Affaire C‑713/22
LivaNova plc
contre
Ministero dell’Economia e delle Finanze e.a
(demande de décision préjudicielle, introduite par la Corte suprema di cassazione)
Arrêt de la Cour (grande chambre) du 29 juillet 2024
« Renvoi préjudiciel – Sociétés – Scissions des sociétés anonymes – Directive 82/891/CEE – Article 3, paragraphe 3, sous b) – Scission par constitution de nouvelles sociétés – Notion d’“élément du patrimoine passif [non] attribué dans le projet de scission” – Responsabilité solidaire de ces nouvelles sociétés pour le passif résultant de comportements de la société scindée antérieurs à cette scission »
Liberté d’établissement – Sociétés – Régime des scissions des sociétés anonymes – Directive 82/891 – Scission par constitution de nouvelles sociétés – Projet de scission – Élément du patrimoine passif – Notion – Élément de nature indéterminée, tels que les coûts d’assainissement et les dommages environnementaux constatés, évalués ou consolidés après la scission concernée – Inclusion – Condition – Élément résultant de comportements de la société scindée antérieurs à la scission
[Directive du Conseil 82/891, art. 3, § 3, b)]
(voir points 62, 64, 67-69, 72-75 et disp.)
Résumé
La Cour rappelle les conditions dans lesquelles elle est compétente pour répondre à une question préjudicielle qui se pose dans le cadre d’une situation purement interne et précise, dans le cadre de la sixième directive 82/891 (1), l’étendue de la responsabilité solidaire des sociétés bénéficiaires d’une opération de scission vis-à-vis des dettes découlant de dommages causés par la société scindée non déterminés au moment de cette opération.
Le 13 mai 2003, SNIA SpA a réalisé une opération de scission par laquelle elle a transféré une partie de son patrimoine, à savoir toutes les participations qu’elle détenait dans le secteur biomédical, à une société nouvellement constituée, Sorin SpA, devenue par la suite LivaNova plc.
À la suite de cette opération de scission, les autorités publiques ont introduit des demandes en dommages-intérêts à l’égard de SNIA pour les dommages environnementaux qu’elle aurait causés dans le cadre de ses activités dans le secteur des produits chimiques. SNIA ainsi que ces autorités ont demandé la condamnation solidaire de LivaNova pour toutes les dettes découlant des coûts d’assainissement et des dommages environnementaux dont la responsabilité serait imputable à SNIA avant la scission.
SNIA a été reconnue responsable de ces dommages par les juridictions italiennes. Toutefois, dans la mesure où les faits donnant lieu à cette responsabilité étaient antérieurs au 13 mai 2003, date à laquelle l’opération de scission a été réalisée, la responsabilité solidaire de LivaNova a été limitée aux actifs transférés, conformément à la législation italienne (2), au motif que les dettes découlant des coûts d’assainissement et des dommages environnementaux constituaient des éléments du passif de SNIA connus, mais dont l’attribution ne pouvait être déduite du projet de scission concerné.
Afin de déterminer si LivaNova peut être considérée comme étant solidairement responsable des coûts d’assainissement et des dommages environnementaux causés par SNIA, la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie), saisie du litige par LivaNova, s’interroge sur l’étendue de la notion d’« élément du patrimoine passif [non] attribué dans le projet de scission », visée à l’article 3, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive, qui a été transposée dans la législation italienne par la notion d’« éléments du passif dont l’attribution ne peut être déduite du projet [de scission] ».
En particulier, elle se demande si cette première notion peut recouvrir des éléments de nature indéterminée du patrimoine passif non attribués dans le projet de scission, tels que les coûts d’assainissement et des dommages environnementaux qui ont été constatés, évalués ou consolidés après la scission concernée, qui résultent de comportements de la société scindée antérieurs à l’opération de scission ou de comportements ultérieurs à cette opération qui sont eux-mêmes le développement de comportements antérieurs de ladite société scindée.
La Cour considère que la responsabilité solidaire des sociétés bénéficiaires énoncée à l’article 3, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive s’applique à de tels éléments du patrimoine passif, pour autant qu’ils résultent de comportements de la société scindée antérieurs à l’opération de scission.
Appréciation de la Cour
Tout d’abord, la Cour relève que l’opération de scission en l’occurrence ne relève pas directement du champ d’application de la sixième directive, puisque SNIA a transféré seulement une partie de son patrimoine à Sorin, devenue LivaNova, et non pas l’ensemble de son patrimoine comme le prévoit l’article 21 de la sixième directive, qui définit la notion de « scission par constitution de nouvelles sociétés ».
Cependant, la Cour rappelle que, en vertu d’une jurisprudence constante, elle est compétente, pour statuer sur les demandes préjudicielles portant sur des dispositions du droit de l’Union dans des situations dans lesquelles les faits au principal se situent en dehors du champ d’application directe du droit de l’Union pour autant que les dispositions du droit de l’Union dont l’interprétation préjudicielle est sollicitée ont été rendues applicables par le droit national de manière directe et inconditionnelle, afin d’assurer un traitement identique aux situations internes et aux situations régies par le droit de l’Union, et à la condition toutefois que la juridiction de renvoi indique le lien de rattachement entre le litige pendant devant elle et ces dispositions du droit de l’Union (3).
Or, en l’espèce, la juridiction de renvoi a souligné que le libellé de la disposition nationale en cause, applicable au litige au principal, est, en substance, équivalent à celui de l’article 3, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive, qu’elle transpose en droit national. En transposant la sixième directive de cette manière, le législateur italien a donc décidé d’appliquer l’article 3, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive de manière directe et inconditionnelle également aux opérations par lesquelles une société par actions attribue une partie seulement de son patrimoine à une autre société.
Ensuite, s’agissant de l’interprétation de la notion d’« élément du patrimoine passif », visée à l’article 3, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive, la Cour explique, en premier lieu, qu’elle vise, au sens large, à couvrir toute dette de la société scindée, qu’elle soit certaine ou incertaine, déterminée ou indéterminée, quelles qu’en soient l’origine et la nature.
En deuxième lieu, dès lors que, en vertu de la sixième directive, un projet de scission doit mentionner la description et la répartition précises des éléments du patrimoine passif à transférer, ces éléments doivent avoir pris naissance, dans leur principe, antérieurement à la scission concernée. Dans le cas de coûts d’assainissement et de dommages environnementaux, cette exigence implique donc que l’infraction ou le fait générateur de ces dommages soient survenus antérieurement à la scission, mais non que, à cette date, lesdits dommages aient été constatés, évalués ou même qu’ils aient été consolidés.
En troisième lieu, l’un des objectifs de la sixième directive est notamment la protection des tiers. La notion de « tiers » est plus large que celle de « créanciers, obligataires ou non, et […] porteurs d’autres titres des sociétés participant à la scission ». Figurent ainsi parmi les tiers des personnes qui, à la date de la scission concernée, ne sont pas encore à qualifier de créanciers ou de porteurs d’autres titres, mais qui peuvent être qualifiées de la sorte après cette scission en raison de situations nées avant celle-ci, telles que la commission d’infractions au droit de l’environnement, mais qui ne sont constatées qu’après ladite scission.
Cette interprétation de la notion de « tiers » conforte celle de la notion d’« éléments du patrimoine passif », en ce sens qu’elle recouvre également les passifs de nature indéterminée, mais qui résultent de comportements antérieurs à la scission.
Ainsi, la notion d’« éléments du patrimoine passif », visée à l’article 3, paragraphe 3, sous b), première phrase, de la sixième directive, recouvre non seulement les passifs de nature déterminée, mais également ceux de nature indéterminée, tels que les coûts d’assainissement et des dommages environnementaux ayant été constatés, évalués ou consolidés après la scission concernée, mais qui résultent de comportements antérieurs à cette scission.
En revanche, la sixième directive ne prévoit qu’un système minimal de protection des intérêts des tiers, pour les éléments du patrimoine passif qui résultent des seuls comportements antérieurs à la scission concernée. Dès lors, la question de savoir si des comportements ultérieurs à cette scission, mais qui sont le développement de comportements antérieurs de la société scindée, peuvent être imputés à cette société, avec pour conséquence que l’obligation de réparer les dommages ainsi occasionnés, en tant qu’éléments du patrimoine passif, sera transférée aux sociétés bénéficiaires selon les modalités définies par la sixième directive, doit être déterminée sur le fondement du droit national.