Language of document : ECLI:EU:T:2013:116

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (troisième chambre)

7 mars 2013(*)

« Recours en annulation – Demande tendant à la transmission à l’Autorité de la concurrence française de certains documents faisant partie du dossier de la Commission relatif à une procédure en matière de concurrence concernant le marché européen des producteurs de détergents domestiques – Utilisation dans le cadre d’une procédure nationale portant sur le secteur des lessives en France – Absence d’intérêt à agir –Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑64/12,

Henkel AG & Co. KGaA, établie à Düsseldorf (Allemagne),

Henkel France, établie à Boulogne‑Billancourt (France),

représentées par Mes R. Polley, T. Kuhn, F. Brunet et É. Paroche, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par MM. N. Khan et P. Van Nuffel, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d’une part, une demande d’annulation de la décision prétendument contenue dans une lettre de la Commission du 7 décembre 2011 (affaire COMP/39.579 – Détergents domestiques – et affaire 09/0007 F) par laquelle celle‑ci a refusé de donner suite à une demande des requérantes tendant à la transmission à l’Autorité de la concurrence (France), dans le cadre de l’affaire 09/0007 F portant sur le secteur français des détergents, de plusieurs documents produits dans l’affaire COMP/39.579 et, d’autre part, une demande tendant à ce que le Tribunal ordonne à la Commission d’autoriser les requérantes à invoquer les documents en question dans la procédure devant l’Autorité de la concurrence ou devant la juridiction française compétente dans le cadre d’un recours contre la décision de celle-ci et prenne toute autre mesure appropriée,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de M. O. Czúcz, président, Mme I. Labucka et M. D. Gratsias (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        En décembre 2009, la Commission européenne a engagé une procédure contre Unilever NV et Unilever PLC (ci‑après, prises ensemble, « Unilever »), The Procter & Gamble Company et Procter & Gamble International Sàrl (ci‑après, prises ensemble, « P&G ») ainsi que contre la première requérante, Henkel AG & Co. KGaA, la société mère de la seconde requérante, Henkel France, concernant une entente anticoncurrentielle sur le marché des détergents textiles domestiques dans huit États membres dont la France. L’affaire a été traitée conformément à la procédure de transaction instituée par le règlement (CE) n° 662/2008 de la Commission, du 30 juin 2008, modifiant le règlement (CE) n° 773/2004 en ce qui concerne les procédures de transaction engagées dans les affaires d’entente (JO L 171, p. 3). Les représentants de la première requérante ont obtenu l’accès aux documents contenus dans le dossier de la Commission, après avoir pris l’engagement de respecter la confidentialité desdits documents, conformément à l’article 10 bis, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles 81 et 82 [CE], tel que modifié (JO L 123, p. 18). La procédure engagée par la Commission a été clôturée par la décision C (2011) 2528 final de la Commission, du 13 avril 2011, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/39.579 – Détergents domestiques), dont un résumé a été publié au Journal officiel de l’Union européenne du 2 juillet 2011 (JO C 193, p. 14).

2        Ainsi qu’il ressort de la décision C (2011) 2528, Henkel AG & Co. a été la première entreprise à informer la Commission de l’existence de l’entente en cause. Par conséquent, en application de sa communication sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2006, C 298, p. 17 ; ci-après la « communication sur la clémence »), la Commission lui a fait bénéficier d’une immunité totale d’amendes, l’amende en cause étant fixée à zéro euro. En revanche, P&G et Unilever, qui avaient également déposé des demandes tendant au bénéfice de ladite communication, assorties de plusieurs documents, n’ont obtenu qu’une réduction du montant des amendes que la Commission leur a finalement imposées à hauteur de, respectivement, 211,2 millions d’euros et 104 millions d’euros.

3        Parallèlement à l’affaire COMP/39.579 instruite par la Commission, l’Autorité de la concurrence française (ci-après l’« ADLC ») a effectué une enquête fondée sur l’article 101 TFUE et les dispositions équivalentes en droit national, à savoir l’article L. 420‑1 du code de commerce français, concernant des pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre dans le secteur des lessives en France qui avaient été portées à la connaissance de l’ADLC par quatre fabricants de lessives opérant sur le territoire français. Ceux‑ci avaient successivement sollicité auprès de l’ADLC le bénéfice de la procédure de clémence sur le fondement de l’article L. 464‑2 du code de commerce français. [confidentiel](1)

4        Ainsi qu’il ressort de l’article L. 461‑1 du code de commerce français, l’ADLC est une autorité administrative indépendante qui veille au libre jeu de la concurrence et apporte son concours au fonctionnement concurrentiel des marchés aux échelons européen et international. Les attributions qui lui sont confiées sont exercées par un collège composé de dix-sept membres, dont un président. Il ressort, en outre, de l’article L. 461‑4 du code de commerce français que l’ADLC dispose de services d’instruction dirigés par un rapporteur général qui nomme les rapporteurs généraux adjoints, les rapporteurs permanents ou non permanents et les enquêteurs des services d’instruction. Ces services procèdent aux investigations nécessaires à l’application, notamment, du titre II du livre IV du code de commerce français, qui comprend l’article L. 420‑1. L’article L. 461‑4 du code de commerce français prévoit, par ailleurs, qu’un conseiller auditeur possédant la qualité de magistrat ou offrant des garanties d’indépendance et d’expertise équivalentes est nommé auprès de l’ADLC. Celui‑ci recueille, le cas échéant, les observations des parties mises en cause et saisissantes sur le déroulement des procédures les concernant dès l’envoi de la notification des griefs. Il transmet au président de l’ADLC un rapport évaluant ces observations et proposant, si nécessaire, tout acte permettant d’améliorer l’exercice de leurs droits par les parties.

5        La procédure devant l’ADLC est régie par les articles L. 463‑1 à L. 463‑8 du code de commerce français. Conformément à l’article L. 463‑2 du même code, le rapporteur général ou un rapporteur général adjoint désigné par ce dernier notifie les griefs aux intéressés ainsi qu’au commissaire du Gouvernement, qui peuvent consulter le dossier et présenter leurs observations. À moins que le rapporteur général ne décide que l’affaire sera examinée par l’ADLC sans rapport, le rapport est notifié aux parties, au commissaire du Gouvernement et aux ministres intéressés. Ce rapport est accompagné des documents sur lesquels se fonde le rapporteur en charge du dossier et des observations faites, le cas échéant, par les intéressés, les parties disposant d’un délai de deux mois pour présenter un mémoire en réponse. Conformément à l’article L. 463‑7 du code de commerce français, les parties peuvent demander à être entendues par l’ADLC lors de la séance où l’affaire est évoquée. Celle‑ci n’est pas publique. L’ADLC peut, en outre, entendre toute personne dont l’audition lui paraît susceptible de contribuer à son information. Le rapporteur général ou le rapporteur général adjoint désigné par ce dernier et le commissaire du Gouvernement peuvent aussi présenter des observations.

6        Par lettre du 3 août 2010, adressée à la Commission, les requérantes ont identifié certains documents contenus dans le dossier de la procédure COMP/39.579 et elles ont indiqué les motifs pour lesquels elles estimaient que ces documents leur seraient très utiles dans leur défense dans l’affaire devant l’ADLC. [confidentiel]

7        La Commission a répondu à cette demande par courriel du 31 août 2010. Elle a, tout d’abord, indiqué que l’affaire COMP/39.579 était distincte de celle dont l’ADLC était saisie. Ensuite, elle a rappelé que les représentants de la première requérante s’étaient engagées à respecter la confidentialité des documents concernés et que cet engagement demeurait valable. Enfin, elle a indiqué aux requérantes que sa permission n’était pas nécessaire pour que celles-ci demandent à l’ADLC de solliciter, sur la base de l’article 11, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, la transmission des documents en cause. Elle a précisé que, dans l’hypothèse où les requérantes soumettraient une telle demande, elles devraient indiquer à l’ADLC qu’elles avaient identifié les documents en question dans leur lettre mentionnée au point ci-dessus. L’ADLC pourrait s’adresser à la Commission, si elle l’estimait nécessaire, pour obtenir une description des documents en question.

8        Par lettre du 14 septembre 2010, les requérantes se sont adressées au rapporteur général adjoint de l’ADLC en charge du dossier. Elles lui ont indiqué qu’elles considéraient que les documents dont il était question dans leur lettre du 3 août 2010 adressée à la Commission contenaient des éléments indispensables à l’exercice de leurs droits de la défense dans la procédure devant l’ADLC, dans la mesure où ils pourraient permettre, selon elles, de montrer la dimension internationale de l’affaire dont l’ADLC était saisie ou établir d’autres aspects importants de cette affaire. Elles ont, dès lors, invité l’ADLC à solliciter auprès de la Commission, conformément à l’article 11, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, la communication d’une copie des documents en cause.

9        Ainsi qu’il ressort de la décision n° 11-D-17, du 8 décembre 2011, par laquelle l’ADLC a clôturé la procédure pendante devant elle (ci-après, la « décision de l’ADLC »), les services d’instruction de l’ADLC ont répondu aux requérantes, dans leur rapport du 16 décembre 2010, qu’il n’y avait pas lieu de donner suite à leur demande mentionnée au point ci-dessus, dans la mesure où ils estimaient que les affaires dont étaient saisies, respectivement, la Commission et l’ADLC, ne portaient pas sur les mêmes pratiques et étaient distinctes et que l’article 11 du règlement no 1/2003 était un instrument visant notamment à allouer les affaires aux autorités de concurrence bien placées pour en connaître.

10      Par lettre du 11 mars 2011, les requérantes, en application des dispositions de l’article R. 461‑9 du code de commerce français, ont saisi le conseiller auditeur de l’ADLC des difficultés qu’elles estimaient rencontrer dans l’exercice de leurs droits à l’occasion de la procédure devant l’ADLC, s’agissant de la non transmission des documents en cause par la Commission à l’ADLC. En outre, dans leurs observations sur le rapport mentionné au point ci-dessus, les requérantes ont maintenu leur demande tendant à ce que l’ADLC sollicite auprès de la Commission les documents en cause.

11      Le 12 septembre 2011, le rapporteur général adjoint de l’ADLC en charge du dossier s’est adressé à la Commission. Après avoir rappelé les faits résumés aux points 8 à 10 ci‑dessus, il a ajouté ce qui suit :

« Compte tenu de l’insistance de Henkel, présentée sous le fondement de l’exercice effectif de ses droits à la défense, à obtenir le versement de[s documents en cause] dans le dossier [de l’affaire devant l’ADLC], je vous demande d’autoriser [l’ADLC] à accéder à ces pièces et à les verser dans son dossier […], afin qu’[elle] puisse les utiliser pour examiner si, comme l’indique Henkel, elles peuvent contribuer à établir un ‘faisceau d’indices démontrant l’existence d’une infraction unique complexe et continue’ ».

12      Le rapporteur général adjoint a indiqué, dans la même lettre, que la séance de l’ADLC était fixée au 18 octobre 2011 et que le conseiller auditeur devait rendre son rapport au président de l’ADLC, au plus tard dix jours ouvrables avant la séance.

13      Par lettre du 30 septembre 2011 mentionnant, notamment, en objet « Affaires COMP/39.579 – Détergents domestiques – et 09/0007 F » (ci‑après la « lettre du 30 septembre 2011 »), la Commission a indiqué à l’ADLC ne pas être en mesure de transférer les documents demandés, aux motifs que ceux‑ci, transmis par des entreprises autres que les requérantes et sollicitant le bénéfice de la clémence, bénéficiaient d’une protection de confidentialité particulièrement élevée et qu’ils ne pouvaient, en outre, être utilisés comme moyen de preuve, en vertu de l’article 12, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, que pour l’objet pour lequel ils avaient été recueillis. Or, la procédure COMP/39.579 et la procédure devant l’ADLC portaient, selon la Commission, sur des infractions distinctes.

14      Le 3 octobre 2011, le conseiller auditeur de l’ADLC a rendu son rapport. Après avoir rappelé les faits résumés aux points 8 à 13 ci‑dessus, il a énoncé la conclusion suivante :

« Il apparaît ainsi que le service de l’instruction de l’[ADLC] a pris les mesures appropriées qu’il était en son pouvoir d’ordonner pour assurer le respect des droits de la défense, dans le sens dans lequel les parties entendaient les exercer. Dans ces conditions, il peut être considéré que toutes les facilités pour préserver l’exercice effectif de leurs droits ont bien été reconnues aux [requérantes]. »

15      Le 10 octobre 2011, les requérantes ont adressé une lettre au président de l’ADLC, dans laquelle elles contestaient les raisons invoquées par la Commission pour justifier son refus de transmettre les documents en question. Elles ont ajouté que, en dépit de l’intervention du conseiller auditeur, elles n’étaient toujours pas en mesure d’exercer leurs droits de la défense devant l’ADLC, étant dans l’impossibilité de débattre desdits documents lors de la séance de l’ADLC. Par conséquent, elles ont demandé à l’ADLC de reporter la séance.

16      Par lettre du 17 octobre 2011, les requérantes ont saisi la Commission d’une demande d’accès aux documents, fondée sur l’article 2 du règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO L 145, p. 43), portant sur les documents dont il était question dans leur lettre du 3 août 2010. Dans cette lettre, sous l’intitulé « observations générales », elles ont formulé certaines observations mettant en cause la position adoptée par la Commission dans sa lettre du 30 septembre 2011, adressée à l’ADLC (voir point 13 ci‑dessus).

17      Le 18 octobre 2011, les rapporteurs, le rapporteur général adjoint, le commissaire du gouvernement et les représentants des requérantes ainsi que des autres sociétés mises en cause dans l’affaire devant l’ADLC ont été entendus lors de la séance de cette dernière. Au cours de la séance, les requérantes ont, notamment, demandé à l’ADLC de surseoir à statuer, au regard du refus de la Commission, exprimé par la lettre du 30 septembre 2011, de transmettre les documents dont il était question dans cette lettre.

18      Par lettre du 8 novembre 2011, la Commission a rejeté la demande d’accès aux documents des requérantes, présentée en vertu du règlement no 1049/2001. Elle a, en même temps, indiqué que sa lettre répondait uniquement à ladite demande et que, dans la mesure où la lettre des requérantes du 17 octobre 2011 contenait des observations « en dehors du cadre de ce règlement », elles seraient traitées dans une lettre séparée.

19      Par lettre du 23 novembre 2011, la Commission a indiqué à l’ADLC qu’elle avait « réexaminé sa position initiale indiquée dans [l]a lettre datée du 30 septembre 2011 ». Ce réexamen l’aurait conduite à envisager « d’éventuelles modalités qui permettraient à l’[ADLC] d’étudier les documents  en question ». Elle a ainsi informé l’ADLC qu’elle s’était parallèlement adressée à P & G et Unilever, afin d’obtenir leur accord pour une éventuelle transmission des documents en question. Elle a ajouté que, dans le cas où l’une ou l’autre de ces parties refuserait de donner son accord pour la transmission de ces documents à l’ADLC, elle serait néanmoins disposée à les transmettre à cette dernière, si celle‑ci lui donnait l’engagement de ne pas les utiliser afin d’infliger des sanctions aux demandeurs de mesures de clémence et à toute autre personne morale ou physique couverte par ce traitement favorable ou à leurs salariés ou anciens salariés, ainsi que le prévoit le paragraphe 41, sous 2, de la communication de la Commission relative à la coopération au sein du réseau des autorités de concurrence (JO 2004 C 101, p. 43). Elle a dès lors prié l’ADLC de lui faire parvenir cet engagement et de « confirmer que les garanties nécessaires pour autoriser le transfert des documents, telles que mentionnées au point 35 de la communication sur la clémence, seront prises ».

20      Par lettre du 5 décembre 2011, le président de l’ADLC a répondu à la lettre de la Commission, du 23 novembre 2011. Il a indiqué que la procédure contradictoire dans l’affaire devant l’ADLC était terminée et que les services d’instruction avaient été dessaisis de l’affaire, qui était déjà en délibéré. Il a poursuivi en indiquant que, « [e]n conséquence, une communication des pièces en cause n’[avait] plus lieu d’être, sauf pour le collège à renvoyer l’affaire à l’instruction en vue d’un supplément d’instruction et d’un nouveau débat contradictoire avec les parties, si cela se justifi[ait] ». En outre, il a indiqué que l’ADLC pouvait, comme il lui était demandé, fournir la garantie prévue au point 35 de la communication sur la clémence, mais que, en revanche, il lui était impossible de donner l’engagement visé au paragraphe 41, sous 2, de la communication de la Commission relative à la coopération au sein du réseau des autorités de concurrence.

21      Par lettre du 7 décembre 2011, la Commission a répondu à la lettre des requérantes, du 17 octobre 2011, en ce que cette dernière contenait des observations générales critiquant le rejet, par la lettre de la Commission du 30 septembre 2011, de la demande du rapporteur général adjoint de l’ADLC tendant à la transmission des documents en cause. La Commission a contesté les arguments des requérantes et a, en outre, informé ces dernières des développements subséquents, ayant trait à l’envoi, à l’ADLC, de sa lettre du 23 novembre 2011 et à la réponse du président de cette dernière, par sa lettre du 5 décembre 2011.

22      Par la décision de l’ADLC, adoptée le 8 décembre 2011, cette dernière a clôturé la procédure pendante devant elle et constaté que plusieurs sociétés, dont les requérantes, avaient enfreint l’article 101, paragraphe 1, TFUE et l’article L. 420‑1 du code de commerce français par leur participation à une entente anticoncurrentielle dans le secteur des lessives standards pratiquée à l’égard de la grande distribution en France. En conséquence, elle a, notamment, imposé aux requérantes une amende de plus de 90 millions d’euros.

23      Dans sa décision, l’ADLC a examiné et rejeté la demande de sursis à statuer présentée par les requérantes (voir point 17 ci‑dessus). En premier lieu, elle a relevé, au paragraphe 357 de cette décision, que l’exercice légitime des droits de la défense des requérantes était organisé dans le cadre de la procédure menée par l’ADLC conformément aux dispositions pertinentes du code de commerce français. En demandant à la Commission de lui transférer les documents sollicités par Henkel, l’ADLC aurait accepté d’aller au-delà du débat contradictoire organisé par le code de commerce français. La circonstance que, à la date de la séance de l’ADLC et de sa décision, les requérantes n’ont pas pu obtenir les documents en question ne serait pas imputable à l’ADLC et ne pourrait pas constituer une violation des obligations de cette dernière, dont le périmètre serait défini, eu égard à l’autonomie procédurale dont jouissent les États membres en la matière, par les dispositions pertinentes du code de commerce français.

24      En deuxième lieu, l’ADLC a examiné, aux paragraphes 358 à 360 de sa décision, d’une part, la nature des liens existant entre les documents en cause et l’objet de l’affaire devant elle et, d’autre part, en quoi ces documents pouvaient influencer concrètement l’exercice des droits de la défense des requérantes. Sur le premier point, l’ADLC a constaté qu’il s’agissait de documents relatifs à une affaire ayant pour objet une pratique anticoncurrentielle que la Commission avait elle‑même qualifiée de distincte de celle pendante devant l’ADLC. L’ADLC a, donc, considéré qu’il convenait de reconnaître que le lien entre lesdits documents et l’affaire devant l’ADLC n’était pas « si étroit que le prétend[aient] » les requérantes. Sur le deuxième point, l’ADLC a constaté que, de l’aveu même des requérantes, les documents en cause n’étaient demandés ni pour contester sa compétence aux fins d’examiner et éventuellement de sanctionner les faits dont elle était saisie, ni pour remettre en cause l’exactitude de ceux‑ci, leur qualification juridique ou leur imputabilité. La transmission desdits documents aurait plutôt été sollicitée pour démontrer que l’infraction française était « impulsée » ou « complétée » par un volet européen à propos duquel la Commission et l’ADLC auraient l’une et l’autre refusé, à tort selon les requérantes, d’ouvrir une procédure. Or, selon l’ADLC, une telle argumentation était inopérante à son égard, dès lors que c’était le seul grief notifié par les services d’instruction qui circonscrivait le champ de l’affaire pouvant être traitée par elle et, par conséquent, l’étendue des droits de la défense ouverts aux parties mises en cause par ce grief.

25      En troisième lieu, l’ADLC a relevé, au paragraphe 361 de sa décision, que c’était par leur propre comportement que les requérantes se trouvaient dans une situation dont elles prétendaient qu’elle était préjudiciable à leurs droits de la défense. La première requérante serait, en effet, l’une des parties en cause dans l’affaire traitée par la Commission. Elle aurait, de son propre choix, décidé d’entrer en voie de transaction avec la Commission, admis les griefs que celle‑ci lui reprochait et renoncé à introduire un recours contre sa décision, alors même qu’elle prétendait, devant l’ADLC, que l’infraction examinée par la Commission était en réalité plus vaste que celle réprimée par la décision de cette dernière, au point d’englober ou de compléter la pratique en cause devant l’ADLC. Dans ces conditions, l’ADLC a considéré, au paragraphe 362 de sa décision, qu’il était quelque peu paradoxal que les requérantes aient invoqué la méconnaissance de leurs droits de la défense devant elle, à propos d’une autre affaire, « alors que la partie a renoncé d’elle‑même à les exercer devant l’institution de l’Union [européenne] compétente et au moment où un tel débat aurait pu être opérant ».

26      En outre, aux paragraphes 710 à 744 de sa décision, l’ADLC a exposé que les requérantes étaient la deuxième entreprise à présenter devant elle une demande de clémence relative aux pratiques en cause et pouvaient, dès lors, bénéficier d’une exonération partielle de sanction. Elles auraient fait état d’éléments qui auraient contribué à établir la réalité des pratiques dénoncées et représenté une valeur ajoutée significative. Jusqu’au moment où, par lettre du 22 avril 2010, la Commission a confirmé aux services d’instruction de l’ADLC que sa décision d’ouvrir une procédure devant elle ne portait en rien sur les griefs notifiés aux requérantes par l’ADLC, les positions exprimées par les requérantes au sujet de l’articulation entre les deux procédures auraient pu être considérées comme entrant dans le cadre de l’exercice de leurs droits de la défense. En revanche, le fait que les requérantes ont continué, postérieurement à la réception de cette lettre de la Commission, à faire valoir à l’égard des services d’instruction de l’ADLC qu’il leur incombait de prouver l’absence d’unité entre les pratiques qu’ils examinaient et celles examinées par la Commission, n’aurait pas été justifiable et aurait dû conduire à la conclusion que les requérantes n’avaient pas pleinement respecté les obligations découlant de leur devoir de coopération. Compte tenu de ces considérations, l’ADLC a fixé le taux de réduction de la sanction encourue par les requérantes à 25 %, « soit un chiffre compris dans la fourchette envisagée par l’avis de clémence […] mais inférieur aux 30 % auxquels elle[s] prétend[aient], au minimum, avoir droit ».

27      Le 13 janvier 2012, les requérantes ont formé un recours contre la décision de l’ADLC du 8 décembre 2011, devant la Cour d’appel de Paris.

 Procédure et conclusions des parties

28      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 15 février 2012, les requérantes ont introduit le présent recours, dans lequel elles concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision de la Commission contenue dans la lettre du 7 décembre 2011 ;

–        ordonner à la Commission de les autoriser à invoquer les documents demandés dans la procédure devant la Cour d’appel de Paris, par laquelle elles contestent la décision de l’ADLC ;

–        condamner la Commission aux dépens ;

–        prendre toute autre mesure que le Tribunal jugera appropriée.

29      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 30 avril 2012, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal. Elle conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

30      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 21 mai 2012, Unilever PLC et Unilever NV ont demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission. La Commission et les requérantes ont présenté leurs observations sur cette demande, respectivement, les 6 et 22 juin 2012.

31      Les requérantes ont présenté leurs observations sur l’exception d’irrecevabilité le 11 juillet 2012.

 En droit

32      En vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond. Conformément au paragraphe 3 du même article, la suite de la procédure est orale, sauf décision contraire du Tribunal. Aux termes du paragraphe 4 du même article, le Tribunal statue sur la demande ou la joint au fond.

33      En l’espèce, le Tribunal estime qu’il est suffisamment éclairé par les pièces versées au dossier et qu’il n’y a pas lieu d’ouvrir la procédure orale.

 Sur la demande en annulation

34      La Commission fait valoir que la demande d’annulation de la lettre du 7 décembre 2011 est sans objet, à la lumière de la décision de l’ADLC. Dès lors que la procédure devant l’ADLC aurait été clôturée par cette décision, toute transmission des documents en cause à l’ADLC aurait perdu sa raison d’être. Il ne saurait plus être question ni d’une prétendue violation des droits de la défense des requérantes dans la procédure devant l’ADLC, ni d’une prétendue violation, par cette dernière, du principe ne bis in idem.

35      Il convient de constater que, en substance, par cette argumentation, la Commission remet en question l’existence d’un intérêt des requérantes à obtenir l’annulation de la décision contenue, selon elles, dans la lettre du 7 décembre 2011.

36      À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’intérêt à agir d’un requérant doit, au vu de l’objet du recours, exister au stade de l’introduction de celui-ci sous peine d’irrecevabilité (arrêt de la Cour du 7 juin 2007, Wunenburger/Commission, C‑362/05 P, Rec. p. I‑4333, point 42). Dès lors que, selon la Commission, tout éventuel intérêt des requérantes à obtenir l’annulation de la décision prétendument contenue dans la lettre du 7 décembre 2011 a disparu après l’adoption, le 8 décembre 2011, de la décision de l’ADLC ayant mis fin à la procédure devant elle, de sorte qu’un tel intérêt a disparu antérieurement à la date d’introduction du recours, en l’occurrence le 15 février 2012, il convient alors de conclure, dans la mesure où l’argumentation de la Commission, résumée au point 34 ci‑dessus, s’avérerait fondée, que le recours devrait être rejeté comme irrecevable.

37      Avant d’examiner cette dernière question, il y a lieu de préciser qu’elle doit être distinguée de celle tenant à l’existence d’un acte attaquable. Il convient de rappeler, à cet égard, que, selon une jurisprudence constante, toute lettre d’une institution de l’Union envoyée à son destinataire en réponse à une demande formulée par ce dernier ne constitue pas une décision au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, ouvrant ainsi au destinataire la voie du recours en annulation (ordonnance de la Cour du 27 janvier 1993, Miethke/Parlement, C‑25/92, Rec. p. I‑473, point 10, et ordonnance du Tribunal du 11 décembre 1998, Scottish Soft Fruit Growers/Commission, T‑22/98, Rec. p. II‑4219, point 34).

38      Ainsi, en l’espèce, du seul fait que la lettre du 7 décembre 2011 a été adressée par la Commission aux requérantes, en réponse à une argumentation qu’elles avaient présentée dans une lettre qu’elles lui avaient préalablement envoyée, il ne saurait nécessairement être présumé que ladite lettre contenait une décision, adressée aux requérantes, contre laquelle ces dernières pouvaient former un recours en annulation. Pour que tel soit le cas, il devrait être démontré que cette lettre produit des effets juridiques obligatoires. En effet, selon une jurisprudence constante de la Cour, le recours en annulation est ouvert à l’égard de toutes dispositions prises par les institutions de l’Union, quelles qu’en soient la nature ou la forme, qui visent à produire des effets de droit (voir arrêt de la Cour du 6 avril 2000, Espagne/Commission, C‑443/97, Rec. p. I‑2415, point 27 et la jurisprudence citée).

39      Toutefois, au regard de l’argumentation de la Commission, résumée au point 34 ci‑dessus, il est opportun d’examiner, d’abord, la question de l’existence, au moment de l’introduction du recours, d’un intérêt des requérantes à obtenir l’annulation de la lettre de la Commission du 7 décembre 2011, en partant de la prémisse que celle-ci constitue effectivement un acte susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation, avant d’aborder, le cas échéant, la question de savoir si cette dernière prémisse est exacte.

40      À cet égard, il y a lieu de relever qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 36 ci‑dessus que l’intérêt à agir d’un requérant doit être apprécié au vu de l’objet du recours. Or, en l’espèce, il ressort des écrits des parties que celles-ci ont une conception divergente de l’objet de la lettre du 7 décembre 2011 et de la décision qui y serait contenue.

41      En particulier, les requérantes précisent dans leur requête que la demande en annulation vise « la décision de la [Commission] du 7 décembre 2011 […] rejetant la demande des requérantes de transmettre quinze documents […] à l’[ADLC] ou d’autoriser les requérantes (qui possèdent des copies de ces documents) à utiliser ceux‑ci dans la procédure devant l’ADLC (ou dans la procédure devant la Cour d’appel de Paris) ».

42      En revanche, la Commission fait valoir qu’il est clair que la lettre du 7 décembre 2011 ne porte que sur la demande de transmission des documents en cause à l’ADLC et elle conteste, pour le surplus, l’affirmation des requérantes telle qu’elle est reproduite au point ci‑dessus. Dans ces conditions, il convient, avant d’analyser l’existence d’un intérêt des requérantes à obtenir l’annulation de la lettre du 7 décembre 2011, de définir l’objet précis de ladite lettre.

 Sur l’objet de la lettre du 7 décembre 2011

43      Il convient de constater qu’il ressort de la lecture de la lettre des requérantes à la Commission, du 17 octobre 2011, que ces dernières ont présenté une « demande conformément à l’article 2 du règlement no 1049/2001 de permission d’utiliser [les documents en cause] dans la procédure devant l’[ADLC] ». Il apparaît, dès lors, que, par cette lettre, les requérantes ont demandé à être autorisées à utiliser lesdits documents, dont elles disposaient déjà sous forme des copies.

44      Toutefois, il y a lieu de relever que le libellé de l’article 2 du règlement no 1049/2001, que les requérantes avaient mentionné dans leur lettre, ne porte pas sur le cas d’une demande tendant à permettre à l’intéressé d’utiliser un document en provenance d’une institution de l’Union dont il est déjà en possession. Aux termes du paragraphe 1 de cet article, « [t]out citoyen de l’Union et toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège dans un État membre a un droit d’accès aux documents des institutions, sous réserve des principes, conditions et limites définis par le présent règlement ». Le paragraphe 2 du même article permet aux institutions, « sous réserve des mêmes principes, conditions et limites », d’autoriser l’accès aux documents à toute personne physique ou morale non domiciliée ou n’ayant pas son siège dans un État membre, alors que les autres paragraphes définissent de manière plus précise les documents qui entrent dans le champ d’application du règlement n° 1049/2001.

45      En outre, il ressort de l’article 10, paragraphe 1, du règlement n° 1049/2001, que l’accès aux documents s’exerce soit par consultation sur place, soit par délivrance d’une copie, y compris, le cas échéant, d’une copie électronique. Le paragraphe 2 du même article dispose que si un document a déjà été divulgué par l’institution concernée et est aisément accessible pour le demandeur, l’institution peut satisfaire à son obligation d’octroyer l’accès aux documents en informant le demandeur des moyens d’obtenir le document souhaité. Enfin, aux termes du paragraphe 3 du même article, « [l]es documents sont fournis dans une version et sous une forme existantes ».

46      Il ressort, ainsi, des dispositions mentionnées ci‑dessus qu’une demande d’accès aux documents en vertu du règlement n° 1049/2001 vise à procurer au demandeur une copie, sous quelque forme que ce soit, du document concerné ou, du moins, la possibilité de le consulter sur place. En d’autres termes, ce règlement envisage le cas d’un demandeur qui veut obtenir l’accès à un document qu’il ne possède pas et dont il peut être présumé qu’il ignore le contenu. En revanche, le règlement n° 1049/2001 ne contient pas de dispositions relatives à une éventuelle autorisation d’un tiers de divulguer le contenu d’un document en provenance des institutions et que ce tiers détient déjà, en original ou en copie.

47      Il n’en demeure pas moins que, dans l’hypothèse où, comme les requérantes en l’occurrence, un tiers détient des documents en provenance des institutions de l’Union, mais qu’il s’est engagé à ne pas les divulguer à d’autres personnes, si ce tiers demande et obtient l’accès aux mêmes documents en vertu du règlement n° 1049/2001, il pourra les divulguer sans restriction et les engagements antérieurs qu’il aurait pris à l’égard d’une telle divulgation seront désormais caduques. En effet, le règlement n° 1049/2001 ne prévoit pas la possibilité de donner à un membre du public l’accès à un document, tout en lui demandant de ne pas le divulguer à d’autres personnes. Une telle possibilité serait contraire à l’esprit et à la logique dudit règlement, dans la mesure où, lorsque les exceptions au droit d’accès prévues à l’article 4 du même règlement trouvent à s’appliquer, l’accès audit document est tout simplement refusé.

48      Au regard des considérations qui précèdent, il est évident que, par la lettre du 17 octobre 2011, les requérantes entendaient introduire une demande tout à fait ordinaire d’accès aux documents. Certes, elles détenaient déjà les documents visés par leur demande et l’objectif de cette dernière n’était donc pas de leur permettre de prendre connaissance de leur contenu mais, plutôt, de les libérer de l’engagement de non‑divulgation de ces documents à des tiers, qu’elles avaient donné à la Commission. Toutefois, les motifs justifiant la décision des requérantes de présenter une telle demande étaient sans pertinence, le règlement n° 1049/2001 ne prévoyant ni que l’intéressé doive motiver sa demande d’accès aux documents ni que les motifs justifiant une telle demande puissent jouer un rôle dans son admission ou dans son rejet.

49      Il ressort, en outre, de la réponse de la Commission à la demande des requérantes, contenue dans sa lettre du 8 novembre 2011 (point 18 ci‑dessus), qu’elle a compris que les requérantes entendaient présenter une demande ordinaire d’accès aux documents. C’est sous cet angle que la Commission a analysé cette demande et l’a rejetée au motif que l’exception au droit d’accès, prévue à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement n° 1049/2001, était applicable aux documents concernés.

50      L’objectif de la lettre du 7 décembre 2011 était différent. Il ressort des termes mêmes de cette lettre que la Commission entendait, par celle‑ci, répondre par elle, aux « observations générales » des requérantes, formulées dans leur lettre du 17 octobre 2011 pour remettre en question le refus de la Commission, tel qu’il ressortait de sa lettre à l’ADLC, du 30 septembre 2001, d’accéder à la demande de cette dernière de lui transférer les documents en cause. De telles observations étaient dépourvues de pertinence par rapport à la demande d’accès aux documents, formulée par les requérantes sur la base du règlement n° 1049/2001, et il est, donc logique que la Commission ait voulu y répondre dans une lettre distincte de sa réponse à cette dernière demande.

51      Il ressort de la lecture de la lettre du 7 décembre 2011 que celle-ci ne concerne que les observations des requérantes visées au point ci-dessus et, plus généralement, la question d’une éventuelle transmission des documents en cause par la Commission à l’ADLC. En revanche, il n’y est aucunement question d’une demande des requérantes tendant à se voir autorisées à utiliser lesdits documents dans la procédure devant l’ADLC ou devant la Cour d’appel de Paris.

52      C’est, donc, uniquement au regard de l’objet de la lettre du 7 décembre 2011, tel que précisé au point ci‑dessus, qu’il convient d’apprécier la question de l’intérêt des requérantes à obtenir l’annulation de la décision qui y serait contenue. En effet, dans l’hypothèse où les requérantes considéreraient que la Commission a fait une interprétation erronée de l’objet de leur demande fondée sur l’article 2 du règlement n° 1049/2001, elles pouvaient soulever cette éventuelle erreur, d’abord dans leur demande confirmative, déposée en vertu de l’article 8 du même règlement, par lettre du 28 novembre 2011, après le rejet de leur demande initiale par la Commission et, ensuite, le cas échéant, dans un recours en annulation contre une éventuelle décision rejetant cette demande confirmative. En outre, si les requérantes considéraient que leur lettre du 17 octobre 2011 contenait, outre la demande d’accès aux documents et les observations générales concernées par la lettre du 7 décembre 2011, une demande additionnelle à laquelle la Commission aurait omis de répondre, la voie de recours appropriée aurait été celle du recours en carence, prévu à l’article 265 TFUE. Ces hypothèses sont, en revanche, dépourvues de pertinence pour l’appréciation de l’intérêt des requérantes à obtenir l’annulation de la décision prétendument contenue dans la lettre du 7 décembre 2011.

 Sur l’intérêt à agir des requérantes

53      Il convient de constater que la demande de transmission à l’ADLC des documents en cause a été soumise, par la lettre du 12 septembre 2011 mentionnée au point 11 ci‑dessus, par le rapporteur général adjoint de l’ADLC en charge du dossier et faisait suite à une demande en ce sens des requérantes, du 14 septembre 2010, rejetée par les services d’instruction de l’ADLC, mais réitérée par les requérantes. Il ne ressort pas des termes de la lettre du 12 septembre 2011 que le rapporteur général adjoint ait entendu remettre en question les appréciations des services d’instruction les ayant conduits à ne pas donner suite à la demande initiale des requérantes. Celui‑ci a plutôt préféré transmettre cette demande à la Commission compte tenu de l’insistance des requérantes sur la transmission des documents en question et dans un souci de compléter le dossier mis à la disposition du collège de l’ADLC qui allait trancher l’affaire.

54      Par ailleurs, il ressort des informations mentionnées aux points 15 et 17 ci‑dessus que les requérantes ont eu l’occasion de présenter au collège de l’ADLC, tant par écrit qu’oralement, les motifs pour lesquels elles estimaient que les documents en cause devaient être versés au dossier de l’affaire devant l’ADLC. Par cette occasion, elles ont également demandé à l’ADLC de reporter sa séance, fixée au 18 octobre 2011, puis, à la suite du rejet de cette première demande, de surseoir à statuer.

55      Il ressort, en outre, des considérations de la décision de l’ADLC résumées aux points 23 à 26 ci‑dessus que, au moment où elle a arrêté cette décision, l’ADLC était consciente des motifs pour lesquels les requérantes estimaient que les documents visés par la lettre du 30 septembre 2011 présentaient une pertinence pour l’affaire devant elle et leur étaient, selon elles, indispensables pour l’exercice de leurs droits de la défense. Elle était également consciente des termes de la lettre de la Commission, du 23 novembre 2011, mentionnée au point 19 ci‑dessus, laquelle faisait suite aux « observations générales » formulées par les requérantes dans leur lettre du 17 octobre 2011. En effet, c’était le président de l’ADLC, lequel a présidé la séance du 18 octobre 2011 et signé la décision du 8 décembre 2011, qui avait répondu à la lettre de la Commission du 23 novembre 2011, par sa lettre du 5 décembre 2011 (point 20 ci‑dessus).

56      Or, pour les motifs exposés dans sa décision et résumés aux points 23 à 26 ci‑dessus, qu’il appartient, le cas échéant, à la juridiction nationale compétente de contrôler, l’ADLC a estimé qu’il ne convenait pas de surseoir à statuer tant que les documents contenus dans le dossier de l’affaire devant la Commission et visés par la lettre du 30 septembre 2011 ne lui avaient pas été transmis, mais que, au contraire, elle était en droit, même en l’absence desdits documents, de se prononcer quant au fond sur l’affaire dont elle avait à connaître.

57      De plus, il convient de constater que les motifs ayant justifié cette décision de l’ADLC ne tenaient pas au fait que la Commission avait refusé la transmission des documents en cause, demandée par la lettre du rapporteur général adjoint du 12 septembre 2011, et ce d’autant plus que, par sa lettre du 23 novembre 2011, la Commission s’était déclarée prête à revenir, sous certaines conditions, sur ce refus. Il ressort des points 23 à 25 ci‑dessus, que l’ADLC a, en substance, considéré que la transmission des documents en cause n’étaient pas nécessaire pour assurer le respect des droits de la défense des requérantes et que, au demeurant, ces documents ne présentaient aucune pertinence pour l’analyse de l’affaire dont elle était saisie.

58      Dans ces conditions, force est de constater que cette décision de l’ADLC a privé la demande adressée à la Commission par la lettre du 12 septembre 2011 de son objet. En effet, il ressort des termes utilisés par le rapporteur adjoint général dans cette lettre que, sans partager l’argumentation des requérantes quant à la pertinence des documents en cause pour l’affaire devant l’ADLC, celui‑ci avait décidé de demander la transmission des documents en cause pour compléter le dossier qui serait soumis au collège de l’ADLC. Or, ce dernier a indiqué dans sa décision du 8 décembre 2011, en des termes claires et précis, qu’il n’avait aucun besoin des documents en question pour statuer dans l’affaire dont il était saisi.

59      Partant, à la suite de l’adoption de la décision de l’ADLC du 8 décembre 2011, la demande contenue dans la lettre du 12 septembre 2011 et, par voie de conséquence, la réponse de la Commission telle qu’elle figure dans la lettre du 30 septembre 2011 ont été privées de leur objet. Il en va de même, pour les mêmes motifs, de la lettre de la Commission du 23 novembre 2011 adressée à l’ADLC, ainsi que de sa lettre du 7 décembre 2011, adressée aux requérantes. Même à admettre que cette dernière lettre contienne une décision refusant la transmission à l’ADLC des documents en cause, il ne saurait être considéré que les requérantes ont conservé un intérêt à en obtenir l’annulation à la suite de l’adoption de la décision de l’ADLC. Cette dernière décision a mis fin à la procédure devant l’ADLC et il n’existe plus d’étape procédurale devant celle‑ci au cours de laquelle ces documents pourraient être examinés, dans l’hypothèse où il serait fait droit à la demande d’annulation et où ils seraient transmis par la Commission à l’ADLC.

60      Il ressort des considérations qui précèdent que, au moment de l’introduction du recours, les requérantes n’avaient aucun intérêt à obtenir l’annulation de la prétendue décision, visée par la demande en annulation formulée par le premier chef de conclusions du recours. Partant, en vertu de la jurisprudence citée au point 36 ci‑dessus, ce chef de conclusions doit être déclaré irrecevable.

61      Cette conclusion n’est pas remise en question par l’argumentation en sens contraire avancée par les requérantes. Celles-ci font valoir, en premier lieu, que la date pertinente pour l’examen de la légalité d’une décision administrative est le jour de son adoption et non le moment où elle est examinée par une juridiction. Elles invoquent, à cet égard, l’arrêt de la Cour du 7 février 1979, France/Commission (15/76 et 16/76, Rec. p. 321, point 7) selon lequel la légalité de l’acte attaqué doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date où l’acte a été pris.

62      Cet argument ne saurait prospérer. Il n’est, en effet, pas question en l’espèce de la légalité de l’acte mis en cause par la demande en annulation, mais de l’intérêt à agir des requérantes lequel, selon la jurisprudence citée au point 36 ci‑dessus, doit exister au stade de l’introduction du recours et perdurer jusqu’à l’issue de la procédure.

63      En second lieu, les requérantes contestent la thèse selon laquelle la lettre du 7 décembre 2011 n’aborde pas la question d’une éventuelle transmission des documents en cause à la Cour d’appel de Paris. Elles font valoir que même si la Commission n’a pas formellement abordé cette dernière question dans cette lettre, elle devait être consciente de leur intérêt à l’utilisation desdits documents dans la procédure de contestation de la décision de l’ADLC devant la juridiction nationale compétente. Elles ajoutent que tout autre résultat serait manifestement inéquitable, dès lors que la Commission pourrait, ainsi, s’exonérer de son devoir de coopérer avec les autorités de concurrence des États membres en retardant la transmission des documents sollicités par celles-ci, jusqu’à ce qu’elles aient clôturé leurs procédures. Enfin, elles soulignent qu’elles ont besoin des documents en cause aux fins d’une contestation efficace de la décision de l’ADLC devant la Cour d’appel de Paris et que cette dernière juridiction en a également besoin, afin de disposer de toutes les informations qui lui sont nécessaires pour se prononcer sur l’affaire dont elle saisie.

64      Ces arguments n’emportent pas non plus la conviction, dès lors qu’ils ne remettent en rien en question les considérations figurant aux points 43 à 51 ci‑dessus. Au contraire, les requérantes admettent elles-mêmes que la lettre du 7 décembre 2011 n’aborde pas « formellement » la question d’une éventuelle transmission des documents en cause à la Cour d’appel de Paris. À cet égard, il convient de préciser que non seulement cette lettre n’évoque pas de manière expresse cette éventualité, mais qu’il ne ressort pas non plus de sa lecture une référence, même implicite, à une telle transmission.

65      Dans ces conditions, l’éventuel intérêt des requérantes à pouvoir disposer de ces documents aux fins de la procédure devant la Cour d’appel de Paris est sans pertinence. Ainsi qu’il a déjà itérativement été souligné, leur intérêt à obtenir l’annulation de la décision prétendument contenue dans la lettre du 7 décembre 2011 doit être apprécié au regard de l’objet de cette lettre, lequel n’englobe ni l’éventualité d’une transmission des documents en cause, par la Commission, à la Cour d’appel de Paris ni celle d’une autorisation à donner aux requérantes afin qu’elles puissent les utiliser devant cette dernière juridiction.

66      En outre, il y a lieu de rappeler que la Cour d’appel de Paris est appelée à contrôler la décision de l’ADLC qui a elle-même statué sur l’affaire dont elle était saisie sans disposer desdits documents. Il appartiendra, le cas échéant, à la Cour d’appel de Paris de se prononcer, dans ce contexte, sur les motifs ayant justifié la décision de l’ADLC de ne pas surseoir à statuer jusqu’à ce qu’elle ait disposé pas des documents en cause.

67      Il ne saurait, certes, être exclu que la Cour d’appel de Paris, dans le cadre de son appréciation souveraine des exigences de la procédure devant elle, décide qu’elle doit pouvoir disposer des documents visés par la demande de transmission du 12 septembre 2011, et ce bien que l’ADLC n’en ait pas disposé lorsqu’elle a adopté sa décision. Toutefois, dans un tel cas, il appartiendra à la Cour d’appel de Paris de saisir, conformément aux règles régissant la procédure devant elle, la Commission d’une demande aux fins de transmission desdits documents. En revanche, une éventuelle annulation de la décision prétendument contenue dans la lettre 7 décembre 2011 ne conduira automatiquement, contrairement à ce que semblent considérer les requérantes, ni à la transmission des documents en question par la Commission à la Cour d’appel de Paris ni à une autorisation au profit des requérantes de pouvoir divulguer ces documents à cette juridiction.

68      Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de rejeter comme irrecevable le premier chef de conclusions du recours.

 Sur les deuxième et quatrième chefs de conclusions

69      La Commission excipe de l’irrecevabilité des deuxième et quatrième chefs de conclusions présentés par les requérantes. Elle rappelle, dans ce contexte, la jurisprudence selon laquelle il n’appartient pas au juge de l’Union, saisi d’un recours en annulation à l’encontre d’une décision d’une institution, d’adresser à cette dernière des injonctions. Elle relève en outre, que, selon elle, la question d’une éventuelle utilisation des documents en cause dans le cadre d’une procédure judiciaire ultérieure se situe entièrement en dehors du champ d’application d’une hypothétique décision contenue dans la lettre du 7 décembre 2011.

70      Les requérantes rappellent qu’elles détiennent des copies des documents en cause, mais qu’elles sont empêchées de les soumettre à la Cour d’appel de Paris, en raison de l’engagement qu’elles ont pris envers la Commission. Aussi longtemps que la Commission ne les libère pas de cet engagement, leur seule possibilité d’utiliser lesdits documents devant la Cour d’appel de Paris consisterait en l’annulation de la décision de la Commission par le Tribunal. Dans le cas contraire, elles se trouveraient dans l’impossibilité d’exercer leur droit de la défense dans la procédure devant la juridiction française.

71      Ainsi que le rappelle à juste titre la Commission, il ressort d’une jurisprudence constante que, dans le cadre du contrôle de légalité, le juge de l’Union n’est pas compétent pour prononcer des injonctions, et ce quel que soit la nature ou le contenu de l’acte attaqué (voir arrêt de la Cour du 22 janvier 2004, Mattila/Conseil et Commission, C‑353/01 P, Rec. p. I‑1073, point 15, et la jurisprudence citée ; ordonnance du Tribunal du 20 juin 2011, Marcuccio/Commission, T‑256/10 P, non encore publiée au Recueil, point 66).

72      Il s’ensuit que, en l’espèce, le deuxième chef des conclusions des requérantes, qui tend précisément à ce que le Tribunal adresse une injonction à la Commission, doit être rejeté comme irrecevable.

73      S’agissant du quatrième chef de conclusions des requérantes, celui‑ci tend à ce que le Tribunal prenne tout autre mesure qu’il jugera appropriée, sans que les requérantes aient explicité la nature et la portée des mesures dont elles demandent l’adoption. Il y a lieu de relever, à cet égard, que, en vertu de l’article 44, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure, la requête introductive d’instance contient les conclusions du requérant, qui doivent être formulées de manière claire et précise (arrêt du Tribunal du 16 mars 2009, R/Commission, T‑156/08 P, non encore publié au Recueil, point 29). Tel n’est manifestement pas le cas de ce chef de conclusions, lequel doit, par voie de conséquence, être également rejeté comme irrecevable.

74      Ces considérations ne sont pas remises en question par les arguments des requérantes résumés au point 70 ci‑dessus, lesquels ne tiennent compte ni de la jurisprudence citée au point 71 ci‑dessus ni du caractère vague et imprécis du quatrième chef de conclusions. S’agissant de l’argument des requérantes, selon lequel, si le Tribunal n’annule pas la décision de la Commission, elles se trouveront dans l’impossibilité d’exercer leurs droits de la défense devant la Cour d’appel de Paris, il tend, en réalité, à défendre le caractère recevable non des deuxième et quatrième chefs de conclusions, mais de la demande en annulation, contenue dans le premier chef de conclusions. Or, un argument analogue a été examiné et rejeté dans ce contexte et, pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 64 à 67 ci‑dessus, le présent argument doit également être rejeté.

75      Il résulte des considérations qui précèdent que les deuxième et quatrième chefs de conclusions du recours sont également irrecevables de même que, par voie de conséquence, le recours dans son intégralité.

76      Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de statuer sur la demande en intervention présentée par Unilever PLC et Unilever NV.

 Sur les dépens

77      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il convient de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Il n’y a pas lieu de statuer sur la demande d’intervention d’Unilever PLC et d’Unilever NV.

3)      Henkel AG & Co. KGaA et Henkel France, supporteront leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

Fait à Luxembourg, le 7 mars 2013.

Le greffier

 

       Le président

E.  Coulon

 

       O. Czúcz


* Langue de procédure : l’anglais.


1 Données confidentielles occultées.