinéa, de la sixième directive doivent être interprétés en ce sens que les prestations effectuées à titre onéreux entre des personnes faisant partie d’un même groupement TVA doivent être soumises à la TVA et si la circonstance que le bénéficiaire de ces prestations ne peut pas déduire la TVA due ou acquittée en amont doit être prise en compte au motif qu’une telle situation entraînerait un risque de pertes fiscales.

28      Il importe, à titre liminaire, de rappeler que, aux termes de l’article 2, point 1, de la sixième directive, sont soumises à la TVA les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel.

29      Selon l’article 4, paragraphe 1, de cette directive, est considéré comme un « assujetti » quiconque accomplit, d’une façon indépendante, une activité économique mentionnée au paragraphe 2 de cet article, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.

30      En outre, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’une prestation de services n’est soumise à la TVA que s’il existe entre le prestataire et le bénéficiaire un rapport juridique au cours duquel des prestations réciproques sont échangées, la rétribution perçue par le prestataire constituant la contre-valeur effective du service fourni au bénéficiaire (voir, en ce sens, arrêt du 24 janvier 2019, Morgan Stanley & Co International, C‑165/17, EU:C:2019:58, point 37 et jurisprudence citée).

31      Pour établir qu’un tel rapport juridique existe, il y a lieu de vérifier si le prestataire accomplit une activité économique indépendante, notamment en ce qu’il supporte le risque économique découlant de son activité [voir, en ce sens, arrêts du 17 septembre 2014, Skandia America (USA), filial Sverige, C‑7/13, EU:C:2014:2225, point 25, et du 24 janvier 2019, Morgan Stanley & Co International, C‑165/17, EU:C:2019:58, point 35].

32      Quant à la question de savoir si des prestations fournies entre des membres d’un même groupement TVA doivent être imposées à la TVA, il convient, compte tenu des interrogations formulées par la juridiction de renvoi, de relever que la Cour ne s’est pas prononcée sur cette question dans l’arrêt du 1er décembre 2022, Norddeutsche Gesellschaft für Diakonie (C‑141/20, EU:C:2022:943).

33      En effet, aux points 77 à 80 de cet arrêt, visés plus particulièrement par la juridiction de renvoi, la question examinée était celle de savoir si un État membre peut qualifier, « par catégorisation », des entités données comme étant non indépendantes, au sens de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 4, paragraphe 4, premier alinéa, de la sixième directive, lorsque ces dernières sont intégrées sur les plans financier, économique et de l’organisation à l’organe faîtier d’un groupement TVA.

34      Il ressort des points 23 et 28 à 30 dudit arrêt que cette question était posée par la même juridiction de renvoi que celle ayant déposé la présente demande de décision préjudicielle afin d’apprécier si le système allemand de l’unité fiscale Organschaft pouvait être « justifié », en tout état de cause, au moyen d’une lecture combinée de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 4, paragraphe 4, premier alinéa, de la sixième directive.

35      Par conséquent, la jurisprudence issue de l’arrêt du 1er décembre 2022, Norddeutsche Gesellschaft für Diakonie (C‑141/20, EU:C:2022:943), ne préjuge pas la réponse qu’il convient d’apporter à la question de savoir si les prestations réalisées entre les membres d’un même groupement TVA relèvent du champ d’application de la TVA.

36      Pour répondre à cette question, il importe, en revanche, de prendre en compte l’appartenance de ces membres à un même groupement TVA et les règles spécifiques prévues à l’article 4, paragraphe 4, second alinéa, de la sixième directive (voir, en ce sens, arrêt du 11 mars 2021, Danske Bank, C‑812/19, EU:C:2021:196, point 22).

37      Selon le libellé de cette disposition, chaque État membre a la faculté de considérer comme étant « un seul assujetti » les personnes établies à l’intérieur du pays qui sont indépendantes du point de vue juridique, mais qui sont étroitement liées sur les plans financier, économique et de l’organisation.

38      Il résulte, en outre, d’une jurisprudence constante que la mise en œuvre du régime prévu à l’article 4, paragraphe 4, second alinéa, de la sixième directive implique que la réglementation nationale prise sur son fondement autorise les entités présentant de tels liens à cesser d’être considérées comme des assujettis distincts à la TVA pour être considérées comme un assujetti unique et que, lorsqu’il est fait application, par un État membre, de cette disposition, la ou les entités subordonnées au sens de ladite disposition ne peuvent être considérées comme un ou des assujettis au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la sixième directive [voir, en ce sens, arrêts du 22 mai 2008, Ampliscientifica et Amplifin, C‑162/07, EU:C:2008:301, point 19 ; du 1er décembre 2022, Norddeutsche Gesellschaft für Diakonie, C‑141/20, EU:C:2022:943, point 45, ainsi que du 1er décembre 2022, Finanzamt T (Prestations internes d’un groupement TVA), C‑269/20, EU:C:2022:944, point 39].

39      Par conséquent, l’assimilation d’un groupement TVA à un assujetti unique en vertu de l’article 4, paragraphe 4, second alinéa, de la sixième directive exclut que les membres du groupement TVA continuent à souscrire séparément des déclarations de TVA et à être identifiés, dans et hors de leur groupe, comme des assujettis, dès lors que seul l’assujetti unique est habilité à souscrire lesdites déclarations. Cette disposition suppose donc nécessairement, lorsqu’il en est fait application par un État membre, que la réglementation nationale de transposition fasse en sorte que l’assujetti soit unique et qu’un seul numéro de TVA soit octroyé pour le groupe [voir, en ce sens, arrêts du 22 mai 2008, Ampliscientifica et Amplifin, C‑162/07, EU:C:2008:301, points 19 et 20, ainsi que du 1er décembre 2022, Finanzamt T (Prestations internes d’un groupement TVA), C‑269/20, EU:C:2022:944, point 40].

40      Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 44 et 45 de ses conclusions, il en résulte qu’un prestataire appartenant à un groupement TVA ne peut pas, lorsque l’État membre a mis en place un tel régime, être considéré, à titre individuel, comme étant un assujetti distinct de l’assujetti que constitue le groupement TVA, de sorte qu’il n’y a pas lieu de déterminer si ce prestataire remplit la condition d’indépendance prévue à l’article 4, paragraphe 1, de la sixième directive lorsqu’il fournit une prestation à titre onéreux à une autre entité de ce groupement. Dès lors, une telle prestation ne peut pas relever du champ d’application de la TVA en vertu de l’article 2, point 1, de cette directive.

41      Il importe, enfin, de relever que le comité de la TVA, institué à l’article 398 de la directive 2006/112, a effectué une analyse identique à propos du groupement TVA visé à l’article 11 de cette directive, dans les lignes directrices résultant de la cent dix-neuvième  réunion de ce comité, du 22 novembre 2021, lesquelles indiquent que le traitement d’un groupement TVA comme étant un assujetti unique exclut que les membres de ce groupement continuent à opérer, dans et hors de leur groupement, comme étant des assujettis distincts aux fins de la TVA. Un tel document, bien que dépourvu de valeur contraignante, n’en constitue pas moins une aide à l’interprétation de la sixième directive (voir, par analogie, ordonnance du 8 octobre 2020, Weindel Logistik Service, C‑621/19, EU:C:2020:814, point 48).

42      De même, le point 3.4.3 de la communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen concernant la possibilité de groupement TVA prévue à l’article 11 de la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée [COM(2009) 325 final], relatif aux « Livraisons et prestations intragroupe », précise que les opérations entre les membres d’un même groupement TVA effectuées à titre onéreux n’existent pas aux fins de la TVA.

43      Quant à la question de savoir s’il conviendrait de distinguer le cas particulier où le prestataire d’une telle prestation ne peut pas se prévaloir du droit à déduction de la TVA due ou payée en amont, au motif qu’il existerait, dans ce cas, un « risque de pertes fiscales », il importe, à titre liminaire, de rappeler que, dans le cadre d’un groupement TVA, le droit à déduction de la TVA due ou acquittée en amont est conféré au groupement lui-même, et non pas à ses membres.

44      Par ailleurs, dans les arrêts du 1er décembre 2022, Norddeutsche Gesellschaft für Diakonie (C‑141/20, EU:C:2022:943), et du 1er décembre 2022, Finanzamt T (Prestations internes d’un groupement TVA) (C‑269/20, EU:C:2022:944), que la juridiction de renvoi a cités dans sa décision de renvoi, la condition relative à la nécessité d’éviter un risque de pertes fiscales à laquelle la Cour a fait référence se rapportait à une question différente de celle examinée dans le cadre de la présente affaire.

45      En effet, ainsi qu’il ressort du point 60 de l’arrêt du 1er décembre 2022, Norddeutsche Gesellschaft für Diakonie (C‑141/20, EU:C:2022:943), et du point 53 de l’arrêt du 1er décembre 2022, Finanzamt T (Prestations internes d’un groupement TVA) (C‑269/20, EU:C:2022:944), cette question était celle de la possibilité pour un État membre de désigner non pas le groupement TVA lui-même, mais l’organe faîtier de ce groupement pour exercer le rôle de seul assujetti. Ainsi qu’il est rappelé au point 23 du présent arrêt, la Cour a estimé que tel pouvait être le cas si cette désignation conduisait au même résultat, en ce qui concerne les recettes fiscales, que dans le cas où le groupement TVA serait, lui-même, assujetti à cette taxe [voir, en ce sens, arrêts du 1er décembre 2022, Norddeutsche Gesellschaft für Diakonie, C‑141/20, EU:C:2022:943, points 57 à 59, et du 1er décembre 2022, Finanzamt T (Prestations internes d’un groupement TVA), C‑269/20, EU:C:2022:944, points 50 à 52].

46      En revanche, le « risque de pertes fiscales » auquel la juridiction de renvoi se réfère dans le cadre de sa seconde question résulterait, a priori, non pas de l’application de conditions particulières au régime du groupement TVA propres au droit d’un État membre, mais de l’application du système commun de TVA prévu par la sixième directive et des règles relatives à la déduction de la TVA due ou acquittée en amont qu’il prévoit.

47      Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre aux questions posées que l’article 2, point 1, et l’article 4, paragraphe 4, second alinéa, de la sixième directive doivent être interprétés en ce sens que les prestations effectuées à titre onéreux entre des personnes faisant partie d’un même groupement TVA ne sont pas soumises à la TVA, même dans le cas où la TVA due ou acquittée par le bénéficiaire de ces prestations ne peut pas faire l’objet d’une déduction en amont.

 Sur la limitation des effets dans le temps

48      Le gouvernement allemand a demandé à la Cour de limiter les effets dans le temps du présent arrêt dans le cas où la Cour répondrait par l’affirmative à la première ou à la seconde question.

49      Compte tenu de la réponse apportée aux deux questions posées par la juridiction de renvoi, il n’y a pas lieu de répondre à cette demande.

 Sur les dépens

50      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

L’article 2, point 1, et l’article 4, paragraphe 4, second alinéa, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme,

doivent être interprétés en ce sens que :

les prestations effectuées à titre onéreux entre des personnes faisant partie d’un même groupement formé par des personnes indépendantes du point de vue juridique, mais étroitement liées entre elles sur les plans financier, économique et de l’organisation, désigné comme étant un assujetti unique par un État membre, ne sont pas soumises à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), même dans le cas où la TVA due ou acquittée par le bénéficiaire de ces prestations ne peut pas faire l’objet d’une déduction en amont.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.