Language of document : ECLI:EU:C:2021:313

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

22 avril 2021 (*)

« Renvoi préjudiciel – Protection des consommateurs – Directive 2008/48/CE – Contrats de crédit aux consommateurs – Directive 93/13/CEE – Clauses abusives – Paiement effectué en vertu d’une clause illicite – Enrichissement injustifié du prêteur – Prescription du droit à restitution – Principes du droit de l’Union – Principe d’effectivité – Article 10, paragraphe 2, de la directive 2008/48 – Informations à mentionner dans un contrat de crédit – Suppression de certaines exigences nationales sur le fondement de la jurisprudence de la Cour – Interprétation de l’ancienne version de la réglementation nationale en conformité avec cette jurisprudence – Effets dans le temps »

Dans l’affaire C‑485/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Krajský súd v Prešove (cour régionale de Prešov, Slovaquie), par décision du 12 juin 2019, parvenue à la Cour le 25 juin 2019, dans la procédure

LH

contre

Profi Credit Slovakia s. r. o.,

LA COUR (première chambre),

composée de M. J.‑C. Bonichot, président de chambre, M. L. Bay Larsen, Mme C. Toader, MM. Safjan et N. Jääskinen (rapporteur), juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour Profi Credit Slovakia s. r. o., par Me A. Cviková, advokátka,

–        pour le gouvernement slovaque, par Mme B. Ricziová, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par Mme G. Goddin ainsi que par MM. N. Ruiz García et A. Tokár, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 3 septembre 2020,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la « Charte »), du principe d’effectivité du droit de l’Union ainsi que des dispositions de la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil (JO 2008, L 133, p. 66, et rectificatifs JO 2009, L 207, p. 14, JO 2010, L 199, p. 40, JO 2011, L 234, p. 46, et JO 2015, L 36, p. 15), en particulier, l’article 10, paragraphe 2, sous h) et i), de cette directive.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant LH à Profi Credit Slovakia s. r. o., au sujet d’un enrichissement sans cause de cette société, qui découlerait d’un paiement effectué par l’emprunteur sur la base de clauses prétendument abusives ou illicites d’un contrat de crédit à la consommation.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La directive 93/13/CEE

3        Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29) :

« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »

4        L’article 7, paragraphe 1, de cette directive énonce :

« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »

 La directive 2008/48

5        La directive 2008/48 a pour objet, conformément à son article 1er, d’harmoniser certains aspects des règles des États membres en matière de contrats de crédit aux consommateurs.

6        L’article 3, sous i), de cette directive définit la notion de « taux annuel effectif global » (ci-après le « TAEG »), aux fins de cette directive, comme étant « le coût total du crédit pour le consommateur, exprimé en pourcentage annuel du montant total du crédit, en tenant compte, le cas échéant, des frais visés à l’article 19, paragraphe 2 ».

7        Intitulé « Information à mentionner dans les contrats de crédit », l’article 10 de ladite directive dispose, à son paragraphe 2 :

« Le contrat de crédit mentionne, de façon claire et concise :

[...]

g)      le [TAEG] et le montant total dû par le consommateur, calculés au moment de la conclusion du contrat de crédit ; toutes les hypothèses utilisées pour calculer ce taux sont mentionnées ;

h)      le montant, le nombre et la périodicité des paiements à effectuer par le consommateur et, le cas échéant, l’ordre dans lequel les paiements seront affectés aux différents soldes dus fixés à des taux débiteurs différents aux fins du remboursement ;

i)      en cas d’amortissement du capital d’un contrat de crédit à durée fixe, le droit du consommateur de recevoir, à sa demande et sans frais, à tout moment durant toute la durée du contrat, un relevé, sous la forme d’un tableau d’amortissement.

Le tableau d’amortissement indique les paiements dus ainsi que les périodes et conditions de paiement de ces montants ; ce tableau indique la ventilation de chaque remboursement entre l’amortissement du capital, les intérêts calculés sur la base du taux débiteur et, le cas échéant, les coûts additionnels ; si le taux d’intérêt n’est pas fixe ou si les coûts additionnels peuvent être modifiés en vertu du contrat de crédit, le tableau d’amortissement indique de manière claire et concise que les données mentionnées dans le tableau ne seront valables que jusqu’à la modification suivante du taux débiteur ou des coûts additionnels conformément au contrat de crédit ;

[...] »

8        Intitulé « Harmonisation et caractère impératif de la présente directive », l’article 22 de la directive 2008/48 prévoit, à son paragraphe 1 :

« Dans la mesure où la présente directive contient des dispositions harmonisées, les États membres ne peuvent maintenir ou introduire dans leur droit national d’autres dispositions que celles établies par la présente directive. »

 Le droit slovaque

 Le code civil

9        L’article 53 de l’Občiansky zákonník (code civil) est ainsi libellé :

« 1.      Un contrat conclu avec un consommateur ne doit pas contenir de dispositions créant, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties contractantes (clause abusive). [...]

[...]

5)      Les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur sont dénuées de validité. »

10      Aux termes de l’article 107 de ce code :

« 1)      Le droit à restitution au motif d’un enrichissement sans cause se prescrit dans un délai de deux ans à dater du moment où l’intéressé prend connaissance d’un enrichissement sans cause et découvre qui s’est enrichi à son détriment.

2)      Le droit à restitution au motif d’un enrichissement sans cause se prescrit au plus tard dans un délai de trois ans, et dans un délai de dix ans en cas d’enrichissement sans cause intentionnel, à dater du jour où l’enrichissement sans cause est intervenu.

[...] »

11      L’article 451, paragraphe 2, dudit code définit l’« enrichissement sans cause » comme étant « un avantage pécuniaire obtenu au moyen d’une prestation dénuée de fondement juridique, d’une prestation reposant sur un acte juridique nul ou d’une prestation fondée sur un motif juridique qui a cessé d’exister, de même qu’un avantage pécuniaire provenant de sources malhonnêtes ».

 La loi no 129/2010

12      Le zákon č. 129/2010 Z. z. o spotrebiteľských úveroch a o iných úveroch a pôžičkách pre spotrebiteľov a o zmene a doplnení niektorých zákonov (loi no 129/2010 relative aux crédits à la consommation et aux autres crédits et prêts consentis aux consommateurs et modifiant certaines autres lois) vise à transposer en droit slovaque la directive 2008/48.

13      Dans sa version applicable au litige au principal, l’article 9, paragraphe 2, sous k), de la loi no 129/2010 prévoyait que le contrat de crédit à la consommation devait contenir le montant, le nombre et les échéances des remboursements du capital, des intérêts et des autres frais supportés par l’emprunteur, ainsi que, le cas échéant, l’ordre dans lequel les paiements seraient affectés aux différents soldes dus ayant été fixés à des taux débiteurs différents aux fins du remboursement.

14      Afin de se conformer à l’interprétation de l’article 10, paragraphe 2, de la directive 2008/48 retenue dans l’arrêt du 9 novembre 2016, Home Credit Slovakia (C‑42/15, EU:C:2016:842, points 51 à 59), le législateur slovaque a modifié la loi no 129/2010 de telle sorte que, dans sa version applicable depuis le 1er mai 2018, l’article 9, paragraphe 2, sous i), de cette loi énonce que le contrat de crédit à la consommation doit mentionner « le montant, le nombre et la périodicité des paiements et, le cas échéant, l’ordre dans lequel les paiements seront affectés aux différents soldes dus fixés à des taux débiteurs différents aux fins du remboursement ».

15      Aux termes de l’article 11, paragraphe 1, de la loi no 129/2010, dans sa version applicable au litige au principal, le crédit à la consommation est « réputé exempt d’intérêts et de frais » si le contrat y afférent ne contient pas les éléments requis, notamment, à l’article 9, paragraphe 2, sous a) à k), de cette loi ou n’indique pas correctement le TAEG, au détriment du consommateur.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

16      Le 30 mai 2011, le requérant au principal et Profi Credit Slovakia ont conclu un contrat de crédit à la consommation d’un montant de 1 500 euros, assorti d’un taux d’intérêt de 70 % et d’un TAEG de 66,31 %, soit une somme de 3 698,40 euros au total, à rembourser en 48 mensualités de 77,05 euros, sans précision concernant la ventilation des remboursements entre le capital, les intérêts et les autres frais supportés par l’emprunteur.

17      Il ressort de la décision de renvoi, d’une part, que, aux termes dudit contrat, Profi Credit Slovakia pouvait, dès le premier jour de la relation contractuelle, percevoir des frais, à hauteur de 367,49 euros, en contrepartie de la possibilité laissée au consommateur d’obtenir à l’avenir un report du remboursement du crédit. En raison de l’application de ces frais, le requérant au principal a reçu non pas le montant convenu de 1 500 euros, mais un montant résiduel de 1 132,51 euros, soit une diminution de 24 %, alors même qu’il n’était pas certain que ce consommateur allait faire usage de la possibilité payante de différer le remboursement.

18      D’autre part, la décision de renvoi indique que le TAEG mentionné dans ce contrat (66,31 %) est inférieur au taux d’intérêt (70 %), ce qui pourrait être lié au fait que le TAEG n’aurait pas été calculé sur la base du montant effectivement versé par Profi Credit Slovakia. Cette décision précise que, en droit slovaque, l’indication incorrecte du TAEG est sanctionnée par la perte, pour le prêteur, du droit au paiement des intérêts et des frais relatifs au crédit.

19      Le 2 février 2017, après avoir remboursé l’intégralité du crédit, le requérant au principal a été informé par un juriste que la clause dudit contrat relative aux frais de report revêtait un caractère abusif et que les indications qui lui avaient été données s’agissant du TAEG n’étaient pas correctes.

20      Le 2 mai 2017, le requérant au principal a introduit un recours aux fins de restitution des frais perçus indûment selon lui. En défense, Profi Credit Slovakia a invoqué la prescription du droit à agir de l’intéressé. Par décision du 15 novembre 2018, l’Okresný súd Prešov (tribunal de district de Prešov, Slovaquie) a rejeté ce recours.

21      Saisie d’un appel interjeté par le requérant au principal, la juridiction de renvoi, le Krajský súd v Prešove (cour régionale de Prešov, Slovaquie), considère que le contrat en cause peut, à plusieurs égards, être jugé contraire aux règles du droit de l’Union applicables en matière de protection des consommateurs.

22      En premier lieu, cette juridiction expose que, en vertu des dispositions de l’article 107, premier et second alinéas, du code civil, le droit à restitution au motif d’un enrichissement sans cause s’éteint :

–        soit à l’issue d’un délai de prescription d’une durée de deux ans, dit « subjectif », qui débute lorsque l’intéressé a pris connaissance d’un enrichissement sans cause et a identifié la personne s’étant enrichie à son détriment ; ce délai semble avoir été respecté en l’espèce, dès lors que moins de deux années séparent l’information reçue par le requérant au principal (le 2 février 2017) et l’introduction de son recours (le 2 mai 2017) ;

–        soit à l’issue d’un délai de prescription d’une durée de trois ans, dit « objectif », qui débute à compter du jour où l’enrichissement sans cause s’est produit ; ce délai semble avoir déjà expiré en l’espèce, dès lors que plus de trois années se seraient écoulées entre le versement des frais en cause au principal et l’introduction du recours ;

–        soit, en cas d’enrichissement sans cause « intentionnel », à l’issue d’un délai de prescription « objectif » porté à dix ans, qui débute aussi à dater de la survenance de l’enrichissement sans cause ; ce délai semble n’avoir pas expiré en l’espèce.

23      La juridiction de renvoi relève, tout d’abord, que le délai de prescription objectif de trois ans commence à courir et expire quand bien même le consommateur lésé n’a pas eu connaissance du caractère abusif ou illicite de la clause contractuelle à l’origine de l’enrichissement sans cause. Selon elle, une telle règle nationale est susceptible de porter atteinte au droit à une protection juridictionnelle effective, garanti à l’article 47 de la Charte, et d’être incompatible avec la jurisprudence de la Cour relative à la protection des consommateurs, prévue, en particulier, par la directive 93/13 et par la directive 2008/48.

24      Ensuite, dans l’hypothèse où un tel délai de prescription, applicable nonobstant la possible ignorance du consommateur, serait jugé conforme au droit de l’Union, la juridiction de renvoi se demande s’il en irait de même s’agissant de la charge de la preuve pesant sur lui. À ce sujet, elle indique que, par le passé, les juridictions slovaques ont appliqué les dispositions nationales susmentionnées d’une manière qui était favorable aux consommateurs, en admettant souplement le caractère intentionnel de l’enrichissement sans cause et en permettant ainsi aux intéressés de bénéficier du délai de prescription long de dix ans, mais que cette approche a été remise en cause par une décision du Najvyšší súd Slovenskej republiky (Cour suprême de la République slovaque) datant du 18 octobre 2018.

25      Il résulterait de cette décision qu’il incombe à un consommateur se prévalant du délai de prescription objectif spécial de dix ans de démontrer que le prêteur a bien eu l’intention de s’enrichir indûment à son détriment et que, à défaut d’une telle preuve, le délai de prescription objectif général de trois ans lui est opposable. Les juridictions slovaques de rang inférieur seraient tenues de se conformer à ladite décision. Cependant, la juridiction de renvoi estime que celle-ci peut se heurter à l’article 47 de la Charte et au principe d’effectivité du droit de l’Union, dès lors que, à son avis, il est pratiquement impossible pour un consommateur ne disposant pas de toutes les informations d’apporter la preuve exigée.

26      Enfin, dans le cas où la Cour jugerait qu’une telle charge de la preuve est compatible avec les exigences du droit de l’Union, se poseraient les questions de savoir, d’une part, dans le chef de quelle personne physique le consommateur doit démontrer la connaissance de la violation de ses propres droits lorsque le prêteur est une personne morale et, d’autre part, quelle intensité de violation de ses droits il est tenu d’établir.

27      En second lieu, la juridiction de renvoi relève que, en exécution de l’arrêt du 9 novembre 2016, Home Credit Slovakia (C‑42/15, EU:C:2016:842), le législateur slovaque a modifié la loi no 129/2010 en supprimant, avec effet au 1er mai 2018, l’obligation d’indiquer dans les contrats de crédit à la consommation les échéances des paiements du capital, des intérêts et des autres frais supportés par l’emprunteur, qui figurait à l’article 9, paragraphe 2, sous k), de cette loi dans sa version applicable au présent litige au principal, à l’égard duquel la date pertinente est le 30 mai 2011. Cette obligation a été remplacée par celle d’indiquer dans de tels contrats « la périodicité des paiements », qui est prévue à l’article 9, paragraphe 2, sous i), de ladite loi dans sa version applicable à compter du 1er mai 2018.

28      Or, dans une décision du 22 février 2018, le Najvyšší súd Slovenskej republiky (Cour suprême de la République slovaque) aurait jugé que, s’agissant des contrats conclus avant le 1er mai 2018 tel que celui en cause au principal, les juridictions slovaques étaient tenues de parvenir au résultat produit par ladite modification législative, en procédant à une interprétation de la disposition initiale qui soit conforme au droit de l’Union et qui aboutisse à ce que les prêteurs doivent indiquer les informations exigées par cette disposition, dans de tels contrats, uniquement de manière globale, et non avec une ventilation entre le capital, les intérêts et les autres frais liés au crédit.

29      C’est dans ce contexte que la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si les effets des directives, tels que reconnus dans la jurisprudence de la Cour, s’opposent à ce qu’une juridiction d’un État membre procède, à l’égard d’une disposition nationale déclarée incompatible avec le droit de l’Union, à une interprétation conforme à ce droit sans motiver sa décision ni la fonder sur les méthodes usuelles d’interprétation. De surcroît, elle se demande si, dans l’hypothèse où elle estimerait qu’une interprétation conforme au droit de l’Union conduirait à une interprétation contra legem, elle pourrait faire produire un effet direct à l’article 10, paragraphe 2, sous h) et i), de la directive 2008/48 et ne pas appliquer la disposition nationale concernée à la relation contractuelle unissant les parties au litige au principal, par analogie avec ce qui aurait été admis par la Cour, notamment, en matière de discrimination.

30      La juridiction de renvoi souligne les liens de connexité qui existent entre ces dernières interrogations et celles qu’elle avait soumises à la Cour dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 5 septembre 2019, Pohotovosť (C‑331/18, EU:C:2019:665), lequel a ainsi été prononcé postérieurement à l’introduction de la présente demande de décision préjudicielle.

31      Dans ces conditions, le Krajský súd v Prešove (cour régionale de Prešov) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« A.

1)      L’article 47 de la [Charte], ainsi que, de manière implicite, le droit du consommateur à une protection juridictionnelle effective, doit‑il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à la disposition de l’article 107, paragraphe 2, du code civil [slovaque] relatif à la prescription du droit du consommateur à un délai de prescription objectif de trois ans, en vertu duquel le droit du consommateur à la restitution en raison d’une clause abusive s’éteint même si le consommateur n’est pas en mesure d’apprécier lui‑même une clause contractuelle abusive et que la prescription est acquise également lorsque le consommateur n’avait pas connaissance du caractère abusif de la clause contractuelle ?

2)      Dans l’hypothèse où l’institution de la prescription du droit du consommateur à un délai objectif de trois ans est conforme à l’article 47 de la Charte et au principe d’effectivité également en dépit de son ignorance, la juridiction de renvoi pose la question suivante :

Est-ce qu’est contraire à l’article 47 de la Charte et au principe d’effectivité une législation nationale qui fait peser sur le consommateur la charge de la preuve, devant le tribunal, de la connaissance par les personnes agissant pour le compte du prêteur du fait que le prêteur viole les droits du consommateur, en l’espèce la connaissance du fait que, en n’indiquant pas le bon [TAEG], le prêteur enfreint une règle légale, ainsi que la connaissance du fait que, dans un tel cas, le crédit est exempt d’intérêts et que, en percevant des intérêts, le prêteur s’enrichit sans cause ?

3)      En cas de réponse négative à la [deuxième question], dans le chef de quelle personne parmi celles intervenant aux côtés du prêteur, telles que le gérant, les associés et les représentants commerciaux, le consommateur doit-il démontrer la connaissance visée à la [deuxième question] ?

4)      En cas de réponse négative à la [deuxième question], quelle intensité de connaissance est suffisante pour atteindre l’objectif de démontrer l’intention du [prêteur] d’enfreindre les règles applicables sur le marché financier ?

B.

5)      Les effets des directives et la jurisprudence y afférente de la Cour de justice de l’Union européenne, notamment les arrêts du 19 avril 2016, DI (C‑441/14, EU:C:2016:278) ; du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a. (C‑397/01 à C‑403/01, EU:C:2004:584, points 113 et 114) ; du 19 janvier 2010, Kücükdeveci (C‑555/07, EU:C:2010:21, point 48) ; du 15 avril 2008, Impact (C‑268/06, EU:C:2008:223, point 100) ; du 24 janvier 2012, Dominguez (C‑282/10, EU:C:2012:33, points 25 et 27), ainsi que du 15 janvier 2014, Association de médiation sociale (C‑176/12, EU:C:2014:2, point 38), s’opposent-ils à une pratique nationale en vertu de laquelle la juridiction nationale a conclu à la conformité avec le droit de l’Union sans recourir aux méthodes d’interprétation et sans la motivation requise ?

6)      Si, après avoir appliqué les méthodes d’interprétation telles que l’interprétation téléologique, l’interprétation authentique, l’interprétation historique, l’interprétation systématique, l’interprétation logique (méthode a contrario, méthode reductione ad absurdum) ainsi que l’ordre interne dans son ensemble afin d’atteindre l’objectif figurant à l’article 10, paragraphe 2, sous h) et i), de la directive 2008/48 [...], une juridiction arrive à la conclusion qu’une interprétation conforme au droit de l’Union aboutit à une situation contra legem, peut-on reconnaître, par exemple sur la base d’une comparaison des relations en cas de discrimination ou de protection des employés, un effet direct à la disposition précitée de [cette] directive aux fins de la protection des professionnels vis-à-vis des consommateurs dans leurs relations de crédit et peut‑on laisser inappliquées les dispositions de la loi non conformes au droit de l’Union ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la compétence de la Cour et la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

32      En premier lieu, Profi Credit Slovakia émet des doutes concernant la régularité de la procédure ayant été suivie par la juridiction de renvoi pour déférer sa demande de décision préjudicielle, en arguant qu’elle n’a pas eu la possibilité de s’exprimer préalablement sur les motifs du sursis à statuer.

33      Cependant, il importe de rappeler, à cet égard, que, dans le cadre de la procédure visée à l’article 267 TFUE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, le fait qu’une question préjudicielle portant sur le droit de l’Union ait éventuellement été posée sans débat contradictoire préalable ne s’oppose pas à ce que la Cour puisse être saisie d’une telle question et, en tout état de cause, il n’appartient pas à la Cour de vérifier si la décision de renvoi a été prise conformément aux règles nationales d’organisation et de procédure judiciaires (voir, en ce sens, arrêt du 30 avril 2020, Blue Air – Airline Management Solutions, C‑584/18, EU:C:2020:324, points 39 à 41 et jurisprudence citée).

34      En second lieu, Profi Credit Slovakia fait valoir que les questions posées par la juridiction de renvoi ne sont pas recevables, aux motifs, d’une part, qu’elles ne portent ni sur l’interprétation de dispositions du droit de l’Union harmonisant les règles nationales de prescription ni sur les effets des directives, d’autre part, que l’article 51 de la Charte limite le champ d’application de celle-ci aux situations dans lesquelles les États membres mettent en œuvre le droit de l’Union et, enfin, que ces questions sont dépourvues d’utilité aux fins de la solution du litige au principal.

35      De son côté, le gouvernement slovaque allègue que la première question est irrecevable, car elle ne satisfait pas aux exigences de motivation énoncées à l’article 94, sous c), du règlement de procédure de la Cour. Selon ce gouvernement, il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu d’examiner les trois questions suivantes, posées dans le prolongement de la première. En tout état de cause, les troisième et quatrième questions ne relèveraient pas de la compétence de la Cour, en ce qu’elles porteraient sur l’interprétation de règles de droit national. Par ailleurs, les cinquième et sixième questions ne seraient pas nécessaires pour trancher le litige au principal, dès lors qu’il n’appartiendrait pas à la Cour de décider si une interprétation conforme au droit de l’Union est ou non possible en ce qui concerne les règles de droit slovaque visées et que, de surcroît, il existerait un autre fondement juridique permettant d’accueillir le recours directement.

36      À cet égard, s’agissant des première et deuxième questions préjudicielles, il y a lieu de constater que celles-ci portent, en substance, sur l’interprétation de l’article 47 de la Charte, lu en combinaison avec le principe d’effectivité du droit de l’Union.

37      Or, en vertu de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, les dispositions de celle-ci s’adressent aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union et, selon une jurisprudence constante, la notion de « mise en œuvre du droit de l’Union », au sens de cette disposition, présuppose l’existence d’un lien de rattachement entre un acte du droit de l’Union et la mesure nationale en cause qui dépasse le voisinage des matières visées ou les incidences indirectes de l’une des matières sur l’autre, compte tenu des critères d’appréciation définis par la Cour (voir, en ce sens, arrêts du 22 janvier 2020, Baldonedo Martín, C‑177/18, EU:C:2020:26, points 57 à 59, ainsi que du 16 juillet 2020, Adusbef e.a., C‑686/18, EU:C:2020:567, points 51 et 52).

38      En outre, il résulte de la jurisprudence de la Cour qu’il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour, lesquelles bénéficient d’une présomption à cet égard. Partant, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation ou la validité d’une règle du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer, sauf s’il apparaît que l’interprétation sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, si le problème est de nature hypothétique ou encore si la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile auxdites questions (voir, en ce sens, arrêts du 16 juillet 2020, Facebook Ireland et Schrems, C‑311/18, EU:C:2020:559, point 73, ainsi que du 8 octobre 2020, Union des industries de la protection des plantes, C‑514/19, EU:C:2020:803, points 28 et 29).

39      En l’occurrence, les deux premières questions posées par la juridiction de renvoi ne mentionnent, certes, pas d’acte du droit de l’Union autre que la Charte. Toutefois, il ressort des motifs exposés dans la décision de renvoi qu’un lien y est établi, de façon claire et suffisante, entre les règles de prescription énoncées à l’article 107, paragraphe 2, du code civil qui sont applicables à un recours introduit par un consommateur, tel que le requérant au principal, et les dispositions du droit dérivé de l’Union qui ont pour finalité d’assurer la protection des consommateurs.

40      En effet, la juridiction de renvoi s’interroge, plus spécifiquement, sur le point de savoir si ces règles nationales sont susceptibles non seulement d’affecter le droit à un recours effectif qui est consacré à l’article 47 de la Charte, mais aussi de nuire au plein effet des dispositions relatives aux clauses abusives qui figurent dans la directive 93/13 et des dispositions relatives aux crédits aux consommateurs qui figurent dans la directive 2008/48.

41      En d’autres termes, ainsi que M. l’avocat général l’a indiqué aux points 31 à 33 et 52 de ses conclusions, par ses deux premières questions, cette juridiction cherche à obtenir des clarifications afin de pouvoir statuer sur la conformité, avec les directives 93/13 et 2008/48, de dispositions de droit slovaque concernant les délais de prescription qui sont applicables à une action en justice intentée dans le domaine des contrats conclus avec les consommateurs.

42      Dès lors, les deux premières questions sont recevables.

43      S’agissant des troisième et quatrième questions préjudicielles, il importe de relever que celles-ci portent, en substance, sur la preuve du caractère intentionnel de l’enrichissement sans cause qui est exigé pour que puisse s’appliquer le délai de prescription de dix ans prévu à l’article 107, paragraphe 2, in fine, du code civil, et plus particulièrement sur la détermination des personnes dans le chef desquelles une telle intention doit être démontrée ainsi que sur le niveau de connaissance que ces personnes doivent avoir détenu à cet égard.

44      À cet égard, il y a lieu de constater que ni le libellé de ces deux questions ni les motifs de la décision de renvoi y afférents ne contiennent d’éléments de nature à établir un lien entre celles-ci et une quelconque disposition du droit de l’Union. Or, la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci respecte scrupuleusement les exigences concernant le contenu d’une demande de décision préjudicielle et figurant de manière explicite à l’article 94 du règlement de procédure, dont la juridiction de renvoi est censée avoir connaissance. Ainsi, il est indispensable, comme le prévoit ledit article 94 et sous peine d’irrecevabilité des questions posées, que la décision de renvoi contienne, d’une part, un exposé sommaire des faits pertinents ou, à tout le moins, un exposé des données factuelles sur lesquelles les questions sont fondées, et, d’autre part, l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal (voir, en ce sens, arrêt du 19 avril 2018, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi, C‑152/17, EU:C:2018:264, points 21, 22 et 24 ainsi que jurisprudence citée).

45      Il s’ensuit que les troisième et quatrième questions soumises à la Cour par la juridiction de renvoi doivent être considérées comme étant irrecevables, dès lors que la décision de renvoi ne contient pas une motivation suffisante pour permettre à la Cour de donner une réponse utile à ces deux questions.

46      Enfin, s’agissant des cinquième et sixième questions préjudicielles, les arguments avancés par Profi Credit Slovakia et par le gouvernement slovaque ne sauraient suffire à renverser la présomption de pertinence dont ces questions bénéficient, conformément à la jurisprudence rappelée au point 38 du présent arrêt, étant donné que celles-ci portent, en substance, sur les modalités d’une interprétation conforme au droit de l’Union, en particulier au regard de l’article 10, paragraphe 2, sous h) et i), de la directive 2008/48 tel qu’interprété par la Cour, des règles de droit nationales qui sont applicables au litige au principal.

47      Dans ces conditions, le motif d’irrecevabilité tiré, par le gouvernement slovaque, de l’existence d’un autre fondement juridique, à savoir la mention inexacte du TAEG dans le contrat en cause, qui permettrait de faire droit au recours au principal sans examiner le non-respect de l’obligation d’indiquer la ventilation des remboursements entre le capital, les intérêts et les autres frais supportés par l’emprunteur, ne saurait, en tout état de cause, prospérer. À cet égard, il convient de relever, d’une part, que la Cour a déjà rejeté un argument similaire dans l’arrêt du 5 septembre 2019, Pohotovosť (C‑331/18, EU:C:2019:665, points 35 et 38), et, d’autre part, que les différences existant entre l’affaire au principal et celle ayant donné lieu à cet arrêt, qui sont invoquées par ce gouvernement, ne justifient pas d’opter pour une autre voie que le rejet ainsi opéré.

48      Il résulte de ce qui précède que les cinquième et sixième questions sont recevables.

 Sur la première question

49      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises (voir, notamment, arrêts du 17 décembre 2015, Neptune Distribution, C‑157/14, EU:C:2015:823, point 33, et du 25 novembre 2020, Banca B., C‑269/19, EU:C:2020:954, point 24).

50      Dans la présente affaire, même si, sur le plan formel, la juridiction de renvoi a limité sa première question à l’interprétation de l’article 47 de la Charte, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que la Cour lui fournisse tous les éléments d’interprétation qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire au principal, en extrayant de l’ensemble des éléments fournis par cette juridiction, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments du droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige (voir, en ce sens, arrêts du 17 décembre 2015, Neptune Distribution, C‑157/14, EU:C:2015:823, point 34, et du 8 mai 2019, PI, C‑230/18, EU:C:2019:383, point 43).

51      En l’occurrence, il convient de comprendre la première question posée comme visant, en substance, à déterminer si le principe d’effectivité doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale prévoyant qu’une action introduite par un consommateur aux fins de la restitution de sommes indûment versées, sur le fondement de clauses abusives au sens de la directive 93/13 ou de clauses contraires aux exigences de la directive 2008/48, est soumise à un délai de prescription de trois ans qui commence à courir à partir du jour où l’enrichissement injustifié est intervenu.

52      À cet égard, il y a lieu de relever que, conformément à une jurisprudence constante, en l’absence de règles de l’Union en la matière, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre, en vertu du principe d’autonomie procédurale, de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, à condition toutefois qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union (principe d’effectivité) (voir, en ce sens, arrêts du 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C‑224/19 et C‑259/19, EU:C:2020:578, point 83, ainsi que du 6 octobre 2020, La Quadrature du Net e.a., C‑511/18, C‑512/18 et C‑520/18, EU:C:2020:791, point 223 ainsi que jurisprudence citée).

53      En ce qui concerne spécifiquement le principe d’effectivité, seul visé dans la présente affaire, il résulte de la jurisprudence de la Cour que chaque cas où se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit de l’Union doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités, devant les diverses instances nationales. Dans cette perspective, il y a lieu de prendre en considération, le cas échéant, les principes qui sont à la base du système juridictionnel national, tels que la protection des droits de la défense, le principe de sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure (voir, notamment, arrêts du 15 mars 2017, Aquino, C‑3/16, EU:C:2017:209, point 53, ainsi que du 9 juillet 2020, Raiffeisen Bank et BRD Groupe Société Générale, C‑698/18 et C‑699/18, EU:C:2020:537, point 60).

54      En outre, la Cour a précisé que l’obligation pour les États membres d’assurer l’effectivité des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union implique, notamment pour les droits découlant de la directive 93/13, une exigence de protection juridictionnelle effective, consacrée également à l’article 47 de la Charte, qui vaut, en particulier, à l’égard des modalités procédurales des actions en justice fondées sur de tels droits (voir, en ce sens, arrêts du 17 juillet 2014, Sánchez Morcillo et Abril García, C‑169/14, EU:C:2014:2099, point 35, ainsi que du 31 mai 2018, Sziber, C‑483/16, EU:C:2018:367, point 49).

55      C’est à la lumière de ces éléments qu’il convient d’examiner si une règle nationale de prescription telle que celle mentionnée au point 51 du présent arrêt peut être considérée comme étant conforme au principe d’effectivité, sachant que cet examen doit porter non seulement sur la durée du délai mis en cause au principal, mais aussi sur les modalités de son application, en ce compris le facteur retenu pour déclencher l’ouverture dudit délai (voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 2020, Raiffeisen Bank et BRD Groupe Société Générale, C‑698/18 et C‑699/18, EU:C:2020:537, point 61).

56      Premièrement, s’agissant de l’opposition d’un délai de prescription aux actions qui sont introduites par des consommateurs pour faire valoir des droits qu’ils tirent du droit de l’Union, il importe de relever qu’une telle règle n’est pas, en elle-même, contraire au principe d’effectivité, pour autant que son application ne rende pas en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés, en particulier, par la directive 93/13 et par la directive 2008/48.

57      En effet, la Cour a reconnu que la protection du consommateur ne revêt pas un caractère absolu et que la fixation de délais raisonnables de recours à peine de forclusion, dans l’intérêt de la sécurité juridique, est compatible avec le droit de l’Union (arrêts du 9 juillet 2020, Raiffeisen Bank et BRD Groupe Société Générale, C‑698/18 et C‑699/18, EU:C:2020:537, point 56, ainsi que du 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C‑224/19 et C‑259/19, EU:C:2020:578, point 82 ainsi que jurisprudence citée).

58      Plus particulièrement, la Cour a déjà jugé que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui, tout en prévoyant le caractère imprescriptible de l’action tendant à constater la nullité d’une clause abusive figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, soumet à un délai de prescription l’action visant à faire valoir les effets restitutifs de cette constatation, sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité (voir, en ce sens, arrêts du 9 juillet 2020, Raiffeisen Bank et BRD Groupe Société Générale, C‑698/18 et C‑699/18, EU:C:2020:537, point 58, ainsi que du 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C‑224/19 et C‑259/19, EU:C:2020:578, point 84).

59      Deuxièmement, s’agissant de la durée prévue pour le délai de prescription examiné, qui est en l’occurrence de trois ans, la Cour a jugé que, à condition que ce laps de temps soit établi et connu à l’avance, un délai d’une telle durée paraît, en principe, suffisant pour permettre au consommateur concerné de préparer et de former un recours effectif, de sorte que cette durée, en elle-même, n’est pas incompatible avec le principe d’effectivité (voir, en ce sens, arrêts du 9 juillet 2020, Raiffeisen Bank et BRD Groupe Société Générale, C‑698/18 et C‑699/18, EU:C:2020:537, points 62 et 64, ainsi que du 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C‑224/19 et C‑259/19, EU:C:2020:578, point 87 et jurisprudence citée).

60      Cependant, s’agissant, troisièmement, du point de départ fixé pour le délai de prescription examiné, il existe, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, un risque non négligeable que le consommateur concerné n’invoque pas, durant le délai imposé, les droits que lui confère le droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 5 mars 2020, OPR-Finance, C‑679/18, EU:C:2020:167, point 22 et jurisprudence citée), ce qui le mettrait dans l’impossibilité de faire valoir ces droits.

61      En effet, il ressort des indications données par la juridiction de renvoi, notamment dans le cadre de sa première question, que le délai de trois ans prévu à l’article 107, paragraphe 2, du code civil commence à courir à partir de la date à laquelle l’enrichissement injustifié est intervenu et que la prescription est acquise même si le consommateur n’est pas en mesure d’apprécier lui-même qu’une clause contractuelle est abusive ou n’a pas eu connaissance du caractère abusif de la clause contractuelle en cause.

62      À cet égard, il est nécessaire de tenir compte de la situation d’infériorité dans laquelle les consommateurs se trouvent face aux professionnels, en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information, et de la circonstance qu’il est possible que les consommateurs ignorent ou ne perçoivent pas l’étendue de leurs droits découlant de la directive 93/13 ou bien de la directive 2008/48 (voir, en ce sens, arrêts du 9 juillet 2020, Raiffeisen Bank et BRD Groupe Société Générale, C‑698/18 et C‑699/18, EU:C:2020:537, points 65 à 67, ainsi que du 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C‑224/19 et C‑259/19, EU:C:2020:578, point 90 et jurisprudence citée).

63      Or, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé en substance aux points 71 à 73 de ses conclusions, les contrats de crédit, tels que celui en cause au principal, sont généralement exécutés au cours de longues périodes et, de ce fait, si l’évènement qui déclenche le délai de prescription de trois ans est tout paiement effectué par l’emprunteur, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier, il ne saurait être exclu que, au moins pour une partie des paiements effectués, la prescription se trouve acquise avant même que le contrat concerné ne prenne fin, de sorte qu’un tel régime de prescription est susceptible de systématiquement priver les consommateurs de la possibilité de réclamer la restitution des paiements effectués en vertu de clauses contraires auxdites directives.

64      Partant, il y a lieu de considérer que des modalités procédurales telles que celles en cause au principal, en ce qu’elles exigent du consommateur qu’il agisse en justice dans un délai de trois ans à compter de la date de l’enrichissement injustifié et dans la mesure où cet enrichissement peut avoir lieu au cours de l’exécution d’un contrat de longue durée, sont de nature à rendre excessivement difficile l’exercice des droits qui lui sont conférés par la directive 93/13 ou par la directive 2008/48 et que, dès lors, de telles modalités méconnaissent le principe d’effectivité (voir, par analogie, arrêts du 9 juillet 2020, Raiffeisen Bank et BRD Groupe Société Générale, C‑698/18 et C‑699/18, EU:C:2020:537, points 67 et 75, ainsi que du 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C‑224/19 et C‑259/19, EU:C:2020:578, point 91).

65      Par ailleurs, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 87 et 89 de ses conclusions, l’intention du professionnel ayant recours à une clause jugée abusive est dépourvue de pertinence à l’égard des droits que les consommateurs tirent des dispositions de la directive 93/13 et il en va de même en ce qui concerne l’article 10, paragraphe 2, de la directive 2008/48. Partant, aux fins de faire valoir les droits découlant de ces dispositions, un consommateur ne peut pas être tenu de prouver le caractère intentionnel du comportement du professionnel en cause. Il s’ensuit que la possibilité d’étendre le délai de prescription de trois ans à condition que le consommateur prouve une intention du professionnel, telle que prévue à l’article 107, paragraphe 2, du code civil, ne saurait infirmer le constat opéré au point précédent du présent arrêt.

66      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que le principe d’effectivité doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale prévoyant qu’une action introduite par un consommateur aux fins de la restitution de sommes indûment versées dans le cadre de l’exécution d’un contrat de crédit, sur le fondement de clauses abusives au sens de la directive 93/13 ou de clauses contraires aux exigences de la directive 2008/48, est soumise à un délai de prescription de trois ans qui commence à courir à partir du jour où l’enrichissement injustifié est intervenu.

 Sur la deuxième question

67      La deuxième question n’étant posée que dans l’hypothèse d’une réponse négative à la première question, il n’y a pas lieu d’y répondre, compte tenu de la réponse affirmative apportée à cette première question.

 Sur les cinquième et sixième questions

68      Par ses cinquième et sixième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi interroge la Cour, en substance, sur la manière de procéder à une interprétation conforme au droit de l’Union d’une réglementation nationale déclarée non compatible avec les exigences découlant de l’article 10, paragraphe 2, sous h) et i), de la directive 2008/48, tel qu’interprété par l’arrêt du 9 novembre 2016, Home Credit Slovakia (C‑42/15, EU:C:2016:842), lorsque le contrat de crédit en cause a été conclu avant le prononcé de cet arrêt et avant une modification de ladite réglementation nationale opérée en vue de se conformer à l’interprétation retenue dans celui-ci.

69      À cet égard, il importe de préciser que, au point 59 dudit arrêt, relatif à l’article 9, paragraphe 2, de la loi no 129/2010 dans sa version applicable au cours de l’année 2011 également visé dans la présente affaire, la Cour a interprété l’article 10, paragraphe 2, sous h) et i), de la directive 2008/48 en ce sens que le contrat de crédit à durée fixe, prévoyant l’amortissement du capital par les paiements consécutifs, ne doit pas préciser, sous la forme d’un tableau d’amortissement, quelle part de chaque paiement sera affectée au remboursement de ce capital et que ces dispositions, lues en combinaison avec l’article 22, paragraphe 1, de cette directive, s’opposent à ce qu’un État membre prévoie une telle obligation dans sa réglementation nationale.

70      Dans l’arrêt du 5 septembre 2019, Pohotovosť (C‑331/18, EU:C:2019:665, point 51), la Cour a confirmé que l’article 10, paragraphe 2, sous h) à j), de ladite directive, lu en combinaison avec l’article 22, paragraphe 1, de celle-ci, s’oppose à une réglementation nationale prévoyant que le contrat de crédit doit préciser la ventilation de chaque remboursement entre, le cas échéant, l’amortissement du capital, les intérêts et les autres frais.

71      Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’interprétation que la Cour donne d’une règle de droit de l’Union éclaire et précise la signification et la portée de cette règle, telle qu’elle doit ou aurait dû être comprise et appliquée depuis le moment de son entrée en vigueur. Il s’ensuit que la règle ainsi interprétée peut et doit être appliquée par le juge même à des rapports juridiques nés et constitués avant le prononcé de l’arrêt statuant sur la demande d’interprétation si, par ailleurs, les conditions permettant de porter devant les juridictions compétentes un litige relatif à l’application de ladite règle se trouvent réunies (voir, en ce sens, arrêt du 5 septembre 2019, Pohotovosť, C‑331/18, EU:C:2019:665, point 53).

72      Dès lors, dans l’affaire au principal, il appartient à la juridiction de renvoi d’interpréter, en faisant usage des méthodes reconnues par le droit interne, les dispositions slovaques applicables à la date de la conclusion du contrat en cause, à savoir le 30 mai 2011, dans toute la mesure possible, en conformité avec la directive 2008/48, telle qu’interprétée par l’arrêt du 9 novembre 2016, Home Credit Slovakia (C‑42/15, EU:C:2016:842). Cette juridiction ne saurait valablement considérer qu’elle se trouve dans l’impossibilité d’interpréter les dispositions nationales concernées en conformité avec le droit de l’Union en raison du seul fait que ces dispositions ont été interprétées, par les juridictions slovaques, dans un sens qui n’est pas compatible avec ce droit (voir, en ce sens, arrêts du 5 septembre 2019, Pohotovosť, C‑331/18, EU:C:2019:665, points 54 et 55, ainsi que du 5 mars 2020, OPR-Finance, C‑679/18, EU:C:2020:167, points 42 et 44).

73      Si cette obligation d’interprétation conforme trouve ses limites dans les principes généraux du droit, notamment dans celui de sécurité juridique, en ce sens qu’elle ne peut pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national, les juridictions nationales, y compris celles statuant en dernier ressort, doivent néanmoins modifier, le cas échéant, une jurisprudence nationale établie lorsque celle-ci repose sur une interprétation du droit national incompatible avec les objectifs d’une directive (voir, en ce sens, arrêts du 5 septembre 2019, Pohotovosť, C‑331/18, EU:C:2019:665, point 56, ainsi que du 5 mars 2020, OPR-Finance, C‑679/18, EU:C:2020:167, points 43 et 45).

74      En l’occurrence, la Cour a déjà jugé, dans l’arrêt du 5 septembre 2019, Pohotovosť (C‑331/18, EU:C:2019:665, point 57), que l’article 10, paragraphe 2, et l’article 22, paragraphe 1, de la directive 2008/48, tels qu’interprétés par l’arrêt du 9 novembre 2016, Home Credit Slovakia (C‑42/15, EU:C:2016:842), sont applicables à un contrat de crédit, tel que celui en cause au principal, qui a été conclu avant le prononcé de ce second arrêt et avant une modification de la réglementation nationale opérée en vue de se conformer à l’interprétation retenue dans celui-ci. Ce faisant, la Cour a considéré comme étant devenues sans objet les interrogations subsidiaires de la juridiction de renvoi dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 5 septembre 2019, Pohotovosť (C‑331/18, EU:C:2019:665), qui portaient, de même que dans la présente affaire, sur les éventuels effets de ces dispositions de la directive 2008/48 à l’égard de la relation existant entre les particuliers concernés par le litige au principal, dans l’hypothèse, non avérée, d’une impossibilité d’interpréter ladite réglementation en conformité avec le droit de l’Union.

75      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux cinquième et sixième questions que l’article 10, paragraphe 2, et l’article 22, paragraphe 1, de la directive 2008/48, tels qu’interprétés par l’arrêt du 9 novembre 2016, Home Credit Slovakia (C‑42/15, EU:C:2016:842), sont applicables à un contrat de crédit qui a été conclu avant le prononcé de cet arrêt et avant une modification de la réglementation nationale opérée en vue de se conformer à l’interprétation retenue dans ledit arrêt.

 Sur les dépens

76      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

1)      Le principe d’effectivité doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale prévoyant qu’une action introduite par un consommateur aux fins de la restitution de sommes indûment verséesdans le cadre de l’exécution d’un contrat de crédit, sur le fondement de clauses abusives au sens de la directive 93/13/CE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, ou de clauses contraires aux exigences de la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil, est soumise à un délai de prescription de trois ans qui commence à courir à partir du jour où l’enrichissement injustifié est intervenu.

2)      L’article 10, paragraphe 2, et l’article 22, paragraphe 1, de la directive 2008/48, tels qu’interprétés par l’arrêt du 9 novembre 2016, Home Credit Slovakia (C42/15, EU:C:2016:842), sont applicables à un contrat de crédit qui a été conclu avant le prononcé de cet arrêt et avant une modification de la réglementation nationale opérée en vue de se conformer à l’interprétation retenue dans ledit arrêt.

Signatures


*      Langue de procédure : le slovaque.