Language of document : ECLI:EU:C:2022:638

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

7 septembre 2022 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 49 TFUE – Liberté d’établissement – Restriction – Justification – Organisation du système éducatif – Établissements d’enseignement supérieur – Obligation de dispenser les programmes d’enseignement dans la langue officielle de l’État membre concerné – Article 4, paragraphe 2, TUE – Identité nationale d’un État membre – Défense et promotion de la langue officielle d’un État membre – Principe de proportionnalité »

Dans l’affaire C‑391/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Latvijas Republikas Satversmes tiesa (Cour constitutionnelle, Lettonie), par décision du 14 juillet 2020, parvenue à la Cour le 29 juillet 2020, dans la procédure engagée par

Boriss Cilevičs,

Valērijs Agešins,

Vjačeslavs Dombrovskis,

Vladimirs Nikonovs,

Artūrs Rubiks,

Ivans Ribakovs,

Nikolajs Kabanovs,

Igors Pimenovs,

Vitālijs Orlovs,

Edgars Kucins,

Ivans Klementjevs,

Inga Goldberga,

Evija Papule,

Jānis Krišāns,

Jānis Urbanovičs,

Ļubova Švecova,

Sergejs Dolgopolovs,

Andrejs Klementjevs,

Regīna Ločmele-Luņova,

Ivars Zariņš

en présence de :

Latvijas Republikas Saeima,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. L. Bay Larsen (rapporteur), vice‑président, Mmes A. Prechal, K. Jürimäe, MM. C. Lycourgos, E. Regan, S. Rodin et J. Passer, présidents de chambre, MM. M. Ilešič, J.‑C. Bonichot, F. Biltgen, P. G. Xuereb, N. Piçarra, Mme L. S. Rossi et M. N. Wahl, juges,

avocat général : M. N. Emiliou,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour MM. Cilevičs, Agešins, Dombrovskis, Nikonovs, Rubiks, Ribakovs, Kabanovs, Pimenovs, Orlovs, Kucins, Klementjevs, Mmes Goldberga, Papule, MM. Krišāns, Urbanovičs, Mme Švecova, MM. Dolgopolovs, Klementjevs, Mme Ločmele-Luņova et M. Zariņš, par M. B. Cilevičs,

–        pour le gouvernement letton, par Mmes K. Pommere et V. Soņeca, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement français, par Mmes E. de Moustier et N. Vincent, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman et M. H. S. Gijzen, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement autrichien, par M. A. Posch, Mmes E. Samoilova et J. Schmoll, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mmes L. Armati, I. Rubene et M. L. Malferrari, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 8 mars 2022,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 49 et 56 TFUE ainsi que de l’article 16 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure de contrôle de constitutionnalité du Augstskolu likums (loi relative aux établissements d’enseignement supérieur), ouverte sur le recours de MM. Boriss Cilevičs, Valērijs Agešins, Vjačeslavs Dombrovskis, Vladimirs Nikonovs, Artūrs Rubiks, Ivans Ribakovs, Nikolajs Kabanovs, Igors Pimenovs, Vitālijs Orlovs, Edgars Kucins, Ivans Klementjevs, Mmes Inga Goldberga, Evija Papule, MM. Jānis Krišāns, Jānis Urbanovičs, Mme Ļubova Švecova, MM. Sergejs Dolgopolovs, Andrejs Klementjevs, Mme Regīna Ločmele-Luņova et M. Ivars Zariņš, des membres du Latvijas Republikas Saeima (Parlement de la République de Lettonie, ci-après le « Parlement letton »).

 Le cadre juridique

 La Constitution lettone

3        En vertu de l’article 1er de la Latvijas Republikas Satversme (Constitution de la République de Lettonie, ci-après la « Constitution lettone »), la Lettonie est une république démocratique indépendante.

4        L’article 4 de la Constitution lettone est ainsi rédigé :

« La langue officielle de la République de Lettonie est la langue lettone. [...] »

5        L’article 105 de cette Constitution dispose :

« Toute personne a droit à la propriété. Le droit à la propriété ne peut être exercé de manière contraire à l’intérêt public. Le droit de propriété ne peut être limité que conformément à la loi. L’expropriation pour cause d’utilité publique n’est autorisée que dans des cas exceptionnels, en vertu d’une loi spécifique et contre une juste compensation. »

6        L’article 112 de ladite Constitution prévoit :

« Toute personne a le droit à l’éducation. L’État garantit l’accès gratuit à l’enseignement primaire et secondaire. L’enseignement primaire est obligatoire. »

7        L’article 113 de la même Constitution est libellé comme suit :

« L’État reconnaît la liberté de création scientifique, la liberté artistique et la liberté de mener d’autres activités créatives ainsi que protège le droit d’auteur et les droits de brevet. »

 La loi sur les établissements d’enseignement supérieur

8        L’article 5 du Augstskolu likums (loi sur les établissements d’enseignement supérieur), du 2 novembre 1995  (Latvijas Vēstnesis, 1995, no 179), prévoyait que les établissements d’enseignement supérieur avaient pour mission de cultiver ainsi que de développer les sciences et les arts. Le Likums « Grozījumi Augstskolu likumā » (loi portant modification de la loi sur les établissements d’enseignement supérieur), du 21 juin 2018 (Latvijas Vēstnesis, 2018, no 132), a modifié l’article 5, paragraphe 1, troisième phase, de la loi sur les établissements d’enseignement supérieur comme suit :

« Dans le cadre de leurs activités, [les établissements d’enseignement supérieur] cultivent et développent les sciences, les arts ainsi que la langue officielle. »

9        Conformément à l’article 8, paragraphe 1, de la loi sur les établissements d’enseignement supérieur, l’État et d’autres personnes morales ou physiques, y compris des personnes morales ou physiques étrangères, peuvent créer des établissements d’enseignement supérieur en Lettonie.

10      La loi portant modification de la loi sur les établissements d’enseignement supérieur a également modifié l’article 56 de cette dernière. En conséquence, l’article 56, paragraphe 3, de la loi sur les établissements d’enseignement supérieur était libellé comme suit :

« Les établissements d’enseignement supérieur et les collèges dispensent les programmes d’enseignement dans la langue officielle. Ces programmes d’enseignement ne peuvent être dispensés dans une langue étrangère que dans les cas suivants :

1)      Les programmes d’enseignement suivis en Lettonie par des étudiants étrangers et les programmes d’enseignement organisés dans le cadre de la coopération prévue par des programmes de l’Union européenne et par des accords internationaux peuvent être dispensés dans les langues officielles de l’Union. L’apprentissage de la langue officielle figure au nombre des heures de cours obligatoires des étudiants étrangers prévoyant de suivre en Lettonie des études d’une durée supérieure à six mois ou correspondant à plus de 20 crédits ;

2)      Un programme d’enseignement ne peut être dispensé dans les langues officielles de l’Union qu’à concurrence d’un cinquième du nombre de crédits, ce qui ne comprend par ailleurs pas les examens finaux et d’État ni les travaux de qualification, de fin de baccalauréat ou de fin de maîtrise ;

3)      Les programmes d’enseignement devant être dispensés dans des langues étrangères pour atteindre leurs objectifs [...] dans les catégories suivantes : les études de langues et de culture ainsi que les programmes de langues. [...]

4)      Les programmes d’enseignement conjoints peuvent être dispensés dans les langues officielles de l’Union. »

11      La loi portant modification de la loi sur les établissements d’enseignement supérieur a ajouté aux dispositions transitoires de cette dernière un point 49, lequel est rédigé ainsi :

« Les modifications de l’article 56, paragraphe 3, de la présente loi, relatives à la langue dans laquelle les programmes d’enseignement sont dispensés, entrent en vigueur le 1er janvier 2019. Les établissements d’enseignement supérieur et les collèges qui dispensent les programmes d’enseignement dans une langue non conforme aux dispositions de l’article 56, paragraphe 3, de la présente loi peuvent continuer à dispenser ces programmes d’enseignement dans la langue concernée jusqu’au 31 décembre 2022. À partir du 1er janvier 2019, il est interdit d’admettre des étudiants dans les programmes d’enseignement dispensés dans une langue non conforme aux dispositions de l’article 56, paragraphe 3, de la présente loi. »

 La loi relative à l’école supérieure des sciences économiques de Riga

12      L’article 19, paragraphe 1, du Likums « Par Rīgas Ekonomikas augstskolu » (loi relative à l’école supérieure des sciences économiques de Riga), du 5 octobre 1995 (Latvijas Vēstnesis, 1995, no 164), dispose :

« Les cours de [l’école supérieure des sciences économiques de Riga] sont dispensés dans la langue anglaise. La rédaction et la soutenance des travaux nécessaires à l’obtention d’une licence, d’une maîtrise ou d’un doctorat, ainsi que les examens de qualification professionnelle, sont réalisés dans la langue anglaise. »

 La loi relative à l’école supérieure de droit de Riga

13      L’article 21 du Rīgas Juridiskās augstskolas likums (loi relative à l’école supérieure de droit de Riga), du 1er novembre 2018 (Latvijas Vēstnesis, 2018, no 220), prévoit :

« [L’école supérieure de droit de Riga] propose des programmes d’enseignement qui ont obtenu l’agrément requis, conformément aux dispositions de la réglementation applicable. Les cours sont dispensés dans la langue anglaise ou dans une autre langue officielle de l’Union. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

14      La Latvijas Republikas Satversmes tiesa (Cour constitutionnelle, Lettonie) est saisie d’un recours introduit par 20 membres du Parlement letton. Ce recours vise à faire contrôler la compatibilité de l’article 5, paragraphe 1, troisième phrase, et de l’article 56, paragraphe 3, de la loi sur les établissements d’enseignement supérieur ainsi que du point 49 des dispositions transitoires de cette loi avec la Constitution lettone, et notamment avec les articles 1er, 105 et 112 de cette dernière.

15      Les requérants au principal font valoir à cet égard que ces dispositions de la loi sur les établissements d’enseignement supérieur portent atteinte au droit à l’éducation. En effet, dans la mesure où lesdites dispositions imposent aux établissements d’enseignement supérieur privés de cultiver et de développer la langue officielle de la République de Lettonie, en limitant ainsi les possibilités pour ces derniers de proposer des programmes d’enseignement dans des langues étrangères, elles restreindraient l’autonomie de ces établissements ainsi que la liberté académique de leur personnel enseignant et de leurs étudiants.

16      Par ailleurs, serait également restreint le droit des établissements d’enseignement supérieur privés d’exercer une activité commerciale et de fournir, à titre onéreux, un service d’enseignement supérieur conformément à l’agrément obtenu.

17      Les mêmes dispositions violeraient, en outre, le principe de légalité, consacré à l’article 1er de la Constitution lettone, dès lors que les fondateurs des établissements d’enseignement supérieur privés pouvaient avoir une confiance légitime dans le fait de pouvoir tirer profit de l’exploitation des établissements dont ils sont propriétaires.

18      Aussi, en créant une barrière à l’entrée sur le marché de l’enseignement supérieur ainsi qu’en empêchant les ressortissants et les entreprises d’autres États membres de fournir des services d’enseignement supérieur dans des langues étrangères, l’article 5, paragraphe 1, troisième phrase, et l’article 56, paragraphe 3, de la loi sur les établissements d’enseignement supérieur ainsi que le point 49 des dispositions transitoires de cette loi porteraient atteinte à la liberté d’établissement et à la libre circulation des services garanties respectivement à l’article 49 TFUE et à l’article 56 TFUE, ainsi qu’à la liberté d’entreprise, consacrée à l’article 16 de la Charte.

19      Le Parlement letton soutient que ces dispositions sont conformes aux articles 1er, 105 et 112 de la Constitution lettone, dans la mesure où elles ne constituent pas une limitation à ces droits fondamentaux. Lesdites dispositions ne limiteraient pas les droits des établissements d’enseignement supérieur privés, dès lors que le droit à l’éducation ne recouvrirait que la protection des droits des étudiants. Elles ne limiteraient pas non plus le droit de propriété, dès lors que celui-ci ne garantirait aucun droit, pour les particuliers, d’obtenir des profits.

20      Même à considérer que ces droits font l’objet d’une limitation, cette dernière serait prévue par la loi et viserait à atteindre un objectif légitime au regard duquel elle serait proportionnée.

21      Le Parlement letton estime, en outre, que le droit de l’Union ne limite pas le pouvoir des États membres d’adopter, dans le domaine de l’enseignement, les règles nécessaires à la protection des valeurs constitutionnelles de ces États. Ainsi, la République de Lettonie ne serait pas tenue de garantir que l’enseignement supérieur puisse être dispensé dans une langue autre que la langue officielle de cet État membre.

22      Enfin, l’article 56, paragraphe 3, de la loi sur les établissements d’enseignement supérieur prévoirait des dispositions spécifiques pour la mise en œuvre de programmes d’enseignement dans les langues de l’Union et ne s’écarterait pas de l’objectif de mettre en place un espace européen de l’éducation.

23      Le 11 juin 2020, la Latvijas Republikas Satversmes tiesa (Cour constitutionnelle) a rendu un arrêt par lequel elle a décidé de scinder l’affaire au principal, dont elle était saisie, en deux affaires.

24      D’une part, estimant que l’article 5, paragraphe 1, troisième phrase, et l’article 56, paragraphe 3, de la loi sur les établissements d’enseignement supérieur ainsi que le point 49 des dispositions transitoires de cette loi régissent un domaine qui, en vertu de l’article 165 TFUE, relève de la compétence des États membres et qu’il n’était par ailleurs pas souhaitable qu’un éventuel renvoi préjudiciel devant la Cour laisse en suspens la question de la conformité de ces dispositions du droit letton à la Constitution lettone, la juridiction de renvoi a statué sur la compatibilité desdites dispositions avec les articles 112 et 113 de cette constitution.

25      La juridiction de renvoi a ainsi jugé que l’article 5, paragraphe 1, troisième phrase, de la loi sur les établissements d’enseignement supérieur était conforme à la Constitution lettone. En revanche, elle a jugé que l’article 56, paragraphe 3, de cette loi et le point 49 des dispositions transitoires de celle-ci, dans la mesure où ces dernières dispositions s’appliquent aux établissements supérieurs privés, à leur personnel enseignant et aux étudiants, n’étaient pas conformes aux articles 112 et 113 de ladite constitution.

26      D’autre part, s’agissant de la compatibilité de l’article 5, paragraphe 1, troisième phrase, et de l’article 56, paragraphe 3, de la loi sur les établissements d’enseignement supérieur ainsi que du point 49 des dispositions transitoires de cette loi avec les articles 1er et 105 de la Constitution lettone, la juridiction de renvoi a décidé de poursuivre l’examen de l’affaire au principal. À cet égard, elle estime que le droit de propriété consacré à cet article 105 doit être interprété à la lumière de la liberté d’établissement, consacrée à l’article 49 TFUE, et qu’il est nécessaire de préciser le contenu de cette liberté fondamentale.

27      Cette juridiction estime que, bien qu’il ressorte, d’une part, de l’article 4, paragraphe 2, TUE que l’Union respecte l’identité nationale des États membres, dont la langue officielle serait l’une des expressions, et, d’autre part, de l’article 165 TFUE que le contenu et l’organisation de l’enseignement supérieur relève de la compétence des États membres, la Cour a reconnu que la liberté d’établissement s’appliquait également dans les domaines pour lesquels ces États membres restent compétents.

28      La juridiction de renvoi émet des doutes quant à la question de savoir si une réglementation d’un État membre imposant, dans le domaine de l’enseignement supérieur, y compris au sein des établissements d’enseignement supérieur privés, l’emploi de la langue officielle de cet État membre, tout en prévoyant certaines limites à cette obligation, constitue une restriction à la liberté d’établissement, consacrée à l’article 49 TFUE.

29      Cette juridiction rappelle en outre que les dispositions en cause au principal ne sont pas applicables à deux établissements supérieurs, à savoir l’École supérieure des sciences économiques de Riga et l’École supérieure de droit de Riga, lesquels demeurent régis par des lois spéciales.

30      Dans ces conditions, la Latvijas Republikas Satversmes tiesa (Cour constitutionnelle) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Une réglementation telle que celle en cause au principal constitue‑t‑elle une restriction à la liberté d’établissement consacrée à l’article 49 [TFUE] ou, à titre subsidiaire, à la libre prestation des services, prévue à l’article 56 [TFUE], ainsi qu’à la liberté d’entreprise, telle que protégée à l’article 16 de la [Charte] ?

2)      De quelles considérations faut-il tenir compte lors de l’examen du caractère justifié, adéquat et proportionné d’une telle réglementation au regard de son objectif légitime de protection de la langue nationale en tant qu’expression de l’identité nationale ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la recevabilité et la persistance de l’objet du litige au principal 

31      En premier lieu, s’agissant de la recevabilité de la présente demande de décision préjudicielle, il convient de rappeler que les dispositions du traité FUE en matière de liberté d’établissement et de libre prestation des services ne trouvent pas à s’appliquer à une situation dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten, C‑268/15, EU:C:2016:874, point 47).

32      La Cour a néanmoins jugé que, lorsque la juridiction de renvoi la saisit dans le cadre d’une procédure en annulation de dispositions applicables non seulement aux ressortissants nationaux, mais également aux ressortissants des autres États membres, la décision que cette juridiction adoptera à la suite de son arrêt rendu à titre préjudiciel produira des effets également à l’égard de ces derniers ressortissants, ce qui justifie qu’elle réponde aux questions qui lui ont été posées en rapport avec les dispositions du traité FUE relatives aux libertés fondamentales en dépit du fait que tous les éléments du litige au principal sont cantonnés à un seul État membre (voir, en ce sens, arrêts du 8 mai 2013, Libert e.a., C‑197/11 et C‑203/11, EU:C:2013:288, point 35, ainsi que du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten, C‑268/15, EU:C:2016:874, point 51).

33      Or, tel est le cas de la procédure de contrôle de constitutionnalité de la loi sur les établissements d’enseignement supérieur, qui est en cause dans la présente affaire. En effet, il ressort de la décision de renvoi que, d’une part, cette procédure donne lieu à un contrôle abstrait de certaines dispositions de cette loi, qui vise à examiner la conformité de ces dispositions aux normes juridiques de rang supérieur, compte tenu de l’ensemble des personnes auxquelles ces dispositions s’appliquent. D’autre part, conformément à l’article 8, paragraphe 1, de ladite loi, l’État et d’autres personnes morales ou physiques, y compris des personnes morales ou physiques étrangères, peuvent créer des établissements d’enseignement supérieur en Lettonie.

34      Il s’ensuit que la juridiction de renvoi a indiqué les éléments concrets, mentionnés au point précédent, permettant d’établir un lien entre l’objet du litige au principal, dont toutes les circonstances se cantonnent à l’intérieur de l’État membre concerné, et les articles 49 et 56 TFUE, de telle sorte que l’interprétation de ces libertés fondamentales s’avère nécessaire à la solution de ce litige (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten, C‑268/15, EU:C:2016:874, point 54).

35      S’agissant, en second lieu, de la persistance du litige au principal, la Commission européenne a émis des doutes quant à l’utilité d’une réponse de la Cour aux questions posées dans la mesure où la juridiction de renvoi a considéré que l’article 56, paragraphe 3, de la loi sur les établissements d’enseignement supérieur et le point 49 des dispositions transitoires de cette loi n’étaient pas conformes à la Constitution lettone.

36      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu’il résulte de la demande de décision préjudicielle, et ainsi que cela ressort du point 23 du présent arrêt, la juridiction de renvoi a décidé, par un arrêt du 11 juin 2020, de scinder l’affaire au principal, dont elle était saisie, en deux affaires.

37      D’une part, ainsi que cela ressort du point 25 du présent arrêt, elle a jugé que l’article 5, paragraphe 1, troisième phrase, de la loi sur les établissements d’enseignement supérieur était conforme aux articles 112 et 113 de la Constitution lettone. En revanche, l’article 56, paragraphe 3, de la loi sur les établissements d’enseignement supérieur et le point 49 des dispositions transitoires de cette loi, dans la mesure où ils s’appliquent aux établissements d’enseignement supérieur privés, à leur personnel enseignant et à leurs étudiants, n’étaient pas conformes auxdits articles 112 et 113.

38      D’autre part, cette juridiction a décidé de poursuivre l’examen de l’affaire au principal en ce qui concerne la conformité de l’article 5, paragraphe 1, troisième phrase, et de l’article 56, paragraphe 3, de la loi sur les établissements d’enseignement supérieur ainsi que du point 49 des dispositions transitoires de cette loi aux articles 1er et 105 de la Constitution lettone, considérant que le droit de propriété consacré à ce dernier article devait être interprété à la lumière de la liberté d’établissement consacrée à l’article 49 TFUE dont il était nécessaire de préciser le contenu.

39      En outre, la juridiction de renvoi a décidé, en vue de laisser un délai raisonnable au législateur national pour adopter une nouvelle réglementation, de maintenir en vigueur les dispositions qui avaient été jugées comme étant inconstitutionnelles et de différer la prise d’effet de l’invalidité de ces dispositions au 1er mai 2021.

40      Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 24 de ses conclusions, les conditions de recevabilité d’un renvoi préjudiciel doivent être satisfaites non seulement à la date de la saisine de la Cour, mais également tout au long de la procédure. En effet, lorsque la non‑conformité des dispositions pertinentes du droit national à la Constitution nationale, déclarée par la cour constitutionnelle de l’État membre concerné, a pour effet de les écarter de l’ordre juridique national, la Cour ne se trouve en principe plus en mesure de statuer sur les questions qui lui sont posées. Compte tenu de l’évolution du droit national applicable au litige au principal et sans une précision de la part de la juridiction de renvoi quant à la pertinence pour la solution de ce litige des questions posées, ces dernières seraient considérées comme étant hypothétiques (voir, en ce sens, arrêt du 27 juin 2013, Di Donna, C-492/11, EU:C:2013:428, points 27 à 32).

41      Cela étant, il convient de rappeler qu’il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire au principal, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence de la question qu’il pose à la Cour [arrêt du 2 septembre 2021, INPS (Allocations de naissance et de maternité pour les titulaires de permis unique), C‑350/20, EU:C:2021:659, point 38].

42      En conséquence, dès lors que la question posée porte sur l’interprétation ou sur la validité d’une règle du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer. Il s’ensuit qu’une question préjudicielle portant sur le droit de l’Union bénéficie d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une telle question n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation ou l’appréciation de validité d’une règle du droit de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 29 mai 2018, Liga van Moskeeën en Islamitische Organisaties Provincie Antwerpen e.a., C‑426/16, EU:C:2018:335, points 30 et 31).

43      En l’occurrence, même si la juridiction de renvoi a déclaré que l’article 5, paragraphe 1, troisième phrase, de la loi sur les établissements d’enseignement supérieur était conforme aux articles 112 et 113 de la Constitution lettone, il n’en demeure pas moins que cette juridiction pourrait, au regard des réponses apportées par la Cour aux questions qu’elle lui a soumises, parvenir à la conclusion inverse pour ce qui est de la conformité de cette disposition aux articles 1er et 105 de cette Constitution, interprétés à la lumière des dispositions du traité FUE relatives à la liberté d’établissement et à la libre circulation des services ainsi que de l’article 16 de la Charte.

44      Par ailleurs, en réponse à une demande d’éclaircissement de la Cour sur la nécessité de maintenir la demande de décision préjudicielle, eu égard à la déclaration d’invalidité au regard de la Constitution lettone des dispositions nationales sur lesquelles portent les questions posées, dont les effets courent à compter du 1er mai 2021, et compte tenu notamment de l’adoption de la loi portant modification de la loi sur les établissements d’enseignement supérieur, qui est entrée en vigueur à cette date, la juridiction de renvoi a précisé qu’elle demeurait compétente pour apprécier la constitutionnalité de ces dispositions.

45      Cette juridiction souligne à cet égard que lesdites dispositions, bien que déclarées inconstitutionnelles, ont été en vigueur pendant une certaine période et, partant, étaient susceptibles de produire des effets juridiques défavorables pour les personnes morales auxquelles elles étaient appliquées, ainsi que de donner lieu à des litiges.

46      Ladite juridiction étant notamment appelée à déterminer si les dispositions en cause au principal devaient être écartées de l’ordre juridique letton même pour la période antérieure à la prise d’effet de leur invalidité, il convient de considérer qu’une réponse de la Cour aux questions posées demeure utile pour la solution du litige au principal.

47      Partant, il y a lieu de statuer sur la demande de décision préjudicielle.

 Sur le fond

48      Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 49 et 56 TFUE ainsi que l’article 16 de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre qui impose, en principe, aux établissements d’enseignement supérieur, l’obligation de dispenser les enseignements exclusivement dans la langue officielle de cet État membre.

 Observations liminaires

49      Afin de répondre à ces questions, il convient tout d’abord de constater que la juridiction de renvoi se réfère aux dispositions du traité FUE relatives à la liberté d’établissement et à la libre circulation des services, tout comme à celles de la Charte.

50      En ce qui concerne, en premier lieu, les libertés fondamentales, la Cour a jugé que, lorsqu’une mesure nationale se rattache simultanément à plusieurs de ces libertés, la Cour l’examine, en principe, au regard de l’une seulement desdites libertés s’il s’avère que, dans les circonstances de l’espèce, les autres sont tout à fait secondaires par rapport à la première et peuvent lui être rattachées (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2009, Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International, C‑42/07, EU:C:2009:519, point 47).

51      Il résulte également d’une jurisprudence bien établie que, afin de déterminer la liberté fondamentale prépondérante, il y a lieu de prendre en considération l’objet de la réglementation concernée (arrêt du 3 mars 2020, Tesco-Global Áruházak, C‑323/18, EU:C:2020:140, point 51).

52      En outre, la Cour a jugé que l’organisation, contre rémunération, de cours d’enseignement supérieur est une activité économique qui relève du chapitre 2 du titre IV de la troisième partie du traité FUE relatif au droit d’établissement lorsqu’elle est effectuée par le ressortissant d’un État membre dans un autre État membre, d’une façon stable et continue, à partir d’un établissement principal ou secondaire dans ce dernier État membre [arrêts du 6 octobre 2020, Commission/Hongrie (Enseignement supérieur), C‑66/18, EU:C:2020:792, point 160, et du 13 novembre 2003, Neri, C‑153/02, EU:C:2003:614, point 39].

53      En revanche, sont des « prestations de services », au sens de l’article 56 TFUE, toutes les prestations qui ne sont pas proposées de manière stable et continue, à partir d’un établissement dans l’État membre de destination, étant précisé qu’aucune disposition du traité FUE ne permet de déterminer, de manière abstraite, la durée ou la fréquence à partir de laquelle la fourniture d’un service ou d’un certain type de service ne peut plus être considérée comme une prestation de services (voir, en ce sens, arrêt du 10 mai 2012, Duomo Gpa e.a., C‑357/10 à C‑359/10, EU:C:2012:283, points 31 et 32).

54      En l’occurrence, il y a lieu de relever que, ainsi qu’il ressort de la demande de décision préjudicielle, l’article 8, paragraphe 1, de la loi sur les établissements d’enseignement supérieur régit la possibilité pour l’État et d’autres personnes morales ou physiques, y compris des personnes morales ou physiques étrangères, de créer des établissements d’enseignement supérieur en Lettonie. Par ailleurs, la nature particulière des services qui sont concernés, à savoir les activités d’enseignement supérieur, implique que ces activités soient, de manière générale, exercées de façon stable et continue.

55      Dès lors, il y a lieu de considérer que la réglementation en cause au principal relève, de manière prépondérante, de la liberté d’établissement.

56      S’agissant d’un éventuel examen de cette réglementation au regard de l’article 16 de la Charte, il y a lieu de rappeler que, ainsi que la Cour l’a jugé, un examen de la restriction instaurée par une réglementation nationale au titre de l’article 49 TFUE couvre également les éventuelles restrictions de l’exercice des droits et des libertés prévus aux articles 15 à 17 de la Charte, de telle sorte qu’un examen séparé de la liberté d’entreprise consacrée à l’article 16 de la Charte n’est pas nécessaire (voir, en ce sens, arrêt du 20 décembre 2017, Global Starnet, C‑322/16, EU:C:2017:985, point 50).

57      Dans ces conditions, il convient de répondre aux questions posées par la juridiction de renvoi au regard du seul article 49 TFUE.

 Sur la restriction à la liberté garantie à l’article 49 TFUE

58      Conformément à l’article 6 TFUE, l’Union dispose d’une compétence pour mener des actions pour appuyer, coordonner ou compléter l’action des États membres notamment dans le domaine de l’éducation.

59      Si le droit de l’Union ne porte pas atteinte à cette compétence des États membres en ce qui concerne, d’une part, le contenu de l’enseignement et l’organisation du système éducatif ainsi que leur diversité culturelle et linguistique et, d’autre part, le contenu et l’organisation de la formation professionnelle, ainsi que cela découle de l’article 165, paragraphe 1, et de l’article 166, paragraphe 1, TFUE, il demeure que, dans l’exercice de cette compétence, les États membres doivent respecter le droit de l’Union, notamment les dispositions relatives à la liberté d’établissement (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2007, Schwarz et Gootjes-Schwarz, C‑76/05, EU:C:2007:492, point 70).

60      L’article 49, premier alinéa, TFUE dispose que, dans le cadre des dispositions qui figurent au chapitre 2 du titre IV de la troisième partie du traité FUE, les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre sur le territoire d’un autre État membre sont interdites.

61      Doivent être considérées comme des restrictions à la liberté d’établissement toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de la liberté garantie à l’article 49 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 22 janvier 2015, Stanley International Betting et Stanleybet Malta, C‑463/13, EU:C:2015:25, point 45).

62      En l’occurrence, quand bien même les ressortissants d’autres États membres peuvent s’établir en Lettonie et dispenser des programmes d’enseignement supérieur, une telle possibilité est, en principe, conditionnée par l’obligation de dispenser ces programmes dans la seule langue officielle de cet État membre.

63      Or, une telle obligation est de nature à rendre moins attrayant, pour ces ressortissants, leur établissement dans l’État membre qui impose cette obligation, laquelle constitue ainsi une restriction à la liberté garantie à l’article 49 TFUE. En particulier, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 75 de ses conclusions, de tels ressortissants ne seront pas en mesure, lorsqu’ils disposent d’un établissement dans un autre État membre, de recourir à une grande partie du personnel administratif et du corps enseignant employé dans cet établissement, impliquant ainsi des coûts non négligeables.

64      De même, une telle restriction existe également à l’égard des ressortissants d’autres États membres qui, avant l’adoption de la loi sur les établissements d’enseignement supérieur, ont exercé cette liberté en ouvrant en Lettonie des établissements qui offrent un programme d’enseignement dans une langue autre que le letton. En effet, après la fin de la période transitoire, ces ressortissants devront adapter leur programme d’enseignement aux exigences de cette loi, ce qui peut entraîner des coûts non négligeables, notamment pour ce qui est d’une grande partie de leur personnel administratif et de leur corps enseignant.

 Sur la justification de la restriction à la liberté garantie à l’article 49 TFUE

65      Selon une jurisprudence bien établie, une restriction à la liberté d’établissement ne saurait être admise qu’à la condition, en premier lieu, d’être justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général et, en second lieu, de respecter le principe de proportionnalité, ce qui implique qu’elle soit propre à garantir, de façon cohérente et systématique, la réalisation de l’objectif poursuivi et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre [arrêt du 6 octobre 2020, Commission/Hongrie (Enseignement supérieur), C‑66/18, EU:C:2020:792, point 178].

–       Sur l’existence d’une raison impérieuse d’intérêt général

66      Ainsi qu’il ressort de la demande de décision préjudicielle, l’obligation de dispenser des cours d’enseignement supérieur dans la langue lettone, qui découle notamment de l’article 56, paragraphe 3, de la loi sur les établissements d’enseignement supérieur, vise à défendre et à promouvoir l’emploi de la langue officielle de la République de Lettonie.

67      La Cour a rappelé à cet égard que les dispositions du droit de l’Union ne s’opposent pas à l’adoption d’une politique qui vise la défense et la promotion d’une ou des langues officielles d’un État membre (arrêt du 16 avril 2013, Las, C‑202/11, EU:C:2013:239, point 25).

68      Elle a ainsi jugé que, aux termes de l’article 3, paragraphe 3, quatrième alinéa, TUE ainsi que de l’article 22 de la Charte, l’Union respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique. Conformément à l’article 4, paragraphe 2, TUE, l’Union respecte également l’identité nationale de ses États membres, dont fait aussi partie la protection de la langue officielle de l’État membre concerné (arrêts du 12 mai 2011, Runevič-Vardyn et Wardyn, C‑391/09, EU:C:2011:291, point 86, ainsi que du 16 avril 2013, Las, C‑202/11, EU:C:2013:239, point 26).

69      Il y a lieu de reconnaître l’importance que revêt l’enseignement en vue de la réalisation d’une telle politique de défense et de promotion de la pratique de la langue officielle d’un État membre (voir, en ce sens, arrêt du 28 novembre 1989, Groener, C‑379/87, EU:C:1989:599, point 20).

70      Ainsi, il convient de considérer l’objectif visant à promouvoir et à stimuler la pratique de l’une des langues officielles d’un État membre comme étant un objectif légitime de nature à justifier, en principe, une restriction aux obligations imposées par la liberté d’établissement consacrée à l’article 49 TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 16 avril 2013, Las, C‑202/11, EU:C:2013:239, point 27, et du 21 juin 2016, New Valmar, C‑15/15, EU:C:2016:464, point 50).

–       Sur l’aptitude de la restriction concernée à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi

71      Ainsi qu’il ressort du point 65 du présent arrêt, il convient encore d’apprécier si la réglementation en cause au principal est propre à garantir la réalisation de cet objectif légitime et si elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre.

72      À cet égard, il appartient en dernier ressort à la juridiction de renvoi, qui est seule compétente pour apprécier les faits du litige au principal et pour interpréter la législation nationale, de déterminer si et dans quelle mesure une telle réglementation satisfait à ces exigences (voir, en ce sens, arrêt du 13 avril 2010, Bressol e.a., C‑73/08, EU:C:2010:181, point 64).

73      Toutefois, la Cour, appelée à fournir à cette juridiction une réponse utile, est compétente pour lui donner des indications tirées du dossier de l’affaire au principal ainsi que des observations écrites qui lui ont été soumises, de nature à permettre à ladite juridiction de statuer (voir, en ce sens, arrêt du 13 avril 2010, Bressol e.a., C‑73/08, EU:C:2010:181, point 65).

74      En l’occurrence, une réglementation d’un État membre qui prévoit une obligation pour les établissements d’enseignement supérieur d’utiliser, en principe, la langue officielle de cet État membre apparaît propre à garantir la réalisation de l’objectif de défense et de promotion de cette langue. En effet, cette réglementation favorise la pratique de ladite langue par l’ensemble de la population concernée et garantit que la même langue soit également utilisée dans le contexte des formations de niveau universitaire.

75      Cela étant, il y a lieu de rappeler que ladite réglementation ne saurait être considérée comme étant de nature à garantir cet objectif que si elle répond véritablement au souci de l’atteindre et si elle est mise en œuvre de manière cohérente et systématique (arrêt du 4 juillet 2019, Commission/Allemagne, C‑377/17, EU:C:2019:562, point 89).

76      Eu égard à leur portée limitée, les exceptions prévues par la même réglementation ne sont pas de nature à faire obstacle à la réalisation de l’objectif de défense et de promotion de la langue officielle dudit État membre.

77      Par ailleurs, il y a lieu de relever que, en l’occurrence, ainsi que la juridiction de renvoi le précise, la réglementation lettone prévoit que l’utilisation obligatoire de la langue lettone ne concerne pas deux établissements privés d’enseignement supérieur dont le fonctionnement est régi par des lois spéciales, ce qui permet ainsi à ces deux établissements de continuer à proposer des programmes d’enseignement dans la langue anglaise ou, le cas échéant, dans une autre langue officielle de l’Union.

78      Ainsi qu’il ressort de la réponse écrite du gouvernement letton à des questions posées par la Cour, lesdits deux établissements ont été établis par des accords internationaux conclus entre la République de Lettonie et le Royaume de Suède. Or, il ressort de la demande de décision préjudicielle que l’article 56, paragraphe 3, point 1, de la loi sur les établissements d’enseignement supérieur prévoit précisément qu’un programme d’enseignement se déroulant en Lettonie peut être dispensé dans une langue officielle de l’Union autre que la langue lettone lorsque ce programme est organisé dans le cadre d’accords internationaux.

79      Dans ces conditions, si, certes, les deux établissements d’enseignement supérieur dont le fonctionnement est régi par des lois spéciales bénéficient d’un statut spécial, les enseignements y étant dispensés dans la langue anglaise ou, le cas échéant, dans une autre langue officielle de l’Union, rien ne s’oppose néanmoins à ce que d’autres établissements puissent dispenser leur formation dans une langue officielle de l’Union autre que la langue lettone, pour autant que leur fonctionnement relève d’un accord international conclu entre la République de Lettonie et d’autres États.

80      Il s’ensuit que le régime dérogatoire applicable à ces deux établissements pourrait s’appliquer à tout établissement se trouvant dans une situation similaire. Par ailleurs, cette catégorie d’établissements se distingue de manière pertinente des établissements soumis à l’obligation de principe d’enseigner en l’occurrence dans la langue lettone, dans la mesure où les premiers s’inscrivent dans une logique de coopération universitaire internationale particulière. Partant, eu égard à l’objectif spécifique qu’elles poursuivent et compte tenu de leur portée limitée, l’existence de dispositions permettant à certains établissements d’enseignement supérieur de bénéficier d’un régime dérogatoire dans le cadre d’une coopération prévue par des programmes de l’Union et par des accords internationaux n’est pas de nature à priver de cohérence la réglementation en cause au principal.

–       Sur la nécessité et la proportionnalité de la restriction concernée

81      Il convient de rappeler que les mesures restrictives d’une liberté fondamentale ne peuvent être justifiées que si l’objectif visé ne peut être atteint par des mesures moins restrictives (voir, en ce sens, arrêt du 22 décembre 2010, Sayn-Wittgenstein, C‑208/09, EU:C:2010:806, point 90).

82      En outre, il n’est pas indispensable que la mesure restrictive édictée par les autorités d’un État membre corresponde à une conception partagée par l’ensemble des États membres en ce qui concerne les modalités de protection du droit fondamental ou de l’intérêt légitime concerné. Au contraire, la nécessité et la proportionnalité des dispositions prises en la matière ne sont pas exclues au seul motif qu’un État membre a choisi un système de protection différent de celui adopté dans un autre État (arrêt du 22 décembre 2010, Sayn-Wittgenstein, C‑208/09, EU:C:2010:806, point 91).

83      Certes, les États membres disposent d’une large marge d’appréciation lors du choix des mesures susceptibles de réaliser les objectifs de leur politique visant à protéger la langue officielle, dès lors qu’une telle politique constitue l’expression de l’identité nationale, au sens de l’article 4, paragraphe 2, TUE (voir, en ce sens, arrêt du 16 avril 2013, Las, C‑202/11, EU:C:2013:239, point 26). Toutefois, il demeure que cette marge d’appréciation ne saurait justifier qu’il soit sérieusement porté atteinte aux droits que les particuliers tirent des dispositions des traités consacrant leurs libertés fondamentales (voir, en ce sens, arrêt du 12 mai 2011, Runevič-Vardyn et Wardyn, C‑391/09, EU:C:2011:291, point 78).

84      Il convient de relever qu’une réglementation d’un État membre qui exigerait, sans aucune exception, que les programmes d’enseignement supérieur soient dispensés dans la langue officielle de cet État membre excéderait ce qui est nécessaire et proportionné pour atteindre l’objectif visé par cette réglementation, à savoir la défense et la promotion de cette langue. En effet, une telle réglementation aboutirait, en réalité, à imposer, de manière absolue, l’usage de cette langue dans l’ensemble des programmes d’enseignement supérieur, à l’exclusion de toute autre langue et sans tenir compte des motifs susceptibles de justifier que des différents programmes d’enseignement supérieur soient offerts dans d’autres langues.

85      En revanche, il est loisible aux États membres d’instaurer, en principe, une obligation d’utiliser leur langue officielle dans le cadre de ces programmes, pour autant qu’une telle obligation soit assortie d’exceptions, assurant qu’une langue autre que la langue officielle puisse être utilisée dans le cadre des formations universitaires.

86      En l’occurrence, de telles exceptions devraient, afin de ne pas dépasser ce qui est nécessaire à cette fin, permettre l’utilisation d’une langue autre que la langue lettone, à tout le moins s’agissant des formations dispensées dans le cadre d’une coopération européenne ou internationale et des formations ayant trait à la culture et aux langues autres que le letton.

87      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que l’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation d’un État membre qui impose, en principe, aux établissements d’enseignement supérieur, l’obligation de dispenser les enseignements exclusivement dans la langue officielle de cet État membre, pour autant qu’une telle réglementation soit justifiée par des motifs liés à la protection de l’identité nationale de celui-ci, c’est-à-dire qu’elle soit nécessaire et proportionnée à la protection de l’objectif légitimement poursuivi.

 Sur les dépens

88      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

L’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation d’un État membre qui impose, en principe, aux établissements d’enseignement supérieur, l’obligation de dispenser les enseignements exclusivement dans la langue officielle de cet État membre, pour autant qu’une telle réglementation soit justifiée par des motifs liés à la protection de l’identité nationale de celui-ci, c’est-à-dire qu’elle soit nécessaire et proportionnée à la protection de l’objectif légitimement poursuivi.

Signatures


*      Langue de procédure : le letton.