Language of document : ECLI:EU:C:2022:497

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME LAILA MEDINA

présentées le 22 juin 2022 (1)

Affaire C238/21

Porr Bau GmbH

contre

Bezirkshauptmannschaft Graz-Umgebung

demande de décision préjudicielle formée par le Landesverwaltungsgericht Steiermark (tribunal administratif régional de Styrie, Autriche)

« Renvoi préjudiciel – Environnement – Directive 2008/98/CE – Article 3, point 1 – Déchets – Article 5, paragraphe 1 – Sous-produit – Article 6, paragraphes 1 et 4 – Fin du statut de déchet – Sol d’excavation non pollué relevant de la classe de qualité la plus élevée – Préparation en vue du réemploi et de la valorisation – Utilisation directe comme substituts à des matières premières – Exigences formelles – Obligations en matière de relevés et de documents »






I.      Introduction

1.        La présente demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la notion de « déchets » figurant à l’article 3, point 1, de la directive 2008/98/CE (2) et sur les conditions dans lesquelles des matériaux d’excavation, à savoir des sols non pollués relevant de la classe de qualité la plus élevée, parviennent à la fin du statut de déchet en application de l’article 6 de cette directive. L’affaire fait suite à des arrêts tels que les arrêts Tallinna Vesi (3) et Sappi Austria Produktion et Wasserverband « Region Gratkorn-Gratwein » (4), dans lesquels la Cour a interprété ces mêmes dispositions, s’agissant respectivement de boues d’épuration et d’eaux usées.

2.        La présente demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Porr Bau GmbH à la Bezirkshauptmannschaft Graz‑Umgebung (administration de l’arrondissement de Graz, ci-après l’« autorité défenderesse »). Ce litige porte sur une décision administrative selon laquelle les sols d’excavation commandés par certains agriculteurs à une entreprise de construction située en Autriche, en vue du nivellement et de la restauration de leurs surfaces agricoles, devaient être considérés comme étant des déchets, et donc soumis au versement d’une contribution, alors même qu’ils avaient été qualifiés de « matériaux non pollués » relevant de la classe de qualité la plus élevée en droit autrichien.

3.        La juridiction de renvoi souhaite notamment savoir si l’article 6 de la directive 2008/98, interprété à la lumière des objectifs de cette directive, s’oppose à une réglementation nationale qui n’octroie la fin du statut de déchet aux sols d’excavation de la classe de qualité la plus élevée que i) lorsqu’ils sont utilisés directement comme substituts à des matières premières, et ii) lorsque leur détenteur remplit certaines exigences formelles telles que des obligations en matière de relevés et de documents. À titre liminaire, la juridiction de renvoi se demande également si des sols d’excavation non pollués de la classe de qualité la plus élevée, fournis par une entreprise de construction aux fins de l’amélioration des rendements de terres agricoles, constituent des « déchets » au sens de l’article 3, point 1, de la directive 2008/98 ou, alternativement, un « sous-produit » au sens de l’article 5, paragraphe 1, de cette directive.

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

4.        En vertu de l’article 1er de la directive 2008/98, dans sa version applicable à la procédure au principal (5), sont établies des « mesures visant à protéger l’environnement et la santé humaine par la prévention ou la réduction des effets nocifs de la production et de la gestion des déchets, et par une réduction des incidences globales de l’utilisation des ressources et une amélioration de l’efficacité de cette utilisation ».

5.        L’article 3 de la directive 2008/98, intitulé « Définitions », prévoit qu’aux fins de cette directive, les définitions suivantes, figurant aux points 1), 15) et 16), des termes « déchets », « valorisation » et « préparation en vue du réemploi » s’appliquent. On entend par :

« 1)      “déchets” : toute substance ou tout objet dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire ;

[...]

15)      “valorisation” : toute opération dont le résultat principal est que des déchets servent à des fins utiles en remplaçant d’autres matières qui auraient été utilisées à une fin particulière, ou que des déchets soient préparés pour être utilisés à cette fin, dans l’usine ou dans l’ensemble de l’économie. L’annexe II énumère une liste non exhaustive d’opérations de valorisation ;

16)      “préparation en vue du réemploi” : toute opération de contrôle, de nettoyage ou de réparation en vue de la valorisation, par laquelle des produits ou des composants de produits qui sont devenus des déchets sont préparés de manière à être réutilisés sans autre opération de prétraitement ;

[...] »

6.        L’article 4 de cette directive, intitulé « Hiérarchie des déchets », dispose :

« 1.      La hiérarchie des déchets ci-après s’applique par ordre de priorité dans la législation et la politique en matière de prévention et de gestion des déchets :

a)      prévention ;

b)      préparation en vue du réemploi ;

c)      recyclage ;

d)      autre valorisation, notamment valorisation énergétique ; et

e)      élimination

[...] »

7.        L’article 5 de la directive 2008/98, intitulé « Sous-produits », est ainsi libellé :

« 1.      Une substance ou un objet issu d’un processus de production dont le but premier n’est pas la production dudit bien ne peut être considéré comme un sous‑produit et non comme un déchet au sens de l’article 3, point 1, que si les conditions suivantes sont remplies :

a)      l’utilisation ultérieure de la substance ou de l’objet est certaine ;

b)      la substance ou l’objet peut être utilisé directement sans traitement supplémentaire autre que les pratiques industrielles courantes ;

c)      la substance ou l’objet est produit en faisant partie intégrante d’un processus de production ; et

d)      l’utilisation ultérieure est légale, c’est-à-dire que la substance ou l’objet répond à toutes les prescriptions pertinentes relatives au produit, à l’environnement et à la protection de la santé prévues pour l’utilisation spécifique et n’aura pas d’incidences globales nocives pour l’environnement ou la santé humaine.

[...] »

8.        L’article 6 de la directive 2008/98, intitulé « Fin du statut de déchet », dispose :

« 1.      Certains déchets cessent d’être des déchets au sens de l’article 3, point 1, lorsqu’ils ont subi une opération de valorisation ou de recyclage et répondent à des critères spécifiques à définir dans le respect des conditions suivantes :

a)      la substance ou l’objet est couramment utilisé à des fins spécifiques ;

b)      il existe un marché ou une demande pour une telle substance ou un tel objet ;

c)      la substance ou l’objet remplit les exigences techniques aux fins spécifiques et respecte la législation et les normes applicables aux produits ; et

d)      l’utilisation de la substance ou de l’objet n’aura pas d’effets globaux nocifs pour l’environnement ou la santé humaine.

Les critères comprennent des valeurs limites pour les polluants, si nécessaire, et tiennent compte de tout effet environnemental préjudiciable éventuel de la substance ou de l’objet.

[...]

4.      Si aucun critère n’a été défini au niveau communautaire au titre de la procédure visée aux paragraphes 1 et 2, les États membres peuvent décider au cas par cas si certains déchets ont cessé d’être des déchets en tenant compte de la jurisprudence applicable. [...] »

9.        Les obligations essentielles et les objectifs de la directive 2008/98 figurent à son article 13 :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour assurer que la gestion des déchets se fait sans mettre en danger la santé humaine et sans nuire à l’environnement [...] »

10.      L’article 28 de la directive 2008/98, intitulé « Plans de gestion des déchets », précise que les États membres veillent à ce que leurs autorités compétentes établissent, conformément notamment aux articles 1er, 4 et 13 de cette directive, un ou plusieurs plans de gestion des déchets.

B.      Le droit autrichien

1.      La loi relative à la gestion des déchets

11.      Les dispositions pertinentes de l’Abfallwirtschaftsgesetz 2002 (loi fédérale de 2002 relative à la gestion des déchets, ci-après la « loi relative à la gestion des déchets ») portant transposition de la directive 2008/98 sont ainsi libellées :

« Définitions

Article 2, paragraphe 1 :      Aux fins de [la loi relative à la gestion des déchets], on entend par déchets, des biens meubles :

1.      dont le détenteur a l’intention de se défaire ou s’est défait, ou

2.      dont la collecte, le stockage, le transport et le traitement en tant que déchets sont nécessaires afin de ne pas porter atteinte aux intérêts publics (article 1er, paragraphe 3).

[...]

Paragraphe 5 :      Aux fins de [la loi relative à la gestion des déchets], on entend par :

[...]

6.      “préparation en vue du réemploi” : toute opération de contrôle, de nettoyage ou de réparation en vue de la valorisation, par laquelle des produits ou des composants de produits qui sont devenus des déchets sont préparés de manière à être réutilisés sans autre opération de prétraitement ;

[...]

Fin du statut de déchet

Article 5, paragraphe 1 :      Sauf disposition contraire prévue dans un règlement visé au paragraphe 2 ou dans un règlement en matière de déchets visé à l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2008/98, les substances usagées sont réputées être des déchets jusqu’à ce qu’elles-mêmes ou les substances qui en sont tirées soient directement utilisées comme substituts à des matières premières ou à des produits obtenus à partir de matières premières primaires. En cas de préparation en vue du réemploi au sens de l’article 2, paragraphe 5, point 6, la fin du statut de déchet intervient à la fin de cette opération de valorisation.

[...]

Plan fédéral de gestion des déchets

Article 8, paragraphe 1 :      Afin de réaliser les objectifs et de mettre en œuvre les principes énoncés dans [la loi relative à la gestion des déchets], le ministre fédéral de l’Agriculture, de la Sylviculture, de l’Environnement et de la gestion de l’eau élabore au moins tous les six ans un plan fédéral de gestion des déchets.

[...] »

2.      Le plan fédéral de gestion des déchets

12.      Le Bundesabfallwirtschaftsplan 2011 (plan fédéral de gestion des déchets autrichien de 2011, ci-après le « plan fédéral de gestion des déchets »), adopté sur le fondement de l’article 28 de la directive 2008/98 et de l’article 8, paragraphe 1, de la loi relative à la gestion des déchets, prévoit des exigences spécifiques concernant la réduction des quantités de déchets, de leurs polluants et de leur effet nocif sur l’environnement et la santé ainsi que la valorisation écologiquement rationnelle et économiquement utile des déchets.

3.      La loi sur l’assainissement des sites dangereux désaffectés

13.      Aux termes de l’article 1er de l’Altlastensanierungsgesetz de 1989 (loi fédérale autrichienne de 1989 sur l’assainissement des sites dangereux désaffectés, ci-après la « loi sur l’assainissement des sites dangereux désaffectés »), telle que modifiée, celle-ci vise à « financer la sauvegarde et l’assainissement des sites dangereux désaffectés au sens de [cette loi] ». Son article 3 prévoit notamment que le dépôt à long terme de déchets sur le sol et dans le sous-sol, notamment afin de niveler des terrains hétérogènes ou de développer des surfaces, est subordonné au versement d’une contribution dénommée « Altlastenbeitrag » (contribution sur les sites dangereux désaffectés). Toutefois, ces déchets sont exonérés de cette obligation lorsque, en substance, ils sont utilisés conformément aux prescriptions du plan fédéral de gestion des déchets. La loi sur l’assainissement des sites dangereux désaffectés prévoit également, à son article 10, une procédure qui a pour objet de constater, par décision administrative, si les conditions de fond de l’obligation de contribution au titre des sites pollués sont remplies.

III. Les faits à l’origine du litige, la procédure au principal et les questions préjudicielles

14.      Porr Bau, partie requérante au principal, est une entreprise de construction établie en Autriche. En juillet 2015, certains agriculteurs locaux lui ont demandé de leur fournir des sols d’excavation et de les répandre sur leurs propriétés. La demande des agriculteurs tendait à un nivellement des terres et à l’amélioration de leurs surfaces agricoles, à des fins d’augmentation des rendements.

15.      À la date à laquelle les agriculteurs se sont adressés à Porr Bau, il n’était pas certain que cette entreprise serait en mesure d’accéder à leur demande. Ce n’est qu’à la suite de la sélection d’un projet de construction approprié et de l’extraction d’échantillons de sols que Porr Bau a fourni les matériaux demandés. À cet effet, ces sols avaient été qualifiés de « sols relevant de la classe A1 », à savoir la qualité la plus élevée de sols d’excavation non pollués établie dans le plan fédéral de gestion des déchets. L’utilisation de cette classe de sols est, en droit autrichien, appropriée et autorisée aux fins de la remise en culture et du développement des terres. Porr Bau a également été rémunérée pour la réalisation de travaux d’amélioration des terres et des surfaces agricoles concernées.

16.      Le 4 mai 2018, conformément à la loi sur l’assainissement des sites dangereux désaffectés, Porr Bau a demandé à l’autorité défenderesse au principal de déclarer que les sols d’excavation fournis aux agriculteurs ne constituaient pas des déchets. À titre subsidiaire, elle a demandé que ces sols soient exonérés de l’obligation de payer la contribution sur l’utilisation des déchets.

17.      Le 14 septembre 2020, l’autorité défenderesse au principal a considéré que les sols d’excavation en cause constituaient des déchets au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la loi relative à la gestion des déchets. Cette autorité a également considéré que ces sols n’avaient pas obtenu la fin du statut de déchet, en raison essentiellement du non‑respect de certaines exigences formelles prévues par le plan fédéral de gestion des déchets. Elle en a conclu que la contribution sur l’utilisation des déchets était due.

18.      Le Landesverwaltungsgericht Steiermark (tribunal administratif régional de Styrie, Autriche), saisi du recours contre cette décision, nourrit des doutes quant à la position de l’autorité défenderesse au principal.

19.      La juridiction de renvoi s’interroge notamment quant à l’interprétation de la notion de « déchet » retenue par cette autorité et à son application aux sols d’excavation non pollués de la classe de qualité la plus élevée, tels que ceux en cause en l’espèce. En outre, la juridiction de renvoi relève que, selon le droit autrichien, les matériaux d’excavation ne peuvent obtenir la fin du statut de déchet que lorsqu’ils ont été utilisés directement comme substituts à des matières premières ou à des produits fabriqués à partir de matières premières primaires. Cela soulève la question de savoir si la réglementation nationale régit de manière plus stricte l’obtention de la fin du statut de déchet que l’article 6 de la directive 2008/98 en ce qui concerne les sols non pollués de la qualité la plus élevée. Par ailleurs, la juridiction de renvoi relève que le droit autrichien exige, aux fins de l’obtention de la fin du statut de déchet, que certaines exigences formelles soient remplies, spécifiquement des obligations en matière de relevés et de documents. La juridiction de renvoi se demande si, s’agissant des sols d’excavation non pollués de la classe de qualité la plus élevée, l’obligation de respecter ces exigences, qu’elle considère comme étant dépourvues de pertinence environnementale, viole l’article 6 de la directive 2008/98.

20.      Dans ces circonstances, le Landesverwaltungsgericht Steiermark (tribunal administratif régional de Styrie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Une réglementation nationale en vertu de laquelle le statut de déchet prend fin seulement lorsque les déchets ou les substances usagées ou encore les substances qui en sont tirées sont directement utilisés comme substituts à des matières premières ou à des produits obtenus à partir de matières premières primaires ou lorsqu’ils ont été préparés en vue d’un réemploi est-elle contraire à l’article 6, paragraphe 1, de la [directive 2008/98] ?

En cas de réponse négative à la [première question] :

2)      Une réglementation nationale en vertu de laquelle, s’agissant de matériaux d’excavation, le statut de déchet peut prendre fin au plus tôt par la substitution de matières premières ou de produits fabriqués à partir de matières premières primaires est-elle contraire à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/98 ?

En cas de réponse négative aux [première et/ou deuxième questions] :

3)      Une réglementation nationale qui prévoit, s’agissant de matériaux d’excavation, que le statut de déchet ne peut pas prendre fin à défaut de respect, total ou partiel, de critères formels (notamment d’obligations en matière de relevés et de documents) qui sont dépourvus d’incidence environnementale pertinente sur la mesure mise en œuvre, et ce bien que ces matériaux d’excavation soient de manière avérée inférieurs aux valeurs limites (classe de qualité) à respecter pour l’usage concret prévu, est-elle contraire à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/98 ? »

IV.    Analyse

21.      Par ses questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/98 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle le statut de déchet ne prend fin, en règle générale, que lorsque des déchets sont directement utilisés comme substituts à des matières premières ou sont préparés en vue d’un réemploi et, dans le cas particulier des matériaux excavés, lorsque ces matériaux sont directement utilisés comme substituts à des matières premières et que leur détenteur a satisfait à des exigences formelles telles que des obligations en matière de relevés et de documents.

22.      À titre liminaire, je relève que, dans la décision de renvoi, la juridiction de renvoi nourrit des doutes quant à la question de savoir si les sols d’excavation non pollués, relevant selon la législation nationale de la classe de qualité la plus élevée, constituent des déchets au sens de l’article 3, point 1, de la directive 2008/98. En effet, l’application de l’article 6 de cette directive repose sur la prémisse que la substance ou l’objet en question est avant tout qualifié de « déchet ». Bien que cet aspect particulier ne soit pas expressément soulevé dans les questions préjudicielles, j’examinerai, d’abord, si la mise à disposition par une entreprise de construction de sols d’excavation non pollués de la classe de qualité la plus élevée, dans les circonstances particulières de l’affaire au principal, relève de la définition de « déchet ». Dans mon analyse, j’aborderai également la question, débattue par les parties lors de l’audience devant la Cour, de savoir si les sols fournis doivent plutôt être considérés comme étant un sous-produit au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/98.

23.      En me fondant sur l’hypothèse que les matériaux en cause au principal sont effectivement des déchets, j’examinerai les trois questions préjudicielles ensemble. Ces questions doivent être lues comme invitant la Cour à déterminer si la réglementation nationale en cause est compatible avec l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/98 lorsque la seule possibilité de valorisation des sols d’excavation non pollués de la classe de qualité la plus élevée, afin que le statut de déchet prenne fin, est leur utilisation en tant que substituts à des matières premières et lorsqu’il faut satisfaire à certaines exigences formelles comme les obligations en matière de relevés et de documents.

A.      Sols d’excavation non pollués de la classe de qualité la plus élevée : déchets ou sous-produit

1.      Sur le champ d’application de la directive 2008/98

24.      Avant d’examiner si les sols d’excavation non pollués de la classe de qualité la plus élevée peuvent être considérés comme étant des déchets ou, à défaut, un sous-produit, au sens respectivement de l’article 3, point 1, et de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/98, je rappelle brièvement que l’article 2, paragraphe 1, sous c), de cette directive exclut de son champ d’application les sols non pollués et autres matériaux géologiques naturels excavés au cours d’activités de construction lorsqu’il est certain que les matériaux seront utilisés aux fins de construction dans leur état naturel sur le site même de leur excavation.

25.      Dès lors que, d’après les indications figurant dans la décision de renvoi, les matériaux excavés en cause au principal ont été déposés ailleurs que sur leur lieu d’excavation, ils ne relèvent pas de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/98 et, par conséquent, doivent être appréciés conformément à la définition des « déchets » et aux dispositions concernant les sous-produits figurant dans cette directive (6).

2.      Sur les notions de « déchets » et de « sous-produit »

26.      L’article 3, point 1, de la directive 2008/98 définit la notion de « déchets » comme étant toute substance ou tout objet dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention de se défaire (déchets subjectifs) ou dont le détenteur a l’obligation de se défaire (déchets objectifs). La notion de « déchet » a été interprétée de manière extensive par la Cour, qui a défini des critères pertinents afin de déterminer si une substance ou un objet, y compris des matériaux, doit être considéré comme étant un déchet au sens de cette disposition (7).

27.      Ainsi, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, la qualification d’une substance ou d’un objet de « déchet », dans son acception subjective, résulte avant tout du comportement du détenteur et de la signification des termes « se défaire » (8). Cette notion et la notion de « déchet » englobent des notions du droit de l’Union qui, vu l’objectif de la directive 2008/98 de réduire à un minimum les incidences négatives de la production et de la gestion des déchets sur la santé humaine et l’environnement, ne sauraient être interprétées de manière restrictive (9).

28.      La Cour a également souligné que, pour apprécier si une substance ou un objet est un déchet, il convient de considérer toutes les circonstances de l’espèce, en tenant compte de l’objectif de la directive 2008/98 et en veillant à ce qu’il ne soit pas porté atteinte à l’efficacité de celle-ci (10).

29.      Parmi les circonstances susceptibles de révéler l’existence d’un déchet se trouve le fait, d’abord, qu’une substance ou un objet constitue un résidu de production ou de consommation, c’est-à-dire un produit qui n’a pas été recherché comme tel (11). Il convient, en outre, de prêter une attention particulière à la circonstance que l’objet ou la substance en question n’a pas ou n’a plus d’utilité pour son détenteur, de sorte que cet objet ou cette substance constituerait une charge dont celui-ci chercherait à se défaire (12). Par ailleurs, la méthode de traitement ou le mode d’utilisation d’une substance ne sont pas déterminants pour la qualification ou non de « déchet ». Enfin, la notion de « déchet » n’exclut pas les substances et objets susceptibles de réutilisation économique (13).

30.      Parallèlement à la jurisprudence susmentionnée, la Cour a d’ailleurs développé la notion de « sous-produit », principalement sur le fondement de l’interprétation de la directive 75/442/CEE (14). Cette jurisprudence est désormais codifiée dans l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/98, qui se réfère, pour l’essentiel, aux substances et objets dont le détenteur n’a pas l’intention de se défaire en raison des avantages économiques que peut lui procurer leur réemploi et qui ne peuvent donc pas être considérés comme constituant une charge ni, ainsi, un déchet. Selon la Cour, il ne serait pas justifié de soumettre des substances ou des produits que leur détenteur entend exploiter ou commercialiser dans des conditions avantageuses, dans le cadre d’une opération de valorisation consécutive, aux exigences strictes de la directive 2008/98, en matière d’environnement et de protection de la santé humaine (15).

3.      Sols d’excavation non pollués de la classe de qualité la plus élevée requis aux fins du nivellement et de l’amélioration des surfaces agricoles

31.      Il appartient en définitive à la juridiction de renvoi, seule compétente pour apprécier les faits de l’affaire dont elle est saisie, à la lumière de la jurisprudence précédemment citée, de vérifier si le détenteur de matériaux d’excavation, à savoir de sols non pollués de la classe de qualité la plus élevée, a l’intention de s’en défaire, ce qui donne lieu à des déchets, ou de les exploiter dans des conditions économiquement avantageuses, donnant lieu à un sous-produit (16). Cela étant, j’invite la Cour à fournir à la juridiction de renvoi les orientations suivantes afin de trancher le litige dont elle est saisie. Ces orientations se fondent sur les circonstances spécifiques qui ne doivent pas être écartées dans une affaire telle que celle au principal.

a)      Sols d’excavation de la classe de qualité la plus élevée en tant que déchets

32.      À titre liminaire, je tiens à souligner que, selon le gouvernement autrichien, la décision adoptée par l’autorité défenderesse, qui qualifie de « déchets » les sols d’excavation en cause, repose sur la jurisprudence développée par le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche) sur la notion de « déchets » visée à l’article 2, paragraphe 1, de la loi relative à la gestion des déchets (17). Selon cette juridiction, lorsque des matériaux sont excavés ou démolis au cours d’un projet de construction, le promoteur de la construction a généralement pour objectif principal de réaliser ce projet sans être gêné par ces matériaux. Ils sont donc enlevés du site, l’intention de ce promoteur étant de s’en défaire.

33.      Il est vrai que la norme établie par le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative), suivie dans la décision faisant l’objet du renvoi préjudiciel, peut être utilisée, en règle générale, afin de déterminer si des matériaux d’excavation résultant d’activités de construction doivent être considérés comme étant des déchets. Toutefois, ainsi qu’il a été indiqué au point 28 des présentes conclusions, l’appréciation de l’existence d’un déchet, au sens de l’article 3, point 1, de la directive 2008/98, impose, selon la jurisprudence de la Cour, de tenir compte de toutes les circonstances d’un cas particulier (18). Cela signifie que, pour que cette règle générale puisse être appliquée, les éléments caractérisant l’intention véritable d’un détenteur de déchets doivent être pris en compte.

34.      À mon avis, contrairement à la position défendue par le gouvernement autrichien et par la Commission européenne, il existe en l’espèce des éléments factuels qui méritent d’être pris en compte dans l’appréciation de l’intention spécifique d’une entreprise de construction quant à l’utilisation ultérieure des matériaux qu’elle a préalablement excavés. Parmi ces éléments peut figurer, par exemple, la demande préalable d’excavation d’un matériau par les opérateurs locaux lorsque ce matériau peut être commercialisé après sélection et contrôle minutieux de sa qualité. En substance, il ne saurait être exclu qu’une entreprise de construction, au lieu de considérer des matériaux d’excavation comme constituant des résidus ou une charge dont elle voudrait se défaire, recherche plutôt des moyens de tirer profit de sa propre activité, et ce à plus forte raison lorsque ces matériaux sont classés comme relevant de la classe de sols non pollués la plus élevée.

35.      En effet, la présente affaire illustre comment une entreprise de construction peut être encline à ne pas se défaire de matériaux excavés, mais plutôt à les exploiter dans des conditions économiquement avantageuses. Cela peut être déduit du fait qu’il est question d’un groupe d’exploitants agricoles locaux qui, pour commencer, a pris contact avec Porr Bau afin de répandre des sols d’excavation sur les propriétés de ses membres à des fins de nivellement et d’amélioration de terres agricoles. S’il n’était pas certain, au moment où ces agriculteurs se sont adressés à Porr Bau, que cette entreprise serait en mesure de satisfaire leur demande, l’initiative desdits agriculteurs l’a encouragée à sélectionner un projet de construction approprié et à en extraire des échantillons de sol. Il ressort, en outre, de la décision de renvoi que ce sol a fait l’objet d’un contrôle de qualité et qu’il a, par la suite, été classé en tant que matériau non pollué de la classe de qualité la plus élevée, lequel, selon le droit autrichien, est approprié et autorisé à la remise en culture et au développement des terres. Porr Bau a également été rémunérée, à la demande des mêmes agriculteurs, pour la réalisation des travaux d’amélioration des terres et des surfaces agricoles concernées.

36.      Il est ainsi difficile de conclure que, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, l’intention d’une entreprise de construction est de se défaire de sols d’excavation soigneusement sélectionnés, soumis à un contrôle de qualité et fournis en tant que matériau relevant de la classe de qualité la plus élevée afin de répondre à une demande spécifique d’exploitants locaux ayant besoin de ce matériau. Je ne pense pas non plus qu’il faille considérer que cette entreprise de construction ait l’intention de se défaire, par défaut, de tous les matériaux excavés. En effet, il ne saurait être exclu que ces matériaux puissent être utilisés dans le cadre du projet de construction en question, ce qui, ainsi qu’il a été indiqué au point 24 des présentes conclusions, les exclurait du champ d’application de la directive 2008/98.

37.      Eu égard aux considérations qui précèdent, je pense que la Cour devrait estimer, sous réserve des vérifications à effectuer par la juridiction de renvoi, que des sols d’excavation non pollués ne devraient pas être considérés, dans un cas comme celui de l’affaire au principal, comme étant des déchets au sens de l’article 3, point 1, de la directive 2008/98.

b)      Sols d’excavation en tant que sous-produits

38.      En revanche, une analyse approfondie de l’affaire fait apparaître, comme le fait valoir Porr Bau dans ses observations écrites, que les matériaux en cause au principal pourraient répondre aux exigences prévues à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/98, en tant que sous-produits.

39.      Je rappelle, à cet égard, que, selon l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/98, une substance ou un objet issu d’un processus de production dont le but premier n’est pas la production dudit bien peut être considéré comme un sous-produit et non comme un déchet. Pour qu’il en soit ainsi, cette disposition exige également qu’il soit satisfait à quatre conditions, à savoir : i) que l’utilisation ultérieure de la substance ou de l’objet soit certaine ; ii) que cette substance ou cet objet puisse être utilisé directement sans traitement supplémentaire autre que les pratiques industrielles courantes ; iii) que ladite substance ou ledit objet soit produit en faisant partie intégrante d’un processus de production, et iv) que l’utilisation ultérieure soit légale. J’examinerai brièvement tous ces éléments à la lumière des informations résultant du dossier de la Cour.

1)      Définition du « sous-produit »

40.      S’agissant, tout d’abord, de la question de savoir si un sol d’excavation peut être considéré comme étant « une substance ou un objet issu d’un processus de production dont le but premier n’est pas la production dudit bien », au sens de l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2008/98, il est important de rappeler que la Cour a traditionnellement jugé, dans une jurisprudence constante, qu’« un matériau ou une matière première résultant d’un processus d’extraction ou de fabrication » peut constituer non pas un résidu, mais un sous‑produit (19). Ainsi qu’il a déjà été relevé, cette jurisprudence est au cœur de la notion de « sous-produit », qui a ensuite été codifiée à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/98 en utilisant à cette fin, au lieu des termes « processus d’extraction ou de fabrication », les termes « processus de production ».

41.      À mon avis, contrairement à la thèse défendue, en substance, par le gouvernement autrichien dans ses observations, aucun argument ne permet d’étayer la thèse selon laquelle le législateur de l’Union, lors de la codification de la jurisprudence de la Cour, aurait entendu, par l’utilisation des termes « processus de production », limiter les sous-produits aux objets secondaires résultant d’une production industrielle. Au contraire, un processus de production est communément défini par les économistes comme le « processus de transformation des facteurs de production », à savoir les capitaux, le travail, la technologie et les sols (entrées), en produits et en services (résultats) (20). Les sols peuvent donc faire l’objet d’un processus de production, ce qui implique qu’un produit secondaire résultant de leur transformation, en ce compris les sols d’excavation, doit être considéré comme relevant de la notion de « sous-produit », pour autant qu’il remplisse les conditions supplémentaires prévues à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/98.

42.      À cet égard, je souhaiterais attirer l’attention de la Cour sur l’arrêt Brady (21). Dans cet arrêt, la Cour a considéré, lors de l’interprétation de la directive 75/442, que le lisier produit dans les exploitations agricoles en tant que produit secondaire et vendu à d’autres agriculteurs en vue d’un réemploi comme fertilisant pouvait être considéré comme étant un sous-produit. Cela démontre que, avant même l’adoption de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/98, la Cour avait admis, en tant que sous-produits, les résultats d’activités de transformation économiques qui n’ont pas lieu exclusivement dans un contexte industriel. Partant, j’invite la Cour à adopter une interprétation des termes « processus de production » qui non seulement coïncide avec la définition commune de ces termes, mais qui suive l’interprétation de la notion de « sous-produit » figurant dans la jurisprudence de la Cour antérieure à l’adoption de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/98.

2)      L’utilisation ultérieure est suffisamment certaine

43.      S’agissant de la condition selon laquelle une utilisation ultérieure de la substance ou de l’objet en cause doit être certaine, sans préjudice des vérifications spécifiques auxquelles la juridiction de renvoi procédera, il est suffisamment déterminant à cet égard que, avant l’excavation des matériaux en cause au principal, il existait une demande expresse de fourniture de tels matériaux de la part d’agriculteurs locaux. Cette demande a ensuite abouti à un engagement de mise à disposition du sol demandé, assorti d’une convention qui prévoyait que l’entreprise de construction exécuterait, au moyen de ces matériaux, les travaux nécessaires au nivellement et à l’amélioration des terres agricoles concernées. Même si, à la date à laquelle ces agriculteurs se sont initialement adressés à Porr Bau, il n’était pas certain que cette entreprise pourrait accéder à leur demande, cela ne signifie pas en soi, au regard de la jurisprudence de la Cour, que l’utilisation ultérieure des sols d’excavation concernés n’était pas certaine (22). En effet, l’exigence de certitude semble avoir été remplie à un stade suffisamment précoce dans la présente affaire.

44.      La Cour a néanmoins fixé des critères utiles pour apprécier plus précisément si l’utilisation ultérieure de matériaux destinés à être répandus sur des terres agricoles, tels que les sols d’excavation en cause, est suffisamment certaine. Les exigences dégagées par exemple dans l’arrêt Brady, susmentionné, sont les suivantes :

–        premièrement, les terrains des agriculteurs sur lesquels les matériaux doivent être livrés doivent être dûment identifiés dès l’origine (23) ;

–        deuxièmement, ces matériaux – et les quantités à livrer – doivent être effectivement destinés et strictement limités aux besoins de l’utilisation spécifique déterminée (24);

–        troisièmement, lesdits matériaux fournis doivent être effectivement utilisés ou commercialisés dans des conditions économiquement avantageuses pour leur détenteur ;

–        quatrièmement, dans l’hypothèse où les mêmes matériaux ne seraient pas fournis immédiatement, il existe une obligation de recourir à des installations de stockage appropriées et suffisantes pour les conserver pendant la durée nécessaire ; en outre, cette durée de stockage ne doit pas excéder ce qui est requis pour que l’entreprise soit à même de satisfaire à ses engagements contractuels (25).

45.      À mon sens, la Cour devrait envisager de rendre applicables les exigences développées dans l’arrêt Brady, relatives à l’utilisation ultérieure de matériaux d’épandage sur des terres agricoles, à un cas d’excavation tel que celui en cause au principal. Cela permettrait d’apprécier plus précisément si l’utilisation ultérieure de ces matériaux est suffisamment certaine au sens de l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2008/98. Je fais d’ailleurs valoir que, d’après les informations fournies par la juridiction de renvoi dans sa décision de renvoi, il est apparemment satisfait aux trois premières exigences dans l’affaire au principal. En revanche, la décision de renvoi ne contient pas d’informations concernant la fourniture immédiate – ou non – des sols d’excavation en cause au principal, ce qui soulève la question de savoir si l’exigence relative à leur stockage est applicable. En tout état de cause, je me dois de souligner, une nouvelle fois, qu’il appartient à la juridiction de renvoi de procéder à cette appréciation et de déterminer, en définitive, si la condition prévue à l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2008/98 doit être considérée comme étant remplie.

3)      Absence de traitement supplémentaire et partie intégrante d’un processus de production

46.      En ce qui concerne les conditions fixées par l’article 5, paragraphe 1, sous b) et c), de la directive 2008/98, selon lesquelles la substance ou l’objet doit être utilisé directement sans traitement supplémentaire autre que les pratiques industrielles courantes et produit en faisant partie intégrante d’un processus de production, il me semble évident que les sols d’excavation fournis à des fins de nivellement des terres ne nécessitent aucune transformation ni aucun traitement avant leur utilisation ultérieure, et ce à plus forte raison lorsque ces sols d’excavation ont fait l’objet d’un contrôle de qualité attestant qu’il s’agit de matériaux non pollués relevant de la classe de qualité la plus élevée et sont reconnus comme tels par le droit national, comme cela a été mentionné à plusieurs reprises (26).

47.      Par ailleurs, j’ai déjà fait valoir, aux points 41 et 42 des présentes conclusions, que la notion de « processus de production », figurant à l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2008/98, doit être interprétée en ce sens qu’elle englobe des activités de transformation économique qui vont au-delà de celles qui se déroulent exclusivement dans un contexte industriel. En l’espèce, il est important de comprendre que les sols d’excavation résultent inévitablement de l’une des premières étapes habituellement entreprises dans une opération de construction en tant qu’activité économique ayant pour conséquence la transformation des terres. Partant, les matériaux d’excavation devraient être considérés comme faisant partie intégrante d’un processus de production au sens de l’article 5, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/98.

48.      Enfin, j’estime qu’il est important que la Cour adopte également un point de vue dynamique sur la régularité avec laquelle un certain sous-produit est fourni par une telle entreprise, ce qui, d’ailleurs, n’est pas une condition expressément prévue par l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/98. Même si des matériaux ne sont pas fournis régulièrement en tant que sous-produits, comme cela pourrait être le cas de Porr Bau et des sols d’excavation en cause au principal, cela ne signifie pas nécessairement que la fourniture de ces matériaux ne peut évoluer et se transformer en une activité susceptible d’être pratiquée de manière plus régulière si elle rapporte des bénéfices économiques à cette entreprise.

4)      Utilisation ultérieure légale

49.      Enfin, s’agissant de la condition selon laquelle l’utilisation ultérieure de la substance ou de l’objet en cause doit être légale, l’article 5, paragraphe 1, sous d), de la directive 2008/98 exige notamment que la substance ou l’objet réponde à toutes les prescriptions pertinentes relatives au produit, à l’environnement et à la protection de la santé prévues pour l’utilisation spécifique et n’aura pas d’incidences globales nocives pour l’environnement ou la santé humaine.

50.      À cet égard, j’ai déjà mentionné que, selon les indications fournies par la juridiction de renvoi, les matériaux en cause dans l’affaire au principal avaient été classés, à la suite d’une analyse de qualité effectuée avant leur réemploi, comme relevant de la classe de qualité la plus élevée de matériaux d’excavation non pollués telle que définie par la législation autrichienne, notamment dans le cadre du plan fédéral de gestion des déchets. Ainsi qu’il a été indiqué au point 12 des présentes conclusions, ce plan de gestion des déchets prévoit des exigences spécifiques concernant la réduction des quantités de déchets, de leurs polluants et de leurs effets nocifs sur l’environnement et la santé. Il prévoit également que l’utilisation de matériaux d’excavation non pollués de la classe de qualité la plus élevée est appropriée et autorisée aux fins de la remise en culture et du développement des terres.

51.      Dès lors, puisque le classement des sols d’excavation en cause au principal atteste tant de son état non pollué que de son caractère approprié aux fins spécifiques de la remise en culture des terres, cette quatrième condition doit également être considérée comme étant remplie dans les circonstances d’une affaire telle que celle au principal.

c)      Remarque finale

52.      Il résulte des considérations qui précèdent que, sous réserve des vérifications à effectuer par la juridiction de renvoi, une entreprise de construction, qui sélectionne soigneusement des sols, les soumet à un contrôle de qualité et les fournit en tant que matériau non pollué de la classe de qualité la plus élevée afin de répondre à une demande spécifique d’opérateurs locaux ayant besoin de ces matériaux, n’a pas l’intention de s’en défaire, mais cherche plutôt à les exploiter dans des conditions qui lui seraient avantageuses. Ces sols d’excavation ne devraient donc pas, dans les circonstances particulières de l’espèce, être considérés comme étant des déchets au sens de l’article 3, point 1, de la directive 2008/98.

53.      En revanche, je considère que l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/98 doit être interprété en ce sens que les sols d’excavation non pollués de la classe de qualité la plus élevée fournis afin de répondre à une demande spécifique d’opérateurs locaux, après avoir été sélectionnés et soumis à un contrôle de qualité, constituent un sous-produit pour autant que les conditions prévues à cet article soient remplies, conformément aux indications figurant aux points précédents des présentes conclusions.

B.      Obtention de la fin du statut de déchet

54.      Mon analyse antérieure exclut la nécessité d’examiner les trois questions préjudicielles de la juridiction de renvoi relatives à l’interprétation de l’article 6 de la directive 2008/98. Toutefois, au cas où la Cour déciderait de ne pas suivre la conclusion selon laquelle les sols d’excavation en cause au principal devraient être considérés comme étant des sous-produits et estimerait qu’il s’agit plutôt de déchets, je présente ci-après mon analyse de ces trois questions.

1.      L’article 6 de la directive 2008/98 et la jurisprudence de la Cour

55.      En vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/98, dans sa version applicable au présent litige (27), certains déchets déterminés cessent d’être des déchets au sens de l’article 3, point 1, de cette directive lorsqu’ils ont subi une opération de valorisation, en ce compris de recyclage.

56.      En vertu de cette disposition, la fin du statut de déchet doit également répondre à des critères spécifiques développés conformément aux conditions suivantes : premièrement, la substance ou l’objet en cause doit être couramment utilisé à des fins spécifiques ; deuxièmement, il doit exister un marché ou une demande pour cette substance ou cet objet ; troisièmement, ladite substance ou ledit objet doit remplir les exigences techniques aux fins spécifiques et respecter la législation et les normes applicables aux produits, et, quatrièmement, l’utilisation de la même substance ou du même objet ne doit pas avoir d’effets globaux nocifs pour l’environnement ou la santé humaine.

57.      Selon l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2008/98, la définition des critères spécifiques permettant d’aboutir à la fin du statut de déchet est arrêtée, d’abord, par la Commission. Toutefois, en l’absence d’une réglementation d’exécution adoptée au sein de l’Union, l’article 6, paragraphe 4, de la directive 2008/98 permet aux États membres de décider au cas par cas si certains déchets ont cessé d’être des déchets.

58.      Il ressort également de la jurisprudence de la Cour, notamment de l’arrêt Tallinna Vesi (28), que la nature exacte des mesures relatives à la fin du statut de déchet d’une substance ou d’un objet n’a pas été précisée par le législateur de l’Union. Les États membres sont ainsi habilités à adopter un acte interne de portée générale prévoyant la fin du statut de déchet s’agissant de certains types de déchets (29). À titre subsidiaire, les États membres peuvent prévoir des décisions relatives à des cas individuels, notamment sur le fondement des demandes présentées par les détenteurs de la substance ou de l’objet qualifié de « déchet » (30). Les États membres peuvent même, selon la jurisprudence de la Cour, considérer que certains déchets ne peuvent cesser d’être des déchets et renoncer à adopter une réglementation relative à la fin de leur statut de déchet (31).

59.      Dans ces trois contextes, les États membres doivent toutefois veiller à ce que leur législation nationale – ou l’absence d’adoption d’une telle législation – ne constitue pas un obstacle à la réalisation des objectifs de la directive 2008/98. Ces objectifs ont été définis par la Cour comme l’encouragement à appliquer la hiérarchie des déchets prévue à l’article 4 de cette directive et, ainsi qu’il ressort des considérants 8 et 29 de celle-ci, la valorisation des déchets et l’utilisation des matériaux de valorisation afin de préserver les ressources naturelles et de permettre la mise en place d’une économie circulaire (32). En outre, les mesures adoptées sur le fondement de l’article 6, paragraphe 4, de la directive 2008/98 doivent être conformes aux conditions posées au paragraphe 1, sous a) à d), de cet article et, en particulier, tenir compte de tout effet nocif possible de la substance ou de l’objet concerné sur l’environnement et la santé humaine (33).

2.      La fin du statut de déchet de sols d’excavation non pollués de la classe de qualité la plus élevée

60.      En l’espèce, il est constant entre les parties que, en vertu de l’article 5, paragraphe 1, de la loi relative à la gestion des déchets, la juridiction de renvoi doit déterminer quand les sols d’excavation non pollués de la classe de qualité la plus élevée fournis par Porr Bau aux agriculteurs locaux dans l’affaire au principal ont cessé d’être des déchets. La réponse à cette question est très pertinente, dès lors que le versement d’une contribution au titre du dépôt de déchets, en application de la loi sur l’assainissement des sites dangereux désaffectés, dépend de la détermination du moment où ce matériau pourrait avoir atteint la fin du statut de déchet (34).

a)      Les dispositions et la jurisprudence nationales applicables

61.      L’article 5, paragraphe 1, de la loi relative à la gestion des déchets précise essentiellement que les substances ou objets tirés de déchets ne parviennent à la fin du statut de déchet que lorsqu’ils sont directement utilisés comme substituts à des matières premières ou à des produits obtenus à partir de matières premières primaires, ou lorsque la préparation en vue du réemploi est achevée.

62.      Cette règle figurant dans la loi relative à la gestion des déchets ne s’applique toutefois pas dans sa totalité aux matériaux d’excavation. En effet, il ressort de la décision de renvoi, ce qui est corroboré par le gouvernement autrichien (35), que les matériaux d’excavation ne sont considérés comme étant parvenus à la fin du statut de déchet que lorsqu’ils ont été utilisés comme substituts à des matières premières ou à des produits obtenus à partir de matières premières primaires. La valorisation par préparation en vue du réemploi ne serait donc pas ouverte à ces matériaux en raison d’une décision adoptée par l’Autriche sur le fondement de la marge d’appréciation reconnue aux États membres par l’article 6, paragraphe 4, de la directive 2008/98. De surcroît, pour que lesdits matériaux d’excavation parviennent à la fin du statut de déchet, des exigences formelles telles que des obligations en matière de relevés et de documents doivent être remplies conformément au plan fédéral de gestion des déchets.

63.      Le présent litige tire principalement son origine du désaccord entre les parties s’agissant du moment où les sols d’excavation en cause au principal devaient être considérés comme ayant été l’objet d’une opération de valorisation, conformément à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/98. En effet, Porr Bau considère que le contrôle de qualité auquel ont été soumis ces matériaux, afin de déterminer qu’ils relevaient de la classe de qualité de sols non pollués la plus élevée, équivaut à une « préparation en vue du réemploi » et donc à une valorisation. À son avis, qui coïncide avec celui exprimé par la juridiction de renvoi dans sa décision de renvoi, une disposition nationale limitant cette hypothèse serait contraire à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/98. À l’inverse, le gouvernement autrichien considère qu’un contrôle de qualité portant sur des matériaux d’excavation ne saurait être qualifié d’« opération de “préparation en vue du réemploi” ». Par conséquent, ces matériaux ne sauraient être considérés comme ayant bénéficié d’une valorisation tant qu’ils n’ont pas été utilisés pour la remise en culture ni pour l’amélioration des surfaces agricoles concernées.

64.      À cet égard, je dois relever, en premier lieu, que, selon le considérant 22 de la directive 2008/98, aux fins de l’obtention du statut de fin de la qualité de déchet, une opération de valorisation peut « simplement consister à contrôler le déchet pour vérifier s’il répond au critère déterminant à partir de quel moment un déchet cesse de l’être ».

65.      Ce considérant constitue une expression concrète de l’article 3, point 16, de la directive 2008/98, qui définit formellement la notion de « préparation en vue d’un réemploi » comme toute opération de « contrôle, de nettoyage ou de réparation » en vue de la valorisation, par laquelle des produits ou des composants de produits qui sont devenus des déchets sont préparés de manière à être réutilisés sans autre opération de prétraitement (36). Ladite disposition qualifie expressément de « valorisation » toute opération de « préparation en vue du réemploi ». Dès lors, il y a lieu de considérer que les déchets faisant l’objet d’une telle opération de « préparation en vue du réemploi » satisfont à la première condition posée à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/98 afin que le statut de déchet prenne fin.

66.      Il convient également de relever que l’article 4 de la directive 2008/98, qui établit la hiérarchie des déchets à appliquer dans la législation et la politique en matière de prévention et de gestion des déchets, place la « préparation en vue du réemploi » en deuxième position dans l’ordre des priorités, juste après la prévention.

67.      En second lieu, pour que des déchets cessent de l’être, ils ne doivent pas seulement faire l’objet d’un processus de valorisation, tel que le contrôle, comme cela a été indiqué précédemment. En effet, pour qu’un changement de statut de certains déchets ait lieu, il est nécessaire de s’assurer que le produit en cause n’est pas nocif (37). C’est d’autant plus vrai que, comme la Cour l’a récemment indiqué, la fin du statut de déchet conduit à la fin de la protection que la réglementation en matière de déchets garantit s’agissant de l’environnement et de la santé humaine (38). C’est pourquoi, lors de la valorisation de ces déchets, un niveau élevé de protection de l’environnement et de la santé humaine doit être garanti (39) et l’opération spécifique de valorisation doit assurer le plein respect des conditions énoncées à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/98.

68.      C’est à la lumière des considérations qui précèdent qu’il convient de vérifier si la réglementation nationale, qui accorde la fin du statut de déchet aux sols non pollués de la classe de qualité la plus élevée uniquement lorsqu’ils ont été utilisés comme substituts à des matières premières et après qu’il a été satisfait à certaines exigences formelles, et non lorsqu’il a été déterminé que les sols n’étaient pas pollués et relevaient de la classe de qualité la plus élevée, est compatible avec l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/98, tel qu’interprété par la Cour.

b)      Contrôle qualité en tant que valorisation

69.      Pour commencer, j’estime qu’il est suffisamment clair qu’un examen de nature à déterminer la qualité et la non‑pollution des sols d’excavation revient, d’un point de vue formel, à une « opération de contrôle » relevant de la notion de « préparation en vue du réemploi » telle que définie à l’article 3, point 16, de la directive 2008/98. Le gouvernement autrichien fait valoir que ce type d’opération est réservé, selon cette disposition, aux produits ou composants de produits et que les sols d’excavation en cause en l’espèce n’en sont pas. Toutefois, un tel argument ne saurait prospérer, pour des motifs analogues à ceux exposés aux points 41 et 42 des présentes conclusions, qui invitent la Cour à considérer les activités de transformation des terres, telles que des travaux de construction, comme constituant un processus de production et, partant, ces sols d’excavation comme étant un produit de cette activité. Lesdits sols d’excavation peuvent donc faire l’objet d’une préparation en vue du réemploi.

70.      En revanche, il appartient certes au juge national d’apprécier, le cas échéant sur le fondement d’une analyse scientifique et technique (40), si un contrôle de qualité et de pollution effectué sur les sols d’excavation est pertinent afin d’exclure toute nocivité pour l’environnement et la santé humaine et de déterminer si les conditions prévues à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/98, telles que décrites au point 56 des présentes conclusions, ont été respectées. L’objectif devrait être de vérifier que les sols d’excavation ne présentent pas un risque potentiel plus important que des matières premières comparables pour une utilisation spécifique.

71.      Ces conditions semblent remplies dans l’affaire au principal, vu les éléments factuels établis dans la décision de renvoi. Cette décision indique en premier lieu que, avant l’excavation, il a été indiqué que les sols non pollués de la classe de qualité la plus élevée seraient utilisés à des fins spécifiques, à savoir le nivellement et la restauration de terres agricoles. En deuxième lieu, il existait une demande spécifique de sols d’excavation, notamment d’agriculteurs qui se sont adressés, à cette fin, au détenteur de ces sols non pollués de la classe de qualité la plus élevée. En troisième lieu, la décision de renvoi indique que lesdits sols d’excavation étaient conformes aux exigences et aux normes techniques relatives au nivellement et à la restauration de ces terres agricoles ainsi qu’à la législation et aux normes applicables. En quatrième lieu, compte tenu de la qualité la plus élevée des mêmes sols d’excavation, selon le plan fédéral de gestion des déchets, l’utilisation de la substance ou de l’objet ne devrait pas entraîner d’effets globaux nocifs pour l’environnement ou la santé humaine. Je rappelle, à cet égard, que, dans la décision de renvoi, la juridiction de renvoi indique expressément qu’il était établi que les sols d’excavation en cause au principal présentaient des valeurs inférieures aux valeurs limites de pollution définies dans le plan fédéral de gestion des déchets pour l’utilisation spécifique de la remise en culture et du développement des terres.

72.      Je tiens à souligner que l’interprétation susmentionnée de l’article 3, point 16, et de l’article 6 de la directive 2008/98, octroyant la fin du statut de déchet à des sols d’excavation qui ont été soumis à un contrôle et dont il a été établi qu’ils relevaient de la classe de qualité la plus élevée en droit national, garantit qu’il n’est pas porté atteinte à l’effet utile de la directive 2008/98, ainsi que l’exige la jurisprudence citée au point 58 des présentes conclusions, qui impose, en substance, que les États membres octroient la fin du statut de déchet aux substances ou objets lorsque cela contribue à la réalisation des objectifs de la directive 2008/98.

73.      Dans l’affaire au principal, il y a lieu de considérer que l’utilisation de sols d’excavation relevant de la classe de qualité la plus élevée, aux fins du nivellement et de la restauration de terres agricoles, permet de respecter la hiérarchie des déchets établie à l’article 4 de la directive 2008/98 et, en particulier, de répondre à l’incitation à valoriser les déchets afin de préserver les ressources naturelles et de promouvoir le développement d’une économie circulaire.

74.      En effet, ainsi que le fait valoir Porr Bau, si des matériaux d’excavation non pollués de la classe de qualité la plus élevée n’étaient pas considérés comme étant parvenus à la fin du statut de déchet à l’issue d’un contrôle de qualité, ces sols, dont les propriétés peuvent servir à améliorer les structures agricoles, auraient pu être éliminés dans une décharge, conformément aux obligations prévues par la directive 2008/98 et par la réglementation nationale autrichienne. Cela aurait entraîné non seulement l’altération potentielle des capacités de la décharge, mais également la pollution desdits sols, qui ne pourraient plus être utilisés utilement. En outre, au lieu d’appliquer la hiérarchie des déchets et de répondre à l’incitation à leur valorisation afin de préserver les ressources naturelles, ainsi qu’il a déjà été indiqué, le détenteur de ces déchets aurait été tenu, en vertu de la législation autrichienne, de s’acquitter d’une contribution au titre des sites pollués, ce qui irait à l’encontre du principe du pollueur-payeur qui, d’après les considérants 1 et 26 de la directive 2008/98, est un principe directeur du droit et de la politique environnementaux européens.

75.      Partant, je suis d’avis que le fait d’accorder la fin du statut de déchet à des sols d’excavation une fois qu’ils ont été soumis à un contrôle et classés comme étant non pollués et relevant de la classe de qualité la plus élevée est de nature à répondre aux objectifs de la directive 2008/98. Une législation nationale qui prévoit que la fin du statut de déchet ne peut avoir lieu que lorsque ce type de sol est utilisé directement comme substitut à des matières premières et qui exclut, à cette fin, la préparation en vue du réemploi, va au-delà de la marge discrétionnaire reconnue aux États membres et est ainsi contraire à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/98.

c)      Exigences formelles

76.      En ce qui concerne les exigences formelles, telles que les obligations en matière de relevés et de documents, auxquelles, selon la juridiction de renvoi, les matériaux d’excavation doivent également satisfaire afin d’obtenir la fin du statut de déchet, une interprétation similaire devrait être adoptée. Il convient notamment de veiller à ce que ces exigences formelles ne portent pas atteinte à l’effet utile de la directive 2008/98. Ainsi, en d’autres termes, une réglementation nationale qui prévoit que le statut de déchet des matériaux d’excavation ne peut prendre fin en cas de non‑respect d’obligations de forme, alors même que les conditions prévues à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/98 sont remplies, fait obstacle à la réalisation des objectifs de la directive 2008/98 et, pour cette raison, devrait être écartée.

77.      Certes, ainsi que le relève le gouvernement autrichien, la fixation de conditions de forme pour obtenir la fin du statut de déchet n’est pas étrangère au droit de l’Union. À cet égard, les États membres disposent d’une marge d’appréciation quant à la définition des « critères relatifs à la fin du statut de déchet ». Lesdites exigences formelles doivent toutefois être définies de manière à atteindre leurs objectifs sans compromettre ceux de la directive 2008/98.

78.      Cela ne semble pas être le cas dans l’affaire au principal au vu de la description faite par la juridiction de renvoi dans la décision de renvoi. En effet, ainsi que le reconnaît le gouvernement autrichien dans ses observations, la décision attaquée devant la juridiction de renvoi a conclu que les sols d’excavation en cause n’étaient pas parvenus à la fin du statut de déchet essentiellement en raison du non‑respect de certaines exigences formelles prévues par le plan fédéral de gestion des déchets. Or, ainsi que cela a été mentionné à plusieurs reprises, la juridiction de renvoi indique que les sols d’excavation en cause au principal présentaient des valeurs dont il pouvait être démontré qu’elles étaient inférieures aux valeurs limites de pollution définies dans le plan fédéral de gestion des déchets aux fins de l’utilisation spécifique de remise en culture et de développement des terres.

79.      Ces exigences formelles ont donc conduit l’autorité défenderesse à considérer des sols non pollués de la classe de qualité la plus élevée comme étant des déchets, encourageant leur élimination et l’acquisition de nouvelles matières premières au lieu de réemployer des matériaux préexistants. Dans la mesure où le réemploi de matériaux non pollués de la classe de qualité la plus élevée risque d’être découragé, des exigences formelles qui se révèlent être sans pertinence environnementale doivent être considérées comme portant atteinte à la hiérarchie des déchets établie à l’article 4 de la directive 2008/98 et, dès lors, à l’effet utile de cette directive.

d)      Remarque finale

80.      Eu égard aux considérations qui précèdent, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/98 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle le statut de déchet de sols d’excavation non pollués, relevant de la classe de qualité la plus élevée aux fins spécifiques du développement des terres en droit national, prend fin seulement lorsqu’ils sont utilisés directement comme substituts à des matières premières et pour autant qu’elle n’accorde pas la fin du statut de déchet tant que leur détenteur n’a pas satisfait à certaines exigences formelles sans pertinence environnementale telles que des obligations en matière de relevés et de documents.

V.      Conclusion

81.      Sur le fondement de l’analyse qui précède, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles du Landesverwaltungsgericht Steiermark (tribunal administratif régional de Styrie, Autriche) de la manière suivante :

L’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil, du 19 novembre 2008, relative aux déchets et abrogeant certaines directives doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle le statut de déchet de sols d’excavation non pollués, relevant de la classe de qualité la plus élevée aux fins spécifiques du développement des terres en droit national, prend fin seulement lorsqu’ils sont directement utilisés comme substituts à des matières premières et pour autant qu’elle n’accorde pas la fin du statut de déchet tant que leur détenteur n’a pas satisfait à certaines exigences formelles sans pertinence environnementale telles que des obligations en matière de relevés et de documents.

Toutefois, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/98 ne devrait pas être appliqué dans un cas tel que celui de l’affaire au principal, dès lors que l’article 3, point 1, et l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/98 doivent être interprétés en ce sens que des sols d’excavation non pollués relevant de la classe de qualité la plus élevée, fournis afin de répondre à une demande de remise en culture et de développement des terres présentée par des agriculteurs locaux, après que ces sols ont été sélectionnés et soumis à un contrôle de qualité, constituent non pas des déchets, mais un sous-produit, pour autant que les conditions prévues à l’article 5, paragraphe 1, sous a) à d), de la directive 2008/98 soient remplies. Il incombe à la juridiction de renvoi de procéder à une telle appréciation.


1      Langue originale : l’anglais.


2      Directive du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relative aux déchets et abrogeant certaines directives (JO 2008, L 312, p. 3).


3      Arrêt du 28 mars 2019 (C‑60/18, ci-après l’« arrêt Tallinna Vesi », EU:C:2019:264).


4      Arrêt du 14 octobre 2020 (C‑629/19, ci-après l’« arrêt Sappi », EU:C:2020:824).


5      La directive 2008/98 a été modifiée en dernier lieu par la directive (UE) 2018/851 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2018 (JO 2018, L 150, p. 109). Sa période de transposition a pris fin le 5 juillet 2020. Dans la décision de renvoi, cependant, la juridiction de renvoi indique que la version de la directive 2008/98 applicable à l’affaire au principal est celle qui précède les modifications introduites par la directive 2018/851. Dès lors que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la juridiction nationale est seule compétente pour déterminer le cadre juridique applicable à cette procédure, je ne mets pas en doute son appréciation quant à la version de la directive 2008/98 à appliquer dans la présente affaire.


6      Voir, à cet égard, considérant 11 de la directive 2008/98 in fine.


7      Pour un récent exposé de ces critères, voir arrêt Sappi, points 43 à 53 et jurisprudence citée.


8      Arrêt du 4 juillet 2019, Tronex (C‑624/17, EU:C:2019:564, point 17 et jurisprudence citée).


9      Voir arrêt Sappi, point 43 et jurisprudence citée.


10      Arrêt du 4 juillet 2019, Tronex (C‑624/17, EU:C:2019:564, point 20 et jurisprudence citée).


11      Arrêt du 24 juin 2008, Commune de Mesquer (C‑188/07, EU:C:2008:359, point 41).


12      Arrêt du 4 juillet 2019, Tronex (C‑624/17, EU:C:2019:564, point 22 et jurisprudence citée).


13      Arrêt du 3 octobre 2013, Brady (C‑113/12, ci-après l’« arrêt Brady », EU:C:2013:627, point 42 et jurisprudence citée).


14      Directive du Conseil du 15 juillet 1975 relative aux déchets (JO 1975, L 194, p. 39), telle que modifiée par la directive 91/156/CEE du Conseil, du 18 mars 1991 (JO 1991, L 78, p. 32) et consolidée par la directive 2006/12/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2006, relative aux déchets (JO 2006, L 114, p. 9).


15      Arrêt du 4 juillet 2019, Tronex (C‑624/17, EU:C:2019:564, point 24 et jurisprudence citée).


16      Voir arrêt Sappi, point 53 et jurisprudence citée.


17      Cette disposition transpose l’article 3, point 1, de la directive 2008/98 en droit autrichien.


18      Voir, en tant qu’exemple supplémentaire, arrêt du 1er mars 2007, KVZ retec (C‑176/05, EU:C:2007:123, point 63).


19      Voir notamment arrêt Sappi, point 51 et jurisprudence citée.


20      En économie classique, les matériaux d’excavation sont catégorisés en tant que sous-produits de terres. Voir notamment Pearce, D. W., Macmillan Dictionary of Modern Economics, Macmillan Education UK, Londres, p. 311 à 320. Voir également, en tant qu’illustration concrète, Environmental Protection Agency of Ireland, Guidance on Soil and Stone By-products, juin 2019, disponible à https://www.epa.ie/publications/licensing--permitting/waste/Guidance_on_Soil_and_Stone_By_Product.pdf.


21      Point 60 de cet arrêt.


22      Arrêt Brady, point 48.


23      Arrêt Brady, point 53.


24      Arrêt Brady, points 52, 53 et 56.


25      Arrêt Brady, points 55 et 56.


26      Comme l’a expliqué Porr Bau dans ses observations, sans que les autres parties le contestent, les sols fournis étaient « vierges », car prélevés sur un site agricole et directement livrés sur un autre site agricole identique.


27      Voir note en bas de page 5 des présentes conclusions.


28      Point 22.


29      Arrêt Tallinna Vesi, points 23 et 25.


30      Arrêt Tallinna Vesi, point 24.


31      Arrêt Tallinna Vesi, point 26.


32      Arrêt Tallinna Vesi, points 23 et 27.


33      Arrêt Tallinna Vesi, point 23.


34      À cet égard, le gouvernement autrichien explique que, conformément à la jurisprudence du Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative), les matériaux excavés considérés comme étant des déchets conservent ce statut même lorsqu’ils sont employés au développement de terres. Cela signifie que, même si ces matériaux obtiennent la fin du statut de déchet en conséquence de cette utilisation spécifique, cela n’a pas d’incidence quant à l’obligation de s’acquitter d’une contribution conformément à la loi sur l’assainissement des sites dangereux désaffectés.


35      Voir à cet égard le préambule de la loi relative à la gestion des déchets.


36      Cette disposition a été transposée en droit autrichien exactement en ces termes, à l’article 2, paragraphes 5 et 6, de la loi relative à la gestion des déchets notamment.


37      Voir arrêt Tallinna Vesi, point 23.


38      Voir arrêt Tallinna Vesi, point 23.


39      Voir arrêt Sappi, point 66.


40      Voir arrêt Sappi, point 67.