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DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

22 octobre 2021 (*)

« Aides d’État – Traitement fiscal réservé aux exploitants de casinos publics en Allemagne – Plainte – Phase préliminaire d’examen – Décision de la Commission constatant l’absence d’aide d’État – Conditions d’ouverture d’une procédure formelle d’examen – Difficultés sérieuses – Notion d’“aide d’État” – Prélèvement sur les bénéfices – Avantage – Caractère sélectif – Recours manifestement dépourvu de tout fondement en droit »

Dans l’affaire T‑510/20,

Fachverband Spielhallen eV, établie à Berlin (Allemagne),

LM,

représentées par Mes A. Bartosch et R. Schmidt, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par M. B. Stromsky et Mme K. Blanck, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

République fédérale d’Allemagne, représentée par M. R. Kanitz et Mme S. Costanzo, en qualité d’agents,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision C(2019) 8819 final de la Commission, du 9 décembre 2019, concernant les aides d’État SA.44944 (2019/C, ex 2019/FC) – Traitement fiscal réservé aux exploitants de casinos publics en Allemagne et SA.53552 (2019/C, ex 2019/FC) – Garantie présumée en faveur des exploitants de casinos publics en Allemagne (garantie de rentabilité), en ce qu’elle rejette la plainte introduite par les requérantes contre le fait que les sommes versées au Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie (Allemagne) par les exploitants de casinos publics au titre d’un prélèvement sur les bénéfices étaient déductibles des bases imposables de la taxe professionnelle et de l’impôt sur le revenu ou sur les sociétés,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de MM. S. Gervasoni, président, L. Madise et Mme R. Frendo (rapporteure), juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        Le 22 mars 2016, les requérantes, Fachverband Spielhallen eV, une association professionnelle de 88 exploitants d’appareils de jeux d’argent, et LM, une exploitante d’appareils de jeux de hasard, ont déposé trois plaintes concernant le traitement fiscal des exploitants de casinos publics en République fédérale d’Allemagne.

2        En Rhénanie-du-Nord-Westphalie, les activités de jeux de hasard proposées dans les casinos étaient régies par le Spielbank-Gesetz NRW (loi sur les casinos du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, ci-après la « loi sur les casinos »), jusqu’à son remplacement en 2020. En vertu de cette loi, Westdeutsche Spielbanken GmbH & Co. KG (ci-après « WestSpiel ») était le seul concessionnaire de casinos publics dans ce Land.

3        En vertu de la loi sur les casinos, les recettes générées par ceux-ci étaient assujetties à deux régimes fiscaux différents. D’une part, les recettes dérivant des jeux d’argent et de hasard étaient assujetties à un régime fiscal particulier constitué par une taxe sur les casinos. D’autres part, les recettes ne découlant pas de ces jeux, telles que les recettes provenant des espaces de restauration, étaient soumises au régime fiscal normal, constitué par l’impôt sur le revenu ou sur les sociétés et par la taxe professionnelle (ci-après le « régime fiscal normal »).

4        Par ailleurs, l’article 14 de la loi sur les casinos disposait que le bénéfice annuel déclaré par les exploitants de casinos publics, qu’il résulte des jeux d’argent et de hasard ou non, devait être reversé à hauteur de 75 % au Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Toutefois, dans le cas où le quart restant de ce bénéfice dépassait 7 % de la somme des parts du capital social, des réserves et du fonds de mutualisation, l’intégralité de ce bénéfice devait être reversée au Land (ci-après le « prélèvement sur les bénéfices »).

5        Le prélèvement sur les bénéfices, à concurrence de la partie de celui-ci découlant des revenus ne provenant pas du jeu, était néanmoins déductible des bases imposables de la taxe professionnelle et de l’impôt sur le revenu ou sur les sociétés au titre des « dépenses induites par les opérations commerciales ». C’est cette déductibilité (ci-après la « mesure litigieuse ») que les requérantes contestaient dans leur troisième plainte (voir point 1 ci-dessus) au motif qu’elle constituerait une aide d’État.

6        Après des échanges de courriers avec les requérantes, la Commission européenne a considéré, le 9 décembre 2019, que la mesure litigieuse ne comportait aucun avantage sélectif et, partant, aucune aide et a donc décidé de ne pas ouvrir, à son égard, la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE (ci-après la « décision attaquée »).

7        Dans la décision attaquée, la Commission a constaté que les revenus des exploitants de casinos publics ne provenant pas du jeu étaient soumis, d’une part, au régime fiscal normal et, d’autre part, au prélèvement sur les bénéfices, qu’elle a qualifié d’« impôt spécifique ».

8        La Commission a relevé que la déductibilité dudit prélèvement de la base imposable de l’impôt sur le revenu ou sur les sociétés et de la taxe professionnelle résultait non pas d’une disposition spécifique, mais de l’application des règles générales d’imposition du régime fiscal normal, selon lesquelles les impôts sont calculés sur la base des bénéfices nets, après déduction des « dépenses induites par les opérations commerciales », telles que, en l’espèce, le prélèvement sur les bénéfices. Il s’ensuivait, selon la Commission, que la déductibilité du prélèvement sur les bénéfices ne constituait pas un avantage sélectif.

9        Dans la suite de la décision attaquée, la Commission a poursuivi l’analyse de la mesure litigieuse à la lumière des arguments soulevés par les requérantes lors de la phase d’examen préliminaire.

10      La Commission a relevé, en premier lieu, que, par leurs arguments, les requérantes soutenaient implicitement que le prélèvement sur les bénéfices était un impôt comparable aux impôts sur les bénéfices, qui n’étaient pas déductibles selon les règles générales d’imposition du régime fiscal normal, notamment en raison de l’article 4, paragraphe 5 ter, de l’Einkommensteuergesetz (loi relative à l’impôt sur le revenu).

11      Or, selon la Commission, le prélèvement sur les bénéfices pouvait être considéré comme un impôt spécial sur les bénéfices. À cet égard, elle a fait valoir que l’article 4, paragraphe 5 ter, de la loi relative à l’impôt sur le revenu excluait la qualification de charge professionnelle déductible uniquement pour la taxe professionnelle, et non pour tous les impôts sur le bénéfice. En fait, selon la Commission, aucune disposition ne s’opposait, de manière générale, à la déductibilité d’un impôt spécifique sur les bénéfices. Elle a ajouté que, en tout état de cause, les revenus générés par les exploitants de casinos publics semblaient soumis non pas à l’impôt sur le revenu, mais à l’impôt sur les sociétés.

12      À cet égard, en deuxième lieu, la Commission a répondu à un argument que les requérantes avaient tiré de l’article 10, paragraphe 2, du Körperschaftsteuergesetz (loi relative à l’impôt sur les sociétés), selon lequel l’impôt sur le revenu et les autres impôts sur les personnes physiques ne sont pas déductibles aux fins de l’établissement de la base imposable de l’impôt sur les sociétés. Elle a fait observer que cette disposition visait les impôts généraux sur les bénéfices et que rien n’indiquait qu’elle s’appliquait aussi à un impôt supplémentaire spécial, tel que le prélèvement sur les bénéfices, qu’aucun contribuable autre que les exploitants de casinos publics ne payait et dont la base imposable ne correspondait pas exactement aux revenus générés par l’activité de ces derniers. De plus, la Commission a relevé que le choix du législateur allemand d’introduire une telle disposition explicite montrait qu’elle dérogeait aux règles habituelles selon lesquelles toutes les dépenses liées aux opérations commerciales sont déductibles. Aussi, le fait que le prélèvement sur les bénéfices soit déductible était, selon la Commission, conforme au principe général de la déductibilité.

13      En troisième lieu, et en réponse à un autre argument des requérantes, tiré de ce que les dividendes ne sont pas déductibles de l’assiette de la taxe professionnelle et de l’assiette de l’impôt sur le revenu selon les règles générales d’imposition du régime fiscal normal, la Commission a soutenu que le prélèvement sur les bénéfices n’était pas un dividende. Elle a fondé cette constatation sur plusieurs éléments. Premièrement, le prélèvement sur les bénéfices était versé au Land, qui n’était pas actionnaire des casinos publics. Deuxièmement, il était fixé unilatéralement par l’autorité dans une loi. Troisièmement, il était prélevé de manière automatique et était obligatoire. Quatrièmement, son montant devait être affecté à des fins caritatives. Enfin, cinquièmement, à l’inverse des dividendes qui ne sont pas nécessairement liés aux bénéfices réalisés au cours d’un exercice donné, le prélèvement sur les bénéfices était directement lié à l’exercice en cours.

14      Au vu de ce qui précède, la Commission a considéré, dans la décision attaquée, que la déductibilité du prélèvement sur les bénéfices était conforme à la règle générale de la déductibilité au titre des dépenses induites par les opérations commerciales et qu’elle ne présentait donc pas un caractère sélectif.

15      Enfin, la Commission a relevé, au point 159 de la décision attaquée, que, en ce qui concerne plus spécifiquement le critère de l’avantage, les autres opérateurs économiques, et en particulier les exploitants d’appareils de jeux de hasard, n’étaient pas soumis au prélèvement sur les bénéfices. Dès lors, le fait que ledit prélèvement était déduit de la base imposable d’autres impôts ne pouvait conférer à WestSpiel aucun avantage par rapport au régime fiscal normal.

16      La Commission a fait valoir, à ce propos, que, en 2014, le prélèvement sur les bénéfices s’élevait à 82,02 millions d’euros et que les taux de la taxe professionnelle et de l’impôt sur les sociétés étaient respectivement de 17,7 % et de 15,6 %. Elle a dès lors fait observer que la déductibilité de ce prélèvement, dans les limites de l’article 14 de la loi sur les casinos, a conduit à ce que ces taux d’imposition ne soient pas appliqués à ce montant. En conséquence, la somme totale due par WestSpiel au titre du régime fiscal normal a été réduite de 27,3 millions d’euros. Toutefois, la charge fiscale globale que WestSpiel a dû supporter a été augmentée, dans le même temps, d’un montant beaucoup plus élevé, à savoir précisément ces 82,02 millions d’euros correspondant au prélèvement sur les bénéfices.

17      De l’analyse faite au point 16 ci-dessus, la Commission a conclu, dans la décision attaquée, que le prétendu avantage résultant de la possibilité pour un exploitant tel que WestSpiel de déduire partiellement le prélèvement sur les bénéfices des bases imposables de l’impôt sur les sociétés et de la taxe professionnelle était en tout état de cause surpassé par la charge plus lourde liée au paiement dudit prélèvement, qui était spécifique aux exploitants de casinos publics et toujours beaucoup plus élevée que ces deux impôt et taxe.

18      À la note en bas de page no 87 de la décision attaquée, la Commission a précisé que, dans la mesure où l’impôt sur les sociétés et la taxe professionnelle sont proportionnels et où l’impôt sur le revenu des personnes physiques est progressif par tranches, l’avantage des exploitants de casinos publics résultant de la réduction de la base imposable à concurrence d’une partie du prélèvement sur les bénéfices était inférieur au désavantage résultant de l’obligation pour ceux-ci de payer ce prélèvement.

 Procédure et conclusions des parties

19      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 août 2020, les requérantes ont introduit le présent recours.

20      La Commission a déposé le mémoire en défense le 4 novembre 2020.

21      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 25 novembre 2020, la République fédérale d’Allemagne a demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions de la Commission. Cette demande a été accueillie par une décision du président de la quatrième chambre du Tribunal du 21 décembre 2020.

22      Le 1er février 2021, les requérantes ont déposé la réplique.

23      L’intervenante a déposé son mémoire en intervention le 2 février 2021 et les parties principales ont déposé leurs observations sur celui-ci dans les délais impartis.

24      Le 4 mai 2021, la Commission a déposé la duplique.

25      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

26      La Commission et la République fédérale d’Allemagne concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

 Sur l’application de l’article 126 du règlement de procédure du Tribunal

27      Aux termes de l’article 126 du règlement de procédure, lorsque le Tribunal est manifestement incompétent pour connaître d’un recours ou lorsque le recours est manifestement irrecevable ou manifestement dépourvu de tout fondement en droit, le Tribunal peut, sur proposition du juge rapporteur, à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

28      En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide, en application de cet article, de statuer sans qu’il soit nécessaire de poursuivre la présente procédure.

 Sur le moyen unique des requérantes

 Arguments des requérantes

29      Les requérantes prennent, à l’appui de leur recours, un moyen unique, tiré de la violation de leurs droits procéduraux en raison du refus de la Commission d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, alors qu’elle n’aurait pas été en mesure, au terme de la phase d’examen préliminaire, de surmonter toutes les sérieuses difficultés qu’elle a rencontrées.

30      Les requérantes font valoir que l’intégralité de l’examen effectué dans la décision attaquée repose sur la prémisse erronée tirée du caractère fiscal du prélèvement sur les bénéfices. Elles font valoir que la Commission n’aurait pas pu, dans le cadre de la phase d’examen préliminaire, surmonter les difficultés sérieuses qui se seraient posées si elle avait procédé à cet examen en se fondant sur la qualification correcte de la nature du prélèvement sur les bénéfices.

31      Selon les requérantes, le prélèvement sur les bénéfices produisait les mêmes effets qu’un transfert de bénéfices résultant d’un contrat de transfert des bénéfices au sens de l’article 291 de l’Aktiengesetz (loi sur les sociétés par actions), qui n’est pas déductible des bases imposables dans le cadre du régime fiscal normal. Dès lors, la déductibilité du prélèvement sur les bénéfices représenterait une mesure dérogeant aux règles générales d’imposition de ce régime et, partant, un avantage sélectif en faveur de WestSpiel.

32      Le moyen unique des requérantes comporte, en substance, cinq branches, par lesquelles elles contestent l’analyse faite par la Commission et qui, dès lors, démontreraient les difficultés sérieuses rencontrées par celle-ci lors de la phase préliminaire d’examen.

33      Dans une première branche, les requérantes soutiennent que la Commission a supposé à tort qu’elles considéraient le prélèvement sur les bénéfices comme étant un impôt, alors qu’elles avaient toujours indiqué qu’il s’agissait d’un transfert de bénéfices qui ne serait pas déductible au titre du régime fiscal normal.

34      Dans une deuxième branche, les requérantes font valoir que la Commission a qualifié le prélèvement sur les bénéfices d’impôt spécial en considérant erronément que la manière selon laquelle le droit interne qualifie une mesure n’est pas déterminante. Il s’ensuivrait que la qualification d’impôt ainsi opérée dans la décision attaquée aurait méconnu les principes régissant normalement la fiscalité des casinos en droit allemand.

35      Dans une troisième branche, les requérantes contestent les critères utilisés par la Commission pour qualifier d’impôt le prélèvement sur les bénéfices, au motif que ces critères l’auraient conduite à méconnaître des principes et dispositions du droit commercial allemand et de l’Abgabenordnung (code fiscal).

36      Dans une quatrième branche, les requérantes avancent une série d’arguments pour soutenir que, même à supposer que le prélèvement sur les bénéfices constituait un impôt, il ne pourrait pas venir en déduction des bases imposables de l’impôt sur le revenu ou sur les sociétés et de la taxe professionnelle.

37      Elles font observer, à cet égard, que la décision attaquée opère une distinction entre, d’une part, les impôts généraux sur les bénéfices, qui ne pourraient faire l’objet d’une déductibilité fiscale, et, d’autre part, les impôts spécifiques sur les bénéfices, auxquels cette interdiction ne s’appliquerait pas. Toutefois, selon les requérantes, cette distinction n’est pas conforme à l’article 2 et à l’article 12, point 3, de la loi relative à l’impôt sur le revenu, conformément auxquels aucun impôt sur le revenu au sens large ne serait déductible des revenus taxables au titre de cet impôt.

38      En plus, toujours selon les requérantes, s’il devait être qualifié d’impôt, le prélèvement sur les bénéfices devrait être rangé dans la catégorie des impôts généraux sur le revenu au sens large, qui ne sont pas déductibles.

39      Ensuite, les requérantes contestent l’affirmation, figurant à la note en bas de page no 83 de la décision attaquée, selon laquelle la règle de la déductibilité des impôts sur les bénéfices serait confirmée par le fait que la taxe professionnelle était déductible de l’impôt sur les sociétés jusqu’en 2007. Selon elles, la taxe professionnelle est en effet non pas un impôt sur les bénéfices, mais un impôt réel frappant une activité commerciale ou industrielle.

40      Enfin, les requérantes font valoir que le prélèvement sur les bénéfices, en tant qu’impôt sur le revenu au sens large, serait contraire à l’article 106, paragraphe 3, du Grundgesetz (loi fondamentale allemande).

41      Dans le même ordre d’idées, les requérantes ajoutent que, s’il devait être qualifié d’impôt spécifique, comme le prétend la Commission, le prélèvement sur les bénéfices serait aussi contraire à l’article 72, paragraphe 1, de la loi fondamentale allemande et que, par ailleurs, la notion de « taxe spécifique » est inconnue en droit allemand.

42      Dans une cinquième branche, les requérantes avancent des arguments contre l’indication faite dans la note en bas de page no 77 de la décision attaquée, qui compare le prélèvement sur les bénéfices aux paiements spéciaux imposés aux entreprises, par exemple pour des comportements anticoncurrentiels, qui sont déductibles. Elles font valoir que cette comparaison entache la décision attaquée d’une contradiction dès lors qu’il y est considéré par ailleurs que ce prélèvement est un impôt spécifique. De surcroît, cette assimilation du prélèvement sur les bénéfices aux paiements spéciaux au titre d’un comportement anticoncurrentiel serait inexacte dans la mesure où l’exploitation des casinos constituerait un comportement légal depuis une loi de 1933. En toute hypothèse, selon les requérantes, la Commission ne pouvait se fonder sur cette assimilation pour conclure à la déductibilité dudit prélèvement, car l’arrêt du Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale, Allemagne) sur lequel elle s’est fondée à cet égard ne correspondrait plus à l’état actuel du droit.

 Appréciation du Tribunal

43      Il découle de ce qui précède que les requérantes fondent leur recours, à titre principal, sur le fait que la Commission aurait réussi à éluder de sérieuses difficultés lors de l’examen préliminaire de la mesure litigieuse uniquement en qualifiant erronément le prélèvement sur les bénéfices comme étant un impôt spécifique.

44      En revanche, toujours selon les requérantes, si la Commission avait retenu la qualification correcte du prélèvement sur les bénéfices comme étant constitutif d’un transfert de bénéfices, ainsi qu’il ressort du point 30 ci-dessus, elle aurait dû considérer que la mesure litigieuse « dérog[eait] au système fiscal normal » défini par le code fiscal, par la loi relative à l’impôt sur le revenu, par le droit commercial allemand et même par la loi fondamentale allemande et par les principes dégagés par le Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale). Cela, alors que les revenus des casinos ne provenant pas du jeu « sont soumis au régime fiscal normal ». Dès lors, les arguments des requérantes visent à étayer leur allégation que la mesure litigieuse « représent[ait] [...] un avantage sélectif en faveur de WestSpiel ».

45      De plus, les requérantes font valoir que, selon la jurisprudence, la forme qu’un État membre donne à une mesure donnée n’est pas un critère entrant en ligne de compte pour déterminer si celle-ci est sélective ou non. Elles insistent dès lors sur le fait que le prélèvement sur les bénéfices doit s’analyser en un transfert de bénéfices et en tirent comme conséquence que « [s]a déduction […] constitue un avantage sélectif ». En définitive, les requérantes estiment avoir démontré que la Commission « propose toute une série de théories fiscales qui s’avèrent toutes erronées » au regard du droit fiscal allemand.

46      À titre secondaire, les requérantes soutiennent, ainsi que cela ressort du point 42 ci-dessus, que, même s’il fallait assimiler le prélèvement sur les bénéfices à une amende pour comportement anticoncurrentiel, la Commission aurait, une fois de plus, négligé le cadre de référence pertinent, constitué ici par l’article 4, paragraphe 5, point 8, première phrase, de la loi relative à l’impôt sur le revenu, en vertu duquel une telle amende n’est pas déductible.

47      Dans leurs écritures, les requérantes font donc expressément référence au critère de sélectivité des aides d’État et se réfèrent itérativement au régime fiscal normal afin de démontrer que la déductibilité du prélèvement sur les bénéfices déroge au système de référence, à savoir les règles générales d’imposition du régime fiscal normal applicables dans l’État membre concerné, par rapport auxquelles cette sélectivité doit précisément s’apprécier, invoquant à cet égard les arrêts du 19 décembre 2018, A-Brauerei (C‑374/17, EU:C:2018:1024, point 36), et du 16 mars 2021, Commission/Hongrie (C‑596/19 P, EU:C:2021:202, point 37).

48      Il s’ensuit que les requérantes critiquent exclusivement les prétendues déficiences de la décision attaquée en ce que celle-ci a nié le caractère sélectif de la mesure litigieuse.

49      Dans ces conditions, il y a lieu de rappeler que la qualification d’aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE suppose qu’il soit satisfait à quatre critères cumulatifs, à savoir, premièrement, qu’il existe une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État, deuxièmement, que cette intervention soit susceptible d’affecter les échanges entre les États membres, troisièmement, qu’elle accorde un avantage sélectif à son bénéficiaire et, quatrièmement, qu’elle fausse ou menace de fausser la concurrence (arrêts du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, C‑280/00, EU:C:2003:415, point 75 ; du 4 mars 2021, Commission/Fútbol Club Barcelona, C‑362/19 P, EU:C:2021:169, point 57 et jurisprudence citée, et du 14 juillet 2016, Allemagne/Commission, T‑143/12, EU:T:2016:406, point 88 et jurisprudence citée).

50      Surtout, pour qu’une mesure soit qualifiée d’aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, il faut qu’elle confère à son bénéficiaire un avantage sous quelque forme que ce soit (voir, en ce sens, arrêts du 16 avril 2015, Trapeza Eurobank Ergasias, C‑690/13, EU:C:2015:235, point 20 et jurisprudence citée ; du 30 juin 2016, Belgique/Commission, C‑270/15 P, EU:C:2016:489, point 34 et jurisprudence citée, et du 4 mars 2021, Commission/Fútbol Club Barcelona, C‑362/19 P, EU:C:2021:169, point 58 et jurisprudence citée). Il s’agit d’une condition primordiale ; il ne peut y avoir d’aide sans avantage.

51      Dans ce contexte, il convient de rappeler que la jurisprudence est fixée en ce sens que l’exigence de sélectivité découlant également de l’article 107, paragraphe 1, TFUE doit être clairement distinguée de la détection concomitante d’un avantage économique en ce que, lorsque la Commission a décelé la présence d’un avantage, pris au sens large, découlant directement ou indirectement d’une mesure donnée, elle est tenue d’établir, en outre, que cet avantage profite spécifiquement à une ou à plusieurs entreprises (arrêts du 4 juin 2015, Commission/MOL, C‑15/14 P, EU:C:2015:362, point 59 ; du 30 juin 2016, Belgique/Commission, C‑270/15 P, EU:C:2016:489, point 48, et du 13 décembre 2018, Ryanair et Airport Marketing Services/Commission, T‑165/16, EU:T:2018:952, point 82). Il s’ensuit, a contrario, que la sélectivité d’une mesure ne suffit pas, à elle seule, pour la qualifier d’aide d’État.

52      Certes, en matière fiscale, les critères relatifs à l’existence d’un avantage et d’une sélectivité peuvent être examinés conjointement dans la mesure où ces deux critères impliquent de démontrer que la mesure fiscale contestée conduit à une réduction du montant de l’impôt qui aurait normalement été dû par le bénéficiaire de la mesure en application du régime fiscal ordinaire, et donc applicable aux autres contribuables se trouvant dans la même situation (voir, en ce sens, arrêt du 12 mai 2021, Luxembourg e.a./Commission, T‑516/18 et T‑525/18, sous pourvoi, EU:T:2021:251, point 241).

53      Toutefois, la circonstance que ces deux critères peuvent être examinés conjointement ne signifie pas que le premier d’entre eux, à savoir l’existence d’un avantage, puisse être négligé.

54      De plus, les circonstances de la présente affaire diffèrent de celles de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 12 mai 2021, Luxembourg e.a./Commission, (T‑516/18 et T‑525/18, sous pourvoi, EU:T:2021:251).

55      En l’espèce, la Commission a considéré, déjà dans un courrier du 20 décembre 2016, soit dès le début de la phase préliminaire d’examen, que la mesure litigieuse ne constituait pas un avantage et a maintenu par la suite ce point de vue, nonobstant les arguments des requérantes fondés sur le fait que ladite mesure dérogeait aux règles générales d’imposition du régime fiscal normal et constituait donc une mesure sélective.

56      Il importe également de relever que, contrairement aux faits à l’origine de l’arrêt du 12 mai 2021, Luxembourg e.a./Commission (T‑516/18 et T‑525/18, sous pourvoi, EU:T:2021:251), la mesure litigieuse dans la présente affaire consistait non pas en une réduction de l’impôt normalement dû en application du régime fiscal ordinaire et grevant normalement le budget des entreprises, mais en une déduction atténuant une partie de la charge considérable consistant en un prélèvement au moins de 75 % des bénéfices annuels (voir point 4 ci-dessus) pesant spécifiquement sur les seuls exploitants de casinos publics en vertu de l’article 14 de la loi sur les casinos, et non sur les membres de la première requérante ou sur la seconde requérante, qui ne le supportaient pas.

57      Dans ce contexte, dans la décision attaquée, la Commission n’a pas procédé à un examen d’ensemble des critères relatifs à l’existence d’un avantage et d’une sélectivité, mais s’est attachée à démontrer, d’une part, en réponse aux arguments des requérantes, que la prétendue sélectivité manquait en l’espèce et, d’autre part et séparément, que l’avantage économique faisait défaut, indépendamment de toute question de sélectivité.

58      Or, alors que, aux fins de l’examen des différents éléments constitutifs d’une mesure susceptible de comporter une « aide d’État » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, il est nécessaire de considérer notamment les bénéfices et les charges en résultant (voir arrêt du 4 mars 2021, Commission/Fútbol Club Barcelona, C‑362/19 P, EU:C:2021:169, point 63 et jurisprudence citée), comme le fait observer la Commission, les requérantes n’ont pas contesté la constatation opérée au point 159 et à la note en bas de page no 87 de la décision attaquée (voir points 15 et 18 ci-dessus), selon laquelle la déductibilité du prélèvement sur les bénéfices, portant au moins sur 75 % de ceux-ci, n’était pas de nature à conférer un avantage à un exploitant de casino public tel que WestSpiel, dès lors que la charge qui pèse sur cet exploitant au titre du prélèvement sur les bénéfices est toujours et inévitablement beaucoup plus importante que l’impôt qui aurait été dû sur le montant correspondant à celui-ci.

59      En toute hypothèse, il n’appartient pas au Tribunal de sortir du cadre de la requête et de rechercher et d’identifier dans les annexes les moyens et arguments qu’il pourrait considérer comme constituant le fondement du recours, les annexes ayant une fonction purement probatoire et instrumentale (voir arrêt du 24 septembre 2019, Pays-Bas e.a./Commission, T‑760/15 et T‑636/16, EU:T:2019:669, point 114 et jurisprudence citée).

60      Par ailleurs, dans la réplique, les requérantes se réfèrent, pour la première fois, à des annexes jointes à celle-ci censées montrer que, si WestSpiel avait effectué la déduction litigieuse pour l’exercice 2014, elle ne l’a plus fait pour l’exercice 2019. Toutefois, les requérantes utilisent lesdites annexes, explicitement, pour « contrer la thèse [de la Commission et de l’intervenante] selon laquelle le prélèvement sur les bénéfices serait une taxe ». Dès lors, elles se situent toujours, en substance, dans la perspective de leur critique de la qualification du prélèvement sur les bénéfices d’« impôt spécifique » et, par conséquent, de l’appréciation de la Commission quant au critère de la sélectivité.

61      Aux termes de la réplique, les annexes en question sont également censées décrire différents « scénarios d’imposition » fondés sur les données comptables des exercices 2014 et 2019.

62      Toutefois, la question de savoir si la mesure litigieuse procure un avantage à ses bénéficiaires et constitue une aide doit être appréciée non pas sur la base de données recueillies après son adoption, mais en se plaçant au moment de celle-ci, en procédant à une analyse ex ante (voir, en ce sens, arrêt du 4 mars 2021, Commission/Fútbol Club Barcelona, C‑362/19 P, EU:C:2021:169, points 86 et 93 et jurisprudence citée). S’il en va ainsi lorsque la détermination finale de l’avantage dépend de la survenance ultérieure de circonstances aléatoires et variables (arrêt du 4 mars 2021, Commission/Fútbol Club Barcelona, C‑362/19 P, EU:C:2021:169, points 98 et 101), c’est a fortiori le cas lorsque, comme en l’espèce, ladite mesure ne dépend pas de telles circonstances.

63      De plus, s’agissant des scénarios d’imposition exclusivement basés sur les données comptables de l’exercice 2014, il y a lieu de rappeler que les preuves doivent être produites dans le cadre du premier échange de mémoire, en vertu de l’article 85, paragraphe 1, du règlement de procédure. Aussi, le retard dans la présentation desdites données n’ayant pas été justifié conformément au paragraphe 2 du même article, elles sont irrecevables. En tout état de cause, les requérantes ne tirent aucune conclusion de ces différents scénarios dans leur réplique.

64      En se reportant ensuite à la situation comptable de WestSpiel lors de l’exercice 2019 et des différents scénarios construits sur la base de celle-ci, les requérantes soutiennent, dans la réplique toujours, que, dans l’hypothèse où, cette année-là, le prélèvement sur les bénéfices aurait été déduit de la base imposable de la taxe professionnelle, WestSpiel aurait payé 83 000 euros au titre de cette taxe au lieu des 597 000 euros, environ, qu’elle a effectivement décaissés à ce titre.

65      Cependant, comme le fait observer la Commission, la décision attaquée a été adoptée avant que les données comptables de WestSpiel pour l’exercice 2019 ne soient publiées. Or, la légalité d’une décision en matière d’aides d’État doit être appréciée en fonction des seuls éléments d’information dont la Commission pouvait disposer lors de l’adoption de cette décision (voir arrêt du 14 mai 2019, Marinvest et Porting/Commission, T‑728/17, non publié, EU:T:2019:325, point 92 et jurisprudence citée). Partant, lesdites données ne peuvent être prises en considération pour apprécier la légalité de la décision attaquée.

66      En outre, les requérantes ne tirent aucune conclusion de leur constat rappelé au point 64 ci-dessus et celui-ci n’est, de surcroît, pas étayé, dans la mesure où le montant de 83 000 euros ne ressort pas de l’annexe à laquelle elles renvoient. Au demeurant, dès lors que l’exigence de sélectivité doit être clairement distinguée de celle tenant à l’existence d’un avantage économique (voir point 51 ci-dessus), un argument, à le supposer discernable, contestant dans la réplique l’absence d’un tel avantage ne saurait être considéré comme l’ampliation d’une branche du moyen unique qui est concentré, dans la requête, exclusivement sur la sélectivité. Aussi, un moyen fondé sur ces éléments serait, en toute hypothèse, tardif et irrecevable.

67      Au vu de tout ce qui précède, il convient de rappeler que la qualification d’« aide » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE requiert que toutes les conditions visées par cette disposition soient remplies (voir, en ce sens, arrêt du 17 septembre 2020, Compagnie des pêches de Saint-Malo, C‑212/19, EU:C:2020:726, point 38 et jurisprudence citée). Cette exigence s’impose, en particulier, en ce qui concerne la condition relative à l’existence d’un avantage, qui doit être appréciée indépendamment de la condition relative à la sélectivité.

68      Par conséquent, dès lors que les requérantes n’ont pas démontré que l’appréciation des informations et des éléments dont la Commission disposait, lors de la phase d’examen préliminaire de la mesure litigieuse, aurait dû susciter des doutes et des difficultés sérieuses quant au fait que la déductibilité du prélèvement sur les bénéfices constituait ou non un avantage favorisant WestSpiel, elles ne sont manifestement pas fondées à soutenir que la décision attaquée, adoptée par la Commission sur le fondement de l’article 108, paragraphe 3, TFUE et considérant que cette déductibilité n’était pas constitutive d’une aide, a violé leurs droits procéduraux.

69      Enfin, pour autant qu’il s’agisse d’un grief distinct de celui fondé sur la prétendue sélectivité de la mesure litigieuse, est également manifestement non fondé l’argument des requérantes selon lequel la décision attaquée serait entachée d’une contradiction en ce qu’elle qualifierait le prélèvement sur les bénéfices tantôt d’impôt spécifique et tantôt de paiement spécial comparable aux amendes pour comportement anticoncurrentiel (voir point 42 ci-dessus).

70      S’il peut être admis qu’une motivation contradictoire constitue un indice de l’existence de difficultés sérieuses lors de l’examen préliminaire d’une mesure au titre de l’article 108, paragraphe 3, TFUE (voir, par analogie, arrêt du 14 avril 2021, Verband Deutscher Alten und Behindertenhilfe et CarePool Hannover/Commission, T‑69/18, EU:T:2021:189, point 107), force est de constater que le grief des requérantes repose sur une lecture manifestement erronée de la décision attaquée. Comme la Commission le fait valoir, l’allusion faite aux paiements spéciaux en question n’a d’autre objet que d’illustrer l’étendue de la notion de dépenses induites par les opérations commerciales. Elle n’entre pas en contradiction avec la motivation de la décision attaquée selon laquelle le prélèvement sur les bénéfices est un impôt spécial déductible en tant que dépense de cette nature, car la Commission n’a nullement considéré que le prélèvement sur les bénéfices devait être qualifié de paiement spécial comparable aux amendes pour comportement anticoncurrentiel.

71      Il découle par conséquent de tout ce qui précède que le moyen unique et, partant, le recours dans son ensemble doivent être rejetés comme manifestement dépourvus de tout fondement en droit.

 Sur les dépens

72      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

73      En l’espèce, les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux de la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

74      Par ailleurs, aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. Dès lors, la République fédérale d’Allemagne supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Fachverband Spielhallen eV et LM supporteront, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.

3)      La République fédérale d’Allemagne supportera ses propres dépens.

Fait à Luxembourg, le 22 octobre 2021.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

S. Gervasoni


*      Langue de procédure : l’allemand.