Language of document : ECLI:EU:C:2021:888

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 28 octobre 2021 (1)

Affaire C498/20

ZK, en qualité de successeur de JM, curateur à la faillite de BMA Nederland BV

contre

BMA Braunschweigische Maschinenbauanstalt AG

[demande de décision préjudicielle formée par le rechtbank Midden-Nederland (tribunal des Pays‑Bas centraux, Pays‑Bas)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Compétence judiciaire et exécution des décisions en matière civile et commerciale – Compétence en matière non contractuelle – Action introduite par le curateur contre un tiers dans l’intérêt des créanciers – Localisation du fait dommageable – Intervention d’un tiers en vue de défendre des intérêts collectifs »






1.        La juridiction de renvoi a saisi la Cour d’une série de questions préjudicielles dont la réponse lui semble nécessaire pour statuer sur un litige complexe dans lequel convergent des procédures nationales visant à défendre des intérêts collectifs (2). Ce litige porte sur l’éventuelle responsabilité non contractuelle d’une société allemande, qui est mise en cause par le curateur de l’une des filiales de cette société (filiale néerlandaise) ainsi que par une fondation établie aux Pays-Bas.

2.        À la demande de la Cour, les présentes conclusions ne porteront que sur la question préjudicielle relative à l’article 4 du règlement (CE) no 864/2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (3). Cependant, comme les observations des parties reflètent, par ailleurs, une controverse sur le champ d’application de ce règlement, mes conclusions s’étendront également à ces désaccords, qu’il est dans l’intérêt de la Cour de résoudre.

3.        En revanche, je n’aborderai pas les questions préjudicielles relatives à la compétence judiciaire internationale visant à identifier la juridiction appelée à trancher le litige en fonction du lieu du fait dommageable et en cas d’intervention d’un tiers (4).

I.      Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

1.      Le règlement no 1215/2012

4.        Conformément à l’article 7, partie introductive et point 2, du règlement no 1215/2012 :

« Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre :

[...]

2)      en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire. »

5.        L’article 8, partie introductive et point 2, dudit règlement dispose :

« Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut aussi être attraite :

[...]

2)      s’il s’agit d’une demande en garantie ou d’une demande en intervention, devant la juridiction saisie de la demande originaire, à moins qu’elle n’ait été formée que pour traduire celui qui a été appelé hors du ressort de la juridiction compétente. »

2.      Le règlement Rome II

6.        Le considérant 7 du règlement Rome II expose ce qui suit :

« Le champ d’application matériel et les dispositions du présent règlement devraient être cohérents par rapport au règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale [...] (Bruxelles I) et les instruments relatifs à la loi applicable aux obligations contractuelles. »

7.        Aux termes du considérant 16 de ce règlement :

« Le recours à des règles uniformes devrait améliorer la prévisibilité des décisions de justice et assurer un équilibre raisonnable entre les intérêts de la personne dont la responsabilité est invoquée et ceux de la personne lésée. Le rattachement au pays du lieu où le dommage direct est survenu (“lex loci damni”) crée un juste équilibre entre les intérêts de la personne dont la responsabilité est invoquée et ceux de la personne lésée et correspond également à la conception moderne du droit de la responsabilité civile et au développement des systèmes de responsabilité objective. »

8.        Conformément au considérant 17 dudit règlement :

« Il convient de déterminer la loi applicable en fonction du lieu où le dommage survient, indépendamment du ou des pays où pourraient survenir des conséquences indirectes. Ainsi, en cas de blessures physiques causées à une personne ou de dommages aux biens, le pays où les blessures ont été subies ou les biens endommagés devrait être entendu comme celui où le dommage survient. »

9.        L’article 1er, paragraphe 2, sous d), du règlement Rome II, dispose :

« Sont exclues du champ d’application du présent règlement :

[...]

d)      les obligations non contractuelles découlant du droit des sociétés, des associations et des personnes morales concernant des matières telles que la constitution, par enregistrement ou autrement, la capacité juridique, le fonctionnement interne et la dissolution des sociétés, des associations et des personnes morales, de la responsabilité personnelle des associés et des organes pour les dettes de la société, de l’association ou de la personne morale et de la responsabilité personnelle des auditeurs vis-à-vis de la société ou vis-à-vis de ses organes chargés du contrôle légal des documents comptables. »

10.      Aux termes de l’article 4 de ce règlement :

« 1.      Sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent.

2.      Toutefois, lorsque la personne dont la responsabilité est invoquée et la personne lésée ont leur résidence habituelle dans le même pays au moment de la survenance du dommage, la loi de ce pays s’applique.

3.      S’il résulte de l’ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé aux paragraphes 1 ou 2, la loi de cet autre pays s’applique. Un lien manifestement plus étroit avec un autre pays pourrait se fonder, notamment, sur une relation préexistante entre les parties, telle qu’un contrat, présentant un lien étroit avec le fait dommageable en question. »

B.      Le droit néerlandais

11.      Conformément à l’article 3:305a, paragraphe 1, du Burgerlijk Wetboek (code civil) (5) :

« Toute institution ou association jouissant d’une capacité juridique complète peut intenter une action en justice visant à protéger des intérêts similaires d’autres personnes, pour autant qu’elle défende ces intérêts conformément à ses statuts. »

12.      Le curateur qui intente une action dite « Peeters/Gatzen » (6) agit dans l’intérêt de l’ensemble des créanciers. Ce qu’il obtient est intégré dans la masse afin d’être réparti conformément aux règles en matière d’insolvabilité.

II.    Les faits et les questions préjudicielles

13.      BMA Nederland BV (ci-après « BMA NL ») est une société néerlandaise spécialisée dans la fabrication et la vente de machines destinées à l’industrie alimentaire et a pour actionnaire unique BMA Groep BV.

14.      BMA Groep est à son tour détenu à 100 % par la société allemande BMA Braunschweigische Maschinenbauanstalt AG (ci-après « BMA AG »).

15.      BMA Groep avait le pouvoir de nommer et de révoquer les administrateurs de BMA NL. Durant certaines périodes, des travailleurs de BMA AG ont été nommés en tant qu’administrateurs statutaires de BMA NL.

16.      Les décisions et opérations importantes de l’organe d’administration de BMA NL devaient être soumises à BMA Groep, qui demandait ensuite leur approbation à BMA AG.

17.      Pendant les années 2004 à 2011, BMA AG a accordé à BMA NL des prêts d’un montant total de 38 millions d’euros. Le financement intervenait par un compte en banque ouvert par BMA NL auprès de Deutsche Bank Nederland BV.

18.      BMA AG s’est également portée garante des dettes de BMA NL et a effectué des apports en capital en sa faveur.

19.      BMA AG a mis fin à ce soutien financier au début de l’année 2012. BMA NL a alors dû introduire une demande de mise en faillite, qui a été prononcée le 3 avril 2012. La majorité des créances chirographaires admises à titre provisoire appartiennent à des créanciers allemands, principalement à BMA AG elle-même et à d’autres sociétés du groupe BMA AG établies en Allemagne.

20.      Les autres créanciers non désintéressés sont établis dans divers pays, dont certains ne sont pas membres de l’Union européenne. L’actif de la masse ne suffit pas à désintéresser intégralement tous les créanciers.

21.      Le curateur de BMA NL a intenté une action Peeters/Gatzen contre BMA AG devant le rechtbank Midden-Nederland (tribunal des Pays-Bas centraux, Pays-Bas), en faveur de l’ensemble des créanciers.

22.      Par jugement interlocutoire du 23 mai 2018, cette juridiction s’est déclarée compétente pour connaître de l’action en vertu de l’article 3 du règlement (UE) 2015/848 (7).

23.      La Stichting Belangbehartiging Crediteuren BMA Nederland (Fondation de protection des intérêts des créanciers de BMA Nederland, ci-après la « Fondation »), qui a pour objet la défense des intérêts des créanciers de BMA NL lésés par les agissements de BMA AG, a été constituée le 21 juin 2016.

24.      Le 15 août 2018, la Fondation a introduit devant le même tribunal une requête en intervention dans la procédure entre le curateur et BMA AG. Le tribunal s’est déclaré compétent pour connaître de cette demande sur la base de l’article 8, point 2, du règlement no 1215/2012 et y a fait droit par jugement interlocutoire du 30 janvier 2019.

25.      La Cour a rendu l’arrêt NK (8) au mois de février 2019. Elle a jugé qu’une action Peeters/Gatzen intentée par un curateur ne relève pas du champ d’application du règlement sur l’insolvabilité, mais de celui du règlement (CE) no 44/2001 (9).

26.      Sur cette base, BMA AG a demandé à la juridiction de renvoi de réexaminer les jugements interlocutoires des 23 mai 2018 et 30 janvier 2019.

27.      La juridiction de renvoi estime qu’elle ne peut maintenir sa décision du 23 mai 2018, mais n’est pas certaine de devoir se déclarer compétente en raison d’un chef de compétence au titre du règlement no 1215/2012.

28.      Dans ces conditions, le rechtbank Midden-Nederland (tribunal des Pays-Bas centraux) a saisi la Cour de questions préjudicielles dont je ne reproduis que la quatrième, qui est divisée en quatre sous-questions :

« a)      L’article 4, paragraphe 1, du [règlement no 864/2007] doit-il être interprété en ce sens que le “lieu où le dommage survient” est celui où est établie la société qui n’offre pas de réparation pour le dommage subi par ses créanciers en raison de la méconnaissance susvisée du devoir de diligence ?

b)      La circonstance que les actions ont été introduites par un curateur au titre de sa mission légale de liquidation de la masse ainsi que par une personne assurant la défense collective d’intérêts (“collectieve belangenbehartiger) pour le compte de (mais non pas au nom de) l’ensemble des créanciers a-t-elle une incidence sur la détermination de ce lieu ?

c)      La circonstance qu’une partie des créanciers ont leur domicile en dehors du territoire de l’Union européenne a-t-elle une incidence sur la détermination de ce lieu ?

d)      La circonstance qu’il existait, entre la société néerlandaise déclarée en faillite et sa société grand-mère, des conventions de financement assorties d’une élection de for devant le juge allemand et déclarant applicable la loi allemande est-elle une circonstance établissant des liens manifestement plus étroits du fait dommageable prétendument commis par BMA AG avec un pays autre que les Pays‑Bas, comme visé à l’article 4, paragraphe 3, du règlement Rome II ? »

III. La procédure devant la Cour

29.      Le renvoi préjudiciel a été enregistré au greffe de la Cour le 29 septembre 2020.

30.      Le curateur, BMA AG, la Fondation et la Commission européenne ont présenté des observations.

31.      La Cour n’a pas jugé indispensable de tenir une audience.

IV.    Analyse

32.      Ces conclusions étant limitées à l’interprétation de l’article 4 du règlement Rome II, je dois d’abord examiner l’objection de la Fondation relative au champ d’application de ce règlement. Selon elle, la responsabilité en cause au principal relève du droit des sociétés et est par conséquent exclue du champ d’application du règlement Rome II en vertu de son article 1er, paragraphe 2, sous d).

33.      La réponse à cette objection exige d’interpréter les notions du règlement Rome II conformément aux critères herméneutiques habituels. Il convient en outre, comme l’a indiqué le législateur, d’assurer la cohérence entre cet instrument, le règlement no 1215/2012 et les instruments relatifs à la loi applicable aux obligations contractuelles (10).

34.      Cette indispensable cohérence trouve sa raison d’être, en ce qui concerne le règlement no 1215/2012, dans le caractère complémentaire de la codification des règles de conflit de loi par rapport aux règles de compétence. En ce qui concerne les règles de conflit de loi en matière contractuelle, il suffit de rappeler que le règlement Rome II a été conçu comme « le prolongement naturel de l’œuvre unificatrice des règles de droit international privé en matière d’obligations, contractuelles et non contractuelles, de nature civile ou commerciale, au niveau communautaire » (11).

35.      La cohérence dans l’interprétation de ces instruments n’est cependant pas un impératif absolu. Il importe également de préserver la cohérence interne de chacun d’eux et leurs objectifs propres, ainsi que ceux de la règle en cause (12).

36.      Le règlement Rome II sert à déterminer la loi applicable, et non la compétence judiciaire internationale. Si le lieu du fait dommageable et son dédoublement (par voie d’interprétation) s’expliquent, en ce qui concerne la compétence, par des raisons liées à la facilité de la preuve et à la bonne organisation de la justice, dans le règlement Rome II, le point de rattachement est unique (13) et répond aux motifs spécifiques énoncés dans son considérant 16 (14).

A.      Champ d’application du règlement Rome II : exclusion des obligations non contractuelles découlant du droit des sociétés

1.      Description de la problématique. Position des parties

37.      Selon la décision de renvoi, la (prétendue) responsabilité non contractuelle de BMA AG résulte de la violation de son devoir de diligence envers les tiers. La juridiction de renvoi, qui ne doute pas de l’applicabilité du règlement Rome II, se limite à refléter la disparité des arguments des parties sur cette question (15).

38.      La Fondation ne semble pas avoir soulevé, devant la juridiction nationale, un quelconque moyen relatif à la loi applicable. Elle l’a toutefois fait devant la Cour.

39.      Selon la Fondation, l’action en cause est exclue du champ d’application du règlement Rome II dès lors qu’elle est fondée sur la responsabilité de BMA AG en tant qu’administrateur ou actionnaire de la société néerlandaise insolvable. Le respect du devoir de diligence violé par BMA AG serait exigible en vertu du droit des sociétés, de sorte que la responsabilité ne relève pas du champ d’application du règlement Rome II (16).

40.      Le curateur attribue également l’origine du dommage à la société allemande en tant qu’actionnaire (indirect) de la société néerlandaise. Il n’en déduit cependant pas que le règlement Rome II est inapplicable (17).

41.      BMA AG soutient à l’inverse que sa responsabilité, pour autant qu’elle existe, découlerait d’un acte commis en tant que bailleur de fonds de la société insolvable (18).

42.      Il existe, en définitive, une controverse quant à la nature du devoir de diligence de la société mère (BMA AG), qui a apporté un soutien financier à la filiale pendant des années afin de la maintenir artificiellement « en vie », puis a retiré ce soutien, ce qui a provoqué l’insolvabilité.

2.      Exclusion des obligations non contractuelles découlant du droit des sociétés, des associations ou d’autres personnes morales

43.      Il ne m’appartient pas de me prononcer sur l’interprétation ou la portée du droit néerlandais, mais seulement sur le champ d’application du règlement Rome II en ce qui concerne l’exclusion qu’il instaure à son article 1er, paragraphe 2, sous d).

44.      Ce règlement ne donne pas de définition générale des questions découlant du « droit des sociétés », mais il ne renvoie pas davantage, à cet égard, au droit des États membres. Cette notion doit par conséquent faire l’objet d’une interprétation autonome (19).

45.      L’exclusion suit le modèle de l’article 1er, paragraphe 2, sous e), de la convention de Rome (20) et a été reprise à l’article 1er, paragraphe 2, sous f), du règlement Rome I, avec un ajout relatif à la responsabilité des auditeurs chargés du contrôle légal des documents comptables à l’égard de la société ou de ses organes.

46.      La décision de ne pas étendre la convention de Rome aux questions découlant du droit des sociétés est historiquement justifiée par des raisons avant tout conjoncturelles : des travaux en vue de l’harmonisation du droit matériel des sociétés au niveau communautaire étaient, à l’époque, en cours (21). Cet objectif n’a pas été pleinement atteint et il n’est par conséquent pas possible de délimiter le champ d’application du règlement Rome I (ou du règlement Rome II) par référence à une lex societatis dont le législateur européen aurait défini la portée matérielle pour tous les États membres.

47.      Le règlement Rome II fournit un point d’appui en énumérant un ensemble d’obligations non contractuelles exclues de son champ d’application au motif qu’elles relèvent du droit des sociétés. Cette énumération ne résout cependant pas tous les problèmes pour diverses raisons qui ne tiennent pas uniquement à son caractère non exhaustif (22).

48.      La qualification des obligations non contractuelles comme relevant de la lex societatis ou de la lex loci delicti (23) reste difficile, même lorsque ces obligations concernent des aspects tels que ceux repris dans cette liste. La diversité des solutions adoptées dans la pratique des États membres en est la preuve (24).

49.      La Cour s’est prononcée sur l’exclusion en matière d’obligations contractuelles en reprenant les explications du Rapport de la convention de Rome et souligne la distinction entre les relations ou la « vie » internes d’une société (objet de l’exclusion), d’une part, et les relations externes (couvertes par les règlements), d’autre part (25).

50.      L’accent mis par la Cour sur cette distinction peut être extrapolé à la première des trois catégories de matières exclues énoncées à l’article 1er, paragraphe 2, sous d), du règlement Rome II : la constitution, la capacité juridique, le fonctionnement interne et la dissolution des sociétés. Il s’agit d’éléments qui participent tous de la vie interne d’une société et sont exclusivement régis par le droit des sociétés.

51.      En revanche, je doute que le critère de la « vie interne » suffise à interpréter et délimiter les deux autres catégories exclues : a) la responsabilité personnelle des associés et des administrateurs en tant que tels pour les dettes de la société, de l’association ou de la personne morale, et b) la responsabilité personnelle des auditeurs chargés du contrôle légal des documents comptables à l’égard de la société ou de ses organes.

52.      À mon avis, le facteur pertinent est la volonté législative de maintenir sous un statut unique, à savoir la lex societatis, les aspects de nature contractuelle ou non contractuelle pour lesquels il existe une solution spécifique, résultant du lien entre ces aspects et le fonctionnement et l’exploitation d’une personne morale, que ce soit vis-à-vis de l’intérieur (la « vie interne ») ou de l’extérieur (la « vie externe »).

53.      Concrètement, en ce qui concerne la responsabilité personnelle des associés et des organes pour les dettes de la société, l’exclusion du règlement Rome II est compréhensible, car l’existence de la société absorbe ici toute autre considération. Si une règle de responsabilité non contractuelle est imprégnée de considérations propres au contexte des sociétés au point d’être dépourvue de sens en dehors de celui-ci, c’est cet élément qui prévaut aux fins de la qualification.

54.      La Commission l’a formulé de la manière suivante dans sa proposition de règlement présentée en 2003 : « cette question [de la responsabilité personnelle des associés et des organes pour les obligations d’une société] ne peut être séparée du droit des sociétés [...] applicable à la société [...] dans le cadre de l’exploitation de laquelle la responsabilité est invoquée. » (26)

55.      Je reconnais que la mise en œuvre de ce critère n’est pas chose aisée, non seulement en raison de la formulation du règlement Rome II, mais également en raison de l’incertitude qui règne en matière sociétaire.

3.      Obligations non contractuelles découlant de « la responsabilité personnelle des associés et administrateurs en tant que tels pour les dettes de la société, de l’association ou de la personne morale »

56.      Afin de déterminer si une obligation non contractuelle est (ou non) couverte par l’article 1er, paragraphe 2, sous d), du règlement Rome II, il convient d’examiner la raison d’être (ratio legis) de l’imputation de la responsabilité aux associés ou aux organes afin d’établir son enracinement, ou son ancrage, en matière de sociétés :

–        L’exclusion s’appliquera lorsque la loi étend la responsabilité de la société à l’organe, ou l’attribue directement à l’organe, pour des raisons découlant du droit des sociétés.

–        En revanche, le règlement Rome II couvrira les cas de responsabilité découlant de la violation de l’obligation générale de ne pas nuire à autrui (neminem laedere) ou d’un autre titre spécifique, mais sans lien avec la matière des sociétés.

57.      Un créancier auquel la loi confère la qualité d’exiger en justice le paiement de dettes de la société à l’égard des tiers et qui, sur cette base, se retourne contre un organe pour violation de ses devoirs de loyauté et de diligence envers la société agit, à mon avis, dans le cadre du droit des sociétés. La loi applicable à la responsabilité de l’organe n’est pas déterminée en vertu du règlement Rome II.

58.      La demande de ce même créancier fondée sur le devoir général de diligence erga omnes, qui est distincte du devoir spécifique de diligence découlant de la relation entre l’organe et la société, relève bien du champ d’application matériel de ce règlement (27).

59.      La réglementation de l’obligation et de l’action correspondante dans un ensemble de règles relatives au droit des sociétés, et non dans le corpus général de la responsabilité non contractuelle, constitue un indice formel du fait que la responsabilité exigible s’insère dans le cadre des sociétés. Elle ne représente cependant qu’un simple indice, qui ne saurait être utilisé de manière mécanique ou automatique.

60.      La distinction sera plus difficile à opérer dans les systèmes juridiques où le régime légal applicable est formellement le même – une règle générale sur la responsabilité non contractuelle pour tous les cas – que dans ceux où il existe des dispositions distinctes. La difficulté ne se transforme cependant pas en impossibilité, car la jurisprudence aura certainement précisé les divergences.

61.      À l’inverse, l’inclusion d’une règle relative à l’action individuelle (par opposition à l’action « sociale ») contre l’organe dans un ensemble de règles consacré aux sociétés ne prive pas nécessairement cette règle de son caractère de disposition en matière de responsabilité non contractuelle générale : il conviendra d’en examiner la ratio legis (28).

62.      Le régime prévu pour chaque action constitue un autre élément distinctif. L’action « sociale » exercée par un créancier et l’action individuelle ont toutes deux pour objectif final de condamner un organe de gestion (ou de décision) de la société pour les dettes de cette dernière : en général, la nature de la preuve à rapporter en justice dans chaque cas de figure est toutefois différente (29), tout comme les moyens de défense susceptibles d’être invoqués par l’organe (30).

63.      À la lumière de ce qui précède, il serait possible d’affirmer, à titre d’exemple, que les matières suivantes sont exclues du règlement Rome II :

–        La responsabilité de l’organe qui manque à son devoir de demander la dissolution (ou la déclaration de faillite) de la société, lorsque celle-ci est légalement opportune (31).

–        L’action contre les associés ayant omis d’accomplir les démarches nécessaires pour finaliser la création d’une société à responsabilité limitée (32).

–        L’action contre les membres du conseil d’administration tenus de répondre des dettes de la société lorsqu’ils omettent d’accomplir certaines formalités en vue du contrôle de la situation financière de la société quand celle-ci ne dispose plus de moyens financiers suffisants. Cette responsabilité était visée à l’article 18 du chapitre 25 de l’Aktiebolagslag (loi suédoise sur les sociétés par actions), analysé dans l’arrêt ÖFAB.

64.      En revanche, le champ d’application du règlement Rome II pourrait inclure les actions en réparation ouvertes aux associés et aux tiers pour des actes des organes portant directement atteinte à leurs intérêts, lorsque le régime dont elles relèvent est conforme aux règles générales de la responsabilité.

65.      Je reconnais cependant, une fois encore, que ce critère de délimitation des deux catégories de responsabilité n’offre pas la clarté souhaitable, mais je n’en trouve pas d’autre de nature à apporter des solutions plus précises.

66.      Il appartient à la juridiction de renvoi de décider si le règlement Rome II est applicable au cas d’espèce, à la lumière des circonstances du litige et de ce que je viens d’exposer. Dans l’hypothèse où la réponse affirmative qui semble implicitement ressortir de la décision de renvoi serait confirmée, j’aborde à présent la quatrième question posée à la Cour, qui se subdivise en quatre interrogations.

B.      Quatrième question préjudicielle

1.      Sous-question posée sous a) : droit applicable à l’obligation de BMA AG

67.      En vertu de l’article 4 du règlement Rome II, la loi applicable est, en principe, celle du lieu où le dommage survient, à moins que : i) les parties aient choisi une autre loi applicable (33) conformément à l’article 14, ou ii) la situation relève d’un des cas de figure visés par les règles spéciales de conflit de loi énoncées aux articles 5 et suivants.

68.      Aux fins de déterminer le lieu de survenance du dommage dans la présente affaire :

–        L’article 4, paragraphe 1, in fine, de ce règlement précise que le pays où le fait générateur du dommage se produit et celui où pourraient survenir ses potentielles conséquences indirectes sont tous deux sans incidence.

–        La Cour a déjà précisé (à propos de l’article 5, paragraphe 3, de la convention de Bruxelles) (34) ce que l’on peut entendre par lieu de matérialisation du dommage dans une situation de fait semblable à la présente (35).

69.      En effet, la Cour a déclaré, dans l’arrêt Dumez France et Tracoba :

–        « [S]i [...] la notion de “lieu où le fait dommageable s’est produit” qui figure à l’article 5, point 3, de la convention peut viser le lieu où le dommage est survenu, cette dernière notion ne saurait être comprise que comme désignant le lieu où le fait causal, engageant la responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle, a produit directement ses effets dommageables à l’égard de celui qui en est la victime immédiate. » (36)

–        « Le préjudice dont les sociétés mères [...] font état n’est que la conséquence médiate des pertes financières essuyées dans un premier temps par leurs filiales à la suite de la résiliation des crédits et de l’arrêt des travaux qui s’est ensuivi. » (37)

–        « [L]e dommage allégué n’est que la conséquence indirecte du préjudice éprouvé initialement par d’autres personnes juridiques qui ont été directement victimes du dommage matérialisé en un lieu différent de celui où la victime indirecte a ensuite subi le préjudice. »(38)

70.      En résumé, la Cour a considéré que le lieu de survenance du dommage, aux fins de l’établissement de la compétence internationale, était le lieu où se manifestait le (premier) dommage des personnes directement affectées.

71.      Dans cette même logique, il est possible d’affirmer que, dans la présente affaire, le dommage se manifeste en premier lieu sur le patrimoine de la société faillie et constitue, pour les créanciers de celle-ci, un dommage indirect (39) : il s’agirait d’un dommage subi par le patrimoine d’un premier sujet (la société), qui se répercute sur le patrimoine d’un ou plusieurs autres sujets en raison de l’insuffisance des biens du débiteur pour couvrir toutes les dettes.

72.      Je n’ignore pas la difficulté de qualifier un dommage d’« immédiat » ou de « médiat », ou d’apprécier la qualité de victime « directe » ou « indirecte ». Cette qualification et cette appréciation ne sont cependant pas abstraites, mais s’inscrivent dans un contexte et sont réalisées avec une finalité déterminés par le règlement Rome II et précisés par la Cour.

73.      Dans l’affaire Lazar (40), la Cour devait déterminer la loi applicable à la demande des parents d’une personne décédée dans un accident de la circulation survenu dans un État membre autre que celui de la résidence des requérants. À cette fin :

–        La Cour a rappelé que, selon l’article 2 du règlement Rome II, « le “dommage” vise toute atteinte résultant d’un fait dommageable » et que les préjudices liés au décès d’une personne dans un accident survenu dans un État membre et subis par les parents proches de celle-ci qui résident dans un autre État membre constituent des « conséquences indirectes » au sens de l’article 4 dudit règlement (41).

–        La Cour a souligné que le dommage à prendre en compte, afin de déterminer le lieu où il s’est produit, est le dommage direct.

–        Sur la base d’un raisonnement systématique (42), et dans le but d’assurer la prévisibilité de la loi applicable (43), la Cour a déclaré que, « lorsqu’il est possible d’identifier la survenance d’un dommage direct [...], le lieu de ce dommage direct sera le point de rattachement pertinent pour la détermination de la loi applicable, indépendamment des conséquences indirectes de cet accident » (44).

74.      Si l’on applique ce qui précède au cas d’espèce, la juridiction de renvoi – à laquelle il appartient en toute logique de clarifier ces points – devra appliquer le droit néerlandais si elle estime que les actifs de la société faillie sont situés aux Pays-Bas (45).

2.      Sous-question posée sous b) : action du curateur ou de la Fondation ; conséquences sur la détermination du lieu du dommage

75.      La juridiction de renvoi souhaite savoir si la circonstance que les actions ont été introduites i) par un curateur, au titre de sa mission légale de liquidation de la masse, ou ii) par une personne assurant la défense collective d’intérêts pour le compte de (mais non pas au nom de) l’ensemble des créanciers a une incidence sur la détermination de la loi applicable.

76.      Le raisonnement développé dans la section précédente des présentes conclusions rend inutile le traitement de cette question. Le lieu du dommage reste le même, que l’action soit intentée par un créancier individuel de la société insolvable, ou par le curateur, en vue de défendre les intérêts de la masse, ou par la Fondation, en ce qui concerne certains créanciers (46).

77.      En outre, le curateur (par la voie de l’action Peeters/Gatzen) et la Fondation (en vertu de l’article 3:305a, paragraphe 1, du code civil néerlandais) sont titulaires d’un jus agendi, et non d’un droit substantiel propre sur lequel fonder leur demande (47).

78.      Le système juridique néerlandais procure en réalité un instrument ou un véhicule procédural à la disposition des personnes lésées, sous la forme de l’action Peeters/Gatzen ou de l’action d’une fondation telle que celle qui intervient dans la présente affaire. L’utilisation de cet instrument ou véhicule procédural ne saurait modifier la teneur des règles déterminant la loi applicable, qui doivent être prévisibles pour l’auteur du dommage et la victime et doivent prendre en considération les intérêts de chacun afin de les équilibrer.

3.      Sous-question posée sous c) : créanciers domiciliés dans des États tiers

79.      Il apparaît que certains créanciers de BMA NL sont domiciliés en dehors de l’Union européenne. La juridiction de renvoi souhaite savoir si cette circonstance est susceptible d’avoir une incidence sur la détermination du lieu de survenance du dommage au sens de l’article 4, paragraphe 1, du règlement Rome II.

80.      Comme pour la question précédente, la réponse doit, compte tenu des circonstances de l’affaire, être négative : le lieu du domicile des créanciers est sans importance, puisque le dommage qui leur a été infligé est indirect.

81.      En tout état de cause, je rappelle que le domicile – en réalité, la résidence habituelle – commun des parties (au sens de l’auteur du dommage et de la victime directe) est bel et bien important aux fins de l’article 4, paragraphe 2, du règlement Rome II qui prévaut sur la règle du paragraphe 1 de cet article.

82.      Le fait qu’une juridiction de l’Union soit tenue d’appliquer la loi d’un État non-membre de l’Union en raison de la localisation de cette résidence habituelle commune dans un État tiers n’est pas un résultat inattendu ou non voulu par le règlement Rome II, qui a un caractère universel (48).

4.      Sous-question posée sous d) : la clause dite « dérogatoire »

a)      Le rattachement accessoire à une relation préexistante entre l’auteur du dommage et la victime

83.      La juridiction de renvoi souhaite savoir si la préexistence d’une convention de financement entre BMA AG et BMA NL a une incidence sur la détermination de la loi applicable à la responsabilité non contractuelle de la première société à l’égard des créanciers de la seconde.

84.      La question cite l’article 4, paragraphe 3, du règlement Rome II. En vertu de cette disposition, s’il résulte des circonstances que le fait dommageable « présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé aux paragraphes 1 ou 2, la loi de cet autre pays s’applique ».

85.      L’article 4, paragraphe 3, du règlement Rome II ajoute qu’un lien manifestement plus étroit avec un autre pays « pourrait se fonder, notamment, sur une relation préexistante entre les parties, telle qu’un contrat, présentant un lien étroit avec le fait dommageable en question ».

86.      Le recours à cette règle, également connue sous le nom de « clause dérogatoire » (49), et le recours, en tant que partie intégrante de cette règle, au « rattachement accessoire », ou lien avec un contrat ou une relation antérieure, appelle plusieurs considérations.

87.      Pour que la clause dérogatoire entre en jeu et écarte la loi du pays où le dommage direct se manifeste, le fait dommageable (50) doit présenter un lien manifestement plus étroit avec un autre pays, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce (51).

88.      Les travaux préparatoires montrent l’absence d’accord sur la nature de ces circonstances (52). L’absence de limitations m’amène à penser qu’il y a lieu d’apprécier tant les circonstances propres aux parties que celles relatives au fait générateur ou au dommage proprement dit (53).

89.      Une relation préexistante entre les parties (comme un contrat) n’est qu’une de ces circonstances ou conditions (54). Bien que l’on puisse soutenir, en raison de sa mention expresse dans le règlement Rome II, que cet élément a une signification particulière, le fait est qu’il n’apparaît qu’à titre d’exemple. Le poids d’une telle relation n’est pas absolu et il ne suffit pas, en soi, à exclure l’application de la loi du lieu du dommage (ou, le cas échéant, de la résidence habituelle commune à l’auteur du dommage et à la victime).

90.      Selon l’article 4, paragraphe 3, la relation préexistante en question doit, en outre, présenter un lien essentiel avec le fait dommageable. En vertu de ce lien, il est justifié que la loi applicable au fait dommageable ne soit pas simplement une loi différente de celle qui résulterait de cet article 4, paragraphes 1 et 2, mais celle qui régit le contrat antérieur.

91.      La gestion d’une action (et des procédures ultérieures) fondée à la fois sur la violation d’obligations contractuelles et non contractuelles, lorsque la responsabilité à ces deux titres peut être cumulée, se trouve ainsi facilitée. La nécessité de qualifier certains aspects comme relevant de l’une ou l’autre catégorie est également évitée.

92.      Ces avantages ne justifient cependant pas l’application automatique de la loi du contrat à la responsabilité non contractuelle. En vertu de l’article 4, paragraphe 3, du règlement Rome II (55), le juge dispose, comme je l’ai déjà indiqué, d’une marge d’appréciation quant à l’existence d’un lien significatif entre l’obligation non contractuelle et le pays dont la loi régit la relation préexistante (56).

93.      À mon avis, cette marge d’appréciation a du sens, en particulier, au regard du fait que la loi applicable au contrat ou à la relation préexistante peut ne pas avoir été déterminée de manière objective, mais résulter du choix des parties. Dans le premier cas, le facteur de rattachement désignant la loi applicable indiquera un lien territorial ou géographique réel ; dans le second, il indiquera un lien purement juridique, découlant de la volonté des parties contractantes.

94.      Je considère donc que la préexistence d’une convention de financement entre les sociétés BMA AG et BMA NL n’est qu’une circonstance comme une autre parmi celles susceptibles d’être prises en compte pour décider si le fait dommageable (prétendument) imputable à BMA AG présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que les Pays-Bas, au sens de l’article 4, paragraphe 3, du règlement Rome II.

b)      Rattachement accessoire et victimes indirectes

95.      Bien que la juridiction de renvoi ne formule pas la question en ces termes, j’estime qu’il peut être utile de se demander si un contrat ou une relation préexistante entre parties (envisagée comme une circonstance parmi d’autres dans l’ensemble des circonstances, au sens de l’article 4, paragraphe 3, du règlement Rome II) a la même valeur lorsque celui qui réclame la réparation du dommage subi n’est pas le cocontractant, mais un tiers (57).

96.      Tel est le cas dans la présente affaire, qui se caractérise, en outre, par le choix d’une loi pour la convention de financement entre la société mère, auteur (supposé) du dommage, et sa filiale, qui est la victime directe.

97.      Des arguments permettent à mon avis de soutenir que la relation préexistante entre les cocontractants peut être invoquée, aux fins qui nous occupent, par ceux qui n’ont pas cette qualité :

–        En premier lieu, je rappelle que le dommage « par ricochet » n’est pas pertinent pour la détermination régulière de la loi applicable conformément à l’article 4, paragraphe 1, du règlement Rome II. Par cohérence, le fait que les demandeurs en responsabilité, victimes indirectes, soient étrangers à la relation contractuelle (entre l’auteur du dommage et la victime immédiate) ne devrait pas davantage affecter la clause dérogatoire, qui n’est qu’une exception à la règle.

–        En second lieu, une telle conclusion s’expliquerait également par la dépendance d’un dommage réfléchi à l’égard du dommage personnel ou patrimonial qui frappe en premier lieu une autre victime. Si le dommage subi par cette dernière est lié à une relation préexistante et que ladite relation fait naître un lien plus étroit entre un certain ordre juridique et le fait dommageable, il ne me semble pas incohérent d’appliquer le même droit au dommage, subi par un tiers, découlant du même fait.

98.      Je comprends qu’une telle solution puisse susciter des réticences lorsque la loi applicable au contrat a été choisie par les parties (58) au lieu d’être déterminée de manière objective. Je rappelle cependant que l’extension de cette loi au fait dommageable ne résulte pas de la volonté des parties contractantes, mais de la décision prise par le juge du fond après avoir vérifié les conditions de l’article 4, paragraphe 3. Le lien se rapproche, par cette voie, d’un lien objectif.

V.      Conclusion

99.      À la lumière de ce qui précède, je suggère à la Cour de répondre de la manière suivante à la quatrième question préjudicielle posée par le rechtbank Midden-Nederland (tribunal des Pays-Bas centraux, Pays-Bas) :

1)      L’article 1er, paragraphe 2, sous d), du règlement (CE) no 864/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 11 juillet 2007, sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II), doit être interprété en ce sens qu’il exclut de son champ d’application les obligations non contractuelles résultant d’un manquement au devoir de diligence des associés ou des organes lorsque la loi rend ceux-ci responsables d’un tel manquement à l’égard des tiers pour des raisons propres au droit des sociétés. La responsabilité découlant de la violation du devoir général de diligence n’est pas exclue du champ d’application du règlement.

2)      L’article 4, paragraphe 1, du règlement no 864/2007 doit être interprété en ce sens que « le lieu où le dommage survient » est le lieu où est établie la société, lorsque le préjudice subi par ses créanciers est la conséquence médiate de pertes économiques subies en premier lieu par la société elle-même. La circonstance que les actions soient exercées par un curateur, au titre de sa mission légale de liquidation de la masse active, ou par une personne assurant la défense collective d’intérêts pour le compte de (mais non pas au nom de) l’ensemble des créanciers est sans incidence sur la détermination de ce lieu. Le fait que le domicile de certains créanciers soit situé en dehors de l’Union européenne n’est pas davantage pertinent.

3)      L’article 4, paragraphe 3, du règlement no 864/2007 doit être interprété en ce sens qu’une relation préexistante entre l’auteur d’un dommage et la victime directe (telle que, par exemple, une convention de financement, pour laquelle les parties ont choisi la loi applicable) est un élément qui doit être mis en balance avec les autres circonstances afin d’établir s’il existe un lien manifestement plus étroit entre le fait dommageable et un pays déterminé qu’entre ce même fait et le pays dont la loi serait applicable en vertu de l’article 4, paragraphes 1 ou 2, dudit règlement.


1      Langue originale : l’espagnol.


2      La procédure au principal découle d’une action dite « Peeters/Gatzen », intentée par le curateur, ainsi que d’une action collective intentée par une fondation (Stichting). Dans son arrêt du 14 janvier 1983, Peeters/Gatzen, le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) a jugé, pour la première fois, que le curateur pouvait introduire une action en dommages et intérêts en matière délictuelle ou quasi délictuelle contre un tiers qui a participé à la réalisation du préjudice subi par les créanciers de la faillite, même si le failli ne dispose pas lui-même d’une telle action.


3      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007, sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (JO 2007, L 199, p. 40, ci-après le « règlement Rome II »).


4      La juridiction de renvoi interroge la Cour sur l’interprétation de l’article 7, partie introductive et point 2, et de l’article 8, partie introductive et point 2, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1).


5      Tel qu’en vigueur au moment des faits, avant d’être modifié par la wet tot wijziging van het Burgerlijk Wetboek en het Wetboek van Burgerlijke Rechtsvordering teneinde de afwikkeling van massaschade in een collectieve actie mogelijk te maken (Wet afwikkeling massaschade in collectieve actie) [loi modifiant le code civil et le code de procédure civile en vue de permettre le règlement d’un préjudice collectif dans le cadre d’une action collective (loi sur le règlement des préjudices collectifs dans le cadre d’actions collectives)], du 20 mars 2019 (Stb. 2019, no 130).


6      Voir note 2 des présentes conclusions.


7      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relatif aux procédures d’insolvabilité (JO 2015, L 141, p. 19, ci-après le « règlement sur l’insolvabilité »).


8      Arrêt du 6 février 2019, NK (C‑535/17, EU:C:2019:96).


9      Règlement du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1).


10      Considérant 7 du règlement Rome II. Voir également considérant 7 du règlement (CE) no 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) (JO 2008, L 177, p. 6, ci-après le « règlement Rome I ») et, dans la jurisprudence de la Cour, notamment, arrêt du 31 janvier 2019, Da Silva Martins (C‑149/18, EU:C:2019:84, point 28).


11      Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (« Rome II ») COM(2003) 427 final, du 22 juillet 2003, p. 3.


12      Arrêts du 16 janvier 2014, Kainz (C‑45/13, EU:C:2014:7, point 20), et du 3 octobre 2019, Petruchová (C‑208/18, EU:C:2019:825, point 63).


13      Le règlement Rome II a exclusivement retenu comme critère le lieu du dommage, qui constitue en outre un critère résiduel dans le cadre d’un système privilégiant, du point de vue théorique, le choix des parties (voir article 14) et prévoyant des solutions différentes pour certains faits générateurs de responsabilité (voir articles 5 et suiv.).


14      Dans la doctrine, voir, entre autres, von Hein, J., « Article 4 Rome II », dans Callies, G. P., Rome Regulations, 2e éd., Wolters Kluwer, point 5, qui renvoie à d’autres références et insiste sur le lien entre la prévisibilité de la loi applicable et l’assurance en responsabilité pour d’éventuels futurs faits dommageables. Dans le contexte de l’article 4 du règlement Rome II, la prévisibilité (du point de vue de l’auteur, quant aux conséquences de ses actes, et du point de vue de la victime, qui expose son patrimoine ou son intégrité à un risque en un lieu déterminé) est conçue d’une manière abstraite, en ce sens qu’elle ne se réfère pas aux parties opposées dans le cadre d’un litige déterminé : comparer cette disposition à l’article 5, paragraphe 1, in fine.


15      Points 4.2, 4.3, 5.2, en ce qui concerne le curateur et la Fondation ; point 7.3, où la juridiction de renvoi explique les thèses de la partie défenderesse sur le fait générateur du dommage (Handlungsort).


16      Points 16 et suiv. des observations écrites de la Fondation. Celle-ci fait le parallèle avec l’arrêt du 18 juillet 2013, ÖFAB (C‑147/12, ci-après l’« arrêt ÖFAB », EU:C:2013:490). Je rappelle que, dans cette affaire, la question préjudicielle ne portait pas sur la loi applicable, mais sur la juridiction compétente au titre du règlement no 44/2001. Ce règlement (y compris dans sa version actuellement en vigueur) ne contient pas de disposition semblable à l’article 1er, paragraphe 2, sous d), du règlement Rome II. Le débat portait sur le point de savoir si la responsabilité des parties défenderesses devait être qualifiée de contractuelle (auquel cas il convient d’appliquer l’article 5, paragraphe 1) ou de non contractuelle (et il convient alors d’appliquer l’article 5, paragraphe 3).


17      Points 1.1, 3.3 et suiv. des observations du curateur, et réponse à la quatrième question, sous a), formulée à la p. 12.


18      Points 49 et suiv. des observations de BMA AG. Celle-ci conteste, aux points 57 et 58 de ses observations, le rattachement au droit des sociétés et n’aborde pas directement l’applicabilité du règlement Rome II. Elle souligne les différences entre la présente affaire et celle tranchée par l’arrêt ÖFAB pour exclure que sa (prétendue) responsabilité relève du droit des sociétés.


19      Arrêt du 10 décembre 2015, Lazar (C‑350/14, EU:C:2015:802, point 21).


20      Convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980 (JO 1980, L 266, p. 1, ci-après la « convention de Rome »).


21      Rapport concernant la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, par Mario Giuliano et Paul Lagarde (JO 1980, C 282, p. 1, ci-après le « Rapport »), en particulier p. 12. Voir également arrêt du 7 avril 2016, KA Finanz (C‑483/14, EU:C:2016:205, point 52).


22      L’avocat général Saugmandsgaard Øe affirmait, dans ses conclusions dans l’affaire Verein für Konsumenteninformation (C‑272/18, EU:C:2019:679, point 47), qu’il est « difficile, voire impossible, de donner une définition exhaustive de ce qui constitue une question relevant du droit des sociétés et de la lex societatis. [...] Je relève d’ailleurs que, dans certains ordres juridiques, les règles de conflit de lois prévoient une énumération des questions relevant du domaine de la lex societatis. Néanmoins, ces énumérations ne sont qu’illustratives et des divergences existent entre les États membres quant aux questions relevant de cette loi. Face à ces divergences, il convient sans doute de s’attacher au “noyau dur” de questions communément admis dans ces États ».


23      Ou, le cas échéant, la lex concursus. Voir également, sur la responsabilité personnelle des administrateurs d’une société, arrêt du 10 décembre 2015, Kornhaas (C‑594/14, EU:C:2015:806).


24      Voir étude de Gerner-Beuerle, C., Mucciarelli, F., Schuster, E., et Siems, M., The Private International Law of Companies in Europe, Hart, Beck, Nomos, 2019, tableau 4.5, avec données actualisées au mois de septembre 2018.


25      Arrêts du 8 mai 2019, Kerr (C‑25/18, EU:C:2019:376, points 33 et 34), et du 3 octobre 2019, Verein für Konsumenteninformation (C‑272/18, EU:C:2019:827, points 35 et suiv.).


26      Voir note 11 des présentes conclusions. La formulation de l’article 1er, paragraphe 2, sous d), reprise dans la proposition modifiée du 21 février 2006, COM(2006) 83 final, était encore plus claire. Le texte final suit l’article 1er, paragraphe 2, sous e), de la convention de Rome.


27      Voir Alfaro Águila-Real, J., « Administradores frente a accionistas y acreedores : deberes de lealtad para los accionistas y obligaciones pactadas o legales para los acreedores », dans Bermejo Gutiérrez, N., Martínez Flórez, A., et Recalde Castells, A. (dir.), Las reestructuraciones de las sociedades de capital en crisis, Civitas-Thomson Reuters, 2019, p. 69 et suiv. Pour cet auteur, le créancier exerce, dans le cas de figure décrit au point 57 des présentes conclusions, l’« action sociale » (« derivative action »), qui tend à restaurer le patrimoine de la société. Dans le cas de figure décrit au point 58 des présentes conclusions, il exerce l’« action individuelle » (« direct action »), relative à son propre préjudice patrimonial. L’auteur ajoute (p. 73 et 74) que les obligations des organes et les créanciers de ces obligations restent inchangés lorsque la société connaît une situation de crise de solvabilité. Le niveau de diligence requis envers les créanciers peut en revanche être différent. L’auteur admet l’existence d’autres approches, qu’il réfute.


28      Malgré son placement systémique, il se peut que la règle ne fasse que renvoyer à d’autres régimes de responsabilité contractuelle ou non contractuelle.


29      Au motif que le critère d’imputabilité (objective ou subjective) du comportement à l’organe varie.


30      À savoir, dans le cadre de l’action « sociale », les moyens de défense susceptibles d’être invoqués si l’action avait été exercée par la société ou par les associés ou, dans l’action individuelle, les moyens de défense disponibles contre chaque créancier.


31      Cette obligation spécifique trouve sa raison d’être dans la volonté d’éviter qu’une société qui aurait dû être dissoute ou liquidée reste active dans les échanges commerciaux.


32      L’instauration de cette responsabilité vise à protéger les tiers entrant en relation avec des personnes non enregistrées et à encourager l’enregistrement de sociétés. Voir, en Espagne, de manière générale, articles 119 et 120 du code de commerce [Real Decreto de 22 de agosto de 1885, por el que se publica el Código de comercio (décret royal du 22 août 1985 portant publication du code de commerce)] ou, en Allemagne, article 11, II de la loi sur les sociétés à responsabilité limitée (Gesetz betreffend die Gesellschaften mit beschränkter Haftung), telle que publiée dans sa version corrigée dans le Bundesgesetzblatt, partie III, no 4123‑1, modifiée en dernier lieu par l’article 18 de la loi du 3 juin 2021.


33      Il ressort de la décision de renvoi que les contrats entre BMA AG et BMA NL contiennent une clause désignant le droit allemand. J’aborderai ci-après son incidence potentielle sur la détermination de la loi applicable à l’action intentée par les créanciers de BMA NL à l’encontre de BMA AG.


34      Convention de Bruxelles de 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32 ; version consolidée parue au JO 1998, C 27, p. 1).


35      Arrêt du 11 janvier 1990, Dumez France et Tracoba (C‑220/88, ci-après l’« arrêt Dumez France et Tracoba », EU:C:1990:8). Les sociétés Dumez France SA et Tracoba SARL demandaient la réparation du dommage prétendument subi du fait de la déconfiture de filiales établies dans un autre État partie à la convention, qui aurait été provoquée, selon elles, par l’arrêt d’un programme de construction d’immeubles à réaliser en République fédérale d’Allemagne, décidé par le maître d’œuvre en conséquence de la décision des banques allemandes de résilier les crédits accordés à ce dernier.


36      Arrêt Dumez France et Tracoba, point 20. Mise en italique par mes soins.


37      Arrêt Dumez France et Tracoba, point 13.


38      Arrêt Dumez France et Tracoba, point 14.


39      Contrairement à ce que le curateur soutient au point 3.18 de ses observations, il ne s’agit donc pas d’un dommage initialement subi par les créanciers.


40      Arrêt du 10 décembre 2015 (C‑350/14, ci-après l’« arrêt Lazar », EU:C:2015:802).


41      Arrêt Lazar, points 22, 23 et 25.


42      Arrêt Lazar, points 26 et 27. L’article 15, sous f), du règlement Rome II soumet la détermination des personnes fondées à obtenir réparation (le cas échéant, des tiers, ou victimes « par ricochet ») au champ d’application de la loi désignée.


43      Arrêt Lazar, point 29.


44      Arrêt Lazar, point 25.


45      La juridiction de renvoi ne pose aucune question à cet égard. Aux fins de la localisation du fait dommageable (ou du dommage, le cas échéant) et de la détermination de la compétence judiciaire internationale et du droit applicable, elle ne semble pas accorder d’importance à la différence entre « lieu d’établissement », « lieu où est établie la société » ou « siège » de la société. La Commission identifie ce lieu au siège social, par référence à l’arrêt du 21 mai 2015, CDC Hydrogen Peroxide (C‑352/13, EU:C:2015:335, point 52) : voir point 34 de ses observations. Je reprends dans les présentes conclusions la terminologie utilisée par la juridiction de renvoi (« lieu où est établie la société », selon la version en langue française de la décision de renvoi).


46      Bien que cela n’ait aucune incidence sur ce qui a été exposé, il convient de noter que les intérêts représentés (ou défendus) par le curateur et la Fondation ne se recoupent que partiellement. Dans le premier cas, il s’agit des intérêts de la masse active : une fois cette masse reconstituée, les créanciers seront désintéressés à concurrence de ce qui leur revient en suivant les règles relatives à l’insolvabilité. La Fondation agit en revanche dans l’intérêt de certains créanciers afin d’obtenir, en plus de certaines déclarations en droit, une condamnation au paiement d’un montant égal au total de chaque créance individuelle, qui sera directement versé à chaque créancier individuel.


47      L’intervention de ces sujets n’a pas d’incidence sur le régime de responsabilité en cause, mais le contexte spécifique (l’insolvabilité) dans lequel ladite responsabilité est engagée pourrait en revanche avoir des conséquences. C’est assurément le cas pour l’action Peeters/Gatzen : la portée de la loi du lieu du dommage ou, à tout le moins, le résultat de son application sera probablement altéré par les solutions résultant de la lex concursus, telles que celles relatives à la répartition du produit de la réalisation des actifs ou au rang des créances, afin de préserver les objectifs propres à la réglementation de l’insolvabilité.


48      Article 3. L’éventuelle existence, dans de telles circonstances, d’une juridiction compétente dans l’Union, en particulier en vertu du règlement no 1215/2012, dont l’application exige que le défendeur soit domicilié dans un État membre, est une autre question. Le texte prévoit cependant des critères de compétence qui ne sont pas soumis à cette condition. En outre, les États membres ont pu maintenir des fors résiduels.


49      Considérants 14 et 18 du règlement Rome II.


50      L’article 4 mentionne le fait dommageable, alors que le considérant 18 de la version en langue espagnole du règlement Rome II utilise le terme « dommage » (daño) (à la différence des versions en langues anglaise, française ou italienne). À mon avis, la nature et la finalité de la clause imposent de considérer qu’elle pourra entrer en jeu lorsqu’il existe un lien étroit avec le fait dommageable considéré dans son ensemble (c’est-à-dire dans tous ses éléments et conséquences). Le lien ne doit pas être recherché par rapport au préjudice, interprété au sens strict.


51      Le considérant 18 des versions en langues tant espagnole qu’italienne du règlement Rome II indique qu’il y a lieu de tenir compte de toutes les circonstances. Je ne crois pas que ce terme autorise une interprétation différente par rapport aux autres versions linguistiques, qui font référence à l’ensemble des circonstances (termes par ailleurs repris dans les versions linguistiques de l’article 4, paragraphe 3, que j’ai pu consulter). Le juge devra toujours tenir compte de tous les éléments indiquant le lien entre le fait dommageable et un État afin de procéder à une appréciation d’ensemble dont il tirera la conclusion pertinente.


52      Voir, en particulier, résolution législative du Parlement européen sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, du 6 juillet 2005, document A6‑0211/2005, amendement 26, qui suggérait un libellé pour l’article 4, paragraphe 3 (actuel) qui n’a finalement pas été retenu. La proposition modifiée de règlement de la Commission du 21 février 2006, COM(2006) 83 final, article 4, paragraphe 3, qui intégrait dans le texte les attentes des parties, en tant qu’élément particulièrement indicatif du rattachement à un système juridique, n’a pas davantage prospéré.


53      Voir note 51 des présentes conclusions. Je considère, par exemple, que la localisation du dommage indirect pourrait être prise en compte parmi les autres facteurs, pour autant que son exclusion en tant que point de rattachement conformément à l’article 4, paragraphe 1, soit respectée. En d’autres termes, cette localisation ne saurait, en soi, déterminer la loi applicable : cela reviendrait à contourner la volonté du législateur, qui ne retient que le dommage direct comme critère de rattachement.


54      C’est ce qui résulte du texte. Voir également proposition de la Commission du 22 juillet 2003, citée en note 11 des présentes conclusions. D’ailleurs, ni le règlement ni les travaux préparatoires n’expliquent de quelle manière le contrat ou la relation préexistante créent un lien étroit avec un pays en particulier.


55      Voir la différence entre cette règle et le premier paragraphe des articles 10, 11 et 12 de ce règlement.


56      Lorsque la juridiction estime que ce lien se vérifie, elle doit appliquer la loi du pays correspondant.


57      Voir conclusions de l’avocat général Saugmandsgaard Øe dans l’affaire Verein für Konsumenteninformation (C‑191/15, EU:C:2016:388, point 78). Bien qu’il s’agisse d’un contexte différent, l’avocat général Saugmandsgaard Øe n’exclut pas que le droit applicable au fait dommageable soit déterminé en prenant en considération la loi choisie pour une relation préexistante par d’autres parties que les actuelles parties défenderesse et requérante. En tout état de cause, il ajoute que « le fait que ces conditions générales prévoient l’applicabilité du droit luxembourgeois ne fait pas naître, en l’absence de toute relation préexistante tant entre les parties au litige qu’entre le professionnel et certains consommateurs déterminés, un lien manifestement plus étroit avec le Luxembourg dans le cadre d’une telle action ».


58      Il peut dès lors sembler que cette loi s’impose à des parties qui n’y ont pas consenti. C’est le point de vue retenu par le curateur au point 3.24 de ses observations.